C. DU BUDGET GÉNÉRAL AU FINANCEMENT DE LA PROTECTION SOCIALE

1. Une place croissante dans le financement de la protection sociale

Les nouveaux objectifs assignés aux accises se sont parallèlement accompagnés de l'affectation d'une partie de plus en plus importante de leur produit au financement de la protection sociale.

Dans un contexte de fortes tensions sur les ressources de la sécurité sociale, ces prélèvements, mobilisés au gré des circonstances, ont activement participé à la fiscalisation des recettes de la sécurité sociale sans pour autant être affectés à la couverture de dépenses de santé publique.

a) Une affectation d'abord limitée au financement des dépenses agricoles...

C'est au sortir de la guerre que les premières accises ont été affectées au financement de certaines dépenses sociales, plus précisément à celles du régime social agricole .

Aux termes de l'ordonnance du 26 mai 1945, ce régime se voit en effet affecter le produit d'une taxe sur les tabacs en feuilles créée pour l'occasion, censé garantir la pérennité de ses comptes. Elle sera remplacée en 1964 par une taxe de 2 % sur l'ensemble des produits du tabac (cigarettes, cigares ou cigarillos, tabacs à fumer, à priser ...) fabriqués et importés en France continentale et en Corse 31 ( * ) .

Vingt ans plus tard, les accises sont de nouveau mises à contribution pour renflouer les caisses d'un budget annexe des prestations sociales agricoles en proie à de grandes difficultés financières.

Celui-ci se voit cette fois-ci affecter un prélèvement de 100 francs par hectolitre d'alcool pur sur le produit du droit de consommation perçu dans les départements métropolitains par l'article 13 de la loi de finances pour 1981 32 ( * ) .

b) ... progressivement étendue à l'ensemble du champ social

Ce n'est qu'à compter du début des années 1980 que des droits d'accises sont progressivement dirigés vers le financement des différentes caisses du régime général de la sécurité sociale.

L'article 26 de la loi Bérégovoy du 19 janvier 1983 propose ainsi l'affectation à la caisse nationale d'assurance maladie d'une nouvelle « cotisation perçue sur le tabac et les boissons alcooliques ». Cette initiative rencontrera un succès mitigé : si la contribution assise sur les boissons d'une teneur en alcool supérieure à 25 % deviendra l'article L. 245-7 du code de la sécurité sociale, la contribution de 5 % sur les paquets de tabac sera supprimée par la loi du 9 juillet 1984.

Cette débudgétisation progressive du produit des accises sur l'alcool et les tabacs au profit de la sphère sociale va s'amplifier dans les années 90, ouvrant la voie à la fiscalisation des ressources de la sécurité sociale.

Ce mouvement de débudgétisation prend d'abord la forme de mesures éparses destinées à alimenter les comptes de certaines caisses du régime général et à participer au financement du fonds de solidarité vieillesse nouvellement créé.

L'article 48 de la loi de finances initiale pour 1990 affecte ainsi 3,98 centimes de francs par cigarette à la caisse nationale des allocations familiales afin de compenser, pour cette seule année, le coût net de l'opération de déplafonnement de l'assiette et de baisse du taux des cotisations d'allocations familiales.

L'article 33 de la loi de finances initiale pour 1993 affecte le produit des droits de consommation sur le tabac, à hauteur de 1,5 centime de francs par cigarette, à la caisse nationale d'assurance maladie des travailleurs salariés (Cnam) afin de compenser, pour cette seule année, les coûts médicaux du tabagisme.

L'article 43 de la loi de finances pour 1994 affecte l'ensemble du produit des droits et taxes sur les boissons alcooliques prévus aux articles 402 bis , 403, 406 A, 438 et 520 A du code général des impôts au fonds de solidarité vieillesse institué quelques mois plus tôt.

L'article 49 de la loi n° 96-1181 du 30 décembre 1996 de finances pour 1997 propose enfin d'affecter sans limitation de durée 6,39 % des droits de consommation sur les tabacs à la Cnam.

L'article 29 de la loi de financement de la sécurité sociale pour 1997 affecte quant à lui à la Cnam le produit d'une nouvelle taxe sur les boissons obtenues par mélange préalable entre les boissons et des boissons sans alcool (boissons prémix) à raison de 1,5 franc par décilitre.

Ce mouvement de débudgétisation prend une nouvelle ampleur à l'occasion de la création du fonds de financement de la réforme des cotisations patronales de sécurité sociale (Forec) par l'article 5 de la loi n° 99-1140 du 29 décembre 1999 de financement de la sécurité sociale pour 2000.

