B. PROCÉDURE LÉGISLATIVE ACCÉLÉRÉE ET SUIVI RÉGLEMENTAIRE : DES URGENCES À GÉOMÉTRIE VARIABLE...

En toute logique, les projets de loi examinés selon des procédures d'urgence (depuis la révision constitutionnelle de 2008, on parle de procédure accélérée) devraient faire l'objet d'une mise en application réglementaire plus rapide que les autres .

Ce devrait être le cas, en particulier, pour ceux où l'urgence n'est pas de plein droit (les lois de finances, par exemple 5 ( * ) ), mais à l'initiative expresse du Gouvernement, sauf à démentir le motif invoqué par le Gouvernement pour contraindre le Parlement à statuer plus vite qu'à l'ordinaire.

Or, la situation est souvent tout autre... C'est une question récurrente , illustrée durant certaines sessions par des ruptures de cadences flagrantes.

Ainsi, le service des commissions du Sénat (devenu depuis lors direction de la législation et du contrôle) observait déjà en 2009 que dans bien des cas, « [...] la déclaration d'urgence ou le recours à la procédure accélérée n'ont guère été déterminants pour le taux de publication des mesures réglementaires prescrites [...] On avait pu déplorer, en 2002-2003, le niveau dérisoire du taux de mise en application des dispositions, insérées dans les lois votées après déclaration d'urgence, appelant un suivi réglementaire : moins de 3 % ! ».

Depuis lors, la situation s'est assez nettement redressée, mais sans faire disparaître le différentiel constaté certaines années passées, comme l'indiquent les résultats de de la session 2012-2013 récapitulés dans le tableau ci-après :

Catégorie de lois

Ensemble des lois
promulguées

Lois adoptées
en procédure accélérée

Lois d'application directe

40 %

40 %

Lois mises en application

24 %

30 %

Lois partiellement
mises en application

26 %

23 %

TOTAL

90 %

93 %

Singulièrement, les lois dont l'application est seulement partielle accusent même sur ce point un léger déficit lorsqu'elles ont été adoptées en procédure accélérée (23 %), par rapport à l'ensemble des lois promulguées (26 %). En outre, les écarts ponctuels n'apparaissent pas dans une statistique globale.

URGENCE À DEUX VITESSES... UN EXEMPLE DE « COUP D'ACCORDÉON NORMATIF »

Lors de la réunion du 17 juin 2014, notre collègue Christophe-André Frassa, sénateur représentant les Français établis hors de France, a cité un exemple révélateur de rupture de rythme entre la phase d'examen parlementaire d'une loi et la phase de rédaction de ses textes d'application.

La loi du 22 juillet 2013 relative à la représentation des Français établis hors de France, issue d'un projet de loi déposé au Sénat le 20 février 2013, a été examinée à la demande du Gouvernement selon la procédure accélérée, pour être adoptée définitivement en nouvelle lecture le 27 juin 2013, au terme d'une navette de quatre mois. Elle avait pour objet, notamment, de redéfinir les modalités de désignation des délégués consulaires élus en même temps que les conseillers consulaires et de redéfinir la composition du collège électoral des sénateurs des Français de l'étranger, auquel appartiennent désormais les députés élus par les Français établis hors de France, les conseillers consulaires élus et les délégués consulaires élus.

Plusieurs décrets devaient préciser les modalités d'application du nouveau dispositif, en particulier pour l'élection des conseillers consulaires et des conseillers à l'Assemblée des Français de l'étranger, la détermination du nombre des délégués consulaires à élire, la fixation du plafond des dépenses de campagne pour l'élection de sénateurs représentant les Français établis hors de France, ou encore les conditions de l'enregistrement, de la conservation et du transfert du pli au bureau de vote pour l'élection de ces sénateurs.

Les élections en cause étant programmées à échéance rapprochée, le rapporteur du projet au Sénat, M. Jean-Yves Leconte, constatait que « chaque assemblée a dû travailler de manière indépendante, dans des conditions difficiles et à un rythme soutenu pour examiner ce projet de loi, qui a été déposé au Sénat à la fin du mois de février et pour lequel la procédure accélérée a été engagée ».

Or, une fois la loi promulguée, la publication des décrets d'application s'est révélée à ce point longue -surtout s'agissant de textes à mettre en oeuvre pour les élections de 2014- que dans l'intervalle, plusieurs référés-liberté ont été demandés pour obtenir du Gouvernement qu'il les fasse paraître en temps utile.

Au final, il a fallu attendre les 20 février et 6 mars 2014 pour que paraissent un décret du 18 février 2014 relatif aux conseils consulaires à l'Assemblée des Français de l'étranger et à leurs membres puis un décret en Conseil d'État n° 2014-290 du 4 mars 2014 portant dispositions électorales relatives à la représentation des Français établis hors de France, soit un délai total supérieur à huit mois. Fait singulier, le décret du 18 février est sorti après la convocation des électeurs et seulement cinq jours avant la date limite de dépôt des candidatures à l'élection des délégués consulaires.

Dans son rapport pour 2012-2013, la commission de la culture observe que : « le choix de la procédure accélérée plutôt que celui de laisser la navette se poursuivre ne veut pas dire que les mesures d'application de la loi sont publiées plus rapidement » ; la commission en apporte la démonstration en comparant deux lois adoptées le même jour, la loi du 8 juillet 2013 d'orientation et de programmation pour la refondation de l'école de la République, adoptée au terme d'une navette normale et déjà applicable à hauteur des trois quarts, tandis que la loi du 22 juillet 2013 relative à l'enseignement supérieur et à la recherche, adoptée après engagement de la procédure accélérée, ne l'est encore qu'à hauteur d'un quart...


* 5 Comme l'observe la commission des finances dans son rapport pour 2012-2013, « cette analyse est dénuée de sens en ce qui concerne l'essentiel des travaux de la commission des finances puisque l'article 47 de la Constitution encadre strictement les délais d'examen des lois de finances. La procédure accélérée est de droit pour la majorité des textes pour lesquels elle est compétente au fond (sept des neuf lois adoptées entre octobre 2012 et septembre 2013), puisque, au sein des lois des finances, seules les lois de règlement ne sont pas soumises de droit à la procédure accélérée ».

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