INTERVENTIONS

A. INTERVENTIONS
Mme Marie-Christine Blandin, présidente de la commission de la culture, de l'éducation et de la communication du Sénat

Près d'un an et demi après notre dernière table ronde consacrée à la réforme de la gouvernance de la culture scientifique, technique et industrielle (CSTI), beaucoup de choses se sont passées et la réflexion a avancé.

La « loi Fioraso » du 22 juillet 2013 a opéré le transfert de l'établissement public Universcience aux régions, à compter du 1 er janvier 2014, de la gestion des crédits de soutien aux « initiatives territoriales visant à développer et diffuser la culture scientifique, technique et industrielle, notamment auprès des jeunes publics », pour un montant total de 3,6 millions d'euros dans le projet de loi de finances pour 2014.

Au cours de nos débats, plusieurs d'entre vous s'étaient néanmoins émus d'un désengagement potentiel de l'État ; nous avions alors demandé à la ministre que le Gouvernement s'engage à rester garant de la culture scientifique sur l'ensemble du territoire.

En janvier dernier, nos collègues Maud Olivier, députée, et Jean-Pierre Leleux, sénateur, ont produit, au nom de l'Office parlementaire d'évaluation des choix scientifiques et technologiques (OPECST), un rapport intitulé : Faire connaître et partager les cultures scientifique, technique et industrielle : un impératif . Ils y soulignent la nécessité de développer, dans le cadre de la formation initiale et continue des enseignants, la pédagogie de la CSTI à tous les niveaux d'enseignement, et de lutter contre les inégalités, notamment entre filles et garçons, dans l'accès au savoir scientifique.

Dans ce contexte, les associations et centres de CSTI doivent repenser leur stratégie, en mettant l'accent sur le travail en réseau. Il appartient désormais aux régions, accompagnées par les délégations régionales à la recherche et à la technologie (DRRT) et les pôles territoriaux de référence en CSTI, de redonner une cohérence, une lisibilité et une visibilité à une offre de CSTI qui associe une multiplicité d'acteurs institutionnels et de la société civile.

C'est tout l'enjeu de la prise en compte effective de la CSTI au sein des schémas régionaux de l'enseignement supérieur et de la recherche. Cette cohérence de l'action menée par chaque région en matière de culture scientifique est d'autant plus importante que les sources de financement tendent à se multiplier : aux subventions de fonctionnement récurrentes et aux appels à projet financés par les investissements d'avenir s'ajoutent les appels à projet ponctuels lancés par certaines régions, comme la région Midi-Pyrénées.

Cette table ronde est donc l'occasion de faire le point sur le financement et la gouvernance de la CSTI depuis le transfert aux régions de cette compétence de coordination des initiatives territoriales. Dans un premier temps, nos collègues Maud Olivier et Jean-Pierre Leleux vont nous livrer les principaux constats et recommandations de leur rapport. Nos intervenants pourront ensuite réagir, voire compléter ces propos, puis les sénatrices et sénateurs auront la possibilité d'interroger nos invités, que je remercie de leur participation à notre table ronde.

M. Jean-Pierre Leleux, sénateur des Alpes-Maritimes, co-rapporteur du rapport Faire connaître et partager les cultures scientifique, technique et industrielle : un impératif fait au nom de l'Office parlementaire d'évaluation des choix scientifiques et technologiques (OPECST)

Merci, madame la présidente. À travers vous, je remercie également la commission de la culture, de l'éducation et de la communication d'avoir organisé cette table ronde, qui a pour objet la gouvernance de la culture scientifique, technique et industrielle.

En tant que co-rapporteurs, nous sommes très sensibles à l'opportunité qui nous est offerte de présenter aux acteurs du quotidien de la CSTI une synthèse de notre travail, ce rapport étant par ailleurs disponible en ligne.

Nous voyons dans cette invitation une marque de considération pour le rôle joué par l'OPECST, depuis sa création, en 1983, dans le partage des CSTI.

D'entrée de jeu, observant le sujet proposé à notre table ronde - « la gouvernance de la culture scientifique et technique » - je voudrais dire que, après les multiples auditions et débats que nous avons organisés dans le cadre de notre rapport, nous avons proposé d'apporter une modification syntaxique et sémantique à cette locution habituelle de « culture scientifique technique et industrielle » au singulier, pour utiliser désormais le mot de « cultures », au pluriel, décliné dans ses dimensions scientifique, technique et industrielle.

Le singulier « la CSTI » présentait, en effet, deux inconvénients majeurs, celui d'abord de gommer les spécificités respectives de la science, de la technologie et de l'industrie, et celui, ensuite, de ne pas inclure clairement et totalement dans la culture, au sens large du terme, ces trois composantes réduites à n'être que des appendices des cultures littéraire et artistique.

Nous avons d'ailleurs également préféré le terme de « partage » à celui de « diffusion », afin de coller davantage à l'objectif premier des CSTI, la démocratisation des savoirs.

Notre rapport s'intitule donc : Faire connaître et partager les cultures scientifique, technique et industrielle : un impératif . Un impératif, oui, parce que, si un nombre considérable de rapports a insisté au cours des trente dernières années sur l'enjeu de politique publique que représentent les CSTI et leur partage, et si une dotation de 100 millions d'euros a été consacrée aux CSTI dans les investissements d'avenir, les insuffisances de ce partage sont constatées de façon récurrente.

Il ne s'agit pas là d'un aveu d'impuissance mais plutôt la conséquence de ce que, malheureusement, les CSTI et leur partage ne sont pas encore considérés à la hauteur de ce qu'elles devraient être : une priorité nationale.

Avec l'appui de notre comité de pilotage, composé de personnalités importantes du partage des CSTI, nous avons auditionné bon nombre d'entre vous ou des institutions que vous représentez, et sommes allés nous renseigner sur ce qui se fait en Allemagne, au Québec et au Royaume-Uni. Ces institutions étaient d'ailleurs toutes représentées lors de l'audition publique du 13 juin 2013 ; un très grand nombre de participants étaient présents, et nous les en remercions.

Notre rapport s'est attaché, dans un premier temps, à montrer comment le développement du partage des savoirs a été le fruit de la volonté de multiples acteurs. Puis, dans un second temps, devant les très nombreux chantiers qui restent à mener, nous appelons à l'urgence d'une nouvelle impulsion des CSTI par des mesures concrètes qui visent à toucher cinq types d'acteurs : les jeunes, les parents, les citoyens, les médias et les responsables politiques.

Le développement du partage des savoirs répond, selon nous, à deux objectifs : la démocratisation de l'accès au savoir et l'impératif actuel d'excellence des systèmes d'éducation et de recherche.

Condorcet disait : « Il n'y a pas de démocratie du pouvoir sans démocratie du savoir » . C'est bien un tel propos qui inspire les acteurs de l'éducation informelle et de l'éducation formelle. S'agissant des acteurs de l'éducation informelle, il existe réellement une spécificité française, que nous n'avons cessé d'évoquer tout au long de nos travaux. Cette spécificité réside dans les actions de trois catégories d'acteurs : les associations, les centres de culture scientifique, technique et industrielle (CCSTI), et Universcience.