Ce fonds se voit en effet attribuer 85,5 % produit du droit de consommation sur les tabacs manufacturés prévu à l'article 575 du code général des impôts 33 ( * ) et 47 % du produit des droits de consommation sur les alcools visé à l'article 403 du code général des impôts 34 ( * )

A l'issue de l'adoption de ce texte, l'intégralité des droits sur le tabac et l'alcool se trouvent par conséquent affectés au financement d'organismes appartenant au champ de la protection sociale.

Affectataires des impôts et taxes sur les alcools et les tabacs en 2000

Base juridique

Nature de l'imposition

Affectation

Montants (en milliards de francs)

Article 575
du CGI

Droit de consommation
sur les tabacs

Forec (85,5 %) ; Cnam (13,97 %) ; Fcaata (0,43 %)

49,3

Article 1609 unvicies du CGI

Taxe sur les tabacs fabriqués

Bapsa

0,5

Article L. 245-7 du CSS

Cotisation
sur les alcools forts

Cnam

2,32

Article 403
du CGI

Droit de consommation sur les alcools

Forec (47 %) ; Cnam (45 %) ; FSV (8 %)

12,2

Article 402
du CGI

Droit de consommation sur les produits intermédiaires
(vins doux naturels,
vins de liqueur ...)

FSV

1,2

Article 1613 bis du CGI

Taxe « prémix »

Cnam

0,1

Article 438
du CGI

Droit de circulation
sur les vins, cidres, poirés et hydromels

FSV

0,88

Article 520 A
du CGI

Droit sur les bières

FSV

2,36

Source : Fascicule des voies et moyens annexé au PLF pour 2000

2. Des modalités d'affectation symbolisant l'instabilité et la complexité du financement de la protection sociale

L'historique de l'affectation des taxes sur le tabac et les alcools symbolise mieux qu'aucune autre composante de la fiscalité affectée l'instabilité et la complexité des modalités de financement de la protection sociale au cours des quinze dernières années.

a) Des taxes qui participent à l'instabilité des modalités de financement de la protection sociale

L'affectation de l'intégralité du produit des taxes sur les boissons alcoolisées et le tabac aux comptes sociaux ouvre paradoxalement une période d'instabilité chronique des modalités de financement de la protection sociale.

Cette instabilité se traduit en premier lieu par la rebudgétisation temporaire d'une partie des taxes et contributions assises sur l'alcool et le tabac.

Suite à l'abrogation des dispositions du code de la sécurité sociale relatives au Forec 35 ( * ) et au transfert des biens, droits et obligations de ce fonds à l'Etat au 1 er janvier 2004 36 ( * ) , l'intégralité du produit des taxes et contributions sur les alcools affectées à ce fonds 37 ( * ) et 26,94 % du produit des droits de consommation sur les tabacs 38 ( * ) sont en effet réaffectés au budget général.

Ce mouvement sera toutefois de courte durée. Dès 2006, la totalité du produit des droits et taxes sur les alcools est redirigé vers la sphère sociale dans le cadre de la mise en place du panier de taxes prévu à l'article L. 131-8 du code de la sécurité sociale pour financer les allégements généraux de cotisations.

Il faudra attendre 2009 et la disparition de la fraction résiduelle de 6,43 % du produit des droits de consommation sur les tabacs attribuée au budget général pour que l'ensemble du produit soit de nouveau affecté au financement des organismes entrants dans le champ de la protection sociale.

Cette instabilité se traduit également par les incessants changements d'affectataires du produit de ces droits entre 2003 et 2013.

Comme l'indique le tableau ci-dessous, le produit des différentes taxes assises sur les alcools a été affecté à cinq régimes ou organismes de sécurité sociale différents au cours des dix dernières années (quatre pour la cotisation prévue à l'article L.245-7 du code de la sécurité sociale).

Le produit des droits de consommation sur les tabacs ont quant à eux été affectés à vingt-deux entités ou régimes différents entre 2003 et 2014 et donné lieu à quarante-cinq réajustements de leur clé de répartition.

Affectataires des impôts et taxes sur les alcools (2000-2014)

2000/2003

2004/2005

2006/2008

2009/2011

2012/2014

Droit de consommation sur les alcools

Forec

Budget général

Organismes de sécurité sociale concernés par les allégements généraux de cotisations

CCMSA non-salariés - vieillesse

CCMSA non-salariés - vieillesse

CCMSA non-salariés - maladie

Droit de circulation sur les vins

Forec

Budget général

Organismes de sécurité sociale concernés par les allégements généraux de cotisations

CCMSA non-salariés - vieillesse

CCMSA non-salariés - maladie

CCMSA non-salariés - vieillesse

Droit de consommation sur les produits intermédiaires

Forec

Budget général

Organismes de sécurité sociale concernés par les allégements généraux de cotisations

CCMSA non-salariés - maladie

CCMSA non-salariés - vieillesse

Droit de circulation sur les bières

Forec

Budget général

Organismes de sécurité sociale concernés par les allégements généraux de cotisations

CCMSA non-salariés - maladie

CCMSA non-salariés - vieillesse

Source : Annexe 6 « Evolution des périmètres d'intervention entre l'Etat, la sécurité sociale et les autres collectivités publiques » du projet de loi de financement de la sécurité sociale

b) Des taxes qui symbolisent le manque de lisibilité des modalités de financement de la protection sociale

L'instabilité des modalités de financement de la protection sociale se double d'un manque de lisibilité lié à la multiplication des affectataires d'une même assiette.

