TROISIÈME PARTIE : À LA RECHERCHE D'UNE MEILLEURE QUALITÉ DE LA LÉGISLATION

Si veiller à une bonne application des lois est aujourd'hui un objectif totalement assumé par tous les pouvoirs publics, à la diligence du Gouvernement et sous la vigilance du Parlement, force est de reconnaître que la qualité des normes ainsi produites -les lois comme les textes réglementaires- ne donne pas toujours pleine satisfaction aux usagers du droit. D'une manière générale, l'environnement normatif est perçu par beaucoup de nos concitoyens comme un maquis foisonnant, complexe, peu lisible et dont les arcanes sont même parfois facteur d'insécurité juridique.

Cette situation n'est pas nouvelle : l'inflation normative et l'instabilité du droit, notamment, font l'objet de critiques récurrentes depuis plus de 20 ans, à la suite notamment des développements que le Conseil d'État a consacré à cette question dans son Rapport public 1991 . Le Conseil y dénonçait sans ambages la « logorrhée législative et réglementaire » et l'instabilité « incessante et parfois sans cause des normes »... Or, la situation globale ne s'est guère améliorée depuis, comme le Secrétaire général du Gouvernement l'a opportunément relevé en avril 2013 lors d'une intervention devant votre commission sénatoriale pour le contrôle de l'application des lois, « la sensibilité à l'inflation normative est plus forte aujourd'hui que par le passé ».

Au-delà de l'impact négatif que ces phénomènes peuvent avoir sur l'image de l'État, toute dégradation de l'environnement normatif produit des effets juridiques préjudiciables, aussi bien sur l'activité des administrations que sur celle des usagers du droit.

En d'autres termes, un droit de médiocre qualité devient en lui-même un facteur d'insécurité juridique, comme l'a à nouveau relevé de manière sévère le Conseil d'État, cette fois dans son rapport de 2006 dénonçant le « dévoiement de l'instrument normatif » et allant jusqu'à considérer que « la complexité croissante des normes menace l'État de droit ».

En tant que première source du droit, le Parlement est évidemment directement touché par ce phénomène, le Conseil d'État soulignant à juste titre que le législateur en est la première victime : « ses marges de liberté pour décider des sujets qu'il convient de traiter se révèlent de plus en plus restreintes. Et il en vient à ne plus exercer sa mission dans les conditions lui permettant d'élaborer des textes de qualité. Cela conduit en outre à sa dépossession ».

Mais les conséquences vont bien plus loin, et c'est en définitive « la société qui en pâtit. Le droit, au lieu d'être un facteur de sécurité, devient un facteur d'inquiétude et d'incertitude. La démarche de simplification court après ses objectifs. Les juges ne sont eux-mêmes pas toujours en état d'y remédier, et sont parfois conduits à prendre leur part de l'aggravation de la complexité ».

Par ailleurs, la complexité, pour peu qu'elle frise l'inintelligibilité, pose la question du respect par le législateur de ses obligations constitutionnelles, puisque le Conseil constitutionnel, dans plusieurs décisions, a défini un certain nombre de normes qualitatives auxquelles les lois doivent satisfaire. Le Conseil constitutionnel a ainsi posé un principe général de clarté de la loi, qu'il rattache à l'article 34 de la Constitution, et une obligation d'accessibilité et d'intelligibilité de la loi, considéré comme un objectif de valeur constitutionnelle. Plus récemment, le Conseil a également pris en compte l'obligation de normativité de la loi, censurant des dispositions considérées comme trop ambiguës ou dénuées de portée normative réelle.

II. LA MOBILISATION DES POUVOIRS PUBLICS AU SERVICE D'UN DROIT DE HAUTE QUALITÉ

Tout en relativisant les critiques qui peuvent être adressées au droit français -qui, dans l'ensemble, reste d'une bonne qualité et offre à ses usagers une haute sécurité juridique, comparé à celui de beaucoup d'autres pays dans le monde- les pouvoirs publics -le Gouvernement comme le Parlement- ont réagi face aux dérives constatées et se sont engagés depuis plusieurs années, chacun pour ce qui le concerne, dans une démarche de qualité tendant à améliorer l'environnement normatif. En dépit de quelques différences de perception sur les méthodes à suivre, cette démarche est largement consensuelle, dans la mesure où l'ensemble des pouvoirs publics a intérêt à ce que l'appareil normatif soit performant.

Depuis sa création, la commission sénatoriale pour le contrôle de l'application des lois est très attentive à cette dimension importante de l'action publique, car indépendamment du contrôle technique sur la publication des décrets d'application -qu'elle mène aux côtés des commissions permanentes- elle s'est vu confier par le Bureau la mission d'informer le Sénat sur la mise en oeuvre effective des lois votées par le Parlement, ce qui l'amène à s'intéresser à la qualité des lois et, plus généralement, à la qualité du droit.

Votre commission s'intéresse, du même coup, à tous les instruments et à toutes les procédures qui permettent d'en rehausser le niveau qualitatif global, à la fois en amont -avec, par exemple, les études d'impact, censées apporter au législateur des informations précises sur l'incidence des textes qu'il vote- et en aval, par exemple au travers du processus de codification du droit en vigueur ou de suppression de vieilles normes devenues inutiles chaque fois qu'on en introduit une nouvelle (la règle du « un pour un »).

