II. CONSTRUIRE UN DROIT D'ACCÈS NUMÉRIQUE À L'INFORMATION PUBLIQUE

L'information du citoyen ne soit pas seulement être quérable mais également mise à sa disposition en ligne afin qu'il puisse en prendre connaissance à tout moment et la réutiliser en tant que de besoin.

Dès lors, il apparaît indispensable de bâtir un droit d'accès numérique à l'information publique qui définisse le périmètre de la diffusion en ligne et garantisse la qualité de celle-ci (A).

Parallèlement, l'ouverture des données publiques doit être conduite selon une démarche raisonnée (B), en prenant en considération la nécessité de réviser l'écosystème de production des données publiques (C).

Certaines données appellent toutefois une approche adaptée : les contenus culturels numérisés (D) et les données de santé (E).

A. GARANTIR LA QUALITÉ ET L'ÉTENDUE DE LA DIFFUSION EN LIGNE

Les pouvoirs publics et les administrations se sont engagés, avec un volontarisme indéniable, sur la voie de l'administration numérique, et en ont fait le support principal de la transparence administrative. Ce choix n'était pas seulement le meilleur, c'était sans doute aussi le seul possible.

Les résultats qu'il a produits sont, comme on l'a vu, très encourageants, mais ils doivent être encore améliorés. Pour votre mission, deux pistes de progrès méritent d'être suivies, qui mobilisent à la fois les citoyens et les administrations : la systématisation de la publication en ligne de l'information publique, à laquelle la consécration d'un droit à la mise en ligne doit contribuer (1) et l'amélioration de l'organisation et de la documentation de l'information en ligne (2).

1. Consacrer un droit à la mise en ligne de l'information publique

Il y a un lien étroit entre les demandes d'accès à un document administratif, et la mise en ligne, puisque, comme on l'a vu précédemment, il suffit que le document soit facilement accessible pour que la demande de communication tombe, pour défaut d'objet. Comme M. Serge Daël, président de la Cada, l'a fait valoir, « la dématérialisation et la mise ligne sont à coup sûr les deux gisements permettant de concilier l'exigence démocratique de transparence et la maîtrise de la dépense publique, comme d'ailleurs de réconcilier le temps lent des procédures et le temps rapide inhérent à la communication moderne » 325 ( * ) .

La mise en ligne est donc une solution pour satisfaire à faible coût les demandes de communication. Rien n'oblige pour autant l'administration à privilégier cette solution, ce qui peut conduire à des situations inefficientes, lorsque les services préfèrent traiter ponctuellement chaque demande, quel qu'en soit le nombre, plutôt que d'y répondre, une fois pour toute, collectivement, en procédant à la publication du document demandé.

La mission a réfléchi aux moyens de systématiser en pareil cas, la mise en ligne. Elle en a identifié deux : la mise en ligne de plein droit des documents d'intérêt général (a), et celle des informations mises à disposition dans le cadre des procédures d'enquête et de consultation publiques (b). Celles-ci risquent, toutefois de n'être pas suffisantes. C'est pourquoi votre mission a jugé nécessaire de consacrer expressément un droit des citoyens à obtenir la mise en ligne des documents présentant un intérêt avéré (c). Dans tous les cas, il est nécessaire d'assurer une mise à jour régulière des informations publiées (d).

a) Prévoir la mise en ligne de plein droit de documents d'intérêt général

Une première solution consisterait à établir une liste de documents d'intérêt général fréquemment demandés, et en prévoir dans loi la mise en ligne .

Ces documents d'intérêt général correspondraient notamment, comme le propose le président de la Cada dans son entretien précité, aux documents d'urbanisme, en particulier le plan local d'urbanisme intercommunal (PLUI), aux plans de circulation, aux études d'impact en matière d'environnement, aux arrêtés de police réglementaire. On pourrait y ajouter certaines informations sur les organes délibérants des collectivités locales et de leurs groupements (composition, indemnité...) ou les rapports d'activité des administrations .

Le droit de l'environnement pourrait utilement servir ici de modèle, puisque, comme on l'a vu 326 ( * ) , il prévoit expressément la publication de certains documents d'intérêt général, dont la liste est fixée par décret.