Ce phénomène est parfaitement illustré par l'analyse de l'affectation du produit des droits de consommation sur les tabacs au cours des cinq dernières années.

Pour la seule année 2012, 11 affectataires se partageaient les 11,13 milliards d'euros du produit de ce droit de consommation, pour des fractions allant de 53,52 % pour la Cnam à 0,31 % pour le Fcaata.

Affectataires des droits de consommation sur les tabacs

2010

2011

2012

2013

2014

Cnam

38,81

53,52

52,33

68,14

60

Cnam - ATMP

1,58

1,58

Cnaf

12,57

11,17

7,27

MSA salariés

10

10

9,18

9,18

CCMSA non-salariés maladie

18,68

15,44

15,44

9,46

CCMSA non-salariés vieillesse RCO

1,89

1,89

1,89

1,89

1,89

Autres régimes

0,66

0,66

0,60

0,60

Fonds CMUc

3,15

3,15

Fcaata

0,31

0,31

0,31

0,31

0,31

FNAL

1,48

1,48

1,48

Fonds de solidarité

1,25

1,25

1,25

Financement des heures supplémentaires
(art. L. 241-17 et 18 CSS)

3,15

1,30

3,89

Financement des allégements généraux (art. L.131-6 CSS)

17,71

Apurement de la dette
envers OSS

13,8

Source : Annexes 6 « Evolution des périmètres d'intervention entre l'Etat, la sécurité sociale et les autres collectivités publiques « du projet de loi de financement de la sécurité sociale

3. Une affectation longtemps sans lien avec les dépenses de santé publique

Si les recettes tirées des taxes sur les tabacs et des alcools ont été progressivement affectées au financement de la protection sociale, la mission constate cependant qu'elles ont été largement mobilisées depuis vingt ans pour financer des dépenses sans rapport avec les questions de santé publique.

D'une part, une partie de ces recettes est historiquement affectée aux régimes des exploitants agricoles afin de pallier l'insuffisance de cotisations qui le caractérise. Cette tradition perdure avec l'affectation, depuis 2009, aux branches maladie et vieillesse de la MSA de l'intégralité des droits liés aux alcools et d'une partie des droits de consommation sur les tabacs.

D'autre part, ces recettes ont largement financé la politique d'allégements de cotisations patronales sur les bas salaires menée par les gouvernements successifs, renforcée en 1998 par la mise en place de la réduction du temps de travail. D'abord massivement affectées au Forec entre 2000 et 2003, elles ont composé à compter de 2005 les différents « paniers » de recettes fiscales destinés à compenser le coût de ces exonérations pour les régimes et branches de la sécurité sociale.

Bien que ces recettes aient été très largement réorientées vers la Cnam au cours des trois dernières années, la mission rappelle qu'une partie d'entre elles demeure affectée à la caisse nationale d'allocations familiales, au fonds CMUc ou au fonds de cessation anticipée d'activité des travailleurs de l'amiante.


* 31 Article 85 de la loi de finances pour 1964.

* 32 Loi n° 80-1094 de finances pour 1981.

* 33 Le reliquat étant réparti entre la Cnam pour 13,97 % et le Fonds de cessation anticipée d'activité des travailleurs de l'amiante, créé par l'article 41 de la loi de financement de la sécurité sociale pour 1999, pour 0,43 %.

* 34 Le reliquat étant réparti entre la Cnam pour 45 % et le Fonds de solidarité vieillesse pour 8 %.

* 35 Article 3 du projet de loi de financement de la sécurité sociale pour 2004.

* 36 La compensation au régime de base de sécurité sociale des pertes de cotisations liées aux mesures d'allégements de charges portant sur les bas salaires et la réduction du temps de travail sont réintégrée dans le budget de l'emploi.

* 37 Il s'agit plus précisément du produit du droit de consommation (article 403), du droit de circulation sur les bières (article 520 A), du droit de consommation sur les produits intermédiaires (article 402 bis) et du droit de circulation sur les vins (article 438).

* 38 L'article 24 du projet de loi de finances répartit le reliquat du produit de ces droits entre la Caisse nationale d'assurance maladie (22,27 %), le fonds de cession anticipée des travailleurs de l'amiante (0,32 %), le fonds de financement des prestations sociales des non-salariés agricoles (0,31 %) et le Bapsa (50,16 %).

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