B. TEMPS ET INTELLIGENCE TERRITORIALE

1. Audition de. Patrick Vassallo et Pierre-Alexis Tchernoïvanoff - Ville de Saint-Denis, le mercredi 8 janvier 2014

Audition de Patrick Vassallo, conseiller municipal de la ville de Saint-Denis délégué aux politiques temporelles, accompagné de Pierre-Alexis Tchernoïvanoff, chargé de mission.

L'organisation de la ville de Saint-Denis en matière de politiques temporelles

Un élu municipal possédant une délégation aux temps de la ville a été nommé par arrêté municipal. Du point de vue administratif, un des collaborateurs du cabinet du maire suit cette question. Il est l'interlocuteur privilégié vis-à-vis de l'extérieur, tandis que l'élu local est l'interlocuteur privilégié au sein de l'administration et du conseil municipal. En outre, il existe une cellule dédiée au temps de la ville comprenant notamment la direction de la culture, la responsable du service des études locales, la chargée de mission aux droits des femmes ainsi qu'un représentant de la communauté d'agglomération.

Le conseil municipal est informé au moins une fois par an des politiques temporelles menées par le biais du vote de la cotisation à Tempo Territorial , lequel est mis à profit pour présenter un bilan des actions entreprises. En outre, d'autres évènements nécessitant un vote du conseil municipal, comme l'organisation de la manifestation Les Temporelles, sont également l'occasion d'évoquer ces questions. Enfin, régulièrement, des notes traitant de ce thème, par exemple les horaires d'ouverture ou le passage aux horaires d'été, sont présentées en conseil municipal.

Les services municipaux peuvent avoir des horaires très différenciés.

Les principaux thèmes traités

Parmi les principaux thèmes, on trouve l'accessibilité des services publics. La mairie est ouverte du lundi au vendredi de 8h30 à 17h30, sauf le lundi où en raison d'une réunion de service hebdomadaire, les services n'ouvrent au public qu'à 9h30. Le centre administratif accueille également le public le samedi matin.

Le musée propose une ouverture nocturne le jeudi jusqu'à 22 heures, ce qui a été le motif de l'avant-dernière grève du personnel du musée. En effet, à l'époque, cette volonté d'ouvrir tard un soir par semaine était incomprise. Mais aujourd'hui personne ne souhaite faire marche arrière. La médiathèque organise également une nocturne par semaine. La piscine municipale est passée depuis juin 2013 en délégation de service public. Dans ce cadre, plus que sur les horaires d'ouverture, le débat a porté sur un élargissement du nombre de lignes de nage ouvertes au public. L'espace jeunesse est ouvert de 16 heures à 21 heures, ainsi que le samedi depuis l'été 2013. Les centres de loisirs sont ouverts jusqu'à 19 heures. La bourse du travail est ouverte tous les jours, y compris le dimanche. Une convention précise les horaires d'utilisation des salles entre l'administration, les syndicats et les associations. En ce qui concerne les maisons de quartier, chacune détermine ses horaires. Certaines sont ouvertes six jours sur sept. Cependant, elles ne suffisent pas à répondre au besoin de proximité. Un effort important sur la dématérialisation a également été entrepris pour faciliter les démarches administratives, mais la fracture numérique doit être prise en compte.

Un dialogue a été mené avec l'hôpital afin de proposer des consultations tardives après 20 heures, mais l'expérience a échoué. Une discussion a également eu lieu avec la Poste, bureau par bureau, avec notamment l'idée d'ouvrir les bureaux de poste le midi, en contrepartie d'un ajustement un matin de la semaine (une moindre ouverture le lundi matin par exemple). Un tel dialogue n'existe pas avec la CAF et la CPAM. Avec les commissariats, le dialogue est plus lointain et porte plutôt sur les capacités à accueillir le public. Enfin, il est très difficile avec Pôle emploi, qui ferme actuellement à 16h30, car il considère que des horaires étendus ne sont pas nécessaires dans la mesure où les personnes sans emploi peuvent se déplacer pendant la journée. Objectif emploi qui regroupe les missions locales, est ouvert de 9 heures à 17 heures avec un dispositif informel de présence dans les quartiers.

Un travail en commun est mené avec la délégation aux droits des femmes afin d'améliorer l'accueil des jeunes filles ou des femmes victimes de violence, qui doivent parfois faire face parfois à un véritable parcours du combattant : le fait que certaines victimes ne puissent se rendre au commissariat et ainsi porter plainte qu'à certains moments particuliers de la journée n'est pas toujours bien intégré par la police.

La question de la temporalité fait aussi partie de l'aménagement urbain. Les heures d'ouverture des squares ont été discutées avec les habitants en fonction des habitudes locales. L'idée d'une charte de la nuit par quartier est actuellement en discussion et est plutôt bien reçue. Enfin, un débat a également lieu pour limiter la vente d'alcool le soir en fermant les commerces qui en vendent, à l'exception des bars et restaurants.

Les relations avec l'environnement, et notamment les questions de participation et de consultation des citoyens

L'horaire le plus propice pour organiser des réunions participatives ou consultatives varie d'un quartier à un autre. Ainsi, dans les quartiers à plus fort taux résidentiel, il est plus judicieux de commencer une réunion vers 18 heures-18h30. Dans d'autres quartiers, le créneau le plus favorable est le samedi matin entre 10 heures et 12 heures. Mais, de manière générale, ce qui est le plus efficace est le déplacement de l'élu sur le terrain, car dans les faits les gens ne viennent pas aux réunions publiques. Ainsi, M. Vassallo organise trois à quatre grandes réunions maximum par an, mais a organisé sur le premier semestre 2013 plus de 25 rencontres sur le terrain.

L'agglomération et son comité de développement économique prêtent une oreille attentive à ces questions temporelles, notamment en ce qui concerne le nettoyage des rues et le ramassage des ordures ménagères. Premièrement, il s'agit de limiter les nuisances sonores, donc le samedi et le dimanche sont à exclure. Deuxièmement, il est nécessaire qu'il n'y ait pas de voitures garées afin de nettoyer le caniveau. Or, l'observation montre que le seul créneau répondant à ces critères est le mercredi entre 10 heures et 16 heures. Mais, ce créneau est trop court pour répondre à l'ensemble des besoins. Enfin, la mairie souhaite que les rues soient nettoyées le matin afin qu'elles soient propres lorsque les habitants sortent de chez eux. C'est pourquoi, une réflexion doit être menée afin de répondre à l'ensemble de ces critères.

Dans le centre-ville piéton, a été imposé comme horaires de livraison le créneau 6h30-10h30, ce qui fonctionne plutôt bien.

Avec 12 ans de recul, on constate que de manière générale, les problématiques temporelles sont devenus monnaie courante, avec un bémol toutefois : certaines directions ne voient pas l'intérêt de s'occuper de telles questions.

En matière de garde d'enfants, la ville a fait le choix, il y a 15 ans, de ne plus offrir d'accueil le matin, afin de disposer de moyens d'ouvrir les centres de loisirs jusque 19 heures le soir. Depuis la rentrée 2013, toutes les écoles de la ville ont à leur disposition un accueil non municipal : la mairie donne les locaux. L'accueil est alors pris en charge soit par des associations, notamment de parents d'élèves, soit par un marché à caractère social. Toutefois, il n'y a aucun soutien financier de la CAF. Dans un certain nombre de cas, il y a un regroupement entre plusieurs écoles, avec organisation du déplacement des élèves entre le local d'accueil et l'école. Cela a été bien reçu.

A Saint-Denis, 30% des familles sont monoparentales, 34 % des habitants travaillent à Saint-Denis, et 49% de la population a moins de 30 ans.

2. Audition d'Evelyne Reeves - Bureau des temps de Rennes, le vendredi 24 janvier 2014

Audition d'Evelyne Reeves, Responsable du Bureau des temps de Rennes Métropole.

Le bureau des temps de Rennes est constitué de trois personnes. Auparavant rattaché à la ville de Rennes, il est, depuis la mutualisation des personnels entre la ville et la communauté d'agglomération, rattaché à la Direction de la stratégie et du rayonnement métropolitain de Rennes Métropole 77 ( * ) .

Ce rattachement a beaucoup d'aspects positifs, car cette direction est très transversale. En outre, elle réunit également le numérique, les questions d'environnement et de développement durable, le projet de territoire ainsi que le SCOT. Cela a également permis au bureau des temps de gagner en visibilité. Enfin, le transfert du bureau des temps de la ville à la communauté d'agglomération conduit à un élargissement de la portée et des problématiques. En effet, jusque-là, il se concentrait sur les compétences de la ville, alors que désormais, il a accès aux problématiques liées aux compétences de l'agglomération : aménagement, transport.

En termes de fonctionnement, le bureau des temps a commencé par effectuer un tour de l'ensemble des services afin de repérer tous les programmes qui avaient un lien avec le temps pour pouvoir suggérer des actions. Ce travail a résulté en l'établissement d'une liste assez longue qui a été traduite en programme de travail, dans un « cadre stratégique ». Concrètement, les agents du bureau des temps ont d'abord rencontré leurs collègues de même niveau, puis les directeurs, puis les élus, et enfin les commissions. Un bon accueil a été réservé à cette démarche : tant le personnel que les élus ont montré un réel intérêt. En outre, ce tour des services a également permis au bureau des temps de se rendre compte que son action était encore mal connue. Un travail avec les élus a alors été mené afin de définir les priorités.

Dans ses premières années d'existence, le bureau des temps a travaillé avec le CODESPAR (conseil de développement économique et social du pays et de l'agglomération de Rennes), qui était partenaire dans le cadre du plan européen Equal . Le bureau des temps travaille également avec le CIDFF (Centre d'Information du Droit des Femmes et des Familles), même si ce partenariat a évolué : il est devenu moins systématique, mais plus thématique.

Au niveau des élus, il y a une « coprésidence » sur ce sujet : l'élu compétent à la ville de Rennes est Jocelyne Bougeard et à Rennes Métropole, il s'agit de Bernard Poirier, 1 er vice-président 78 ( * ) . En outre, des élus interviennent également en fonction des diverses thématiques.

Parmi les grandes réalisations du bureau des temps de Rennes, on peut citer l'action sur le lissage de l'heure de pointe dans le métro. Rennes a pu sur ce thème bénéficier de ce qui avait été fait par d'autres collectivités membres de Tempo territorial. Cela a notamment permis à la ville de Rennes d'avoir une trame pour mener à bien son action. Après un diagnostic, chaque producteur de temps, notamment deux lycées, le Centre hospitalier de Rennes, et les deux Universités Rennes I et Rennes II, a été invité à détailler ce qu'il générait comme flux entre 7h45 et 8h15. En effet, pendant cette période, on comptait plus de 180 passagers par rame, ce qui était à la limite de l'acceptable en matière de confort et de sécurité. Ce qui intéressait était la connaissance très précise du flux réel. Ainsi, certains des lycées ont des filières en alternance et les élèves ne sont donc pas présents tous les jours. Ce diagnostic a permis un premier constat : le problème était principalement dû aux flux générés par l'université Rennes II. Le prestataire de transport Kéolis a également contribué à ce diagnostic en réalisant des comptages effectifs : ils ont recruté des enquêteurs et un comptage billettique a été effectué. Puis des concertations ont eu lieu. Trois scénarios ont alors été élaborés. Le premier scénario, consistant à organiser un découpage par UFR, échoua sur les modules interfilières. La concertation a pris du temps. Sa réussite nécessitait de la part des partenaires d'accepter de se décentrer de leur coeur de métier, en faisant prévaloir l'intérêt collectif sur l'intérêt particulier. Des paramètres étaient à prendre en compte, comme le renouvellement du conseil d'administration des universités, ce qui a entraîné un ralentissement du rythme de la concertation pendant cette période. Le CROUS et les syndicats étudiants ont également été conviés à la concertation.

Une expérimentation a suivi qui s'est soldée par une évaluation. La modification des horaires a conduit à une diminution de la fréquentation de 5% lors de la période de pointe, et de 17% sur les rames qui arrivent à l'université, alors que la fréquentation du métro a dans le même temps augmenté de 6%. L'évaluation s'est faite sur la fréquentation d'une semaine type (mi-novembre) en 2011, 2012 et 2013. Le choix de cette semaine en novembre s'explique par le fait qu'il s'agit d'une semaine sans congés, ni vacances scolaires, ni examen, et suffisamment loin de la rentrée pour que le nombre d'étudiants se soit stabilisé. La couverture médiatique a été importante.

Le bureau des temps est invité désormais à travailler sur les congestions routières urbaines En effet, suite aux réflexions symbolisées par le Grenelle de l'environnement et aux contraintes budgétaires, la priorité va désormais à l'optimisation du réseau existant plutôt qu'au déploiement d'infrastructures supplémentaires. La question de la meilleure répartition des flux dans le temps apparaît comme une initiative incontournable. La volonté est bien ici de privilégier l'action sur les comportements et les usages plutôt que les réponses techniques, en limitant les investissements et l'impact sur l'environnement. Cette piste apparaît plus complexe que celle sur l'heure de pointe du métro, essentiellement du fait du caractère plus diffus des « générateurs de temps » impliqués, du nombre de modes de déplacements concernés et de l'ampleur du périmètre à prendre en compte. En revanche, contrairement aux usagers du métro ou du bus, les automobilistes ont la souplesse de choix d'itinéraires différents pour aller d'un point A à un point B, choix qui peut être orienté par les politiques temporelles et les informations en temps réel et ainsi permettre d'agir sur la décongestion des voiries. Encore peu explorée, cette piste est rendue possible par le développement des outils numériques et de partage des données publiques et privées.

Un autre sujet de travail concerne les horaires de travail des agents d'entretien des bureaux de l'administration municipale. Rennes, parmi les bureaux des temps, a été le premier à mettre en place cette action. Comme dans les autres collectivités territoriales en France, les agents d'entretien des bureaux, principalement des femmes, travaillaient très tôt le matin, très tard le soir et pendant la pause méridienne, au détriment de leur vie personnelle. Cette organisation était fondée sur le postulat que le ménage en journée serait source de dérangement et de risque d'atteinte à la confidentialité. Un diagnostic a montré que ces craintes étaient largement non justifiées. Une importante réorganisation a été conduite, afin de permettre à ces agents d'exercer leur activité sur des horaires très proches de ceux des autres agents municipaux. Celle-ci a permis de réduire l'absentéisme et d'augmenter la productivité, mais surtout d'améliorer considérablement la qualité de vie de ces agents. Cette action illustre de quelle façon l'action temporelle peut constituer un levier pour lutter contre les inégalités. Une des difficultés rencontrées résidait dans le fait que l'intervention des agents d'entretien sur des plages horaires pendant lesquels les salles et bureaux étaient inoccupés a été vécue par certains comme une immixtion dans leur sphère personnelle et un contrôle de leur présence sur leur lieu de travail.

Au départ, il y a eu une difficulté à toucher le secteur privé, mais la fédération des entreprises de la propreté s'est saisie de ce thème.

Les thématiques des travaux ont évolué :

- dans un premier temps, les actions ont porté sur l'égalité entre hommes et femmes. L'action relative aux agents d'entretien s'inscrit dans le cadre du programme européen Equal ;

- puis les thèmes ont concerné les services : les horaires d'ouverture des piscines, des bibliothèques ;

- l'aménagement et les transports ont constitué le troisième grand axe.

Outre cette évolution thématique, on constate également une évolution d'échelle.

Le bureau des temps peut s'appuyer sur les travaux portant sur la question de l'urbanisme, des mobilités et de l'aménagement temporel : Sandra Mallet (enseignant-chercheuse en aménagement/urbanisme à l'Université de Reims) à travers le PUCA à Reims, Eric Lebreton (enseignant/chercheur en sociologie des mobilités- à l'Université Rennes 2) qui participe au réseau européen sur les temps, travaillent sur ces thèmes.

L'information du public se fait au travers des conférences. Depuis 2002, 48 conférences ont eu lieu, qui ont ensuite été diffusées sur internet ou dans des publications dédiées. Elles constituent aujourd'hui l'une des plus complètes sources d'informations sur les politiques temporelles actuellement disponibles. En outre, le bureau des temps répond à de nombreuses sollicitations des médias. Cela montre que les choses sont en train de mûrir. L'action sur l'heure de pointe du métro a été nominée aux trophées de la SNCF et décrite comme son « coup de coeur » par Guillaume Pépy, président de cette entreprise.

Parmi les pistes de travail actuellement explorées, le développement du télétravail ou du travail dans des tiers lieux apparaît comme un levier potentiel pour réduire les phénomènes d'heure de pointe, en limitant les déplacements. Dans les faits, on constate un problème de congestion les lundis, mardis et jeudis. Le télétravail ne devant pas concerner 100% du temps de travail, mais plutôt 2 jours par semaine, l'invitation à télétravailler ces jours-là apparaît comme un levier intéressant.

3. Audition de Mme Jocelyne Bougeard - Ville de Rennes, le vendredi 24 janvier 2014

Audition de Jocelyne Bougeard, adjointe déléguée aux temps de la ville, aux droits des femmes, à l'égalité des droits et à la laïcité de la Ville de Rennes.

Depuis treize ans, le bureau des temps rennais a évolué considérablement. Le mandat 2001-2008 a été un mandat d'évaluation et d'initiatives assuré par un portage politique fort du maire. Les thèmes d'action ont porté sur la mobilité, les conditions d'emploi des femmes, la qualité de vie, l'accès aux services, l'aménagement de l'espace, l'équilibre entre la qualité des services rendus et ceux qui rendent le service. La conscientisation des élus et des services a été notre priorité afin de mettre en place la transversalité qu'exige ce sujet. Notre bureau des temps a bien sûr rencontré des difficultés. On peut penser que l'un des obstacles a été d'être très ouvert vers l'extérieur alors que le travail de mon point de vue doit être d'abord interne et doit s'appuyer sur les propres services de l'administration. La question du rattachement administratif est également importante.

Les missions des bureaux des temps ont été parfois rattachées à d'autres compétences, c'est notamment le cas des droits des femmes à Paris ou à Caen. La question du rattachement du bureau des temps de Rennes entre 2001 et 2008 a été complexe. Au cours du premier mandat, il était rattaché au service des finances. De ce fait, plusieurs domaines lui échappaient : l'urbanisme, la petite enfance, la culture. En outre, lors des débats de la commission en charge des finances, la politique du bureau des temps était peu examinée par rapport aux autres sujets traités par cette commission.

Lors du deuxième mandat, à partir de 2008, le bureau des temps a été rattaché à la culture et au sport. Ceci l'a écarté d'autres groupes de travail. Son nouveau rattachement en 2011 auprès de Rennes Métropole à la direction de la prospective et du développement durable constitue une réelle avancée. En effet, les sujets traités par cette direction répondent parfaitement aux problématiques du bureau des temps. À titre de comparaison, le fait que le bureau des temps de Paris, de 2001-2008, ait été directement rattaché à la première adjointe a contribué à sa reconnaissance.

Lors des élections municipales de 2008, tous les bureaux des temps pouvaient douter de leur pérennisation.

Actuellement, les bureaux des temps sont portés par des villes de grande taille, il faut le regretter. Cette question concerne tous les territoires. Les territoires ruraux, par exemple, sont mobilisés par l'accès aux services, ou encore la mobilité des collégiens et des salariés, certaines saisonnalités de l'emploi, etc.

Enfin, l'expérience exige que d'une part, sans portage politique, il est difficile de mobiliser et, d'autre part, qu'il est préférable de se concentrer au départ sur un nombre limité d'initiatives ouvertes mais sur des problématiques différentes afin de démontrer que chaque champ de l'intervention publique est concerné.

Début 2002, le bureau des temps a été sollicité pour contribuer à un, puis deux projets européens, Equal, portant sur la place des femmes dans le secteur de l'emploi. Ce programme transnational a été passionnant. Les femmes sont soumises aux nombreuses pressions du travail, des responsabilités éducatives et charges domestiques. Cette réalité a été le coeur de notre projet européen. L'action sur les horaires de travail des agents d'entretien s'est inscrite dans ce programme. L'évolution relative aux conditions de travail des agents d'entretien a dix ans. Aujourd'hui, ce sont plus de 70 entreprises qui sont signataires d'une charte portant sur le travail du personnel d'entretien en journée. Y sont engagées à la fois des entreprises de nettoyage et des entreprises ayant recours à ces services.

Quelques points de bilan soulignent que :

- les politiques temporelles sont un révélateur d'inégalités et un levier pour les combattre ;

- elles contribuent à la qualité des services publics et exigent de travailler sur l'équilibre à trouver entre ceux qui rendent le service et ceux qui en bénéficient. C'est dans ce cadre qu'interviennent par exemple les débats sur le travail le dimanche ;

- les politiques temporelles intéressent tous les âges de la vie et tous les espaces de vie, avec une prise en compte des mutations sociales et des identités locales.

Si la mise en place d'un bureau des temps était à repenser, celui de Rennes se concentrerait plus encore sur les actions à mener en interne.

Les politiques temporelles ne sont pas encore perçues comme un sujet majeur. Dans certains domaines, un travail de conviction et de sensibilisation reste nécessaire. La ministre aux Droits des femmes est motivée par ce sujet, mais il est à regretter le retrait des autres ministères. Au niveau local, les élus sont assez isolés dans leur pratique, les politiques temporelles jugées secondaires à d'autres domaines d'intervention. Si le-la maire et le-la directeur-trice général-e ne sont pas convaincu-e-s, ces politiques ne sont pas explorées et formalisées.

La transversalité des politiques temporelles est à la fois une richesse et aussi un obstacle ; certains élus acceptent peu l'intervention de ces politiques dans leur domaine.

Le cycle de conférences réalisé par le bureau des temps de Rennes depuis 12 ans a permis de fidéliser et conscientiser un grand nombre de personnes, aux sensibilités et parcours différents, les thèmes des conférences couvrant des domaines très larges.

Les thèmes d'actions municipales et métropolitaines actuellement engagées sont les suivants :

- l'aménagement de l'espace et l'urbanisme, ainsi que l'animation de ces sites. Les usages de l'espace public commun, en fonction du jour et de la nuit, mais également en fonction de la saisonnalité sont travaillés. A titre d'exemple, Rennes a un rythme de « vie » attaché au calendrier universitaire et scolaire, un Rennais sur 4 étant étudiant. La question de la mutualisation et de la polyvalence des espaces est majeure, et accentuée par la limite de nos ressources. La modularité et la réversibilité des aménagements sont un enjeu pour les politiques temporelles. Concrètement, cela signifie que certains sites doivent être accessibles par des utilisateurs multiples. Dans les conventions d'utilisation des équipements, les questions temporelles sont incluses : horaires d'accès, polyvalence des locaux... ;

- les différents âges de la vie, et notamment la petite enfance et l'enfance. Le bureau des temps a alors un rôle d'appui ;

- l'intermodalité et les transports ;

- le renforcement de l'usage des nouvelles technologies par tous.

Enfin, pour mener à bien des politiques temporelles, il convient d'affirmer que l'organisation personnelle est aussi une question publique. Par exemple, en matière culturelle, avancer l'horaire de début de la représentation à l'opéra de 21 heures à 18 heures ne suffit pas à accueillir plus de personnes, car le public doit régler d'autres problèmes d'organisation, comme la garde des enfants ou le coût d'accès. De même, l'ouverture du musée durant la pause méridienne est expérimentée et analysée avant d'être éventuellement étendue. Il faut également considérer les répercussions des ouvertures à horaires décalés. Par exemple, une action intitulée les 4 jeudis, a été mise en place à Rennes, visant à ouvrir certaines soirées diverses infrastructures sportives, culturelles de quartier... Si l'initiative rencontre un franc succès auprès du public, et ne pose pas de problème aux salariés car ils participent sur la base du volontariat, les conséquences de ces actions doivent être évaluées : l'annulation des cours de piscine des scolaires le lendemain matin par exemple, car les personnels doivent disposer de temps de récupération.

Concernant les piscines, après une longue concertation, les actions menées ont davantage porté sur la répartition de l'utilisation des lignes de nage entre les scolaires, les clubs de plongée, les bébés nageurs, les personnes âgées, que sur une extension des heures d'ouverture.

La DATAR réunissait les collectivités territoriales travaillant les politiques temporelles afin de mutualiser et penser ensemble les innovations. Le changement de gouvernement a mis un terme aux réflexions de ce groupe, nous le regrettons. Les collectivités territoriales ont souhaité poursuivre les échanges et initié la création du réseau associatif national et bientôt européen, Tempo territorial, en 2004. Le conseil d'administration initie différentes actions et mobilisations dont des temps publics de réflexion et d'informations sur des thèmes définis, par exemple « rythmes scolaires », « santé et temps », « télétravail », etc. Une fois par an sont proposées les Temporelles dans une ville engagée dans le réseau, ainsi deux journées d'échanges sont consacrées à l'étude d'un thème choisi ensemble et réunit les spécialistes de la question. Ce réseau est très actif.

4. Audition de Catherine Gabriel et de Marie-Claire Lacaze - ville de Brive, le 28 janvier 2014

Audition de Marie-Claire Lacaze, responsable de la direction de la démocratie participative, de la politique des temps et de l'égalité femmes-hommes, et Catherine Gabriel, adjointe au maire de la ville de Brive.

Il est intéressant de constater que personne ne s'autorise à parler de la contrainte du temps, car elle est vue comme une fatalité, alors qu'on parle de la variable géographique, territoriale.