Les associations, par leurs actions de terrain - que ce soit dans les lieux les plus reculés ou dans les quartiers populaires - sont parvenues à tisser un maillage très dense et, de ce fait, à ancrer l'idée de CSTI dans les territoires et ce malgré le contexte financier fragile auquel elles sont confrontées.

Les CCSTI, tout comme les associations, ont contribué à l'ancrage territorial des CSTI, grâce, dans de nombreuses régions, aux actions conjuguées du milieu académique et des collectivités territoriales, mais aussi, dans certains cas, des entreprises.

En outre, l'existence d'un corps de professionnels spécialisés a également permis le rayonnement régional de ces centres de sciences, même si d'importantes inégalités de moyens existent entre eux.

Universcience, à la fois comme pôle national de référence et centre régional de sciences, s'est imposé comme un acteur central, tout en suscitant un certain nombre de malentendus, levés en partie par la loi du 22 juillet 2013, relative à l'enseignement supérieur et à la recherche, qui a transféré les crédits des CSTI de 3,6 millions d'euros aux régions. Universcience et les CCSTI montrent leur capacité à coopérer à travers les projets « Estim gouvernance » et « Inmédiats ».

Du côté de l'éducation formelle, l'enseignement des sciences a été modernisé, en particulier à travers l'introduction à l'expérimentation, comme l'a illustrée de façon emblématique « La main à la pâte », tandis que la technologie et la pédagogie de projets ont été insérées ou renforcées dans les programmes.

En outre, les réformes mises en oeuvre ont conduit l'éducation nationale à s'ouvrir davantage à l'extérieur, y compris en direction des acteurs de l'éducation informelle. Sur ce point, nous avons tenu à insister, lors de la présentation du rapport, sur le fait que, dans notre esprit, il était important d'éviter toute opposition entre les deux types d'éducation.

Au demeurant, une telle tentative serait d'autant plus vaine que la révolution numérique touche les deux systèmes d'éducation et renforce ainsi les liens entre eux car, grâce à l'action des associations ou des CCSTI, des personnes qui ont été éloignées du système d'éducation formelle peuvent néanmoins s'en rapprocher via les technologies numériques. À l'inverse ces mêmes technologies peuvent - comme le montre l'exemple des « Massive open online courses » (MOOCs) - contribuer à diffuser l'éducation formelle à une très large échelle.

Quant au second objectif, celui de la poursuite de l'excellence des systèmes d'éducation et de recherche, il comporte deux aspects, la lutte contre l'échec scolaire et universitaire, et le souci de cohésion sociale.

La capacité des deux systèmes éducatifs et de recherche à être compétitifs est interrogée à travers la pression exercée par les classements internationaux, singulièrement PISA (programme international pour le suivi des acquis des élèves) et le classement de Shanghai.

Sur ce point, on peut constater des réactions contrastées. En effet, si PISA continue de susciter des critiques en France, les résultats médiocres obtenus par les élèves français depuis plusieurs années tendent à provoquer, comme en Allemagne, un choc d'autant plus que, lors de la dernière enquête de l'Organisation de coopération et de développement économiques (OCDE), la France a été taxée de championne des inégalités !

Il est significatif que l'annexe de la loi pour la refondation de l'école considère que de tels résultats mettent à mal la promesse républicaine qui est de permettre la réussite de tous.

En ce qui concerne, en revanche, le classement de Shanghai, nous avons, lors de la présentation du rapport, critiqué le fait que les critères retenus se limitent au nombre de publications, de prix Nobel et de médaille Fields, sans prendre nullement en compte les débouchés professionnels.

À la pression des classements internationaux s'ajoutent les orientations proposées par l'Union européenne à travers le programme Horizon 2020, qui sont fondées en particulier sur le renforcement de l'excellence scientifique de l'Union européenne.

Pour ce qui est des États membres, ils prennent en compte dans leur politique scientifique le programme Horizon 2020, ce que la France fera à travers la stratégie nationale de la recherche, prévue par la loi relative à l'enseignement supérieur et à la recherche.

Je laisse Maud Olivier poursuivre à propos des recommandations émises dans notre rapport.

Mme Maud Olivier, députée, co-rapporteure du rapport Faire connaître et partager les cultures scientifique, technique et industrielle : un impératif fait au nom de l'Office parlementaire d'évaluation des choix scientifiques et technologiques (OPECST)

Nous avons en effet souhaité émettre les recommandations les plus pratiques et opérationnelles possible.

La seconde partie du rapport expose les motifs des recommandations et les cadres d'actions que nous avons souhaité proposer en vue, d'une part, d'améliorer le partage des savoirs et, d'autre part, de promouvoir une meilleure gouvernance des CSTI, tout en rappelant les dispositions concernant les CSTI contenues dans la loi pour la refondation de l'école et la loi relative à l'enseignement supérieur et à la recherche.

Le premier point de nos recommandations vise à inscrire de façon systématique et transversale le partage des CSTI dans le système éducatif.

À cet égard, il nous est apparu primordial d'insister sur l'intégration de cette idée de partage dans la formation initiale et continue des enseignants, afin qu'ils sachent sensibiliser les élèves à la pratique de l'expérimentation et développer le goût des sciences et de la technologie. Cela passe par le renforcement des compétences de leurs formateurs, l'intégration d'un module spécifique dans leur cursus, une plus grande place donnée, dans leur évaluation, à leurs qualités pédagogiques, en particulier en matière d'expérimentation, et l'amélioration de leur formation en informatique.

Pour les élèves, nous proposons de promouvoir une pédagogie au service des CSTI dans les différents niveaux d'enseignement : dans les classes maternelles, encourager une initiation à la science et à la technologie, par l'expérimentation et les arts ; en primaire, inclure des programmes de partage des CSTI dans les projets éducatifs locaux - la réforme des rythmes scolaires et le développement des activités périscolaires peut être un très bon levier pour les CSTI -, systématiser la sensibilisation aux sciences de l'ingénieur et aux métiers de techniciens sur le modèle de l'initiative « inGenious », développer le recours aux dispositifs tels « La main à la pâte » dans toutes les classes...

Dans les collèges, nous souhaitons voir généraliser l'enseignement intégré de science et de technologie jusqu'en 3 e , inclure un module consacré au volet industriel des CSTI dans les thèmes de convergences, transformer le cours d'histoire des arts en cours d'histoire des arts et des techniques, faciliter les stages de découverte de 3 e dans les domaines scientifique, technique et industriel.

Dans les lycées, nous trouverions intéressant de généraliser les travaux pratiques encadrés, de renforcer l'enseignement de l'informatique, et d'initier les lycéens à la recherche, avec des organismes en lien avec leur filière, qu'elle soit sociale, économique ou autre.

Plus globalement, nous pensons qu'il est important, afin que davantage d'élèves passent par la sensibilisation aux CSTI, de structurer les dispositifs, notamment en nommant dans chaque établissement un référent en charge de coordonner les actions de partage des CSTI au sein de l'établissement et à l'extérieur, avec les autres acteurs. Nous avons également imaginé des conférences de jeunes citoyens impliquant les parents, ou repris des initiatives québécoises et allemandes de concours ludiques de sciences et techniques.