Cette publication s'effectuerait systématiquement par voie électronique.

Recommandation principale n° 6

Mettre en ligne systématiquement et sans délai les documents d'intérêt général les plus fréquemment demandés, dont la liste serait fixée par décret.

b) Systématiser la publication des informations mises à disposition dans les procédures de consultation ou d'information préalable

Il serait utile de systématiser également la publication en ligne des informations qui doivent être mises à disposition dans le cadre des procédures de consultations ou d'information préalable, comme celles des enquêtes publiques en matière d'environnement, d'urbanisme ou d'installations classées.

Actuellement, comme on l'a vu, la mise en ligne n'est qu'une modalité parmi d'autres de diffusion des informations pertinentes. Or, il s'agit certainement de celle qui permet de toucher le plus de monde, tout en publiant à peu de frais, le plus grand nombre de documents et les plus riches d'entre eux.

Votre mission juge pertinent de faire primer la diffusion en ligne . Pour y parvenir, il serait utile de prévoir que chaque administration dispose, au sein de son site internet, d'une page dédiée aux procédures de consultations ou d'information préalable qu'elle organise, conçue selon un modèle normalisé, développé au niveau interministériel.

Recommandation principale n° 7

Privilégier, dans toutes les procédures de consultation ou d'information préalable, la mise en ligne sans délai des documents communiqués. À cette fin, prévoir, sur le site internet de chaque administration concernée, une page dédiée aux consultations et aux débats publics, conçue selon un modèle normalisé, commun à toutes les administrations.

c) Consacrer un droit d'obtenir la mise en ligne des documents très demandés

Les dispositifs envisagés précédemment ne répondent pas aux hypothèses dans lesquelles des documents qui ne seraient pas inscrits dans la liste parce que trop spécifiques ou qui ne relèveraient pas d'une procédure de consultation préalable, seraient pourtant très demandés, pour une raison conjoncturelle ou locale.

Il serait, dans une telle situation, utile de pouvoir obliger l'administration à examiner l'opportunité d'une mise en ligne, à partir d'un certain volume de demandes. Votre mission propose à cet égard de reconnaître expressément aux citoyens un droit d'obtenir de l'administration , non plus seulement la communication, mais aussi la mise en ligne de tout document présentant un intérêt suffisant 327 ( * ) .

Ce faisant, elle recommande de renouer avec l'esprit qui inspire la loi du 17 juillet 1978 : les demandes des citoyens doivent être le premier moteur de la transparence administrative.

D'ailleurs, ce nouveau droit, inscrit dans ce texte fondateur, s'exercerait dans les limites qu'elle fixe et sous les mêmes garanties éprouvées. En particulier, il ne concernerait ni les documents contenant des données personnelles ni ceux couverts par un secret prévu par loi. La Cada, saisie avant tout recours contentieux, veillerait à sa bonne application.

Toutefois, deux conditions supplémentaires devraient être réunies pour que la diffusion en ligne soit accordée.

Tout d'abord, la démarche engagée devrait s'appuyer sur un nombre suffisant de demandes, compte tenu de l'intérêt et de la portée du document en cause. L'enregistrement et le décompte des demandes de communication, que votre mission recommande par ailleurs 328 ( * ) , prennent ici tout leur sens.

Ensuite, l'administration aurait la possibilité de refuser la mise en ligne, si elle estime que cette opération serait trop coûteuse ou qu'elle se prolongerait au-delà du temps que durera la demande. Toutefois, dans ce cas, votre mission recommande qu'elle soit tenue de justifier la non publication en ligne auprès de ceux qui la lui demanderaient, afin que ceux-ci puissent en saisir la Cada, puis, le cas échéant, le juge administratif.

Recommandation principale n° 8

Reconnaître aux citoyens un droit d'obtenir de l'administration la mise en ligne de tout document librement communicable et fréquemment demandé.