La mission temps a été mise en place à Brive en 2008, comme un outil permettant de répondre aux besoins de la population. Toutefois, elle a rencontré des difficultés pour convaincre les autres élus. A titre d'exemple, le bureau des temps a mis en place des concerts sur le pouce le midi, et l'idéal aurait été que cette action soit reprise par les services de la culture. Or, tel n'a pas été le cas.

La mission temps, qui est comprise dans un ensemble incluant également la démocratie participative et l'égalité entre les hommes et les femmes, est rattachée au directeur général adjoint de l'administration, ce qui peut poser des problèmes pour défendre des politiques transversales. Il aurait été plus pratique d'être rattachée auprès du directeur général des services. Toutefois, dans les faits, son positionnement ne lui a jamais été préjudiciable. Le temps consacré au bureau des temps varie selon les années. Ainsi lorsque les Temporelles ont été organisées à Brive, les politiques temporelles ont représenté plus de 50% du temps de travail de la chargée de mission.

En 2008, il a été décidé que pour être crédible, il était nécessaire de créer rapidement une action phare. Pour cela, le bureau des temps a organisé une après-midi de conférences pour sensibiliser le public. La participation n'a pas été très forte.

Le premier sujet abordé par le bureau des temps a été le guichet unique pour les activités extrascolaires. Il est issu d'une enquête menée auprès de la population via le journal municipal, qui demandait aux habitants où ils avaient l'impression de perdre le plus de temps. Lors du guichet unique, les enfants sont pris en charge pendant que les parents procèdent aux inscriptions. Le bureau des temps s'est heurté à des difficultés avec certains services, dans la mesure où il intervenait dans un champ de compétences traditionnellement dévolu à d'autres personnes. En outre, cela nécessitait de changer son optique d'organisation : il est nécessaire d'être dans l'optique « usagers » plutôt que de faire en fonction des moyens et habitudes de l'administration. Certains personnels ont également eu l'impression de dédoubler les inscriptions, car il fallait procéder à ces dernières lors de cette journée guichet unique, puis de retour dans leurs bureaux, retranscrire les inscriptions dans les fichiers.

Témoin de cette difficulté à accepter et à prendre en compte la transversalité des politiques temporelles, le bureau des temps n'a pas été sollicité lors de la mise en place de la réforme des rythmes scolaires. Or, Tempo territorial avait publié un rapport sur ce sujet.

La deuxième action a concerné « les concerts sur le pouce ». Ces derniers ont lieu à la pause méridienne, toute l'année sauf en janvier, février, juillet et août pour des questions budgétaires. Ils sont organisés de 12h30 à 13h15 toutes les deux semaines dans des salles non dédiées à un espace de concert. L'idée était d'offrir un lieu le midi et une animation culturelle, pour les salariés, mais aussi pour les personnes âgées qui ont du mal à sortir le soir. Le café et le jus de fruit sont gratuits et pris en charge par le bureau des temps. Ces concerts sont montés en partenariat avec une association des professeurs de conservatoire. La communication s'est faite par des tracts, de l'affichage, mais surtout le bouche-à-oreille. Parmi les points forts, on peut citer la gratuité du dispositif et la localisation : ces concerts ont lieu dans la salle des mariages de l'hôtel de ville. Le bureau des temps a gagné en notoriété avec cette action.

Une autre action concerne la garde des enfants à des horaires atypiques, avec une assistante maternelle qui se rend à domicile. Cette action est maintenant portée par le service petite enfance et est proposée pour une période transitoire, jusqu'à ce que les parents trouvent une solution.

Le bureau des temps a également travaillé sur les horaires d'ouverture des services administratifs. Désormais, la mairie est ouverte le jeudi entre midi et deux heures permettant les démarches d'état civil ou celles concernant les cartes d'identité. Une décision de la commission technique paritaire a été nécessaire, mais le bureau des temps a pu s'appuyer sur la tradition d'ouverture de la caisse des écoles le jeudi en continu, ainsi que sur le diagnostic qu'elle avait fait sur l'ouverture le jeudi midi : toutes les administrations étaient déjà ouvertes à l'exception de la mairie et de la sous-préfecture. Le personnel est volontaire.

Brive, qui est l'une des plus petites villes du réseau Tempo territorial , a organisé Les Temporelles en 2012. Elles ont porté sur la question du dialogue urbain-rural. À la suite de ce colloque, un groupe de travail a été créé. Il travaille à la création, avec mairie conseils , d'une journée flash de sensibilisation des élus ruraux aux politiques temporelles. C'est d'ailleurs devenu un des thèmes principaux à Brive.

En outre, dans le cadre de la mission « vie associative », une réflexion a été entamée sur les heures de réunion. Il s'agit notamment de savoir à quels moments les bénévoles sont les plus disponibles.

Il est par ailleurs prévu, dans le plan d'action pour l'égalité professionnelle femmes-hommes mis en place dans la collectivité, de ne plus fixer de réunions après 17h pour celles qui ne requièrent pas la présence des élus.

Les habitants de Brive ont également été interrogés sur la manière dont ils vivaient leur temps le dimanche. Il s'agit principalement d'un temps dévolu à la famille et aux amis. Les Brivistes sont également à la recherche d'activités : thé dansant, activités gratuites, accès aux bibliothèques.

Enfin, dans le cadre de l'égalité hommes-femmes, la ville de Brive souhaite expérimenter le télétravail dans le cadre de son volet « conciliation vie professionnelle, vie familiale ».

Pour les collectivités qui souhaitent mettre en place un bureau des temps, les trois points suivants sont nécessaires :

• un portage politique fort ;

• une personne dédiée au niveau technique et portée par un service ;

• la nécessité de mettre rapidement une action en place pour acquérir rapidement une visibilité et être considéré comme un partenaire à part entière.

5. Audition de Chrystelle Amblard - Communauté d'agglomération de Montpellier, le mercredi 29 janvier 2014

Audition de Chrystelle Amblard Responsable de la mission temps et territoire de la communauté d'agglomération de Montpellier.

Après avoir travaillé au bureau des temps de Paris, Chrystelle Amblard a rejoint Montpellier en 2006, où elle a participé à la création de la mission gestion des temps, dont elle est responsable. Cette mission est née de la conjonction de deux évènements :

• la proposition du conseil de développement d'ouvrir une réflexion sur la gestion des temps au niveau de l'agglomération ;

• la saturation de la ligne 1 de tramway par les étudiants des universités, qui commençaient toutes à la même heure. Ce problème pouvait être résolu par leur décalage horaire, comme cela avait été le cas à Poitiers, ce qui a convaincu le DGS de créer une mission gestion des temps.

Dans une première phase (2006-2011), la mission gestion des temps a réinterrogé l'ensemble des services et compétences de l'agglomération.

Depuis 2012, la mission a évolué, elle s'intitule « mission temps et territoire » et pense en associant l'ensemble des acteurs du territoire, l'aménagement temporel du territoire et des services.

1) De 2006 à 2011 : adapter les services de l'agglomération aux nouveaux rythmes

1.1 Le positionnement de la mission « gestion des temps »

La mission gestion des temps durant cette période a été rattachée au contrôle de gestion, qui avait un rôle transversal et était en charge des enquêtes usagers et audits. La gestion des temps était portée par le directeur général des services, ce qui a permis d'adapter les horaires d'un grand nombre de services à la population de l'agglomération.

Le rôle de la mission gestion des temps consistait à mener les enquêtes auprès des usagers, faire du benchmark sur ce qui existait ailleurs, analyser la fréquentation des équipements, faire des préconisations d'adaptations, tout cela en lien étroit avec les directions opérationnelles. Une fois le projet validé c'est la direction opérationnelle et les ressources humaines qui mettent en oeuvre le projet. La mission gestion des temps a parfois aussi été sollicitée pour évaluer les dispositifs a posteriori .

1.2. Les principaux domaines d'intervention

1.2.1. Réaménager les horaires et développer de nouveaux services.

L'action de la mission a principalement porté sur l'aménagement horaire d'un grand nombre de services de l'agglomération, et plus marginalement sur le développement de nouveaux services.

• Médiathèques :

- élargissement des horaires d'ouverture au grand public des médiathèques, en fin d'après-midi et en soirée ;

- ouverture le dimanche des médiathèques centrales (20% de nouveaux usagers) ;

- développement de services 24h/24, 7j/7 : boîtes de retour des livres, services internet de réservation et de prolongation des prêts.

• Piscines : réaménagement horaire des 12 piscines.

- les horaires d'ouverture au grand public ont été élargis et ont été coordonnés de manière à permettre à la population d'avoir au moins tous les soirs et le week-end une piscine ouverte à proximité ;

- les créneaux horaires attribués aux clubs sportifs et à la natation scolaire ont été renégociés et rendus plus pertinents.

- les rythmes de travail des agents des piscines ont été réaménagés et améliorés.

• Mobilité :

- prolongation jusqu'à 2 heures du matin du service du tramway les vendredis et samedis soirs pour répondre aux demandes des noctambules ;

- création de minibus le soir vers les communes périurbaines.

Nous avons aussi agi sur les horaires des musées, du planétarium, de l'aquarium, des maisons d'agglomération, des points propreté.

Un certain nombre de ces réaménagements horaires se sont faits à coût constant.

Ces différents projets ont émergé dans le cadre d'opportunités : ouverture ou intégration d'une nouvelle structure, audit d'équipement, demande d'aménagements horaires dans le cadre d'enquêtes auprès de la population. Parfois, l'action initiée sur un équipement s'est ensuite étendue à l'ensemble du réseau.

1.2.2. Améliorer l'aménagement temporel du territoire

Étaler les flux par le décalage horaire des universités

Les trois universités, qui comptent environ 60 000 étudiants et salariés, démarraient toutes leurs cours à 8 heures, en même temps que les collèges et lycées. Ceci renforçait les saturations observées de 7h30 à 9 heures et de 16h30 à 18h30, sur la ligne 1 du tramway, particulièrement entre la gare et les arrêts Saint Eloi et Université des Sciences et des Lettres qui desservent les universités Montpellier II et III, où 30 000 personnes démarraient à 8 heures.

À la suite de la signature d'un protocole d'accord avec ces trois universités, les horaires de début et de fin de cours de la moitié des établissements universitaires ont été décalés d'un quart d'heure (8h15), permettant ainsi d'étaler les flux de voyageurs et de résoudre les problèmes de saturation.

Améliorer la qualité de vie sur les zones d'activités

La mission a contribué à l'amélioration de la qualité de vie sur 2 zones d'activités gérées par l'agglomération en facilitant l'articulation des temps de vie des actifs, par :

- l'amélioration de l'offre de mobilité (bus, co-voiturage) ;

- la création de services (conciergerie, crèche, restaurant interentreprises...) ;

- une plaquette d'information sur l'ensemble des services accessibles sur la zone d'activité.

Améliorer la gestion des temps des agents de l'agglomération et de nos prestataires internes

On est intervenu sur 2 champs :

- pour les agents de l'agglomération : élargissement des plages horaires variables d'arrivée et de départ, pour permettre plus de souplesse dans la gestion de son temps de travail et développement de services (livraison de paniers bio, plan de déplacement des entreprises, formations à la gestion des temps personnels et professionnels...) ;

- Réaménagement des horaires du ménage au siège : on est passé de prestations fractionnées tôt le matin et tard le soir à des prestations qui sont pour la majorité réalisées en journée et en continu. Une étude est lancée actuellement pour étudier un élargissement aux autres sites.

2) Depuis 2012 : lancement d'un schéma directeur temps et territoire

Après avoir pendant de nombreuses années agie en interne sur les compétences de l'agglomération, la mission « temps » a souhaité élargir son champ d'action à l'aménagement temporel du territoire et des services avec l'ensemble des acteurs locaux et a lancé en 2012 l'élaboration d'un Schéma Directeur Temps et Territoire (SDiTT) 79 ( * ) .

Ce SDiTT, qui sera une première, vise à repenser l'aménagement du territoire et des services, car les temps d'accès, l'accessibilité horaire aux différents services à la population, les rythmes scolaires, les rythmes de travail, structurent la vie et le fonctionnement de notre territoire et nécessitent d'être mieux pensés, organisés et coordonnés. En nous emparant de cette question, nous souhaitons proposer collectivement un fonctionnement temporel de notre territoire qui soit efficient et qui offre à chacun une bonne articulation de ses temps de vie.

Le SDiTT a été lancé en concomitance avec la réforme des rythmes scolaires qui impacte les rythmes de vie de 25% de la population locale, de l'ensemble des acteurs éducatifs du territoire (Education Nationale, Commune, Agglomération, associations, transporteurs), de 22% des actifs occupés et donc des entreprises. Cette réforme, en modifiant en profondeur les rythmes de vie locaux et le fonctionnement du territoire, était un très bon levier pour lancer une réflexion autour des temps.

Le SDiTT travaillera, dans une première version qui sera finalisée en 2015, sur les sujets suivants :

- l'aménagement temporel du territoire et des services au regard de la réforme des rythmes scolaires : quelle nouvelle organisation temporelle de l'offre éducative, quels nouveaux services (ex. transport, garderie) le mercredi, quelle coordination des acteurs locaux autour des différents temps des enfants ;

- l'articulation de l'activité économique, des temps sociaux et du territoire, qui traitera en outre de l'aménagement du temps de travail et de la formation tout au long de la vie ;

- l'aménagement temporel du territoire : régulation des temporalités locales, coordination temporelle des acteurs locaux, politique des temps d'accès sur le territoire (structuration des vitesses), des services, des pôles secondaires, ville compacte multifonctions moins chronophage... ;

- temps et mobilité : temps de parcours, fréquence, accessibilité horaire aux transports publics, coordination temporelle des AOT (TER, bus, tram) et des générateurs d'activités...

2.1. Organisation qui porte le SDiTT

La mission a évolué, elle s'appelle désormais mission « temps et territoire ». Elle est rattachée au service planification qui gère la planification spatiale (SCOT), la mobilité (PDU), le développement durable (PCET, Agenda 21) et les temps (SDiTT).

3) Constats

3.1. Une mission temps doit être portée par la direction générale et avoir un cadre expérimenté de bon niveau

Pour qu'une mission temps fonctionne, il faut un cadre A de bon niveau à temps plein et que ce thème soit porté par la direction générale. A la communauté d'agglomération de Montpellier, nous sommes dans cette situation là, ce qui a favorisé la concrétisation de beaucoup de projets.

Une mission temps est une mission complexe qui nécessite :

- de savoir travailler en transversalité avec les directions opérationnelles, mais aussi les acteurs locaux du territoire ;

- d'avoir une capacité à agir sur des sujets très variés : enfance, culture, sport, transport, entreprises, aménagement du territoire, avec une entrée services à la population ;

- d'avoir une forte capacité à convaincre et à agir avec des niveaux décisionnels de haut niveau car les projets temporels amènent souvent des évolutions en matière de stratégie, des réorganisations, des aménagements du temps de travail. Il faut donc savoir convaincre la direction générale de l'intérêt du projet.

Remarque : beaucoup de bureaux des temps en France qui ont recruté des jeunes à ces postes, ou qui ont juxtaposé la mission temps à d'autres fonctions (ex. poste démocratie participative + temps), n'ont pas réussi à faire leurs preuves entraînant la disparition de leurs bureaux des temps.

3.2. Quels sujets doit adresser une mission temps

Une mission temps doit à notre sens adresser les 3 niveaux d'interventions suivants :

3.2.1. Niveau 1 : Adapter les services à la population, sensibiliser les organisations aux problèmes d'articulation des temps

C'est un champ d'intervention qui a beaucoup été développé par les bureaux des temps en France, où il s'agit de décliner à l'échelle d'un service, d'une organisation, des aménagements temporelles pour que le service réponde mieux aux rythmes de vie actuels, ou pour que l'organisation prenne mieux en compte les questions d'articulation des temps.

Ceci a été un positionnement premier pour les bureaux des temps qui agissaient en interne, sur les compétences de leur structure.

Un écueil à éviter

Quand on travaille sur les services aux usagers, on peut assez rapidement passer des questionnements temporels initiaux à un questionnement sur la notion de services au sens large (horaire, prix, formalité, type de services...) et transformer la mission temps en mission qualité de service aux usagers. Mais ne considérer que la qualité de service, c'est dévoyer la mission temps, et restreindre énormément son champ d'action et ses ambitions, car celle-ci doit aussi adresser les niveaux 2 et 3 décrits ci-dessous.

Laissons aux professionnels de la qualité ce domaine d'action -- ils sont déjà suffisamment nombreux -- et concentrons-nous sur les questions de temps.

3.2.2. Niveau 2 : Travailler à l'aménagement temporel du territoire et des services avec l'ensemble des acteurs du territoire

Les temps de parcours, l'accessibilité aux services, les rythmes des activités (rythmes scolaires, travail), conditionnant le fonctionnement de nos territoires et la qualité de vie, il nous semble primordial de penser l'aménagement temporel du territoire au même titre que l'espace.

- quels leviers, instances de régulation des temporalités locales mettre en place (horaires des commerces, des bars, des écoles, vitesse des voiries...) ?

- quelles coordinations temporelles mettre en place (ex. entre AOT et générateurs de flux, entre l'Éducation nationale et les acteurs de l'enfance, faut-il développer des plans des temps locaux...) ?

- comment penser l'aménagement temporel du territoire ? Quelle structuration des vitesses sur le territoire (les temps de parcours n'ont guère variés, mais l'augmentation des vitesses a permis l'étalement urbain) ? Quelle répartition de l'offre de service à la population, pour permettre une bonne articulation de ses temps quotidiens...

Tous ces champs n'ont pas beaucoup été explorés par les bureaux des temps, pourtant ils conditionnent la qualité de vie et l'efficience de notre territoire.

Pour avancer sur l'ensemble de ces sujets, la recherche et développement, l'innovation, seraient nécessaire.

Il faudrait aussi que les missions temps évoluent vers des missions partenariales, en lien avec l'ensemble des acteurs locaux. La mission temps de la communauté d'agglomération de Montpellier ou une structure comme la maison du temps et de la mobilité (bien que plus fragile) nous semble être des positionnements intéressants.

Enfin, ceci appelle aussi à une nouvelle phase de décentralisation, pour donner plus de pouvoirs aux collectivités locales en matière de gestion des temps locaux.

3.2.3. Niveau 3 : Faire évoluer notre système social et économique français au regard des grandes mutations qui ont profondément modifié notre rapport aux temps.

De grandes mutations ont transformé en profondeur notre rapport aux temps, mais notre système social et économique français peine encore à prendre toute la mesure de ces évolutions.

Quelques exemples :

Nous avons gagné au XX e siècle 31 ans d'espérance de vie (+ 65 %), vies au cours desquelles de nombreux changements et ruptures interviennent (séparations, réorientations professionnelles, périodes de chômage, innovations technologiques, mutations sociales). Quelles protections sociales et systèmes de formation développer pour accompagner la population dans ces mutations ? L'allongement de l'espérance de vie pose également la question des fondements de la retraite et de son financement, car lors de sa création, seulement 5 % de la population atteignait l'âge de 60 ans, alors qu'aujourd'hui l'espérance de vie de 81 ans. Doit-on concentrer le temps libre en fin de vie ? Ne faudrait-il pas plutôt repenser l'aménagement des différents temps tout au long de la vie ?

L'entrée massive des femmes sur le marché du travail a aussi modifié en profondeur les temps sociaux. Comment faire évoluer notre politique familiale nationale et comment répondre aux demandes en matière de garde d'enfants (crèches, dispositifs péri et extrascolaires...) sur les territoires ? Cela réinterroge aussi la répartition du temps de travail en France, car actuellement on concentre l'activité professionnelle au moment où l'on a des enfants (30-55 ans), ce qui induit 65 heures de travail hebdomadaire (activité professionnelle + domestique + parentale), une implication citoyenne moindre, des problèmes de santé, des ruptures de couples, peu de présence parentale... alors que les jeunes et les moins jeunes peinent à trouver du travail... Ne faudrait-il pas penser une autre répartition du temps de travail ?

Le développement des technologies de l'information et de la communication, de la mondialisation, de la société de consommation induisent des fonctionnements en temps réel, 24h/24, en continu, rythmes que les humains et la terre ne peuvent suivre. Dès lors, quelles régulations, quel système temporel mettre en place ?

Les mutations ont été observées, mais peu de réponses ont encore été apportées par les missions temps.

Ces questions nous semblent essentielles pour guider l'action locale, mais elles relèvent plus d'un niveau gouvernemental (retraite, politique familiale, formation professionnelle, régulation économique...), de questionnements politiques et de choix sociétaux.

3.2.4. Conclusion

Actuellement, la plupart des bureaux des temps ont concentré leurs actions au niveau 1 « celui des services et des organisations ». Il reste à investir le niveau 2 « aménagement temporel du territoire et des services » et le niveau 3 qui relève plus de « l'État » et « des choix sociétaux ».

Les politiques temporelles ont donc de l'avenir si elles adressent aussi les niveaux 2 et 3.

3.3 Il faut développer les liens avec la recherche

Les politiques temporelles sont encore émergentes, balbutiantes. Il faut que la recherche nous aide à comprendre l'organisation des temps sociaux et identifier les inégalités temporelles. Mais qu'elle nous aide aussi à bâtir les cadres théoriques de l'aménagement temporel du territoire, de la régulation temporel, d'un nouveau système social français qui réponde aux grandes mutations qui ont bouleversé notre rapport au temps.

6. Audition de Chantal Trouwborst, le mercredi 29 janvier 2014

Audition de Chantal Trouwborst, conseillère municipale déléguée aux temps urbains de la ville de Dijon.

A Dijon, l'instauration de politiques temporelles est une volonté du maire, François Rebsamen, qui avait demandé dès 2006 aux conseils de quartier de s'emparer de ce sujet. Depuis 2008, une élue est exclusivement déléguée aux politiques temporelles. Elle travaille avec une chargée de mission rattachée au pôle vie des quartiers. Elle est associée aux réunions mensuelles des directeurs de service, ce qui lui confère une certaine visibilité. L'élue, qui ne doit référer à aucun adjoint dispose d'une autonomie dans ses tâches.

Le bureau des temps a procédé à un recensement des besoins, lesquels ont été mis en évidence par concertation. On peut les répartir en cinq grandes catégories : aménagement des horaires, aménagement urbain, flux liés aux entrées et sorties des écoles, entreprises et commerces, loisirs et information.

Dès l'installation de la mission temps à Dijon, il a été jugé nécessaire, d'une part, de mettre en place rapidement des actions concrètes pour se faire connaître et, d'autre part, de travailler de manière transversale. Ainsi, les élus de la majorité et les directeurs des services ont été sensibilisés, notamment par le bais d'un tour des services et d'une présentation avec diaporama lors d'une réunion de municipalité en présence des élus de la majorité et des directeurs de services.

Les politiques temporelles de la ville de Dijon sont construites autour de cinq axes. Le premier consiste en la conciliation entre la vie professionnelle et la vie familiale. Pour cela, une action a été rapidement lancée concernant l'accueil des enfants le midi. La mission temps a constaté qu'un certain nombre d'enfants est obligé de rester déjeuner à l'école car leurs parents ne peuvent pas venir les récupérer à l'heure de sortie de classe ou les déposer à la reprise des cours. Deux temps d'accueil périscolaire supplémentaires sur la pause méridienne (de 11h50 à 12h30 et de 13h15 à 13h50) ont ainsi été mis en place, sans obligation de déjeuner à la cantine, et avec possibilité pour les parents de venir ou de ramener leur enfant à tout moment dans ces créneaux. Une seule restriction : le choix des parents est limité à l'un des deux créneaux. En effet, le but est d'assouplir les rythmes afin de permettre aux familles de déjeuner ensemble. La mise en place de ce dispositif s'est faite sans embauche de nouveaux animateurs et a conduit à une économie de 11 000 euros pour l'année 2013, laquelle a aussi été l'occasion d'intéresser d'autres élus. L'expérimentation lancée en 2008-2009 a été généralisée en 2012 à l'ensemble des écoles ayant un double service de cantine. Avec la modification des rythmes scolaires, ce système a été également mis en place le mercredi, sous la responsabilité de la PEEP, par délégation. Si ce service fonctionne bien en centre-ville, on a constaté qu'il est utilisé de manière très disparate suivant les quartiers.

Parallèlement, la mission temps a travaillé à une extension des horaires du marché de centre-ville. Il fermait à 12h30. Après enquête auprès des usagers et concertation avec les commerçants des halles, l'heure de fermeture a été repoussée à 13 heures. Mais la mission temps a été confrontée à un problème de communication sur cette initiative.

Le deuxième axe concerne l'articulation entre temps de loisirs et temps de repos. Les actions menées concernent principalement la nuit. Une charte pour la qualité de la vie nocturne, Harmonuits , a été signée avec plusieurs partenaires : la CCI, les associations étudiantes organisatrices de soirées, l'Université et l'Ecole Supérieure de Commerce, l'État (depuis 2013), les établissements de nuit, cafés et restaurants, la police, l'UMIH, les associations de prévention et Uniscité. Cette initiative a été récompensée en 2009 par les trophées de la nuit, distinction attribuée pour la première fois à une collectivité territoriale. Cette charte présente plusieurs volets : formation à destination des associations étudiantes pour les informer de leurs droits et devoirs. Des sessions de formation sont organisées en octobre et en avril. Un volet prévention existe également par le biais d'actions de sensibilisation à l'attention des noctambules. Ainsi, "les fantômes de la nuit" sont expérimentés depuis le début de l'année, une fois par mois, le jeudi et le samedi. Il s'agit d'acteurs accompagnés de volontaires de l'association Uniscités (services civiques) chargés de sensibiliser les noctambules aux comportements à risques et nuisances potentielles. La première a été organisée de 23 heures à 3 heures du matin, l'horaire a été modifié pour la seconde déambulation, de 21 heures à 23 heures. Nous avons pu constater un besoin de médiateurs de la nuit. Un volet labellisation a été mis en place pour les établissements de nuit et les associations étudiantes organisatrices de soirées. Le label peut faire l'objet d'un retrait, ce qui a déjà été le cas. Enfin, il y a un volet médiation. Un comité, qui rassemble des partenaires d'H armonuits ainsi que la police municipale, s'est déjà réuni plusieurs fois.