Améliorer le partage des savoirs, c'est aussi le rendre accessible au plus grand nombre. Il s'agit de corriger les effets pervers de ce que les spécialistes appellent la démocratisation ségrégative du système éducatif français. Pour lutter contre les inégalités sociales, nous émettons des propositions en matière d'orientation scolaire et professionnelle. Nous avons également réfléchi à décaler ces choix d'orientation après la seconde, ou encore à revoir les filières générales, techniques et professionnelles. Quant aux inégalités entre les femmes et les hommes, le rapport constate que les femmes rencontrent toujours des difficultés pour accéder aux carrières scientifiques et techniques. Nous avons ainsi cité l'étude publiée par la revue Nature le 11 décembre dernier, qui se penche sur l'ampleur des inégalités entre les femmes et les hommes dans la recherche, et dont la conclusion insiste sur le fait qu'aucun pays ne peut se permettre de négliger les contributions intellectuelles de la moitié de sa population.

Conformément à notre démarche visant à proposer des solutions les plus concrètes possible, nous avons souhaité introduire dans le cahier des charges des éditeurs de manuels scolaires l'obligation de s'abstenir de clichés sur les femmes et des hommes, former les acteurs de l'orientation scolaire et professionnelle à la mixité des métiers, ou encore conditionner une partie de la dotation aux universités et aux organes de recherche à la prise de mesures en faveur de l'égalité entre les femmes et les hommes, un rapport annuel devant être publié à cette fin.

Améliorer le partage des savoirs passe ensuite par le développement d'une culture de dialogue apaisé sur la science, la technologie et l'industrie, responsabilité que doivent assumer ceux qui détiennent le pouvoir - décideurs, médiateurs de la science et industriels - mais aussi les citoyens. Dans cette perspective, les actions de médiation doivent obtenir une reconnaissance institutionnelle dans la carrière des chercheurs. Nous l'avons fait progresser dans la loi relative à l'enseignement supérieur et la recherche à travers trois amendements :

- la CSTI fait désormais partie de la stratégie nationale de recherche et est prise en compte dans sa mise en oeuvre ;

- possibilité est donnée au conseil académique des universités d'adopter les mesures permettant aux étudiants de développer les activités de diffusion de la CSTI ;

- le Haut Conseil de l'évaluation de la recherche et de l'enseignement supérieur (HCERES) a pour nouvelle mission de s'assurer de la valorisation des activités de diffusion de la CSTI dans la carrière des personnels de l'enseignement supérieur et de la recherche.

Nous avons émis de nouvelles propositions, comme l'ouverture plus large des laboratoires de recherche, l'importation du concours « Thèse en trois minutes », la création d'un module de médiation scientifique en troisième année de licence, le regroupement par territoire des acteurs locaux des CSTI pour mutualiser les outils, ou encore l'incitation au recrutement d'administrateurs de recherche et au développement de cellules d'ingénierie de projets.

Concernant les médias, nous préconisons l'instauration d'un lieu-ressource pour faire le lien entre journalistes et chercheurs, par exemple dans le cadre de l'Institut des hautes études pour la science et la technologie (IHEST). Nous avons ainsi renoncé à instaurer un dispositif analogue au Science Media Center londonien, dont la directrice, que nous avons rencontrée, nous a indiqué qu'il ne comportait pas de spécialistes des sciences humaines et sociales. En outre, comme plusieurs internautes français l'avaient relevé lors de l'affaire Séralini, plusieurs des contributeurs du centre ne sont pas exempts de conflits d'intérêts.

Nous avons jugé nécessaire que les futurs journalistes soient mieux informés des spécificités des CSTI et, à cette fin, que des modules de méthodologie et d'histoire des sciences et des techniques puissent s'intégrer au cursus des écoles de journalisme. Nous avons également proposé de développer des émissions analogues à « D'art d'art » concernant la recherche, ou de feuilletons grand public mettant en scène les métiers de l'industrie, puisque cela marche pour « Les experts », et le développement de synergies entre les différents portails offrant du contenu numérique.

Concernant la place des citoyens dans le débat public, il nous est apparu important de réfléchir à ce que l'OPECST réitère et développe son expérience d'organisation des conférences de citoyens. Pour la participation du public, le niveau régional nous a semblé être le bon échelon. C'est pourquoi nous avons proposé d'inciter les régions à instituer un lieu de débats permanents et un observatoire des sciences et technologies.

Il faut aussi mieux former les décideurs, qu'ils soient économiques, cadres de l'administration ou responsables politiques, à travers la formation initiale délivrée par les grandes écoles, la promotion des formations de l'Institut des hautes études pour la science et la technologie (IHEST) auprès des élus, ou encore créer un café des sciences dans les assemblées parlementaires.

S'agissant de la gouvernance, il importe de renforcer la coordination des politiques au plan national, notamment en conférant désormais un rôle pilote au ministère en charge de la recherche, conformément au souhait que nous ont exprimé de nombreux acteurs de voir s'affirmer un État stratège.

Par ailleurs, ce dernier doit s'appuyer sur les ressources et besoins locaux, ce qui nous a conduits à proposer qu'une conférence annuelle rassemble l'État et les acteurs locaux, afin de débattre des questions touchant à la stratégie des CSTI et d'échanger sur les bonnes pratiques.

Il nous semble qu'il faut également simplifier la gouvernance en séparant la présidence du Conseil national des CSTI de celle d'Universcience, et prévoir au sein de ce conseil une représentation plus importante des régions, des musées et du monde associatif.

Il paraît également important de conforter financièrement les têtes de réseaux, notamment dans leur rôle de coordination des acteurs et de mutualisation de leurs actions.

Au niveau local, nous trouvons de bon aloi le transfert des crédits des CSTI aux régions. En contrepartie, nous pensons important qu'elles émettent, en lien avec l'État, des stratégies territoriales.

Nous pensons également important d'impliquer les collectivités dans l'administration des Maisons pour la science.

Par nos recommandations, nous avons tenté de répondre à la demande des acteurs d'une gouvernance régionale forte, qui respecte l'autonomie et la diversité, mais qui favorise la cohérence de leurs actions, en leur permettant de mutualiser leurs travaux. Sur ce point, un membre de l'OPECST a souligné la très forte responsabilité que les régions auront à exercer, compte tenu du transfert des crédits mais aussi et surtout du rôle crucial qu'elles auront à jouer dans la mise en oeuvre de nos recommandations.

Nous avons aussi voulu insister sur le fait que connaître et partager les cultures scientifique, technique et industrielle constituait un objectif politique majeur, dont on ne pourra faire l'économie, sous peine de vider la notion de société de la connaissance de toute substance, et de prendre le risque de mettre en péril l'impératif de cohésion sociale, en creusant davantage le fossé entre sachants et non-sachants.

Mme Marie-Christine Blandin, présidente de la commission de la culture, de l'éducation et de la communication du Sénat

Merci. Ce travail est conséquent, et les propositions sont vraiment très riches.

Comment les spécialistes, sur le terrain, voient-ils l'implication des institutions, des associations ou des pilotes politiques ?