Ce droit serait mis en oeuvre dans les mêmes limites et avec les mêmes garanties que le droit de communication. En particulier :

- le citoyen pourrait saisir la Cada, afin qu'elle rende un avis, préalablement à tout contentieux, sur la légitimité de la demande de mise en ligne ;

- l'administration devrait justifier de son opposition à la diffusion.

Seraient pris en compte, pour décider de la mise en ligne, à la fois l'intérêt de la demande, évaluée à partir du nombre de demandes identiques présentées auparavant, et les coûts de cette diffusion pour l'administration.

La consécration de ce droit renforce le rôle de vigie que jouent les citoyens pour la transparence administrative . Votre mission observe d'ailleurs, qu'ils peuvent aussi, sous réserve des restrictions posées par la loi du 17 juillet 1978 329 ( * ) , contribuer à la publication des informations, en diffusant eux-mêmes les documents qui leur auront été communiqués : cette diffusion ne constitue en effet jamais rien d'autre qu'une réutilisation autorisée par cette même loi.

d) Mieux assurer la mise à jour des informations publiées

Une fois publiée, l'information doit être tenue à jour, même si cette opération peut être coûteuse : à défaut, cette publication perd de son utilité. Or, votre mission a constaté combien les pratiques des administrations en cette matière étaient différentes et observé que tous les sites publics n'affichent pas la fréquence de mise à jour. Le citoyen doit pouvoir connaître l'ancienneté de la dernière mise à jour : il lui apparaît donc nécessaire de systématiser aussi l'actualisation des principales informations mises en ligne, en particulier celles qui, comme les répertoires généraux, sont utiles aux citoyens pour la mise en oeuvre de leurs droits.

Recommandation

Organiser la mise à jour très régulière des répertoires, documents et informations en ligne. Afficher la fréquence de mise à jour.

2. Poursuivre le mouvement d'organisation, de documentation et de regroupement de l'information en ligne

Comme on l'a vu précédemment, l'administration a su diagnostiquer les principales insuffisances de sa politique de diffusion et de publication d'informations en ligne : dispersion, qualité insuffisante ou incomplétude des informations.

Votre mission estime à cet égard que les orientations tracées, dans leurs rapports, par le Coepia 330 ( * ) et le groupe de travail présidé par M. Franck Riester 331 ( * ) , pour corriger ces imperfections, sont les bons : mise en réseau et mutualisation des sites administratifs, regroupement des différents sites publics afin d'en réduire le nombre, amélioration de la qualité des informations et de leur bonne adéquation au public auquel elles s'adressent.

Le mouvement ainsi amorcé de rationalisation de la « toile » publique doit se poursuivre .

La mission s'est plus particulièrement attachée à une question : comment faciliter l'identification et la compréhension, par le citoyen, de l'information dont il a besoin, afin qu'il en tire tout le bénéfice possible ?

Plusieurs mesures lui ont semblé mériter attention : la normalisation de l'affichage du caractère officiel des sites publics (a), la documentation des informations publiées (b), l'indexation des informations publiées à partir d'un référentiel unique (c), l'accompagnement de leur lecture (d).

a) Afficher visiblement et de manière uniforme le caractère officiel des sites publics

Il est dommage, comme on l'a vu précédemment, et comme l'a regretté le président du Coepia, M. Michel Pinault, lors de son audition, qu'il n'y ait pas une homogénéité de présentation des sites de l'État. De ce fait, le citoyen n'est pas toujours en mesure de savoir si le site sur lequel il navigue est bien un site public, et si, par conséquent, l'information qui lui est proposée est bien authentique.

Il conviendrait pour remédier à cette situation, non seulement que les sites reprennent systématiquement le logo tricolore de la République française et la Marianne mais également affichent clairement et de manière uniforme leur caractère officiel , par l'adoption d'une charte graphique commune imposant par exemple dans un bandeau visible sur chaque page.

b) Documenter les informations publiées

Dans le même ordre d'idées, il serait souhaitable que les administrations s'attachent à mieux documenter les informations qu'elles publient , en indiquant, notamment, la source ou l'auteur du document, la date de sa création ou de sa mise à jour, ainsi que, le cas échéant, les liens vers les données ouvertes utilisées pour l'élaborer.