L'idée d'un guide papier des activités nocturnes a été avancée, mais a échoué notamment du fait que les horaires indiqués pouvaient rapidement ne plus être à jour.

Le troisième axe concerne l'adaptation des ouvertures et offres proposées par les services accueillant du public. Tout d'abord, en ce qui concerne les bibliothèques, il a été procédé à une simplification générale des horaires. En outre, la bibliothèque du centre-ville était fermée entre midi et 14 heures. Elle est désormais ouverte en continu. Pendant les vacances scolaires, ces établissements étaient également peu accessibles, avec une ouverture limitée à 2 jours par semaine et un roulement de fermeture par quartier. Il y a désormais une ouverture quotidienne avec un horaire identique pour l'ensemble des sites. La problématique a été relayée par le service de la culture qui a mené de longues négociations. Enfin, la question de l'ouverture le dimanche a été abordée. En outre, dans le cadre de Dijon Plage, au lac Kir, un système de prêt gratuit de livres à la journée a été mis en place sur le site. Cette opération, dont le but est d'aller chercher le « non-public », connaît un franc succès.

Le quatrième axe concerne les commerces et les entreprises. Il y a parfois des difficultés à travailler avec les commerçants, mais en même temps un réel besoin de leur part, car tant la crise économique que les travaux en centre-ville ont eu des impacts importants sur la fréquentation des commerces. Ont également été créés « les midis de la culture », avec l'idée d'instaurer un rendez-vous régulier à la pause méridienne, à jour fixe. Cette action a permis de regrouper les animations existantes sous un même vocable afin d'accentuer la communication auprès du grand public et de créer une dynamique auprès des établissements culturels et des commerces du centre-ville. Concernant l'activité commerciale, les livraisons sont possibles jusqu'à 11 heures. Les livraisons plus tardives se font par appel sur borne. Ce sujet a été abordé en amont, lors des travaux de construction du tram.

Le cinquième axe concerne l'urbanisme. En 2008, le service de l'urbanisme a été très sensibilisé à la question des temps. Pour la première fois en France, les politiques temporelles ont été introduites dans les documents de planification. Elles s'y articulent autour de 4 axes : les usages multiples/le partage des usages, la mixité des fonctions urbaines, la valorisation des lieux d'interconnexion et l'intermodalité .

Il convient de concevoir des équipements publics réversibles tant multiusages qu'évolutifs en fonction des besoins. La qualité d'un projet urbain réside dans sa capacité à associer les diverses connaissances, y compris celles des habitants, des usagers de la ville. On retrouve, à travers la rubrique « ville apaisée », l'idée d'une prise en compte de l'ensemble des publics pour chaque espace à construire. Un autre point a été abordé : lors de la construction d'un quartier, il a été demandé que la voirie soit construite rapidement sans attendre la fin des travaux sur l'ensemble du quartier, pour pouvoir l'utiliser de suite. La question des bancs est également importante : si l'on souhaite une ville piétonne, il faut prévoir des bancs pour se reposer.

La mission temps urbains et le service démocratie locale se sont unis pour la réalisation d'une étude sur l'implantation de structures de repos au centre-ville de Dijon. Des balades urbaines, diurnes et nocturnes, ont également été mises en place avec les élus des différents quartiers afin d'identifier les besoins. La consultation de la population a été faite jusqu'au bout puisqu'ils ont également été associés au choix du modèle des bancs à installer rue de la liberté par un vote ayant eu lieu un après-midi, sur place.

7. Audition de Jules Aimé et Christine Sarrazin-Baudoux - Ville de Poitiers, et de Dominique Royoux, et Mireille Terny - Agence des temps de Poitiers, le lundi 3 février 2014

Audition de Jules Aimé, conseiller municipal, délégué à l'agence des temps, de Christine Sarrazin-Baudoux, 1 ère adjointe déléguée à la modernisation administrative, à l'administration générale, à l'accueil du public, à l'agence des temps, aux technologies de l'information et aux systèmes d'information, de Dominique Royoux, directeur de l'agence des temps de la communauté d'agglomération du Grand Poitiers, et de Mireille Terny.

Les politiques temporelles intéressent de plus en plus de collectivités. L'association Tempo territorial et les collectivités membres reçoivent de nombreuses demandes, toutefois elles sont rarement traduites par la mise en place dans la collectivité demandeuse d'une réelle politique des temps. Il s'agit plutôt d'actions ponctuelles. Tempo territorial a été créé en 2004, suite à la sollicitation au début des années 2000 des collectivités territoriales par la DATAR sur ce thème, puis par l'abandon de ces enjeux au niveau national. Les collectivités territoriales sollicitées ont souhaité continuer à travailler ensemble et ont créé Tempo territorial . Récemment deux collectivités ont rejoint le réseau : la communauté urbaine de Bordeaux et le conseil général des Pyrénées-Atlantiques.

L'agence des temps de Poitiers date de 2001. C'est un service de la communauté d'agglomération du Grand Poitiers et fait partie du service « prospective et coopération territoriale ». Deux élus ont été chargés des politiques temporelles. Le maire avait été sensibilisé sur ce thème par un voyage d'études en Italie en 1998. Elle est rattachée au service prospective et coopération internationale, qui est composée de deux branches : l'une, traditionnelle, regroupe l'aménagement du territoire et la préparation des contrats ; l'autre, plus innovante et atypique, regroupe le réseau d'agglomération AIR 198 (composé des villes de Poitiers, Niort, La Rochelle), le conseil de développement responsable qui est une instance de participation issue de la loi Voynet, et enfin l'agence des temps. Le conseil de développement responsable et l'agence des temps s'influencent d'ailleurs mutuellement et travaillent sur certains sujets conjointement. C'est le cas notamment de la politique intergénérationnelle, pour laquelle ils ont adopté une approche conjointe.

L'agence des temps doit à la fois asseoir sa légitimité au moyen d'actions concrètes et avoir une politique englobante, prospective qui se rattache à d'autres politiques : mobilité, urbanisme temporel. Par exemple, lorsque l'on s'intéresse aux besoins de service des employés dans les centres d'appel du Futuroscope entre 6 heures et 23 heures, il faut avoir en tête les questions de garde d'enfants, les transports, les possibilités de faire ses courses,...

Le service est directement rattaché à la direction générale des services et est membre du comité de direction, ce qui est un bon rattachement, car cela permet d'injecter dans toutes les politiques la notion de temps. En outre, ce positionnement offre une visibilité.

Au niveau de l'agglomération, un groupe de travail informel baptisé « Grand Poitiers temps » a été formé : deux élus de chaque commune y participent. Cela permet de les sensibiliser, mais aussi de faire remonter les problèmes liés aux politiques temporelles dans les communes, ainsi que d'élargir le champ d'action de l'agence des temps. Au début du mandat, en 2008, ce groupe se réunissait tous les deux mois, il se réunit désormais de manière trimestrielle.

Le premier chantier de l'agence des temps a été celui du commerce du centre-ville. Il s'agissait de préparer l'aménagement d'un centre commercial avec des galeries marchandes ouvertes en permanence. En effet, les commerçants n'ouvraient pas le midi. Un travail de concertation a été mené avec l'association des commerçants et, du fait de la nécessité économique, le principe d'une ouverture continue des commerces de centre-ville a été acté. Poitiers regarde également avec intérêt ce qui a été mis en place à La Rochelle s'agissant des livraisons. Des plateformes de livraison ont été installées aux portes de la Rochelle, puis des navettes électriques apportent les marchandises à l'ensemble des commerçants d'une même rue.

Le deuxième chantier a été l'organisation des horaires d'ouverture des mairies de quartier. Une enquête a été menée auprès des usagers au sein des mairies de quartier et de la mairie centrale. La négociation a été longue avec les syndicats de la ville. Dans les quartiers, une modulation a été faite en fonction de l'environnement et des besoins, qu'il s'agisse de l'ouverture entre midi et 14 heures lorsque le marché se déroule aux mêmes heures, ou encore en fonction des horaires du pôle administratif à proximité. On est ainsi passé d'une réflexion sur les horaires à une réflexion sur les rythmes. Une réflexion a ensuite été menée sur l'ouverture des médiathèques. La ville dispose de 6 médiathèques dont une centrale. Il y a désormais une nocturne le mardi jusque 23 heures dans les grandes médiathèques. Deux obstacles principaux ont été rencontrés : la compensation financière et une opposition de principe. Aujourd'hui, les syndicats sont très fermés sur ces questions, c'est devenu une position de principe, il faut concilier demande du public et vie privée des agents. Lors de l'inauguration de la bibliothèque François Mitterrand en 1996 en présence de Danièle Mitterrand, il y a eu des sifflements de la part de la CGT, car les journaux avaient évoqué la question de l'ouverture le dimanche.

La médiathèque est devenue un tiers lieu : un endroit de rencontre, un café bon marché pour les étudiants, un lieu chauffé, un accès à la littérature et à la presse. En outre, un forum est annexé à la bibliothèque, ce qui en fait un lieu très ouvert. Une étude a été faite sur les besoins des publics, mais pour l'instant, cela s'est arrêté là.

L'agence des temps a également mis en place un guichet unique pour la rentrée scolaire. Celui-ci est désormais géré par le service de l'administration. Fin août, début septembre, de 16 heures à 19 heures, tous les services ayant un lien avec le scolaire sont réunis dans une même enceinte. Les services ont plutôt bien réagi, car cela leur permet de rencontrer leurs collègues. Par ailleurs, on a constaté qu'un peu plus de pères venaient le samedi matin effectuer les démarches administratives pour leurs enfants, ce qui participe un petit peu à l'égalité homme-femme. Enfin, en créant un guichet unique, on a créé des besoins. On a constaté une hausse du nombre d'inscriptions à l'école des Beaux-Arts, car la réunion de plusieurs activités culturelles et sportives dans un même lieu permet de démystifier certaines d'entre elles. Les gens qui n'auraient pas osé entrer dans l'école des Beaux-Arts pour inscrire leurs enfants n'hésitent pas à s'arrêter en passant devant le stand lors de ces journées.

La troisième action a porté sur la congestion aux heures de pointe dans les transports en commun. Dès 2001, l'agence des temps s'est saisie de à ce problème afin de décaler l'heure de début des cours à l'université. Cette action a perdu une grande partie de son opportunité avec la réforme LMD (Licence-Master-Doctorat), qui a entraîné une augmentation du nombre d'options. Il y a ainsi eu un étalement des flux et moins de cohortes d'étudiants à heures fixes.

Concrètement, 10 000 étudiants commençaient les cours en même temps. En 2002, une négociation a été menée avec les directeurs des 5 facultés du campus qui reconnaissaient volontiers ce problème. Les associations étudiantes ont également été consultées. Le fait que l'adjointe de l'époque, Mme Catherine Coutelle, soit à la fois chargée des temps et de l'université a permis de faciliter les négociations, car elle était une interlocutrice reconnue par l'université. Au final, cela a conduit à échelonner tous les quarts d'heure de 7h45 à 8h45 le début des cours pour chaque UFR. Une consultation a ensuite été menée sur les effets induits entre midi et deux heures, notamment sur la fréquentation du restaurant universitaire ou encore le militantisme étudiant.

La quatrième action a porté sur la création de Tandem , qui est un mode de garde à domicile pour des parents ayant des horaires atypiques, entre 6 heures et 22 heures. Une centaine de familles sont concernées. Les familles bénéficiant du dispositif sont directement choisies par Tandem et non par la commune. Tandem a été créé grâce au groupe de travail de l'intercommunalité « Grand Poitiers temps ». En effet, il était alors possible aux communes « d'acheter » auprès de la CAF des heures de garde pour les habitants de leur commune. Or, les règles d'attribution des aides de la CAF ont changé. Elles sont directement attribuées à une personne et non plus à la commune. L'agence des temps a apporté un soutien logistique, notamment en communiquant sur ce sujet et en aidant à la rédaction des statuts de l'association. Il est à noter que ce service ne peut être récurrent. Depuis peu, l'association est devenu un groupement d'employeurs afin d'améliorer les conditions de travail des puériculteurs employés en leur permettant de faire des journées plus complètes.

Une autre action a consisté à mettre en place une plateforme d'information sur les moyens de locomotion pour les personnes en insertion. En effet, la ville a fait le constat que 30% des postes non pourvus à la mission locale l'étaient du fait d'un problème de mobilité. Un numéro vert a été mis en place par la régie des transports pour informer de tout ce qui existait comme solution de transports pour se rendre entre deux points, et pas seulement par les bus de la ville. Des associations de location de mobylettes et de vélos étaient également associées. Malheureusement, la plateforme a fermé au bout d'un an notamment parce qu'il n'y a pas eu un relais de l'information sur ce dispositif assez important dans la mission locale. Mais la plateforme va peut-être rouvrir, car une maison de quartier a répondu à un appel d'offre du FARE. Le covoiturage serait inclus. L'agence des temps a seulement pris en charge les frais de communication, car la personne recrutée par la plateforme l'a été par la régie des transports, dans le cadre d'un contrat d'accompagnement dans l'emploi.

L'agence des temps a également mené une réflexion sur le temps des étudiants. En 2001-2002, il a été procédé à un renforcement des bus nocturnes. Au cours du deuxième mandat, les zones desservies par le bus nocturne ont été élargies du jeudi au dimanche.

Le deuxième mandat a été, à travers de nombreuses actions, un mandat de renforcement. À titre d'exemple, les concerts-sandwich lancés pendant le premier mandat au TAP (théâtre et auditorium de Poitiers) connaissent un grand succès (entre 300 et 400 personnes à chaque concert). Un travail est actuellement mené pour faire venir les salariés du centre-ville. Le TAP communique auprès des commerces, l'agence des temps avec les administrations se trouvant en centre-ville. Le concept est également en train de s'étendre : à partir du mois d'avril, une action sera menée avec les partenaires du patrimoine : des visites guidées seront organisées dans des monuments comme la mairie et ses jardins, les musées, l'hypogée mérovingien. Le conservatoire, de son côté, organise des concerts le midi dans les locaux de la région, l'association « les clés de Notre Dame » a, pendant un moment, organisé des concerts pendant l'été. L'idée, pour le prochain mandat, est de publier un guide des horaires non conventionnels de la culture.

En matière culturelle, un travail est également mené entre Tandem et « la bourse au spectacle » afin de faciliter l'accès à la culture des personnes à faibles revenus. Outre des tarifs très réduits, ces personnes peuvent bénéficier d'heures gratuites de garde de leurs enfants pour leur permettre d'assister à la représentation. Ces heures sont prises en charge financièrement par l'agence des temps. Cette action a permis de bien faire connaître l'agence des temps.

Jusqu'en 2008, il existait un comité consultatif du temps, dont les activités ont été reprises par le conseil de développement durable. Toutefois, avec l'expérience, il apparaît nécessaire de continuer à réunir les personnes ayant cette préoccupation temporelle dans une structurelle informelle. L'agence des temps bénéficie en effet d'une visibilité auprès de ces partenaires, mais il est nécessaire de ne pas se satisfaire de l'existant et de relancer les liens de partenariat.

L'une des grandes questions aujourd'hui est l'intergénérationnel, car cela a un lien avec la cohésion sociale. Un guide des actions des associations intergénérationnelles a été rédigé présentant les actions réparties en trois grandes catégories : faire pour/faire réciproquement/faire ensemble. En outre, une formation à l'activité intergénérationnelle associative est proposée, assurée par l'association AFIPAR et financée par la région. Elle a lieu sous la forme de deux modules : le premier est relatif à des échanges d'expérience et qu'est-ce que l'intergénérationnel. Entre le premier et le deuxième module, les participants étaient invités à monter des projets intergénérationnels, et le deuxième module devait être l'occasion de faire un bilan sur le montage du projet.

En outre, en matière d'urbanisme intergénérationnel, l'agence des temps anime au conseil de développement durable une commission nommée « âge de la vie ». Il s'agit de faire connaître ce qui existe en matière d'habitat intergénérationnel. Un bailleur social réfléchit actuellement à des logements intergénérationnels. D'autres projets existent dans ce domaine comme le dispositif equip'âge, qui consiste à mettre en place des colocations intergénérationnelles afin de permettre aux jeunes de trouver un logement à loyer bonifié en échange de compagnie ou de services. Une maison de quartier avec un dispositif « habitat jeune » a intégré dans sa démarche cette idée intergénérationnelle. Les premiers « couples » jeunes/seniors sont apparus, il a fallu définir une charte pour éviter tout abus. Cette dernière a été écrite en partenariat avec l'agence des temps, l'ADIL, le bailleur social, le conseil de développement durable.

Le bureau des temps a également mené une action sur le bénévolat. En effet, il a constaté que les jeunes avaient du mal à appréhender les codes traditionnels du bénévolat. Début décembre 2013, une table ronde a eu lieu avec les associations de jeunes et d'étudiants afin d'essayer de comprendre leur temporalité. Le constat a été fait d'un très fort décalage entre adultes et jeunes. La durée de l'engagement pour une cause est beaucoup plus courte pour les jeunes.

L'heure optimale de réunion varie selon les âges. Ainsi, les jeunes sont plus présents dans les réunions ayant lieu entre 18 heures et 20 heures. En ce qui concerne les retraités, très présents dans le monde associatif, ils sont beaucoup moins disponibles à partir de mars/avril.

Enfin, le temps de la construction de nouvelles infrastructures n'est pas celui du temps des jeunes, qui attendent généralement une réalisation beaucoup plus rapide, une fois que le projet est décidé, pour la construction d'un citypark par exemple.

L'agence des temps souhaite désormais travailler sur des sujets plus transversaux.

Le premier thème concerne l'intergénérationnel, qu'il s'agisse d'éducation ou d'accessibilité. En matière de transport, 60% des usagers des bus sont des jeunes. Il existe une difficulté pour certains seniors du fait de la façon dont les chauffeurs de bus donnent l'information, communiquent avec les usagers. Lors de la semaine européenne de la mobilité, une action a été menée pour inciter les seniors à prendre les transports en commun. Un autre point concerne les formes multiples de mobilité. On constate un essor du covoiturage. En effet, il est souvent moins cher que le train et présente l'avantage d'avoir des horaires beaucoup plus flexibles. Le troisième thème concerne l'aménagement urbain. Il s'agit de prendre en compte les usages successifs que peut avoir un même lieu ainsi que la coexistence, sur un même espace, de publics différents. Un travail sur des usages partagés des espaces publics doit être fait. Pendant longtemps, l'espace public avait un usage unique : c'est le cas des places d'armes. Aujourd'hui, ce n'est plus possible. En outre, il faut prendre en compte les différentes vitesses de déambulation. Des marches nocturnes ont été organisées. Il s'agit de permettre à l'élu et aux citoyens de prendre conscience d'un territoire qui vit la nuit. Toutes les directions municipales sont concernées par la nuit et ses activités.

La recherche de l'égalité hommes-femmes a été un élément déclencheur de la mise en place d'une agence des temps, mais elle n'est plus qu'un des points d'entrée. D'ailleurs, l'égalité hommes-femmes relève aussi d'une politique transversale. C'est pourquoi, pour chaque action, on vérifie que l'égalité hommes-femmes n'est pas altérée. Mais il ne s'agit que d'une inégalité parmi d'autres.

Après 12 ans d'existence, les obstacles suivants ont été mis en avant :

- la transversalité : il faut faire comprendre aux élus et services que la question des politiques temporelles concerne tout le monde ;

- le manque d'enquêtes qualitatives : considérées comme un luxe, elles font cruellement défaut. Toutefois, l'agence des temps de Poitiers peut bénéficier d'un partenariat avec le master sociologie de l'université de Poitiers. Depuis 12 ans, il réalise chaque année une enquête concernant les politiques temporelles : la question des horaires atypiques des personnes travaillant aux centres d'appel du Futuroscope, les horaires culturels, Poitiers la nuit,....

En ce qui concerne l'association Tempo territorial , l'un des buts est d'avoir une reconnaissance par l'État et l'Europe des politiques temporelles. Au niveau européen, le Conseil de l'Europe a récemment adopté une résolution en ce sens. Au niveau national, si Lionel Jospin avait annoncé lors du festival de la ville à Créteil un très fort soutien aux politiques temporelles, aucune action concrète n'a ensuite été menée. Or, un portage politique au niveau national plus fort permettrait de sensibiliser d'autres collectivités territoriales à ces questions.

8. Audition de Marie Jacquin-Pavard - Ville de Strasbourg, le mardi 4 février 2014

Audition de Marie Jacquin-Pavard, cheffe de projet Mission des temps à la Ville de Strasbourg.

Une Mission des temps existe à Strasbourg, depuis décembre 2009. La cheffe de projet est rattachée à la direction générale des services, sous la responsabilité hiérarchique du DGA en charge du Pôle Droits et services à la personne. Cela lui permet d'avoir une position transversale, ce qui était une volonté de la direction générale. La mise en place d'une politique temporelle était un engagement du mandat. La mission de la cheffe de projet, seule agente affectée sur ces politiques, a été définie par une lettre de mission 80 ( * ) . Ce document, ainsi que l'appui hiérarchique dont elle a pu bénéficier, lui a permis d'acquérir une légitimité pour intervenir de manière transversale. Le parti a été pris d'une logique de management de projet, avec la constitution d'équipes en fonction des projets. Une première phase exploratoire a duré trois mois. Il a été demandé aux différentes directions, à la faveur de réunions de direction, la manière dont elles appréhendaient la question du temps dans leurs missions. Au terme d'une première année, un diagnostic temporel et un plan d'actions ont été produits. La mission temps assure actuellement la mise en oeuvre de ce plan d'action, validé en comité de pilotage, qui s'articule autour de sept thématiques et de 23 actions.

Le premier volet du plan d'action concerne l'accès à l'information. Le projet temps a ainsi profité d'une refonte du site internet pour insuffler la thématique « temps » : les horaires d'ouverture des services sont indiqués, des formulaires administratifs sont directement téléchargeables, une page d'annonces d'évènements réservée aux associations a été créée.

S'agissant des inégalités face au temps, un séminaire a été organisé en mars dernier, présentant ce qui a été fait à Strasbourg, notamment en matière d'égalité hommes/femmes et d'articulation des temps. Des entreprises ont été invitées à présenter leurs actions, telle la charte de la réunion. À noter, que depuis décembre 2013, la communauté urbaine de Strasbourg dispose d'une telle charte.

La ville de Strasbourg a expérimenté le passage en horaires continus des agents d'entretien du centre administratif. Comme pour toute politique temporelle, cette action a été expérimentée pendant un an. Le bilan a été positif, tant du côté des agents que de celui du personnel occupant. Une réflexion est actuellement engagée pour essayer de diffuser cette pratique dans les écoles. A terme, une démarche territoriale sur le passage en horaires continus de ces emplois pourrait être engagée avec d'autres partenaires extérieurs, donneurs d'ordre publics ou privés, ayant recours à des agents d'entretien. Le projet temps essaiera ainsi d'introduire la question des horaires dans les marchés publics.

Un autre axe consiste en un travail sur la vie nocturne à Strasbourg. En effet, cette ville a la réputation d'être peu animée la nuit. La mission temps a diligenté une enquête, afin de faire le point sur la situation. Elle a consisté en six mois d'études, des enquêtes de terrain, des entretiens, des sorties nocturnes avec les élus, les conseillers de quartier ont été associés. Un séminaire de restitution a été organisé et quatre groupes de travail ont été mis en place. L'une des premières actions a consisté en une redéfinition de la ligne de bus de nuit : d'une ligne unique nord-sud, elle est désormais constituée en trois branches avec un point central et des départs à heures fixes.

Autre réalisation relevant de la vie nocturne et directement pilotée par la Mission des temps : la création et la diffusion en 40 000 exemplaires d'une carte « Strasbourg capitale, ... la nuit aussi ! ». La carte recense tous les services publics ou privés, connus ou méconnus, ouverts à Strasbourg entre minuit et 5 heures du matin.

Cette carte se veut une aide concrète à la vie quotidienne des habitants (usagers de la nuit), des visiteurs de passage ou encore des parlementaires européens en proposant les thématiques suivantes :

§ se déplacer la nuit ;

§ autour d'un verre ou d'un repas ;

§ s'amuser ;

§ se cultiver ;

§ le patrimoine illuminé ;

§ les services publics ouverts en nocturne.

Le principe est de faire figurer en une même carte les événements et animations urbaines majeures. Les atouts et spécificités de Strasbourg ont été valorisés : institutions européennes, ville transfrontalière, ville cyclable, ville piétonne et événements annuels.