M. Bernard Alaux, directeur de Cap Sciences

Je suis très honoré de me retrouver ici, à l'heure où la culture scientifique prend de plus en plus d'importance. Il était nécessaire que ce travail soit réalisé pour pouvoir affirmer une véritable gouvernance, qui participe d'une action publique, concertée, efficace et reconnue.

J'évoquerai ici ce que je vis en tant qu'acteur d'un écosystème régional, sous le contrôle de deux sénateurs de la Gironde que j'aperçois autour de notre table.

Le CCSTI de Bordeaux, que je représente ici, a une identité forte, comme tous les autres centres, qui construisent leur singularité autour de quatre ou cinq points, dont un ancrage territorial fort, avec des régions, des métropoles, ou des villes. Par ailleurs, en particulier chez Cap Sciences, l'administration est constituée par les collectivités, mais surtout par les universitaires, les laboratoires de recherche et les industriels. C'est une originalité qui labellise notre action. Il existe en outre une véritable professionnalisation des personnels, avec des actions innovantes, dans le cadre de la recherche-développement, à laquelle Cap Sciences consacre 25 % de son budget. Ceci est assez rare et mérite d'être souligné.

La culture scientifique s'ouvre sur énormément de domaines : éducation, culture, tourisme, social, économie, environnement. Cette transversalité est extraordinaire. C'est une véritable force et non pas seulement une approche disciplinaire. Aujourd'hui, on n'apprend plus à gérer des lieux, mais à gérer du lien. C'est fondamental.

Tout ce travail est possible parce que l'autonomie est possible. Nous sommes des acteurs complètement autonomes, ce qui nous permet de nous ouvrir non seulement à des réseaux associatifs, comme « Les petits débrouillards », « Planète Science », mais aussi aux universités, aux pôles de compétitivité, aux acteurs professionnels - Bordeaux Chimie, Bordeaux Santé, Bordeaux Aéronautique.

L'avenir est donc bien de conforter et de développer ce travail en fonction des projets, des conceptions, des coopérations et des coproductions. Je vais vous faire un aveu : ma plus grande fierté n'est pas que Cap Sciences soit le lieu culturel le plus visité de Bordeaux - nous faisons plus d'entrées payantes que les trois musées de la ville réunis - mais d'avoir créé six emplois en contrat à durée indéterminée (CDI) en un an et demi, dans des sociétés de l'économie créative, grâce à la recherche-développement ! La force de la culture scientifique représente donc bien quelque chose sur un territoire. Nous nous devons d'être, avec certains filets de sécurité, comme l'aide publique, les plus audacieux et les plus innovants, afin de nous mettre au service du public !

Je tiens à souligner que nous ne sommes pas, comme beaucoup d'acteurs culturels, des acteurs de diffusion et de partage, mais que nous produisons du savoir. Nous sommes un des acteurs majeurs qui participent du design du savoir sur les territoires, grâce à la mise en scène de la connaissance, en associant des ergonomes, des cogniticiens, des informaticiens, et des industriels. Ceci m'apparaît fondamental.

Poursuivre cette action passe par la proximité et par les régions, mais il faut malgré tout conserver un État stratège. Ceci doit être fait par le ministère de la recherche. Vous l'avez fort bien souligné, en page 242 de votre rapport, en affirmant qu'il fallait des correspondants de la culture scientifique dans chaque ministère. L'interministérialité est toujours difficile mais, ainsi que je l'ai dit, la culture se retrouve dans le tourisme, le social, les politiques de la ville, l'économie, l'environnement... Ce pilotage est donc primordial.

Je ne reviens pas sur l'importance d'une conférence annuelle entre l'État et les acteurs régionaux, ni sur le rôle des contrats de projets. Il faudrait même y inviter l'Agence nationale de la recherche (ANR). L'ANR avait, à une certaine époque, décidé de consacrer 1 % de ses financements, au sein des projets de recherche, à la vulgarisation et à la rencontre avec le public. Il est dommage qu'on n'ait pas évalué cette action lors de l'année polaire internationale (API).

Peut-être convient-il également de réformer le Conseil national de la CSTI, avec une présence des régions et du milieu associatif plus importante, et de conforter financièrement les têtes de réseau ?

Ce mode d'intervention de l'État doit surtout s'appuyer sur de grands principes, comme pour les projets européens. Il faut une véritable stratégie, participant d'un dynamisme national et renforçant la lisibilité de l'affaire. Il faut appuyer une politique de projets d'intérêt national, favoriser l'interrégionalité, les interactions entre les acteurs culturels, amener du métissage, quitte à créer une agence s'inspirant du cinéma ou du théâtre pour déclencher une certaine fierté locale, ou amener de la valeur à l'exportation.

Tout le monde est d'accord sur ce qu'il faut faire. Il faut à présent réfléchir à la manière de mener les choses à bien. L'État ne doit pas chercher à harmoniser les actions, il doit y inciter !

M. Didier Moreau, directeur de l'Espace Mendès-France

L'Espace Mendès-France, que je dirige, est un centre de culture scientifique, technique et industrielle, lancé il y a une trentaine d'années par des scientifiques poitevins ; cette plateforme régionale construite en 1983 est située à Poitiers, et accueille, tous les ans, 125 000 personnes.

La table ronde de ce matin renvoie les praticiens de terrain à deux questions : comment conforter, renforcer et améliorer l'existant dans une relation au public ? Comment s'y reconnaître dans cette profusion de supports, face à l'évolution territoriale et à celle des politiques nationales et régionales, et piloter des actions en concertation avec une multitude d'acteurs ?

La profusion crée-t-elle ou non de la confusion ? Peut-on en tirer de nouvelles façons de tisser des liens avec nos sociétés sur le plan régional ? De tout temps, la région Poitou-Charentes a intégré la notion de culture scientifique dans ses différents dispositifs, qu'il s'agisse des contrats de plan État-régions, des contrats de projets État-régions, mais également d'un certain nombre d'éléments permettant de structurer la relation entre les fabricants et les producteurs de connaissances que sont les universitaires, les établissements de recherche, le monde industriel et nos publics.

J'ai cru remarquer que cette confusion entre les publics et les contenus scientifiques sévissait au moins à trois niveaux. Lorsqu'on parle de culture scientifique et de public scolaire, sur quel niveau d'approche et d'apport entend-on travailler ?

Par rapport à l'éducation populaire, informelle - de « plein-air », disent les Québécois - comment évolue-t-on vers une relation avec le public s'inscrivant dans ce qu'un sociologue appelait récemment le « sacre de l'amateur » ? L'Internet est en train de créer, à travers sa capacité de diffusion, une offre plus ou moins légitime, plus ou moins cautionnée, plus ou moins relative. Qu'on le regrette ou non, cette offre est présente et accessible à toutes et à tous. 98 % de ceux qui offrent quelque chose sur Internet sont des amateurs, éclairés ou non, qu'il faut intégrer dans nos problématiques.

Le troisième niveau de confusion est celui qui va peut-être nous occasionner le plus de problèmes dans le futur : quand on parle de sciences, de connaissances, où place-t-on le débat ? Qui est expert, et qui ne l'est pas ? Comment rétablit-on un dialogue indispensable entre celles et ceux qui savent - en dehors de l'académie - et celles et ceux qui sont censés écouter et profiter de ces débats ?