Les documents statistiques devraient, quant à eux, être accompagnés d'une présentation de la méthodologie ou des catégories utilisées et des bases de calcul retenues. Ainsi, le citoyen sera mis en mesure non seulement d'apprécier l'authenticité du document, mais encore d'en comprendre la portée et d'en évaluer la fiabilité ou la pertinence.

c) Établir un référentiel unique de description des informations

Une seconde mesure vise à faciliter la recherche de l'information désirée. Elle est directement liée à une meilleure documentation, par les administrations, des documents qu'elles diffusent. Un référentiel unique de description des informations devrait être mis en place, qui permettrait de les classer par catégories (par exemple : nature, format, auteur, thème du document).

Ce référentiel pourrait alors servir de base à la constitution d'un moteur de recherche directement intégré aux sites internet publics, plus performant que certains des moteurs actuels, parce qu'il ne se limiterait pas à permettre une recherche par mot-clé sur l'ensemble de la base de données du site, mais pourrait filtrer l'information en fonction des rubriques recherchées. Ainsi pourrait être recherchés non pas uniquement les documents qui contiennent le mot : « kinésithérapeute », mais seulement les actes réglementaires, signés par le ministre de la santé, relatifs à ces professionnels de santé.

Recommandation principale n° 9

Afficher clairement et de manière uniforme le caractère officiel des sites publics.

Documenter les informations : indiquer leurs sources et leur date de création ou de mise à jour ; présenter, le cas échéant, la méthodologie suivie pour les élaborer ou les bases de calcul.

Faciliter la recherche des informations : établir un référentiel unique de description des données à partir duquel une recherche efficace puisse être faite via un moteur de recherche adapté.

d) Décrypter les informations publiées

Il apparaît enfin nécessaire de faciliter la compréhension des informations publiées. Certains documents parlent d'eux-mêmes : il en va ainsi des textes juridiques ou des circulaires. D'autres, au contraire, appellent un effort d'analyse : bilans comptables, séries statistiques... Pour des administrés non spécialistes de la question, de telles données, qui peuvent pourtant les intéresser -qu'on pense par exemple au budget d'une collectivité- peuvent demeurer incompréhensibles et donc, in fine , inutiles.

Dès lors, faut-il seulement s'en remettre à l'initiative individuelle en se satisfaisant d'avoir publié l'information, même si elle n'est de fait destinée qu'à des spécialistes ? L'administration ne doit-elle pas faire l'effort, parfois, de rendre les informations qu'elle diffuse compréhensibles par tous ? Faut-il ajouter à l'exigence de transparence administrative, celle de pédagogie de l'information administrative ?

Votre mission a répondu par l'affirmative à ces questions, en étant toutefois consciente que cette pédagogie - qui a un coût aussi pour l'administration - ne peut être une exigence générale mais qu'elle doit être développée, notamment par le recours à des présentations en ligne des informations en facilitant la compréhension, en recourant, par exemple, à des procédés de visualisation, qui traduisent des séries statistiques sous forme de courbes, cartes, camemberts et graphiques, en procédant à l'ajout de commentaires explicatifs, ou en établissant des liens avec d'autres informations.

Recommandation principale n° 10

Veiller à l'intelligibilité pour le plus grand nombre des informations publiques mises en ligne en recourant, lorsque c'est possible, à des procédés de visualisation (cartes, graphiques...) et en les commentant.


* 325 Entretien, in Lettre du Coepia , n° 19, mars 2014.

* 326 Cf . chapitre liminaire B, § 1, c). Il s'agit de l'article L. 124-8 du code de l'environnement.

* 327 Cette orientation figure notamment dans la note envoyée à la mission après son audition par M. William Gilles.

* 328 Voir supra , recommandation principale n° 2.

* 329 Cf. chapitre liminaire, A.

* 330 Cf. notamment les rapports d'activités 2012-2013 et 2011-2012, respectivement présentés au Premier ministre en octobre 2013 et en octobre 2012.

* 331 Amélioration de la relation numérique à l'usager , rapport issu des travaux du groupe " experts numériques " réuni autour du député Franck Riester, précité.

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