Cette carte repend les actions conduites par la ville et la communauté urbaine de Strasbourg en lien avec ses partenaires, à travers plusieurs thématiques :

- l'offre de transports (tram, bus, vél'hop, parkings de nuit, auto'trement ...) ;

- les offres de garde d'enfants ;

- les équipements culturels, sportifs ouverts la nuit ;

- les établissements de nuit signataires de la Charte de la vie nocturne ;

- le patrimoine architectural et culturel mis en valeur, notamment dans le cadre du plan lumière.

S'agissant de la mobilité : comme à Rennes, Poitiers et Montpellier, Strasbourg a fait une tentative pour diminuer l'affluence aux heures de pointe. En 2012, avec l'université de Strasbourg, le projet d'expérimenter un décalage des heures de cours semblait envisageable, mais une extension du réseau de tram intervenue entretemps et la réforme du contrôle continu en licence ont brouillé les cartes. Il y a eu un abandon du projet sur le campus historique. Toutefois, s'agissant des publics étudiants et scolaires, une nouvelle démarche sera à conduire avec les partenaires concernés, sur le campus d'Illkirch.

Concernant le public des salariés, une réflexion sur la mise en place d'un plan de déplacement interentreprises dans le quartier d'affaires du WACKEN, (près de 6 000 salariés) est en cours. Il s'agit d'analyser avec les entreprises, la nature de la congestion et la possibilité de décaler les horaires, de développer le télétravail, de promouvoir les modes actifs d'autant plus que le quartier est en plein essor et que 4 000 emplois de plus sont attendus sur le site, à l'horizon 2020.

En ce qui concerne les conditions de travail, la communauté urbaine s'est dotée en décembre 2013 d'une charte de réunion. Elle a été portée par le directeur général des services qui a reculé l'horaire du comité directeur de 8h30 à 9h00. Sur cette thématique, une équipe projet a été mise en place, dont les travaux ont été discutés et validés par la direction générale. Une communication a été faite dans la lettre interne transmise avec les paies en décembre dernier. On observe une diffusion lente de cette charte, les agents se l'approprient progressivement. Au-delà de l'encadrement horaire de ces temps de travail collectifs et des règles de professionnalisation des réunions internes, un travail a été réalisé sur les aspects logistiques : recensement de toutes les salles de réunion (à court terme, visualisation sur l'Intranet de la disponibilité de ces salles), et développement d'outils collaboratifs pour conduire des réunions à distance.

Les sites de travail des agents de la collectivité sont dispersés sur le territoire. Aussi la collectivité encourage-t-elle la pratique de réunions à distance. La cellule « SVP informatique » vient dorénavant en appui aux demandes d'utilisation de la visioconférence pour des réunions internes, mais aussi avec des partenaires extérieurs.

Un tutoriel informatique a été mis en place et il y a une vraie volonté d'imposer l'utilisation des outils collaboratifs. Fin 2014, il est prévu de réaliser une enquête pour mesurer le niveau de diffusion et de respect de cette charte ainsi que les ajustements à opérer pour une plus grande efficacité.

La communauté urbaine de Strasbourg prépare l'expérimentation du télétravail, si possible en 2014. La mission des temps pilote ce projet et travaille à la phase de mise en place du dispositif, car si la loi Warsmann permet le recours au télétravail, les décrets d'application n'ont pas été pris. Un dispositif juridique pour appliquer la loi est en cours : les moyens financiers et techniques seront mis à disposition des agents ayant recours au télétravail ; les questions d'assurance et de responsabilité civile doivent également être réglées. Le télétravail pourra s'exercer au domicile de l'agent ou dans un tiers lieu référencé. Les principes de son expérimentation ont été validés lors d'un comité de pilotage réunissant élus et DGS. Il concernera un ou deux jours maximum dans la semaine. Une convention est en cours de rédaction.

S'agissant de l'égalité homme-femme, un plan de lutte contre le plafond de verre a été instauré : l'administration compte une vingtaine de directeurs dont deux directrices et tous les DGA sont des hommes. La charte de réunion se rattache à ce plan.

À terme, un travail sera également conduit sur la mutualisation des équipements. C'est une démarche ambitieuse et complexe, compte-tenu des acteurs concernés : concierges des écoles, agents d'entretien, associations.... . Autre thème de réflexion, l'ouverture des écoles de quartier, le week-end par exemple. Toutefois, l'un des freins importants est dû au temps de travail, c'est un sujet sensible. Ce projet soulève également d'autres questions comme les problèmes d'assurance, de responsabilité ; il est parfois nécessaire de modifier les conventions de mise à disposition. La logique de mutualisation s'applique aux projets neufs mais également lors de la rénovation des équipements, un travail est donc à mener avec la direction de la construction et du patrimoine bâti et les directions opérationnelles dès la définition des besoins, afin de permettre une meilleure polyvalence de ces équipements.

La ville a également testé, trois années de suite, un guichet unique de rentrée scolaire. En 2013, ce guichet s'est déployé dans les 10 quartiers de la ville. Les agents participants sont plutôt satisfaits, car cela leur permet de rencontrer d'autres services. La mission temps assurait le pilotage et la mise en oeuvre de cette opération durant la période test. Depuis cette année, c'est le service « accueil de la population » qui l'a inscrit dans son plan de charge annuel.

En ce qui concerne les horaires d'ouverture des piscines, la communauté urbaine de Strasbourg a voté un plan de rénovation des neuf piscines. A la faveur de celui-ci, un travail sur les horaires a été fait, avec le soutien de la nouvelle cheffe de service, qui s'est investie dans la remise à plat des grilles horaires des équipes. La position des élus était de donner la priorité au grand public et aux scolaires, en diminuant les créneaux et les lignes à la disposition des associations. Une piscine nordique est désormais ouverte 365 jours par an, d'autres dès 7 heures du matin. L'adaptation des horaires s'est faite à partir de l'expression des usagers recueillie lors d'une enquête téléphonique en 2010. Il s'agit là d'un loisir familial et accessible financièrement au plus grand nombre. Cette plus grande amplitude d'ouverture au grand public a été mise en oeuvre à budget constant.

En ce qui concerne les horaires des médiathèques, une discussion est en cours. Une refonte des horaires d'ouverture au public de l'ensemble du réseau est engagée. Toutefois, malgré des impulsions répétées, la question de l'ouverture le dimanche est restée sans suite.

La méthode retenue par la mission temps de Strasbourg a été le management de projet, via la mobilisation d'équipes transversales. En outre, il faut expérimenter. Cette possibilité d'expérimentation plaît d'ailleurs à certains services. L'administration compte un service de gestion et de contrôle des politiques publiques, ressource précieuse mobilisée pour l'évaluation des projets. Il faut qu'une évaluation ait lieu et qu'elle soit faite par une autre instance que celle en charge des politiques temporelles. Strasbourg dispose d'un conseil de l'évaluation des politiques publiques, qui se réunit tous les deux mois. Systématiquement, la mission temps a un point inscrit à l'ordre du jour.

Enfin, il est nécessaire de poursuivre les politiques temporelles et ceci pour plusieurs raisons. Premièrement, c'est une façon de réinterroger les politiques locales. Deuxièmement, cela permet de remettre l'usager au coeur des réflexions et des projets. C'est également une occasion de moderniser l'administration et de renforcer la qualité des services publics, notamment dans un contexte budgétaire impliquant une exploitation optimale des ressources disponibles et un bon dimensionnement de l'offre de transport. C'est ce que montre l'exemple de Rennes, où le décalage des heures de cours de l'Université pour lisser les heures de pointe dans les transports en commun a évité l'achat de nouvelles rames. Pour mener à bien les politiques temporelles, il est également nécessaire d'inclure, dans les réflexions et les projets, les acteurs et partenaires locaux, prescripteurs de temps.

L'association Tempo territorial est un lieu ressource, permettant d'échanger sur les pratiques, les difficultés rencontrées. Des groupes de travail thématiques ont été mis en place ainsi que des formations sur les politiques temporelles à destination des techniciens et des élus. Aujourd'hui, l'association doit attirer de nouvelles collectivités. Lors du dernier conseil d'administration, il a été décidé d'adresser aux nouveaux élus à l'occasion des élections municipales un courrier de sensibilisation aux politiques temporelles. D'autres publics partenaires institutionnels doivent être sensibilisés, comme par exemple les agences d'urbanisme.

9. Audition de Corinne Feret - Ville de Caen, le mercredi 5 février 2014

Audition de Corinne Feret, première adjointe en charge du personnel municipal, de l'égalité entre les hommes et les femmes et du bureau des temps de la ville de Caen.

Le projet municipal de 2008 prévoyait la création d'un bureau des temps afin d'atténuer certaines inégalités, notamment entre les femmes et les hommes. Lors de la composition du conseil municipal, la première adjointe a reçu comme délégation le personnel, l'égalité hommes-femmes et le bureau des temps. Ainsi, la notion de temps y figure explicitement. Une chargée de mission à mi-temps sur l'égalité entre femmes et hommes et le bureau des temps a été recrutée. Elle était rattachée au directeur général adjoint en charge du service au public et de la vie quotidienne, afin d'être dans la transversalité.

A partir de là, il a fallu donner au bureau des temps une visibilité. Un travail de pédagogie a été effectué. En interne, il a fallu expliquer ce que sont les politiques temporelles. Pour cela, le bureau des temps a participé chaque mardi matin au comité de direction pour pouvoir informer et être informé.

Enfin, le bureau des temps travaille avec l'université de Caen. Ainsi, il a fait appel à des étudiants en psychologie pour la réalisation de questionnaires concernant les politiques temporelles.

Dès la rentrée 2008 a été mise en place une garderie périscolaire dans les trois quartiers qui n'en disposaient pas encore. Il est intéressant de signaler, dans cette optique de pédagogie, que le service petite enfance n'avait pas fait le lien avec les politiques temporelles.

En interne, en partenariat entre la direction des affaires générales et le bureau des temps, il a été mené un travail de réorganisation du travail des agents d'entretien, dont le corps est constitué à 90% de femmes. 80% d'entre elles travaillaient à temps non complet avec des horaires coupés. En outre, elles avaient très rarement deux jours de repos consécutifs. Aujourd'hui, les agents travaillent quasiment tous à temps plein, il n'y a plus d'horaires coupés. Par ailleurs, ce ne sont plus des « travailleurs de l'ombre » : ils ont gagné en reconnaissance. Les perspectives de carrière se sont également améliorées avec la possibilité d'encadrer des équipes. Le taux d'absentéisme a diminué de 57%. Pour mener à bien cette action, la ville de Caen a profité des expériences semblables menées dans d'autres villes et a échangé avec elles, notamment Rennes. Deux ans ont été nécessaires pour avoir un état des lieux. Des concertations ont été organisées avec les agents, avant une présentation en comité technique paritaire, où cette réorganisation a été votée à l'unanimité. Cette action est en cours de duplication auprès de la direction des sports et de la direction de l'éducation. Actuellement, seuls le bâtiment de l'hôtel de ville et deux musées sont concernés.

Un groupe ressource a par ailleurs été créé pour aller expliquer à leurs collègues travaillant dans les écoles qu'il est possible de travailler autrement. Un travail de concertation a été nécessaire pour justifier le recours à une nouvelle méthode de travail et l'achat de nouveaux matériels qui n'avait pas pour but de remplacer les agents. Dans le cadre de la réforme scolaire, les ATSEM sont mis à contribution pour intervenir auprès des enfants sur une partie de leur temps de travail, d'où la nécessité d'une optimisation.

La première année, les moyens mis en place le sont de manière provisoire afin d'évaluer les besoins au cas par cas, selon les écoles. Le nombre nécessaire d'heures par semaine supplémentaires est estimé à 4 500 heures sur l'ensemble des écoles. Au final, avec le travail d'optimisation engagé, le besoin réel n'est que de 1 500 heures par semaine. Les 2/3 de la surcharge de travail ont pu être absorbés par la réorganisation et l'utilisation de machines plus performantes.

Un autre point de réflexion a été l'accueil à l'hôtel de ville. En effet, il s'agit d'un bâtiment historique faisant l'objet de visites. Or, l'accueil était commun pour les renseignements municipaux et pour les visites. En outre, les horaires étaient les mêmes tout au long de l'année, avec le même effectif. Les visites étaient également possibles tous les week-ends. Il y a eu une remise à plat avec une annualisation du temps de travail pour prendre en compte la saisonnalité. Les conditions de travail ont été améliorées en fermant l'hôtel de ville le week-end en basse saison ; et en haute saison, le planning et le roulement des agents sont connus à l'avance. Un effort de formation à l'accueil du public et des touristes a également été fait. Cette réorganisation a été menée en concertation avec l'ensemble des agents concernés puis de la direction du service. Dans le cadre de l'agenda social, les syndicats ont également été associés en amont du CTP.

En décembre 2011, une journée de rencontre avec la population en association avec les conseillers de quartier, a été organisée pour faire connaître le bureau des temps. En amont, un questionnaire a été élaboré à destination de la population pour mieux comprendre leurs besoins. Un retour sur ces questionnaires a été fait lors de cette réunion. Il en ressort que les principaux besoins relèvent des transports, de l'emploi et de l'intergénérationnel (petite enfance, personnes âgées). Cela a permis de poser un diagnostic. Le bureau des temps souhaite également travailler à l'échelle de l'agglomération. Par exemple, l'ensemble des équipements sportifs et culturels relèvent de l'agglomération. Mais un travail important de sensibilisation reste à faire. Un premier travail a été fait sur le stade nautique : les horaires d'ouverture ont été élargis. L'un des grands chantiers à venir concerne la nouvelle bibliothèque multimédia à vocation régionale (BMVR), dont l'ouverture est prévue en 2016. Néanmoins, aujourd'hui, les organisations syndicales sont opposées à toute ouverture le dimanche.

En matière de transport, le syndicat des transports (VIACITÉ) a mis en place une commission « transport - rythmes urbains » et la chargée de mission temps a été invitée à participer aux réunions. En 2008, il y a eu une volonté de densifier le réseau. La population a été concertée, et la notion de petites vacances entraînant une diminution de la fréquence de passage a disparu. En outre, la desserte de certains secteurs a été renforcée. Une ligne de nuit a été mise en place les jeudis, vendredis et samedis. Elle relie les campus universitaires et les lieux où les jeunes se retrouvent : centre-ville, discothèques. Une ligne de soirée desservant les communes alentour a également été mise en place afin de permettre d'utiliser les transports en commun plutôt que la voiture pour rentrer d'une sortie au cinéma ou d'un restaurant.

Un travail est actuellement en cours avec l'université, des établissements scolaires et l'administration pour décaler les horaires afin d'éviter un engorgement des transports en commun aux heures de pointe. Le bureau des temps intervient également dans le cadre du plan de déplacement des administrations. Un exemple concerne les serres de la ville se situant au nord de Caen. Les employés ont demandé une modulation de leurs horaires afin de leur permettre de se rendre à leur travail en train.

En ce qui concerne le commerce, il y a eu en 2012 une demande des commerçants de Caen de pouvoir ouvrir deux dimanches supplémentaires. Il y a eu des tensions avec les villes voisines, dans la mesure où la dérogation a été accordée à Caen, mais pas dans les communes alentour. Depuis, il a été décidé que la décision d'ouverture le dimanche se fera au niveau de l'agglomération.

Les principaux grands projets pour le prochain mandat consistent d'une part en une extension des politiques temporelles à l'ensemble de la communauté d'agglomération, nécessitant un renforcement de la sensibilisation et, d'autre part, en un accroissement des politiques temporelles pour tous les projets municipaux, et notamment ceux de rénovation urbaine.

10. Audition de Lucie Verchere-Tortel - Communauté urbaine du Grand Lyon, le mardi 11 février 2014

Audition de Lucie Verchere-Tortel, chargée de mission « Temps et services innovants » à la communauté urbaine du Grand Lyon.

La « mission temps » a été créée à la communauté urbaine du Grand Lyon en 2003. On achève ainsi le deuxième mandat où les politiques temporelles existent en tant que telles.

Le premier mandat a été un mandat de création, il y a eu fort portage politique, notamment par Mme Thérèse Rabatel, alors vice-présidente du Grand Lyon, en charge de l'espace des temps. Sa volonté était de ne pas se lancer dans une réflexion sur la philosophie des politiques temporelles, mais de mettre en place des actions concrètes, des expérimentations, pour prouver qu'il s'agit là d'une question transversale, intéressant les 55 communes membres de la communauté d'agglomération et l'ensemble des services. Dès ce premier mandat, le service temps fut intégré à la direction de la prospective du Grand Lyon, ce qui a été un réel plus. Cela lui a donné une crédibilité auprès des services pour agir de manière transversale.

Un questionnaire a été envoyé auprès des 55 communes pour leur demander quelles étaient les questions de temps qui se posaient à eux. Il a été adressé à l'ensemble des élus. Un site internet a été créé pour donner une visibilité aux actions menées. En outre, des forums grand public et des débats ont été organisés.

Le grand chantier du premier mandat a été la mobilité. Un travail avec les entreprises a été mené. L'espace des temps s'est intéressé au temps du salarié et aux services offerts aux salariés sur les territoires. En 2004-2005, la première crèche interentreprise a été créée en Rhône-Alpes sur le territoire de Lyon-Gerland, en partenariat avec Agefos-PME.

En ce qui concerne la mobilité des collégiens et des lycéens, l'espace des temps a été interpellé par Neuville-sur-Saône, qui est une commune situé au bord de la Saône sur l'axe nord-sud. Entre 8h et 9h, le trafic est complétement bloqué. Près de 13 lignes de bus scolaires passent par là et souhaitent déposer les élèves en même temps. L'espace des temps a réuni autour d'une table les établissements d'enseignements publics et privés, les parents d'élèves, l'autorité organisatrice des transports (le sytral), Kéolis, la SNCF, le conseil général qui gère les bus scolaires, le Grand Lyon, les communes concernées, et un bureau d'études. Il a été proposé de décaler l'ouverture des portes des collèges privés et publics le matin et le soir de quinze minutes. Le trafic a décru et, au-delà, cette action a été le début d'une concertation désormais annuelle en janvier entre Sytral et les collèges afin d'anticiper la rentrée de septembre. Cela a également permis une rationalisation des lignes de bus. Ainsi, lors de l'ouverture d'un lycée dans le même secteur deux ans plus tard, une seule ligne de bus supplémentaire a été créée, alors qu'on en prévoyait plus. Un travail est désormais mené avec d'autres sites scolaires afin de régler des problèmes similaires de congestion, notamment à la cité scolaire internationale près de Gerland.

Une telle action n'est pas toujours simple à mener, car elle peut souligner des manques d'autres services de la collectivité ou des communes associées. Ainsi, il a été prouvé qu'une meilleure signalisation de l'accès des collèges a permis de faire en sorte que certains élèves ne soient plus déposé directement devant la porte de l'établissement, mais plus en amont et qu'ils finissent le trajet à pied.

L'espace des temps a également été associé à l'élaboration du PDU. Cela a permis de montrer la nécessité d'ouvrir une ligne de bus nocturne les jeudis, vendredis et samedis. En outre, des déambulations nocturne au coeur de la ville ont également été mises en place. L'espace des temps a également élaboré une carte du grand Lyon indiquant les lieux ouverts entre minuit et 5 heures du matin.

L'axe choisi lors du deuxième mandat est très différent. Victime de son succès, il a été décidé que l'espace des temps se concentre sur l'expérimentation et l'incubation. Il s'est transformé en « mission temps et services innovants ». Il n'y a plus eu de portage politique, mais il s'est effacé au profit d'un portage politique thématique. La mission « temps et services innovants » est devenue de fait et de manière informelle le conseil mobilité du Grand Lyon. Elle a négocié en lien avec les entreprises treize plans de déplacement interentreprise. L'idée est de ne plus culpabiliser le salarié qui utilise sa voiture mais de lui proposer pour chaque jour un bouquet d'offres de mobilité, afin de répondre à son mode de vie complexe. En fonction des jours et de son besoin, il peut ainsi utiliser l'une ou l'autre des possibilités de mobilité. Les plans de déplacement concernent les horaires, l'interconnexion et les pôles d'échange. En outre la mission « temps et services innovants » a mis en place un portail de covoiturage et promeut la voiture en partage ainsi que le vélo en libre service. En outre, elle essaye de développer le travail à distance, la visioconférence, le coworking .

La mission « temps et services innovants » ne s'occupe pas de la billetique. C'est le service de la voirie qui pilote ce projet avec la région. Le grand Lyon a mis en place un portail d'information, optimod . La région de son côté a mis en place le portail multitud qui présente toutes les interconnexions pour se rendre d'un point à l'autre de Rhône-Alpes.

Depuis 2009, la mission « temps et services innovants » cherche à promouvoir le travail à distance, ou le travail nomade, ou encore dans un tiers lieu. Elle a procédé à un benchmark pour monter un argumentaire sur le télétravail. Elle a également travaillé avec la DATAR, qui a mis en place un groupe de travail sur ce sujet. Elle a créé un réseau du coworking pour mieux comprendre et expliquer comment fonctionne le « travail coopératif ». Dans le cadre des plans de déplacement, elle essaye d'encourager les entreprises à utiliser le télétravail. L'une des difficultés de promouvoir un tel mode de travail est qu'il manque d'un portage politique fort. En effet, c'est un thème qui recoupe plusieurs secteurs : les politiques temporelles, l'attractivité territoriale, le développement durable. Ainsi pour les politiques thématiques, ce n'est qu'une petite partie du thème dont un élu à la charge. Il en est de même avec les services. Le conseil général du Rhône est en train de mener une expérimentation avec 45 personnes. La mairie de Lyon a entrepris une réflexion sur ce sujet. La métropole lyonnaise existera au 1er janvier 2015. Il y a une vraie nécessité à révolutionner la façon de travailler des 9 000 agents.

Des entreprises ont fait le pari du télétravail. Tel est le cas de Hewlett-Packard où de nombreux salariés travaillent à distance, ce qui a permis de libérer la moitié des bureaux. Toutefois, il y a également des points noirs : tout ne peut se faire à distance. L'Oréal a également mis en place des initiatives intéressantes notamment pour les femmes enceintes afin de leur permettre de continuer à travailler. L'entreprise s'était en effet rendu compte que beaucoup d'entre elles arrêter de travailler à partir du cinquième mois de grossesse, notamment en raison des déplacements. Certaines entreprises permettent également de travailler à distance le mercredi matin. Il est important de rappeler que le télétravail est très encadré juridiquement.

Depuis 4 ans, les mentalités évoluent sur ce sujet. Toutefois, la direction des ressources humaines du Grand Lyon met en avant les inégalités induites par le télétravail entre les agents qui travaillent en bureau et les agents de terrain. Mais le télétravail pourrait être utile pour certains agents proches du burn-out , ou malades ou handicapés. Sur les treize plans de déplacement sur lesquels la mission temps et services innovants est intervenue, seule un mentionne le travail à distance. Aujourd'hui, il est impossible de connaître le nombre de personne qui travaillent à distance. On connaît le nombre d'accords, mais pas le nombre de personnes qui en bénéficie effectivement. En outre, 30% des cadres font du travail « gris » (ils continuent à travailler de chez eux, consulter leurs boîtes mails, répondre à des messages,...).

Le principal avantage d'une mission temps est qu'elle propose d'apporter de la souplesse dans les actions à mener.

Les perspectives de la mission « temps et services innovants » sont intéressantes. D'une part, elle risque de perdre la partie mobilité qui pourrait être transférée à la voirie lors du présent mandat. Mais d'autre part, la création de la métropole va introduire dans son champ de compétence tous les thèmes sociaux : petite enfance, personnes âgées .... Tous ces sujets concernent la politique temporelle. Et plutôt que de les prendre par blocs thématiques, il serait intéressant de le prendre selon l'optique de l'usager tout au long de la vie. La mission « temps et services innovants » devra également poursuivre son travail de sensibilisation.

L'urbanisme est pour l'instant le parent pauvre de la mission « temps et services innovants ». En effet, elle s'est pour l'instant concentrée sur l'incubation.

La mission « temps et services innovants » travaille également sur une offre de services dans les pôles d'interconnexion dans les gares de moins grande envergure que Lyon Perrache ou Lyon Part Dieu. Une idée par exemple pourrait être de mettre en place une crèche en gare. Un début d'action avait eu lieu, les financements avaient été trouvés. Mais la mission « temps et services innovants » n'a pas réussi à faire parler l'ensemble des partenaires d'un discours commun. Cela a échoué sur l'écueil de la gouvernance. Pourtant, il pourrait vraiment être intéressant de créer des crèches dans les gares périurbaines.

11. Audition de Jean-Yves Boulin, chercheur associé à IRISSO-Université Paris-Dauphine, le mercredi 12 février 2014

C'est en tant que sociologue des relations industrielles que Jean-Yves Boulin a été amené, dans les années 1970, à s'intéresser à la question du temps de travail, de sa régulation, en France et en Europe. C'était une époque durant laquelle émergeait un débat sur l'organisation du temps. Les organisations patronales réclamaient plus de flexibilité, tandis que les syndicats souhaitaient une diminution du temps de travail. Des rapports ont alors été rédigés (Chalendar, Labrusse etc.) réfléchissant à l'impact du temps de travail sur l'organisation du temps dans la société, et en particulier sur les congestions routières les week-ends, et au moment des départs en vacances, singulièrement en août, en raison d'une trop forte synchronisation du temps de travail. La réflexion sur le temps de travail, et plus généralement sur les horaires publics, visait à fluidifier l'espace. A noter également, la conduite des travaux du CATRAL Ile-de-France.