La question de l'éducation formelle ou informelle, du débat, et de la légitimité des informations données et de la manière dont on les propose au public constitue un enjeu qui a existé par le passé, mais qui était assez simple à gérer, toutes choses égales par ailleurs. Ce sera maintenant de plus en plus compliqué.

Dans le cas de la coordination de la Fête de la science, comme chaque année, j'ai dû gérer une centaine de dossiers de demandeurs. L'un d'eux provenait d'une association qui entendait travailler sur l'environnement. Deux ou trois choses me gênaient cependant. En consultant son site Internet, je me suis rendu compte qu'elle était rattachée à des sites créationnistes nord-américains. Ceci pose des questions sur la manière dont on peut aborder les réseaux, qui utilisent le fait scientifique comme fait de débats. Aucun problème à créer le débat ! Encore faut-il qu'il soit transparent et que l'on puisse l'organiser.

Il existe actuellement une importante polémique, en Europe, sur la culture scientifique. Il faut sortir de la diffusion, produire, coproduire, coéditer, co-organiser. Or, à force de ne plus savoir qui fait quoi et qui est qui, on risque de rencontrer des difficultés.

Je rebondis sur ce que disait Bernard Alaux : un État qui se déclare stratège peut-il l'être sans avoir les moyens de sa stratégie ? C'est ce qui vient de se passer au sein de la loi relative à l'enseignement supérieur et à la recherche : on ne s'est pas posé la question de savoir si les crédits transférés aux régions ont fait ou non l'objet d'une concertation, s'intègrent ou non à une politique régionale, alors que c'était encore le cas en Poitou-Charentes il y a plus de vingt ans. L'État peut-il se proclamer stratège s'il n'est pas capable de créer des rapports de force sur un certain nombre des questions qui vont se poser ? La culture scientifique est-elle régionalisée ou universelle ?

Des régions qui travaillent sur telle ou telle thématique scientifique ne vont-elles accompagner que la production d'informations, d'outils de diffusion ou le débat sur des thèmes régionaux, en oubliant que, lorsqu'on parle de chimie verte, on parle de chimie, que lorsqu'on parle de matériaux composites, on parle de physique ?

La question de la régulation est peut-être financière, ou du côté d'organismes qui devraient réguler un certain nombre de choses, mais aussi, du point de vue de la nature même du débat, satisfaire un impératif démocratique. Un acte culturel, éducatif et scientifique peut-il être uniquement thématisé à l'aune de telle ou telle problématique régionale, ou n'a-t-il pas des fondements universels, auxquels tous nos concitoyens, jeunes et moins jeunes, ont le droit d'accéder ?

Si les acteurs qui participent à des actions, une programmation, une diffusion, une coproduction culturelle scientifique, technique et industrielle, se trouvent adossés à des programmes régionaux, je ne donne pas longtemps pour que la question de la culture scientifique, dans sa version universelle, pose problème.

Mon ami du Collège de France, Michel Brunet, rappelle souvent que, s'il avait dû chercher Toumaï, notre ancêtre, avec le dispositif d'aide à la recherche actuel, il ne l'aurait jamais trouvé ! L'universalité de la culture scientifique n'est donc pas à opposer, mais à mettre en complémentarité avec la question régionale, contextualisée, d'une culture scientifique adaptée aux besoins de nos concitoyens.

La question du débat mérite largement d'être soulevée en termes d'exigence et d'excellence des contenus. La question de l'éducation formelle et informelle renvoie aussi aux acteurs du monde de l'éducation nationale. Je vous rappelle le taux de recrutement dans les écoles supérieures du professorat et de l'éducation (ÉSPÉ). Les directeurs de ces établissements sont réunis en ce moment à Poitiers : la baisse de la pratique scientifique dans les écoles primaires françaises mérite que l'on s'interroge.

Si l'État n'est présent que de manière institutionnelle dans les régions, il ne faudra pas dix ans pour qu'un certain nombre d'éléments structurés, qui font l'honneur de la France depuis une trentaine d'années, se délite. Les acteurs de la culture scientifique existants ou émergents vont se retrouver dans une inévitable situation de concurrence. Ce danger est devant nous. Il entraîne un certain nombre d'interrogations, en particulier à propos de la nécessité de faire coopérer à nouveau la culture, l'enseignement supérieur, la recherche, l'éducation nationale et l'éducation populaire.

Ce ne sont pas des comités interministériels, même améliorés, qui pourront être force de propositions. Je pense qu'il faut aller vers des relations formelles et informelles, pour que tous les acteurs puissent être partie prenante d'une discussion préalable, mais aussi d'une véritable évaluation sur le terrain.

Mme Marie-Christine Blandin, présidente de la commission de la culture, de l'éducation et de la communication du Sénat

Merci de ces avis.

Je précise que l'infiltration des associations de terrain par des créationnistes a connu son apogée il y a quelques années, au sein même de l'éducation nationale, avec l'envoi d'un splendide manuel à tous les centres de documentation, que des gens peu attentifs ont mis à la disposition des enseignants et des élèves. L'iconographie était séduisante, mais l'ouvrage n'en véhiculait que mieux des théories catastrophiques. À l'époque, nous avions alerté le ministère. Deux journées de formation avaient été organisées, avec les contributions du Collège de France, du Muséum, et de la Sorbonne, pour les inspecteurs généraux et quelques enseignants pilotes, afin de leur procurer les outils scientifiques de qualité que vous appelez de vos voeux.

M. Hervé Prévost, référent du Comité pour les relations nationales et internationales des associations de jeunesse et d'éducation populaire (CNAJEP)

Je vous remercie de nous avoir invités et d'avoir également inscrit dans le rapport la place et l'importance des actions d'éducation populaire dans les CSTI.

Je représente le CNAJEP et son groupe de travail « Éducation populaire aux sciences par les sciences ». Le CNAJEP représente 70 organisations de jeunesse et d'éducation populaire.

On estime que les activités scientifiques et techniques concernent environ 1,8 million d'enfants et d'adolescents chaque année, encadrés par 5 600 animateurs professionnels, et autant de bénévoles.

Notre champ d'action concerne en premier lieu l'éducation des enfants et des adolescents, en complément de l'école, à la fois dans le cadre scolaire, périscolaire et extrascolaire. L'éducation populaire pouvant s'exercer tout au long de la vie, elle concerne aussi les adultes et les familles.

Enfin, la formation constitue un axe important de notre action quotidienne, qu'il s'agisse de la formation des volontaires, ou de la formation professionnelle des éducateurs. Ceci me permet d'introduire une première remarque sur le rapport, en soulignant que la formation à la culture scientifique ne concerne pas que les enseignants, mais touche également le champ de l'animation.

Je prendrai une précaution préalable avant de débuter mon propos au sujet de la question du financement de la culture scientifique, notamment dans les régions. Aujourd'hui, les associations, face aux chutes de crédits très importantes qu'elles subissent, consacrent avant tout leur énergie à la sauvegarde des actions qu'elles mènent. Fort heureusement, nous arrivons encore à le faire en bonne intelligence, de manière inter-associative, ou en partenariat bilatéral ; en revanche, la consolidation des réalités et des singularités de chaque association et, à plus forte raison, de chaque territoire, représente une mission quasiment impossible en termes d'investissement humain.