Comme le rapport de votre commission l'a souligné l'année dernière, le Gouvernement est totalement partie prenante à ce processus, en ce qu'il s'inscrit dans le mouvement plus général de la simplification administrative et, en fin de compte, de la modernisation et de la réforme de l'État.

Dans l'organigramme de l'administration française, la réflexion et l'animation de cette modernisation ont été confiées à une instance nouvelle, le Secrétariat général pour la modernisation de l'action publique (SGMAP), institué par un décret du 30 octobre 2012 et placé sous l'autorité du Premier ministre. Le SGMAP regroupe actuellement :

- la direction interministérielle pour la modernisation de l'action publique (anciennement direction générale à la modernisation de l'État) ;

- la direction interministérielle des systèmes d'information et de communication de l'État (DISIC).

- la mission chargée de faciliter la mise à disposition des données publiques (mission dite « Etalab »).

Également en charge de la coordination interministérielle de la réforme des services déconcentrés de l'État, la mission de modernisation assignée au SGMAP porte aussi bien sur la simplification des normes et des démarches administratives que sur la transparence et la qualité des services publics ainsi que sur l'évaluation des politiques publiques dans un contexte de transition numérique et d'intégration des agences et des opérateurs.

L'objectif du Gouvernement, au-delà des aspects méthodologiques et organisationnels, est d'instaurer de nouveaux équilibres entre toutes les dimensions de l'action publique, au niveau étatique comme dans les structures déconcentrées ou décentralisées, en vue de rendre l'environnement juridique à la fois plus efficace et plus accessible, et d'orchestrer l'action publique à l'écoute des usagers et mieux en prise sur les préoccupations de nos concitoyens.

L'instance de décision et d'arbitrage en matière de modernisation de l'action publique est le Comité interministériel pour la modernisation de l'action publique (CIMAP), qui s'est réuni la première fois le 18 décembre 2012 pour établir un programme de cinquante décisions de renforcement de l'efficience administrative et de quarante évaluations de politiques publiques. Depuis lors, le CIMAP s'est réuni à plusieurs reprises (trois réunions en 2013) avec, après chaque réunion, la mise en oeuvre d'un certain nombre de mesures en vue de la modernisation des secteurs concernés.

Ainsi, lors de sa dernière réunion de 2013 (le 18 décembre), le CIMAP a lancé douze évaluations de politiques publiques concernant l'ensemble du champ de l'action publique (État, collectivités locales, sécurité sociale) ainsi que plusieurs projets d'amélioration de la gestion publique en vue de renforcer la simplification et l'innovation, d'accroître la qualité du service rendu au citoyen et soutenir la compétitivité de notre économie. Ont également été abordés des thèmes comme la modernisation numérique de l'État, le dialogue social sur la modernisation de l'action publique et la culture managériale dans l'administration.

La toute récente nomination (le 4 juin 2014) de Thierry Mandon, précédemment député de l'Essonne et rapporteur de la mission d'information de l'Assemblée nationale sur la simplification législative, au secrétariat d'État en charge de la Réforme de l'État et de la Simplification, devrait être de nature à amplifier ce mouvement, d'autant qu'il a présenté, avant même sa nomination au Gouvernement, un certain nombre de mesures ambitieuses, notamment axées sur la simplification et l'allègement des démarches et formalités imposées aux entreprises, dans le cadre de ses travaux comme parlementaire en mission sur la simplification de l'environnement réglementaire, administratif et fiscal des entreprises (mission temporaire que lui avait confiée Jean-Marc Ayrault, en février 2013, en application de l'article LO. 144 du Code électoral) ; une des préconisations de ce rapport consistait en particulier à « associer le Parlement à la simplification dans le cadre du programme Mieux légiférer ».

Dans le même sens, Thierry Mandon a présenté au Président de la République en avril 2014 cinquante propositions formulées dans le cadre du Conseil de simplification pour les entreprises, instance créée par le décret n° 2014-11 du 8 janvier 2014 qu'il copréside au côté de Guillaume Poitrinal, et qu'il qualifie de « véritable fabrique à simplifier qui est en marche pour les trois prochaines années ».

Ce souci de la qualité des normes est largement partagé bien au-delà de nos frontières nationales, comme l'a montré l'important colloque international organisé par votre commission au Sénat le 5 décembre 2013, en partenariat avec l'Organisation de coopération et de développement économique (OCDE).

Cette rencontre a notamment permis de mieux identifier le rôle que les Parlements peuvent jouer dans l'évaluation de la qualité de la législation, et l'intérêt d'une politique plus régulière d'échange de bonnes pratiques entre les institutions françaises et les assemblées parlementaires étrangères. De même, elle a mis en évidence l'utilité des instruments internationaux visant à promouvoir ces objectifs, en particulier au niveau de l'OCDE qui a institué un Comité de la politique de la réglementation et a adopté en 2012 une recommandation du Conseil concernant la politique et la gouvernance réglementaires.

De même, l'OCDE, conjointement avec la Commission européenne, a élaboré des rapports visant à faire progresser le « mieux légiférer » dans quinze pays membres de l'Union européenne. Sur la base d'évaluations approfondies de l'environnement normatif et des pratiques des pays concernés (ce que l'OCDE rassemble sous la terminologie générique de « politique réglementaire »), ces rapports formulent d'intéressantes recommandations qui, là encore, recoupent sur plusieurs points les préconisations françaises en matière de modernisation et de simplification de notre droit.

Les thèmes associés à ce dossier

Page mise à jour le

Partager cette page