Dans les années 1985, la Fondation Européenne pour l'Amélioration des Conditions de Vie et de Travail, dite fondation de Dublin, avait mis en place un groupe de travail international, coordonné par Jean-Yves Boulin, sur l'articulation entre temps de travail et temps libre et pour réfléchir à « une autre organisation sociale du temps ». A la même époque, Dominique Taddei remettait à Laurent Fabius un rapport intitulé « Des Machines et des Hommes », proposant de nouvelles formes d'organisation du temps de travail fondées sur le découplage entre le temps de fonctionnement des machines et le temps de travail des salariés. C'est dans le cadre des travaux pour la Fondation de Dublin que Jean-Yves Boulin a été informé par son collègue italien des prémisses des politiques temporelles en Italie (notamment le projet de loi des femmes parlementaires italiennes du PCI « Les femmes changent les temps »).

Aujourd'hui, il y a peu de recherches académiques en France sur ce sujet en dehors de travaux de géographes (Luc Gwiazdzinski sur la nuit, la mobilité et la représentation chronographique, ou Dominique Royoux sur l'urbanisme temporel) ou de sociologues comme Jean-Yves Boulin lui-même. Cette thématique est abordée par d'autres angles, notamment celui de la conciliation vie professionnelle/vie familiale ou encore celui de la mobilité soutenable. C'est le cas de l'Institut National des Études Démographiques (INED). L'Association Française de Sociologie a récemment validé la création d'un groupe thématique sur « l'articulation des temps sociaux » dont Jean-Yves Boulin est membre.

La question du travail le dimanche a réussi à diffuser la problématique des politiques temporelles. Certaines des préconisations de l'association Tempo Territorial au regard des modalités de régulation du travail du dimanche sont reprises par le rapport Bailly (2013). Tempo Territorial a également produit des réflexions relatives à l'ouverture des bibliothèques le dimanche, et plusieurs collectivités locales adhérentes ont initié ce type d'horaires (Montpellier, Paris, Rennes).

En Italie, la loi de 2000 (loi Turco) rend obligatoire la mise en place d'un bureau des temps dans les villes de plus de 30 000 habitants. Toutefois, leur fonctionnement dépend aussi du portage politique. Ainsi, les actions du bureau des temps de Milan, actif durant les années 1990, n'ont pas la même vigueur après le changement politique de la décennie 2000 mais retrouvent aujourd'hui, après un nouveau changement, un éclat renouvelé. Outre les questions d'accessibilité et d'égalité, la politique des temps en Italie est très articulée à celle de la planification urbaine et territoriale. Cela est lié à l'action primordiale dans le développement des politiques des temps de la ville en Italie, opérée par le Politecnico de Milan et Sandra Bonfiglioli qui présidait aux destinées du département d'architecture et d'urbanisme de cette université : des générations d'étudiants ont été initiées aux politiques temporelles dont certains enseignent cette discipline et d'autres la mettent en pratique en tant qu'agents des collectivités locales ou consultants externes.

Le (relatif) faible développement des politiques temporelles peut s'expliquer par le fait qu'elles n'ont pas toujours connu un développement autonome au sein des collectivités locales qui les ont mises en oeuvre. Souvent, elles ont été intégrées à l'agenda 21 ou au service égalité femmes/hommes. La région Nord-Pas-de-Calais les a intégrées dans le cadre de son SRADDT, tandis que la ville de Montpellier travaille à l'élaboration d'un Schéma Directeur Temps et Territoire, reprenant en cela une préconisation de l'ouvrage publié par l'Institut des Villes en 2008 et rédigé par Jean-Yves Boulin de réfléchir à des SCOTT (Schéma de Cohérence Territoriale et Temporelle).

Tempo Territorial est la seule institution de niveau national qui, en Europe, regroupe les territoires qui mènent des politiques temporelles. Il en existait une en Italie, Piano Forte, dont le périmètre était plus large que celui de l'association française (on y trouvait des collectivités locales, des syndicats, des mouvements de femmes, des académiques, etc.), mais elle est aujourd'hui en sommeil. En Allemagne, les politiques temporelles ont été en grande partie absorbées par la question de l'accueil de la petite enfance et de la conciliation vie privée-vie professionnelle. Mais il existe également un réseau allemand ( Deutsche Gesellschaft für Zeitpolitik ) qui regroupe surtout des académiques qui réfléchissent aux questions de temps. La ville de Barcelone avait pris l'initiative de créer un réseau européen de villes menant des politiques temporelles, dans lequel figuraient des collectivités locales italiennes, françaises et catalanes. En décembre 2012, Barcelone a estimé ne pas pouvoir continuer à animer ce réseau et a demandé à Tempo Territorial d'en assurer la tâche. Une réunion regroupant des villes de plusieurs pays européens (Italie, Espagne, France) a eu lieu à Paris en décembre 2013 et la décision a été prise de relancer le réseau.

Le Conseil de l'Europe a émis, en octobre 2010, une résolution et une recommandation en faveur des politiques temporelles et du « droit à son propre temps ». Il s'agit plus d'une mesure symbolique, qui confère un surcroît de légitimité aux politiques temporelles, mais qui n'est pas suivie d'effets concrets par manque d'une réelle autorité de cette institution. Aujourd'hui, il serait nécessaire d'obtenir un soutien des institutions européennes, notamment celui de la Commission européenne à travers une de ses directions générales ou d'un des programmes d'action-recherche comme ce fut le cas avec le programme EUREXCTER (1996-2000), qui a permis de diffuser les politiques des temps de la ville dans des pays comme l'Allemagne, la France ou l'Espagne. Tempo Territorial va tenter d'obtenir ce soutien en faisant connaître le réseau européen et l'apport des politiques temporelles à la qualité de vie. Cet apport devrait apparaître de façon explicite aux autorités européennes puisque 2014 est l'année de la conciliation entre vie professionnelle et vie familiale. Le rapport Stiglitz - Sen - Fitoussi sur les mesures de la performance économique et du progrès social a suscité un regain d'intérêt pour ces questions en France. Il est d'ailleurs intéressant de noter que l'OCDE a intégré dans ses indicateurs de bien-être, la question de la maîtrise du temps par les individus.

12. Audition de Cédric Szabo, directeur de l'Association des maires ruraux de France, le mercredi 19 février 2014

L'engagement de Cédric Szabo pour les politiques temporelles coïncide avec la parution de rapport sur le temps des villes de 2001. En effet, la question du temps paraissait alors à la fois essentielle et en même temps abstraite, peu prise en compte. Il a sensibilisé le maire de Dijon lors de son premier mandat, ce qui a conduit lors du deuxième mandat à désigner un élu en charge des politiques temporelles. Cette expérience a souligné la nécessité d'un portage politique pour que les politiques temporelles puissent prospérer.

De manière générale, on peut constater que les politiques temporelles en milieu rural sont peu structurées et sont informelles. Il n'y a pas d'élus en charge d'une telle thématique. A sa connaissance, seule l'association Aider, dans la Drôme, s'est saisie de ces questions de manière formelle. Ainsi, il n'y a pas de bureau des temps. Toutefois, la préoccupation du temps est permanente pour les élus y compris ceux des communes de moins de 3 000 habitants.

L'une des thématiques à prendre en compte concerne le temps de l'élu. En raison d'une fonction publique territoriale moins importante dans les communes rurales, l'élu est tout de suite en situation d'interface. Beaucoup disent d'ailleurs que c'est une fonction 24h/24, 7j/7. Ainsi, si la mairie est peu ouverte, le maire ou les élus sont tout le temps accessibles. L'AMRF a réalisé une étude en collaboration avec l'association Aider sur le temps de l'élu. Elle a permis de souligner que plus la commune est petite, plus l'emploi du temps du maire est contraint, et plus il a des prescripteurs de temps. La question des horaires de réunion est également importante en matière de conciliation des temps de vie, car si un tiers des élus ruraux sont des retraités, deux tiers d'entre eux sont donc des actifs. Par exemple, la réunion à la préfecture organisée l'après-midi est peu propice pour l'élu actif. Toutefois, il n'y a pas d'horaire idéal. C'est pourquoi, il est important de varier l'heure des réunions, car si une même réunion toujours lieu à la même heure, ce sont les mêmes personnes qui y participent. Une autre préoccupation de l'élu rural est d'avoir l'assurance que son équipe municipale restera mobilisée sur l'ensemble du mandat. Or, il n'est pas rare que le nombre de conseillers municipaux impliqués diminue au fur et à mesure du mandat, ce qui augmente le nombre de réunions de chacun. L'un des problèmes est aussi qu'il n'y a pas d'ingénierie publique importante.

La question de la distance doit également être traitée. Concrètement, les fonds structurels européens étaient jusqu'à présent gérés par les préfectures de département. Avec le transfert de cette gestion aux régions, cela signifie un allongement des distances pour l'élu local souhaitant défendre un dossier.

En outre, les communes rurales doivent faire face, d'une part, à une demande de nouveaux services et, d'autre part, à l'arrivée de nouveaux arrivants, dont proportionnellement un grand nombre de familles monoparentales. Cela a également des conséquences sur les besoins, notamment les places en crèche ou la possibilité de travailler à temps partiel.

La saisonnalité intervient plus qu'en milieu urbain, que ce soit du fait des activités agricoles, mais également du climat. Il y a une arythmie, a fortiori dans les communes rurales touristiques, où il faut gérer un afflux massif de population pendant trois mois.

Dans le monde rural, le temps est plus fiable, mais également plus long. Le principal enjeu est lié aux mobilités des personnes, mais aussi des services et des objets. Ainsi, il ne faut pas réfléchir aux seules solutions proposant un déplacement des personnes.

La question du numérique fait partie des principaux thèmes évoqués par les élus ruraux. Le très haut débit permettrait ainsi de lever des obstacles, de raccourcir les temps.

Dans le cadre des questions temporelles en milieu rural reviennent souvent les services proposés par la Poste, la SNCF ainsi que les services de l'État. A titre d'exemple a été évoqué un courrier récemment reçu par un maire d'un de ses administrés se plaignant que le permis de conduire ne pouvait être retiré qu'à la préfecture située à une centaine de kilomètres de son domicile alors qu'il y a une sous-préfecture à 25 kilomètres. Le maire est ainsi souvent médiateur des problèmes de temps des habitants.

Une convention a été signée entre la Poste, l'AMF et l'État, qui comporte notamment des critères relatifs au temps. Toutefois, ces derniers ne sont pas toujours respectés, notamment en ce qui concerne l'amplitude d'horaires en période estivale en raison des congés des postiers. Or, la critique principalement formulée par l'AMRF est le fait que les communes sont souvent prévenues au dernier moment.

La réforme des rythmes scolaires a également impacté les temps des enfants et de la commune. On a conféré aux maires une responsabilité dans la gestion de la vie des enfants, mais sans leur en donner les moyens, qu'ils soient financiers ou humains. Dans certaines communes, la réforme scolaire augmente de 20% le budget de fonctionnement. En outre, il y a un réel besoin ponctuel de personnels pour amorcer un projet. De manière plus générale, il serait important, pour l'ensemble des politiques temporelles, d'utiliser ce qui a été capitalisé dans d'autres communes, en prévoyant des mises à disposition par convention de personnes qualifiées.

Seules 3% des communes ont adopté un projet éducatif de territoire (PEDT). Une autre question réside dans le fait que les personnes qualifiées pour proposer des animations n'habitent pas à proximité.

L'AMRF s'est concentrée la première année sur la levée de certaines rigidités, relatives notamment au taux d'encadrement et aux personnes compétentes en termes d'animation.

De manière générale, l'AMRF souhaite que l'on s'intéresse plus aux populations non incluses dans les couvertures statistiques du territoire. Ainsi, pour mesurer l'accès aux services de la population, on étudie leur éloignement. Si, par exemple, 90% de la population se trouve à moins de x minutes de tel service, c'est au 10% restant qu'il faut s'intéresser, ce qui représente une population qui n'est pas si marginale que cela.

Parmi les pistes et les préconisations, l'AMRF propose d'adosser à la lutte contre les inégalités homme-femme celle contre les inégalités entre territoires. Il y a en effet un vrai risque « d'angle mort » si on ne raisonne que sur l'urbain. Aujourd'hui, on prend peu en compte le rural qui se rend en ville, ou l'urbain qui se rend à la campagne. En outre, il faut en outre développer la multimodalité. Ce qui est primordial pour le monde rural en matière de mobilité, c'est le premier kilomètre : comment se rendre à la gare ? Il faut se préoccuper de faire venir le public éloigné.

Des expériences sont menées, comme la mise en place de consignes fermées où l'on peut venir récupérer un objet 24h/24, sans avoir à mobiliser un acteur public. Le facteur pourrait aussi être mis à profit, en ne l'enfermant pas dans son seul rôle postal. Mais se pose alors la question du financement.

Actuellement, il y a au niveau national une opportunité avec la préfiguration du comité national à l'égalité des territoires. Il faut faire en sorte que les questions du temps soient l'égal de celles de l'aménagement de l'espace.

L'outil statistique national doit davantage être utilisé pour caractériser les territoires. A titre d'exemple, le Certu a capitalisé les enquêtes emploi temps de l'INSEE sur les 20 dernières années, mais en ne prenant en compte que les 20 plus grandes villes françaises. Or, cela a un effet déformant et dévastateur, notamment sur les questions de mobilité, car 80% du territoire ne sont pas pris en compte

13. Audition de Patrice Vuidel, consultant associé chez Atémis, maire adjoint à Pantin, le mercredi 26 février 2014

Aujourd'hui, il est nécessaire d'accorder autant d'importance à la gestion des temps qu'à la gestion de l'espace. A la fin des années 1990, Patrice Vuidel travaillait pour une association nommée Objectif emploi à Saint-Denis. En complément des politiques d'insertion, l'association prônait le développement par la construction de stratégies d'emploi et de développement. A cette époque, Saint-Denis avait intégré le projet Eurecxter (école européenne d'excellence territoriale) et, dans ce cadre, des rencontres ont été organisées avec des villes italiennes pionnières en matière de politiques des temps. C'est ainsi que Patrice Vuidel a fait partie des premiers agents qui ont porté la question des politiques temporelles et mené les premières actions à Saint-Denis.

A partir de 2004, il est devenu consultant et a travaillé avec divers territoires sur la question des temps. Il a notamment mis en place avec Pierre Dommergues une école des temps et des territoires qui a travaillé avec cinq territoires dans une dynamique de formation (accompagnement de projets). Ce dispositif était porté par l'AFET (association française de l'excellence territoriale). L'AFET a également été missionnée par la ville de Paris en 2008 pour avancer sur la transformation du bureau des temps en agence des temps. Il s'agissait de dépasser le cadre des seuls services de la ville et le périmètre géographique parisien. Plusieurs chantiers ont été envisagés ainsi que la création d'un groupement intérêt public, mais au final, ce projet n'a pas pu aboutir.

Lors de ses travaux avec la ville de Paris, Patrice Vuidel a été amené à travailler avec la fédération des entreprises de propreté sur la réorganisation du temps de travail des agents de propreté afin de favoriser le travail en journée / en continu.

Quand Nicolas Sarkozy a utilisé la formule « travailler plus pour gagner plus », il a interpellé la fédération des entreprises de propreté sur le travail à temps partiel. C'est dans ce cadre que la fédération a contacté Patrice Vuidel. Une conférence de progrès sur le temps partiel a été organisée début 2008 pour évaluer les spécificités du secteur et dresser un état des lieux afin de répondre aux questions suivantes : « pourquoi une telle organisation ? Un travail en journée, en continu, est-ce faisable ? Cette nouvelle organisation impacte-t-elle la productivité ? ». Les donneurs d'ordre, les syndicats, les entreprises de propreté ainsi que l'État ont participé à cette conférence.

Par la suite, de premières expériences ont été menées et évaluées tant dans des entreprises comme Danone ou l'Oréal ainsi qu'au sein de collectivités territoriales comme la ville de Paris. La Ville de Rennes avait déjà initié une démarche similaire. Ces expériences ont démontré qu'il était possible de réorganiser la prestation et le travail afin d'obtenir le même résultat à moyens égaux. Dans la quasi-totalité des cas, les effets de productivité se compensent.

En 2009, la maison de l'emploi, la Ville de Nantes et la fédération régionale des entreprises de propreté se sont saisies du sujet et ont souhaité porter une démarche de territoire. Le conseil régional, le conseil général, la cité des congrès, l'agglomération ont travaillé avec 7-8 entreprises du secteur. Au bout de quelques mois, il a été procédé à une restitution lors d'une conférence intitulée « Pourquoi vous allez passer au nettoyage en journée » à laquelle participaient 180 personnes. Une charte en cinq points a été rédigée, qui compte aujourd'hui 130 à 140 signataires sur le territoire de la région nantaise.

Une boîte à outils a été créée et labellisée par la fédération et le service « achats » de l'État pour capitaliser sur les premiers exemples et proposer une méthode de mise en oeuvre du changement. En outre, en décembre 2008, une première circulaire de l'État a été publiée qui fixait les premiers objectifs à ses services achats.

De son côté, la fédération des entreprises de propreté a formalisé une démarche de développement durable déclinée en une cinquantaine d'actions possibles, dont le travail en journée / en continu. Une formation- accompagnement est proposée aux entreprises qui le souhaitent.

Suite à la parution de son livre Quai de Ouistreham , la journaliste Florence Aubenas a été invitée, par la fédération des entreprises de propreté, à dialoguer.

En 2012, Patrice Vuidel a procédé à un accompagnement de donneurs d'ordres et d'entreprises de propreté en Poitou-Charentes dans le cadre d'une demande de la déléguée régionale à l'égalité entre les hommes et les femmes. Quatre séances collectives ont eu lieu pour partager sur les principes, les étapes, les exemples, la méthode.

Le premier enjeu est de sensibiliser, de convaincre de l'intérêt d'une telle démarche et de lever les réticences des acteurs concernés. On peut considérer que les démarches entreprises afin de convaincre de l'intérêt et de la faisabilité représentent la moitié du temps nécessaire à la mise en place d'une telle démarche. Le reste du temps est consacré à l'établissement d'un diagnostic préalable, à la définition d'une nouvelle organisation et à la préparation et à l'accompagnement dans sa mise en oeuvre.

A Marseille, un travail identique est en cours, porté par la maison de l'emploi, la branche professionnelle et les services de l'État. Une cinquantaine de personnes, dont parmi les donneurs d'ordre quelques entreprises privées, ont assisté en février à la première réunion d'information. Des temps d'échanges sont prévus sur trois ou quatre demi-journées durant lesquelles il est proposé aux donneurs d'ordre et aux entreprises de se réunir pour partager, étudier les moyens mis en place, connaître le contenu de la boite à outils élaborée.

Cette action bénéficie d'un financement tripartite (État, maison de l'emploi et, dans une moindre mesure, la branche professionnelle). En ce qui concerne les syndicats, on constate une difficulté à les mobiliser au niveau des territoires. En effet, les logiques de branche et les logiques territoriales ont encore du mal à s'articuler.

Chez les donneurs d'ordre, une évolution des pratiques passe par le service des moyens généraux, qui gère les locaux, et par le service achats, qui rédige le cahier des charges. Mais nécessairement, il faut à un moment donné, une validation par l'élu ou le chef d'entreprise / responsable de site.

Parmi les spécificités de secteur de la propreté, il faut prendre en compte que l'on ne vend pas des heures mais un résultat. Toutefois, le donneur d'ordre va donner des obligations de moyens. Pour les entreprises de propreté, le travail en horaires décalés permet parfois de ne pas déclarer une absence, si le travail est quand même fait. L'absentéisme est d'ailleurs une question récurrente. Quand les agents interviennent en journée, l'on constate une diminution de l'absentéisme.

Plusieurs paramètres doivent être pris en compte si l'on veut favoriser une meilleure qualité de vie des agents de propreté et une meilleure articulation vie professionnelle / vie personnelle et familiale : ainsi, la flexibilité des horaires d'ouverture et de fermeture des crèches conditionne en partie l'exercice d'une activité professionnelle. La notion de travail en journée n'est pas définie par des horaires précis : en Poitou-Charentes elle a été définie en fonction des horaires des transports en commun ; l'État, pour sa part, considère que le travail en journée correspond aux plages horaires où ses propres agents sont présents.

Le secteur connaît actuellement un dynamisme dû à deux mouvements complémentaires, pouvant générer un effet de bascule généralisé vers cette nouvelle organisation :

- le Premier ministre a publié une circulaire en novembre 2013 fixant des objectifs pour l'État et ses opérateurs, afin d'aller vers un travail des agents de propreté en journée. Des études de faisabilité sont notamment demandées avant chaque renouvellement de marché. Or les marchés de l'État et de ses opérateurs sont importants ;

- dans le cadre de l'accord interprofessionnel et de la loi sur le temps partiel, un accord de branche vient d'être validé, qui fixe le nombre minimum d'heures travaillées, ramené à 16 heures hebdomadaires, pour tenir compte des contraintes spécifiques. En contrepartie, une réduction de l'amplitude horaire de travail et du nombre d'interventions successives dans la demi-journée est prévue.

On pourrait ainsi arriver à une situation où les entreprises de propreté démarcheraient les donneurs d'ordre pour négocier la mise en oeuvre d'une organisation favorable au travail en journée, en continu, afin de pouvoir respecter les contraintes légales. Cela, alors que, pendant longtemps, les entreprises les plus importantes du secteur étaient assez frileuses.

Patrice Vuidel a été élu en 2008 à Pantin. Le programme électoral prévoyait la création d'un bureau des temps. Toutefois, des difficultés se sont présentées dans la mise en place et notamment la répartition des compétences et délégations entre élus pour des raisons d'équilibre politique entre les différentes composantes de la majorité municipale.

La ville a toutefois adhéré à Tempo territorial . Il y a eu une refonte de l'administration et la création d'une direction des relations aux usagers. Mais déjà auparavant, les services étaient regroupés en un guichet unique.

Un discours politique est également repris sur la mutualisation des équipements et la modification des horaires. Mais dans les faits, le passage à l'action dépend aussi du soutien de l'élu en charge de ce domaine. L'élu en charge de la jeunesse et ses services se sont saisis de cette question, notamment pour les horaires des antennes jeunesse (auparavant ouvertes le matin, mais fermées tôt le soir et fermées le samedi). Deux ans ont été nécessaires pour reconstruire un projet de services, nécessitant une étude sur les horaires de fréquentation par les jeunes.

Un autre point est à prendre en compte quand on veut juger de la pertinence de la question temporelle : il est important d'avoir conscience que l'emploi est aujourd'hui tiré par les services. Or un service est une coproduction, cela signifie une accessibilité temporelle et une coordination entre le salarié qui va réaliser le service et le bénéficiaire. Cette question renvoie également à un enjeu d'emplois de qualité, afin de ne pas recréer de « petits boulots ». Des formes de régulation sont donc nécessaires. Patrice Vuidel vient de publier dans la revue Urbia un article à ce sujet.

Concernant le télétravail, il doit être pensé en relation avec les bassins d'emploi et le réseau des transports. L'enjeu en Ile-de-France est l'émergence des espaces de télétravail à proximité du domicile des personnes. Aujourd'hui, ce modèle économique n'existe pas et en tout cas n'est pas pris en compte dans le coût que l'entreprise est prête à prendre en charge pour développer cette opportunité : cette dernière considère ne devoir prendre en charge que l'équipement informatique du salarié en télétravail et un aménagement de son domicile. Or, en Ile-de-France le travail à domicile est un empiètement sur la vie privée, car de nombreux logements n'offrent pas de pièce en plus pour travailler. Il est donc nécessaire de développer des espaces de télétravail de proximité. Il faut également que les espaces tiers soient en cohérence entre eux, organisés en réseau, car l'entreprise ne va pas contracter avec 50 associations ou lieux de télétravail. Enfin, le télétravail ne concerne pas que les cadres ; Accenture l'a testé avec le personnel du secrétariat.

14. Audition d'Anne-Charlotte Riedel - Ville de Gradignan, le mercredi 26 février 2014

Audition d'Anne-Charlotte Riedel, directrice générale adjointe de la ville de Gradignan.

Gradignan est une ville de 24 000 habitants, située dans la Communauté Urbaine de Bordeaux. La collectivité n'a pas créé de mission « temps », mais elle est sensible à ce sujet. Ainsi, en 2008, au moment de l'arrivée d'Anne-Charlotte Riedel, la garderie des écoles ouvrait déjà de 7 heures à 19 heures, malgré un petit nombre d'enfants accueillis tôt le matin ou tard le soir. La politique petite enfance est très développée ; il y a peu d'attente pour les places en crèche. Elle répond bien aux besoins de la population, sauf pour les horaires atypiques. Le ménage dans les bureaux administratifs se faisait déjà pendant les horaires de journée, avant 19h. Un point délicat : la mairie ferme tôt, dès 15h30, avec des horaires continus de 8h à 15h30 du mardi au vendredi, et une journée, le lundi jusqu'à 19 heures, très appréciée par la population.

En 2008, la Ville engage une réflexion sur sa politique jeunesse. C'est l'occasion d'évaluer ce service aux familles qui repose sur les actions de deux Maisons des Jeunes et de la Culture, gérées sous forme associative et autonomes. Elles offraient des services différents, avec des grilles tarifaires et une approche de leurs missions non similaires. Elles étaient financées à 75% par la Ville. Au regard des résultats de l'étude, les élus ont décidé une réorganisation : les deux associations MJC ont disparu au profit de la création d'un Établissement Public Administratif regroupant les deux sites. Ce montage juridique permet d'avoir dans un conseil d'administration unique des représentants de la Ville, des partenaires financiers et des représentants des anciennes MJC.