Malgré la réunion de travail que nous avons eue la semaine dernière, mon propos sera somme toute assez général, aucune exhaustivité en la matière n'étant possible.

Je suis chargé, s'agissant de la question du financement des actions d'éducation populaire aux sciences par les sciences, de faire remonter cinq éléments saillants.

En premier lieu, il m'appartient de rappeler que la problématique du financement est autant nationale que territoriale.

En second lieu, je dois insister sur le fait que, sans financement des têtes de réseau national, le développement des actions territoriales est impossible - ou en tout cas en grave difficulté. En effet, le rôle des têtes de réseau national porte sur la formation des acteurs, la coordination des projets, l'innovation pédagogique, la création et la diffusion de ressources. Comme cela a été dit à plusieurs reprises, le CNAJEP et ses membres souhaitent que les fonds nationaux soient sanctuarisés et que l'on revienne, si possible, au conventionnement, dans le cadre des conventions pluriannuelles d'objectifs.

Le troisième point concerne les financements régionaux à proprement parler. Je vais sans doute enfoncer une porte ouverte en disant qu'il existe autant de réalités que de régions, ces réalités, ces singularités, ou ces disparités recouvrant autant la question des montants accordés que les modalités de distribution. D'une manière générale, il nous semble essentiel de tendre vers une égalité de traitement entre les politiques régionales. De même, nous soulevons les difficultés liées au financement via les seuls appels à projet, qui excluent le plus souvent toute prise en compte des frais de fonctionnement indispensables au développement d'actions associatives. Ces appels à projet obligent en outre le plus souvent à renouveler systématiquement chaque année les projets éligibles, ce qui rend impossible la pérennité nécessaire au développement qualitatif et quantitatif des actions.

Pour ce qui concerne les modalités d'attribution, nous demandons, d'une part, à être mieux reconnus à l'échelon territorial et, d'autre part, à y voir plus clair. Je ne saurais dire exactement dans combien de pôles territoriaux de référence (PTR) nos associations sont invitées, mais ce nombre est extrêmement faible !

Pour ce qui est des critères d'éligibilité, nous n'avons la plupart du temps aucune visibilité : à un moment donné, une association va être financée ; à un autre, elle ne le sera pas. Quels critères ont présidé à ces choix ? On ne le sait pas.

Enfin, la disparité concernant la question des financements départementaux est encore plus importante que celle des régions. Je voudrais souligner une évolution significative autour de la mise en place de la refondation de l'école et des activités périscolaires, évolution très importante, à la fois pour le développement des actions et pour le financement, pourvu qu'elle se mette en place dans le cadre d'une concertation sur les projets éducatifs territoriaux (PEDT), et non d'une prestation d'appels à projet ou d'appels d'offre, comme on le voit actuellement dans un certain nombre de collectivités.

Quatrièmement, nous ne comprenons pas pourquoi - alors qu'elles sont reconnues par le plan comptable national - les classes dites 8 du plan comptable des associations, qui concernent la valorisation du bénévolat, ne sont pratiquement jamais acceptées dans les justificatifs financiers permettant d'obtenir le versement définitif des subventions. Une action associative reposant souvent à parité sur du salariat et du bénévolat, on perd de ce fait la possibilité de justifier jusqu'à 50 % des charges, ce qui est énorme.

Enfin, un mot sur les investissements d'avenir. Pour les raisons évoquées en préambule - difficulté de trouver du temps, complexité du montage des dossiers -, à ce jour, à ma connaissance, seulement cinq dossiers associatifs dans le champ de l'éducation populaire ont été déposés. Pour trois d'entre eux, les difficultés de montage se prolongent par des difficultés administratives. Aucune convention n'a encore été signée, un an après la notification. Ceci engendre un problème de trésorerie que l'on peut aisément imaginer, mais aussi une forte incertitude, à l'origine de retards dans le calendrier du projet, qui risquent d'être préjudiciables au règlement des acomptes. Le serpent se mord donc la queue : plus on avance, plus les difficultés s'accroissent. Ici aussi la question de la prise en compte des « classes 8 » est cruciale, celles-ci n'étant pas a priori acceptées.

De fait, alors qu'une envie assez forte existe au sein des associations de proposer un projet très collégial et pluriel, l'hésitation est à la hauteur de l'enthousiasme ; je ne sais si nous réussirons à déposer un projet d'ici à la fin de l'année sur les crédits restants. Pourtant, la force de frappe d'un tel projet pourrait potentiellement concerner près d'un million d'enfants et d'adolescents !

Comme cela a été dit lors de notre audition devant le Conseil national de la culture scientifique, technique et industrielle, il y a un peu plus d'un an, nous attirons solennellement l'attention des autorités nationales et territoriales sur le risque réel de disparition des actions d'éducation populaire aux sciences par les sciences, si la question des politiques et des moyens nationaux et territoriaux n'est pas analysée en profondeur.

Cette audition peut y contribuer : c'est pourquoi nous vous remercions de nous y avoir invités.

Mme Marie-Christine Blandin, présidente de la commission de la culture, de l'éducation et de la communication du Sénat

Cette alarme nous émeut, croyez-le bien. Nous vous demanderons peut-être des approfondissements au sujet des « classes 8 ». Ceci rejoint les difficultés du spectacle vivant d'associer les pratiques amateurs et bénévoles. Nombre d'entrepreneurs de spectacles se retrouvent privés de leur licence, voire déférés en justice, pour emploi dissimulé, au seul motif que des bénévoles, dans un esprit d'économie sociale et solidaire, ont contribué à des projets. C'est à cela que s'oppose l'administration, et ce sur quoi nous travaillons.

Mme Isabelle This Saint-Jean, vice-présidente du conseil régional d'Île-de-France, vice-présidente de la commission « Enseignement supérieur, recherche et innovation » de l'Association des régions de France (ARF)

Je vous remercie à mon tour pour votre initiative, et pour le travail que vous avez effectué sur un sujet qui, vous l'avez dit, est absolument fondamental pour notre démocratie, et pour l'avenir de notre pays, pour toute une série de raisons - attractivité des carrières scientifiques, débouchés en termes de valorisation d'activités scientifiques, nécessité d'inscrire à l'agenda des chercheurs un certain nombre de problématiques qui s'imposent. C'est ce que nos concitoyens doivent faire remonter. Il est nécessaire de faire fonctionner mieux qu'aujourd'hui ce triangle assez complexe, composé de la communauté scientifique, de nos concitoyens et des responsables politiques.

Tous les moyens doivent être mis en oeuvre, toutes les modalités doivent être travaillées. La difficulté est immense, dans la mesure où la diversité des acteurs est grande - et doit le rester pour l'efficacité du dispositif. Je ne trouve pas meilleurs ambassadeurs de ce propos que les deux intervenants précédents, chacun mettant en évidence l'un des aspects de ce milieu, qui porte la question des cultures scientifique et technique, et de leur partage.