Cette transformation a permis d'élargir les horaires d'ouverture. Le site de centre-ville est, en alternance avec le second, ouvert le vendredi et le samedi jusqu'à 22h à minima. Un « Troq ué-café » destiné aux jeunes et jeunes adultes a été créé en centre-ville, et vit le week-end au rythme des soirées et animations, variées, proposées. Trois sites ouverts, en semaine en seconde partie d'après-midi, proposent une « aide aux devoirs », jusque 19h.

Avant la refonte de la politique jeunesse municipale, la MJC centrale n'avait pu modifier son organisation, compte tenu des moyens humains nécessaires pour amplifier les horaires. La mutualisation des moyens antérieurs au sein d'un EPA a permis l'offre de nouvelles prestations, sur des temps décalés, très appréciés par les jeunes.

En 2010, Anne-Charlotte Riedel découvre l'association Tempo territorial en tant que membre du CIDFF. Elle note que l'une des complexités des politiques temporelles est leur polymorphisme, qui handicape leur visibilité et leur pleine compréhension par le plus grand nombre.

En parallèle de la réorganisation des structures « Jeunesse », un travail a été mené à Gradignan en vue de faciliter l'accès des établissements culturels aux familles. La ville se distingue par un nombre important d'établissements culturels : une médiathèque, un théâtre, une école de musique municipale, un musée, un écomusée de la vigne et du vin, une maison de la nature, une ludothèque, un musée à ciel ouvert (de sculpture) dans le parc de l'hôtel de ville. Un état des lieux des horaires d'ouverture et de la fréquentation a été fait dans chacun de ces lieux.

Un exemple intéressant d'accessibilité du plus grand nombre et de diffusion de la musique est celui des concerts décentralisés de l'École municipale de Musique. Elle accueille près de 560 élèves. Elle organise, dans différents lieux publics des représentations à des horaires permettant l'accès d'un public plus familial : en fin d'après-midi à partir de 18h30 à la Médiathèque, et le week-end en différents lieux de la ville. Les musiciens sont les élèves de l'École de musique, encadrés par des professeurs, ou de l'Harmonie de la ville. Pour l'année, un programme musical complet a été monté de septembre 2013 à juin 2014. Ces prestations fréquentes et gratuites, dans la ville, sont suivies et appréciées.

D'une manière générale cependant, l'allongement des horaires, hors temps de journée, entraîne la présence de personnel encadrant avec un engagement financier complémentaire, et nécessite donc en amont l'appui de la volonté politique.

Une étude est parallèlement en cours pour une ouverture de la médiathèque le dimanche après-midi. Le directeur de la médiathèque y est très favorable, car il considère cette évolution comme une reconnaissance de l'utilité publique de la médiathèque. Toutefois, même si un partenariat peut être passé avec l'IUT métiers du livre situé sur la commune -- par ailleurs très dynamique --, cela représente au final un surcoût, alors qu'en même temps, il faut mettre en oeuvre la réforme des rythmes scolaires.

Gradignan appliquera la réforme des rythmes scolaires en septembre 2014, sous la forme d'activités périscolaires trois après-midis par semaine, les lundis, mardis et jeudis de 16 heures à 17 heures. Plusieurs difficultés très concrètes se sont présentées :

- la volonté d'offrir des activités de qualité et variées aux jeunes ;

- l'absence du support pédagogique adapté. Par exemple, si la Maison de la nature a l'habitude de recevoir des classes, le personnel ne dispose pas des outils pédagogiques adaptés à des ateliers « hors ses murs » de 45 minutes ;

- on ne sait pas comment un enfant de 6 ans va vivre ce temps, ni sa capacité d'attention ;

- enfin, les contraintes budgétaires sont fortes.

Cette réforme, difficile, démontre à minima à quel point une modification des horaires impacte les usages, et place la gestion et l'articulation des « temps de vie » au centre d'une politique publique.

15. Audition de Philippe Ducloux, adjoint en charge de la qualité des services municipaux, de l'accueil des usagers et du bureau des temps, le mercredi 26 février 2014

Les rythmes de vie ont profondément évolué, en particulier à Paris et dans les grandes villes depuis la fin du XX e siècle : allongement de l'espérance de vie et de la durée des études, augmentation des temps de loisirs, évolution des structures familiales et de la place des femmes, multiplication des horaires de travail atypiques, déplacement des activités vers la fin de journée et la nuit, etc.

Ces transformations économiques, sociales et sociétales ont engendré de nouveaux besoins des usagers en terme de services, et notamment ceux fournis par les collectivités locales, parmi lesquelles la Ville de Paris.

Celles-ci ont bien sûr toujours pris en compte les temps de travail ou les horaires d'ouverture, mais elles le faisaient jusqu'alors de manière, verticale, secteur par secteur, sans réelle politique d'ensemble. De plus, ces questions étaient généralement les dernières à être abordées, après les aspects « durs » comme le financement, le foncier, les données réglementaires et techniques, et sans toujours prendre suffisamment en compte les divers besoins des usagers.

Un des principes des politiques temporelles, c'est donc d'agir de manière transversale et concertée de manière à « faire remonter » dans l'ordre des priorités la question des rythmes de vie et de leurs évolutions.

I. Une nouvelle prise en compte de la gestion des temps de la ville

La nécessité de mieux prendre en compte les temporalités des usagers dans l'organisation des services collectifs a conduit la Ville de Paris à mettre en place un service spécifique afin d'étudier, de préconiser et de participer à des actions en la matière.

La création d'un Bureau des temps était prévue dans le contrat de mandature de 2001 et a été effective en 2002.

Cet engagement s'inspire des travaux universitaires sur les temporalités, ainsi que du modèle italien des bureaux des temps et de leurs premiers homologues français. Il est aussi à relier aux lois sur les 35 heures et aux programmes européens Eurexter et Equal du Fonds Social Européen.

Le rapport d'Edmond Hervé de juin 2001 a par la suite également eu une influence importante dans la définition du rôle et la mise en place d'une structure dédiée.

Le Maire de Paris, Bertrand Delanoë, a décidé de confier à Anne Hidalgo, sa Première Adjointe, la délégation de l'égalité Femmes/Hommes et du Bureau des Temps, dont elle sera chargée jusqu'en 2008 (avant d'avoir la responsabilité de l'urbanisme dans la deuxième mandature).

Camille Montacié sera ensuite désignée Adjointe Chargée des Marchés, du Bureau des Temps et de l'accueil des usagers de 2008 à 2009 ; puis Mao Peninou, Adjoint au Maire, sera chargé de la qualité des services publics municipaux, de l'accueil des usagers et du Bureau des temps de 2009 à 2013.

Cette délégation a été confiée depuis le 11 février 2013 à Philippe Ducloux.

Administrativement, le Bureau des Temps a été d'abord rattaché au Secrétariat Général, position transversale marquant la priorité accordée aux nouvelles actions à mettre en place et permettant de travailler en lien étroit avec (es directions municipales concernées.

Plus qu'un service, cette structure a le rôle d'une mission disposant d'une certaine souplesse de fonctionnement lui permettant de s'adapter aux demandes et de constituer un outil d'aide à la décision. Elle travaille en lien avec l'Observatoire de l'Égalité Femmes/Hommes, autre mission contribuant à prendre en compte l'évolution des modes de vie à Paris.

Depuis 2010, le Bureau des Temps est rattaché à la Direction des Usagers, des Citoyens et des Territoires (DUCT). Il a été fusionné en décembre 2011 avec la Délégation Générale à la Modernisation de la Ville de Paris pour former le Pôle Usagers, Qualité et Temps, dans une logique de complémentarité et afin de pouvoir mener de nouvelles actions.

II. Les thèmes dominants de la politique temporelle à Paris

Celle-ci a deux grands objectifs généraux :

• mieux prendre en compte les rythmes des usagers et des salariés dans l'organisation des services collectifs ;

• réduire les inégalités face au temps, notamment entre les femmes et les hommes sans pour autant encourager l'ouverture d'une ville 24h/24. L'idée est en effet de respecter les rythmes physiologiques et sociaux sur lesquels se fonde le vivre ensemble.

Pour mener à bien ces objectifs, le Bureau des Temps pilote des études (une trentaine réalisées depuis 2002) sur l'offre de service et les besoins des usagers, recueille les avis des partenaires concernés, puis préconise des solutions dont la concrétisation s'effectue en lien avec les élus, les mairies d'arrondissement et les services municipaux.

Son travail ne se limite pas à la question des horaires d'ouverture, mais porte également sur la facilitation de l'accès aux services afin de limiter les temps d'attente ou de déplacement, sur l'articulation entre la vie professionnelle et la vie personnelle ou sur la conciliation des usages dans l'espace public en fonction des rythmes de chacun.

Les actions réalisées ou accompagnées peuvent donc se décliner suivant les cinq grands enjeux de la maîtrise du temps définis dans le rapport d'Edmond Hervé de juin 2001, et rejoignent les suggestions de chantiers mentionnées dans celui-ci :

- L'équilibre entre temps de travail et temps hors travail ;

- L'égalité entre les femmes et les hommes ;

- La concordance des temps, à laquelle les horaires des services publics, et plus largement l'accessibilité, ou les usages de la nuit peuvent contribuer ;

- L'égalité des personnes, en aidant les usagers dans leurs démarches auprès des services publics ;

- La création de temps communs dans la ville , au bénéfice de tous les usagers, qu'il s'agisse des enfants, des étudiants, des salariés, des personnes âgées, etc., ce à travers la prise en compte des différents rythmes de vie et activités dans les quartiers, en particulier à l'occasion des opérations d'aménagement urbain.

III. Les principales actions développées

1) L'équilibre entre temps de travail et temps hors travail, et la prise en compte des rythmes de vie :

Le groupe de travail sur « l'Articulation des temps dans les métiers de la propreté » constitué avec des employeurs publics (dont la Mairie de Paris) et privés, ainsi qu'avec les organismes professionnels du secteur et des partenaires sociaux, a permis de financer des diagnostics et d'expérimenter avec succès des actions innovantes de nettoyage en journée dans les locaux municipaux, soit une dizaine de sites, parmi lesquels des lieux emblématiques comme les bureaux des élus et des cabinets situés place de l'Hôtel de Ville, des mairies d'arrondissement ou le centre administratif Morland (32 000 m2).

L'objectif est une meilleure articulation des temps de vie professionnelle et personnelle des agents de ménage qui sont en majorité des femmes contraintes à des temps fragmentés tôt le matin et tard le soir.

La Ville soutient des associations qui ont innové dans le domaine de l'offre périscolaire ou extrascolaire :

- Élargissement de l'offre périscolaire : soutien à l'association Môm'artre, qui propose, un accueil des enfants jusqu'à 20 heures et gère aujourd'hui 5 antennes à Paris.

- Soutien à l'association Cafézoïde qui anime un lieu de proximité (bar sans alcool, espace de jeux, de création et d'échange entre les enfants et les familles) ouvert du mercredi au dimanche inclus de 10 heures à 18 heures toute l'année à tous les enfants de moins de 16 ans sans exclusion...

- Plus globalement, avec la mise en place à la rentrée 2013 de l'aménagement des rythmes éducatifs, la Ville de Paris a d'une part très fortement accru son offre périscolaire et donc permis une meilleure prise en charge des enfants, et notamment de ceux issus de familles défavorisées, et d'autre part mieux pris en compte les temps de l'enfant.

2) L'égalité entre les femmes et les hommes

Trois grandes orientations ont été données par la Ville de Paris à l'Observatoire de l'Égalité Femmes/Hommes, mis en place en 2002, dont la délégation a été confiée à Anne Hidalgo et depuis 2008 à Fatima Lalem :

• Amplifier la lutte contre toutes les violences faites aux femmes et défendre leurs droits.

• Promouvoir l'égalité professionnelle pour les agents de la ville et pour la société parisienne, en particulier en luttant contre le chômage des femmes.

• Renforcer en direction des jeunes, la diffusion des valeurs nées du combat pour l'égalité, et développer des partenariats avec des villes et des pays qui partagent cette volonté.

Parmi les principales actions on peut citer:

• la prévention des violences à rencontre des femmes , notamment à travers l'hébergement, l'aide associative et les dispositions du. contrat parisien de sécurité.

• l'égalité professionnelle entre les femmes et les hommes par le plan d'égalité professionnelle de la Ville de Paris.

• la lutte contre la prostitution par différentes actions d'information et de médiation.

• l'éducation à l'égalité filles/garçons par des actions de sensibilisation.

On peut tout particulièrement souligner le volontarisme de Bertrand Delanoë sur la parité, illustré par ce geste très fort, consistant à ce qu'il y ait parité entre femmes et hommes pour les postes d'Adjoints au Maire et pour les postes de Directeurs d'administration centrale.

3) La concordance des temps

a) L'accessibilité des services publics

- l'Aménagement des horaires d'ouverture des équipements de proximités

À la suite des études menées par le Bureau des Temps ont pu notamment être réalisés en lien avec les directions concernées :

• la mise en oeuvre d'une plus grande souplesse dans les temps d'accueil des enfants dans les crèches municipales et d'une adaptation des horaires selon les établissements y compris dans les crèches associatives subventionnées dont beaucoup proposent des horaires décalés ou élargis ;

• l'augmentation des horaires d'ouverture au public individuel des piscines en réorganisant les créneaux réservés aux clubs, et création de nocturnes ;

• l'élargissement de l'offre en faveur des adolescents : actions sportives auprès des jeunes dans des créneaux horaires en soirée et le week-end, ouverture des équipements sportifs l'été... ;

• de nouveaux horaires dans. les parcs et jardins depuis le 1 er mai 2007, plus lisibles et prenant en compte l'horaire moyen de coucher du soleil, pour offrir aux parisiens une plage d'accès élargie à la belle saison ;

• l'harmonisation des horaires des bibliothèques et l'ouverture le dimanche des médiathèques Marguerite Duras, Marguerite Yourcenar et de la bibliothèque François Truffaut, complétant ainsi le service proposé par les bibliothèques dépendant de l'État ouvertes le dimanche (BNF et BPI). Quelques bibliothèques sont ouvertes jusqu'à 20h et trois d'entre elles proposent une ouverture en nocturne jusqu'à 22h le jeudi (Mouffetard 5 ème arrondissement, Faidherbe 11 ème arrondissement, Rostand 17 ème arrondissement).

• la création de nocturnes pour les expos temporaires au Musée du Petit Palais et au Musée d'Art Moderne.

On assiste aussi au développement des mariages le samedi après-midi dans certains arrondissements, au moins de manière saisonnière. En 2001, cette possibilité n'existait dans aucun arrondissement parisien ; aujourd'hui, 9 arrondissements organisent des mariages le samedi après-midi.

Il est à souligner que ces aménagements d'horaires ont été accompagnés d'un effort de lisibilité et d'information, en particulier par les outils numériques (dont Paris.fr).

Les horaires, comme d'ailleurs d'autres éléments permettant une meilleure accessibilité au service public et une meilleure adaptation aux paramètres locaux, peuvent être modulés puisque, de par la loi PML, il existe des commissions mixtes paritaires qui définissent au niveau de l'arrondissement les conditions générales d'admission et d'utilisation des équipements de proximité.

De même, dans le cadre de l'action de la Ville pour plus de proximité, les maires d'arrondissement peuvent intervenir pour l'adaptation locale de politiques municipales. Ainsi, il existe un co-pilotage entre la mairie centrale et la mairie locale de la politique de propreté, permettant de traiter notamment la question des horaires de collecte.

- Le développement des autres facteurs d'accessibilité

L'accessibilité c'est d'abord de pouvoir avoir accès à plus de services publics :

Le développement de l'offre de service, avec l'ouverture d'un nombre considérable d'équipements de proximité de toutes sortes (crèches, conservatoires, équipements sportifs, etc.), grâce à un effort considérable d'investissement est un facteur important d'accessibilité.

Le-développement de l'accessibilité a aussi reposé depuis 2001 sur le développement des téléservices :

Grâce à internet, .avec la possibilité de démarches sans se déplacer et 24h sur 24, 7 jours sur 7, la proximité n'est plus, bien souvent, pour accomplir des formalités ; « ma mairie », c'est « mon micro », et de plus en plus ce sera « mon portable », avec le développement des usages mobiles.

Ainsi, à Paris, d'ores et déjà, chaque année, 1 million d'actes d'état civil - sur 3 millions - sont demandés par internet.

Près de 40 % des demandes d'inscription sur les listes électorales, 30% des demandes de cartes de stationnement résidentiel, sont aujourd'hui effectuées à Paris par internet.

Le développement de l'accessibilité, c'est aussi la possibilité d'accomplir une formalité dans n'importe quel arrondissement.

La Ville de Paris s'attache, chaque fois que les textes le permettent à « désectoriser» la réalisation des formalités, c'est-à-dire à faire en sorte qu'elles puissent s'effectuer dans n'importe quelle mairie d'arrondissement, et non pas seulement l'arrondissement de résidence, ou de naissance.

Ainsi, depuis 2007 on peut demander un acte de naissance, si on est né à Paris auprès de n'importe quelle mairie d'arrondissement ; de même pour les demandes de logement. La mairie de proximité n'est donc plus forcément la mairie de résidence ; ce peut être notamment celle qui est près du lieu de travail de l'usager.

Une meilleure accessibilité, c'est aussi, et en dehors même des téléservices, s'attacher à faciliter l'accomplissement des formalités, plus que l'obligation de se présenter physiquement « au guichet », ou au moins pour réduire le nombre de fois où l'usager doit se déplacer.

L'exemple des bibliothèques peut résumer ces différentes orientations :

• les horaires ont été élargis et harmonisés ;

• la mise en place d'un téléservice permet de connaître la disponibilité d'un ouvrage et de le réserver là où il est disponible et pas seulement dans la bibliothèque où l'on est inscrit ;

• des « boites à livres » permettent, dans une majorité de bibliothèques, de rendre des ouvrages en dehors des heures d'ouverture ;

• le portage de livres à domicile est proposé aux personnes âgées ou à mobilité réduite.

Une meilleure accessibilité c'est également fournir un service de qualité aux usagers. A cet égard, la Ville de Paris a engagé depuis 2008 une politique ambitieuse de démarche qualité, avec la mise en place de référentiels de qualité de service, comportant des engagements vis-à-vis des usagers, dont le respect est contrôlé périodiquement par un organisme extérieur, l'AFNUR, qui attribue après contrôle le label qualité « Qualiparis ». Au 31 décembre 2013, 554 sites étaient labellisés Qualiparis, correspondant à 12 secteurs d'activité aussi différents que les mairies d'arrondissement, les piscines, les bibliothèques, les maisons des associations, les parcs et jardins, ou la MDPH.

Une meilleure accessibilité c'est enfin, même si on est là aux marges des politiques temporelles, un service gratuit ou peu onéreux et adapté aux capacités contributives des uns et des autres ; ainsi, la Ville de Paris a mis en place en 2001 la gratuité de l'accès aux expositions permanentes des musées -étant rappelé que l'inscription en bibliothèque est gratuite - et a progressivement mis en place pour les activités à la saison (périscolaire, cantine, conservatoires, centres d'animation, etc.) des tarifs reposant sur le quotient familial, qui prend donc en compte la composition et les ressources des familles, avec des tarifs très faibles pour les personnes à ressources modestes.

b) La facilitation des mobilités

Cette problématique est particulièrement cruciale dans la Ville-capitale, qui, outre les mouvements intra-parisiens, draine quotidiennement, que ce soit pour le travail, pour les loisirs, ou la découverte, des volumes considérables de personnes, franciliens, provinciaux ou étrangers.

Le développement des transports en commun, la construction du tramway sur les boulevards extérieurs, la mise en place de nouvelles formes de déplacements (Vélib, Autolib') mis en place par la Ville de Paris, mais qui ont été étendus très vite à des communes de banlieue concourent à faciliter les mobilités, en augmentant l'offre, en la diversifiant, et en l'adaptant donc à des types d'usages et des profils d'utilisateurs de plus en plus variés.

c) La prise en compte de la problématique de la nuit

Le temps de la nuit, et la conciliation des usages pendant cette période, fait l'objet d'une série d'actions spécifiques.

La nuit est en effet un temps particulier de la ville où se révèlent l'évolution des rythmes de vie et la diversité des usages. Les pratiques et les attentes par rapport à ce temps ont profondément évolué depuis quelques années.

Ces changements concernent notamment la vie festive, mais aussi un ensemble d'activités : le travail de nuit, les transports, l'organisation des services publics et privés, etc.

Dès 2002, le temps de la nuit à Paris avait déjà fait l'objet d'une initiative phare de la municipalité, avec l'organisation de la « Nuit Blanche ». Rendre l'art accessible à tous, mettre en valeur l'espace urbain par la création moderne, créer un moment de convivialité : tels sont les enjeux fixés pour cette manifestation annuelle.

De même, un certain nombre d'initiatives avaient été prises, notamment pour faciliter les mobilités la nuit.

Ainsi, la RATP a mis en service le Noctilien , nouveau réseau régional de bus la nuit, en septembre 2005.De même, les horaires du métro avaient été prolongés jusqu'à 2h00 le week-end en 2006-2007.

Il manquait toutefois une approche globale des questions relatives à la nuit, à travers ses trois principaux usages : le repos, le divertissement mais aussi le travail.

C'est pourquoi, le Maire a décidé l'organisation des États Généraux de la Nuit qui ont réuni, pendant 2 jours, en novembre 2010 à l'Hôtel de Ville des élus de la Mairie de Paris, des représentants des institutions concernées (Région, Préfecture, Ministères..), d'organismes publics, d'entreprises, d'associations, et des métiers de la nuit, ainsi que différents experts.

Ces États Généraux de la Nuit ont ainsi permis d'adopter un véritable programme d'action pour les questions relatives à la nuit, de mettre en place, depuis 2011, un dispositif de suivi afin de veiller au bon avancement des décisions et orientations définies lors de ces États Généraux, et de créer une instance d'échange et de dialogue, notamment entre les représentants des riverains et des professionnels de la nuit, dans le but d'améliorer le « vivre ensemble ».

Plusieurs actions ont été initiées à la suite des États Généraux de la Nuit. Ainsi :

• un dispositif de médiation de rue la nuit dans les quartiers à forte activité festive, dit « Les Pierrots de la Nuit », organisé par l'AMUON (Association de Médiation pour un Usage Optimal de la Nuit) a été expérimenté en 2011 puis étendu en 2012.

• des commissions de médiation ont été mises en place dans chaque arrondissement particulièrement concerné par la conciliation des usages.

• des campagnes de mesures du bruit, pour objectiver la question des nuisances sonores ont été menées par l'association BruitParis, et une étude sur les usages des espaces publics la nuit, a été effectuée en 2012.

• certains centres d'animation ont prolongé leurs horaires d'ouverture en soirée.

• des espaces « Chill out » ont été mis en place pour la prévention des risques.

• le renforcement du Noctilien et, pour le week-end, du dispositif Paris Aide à la Mobilité (PAM) à destination des handicapés.

• la Ville de Paris aide également l'association « Nuit vive », organisatrice des « Nuits capitales ».

Plus globalement, la Ville s'attache à intégrer beaucoup plus fortement les problématiques de la nuit dans ses actions. Ainsi, pour imaginer ce que devraient être les fonctionnalités et les caractéristiques attendues de ses futurs abri-voyageurs, la Ville a-t-elle en 2013 travaillé avec des usagers sur leurs attentes relatives aux abri-voyageurs pour les périodes de nuit.

4) L'égalité des personnes

• Ouverture de 5 PIMMS (Points d'Information et de Médiation Multiservices), afin de faciliter les démarches administratives et d'éviter les temps d'attente et de déplacement des usagers et donc de permettre plus d'égalité entre les usagers. Il s'agit d'un dispositif partenarial mis en place avec d'autres services publics (la Préfecture, EDF, La Poste, SNCF, etc.) et qui permet de prendre en compte la globalité de la situation des usagers. Concrètement, ceux-ci peuvent obtenir de l'aide pour constituer un dossier, remplir un formulaire, écrire un courrier, prendre contact avec un interlocuteur ou obtenir une médiation sur des différends simples, et ce auprès de différents administrations et services publics. Les usagers peuvent y avoir accès à des ordinateurs afin d'effectuer leurs démarches en ligne et être conseillés en la matière.

Les PIMMS parisiens ont connu depuis leur ouverture une forte progression de leur fréquentation, qui est passée de 24 120 usagers reçus en 2008 (première année de fonctionnement des 5 PIMMS en année pleine), à 41 846 en 2013, soit une augmentation de 73,49 %, ce qui montre qu'ils répondent à un réel besoin des usagers, en complément d'autres actions comme le déploiement des démarches à distance ou les dispositifs numériques.

D'autres actions sont menées par la Ville de Paris ou avec son appui, afin de faciliter l'accès pour les usagers, et notamment ceux qui sont les plus fragiles ou en difficultés, à l'information et au service public.

Ainsi des permanences juridiques gratuites, sous des formes diverses (consultations d'avocats, points d'Accès au Droit, Relais d'accès au Droit, Maisons de la Justice et du Droit) existent dans tous les arrondissements, complétées dans certains cas par la présence d'écrivains publics.

La Médiatrice de la Ville de Paris a développé également sa présence dans les arrondissements avec un réseau de correspondants (tout en mettant en place un téléservice qui permet de la saisir par internet, preuve que les nouvelles technologies peuvent se développer en parallèle d'un service en « face à face », l'usager ayant le choix du mode de contact qu'il souhaite utiliser).