Dans ce cadre, le rôle des régions a été repensé ; c'est une bonne chose, et la loi a constitué sur ce point une très bonne avancée, dans la mesure où les régions peuvent jouer un rôle extrêmement positif.

En effet, la caractéristique d'une région repose, d'une part, sur sa dimension de proximité et, d'autre part, sur sa capacité à aménager un territoire donné, par rapport aux collectivités infrarégionales. À ce titre, les régions constituent des acteurs efficaces de la CSTI en bénéficiant d'un bon niveau de proximité, tout en jouant le rôle d'aménageurs du territoire.

Cela ne veut évidemment pas dire qu'il ne faut pas avoir en tête une régulation nationale, tout en gardant à l'esprit les risques découlant de la diversité des régions, du fractionnement du territoire ou des inégalités territoriales.

J'en ai pleinement conscience, étant donné mes responsabilités au sein de l'ARF, où je peux évaluer la diversité de nos associations, et au sein de la région Île-de-France - ô combien singulière par rapport aux autres par l'hyper-concentration de l'activité scientifique sur son territoire. Nous concentrons en effet 40 % de la recherche française sur notre sol, avec 16 universités, 45 très grandes écoles, des infrastructures de recherche internationales : nous sommes la première région européenne de recherche. Je me rends donc bien compte, lors de nos discussions avec nos homologues, que la région Île-de-France constitue un cas particulier.

Il faut veiller à penser le dispositif nationalement, sans que la région Île-de-France devienne un point aveugle, sur lequel les parlementaires ne réfléchissent pas précisément, d'autant que cette région est incroyablement diverse en son sein. On y retrouve des problématiques d'aménagement du territoire que l'on trouve entre les régions. J'ai donc bien conscience de la difficulté qui est soulevée, mais je crois que cela valait malgré tout le coup de donner aux régions la place qu'elles occupent, ainsi que cette responsabilité de coordination.

Le travail est toutefois immense : les acteurs sont innombrables - et ils doivent le rester pour que nous soyons efficaces. Pour toucher tous les publics, on a besoin d'une diversité d'acteurs. On a également besoin de mobiliser les acteurs académiques davantage qu'ils ne l'étaient auparavant. Sans rien enlever au rôle des médiateurs, celui de la communauté scientifique est essentiel. La loi a appuyé certaines choses.

De la même manière, la question des médias, qui fait l'objet d'une partie du rapport, est un point essentiel : on ne peut continuer avec des chaînes publiques de télévision qui ne laissent aucune place à la science ! C'est pire qu'avant ! Je pense que les parlementaires doivent se saisir de cette question.

Je remercie les parlementaires d'avoir fait en sorte que les régions puissent avoir une action. Nous avons devant nous un long chemin difficile. Il faut voir comment les uns et les autres vont pouvoir avancer ensemble, face à cette question qui intéresse trop peu de parlementaires. Hormis ceux qui sont aujourd'hui autour de la table, dont le visage m'est familier, nous n'arrivons pas à les mobiliser à propos de ce sujet. Je remercie donc ceux qui sont présents, mais je crois qu'il faut alerter vos collègues sur cette question essentielle.

Les régions doivent également travailler nationalement sur un certain nombre de points : il faut qu'elles se dotent systématiquement d'un conseil scientifique, comme nous l'avons fait en Île-de-France, de la même manière qu'il existe une conférence régionale, instance de dialogue et de discussions avec les acteurs de la recherche et de la diffusion scientifique. Ce point est important.

Nous organisons, le 7 juillet prochain, dans notre hémicycle, une réunion à laquelle je vous invite tous. Il convient d'agir, en articulation avec le schéma régional qui sera à construire, en évitant que la CSTI ne rencontre les difficultés que connaissent aujourd'hui la recherche et l'enseignement supérieur dans la montée en puissance des régions.

Autant je suis favorable à l'enseignement supérieur et à la recherche en région, autant je suis beaucoup plus sceptique à propos des universités de région et des acteurs de région. On risque en effet de réduire la diversité du tissu académique et scientifique et la diffusion de la culture scientifique à de grandes thématiques. Ce n'est pas forcément ainsi que les choses seront plus efficaces. Qu'on y réfléchisse est une chose, mais qu'on le réduise à cela en est une autre !

Ainsi, parmi les nouvelles recrues de l'Académie des sciences accueillies je crois hier, beaucoup viennent des régions et ont travaillé sur des domaines qui n'ont rien à voir avec la grande thématique de la région. Il faut donc faire attention à cela. Cela ne veut pas dire qu'il ne doit pas exister une réflexion et un renforcement des pôles dynamiques dans les régions. Évidemment, l'Île-de-France ne connaît pas cette difficulté car toute la recherche et l'économie sont là : nous ne ferons donc pas courir ce risque aux acteurs de la diffusion de la culture scientifique franciliens - mais peut-être nous leur en ferons-nous courir d'autres !

Enfin, si l'organisation est une chose essentielle, tous les acteurs de la culture scientifique reconnaissent que c'est aussi une question de moyens. Sans moyens, nous n'y arriverons pas. Il faut qu'un effort majeur soit réalisé en matière d'enseignement supérieur et de recherche. L'Europe nous le permet. Elle a renforcé ses financements. Nous n'y arriverons pas autrement.

La région Île-de-France a récupéré une part du financement régional de l'ordre de 300 000 euros, moins que Rhône-Alpes, alors que 40 % de la recherche française se trouvent en Île-de-France, avec une population de plus de 10 millions d'habitants et des territoires qui, comme la Seine-Saint-Denis, nécessitent un regard prioritaire en matière de démocratisation. Les choses vont donc être compliquées. La région a fait une priorité de ces sujets depuis 2010. C'est l'un des quatre grands engagements de mon mandat, mais il est clair que ceci doit se faire au plan national. Les régions ne pourront agir seules, d'autant que, dans les discussions en cours relatives à la décentralisation, la place de l'enseignement supérieur et de la recherche est un point aveugle. Il ne serait pourtant pas totalement absurde que celui-ci rejoigne le continuum que constituent les lycées, l'innovation et le développement économique. La difficulté vient de la crainte que nourrit le monde académique par rapport à l'idée d'universités de région.

Toutefois, si des compétences nouvelles échoient aux régions, ces dernières, avec des compétences plus lourdes et sans moyens nouveaux, risquent de se retirer. Si nous nous retirons de l'enseignement supérieur et de la recherche, nos possibilités de porter la culture scientifique s'en trouveront alors fragilisées. C'est un point sur lequel il faudra réfléchir collectivement.

Je suis malheureusement attendue au conseil de région ; je ne pourrai donc entendre les questions. S'il y en a, on me les transmettra et j'y répondrai ultérieurement.

Mme Marie-Christine Blandin, présidente de la commission de la culture, de l'éducation et de la communication du Sénat

Mme Olivier est également dans votre cas. Tous vos propos sont consignés : s'il y a des questions précises, nous vous les ferons parvenir.

On parlait auparavant du dispositif appelé « Grand emprunt », qui a changé de nom, pour devenir le programme d'investissements d'avenir (PIA). Dès le début, une grande dame à qui l'on peut rendre hommage, Claudie Haigneré, avait dit que s'il y avait un PIA, il faudrait de l'argent pour le partage de la CSTI. Ce partage est aujourd'hui porté par le président du comité de pilotage des investissements d'avenir sur la CSTI.