Enfin, les mairies d'arrondissements, ont développé le concept de « guichet unique » pour certaines problématiques (mise en place de Relais Information famille - RIF -, de Relais information Logement et Habitat - RiLH -, voire même dans le 11 e arrondissement, de Relais Information Culture-RIC-) qui permet de donner aux usagers une information très large, y compris en s'appuyant sur des partenaires institutionnels ou associatifs.

5) La création de temps communs dans la ville

• Suite à l'interdiction de fumer au 1 er janvier 2008 dans les lieux à usage collectif, une campagne de sensibilisation des fumeurs aux nuisances sur l'espace public a été mise en place, en concertation avec les syndicats des établissements de sortie nocturne et des représentants de la Préfecture. Des cartes postales et des cendriers de poche ont été distribués, ainsi que des affichettes placardées dans 1150 lieux ouverts le soir et la nuit.

• Création et diffusion d'un guide d'élaboration de chartes locales, comme outil de réduction des conflits d'usage locaux jour et nuit sur l'espace public

• Prise en compte des rythmes et de la conciliation des usages dans les quartiers politiques de la Ville et dans certains quartiers stratégiques de Paris, comme Paris Rive Gauche. Le chantier Eco-citoyen Paris Rive Gauche , mené en lien avec la Mairie du 13e, des associations et différents autres partenaires publics et privés a permis de faire émerger plusieurs projets autour de la qualité de vie, des temporalités et de l'animation du quartier.

Ces réalisations reflètent la diversité des champs d'action du Bureau des Temps, qui touchent à de multiples aspects liés aux rythmes de vie.

IV. Les difficultés et les perspectives

1) les difficultés

Comme toute politique innovante, les politiques temporelles sont complexes à mettre en oeuvre et rencontrent un certain nombre d'obstacles et de difficultés, notamment :

• le grand nombre des acteurs : la prise en compte de l'évolution des modes de vie nécessite de mettre en lien, de convaincre et de travailler avec un nombre conséquent de partenaires soit internes à la Ville de Paris (directions, équipements de proximité), soit externes (autres services publics, associations, entreprises...)

La Ville n'est en effet pas toujours la seule décisionnaire. (par exemple dans le cas des transports et de la mobilité où la Préfecture de Police, le STIF ou les opérateurs ont des compétences importantes).

Par rapport à d'autres villes, les difficultés sont accrues du fait de la dimension démographique et économique de la capitale, mais aussi du fait de la forte présence d'organismes importants ou de sièges de grandes sociétés.

• L'obligation d'effectuer un travail étape par étape, dont les résultats ne sont pas toujours visibles immédiatement : diagnostic, recueil des avis, propositions, mise en oeuvre - souvent progressive ou expérimentale -, évaluation, adaptations éventuelles.

• La nécessité de concilier des besoins et des intérêts parfois contradictoires : par exemple l'extension des horaires des crèches pour répondre aux demandes des parents doit prendre en compte les rythmes de vie des auxiliaires de puériculture qui sont souvent aussi des mères de jeunes enfants et qui ont pour beaucoup d'entre elles de longs temps de trajet domicile-travail. En effet, les auxiliaires de puériculture sont presque toutes des femmes et la très grande majorité d'entre elles ne résident pas à Paris intra-muros, malgré l'effort tout particulier fait par la Ville en faveur du logement de ses agents.

• Le coût de certaines actions : études confiées à des cabinets extérieurs, extensions d'horaires qui peuvent impliquer la création de postes ou le versement d'heures supplémentaires, soutien à des actions associatives avec des subventions, parfois importantes, etc...dans un contexte budgétaire de plus en plus contraint.

2) les perspectives

Les questions en matière de politique temporelle restent nombreuses : temps de transport, ouverture des commerces, extension des horaires d'ouverture et plus largement meilleure accessibilité pour les services publics notamment.

Il conviendra notamment :

• de mieux intégrer les temporalités dans les différentes politiques publiques :

Ainsi des champs d'action nouveaux sont à développer, comme celui de l'urbanisme temporel, qui consiste à mieux prendre en compte les rythmes de vie dans les aménagements urbains, notamment en rapprochant les zones d'habitation des lieux de travail et d'activités ou en prévoyant plusieurs usages dans le même espace, soit simultanés (mutualisation) soit successifs dans le temps (mutabilité).

D'ores et déjà, les réalisations récentes (place de la République par exemple) et les projets d'espace public intègrent, les principes d'un urbanisme plus soucieux des temps de la ville. On peut aussi envisager de prévoir dans les cahiers des charges des concepteurs et des aménageurs que le diagnostic et le projet prennent explicitement en compte le temps de la nuit sur le principe de la conciliation des usages.

Cela peut concerner par exemple les jardins publics dont l'ouverture nocturne n'est possible que si leur configuration et leurs équipements ont été conçus de manière adaptée.

• d'encourager et d'accompagner les changements liés au développement des nouvelles technologies et de e-administration, dont les impacts sont majeurs :

A titre d'exemple, si le projet COMEDEC d'échanges dématérialisés de données d'état civil entre administrations se met en place conformément aux prévisions de l'État, on peut estimer qu'en 2020, ce seront, à Paris, plusieurs centaines de milliers de personnes de moins qui annuellement se déplaceront en mairie pour demander un acte d'état civil.

• d'avoir des approches plus différenciées en fonction des territoires et des populations qui y vivent. Ainsi, la Ville de Paris a jusque-là eu pour objectifs d'élargir les horaires d'ouverture de ses services publics mais aussi de les harmoniser pour faciliter l'information sur les horaires et pour homogénéiser l'offre de service public sur tout le territoire parisien.

Pour autant, les études qualitatives menées ces dernières années ont fait apparaître des attentes très différentes selon les quartiers et leur sociologie qui peuvent conduire, à l'avenir, et grâce au développement notamment des usagers mobiles qui facilite l'accès en temps réel à une information personnalisée, à pratiquer des différenciations sur les horaires d'ouverture.

A titre d'exemple, la pertinence d'une « nocturne » tous les jeudis, dans chaque mairie d'arrondissement, jusqu'à 19h30 mérite d'être réinterrogée à la lumière de l'expérience, qui montre que, selon les arrondissements, cette nocturne soit a « rencontré son public », soit reste peu utilisée par les usagers.

La problématique des horaires d'ouverture, d'autant plus dans des contextes budgétaires contraints, va sans doute, de plus en plus s'orienter vers « mieux d'horaires », que vers « plus d'horaires ».

• de prendre pleinement en compte la dimension métropolitaine, qui offrira la possibilité de développer de nouvelles actions avec les territoires voisins et d'agir sur des problématiques déterminantes en matière de temporalités, telles que le logement ou les transports, et qui ne peuvent trouver de réponse pleinement satisfaisante qu'à l'échelle métropolitaine.

Enfin, il est indispensable de s'appuyer sur des réseaux inter-collectivités comme Tempo territorial , qui rassemble les Bureaux des Temps de plusieurs villes et collectivités territoriales françaises et constitue un dispositif unique d'échange d'expériences et d'évaluation des politiques temporelles .

Le réseau européen des politiques temporelles qui est également en cours de constitution constituera un outil d'appui et de référence supplémentaire.

Il ne fait guère de doute que les évolutions de notre société, notamment des modes et des rythmes de vie, vont se poursuivre, voire s'accélérer, et que notre responsabilité collective sera d'imaginer et de proposer des réponses aussi adaptées que possible aux nouveaux besoins : c'est là la mission des politiques temporelles.

L'acuité des débats autour de ces sujets (horaires d'ouverture des magasins ou des services publics notamment) montre si besoin était, toute l'importance et toute l'actualité des problématiques temporelles 81 ( * ) .

16. Audition de Catherine Coutelle, le mercredi 9 avril 2014

Audition de Catherine Coutelle, ancienne adjointe en charge des politiques temporelles à Poitiers, Présidente de la Délégation à l'Assemblée nationale aux Droits des femmes et à l'Égalité des chances entre les femmes et les hommes.

Catherine Coutelle a été amenée à s'intéresser aux politiques temporelles par deux biais. À partir de 1994, Jacques Santrot, alors maire de Poitiers, a souhaité créer un service de prospective. Dans ce cadre, le responsable du service, Dominique Royoux, aujourd'hui président de l'association Tempo territorial a rencontré des chercheurs à Bruxelles s'intéressant à la question du temps et qui souhaitaient prendre l'attache de collectivités territoriales en France prêtes à mettre en place des expérimentations en matière temporelle.

Par ailleurs, Catherine Coutelle était en charge des transports, domaine où la question du temps est très importante. Elle a fait le constat, notamment dans le cadre de l'association « femmes en mouvement », que 2/3 des usagers des transports publics urbains étaient des femmes à France. Or, leurs attentes en matière de transport ne sont pas les mêmes que celles de hommes. Alors que ces derniers attachent une importance particulière à la modernité des transports, les femmes considèrent que la régularité des horaires est prioritaire.

La deuxième étape a consisté en l'organisation d'un séminaire à Poitiers pour présenter les politiques temporelles, qui s'est notamment conclu par la création d'un poste dédié aux politiques temporelles à Poitiers.

Lors de la campagne des municipales de 2001, Catherine Coutelle a organisé des réunions sur le thème « temps des villes et temps de femmes » qui ont connu un certain succès, avec une présence significative de personnes qu'on ne voyait pas dans les réunions électorales habituelles.

A la même époque, un colloque avait été organisé en Poitou-Charentes où une enquête réalisée auprès de 800 femmes de Poitou-Charentes sur leurs attentes en matière de temps a été présentée. Claude Bartolone, alors ministre de la Ville, était présent. Son idée était de rendre obligatoire par la loi la mise en place de politiques temporelles. Toutefois, Catherine Coutelle y est opposée, car les politiques temporelles ne fonctionnent bien que si les élus sont volontaires et convaincus.

En effet la mise en place des politiques temporelles nécessite un portage politique, mais pas forcément un service pléthorique. On n'a pas encore trouvé le bon terme pour parler des politiques temporelles. La notion de « bureau des temps » est trop administrative, « agence du temps » évoque la météo. Dès lors, on se retrouve confrontés au fait qu'il faut commencer par expliquer le mot avant de pouvoir parler des actions concrètement menées.

L'apport des politiques temporelles, c'est un changement de vision de la ville et du territoire, qui place le citoyen, le parent d'élève, l'usager des transports en commun, le salarié au coeur des choix. On passe ainsi d'une logique d'offre à une logique de réponse à la demande.

Poitiers faisait partie des territoires expérimentaux, tout comme le département de la Gironde, le Territoire de Belfort, Saint-Denis et Pantin.

En tant que députée, Mme Coutelle a écrit en 2007 à la totalité des parlementaires maires afin de leur présenter la politique des temps. Elle a reçu peu de réponses. Elle a organisé une deuxième réunion avec des élus locaux qui a rencontré un peu plus de succès. Pour autant, les politiques temporelles ne sont pas étrangères aux textes débattus. Ainsi, lors que l'on parle d'égalité entre les hommes et les femmes, de garde des enfants, ou encore de la réforme des rythmes scolaires, les politiques temporelles sont directement concernées.

À titre d'exemple, la réforme des rythmes scolaires impacte les parents, mais également les transports en commun. Or l'Éducation nationale ne s'en préoccupe pas. D'ailleurs, la ville de Poitiers avait mis en place dès le début un comité de coordination temporelle, auquel l'Éducation nationale n'a pas participé. De même, lorsque des horaires scolaires étaient modifiés, l'Éducation nationale estimait que les problèmes que pouvaient rencontrer les parents ou les collectivités ne relevaient pas de sa compétence.

Toutes les politiques publiques sont concernées par cette approche temporelle, en premier lieu les transports. En Poitou-Charentes, on a essayé de développer la mobilité. En effet, l'usager ne sait pas à qui et où s'adresser à sa descente du train pour prendre le bus par exemple. Il faut désormais pouvoir penser le voyage d'un bout à l'autre de la chaîne.

Un enjeu concerne l'urbanisme. Il faut envisager des solutions pour que l'aménagement de la ville soit pensé en termes d'espace, mais aussi en termes de temps. Une ville ne vit pas de la même manière en fonction de l'heure de la journée, ni des jours de l'année. Cette notion de temps a été intégrée à deux appels d'offres, le premier concernant le centre-ville et le deuxième un quartier de Poitiers. Une formation sur cet urbanisme temporel doit être délivrée dans les écoles d'urbanisme et d'architecture. La flexibilité et la modularité d'un espace doivent être intégrées. Des « marches de nuit », sur le modèle canadien, organisées par la ville de Poitiers ont aussi permis de mettre en évidence quels étaient les lieux répulsifs ou attractifs, et pourquoi.

L'une des difficultés des politiques temporelles est qu'il s'agit d'une politique « de dentelle », avec souvent une visibilité politique moindre que d'autres actions. En outre, elles exigent du temps pour se mettre en place car elles impliquent des négociations. Ainsi, l'ouverture de la mairie centrale entre midi et 2 heures a nécessité six mois de négociation. C'est à l'élu et aux services de lever les obstacles. C'est notamment la démarche qui a été entreprise dans la mise en place du guichet unique des services aux parents pour la rentrée scolaire.

Catherine Coutelle est très réticente vis-à-vis du télétravail. Certes, cela peut représenter une amélioration des conditions de vie pour les cadres supérieurs, mais cela peut aussi conduire à une profonde remise en cause de la distinction entre sphère professionnelle et sphère privée. En outre, le travail crée un lien social. Ainsi, en Ardèche où une expérience de télétravail a été menée, les employés ont demandé à être regroupés dans un même lieu pour conserver ce lien social. Toutefois, le télétravail peut aussi apporter plus de souplesse, après un congé maternité par exemple.

Une réflexion a également été menée à Poitiers sur le thème de l'intergénérationnel, se traduisant par exemple par la mise en place sur un même site d'une crèche et d'une maison de retraite par exemple.

On constate également une demande accrue des commerces pour ouvrir plus tard le soir ou le dimanche. Une réflexion de fond doit avoir lieu : doit-on continuer à y opposer un refus ? Au contraire, faut-il l'accepter ? Quelles sont alors les conséquences pour les salariés, et de manière plus large pour toute la société, qui devra alors accepter plus de flexibilité ? Catherine Coutelle a aussi souligné la situation particulière des caissières de supermarchés, qui sont à temps partiel mais doivent être disponibles tout le temps pour répondre à un éventuel besoin d'ouverture temporaire d'une caisse supplémentaire. Le temps des uns ne doit pas dégrader le temps des autres.

Enfin, les politiques temporelles doivent s'intéresser au périurbain. En effet, l'offre de services et de culture est très faible, voire inexistante en journée. À Poitiers, la réorganisation de la ville a fait émerger un sentiment d'exclusion pour les périurbains. Catherine Coutelle attire l'attention sur les dangers de fracture entre rural/urbain ou périurbain/urbain qui pourraient naître de la création de péages urbains.

L'idée de gestion du temps commence à émerger. En effet, de nombreux textes de loi sur le travail introduisent la question de l'articulation vie personnelle/vie professionnelle. En outre, l'observatoire de la parentalité dans les entreprises vient d'intégrer sur son site internet une rubrique « rythme de vie ». Enfin, on voit mal comment pourraient être promues les politiques temporelles. En effet, si la loi n'est pas le bon instrument, se fonder sur la seule bonne volonté n'est pas suffisant.

17. Audition de Myriam Cau et de Benoit Guinamard - Conseil régional du Nord-Pas-de-Calais, le mercredi 9 avril 2014

Audition de Myriam Cau, Vice-Présidente du conseil régional du Nord-Pas-de-Calais en charge de développement durable et de la démocratie participative, et de Benoit Guinamard, de la direction du développement durable, de la prospective et de l'évaluation du conseil régional du Nord-Pas-de-Calais.

La réflexion sur les politiques temporelles, initiée en 2008 lors du mandat précédent du conseil régional, a été animée par le service de prospective de la Direction du Développement Durable, de la prospective et de l'Evaluation. Cette direction traite notamment de projets et actions nécessitant une vision et une approche transversales aux compétences de la Région.

La question du temps est un enjeu pour l'aménagement et l'équilibre du territoire. Ainsi, le SRADDT (Schéma Régional d'Aménagement et de Développement du Territoire), dont l'élaboration a mis en exergue l'intérêt de la question, concerne l'aménagement de l'espace mais aussi ce que l'on pourrait appeler l'aménagement sociétal, c'est-à-dire l'ensemble des dynamiques humaines.

La démarche de la Région Nord-Pas-de-Calais s'écarte des politiques temporelles mises en oeuvre par les autres collectivités. En effet, alors que pour les communes, il est principalement question d'amélioration des conditions de vie, la région met l'accent sur l'aménagement du territoire. On est moins dans une politique régionale classique que dans une forme de recherche d'actions en collaboration avec les territoires. Les politiques temporelles ont un impact direct sur les questions de développement durable, car elles ont des conséquences tant sur l'environnement, que sur la société et l'économie. Le temps a été imposé aux populations par le fait urbain. Le temps est ainsi la résultante de choix qui échappent à la population et aux débats. Nous sommes traditionnellement dans une logique d'offre et non de demande.

Les politiques temporelles sont importantes, car elles permettent de faire un pas de côté pour aborder les compétences traditionnelles de la Région sous un nouvel angle, tout en introduisant des actions innovantes.

Un des exemples de prise en compte des politiques temporelles en matière d'aménagement concerne l'engorgement des autoroutes à l'approche de Lille. Le phénomène s'est profondément accentué ces dix dernières années et a un impact néfaste en matière d'écologie et de qualité de vie. Le postulat a été posé que la création d'une nouvelle route ne résoudrait pas le problème. Un partenariat Région-Lille-Métropole a été décidé pour aborder cette question. Il s'agit d'élaborer des outils et d'aboutir à un consensus, en privilégiant un aménagement des horaires des « grands attracteurs » de mobilité. Le constat est ainsi fait de la présence de grandes universités dans la métropole, de la localisation dans un petit triangle du conseil général, du conseil régional et de l'administration de la ville de Lille. Le conseil régional peut s'appuyer pour ce projet sur les partenariats qu'il a déjà avec l'université dans d'autres domaines, en matière de développement durable par exemple. La chambre de commerce et d'industrie exprime également beaucoup d'attentes vis-à-vis de cette question.

D'autre part, dans le cadre du SRADDT sera prochainement lancé un chantier collectif (Directive Régionale d'Aménagement) relatif aux mobilités, afin d'avoir un autre rapport vis-à-vis d'elles.

On constate que le réseau et les infrastructures sont calibrés pour les « temps forts ». Compte tenu des flux constatés lors de ces moments, il faudrait pratiquement une nouvelle gare à Lille. La question qui se pose est de savoir comment faire pour desserrer l'étau. En effet, en 20 ans, la situation autour de la métropole lilloise s'est extrêmement dégradée, avec une très forte augmentation des migrations habitat/travail. Et en attendant qu'à long terme on remixe les fonctions habitat/travail, il faut trouver des réponses pour le court et moyen terme.

A Lille travaillent plusieurs milliers d'agents des collectivités : le conseil régional, la communauté urbaine de Lille, le conseil général, la ville de Lille, auxquels il faut ajouter ceux des services de l'État. Cette situation devrait interpeller les administrations en termes d'innovation dans leur management, d'autant que le big-bang du numérique a changé la donne par rapport au début des années 2000. Les nouvelles possibilités en matière de mobilité, comme le télétravail, n'ont pas encore été intégrées, et des réticences internes au changement existent.

Certains outils font encore défaut. Ainsi, la direction du développement durable, de la prospective et de l'évaluation estime que la connaissance partagée, notamment en termes de statistiques régionales et de cartographies, est un champ important qui reste à compléter. Dans les années 2000, cette direction a également accueilli des étudiants de l'université Lille I afin de disposer d'une meilleure connaissance des réflexions et initiatives menées sur la problématique des temps. Elle travaille aussi étroitement avec la direction régionale de l'INSEE dans le cadre de sa démarche prospective et de celle de l'animation du SRADDT. La région participe activement à l'élaboration d'indicateurs alternatifs aux indicateurs classiques de richesse et de développement. Ces indicateurs alternatifs reflètent une forme d'intégration des éléments que le citoyen considère comme faisant partie de la richesse. Le temps comme révélateur d'inégalités pourrait faire partie de cet arsenal en s'intégrant également dans une approche du lien social, des relations humaines, du temps bénévole.

Un autre sujet important concerne le service public, notamment la mutualisation des lieux et l'amélioration des temps d'accès à un service. Dans le cadre de l'égalité par rapport aux services publics, de nouvelles formes d'instantanéité se développent.

A cet égard, les gares sont des lieux importants. Elles sont souvent bien situées mais on constate, d'une part un désengagement de la SNCF en termes d'accueil, d'autre part une diminution des achats de titres de transport sur place. On pourrait y développer des services multiples, comme des crèches par exemple.

En matière de transport, outre la quantité de temps passée, ce qui compte de plus en plus c'est la qualité de ce temps.

Un travail partenarial est mené avec les territoires dans le cadre de l'élaboration des schémas de cohérence territoriale (SCOT). En amont, il s'agit d'aider les acteurs locaux à s'approprier un certain nombre d'éléments d'articulation. Nous avons pu constater que le Pays de Saint-Omer est un cas de figure intéressant, avec un grand intérêt porté par l'agence d'urbanisme sur la question des temps dans le cadre de l'animation du SCOT. Cet intérêt s'est révélé à partir d'un focus sur la problématique des maisons de santé pluridisciplinaires : cela a conduit à se poser d'autres questions, comme celle de l'accessibilité aux soins, de l'accessibilité aux transports, du vieillissement de la population, de l'urbanisation.... La notion de temps d'attente en matière de soin fait partie de l'égalité des territoires mais aussi de l'égalité entre les personnes.

La région lancera d'ailleurs bientôt un chantier collectif dans le cadre du SRADDT, qui sera une directive régionale d'aménagement sur l'égalité des territoires.

La région préside l'établissement public foncier Nord-Pas-de-Calais (EPF), outil au service de la stratégie foncière des collectivités. Des critères de densité et de localisation des terrains ont été définis. Si la Région n'a pas compétence sur les infrastructures, elle a toutefois retenu le critère de la proximité du foncier à des pôles de desserte. Les conventions d'intervention foncière couvrent désormais pratiquement tout le Nord-Pas-de-Calais. Elles mêlent un double objectif de production de logements et de renouvellement urgent.

Il y a une proximité de pensée sur les liens entre urbanisme et transport entre le Conseil régional et Lille métropole. Cette dernière, à travers sa compétence de transport local, a développé une notion dénommée « Disques de Valorisation des Axes de Transports » (DIVAT), qui régit les opérations de densification urbaine, lesquelles doivent se faire prioritairement à proximité des stations de métro, de tramway et des gares. Cela a été intégré dans une délibération-cadre. La région, de son côté, développe depuis plusieurs années une politique de gares pôles d'échanges, dans laquelle la gare se trouve progressivement au centre d'une approche englobant urbanisme et mobilité.

On peut aussi mentionner l'un des focus de notre démarche sur les temps, qui portait sur la question des éco-quartiers. En permettant de dépasser une définition centrée sur des caractéristiques énergétiques, environnementales ou architecturales, l'introduction de la variable temps permet de remettre l'habitant au coeur de la réflexion. Elle permet ainsi de développer une autre définition plus intégrée de l'urbanisme et de faire un saut qualitatif vers la ville durable.

En conclusion, les politiques temporelles sont l'opportunité de faire ce pas de côté permettant d'avoir une vision transversale des sujets et de les repenser.

18. Audition de l'association AIDER, le mercredi 9 avril 2014

Audition de l'association AIDER, Robert Arnaud, président, et Marie Danjean, chargée de mission.

AIDER était au départ une association agricole. Elle a évolué et, à partir de 1999, est devenue une association de développement. Elle en est venue à travailler sur les thématiques temporelles suite à un intérêt de la préfecture de la Drôme pour les groupements d'employeurs, et plus particulièrement pour la promotion de l'emploi partagé. AIDER a participé à cette réflexion et a notamment travaillé pour permettre aux communes et aux acteurs publics d'intégrer un groupement d'employeurs. Un amendement a d'ailleurs été adopté sur ce sujet. En outre, elle s'est également intéressée aux moyens de maintenir l'emploi dans un territoire fortement distendu. À sa connaissance, il n'existe pas d'autres associations de ce type. AIDER se caractérise par ailleurs par l'absence de toute attache politique. Elle se voit plutôt comme un « club d'explorateurs de méthodologie en matière de politiques temporelles ». Elle dispose d'un budget de 300 000 €. AIDER s'est spécialisée dans la mise en place d'études et d'actions en réponse à des demandes de collectivités territoriales et de collectifs (habitants, entreprises...) mais a également développé ses propres projets.

Elle a ainsi travaillé sur la revitalisation des marchés locaux. Pour chacun des projets, l'association dresse un état des lieux, un diagnostic incluant la rencontre des acteurs et de la population, anime un groupe de travail, explore les rythmes. Par exemple, à Piégros-la-Clastre, le marché du jeudi matin mourrait car, au fil des années, cette commune rurale tendait à se transformer en commune dortoir. Les horaires de marché devaient correspondre à ceux d'un flux de population. Il a été déplacé entre 15 heures et 19 heures le vendredi afin de correspondre à la sortie d'école et au début du week-end. Une action a également été entreprise avec le café local qui propose désormais une petite formule spécifiquement pour le jour du marché. De manière générale, il faut comprendre pourquoi une activité dépérit à un endroit et tirer les conséquences de l'évolution des rythmes de la population locale.

A Livron, la commune était confrontée à une saturation de la cantine. Après un état des lieux, le constat a été dressé que certaines familles n'avaient pas le temps matériel, pour quelques minutes, de venir chercher leurs enfants pour les faire manger à midi, et donc préférer les laisser déjeuner à la cantine. En ajoutant un accueil périscolaire en fin de matinée, ces familles ont pu prendre en charge leurs enfants et ainsi de désaturer la cantine, sans avoir à recourir à des travaux importants. Cela a contribué au bien-être des parents et des enfants, tant ceux qui rentrent manger dans leur famille ou que de ceux qui bénéficient d'un repas de cantine plus apaisé.

D'ailleurs, une enquête a été menée auprès des entreprises du Val-de-Drôme pour savoir ce qui justifiait les horaires de début et de fin de travail. Seule une minorité a pu fournir une réponse argumentée. Les horaires de bureau ne sont la plupart du temps que l'héritage d'une tradition.

L'association agit aussi comme bureau des temps rural. Elle a travaillé sur la mise en oeuvre de l'égalité entre les hommes et les femmes. Dans ce cadre, elle a pu bénéficier d'un cofinancement de l'Union européenne pour mener à bien une étude. Elle travaille actuellement avec la DIRECCTE afin de mieux caractériser la précarité en Drôme et de sécuriser le parcours des saisonniers. En matière de tourisme par exemple, la Drôme se caractérise par des saisons très courtes. Le territoire a décidé de mettre l'accent sur la qualité pour faire face à la concurrence d'autres stations plus importantes dans les territoires alentour. Elle mène une enquête auprès des saisonniers pour connaître leur parcours et leurs besoins d'activité professionnelle ou de formation le reste de l'année. Des groupes de travail thématiques ont été mis en place avec différents partenaires de l'emploi-formation (chambres consulaires, OPCA, MSA, Pôle Emploi,...) pour mener des travaux en vue de l'émergence de solutions concrètes et co-construites : connaissance des profils des saisonniers drômois, développement de la gestion des ressources humaines dans les entreprises, améliorations des conditions d'emploi, renforcement de la portabilité des droits entre le statut de salarié agricole (relevant du régime MSA) et celui du régime général (relevant de l'URSSAF), etc.

Enfin, elle enquête dans les communes avoisinant les stations pour connaître les besoins de main d'oeuvre des opérateurs de service.

AIDER a également mis en place l'action « Cohabitons en Drôme-Ardèche », qui est une action d'hébergement partagé chez l'habitant. Elle porte directement cette action qui concerne 80 binômes. Cette dernière répond à un double besoin : trouver un logement temporaire pour un contrat court ou un stage, mais aussi permettre à des personnes plus ou moins âgées de se sentir moins seules. En effet, il s'agit souvent de grandes maisons familiales d'où les enfants sont partis. La cohabitation est gratuite, il y a simplement une participation aux charges. L'association signe sur ce thème des conventions pour la mise en place de relais de l'action : AIDER propose aux collectivités une méthodologie d'accompagnement pour la mise en place du dispositif sur leur périmètre.

Un autre thème de travail important de l'association AIDER porte sur l'organisation de la petite enfance. En effet, sur les territoires d'intervention de l'association, on est en présence d'une population qui change et qui adopte de plus en plus des modes de vie urbains. La question est de savoir comment accompagner les services à la population. En effet, s'il n'y a pas d'offres de services suffisantes, les gens repartent. Un certain nombre de communes indiquent qu'elles n'ont pas de demande pour des horaires atypiques. Or, dans les faits, il y a une forme d'autocensure par les familles, qui n'exprime pas leurs besoins. L'association AIDER a ainsi pris contact avec les relais d'assistants maternels pour avoir une meilleure connaissance des besoins des familles en matière d'horaires atypiques. Il y a une vraie question sur la méthodologie de détection de la demande. AIDER a accompagné la révision des horaires d'un réseau de microcrèches (10 places) qui sont gérées par les collectivités territoriales. Une expérience est actuellement menée avec un établissement, qui propose désormais des horaires plus étendus.

En matière de télétravail, AIDER a récemment été contactée par une structure qui fait de la mise en oeuvre technique et souhaite intégrer à sa prestation l'aspect des ressources humaines.

En conclusion, pour l'association AIDER, ce qui manque ce sont des fonds de concours nationaux qui permettraient de financer des idées novatrices. Il n'est pas nécessaire que ces fonds soient importants, mais ils doivent servir à amorcer le projet à créer un effet de levier.

19. Audition de Jean-Paul Bailly, le mercredi 30 avril 2014

Audition de Jean-Paul Bailly, auteur d'un rapport sur les exceptions au repos dominical dans les commerces, remis en décembre 2013 au Premier ministre, intitulé : « Vers une société qui s'adapte en gardant ses valeurs ».

Dans le cadre de ses travaux suite à la demande du Premier ministre, Jean-Paul Bailly a choisi de faire preuve de pragmatisme et de proposer des solutions qui permettent une évolution par étapes, tenant compte de la diversité des intérêts des différents acteurs. Ainsi, la fin de la spécificité du dimanche aurait entraîné un rejet instantané par tous du rapport, qu'il s'agisse du gouvernement, des commerçants ou des syndicats.

70 auditions ouvertes et libres ont été organisées. Toutes les organisations syndicales et patronales ont été entendues et la quasi-unanimité des syndicats s'est impliquée.

Le premier constat est qu'il y a une très forte diversité des situations et donc des approches et enjeux. On peut citer les critères suivants : selon que l'on vive en ville, en petite agglomération ou à la campagne, selon le niveau de revenus, la mobilité, la situation familiale, le métier exercé, ses propres horaires, ses pratiques religieuses et sportives.

Mais de manière générale, trois points d'accord se dégagent:

- une banalisation du dimanche n'est pas souhaitée, même par les chefs d'entreprise. Il existe une spécificité propre aux grandes agglomérations et à Paris. Ainsi malgré le décret permettant l'ouverture des magasins d'ameublement le dimanche, pas un seul n'est ouvert en province, alors qu'ils sont un tiers à Paris. Il n'existe donc pas une demande absolue, uniforme et générale d'ouverture le dimanche. Il y a la volonté de garder une journée où les gens « font société ensemble », une journée de liberté. En effet, le samedi déjà est très contraint (courses à faire, activités des enfants, ...) ;

- la situation actuelle est incohérente : la loi Maillé est en réalité une loi de circonstances qui est largement à l'origine de la situation actuelle, car il s'agit d'une loi rétroactive. En effet, elle prend comme critère la fréquentation des magasins le dimanche. Or, ou bien ces derniers ont respecté la loi et n'ont pas ouvert le dimanche : ils ne peuvent pas faire valoir l'existence d'une fréquentation ; ou bien ils peuvent démontrer l'existence d'une fréquentation le dimanche, mais cette dernière est due à un non-respect du repos dominical. En outre, cette loi empêche toute évolution ;

- tout le monde est d'accord sur la nécessité de faire bouger les choses. Il y a en effet une réelle demande des consommateurs, une évolution du tourisme avec une perte de position au niveau international, une évolution des habitudes, notamment due au développement d'internet et du e-commerce.

Ainsi, pour favoriser les centres-villes, il faut les transformer en centres touristiques. Avec le e-commerce, la commande peut être satisfaite 24h/24 et 7 jours sur 7. Cette disponibilité permanente est également en train de s'étendre à la livraison aux États-Unis ou au Royaume-Uni. Dès lors, il faut aider les centres-villes à réfléchir à leurs avantages comparatifs pour tirer profit d'internet.

- ils doivent devenir des e-commerçants, notamment à l'occasion des soldes ou des promotions ;

- ils doivent mettre l'accent sur l'accueil et l'accessibilité, c'est-à-dire l'ouverture le dimanche, la relation humaine, le conseil-expertise ;

- enfin, il ne faut pas oublier que le travail le dimanche est une source de revenus pour les étudiants, beaucoup moins pénalisante que le travail le soir. En outre, cette expérience peut être valorisante pour l'entrée dans la vie active.

Ainsi, il faut proposer un nouvel équilibre, le meilleur possible entre les intérêts divergents des parties prenantes.

Le rapport a écarté la piste des dérogations sectorielles successives. Normalement, les dérogations de droit sont réservées aux activités indispensables pour que le dimanche fonctionne. Dès lors, la contrepartie financière n'est pas obligatoire. Ainsi, dans le secteur des transports en commun, les gens ne sont pas payés plus parce qu'ils travaillent le dimanche. Il n'y a pas de prime au travail le dimanche.

Or ces dérogations sont devenues incontrôlables en raison de la modification et de la porosité des activités. Le décret de 2006 permettant l'ouverture des magasins d'ameublement le dimanche a entraîné une réaction des magasins de bricolage qui font aussi de l'aménagement et vendent aussi de l'électroménager. Il serait donc nécessaire de mettre en place un dispositif incluant l'équipement de la maison. Or aujourd'hui, la moitié des activités de la Fnac et de Boulanger sont identiques. Par extension, il est également nécessaire d'ouvrir les magasins de produits culturels. Or, si on permet au secteur culturel d'ouvrir, les magasins de sport voudront également ouvrir. 70% des dépenses de sport concernent l'habillement et l'équipement de la personne. Dès lors, les magasins de vêtement et de chaussures voudront pouvoir ouvrir. Cette piste amène à une banalisation du dimanche.

Aussi, le rapport propose plutôt d'augmenter de 5 à 12 le nombre de dimanches pouvant faire l'objet d'une dérogation, sans devoir en référer au préfet. En effet, 5 seront consacrés aux dimanches précédant les fêtes de fin d'année, et les 7 autres permettront d'accompagner les évènements commerciaux de la ville. Cela contribuera à l'animation du centre-ville. Le rapport propose que 7 dimanches soient à la main du maire, et 5 autres à la main des commerçants.

Dans les autres cas, l'ouverture des commerces le dimanche doit être fondée sur le dialogue territorial et sociétal. Il est difficile de ne pas laisser l'initiative au maire, mais l'idée est que celui-ci puisse être interpellé et doive, dès lors, répondre. Un dossier et une étude d'impact devront alors être réalisés présentant l'opportunité d'une ouverture le dimanche, définissant un périmètre d'ouverture approuvé par le préfet. Pour l'Ile-de-France, la validation des zones commerciales se fera par le préfet de région.

Il faut ainsi organiser une concertation au niveau territorial, entre les élus, les acteurs économiques, l'administration, mais pas les syndicats. En effet, on est ici dans la définition du cadre économique, ce qui relève du rôle du politique et des acteurs économiques. Ce périmètre sera défini en fonction de critères tels les flux, la présence ou non d'espaces piétons ou d'espaces verts, le nombre de commerces, de nuits d'hôtel... tout ce qui permet de définir un espace commercial ou touristique.

La deuxième étape est l'engagement du dialogue social, dont le but est de trouver un accord prévoyant un doublement du salaire le dimanche et des garanties d'un réel volontariat. Il peut être établi entreprise par entreprise, ou au niveau de la zone dans son ensemble. A Marseille, un travail considérable a été réalisé à ce niveau, permettant la mise en place d'un programme d'animation touristique réussi du point de vue du dimanche. Si aucun accord n'est trouvé avec les syndicats, chaque entreprise peut réaliser un referendum auprès de ses salariés.

En attendant la mise en place de ces propositions, deux mesures d'urgence sont également proposées : premièrement, le décret « bricolage » n'a pas vocation à perdurer. Deuxièmement, les recours ne doivent plus être suspensifs en cas de décision du préfet. La situation actuelle est d'ailleurs une exception aux conséquences habituelles d'un recours en droit français.

C'est en tant que président de la RATP que Jean-Paul Bailly a été amené à travailler sur la question des temps, notamment du fait de la gestion des heures de pointe. Plusieurs paramètres influencent les heures de pointe : les horaires de travail et d'ouverture des magasins et services publics, le régime scolaire et les vacances. Des réunions de concertation entre les transporteurs, les acteurs économiques et le monde scolaire sont nécessaires pour étaler les heures de pointe. Cela permettrait des économies de fonctionnement, mais aussi de fatigue pour les usagers. Il faut ainsi beaucoup travailler les outils de dialogue territorial.

Enfin, pour que les nocturnes fonctionnent bien, toute la ville doit participer. Cela permet de retenir plus facilement le fait que tel jour les magasins, les administrations restent être ouverts le soir en question. Si cela varie selon les secteurs ou les quartiers, cela devient trop confus, les gens sont perdus, et au final ne profitent pas de la nocturne de peur de se tromper de jour et de trouver porte close. A titre d'exemple, Grenoble est une ville test pour l'ouverture des bureaux de poste le samedi après-midi. Il a été décidé que tous les bureaux de poste seraient ouverts, afin d'avoir une communication simple et ainsi de créer une dynamique.

20. Audition de Claude Boulle, président exécutif de l'Union du Grand commerce de centre-ville, le mardi 13 mai 2014

Claude Boulle est également Président exécutif de l'Alliance du commerce, qui regroupe l'union du grand commerce de centre-ville, les enseignes de l'habillement ainsi que les enseignes de la chaussure.

Le commerce de ville est aujourd'hui en difficulté dans les villes de moins de 100 000 habitants, d'une part en raison de la paupérisation des centres-villes, d'autre part en raison de certains excès dans la construction de centres commerciaux en périphérie.

Le tourisme doit aujourd'hui être le relais des commerces urbains. On assiste à une évolution des pratiques de consommation qui induisent des attentes différentes :

• le taux d'activité des femmes a augmenté, tout comme la proportion de couples biactifs. En outre, on constate une évolution de la durée du travail. Ainsi, une partie de la population active ne travaille plus en heures, mais en jours, notamment les cadres, ce qui conduit à un allongement des journées de travail le soir. Il y a donc une compression du temps disponible pour aller faire ses courses et un déport sur d'autres temps, notamment grâce à la possibilité de faire ses courses dans les gares ;

• le niveau de vie augmente. Dans les années 1970, la part de l'alimentaire représentait 28% du budget des ménages. Il n'en représente plus que 12% aujourd'hui. D'autres besoins sont apparus, comme l'équipement à la personne, qui représente 10% du budget des ménages, ou encore l'équipement de la maison et la décoration qui représentent 6 à 7 % du budget. Ces dépenses sont d'ailleurs en augmentation. On assiste ainsi à une rationalisation des « courses corvées » et à un développement des « courses plaisir » ou à valeur impliquante ;

• les activités à caractère mixte se développent. Autrefois, on allait faire des courses pour aller faire des courses. Aujourd'hui, les courses, le shopping sont un temps de convivialité, parfois accolé à un autre moment de détente : « je vais au cinéma puis je vais faire mes courses » ;

• il y a ainsi un impact sur le service attendu du commerçant. Il y a encore quelque temps, Le Bon Marché fermait tous les soirs à 18h30. La pause méridienne de 12h30 à 14h, voire 16h, est encore très courante. A contrario , le juge, et récemment la Cour de Cassation, sont très stricts sur l'ouverture des commerces après 21h. De nombreux conflits récents en témoignent. Désormais, les magasins doivent fermer à 20h45 et refuser des clients.

Ces questions sont renforcées par deux facteurs :

• l'essor de la mobilité : beaucoup de « pendulaires » ont des rythmes différents selon les jours de la semaine ;

• le développement des loisirs entraîne un fractionnement des temps de loisirs, des breaks. Cela a été encouragé par la démocratisation des transports - de la voiture, du TGV, du low-cost - et par la révolution du temps libre. Ainsi, dans les librairies, on trouve des rayons entiers consacrés au tourisme urbain et culturel avec des guides centrés sur les villes.

Par conséquent, les gares peuvent développer des commerces peu impliquants, permettant des achats rapides avant de prendre son train : alimentaire, vêtements standardisés de grandes chaînes,... Le phénomène du shopping déporté s'est accru également : les courses se font désormais le dimanche soir au retour du week-end à Paris. Les temps du commerce sont devenus différents. Par exemple, Claude Boulle a pu faire le constat que certains marchés dans le midi de la France ferment désormais plus tard, en début d'après-midi, ou, en été, sont décalés en soirée. En effet, en vacances, les personnes ne respectent plus leurs horaires habituels : on se lève plus tard, puis on va faire un tour au marché. Or, les commerces physiques n'ont pas toujours le réflexe de se coordonner aux horaires du marché.

En matière de tourisme, la France doit tirer profit du fait qu'elle est la première destination touristique du monde, avec 83 millions de visiteurs. Certaines régions se sont adaptées et ont développé un tourisme évènementiel et culturel. Or, parmi les touristes, certaines populations n'ont pas les mêmes rythmes sociaux ni les mêmes croyances. Les touristes des pays émergents ont un besoin de rattrapage. Il y a souvent une confusion dans les motivations. Lorsqu'ils visitent notre pays, ils sont surpris que les commerces soient fermés le dimanche, et le soir dès 21 heures. L'union du grand commerce de centre-ville a réalisé une enquête sur les pays émetteurs de touristes. Dans ces pays, les magasins sont ouverts le dimanche. La relation au temps change, toutefois, il n'y a pas partout les mêmes besoins d'adaptation. Il faut donc se garder de définir des prescriptions identiques. En outre, dans les capitales rivales, il y a plus de dimanches par an où les commerces sont ouverts (en France, c'est 5 dimanches par an, à Berlin c'est 10 dimanches par an, 52 par an à Madrid et à Londres).

S'agissant de la création d'emplois, l'une de ces trois hypothèses doit être remplie a minima :

• avoir plus de clients au même moment ;

• ouvrir de nouveaux magasins ;

• élargir les horaires d'ouverture.

Dans le contexte actuel de stagnation, seul l'élargissement des horaires et en particulier le dimanche, à la demande touristique, peut créer des emplois.

Une des caractéristiques d'internet, c'est que le e-commerce fonctionne en permanence. On est loin de la Ladenschlussgesetz en Allemagne qui obligeait les magasins à fermer le soir à 18h, le samedi à 14 heures, sauf un samedi par mois où les magasins pouvaient ouvrir jusqu'à 16 heures ! On constate une très haute fréquentation des sites internet de commerce les samedis soirs et dimanches. D'ailleurs, les achats sur internet représentent 10% des achats de consommation (la part du commerce électronique aux États-Unis est de 25%). 7 à 10% de la vente de détail se fait sur internet. En 2015, cela représentera 12%. Dans le secteur de la culture, des loisirs ou du tourisme, 20% des achats se font sur internet, ce qui explique les difficultés de la Fnac et de Virgin. 15% des produits techniques sont désormais achetés sur internet et 10% des chaussures et de l'habillement. En outre, 60% des achats sont préparés par un repérage sur internet, notamment pour connaître les avis sur le produit ou sa disponibilité.

En ce qui concerne la livraison d'un produit internet, plusieurs solutions sont possibles au service du client :

• le « click and collect » : acheter sur internet et récupérer le produit une heure plus tard en magasin ;

• la livraison par la poste ;

• le recours à des points relais de proximité (fleuristes, des cafés, ....) ;

• la livraison au bureau.

Les commerçants physiques doivent donc développer un service approprié. Par exemple, dans une librairie, il faut concevoir un espace agencé pour s'asseoir, discuter avec le libraire. En outre, le commerçant doit devenir multicanal. Ainsi, la Fnac réalise 15% de son chiffre internet grâce à des achats en ligne sur son site internet. Les Galeries Lafayette développent également le multicanal. Le commerçant doit savoir se valoriser sur internet et aller chercher le client chez lui. En outre, le commerçant doit apporter un service supplémentaire. Depuis la mise en place du « click and collect » aux Galeries Lafayette, les magasins de la gare Montparnasse à Paris et de la Part-Dieu à Lyon ont connu une explosion de leur fréquentation. En effet, ils sont situés à proximité de lieux de mobilité et de grand trafic.

Les commerçants doivent en outre améliorer leur attitude vis-à-vis des clients : en effet, ce dernier n'est plus obligé de venir dans le magasin. Le personnel doit être serviable, accueillant, ouvert, apportant des conseils et solutions. Certaines enseignes ont d'ailleurs mis en place des « personal shoppers », des conseillers en achat connaissant les goûts de la personne. L'idée est de faire gagner du temps au client en sélectionnant ( picking ) des articles susceptibles de l'intéresser. C'est un professionnel du service qui va tout gérer jusqu'à la retouche, voire la livraison. Le commerçant doit former son personnel, notamment en langues étrangères.

L'Alliance du commerce recommande plusieurs référentiels avec l'anglais obligatoire.

La loi de modernisation de l'économie du 4 août 2009 a libéralisé les règles de vente dans le commerce de détail et a doublé la période des soldes, en instaurant des soldes flottants. Des promotions d'intersaison sont également possibles. Sur internet le principal argument, qui est d'ailleurs l'argument historique, c'est le prix. Beaucoup de commerçants souhaiteraient que les soldes sur internet commencent au même moment que ceux des magasins physiques. Or, en pratique, cette mesure est impossible à mettre en place.

Les villes possédant encore un centre-ville fort doivent le conforter à travers l'attractivité des commerces. Ces derniers doivent optimiser leurs avantages. Ainsi, les commerces adjacents au marché doivent être ouverts aux heures de celui-ci. Par ailleurs, un ou deux jours par semaine, les flux sont plus importants dans la ville. Ces jours-là, des fermetures plus tardives des magasins pourraient être organisées, par exemple le jeudi et vendredi. De même, le samedi, les gens ne veulent plus se lever tôt. Il faut le prendre en compte et avoir une ouverture méridienne plus importante. Chaque ville doit analyser son propre rythme, qui varie selon le climat, les saisons, mais également ses habitudes. Une expérience a été menée par les Galeries Lafayette dans plusieurs villes du Sud-Est et du Sud-Ouest de la France classées en zone touristique. Les magasins peuvent donc ouvrir le dimanche. Or, l'intérêt à ouvrir le dimanche dépend de l'appétence locale. Ainsi, à Bordeaux, les Galeries Lafayette sont seulement ouvertes 15 dimanches par an. À Nice, qui est une ville frontalière, avec, en outre, beaucoup de touristes étrangers, les galeries Lafayette avaient dans un premier temps ouvert 28 dimanches par an, puis devant l'affluence, 34 dimanches par an l'année suivante. Désormais, elles sont ouvertes 52 dimanches par an. D'ailleurs, si 40% de la clientèle de ce magasin à Nice est composée d'étrangers, cette proportion passe à 70% le dimanche. Ce magasin a par conséquent engagé un personnel spécifiquement pour le dimanche, qui est composé aux ¾ d'étudiants. Ces derniers ont été formés par l'entreprise et bénéficient d'un CDI temps partiel. À Bordeaux, ce qui marche le dimanche, ce ne sont pas les magasins, mais les restaurants. Les gens ont sans doute moins envie de faire leurs courses le dimanche.

L'ouverture des magasins le dimanche participe à rendre nos villes plus aimables. Mais une mise en cohérence est nécessaire. Pour que l'animation du centre-ville fonctionne, que les clients se déplacent, il faut aussi que d'autres services soient proposés, que les restaurants soient ouverts. A contrario , l'une des raisons de la désaffection des centres commerciaux est que la qualité de la nourriture des restaurants est mauvaise, il y a beaucoup de bruit, les services ne sont pas bons.

L'union du grand commerce de centre-ville réalise actuellement une étude pour déterminer une liste de critères objectifs qui permettra de définir une zone touristique et culturelle. Cette étude sera présentée aux Assises Nationales du Centre-Ville à Dijon le 4 juillet 2014.

Enfin, pour que le travail dominical soit admis par le personnel, deux conditions sont nécessaires :

• une contrepartie financière ;

• le travail dominical doit être basé sur le volontariat. On constate d'ailleurs que le personnel permanent ne souhaite pas nécessairement travailler le dimanche au-delà d'un certain nombre de dimanches par an. C'est pourquoi, certaines enseignes font appel à un personnel dédié au dimanche, notamment aux étudiants.

En conclusion, les propositions du rapport de Jean-Paul Bailly sont positives et répondent dans 75% des cas aux besoins exprimés en matière d'ouverture des magasins le dimanche (donner un droit d'ouverture aux commerçants, de 10 à 12 dimanches par an, redéfinir les zones touristiques et les PUCE).


* 77 Plus particulièrement à la Direction Générale Prospective et Développement Durable (DGPDD), sous-direction de la stratégie et rayonnement métropolitain, dans le service Prospective, Évaluation et Développement Durable" (SPEDD). Ce transfert a eu lieu en 2010. Le bureau des temps est devenu un pôle avec un responsable, une chargée de mission et un assistant, correspondant à 2,5 équivalents temps plein.

* 78 Suite aux dernières élections municipales, les fonctions exercées par Jocelyne Bougeard, désormais en charge des relations internationales et des relations publiques, le sont par Katja Krüger. En ce qui concerne la métropole, Bernard Poirier n'exerce plus de mandat métropolitain depuis les dernières élections.

* 79 Pour en savoir plus sur le SDiTT consulter la note de la Fondation Jean Jaurès en annexe du rapport.

* 80 Cf. annexe 5.

* 81 La retranscription de l'audition reprend le contenu d'une note de février 2014 portant sur les « Éléments de bilan sur les politiques temporelles de la ville de Paris de 2001 à 2014 ».

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