M. Bernard Chevassus-au-Louis, président du comité de pilotage des investissements d'avenir sur la CSTI

J'ai la chance de présider ce comité depuis quatre ans, et je vais essayer de vous faire part de quelques-unes de mes analyses.

En préambule, notre comité de pilotage se place dans l'optique des investissements, c'est-à-dire dans une vision de la ou des cultures scientifique, technique et industrielle très liée à la relance de l'innovation, de l'activité industrielle, de l'intérêt pour les carrières scientifiques et des métiers liés aux techniques et à l'industrie. On peut dire que ce n'est qu'une composante des CSTI.

Le fait d'essayer de professionnaliser davantage la CSTI a pu être perçu par certains comme une vision utilitariste de ces cultures, mais nous l'avons assumé dès lors qu'il s'agissait du choix politique du Gouvernement de relier les CSTI avec les objectifs globaux des investissements d'avenir.

J'ai, dès le départ, posé la question de savoir si nous avions ou non une politique territoriale, et si nous devions ou non prendre en compte la répartition de ces activités sur le territoire. La réponse qui nous a été donnée a été négative. Nous devions donc examiner tous les projets et les soutenir s'ils étaient bons. Nous avons suivi ces projets à travers le territoire pour nous faire une opinion, sans que cela ait d'incidence sur le choix que nous pouvions faire.

Enfin, il a été décidé que la mise en oeuvre concrète des crédits des investissements d'avenir serait déléguée à un certain nombre d'agences, comme l'Agence de l'environnement et de la maîtrise de l'énergie (ADEME), l'Agence nationale de la recherche (ANR), l'Agence nationale pour la rénovation urbaine (ANRU). Chacun a mis en place les décisions des comités de pilotage, avec des manières de faire qui pouvaient être assez différentes d'une agence à l'autre.

Je pense que c'est plutôt à ces agences de répondre aux critiques et à la question de savoir si la manière dont elles mettent en place ces crédits pourrait être améliorée ou non. Nous avons commencé à mettre en place des audits sur l'utilisation de ces crédits, et allons avoir un retour sur la bonne gestion de l'argent public.

Depuis quatre ans, nous avons tenu 17 sessions, dont l'une se déroule en ce moment même ; je serai d'ailleurs obligé de la rejoindre après mon intervention. Environ 170 dossiers ont été traités. Certains se sont présentés plusieurs fois, d'abord sous forme de déclaration d'intention, puis de premier projet, parfois suivi d'un débat avec les porteurs de projets. Ceci représente environ 100 à 120 projets.

Nous en avons de l'ordre de 50, qui sont soit en cours de financement, soit de montage ; nous avons engagé à peu près 85 millions d'euros sur les 100 millions d'euros prévus, désormais répartis. L'année 2014 constituera la fin de l'opération d'attribution des moyens ; nous continuons néanmoins à travailler sur l'accompagnement des projets et leur évaluation.

Qu'avons-nous essayé de faire à travers ces financements ? Je vous livrerai ici quelques objectifs ou critères. Le premier a été de décloisonner. On s'est rendu compte qu'entre l'éducation formelle et l'éducation informelle, les acteurs de régions différentes essayaient de faire de leur mieux, mais communiquaient relativement peu entre eux. Je ne citerai aucun lauréat, afin de ne pas susciter de jalousie - mais ceux-ci se reconnaîtront.

Tous les projets essayant de coupler des acteurs de la même région ou de régions différentes sur des thématiques et de l'apprentissage ont constitué pour nous un élément important.

Nous avons, en deuxième lieu, essayé d'attirer d'autres opérateurs que les opérateurs classiques de la CSTI - chambres des métiers, syndicats professionnels, entreprises, petites ou grandes, conscientes du rôle-clé de la CSTI - pour s'associer à des acteurs connaissant ces métiers, et nous avons encouragé cet élargissement.

Le troisième point sur lequel nous avons beaucoup insisté a été le ciblage des publics, l'absence de définition précise de ceux-ci, de leurs attentes et de leurs problèmes spécifiques, conduisant en effet à l'élitisme.

Le quatrième critère visait à nous permettre de savoir si le projet aurait ou non une portée générique, transposable à d'autres cercles, ayant constaté la sous-capitalisation des savoir-faire. Il n'existait aucun lieu pour tenter d'évaluer l'efficacité de ce qui allait être fait, de mettre les savoirs en commun, afin de travailler davantage ensemble. Cette question est tout aussi importante pour les savoirs universitaires que pour les savoirs de la CSTI, où il existe de vraies expériences qu'il faut pouvoir capitaliser.

En dernier lieu, il s'agissait de savoir si les actions mises en place constitueraient des feux de paille ou si un modèle économique durable en émergerait. C'est là la grande interrogation. Même si nous essayons à chaque fois de voir comment ces travaux peuvent se projeter dans l'avenir, nous avons le sentiment que cela peut constituer un noeud entre l'action qui se termine et la suite des événements. Cette question peut se penser entre les acteurs d'une même région, mais aussi en termes de métiers, dans des réseaux bien plus largement répartis sur le territoire. De nouveaux métiers sont nécessaires pour comprendre Internet, élaborer de nouveaux produits, et il faut pouvoir encourager ces réseaux de savoir-faire thématiques.

Il existe une mondialisation de la CSTI ; les grandes expositions se conçoivent aujourd'hui dans une optique de diffusion mondiale. Il faut donc professionnaliser notre réseau, si l'on veut mettre la culture française en avant.

La grande question est celle d'une structuration durable du réseau en des lieux où on capitalise, on apprend, on forme, on met en commun et on définit ensemble de grandes stratégies, en interaction avec les régions, comme d'autres intervenants l'ont dit précédemment.

Nous allons mettre en place une évaluation globale de ce programme, avec deux finalités : rendre compte à la puissance publique de l'utilisation de l'argent attribué et, surtout, faire en sorte que cette évaluation permette à ces projets de se pérenniser. Cette évaluation se veut un outil dynamique et ne constitue pas une sanction. Il nous faudra cependant être très rigoureux concernant les audits relatifs à la bonne utilisation de l'argent public.

Mme Marie-Christine Blandin, présidente de la commission de la culture, de l'éducation et de la communication du Sénat

Monsieur Bouvier, comment une association comme « Les petits débrouillards », connue et bien répartie sur le territoire, vit-elle la nouvelle organisation et les réseaux de partenaires ? Comment travaillez-vous ? Je salue également la présence de la présidente de l'association, Mme Ghislaine Hierso.

M. François Bouvier, président d'honneur de l'Association française des petits débrouillards (AFPD)

Je pense être également invité en tant qu'éditeur scientifique et ancien directeur régional à la recherche et à la technologie (DRRT). Je suis un vieux routier de la culture scientifique, et je me définis parfois comme le Cornélius de la CSTI ! À ce titre, je voudrais faire quatre remarques sur le rapport de l'OPECST.

Vous avez parlé de partage : c'est un terme extrêmement fort et important. Ainsi que l'a rappelé Didier Moreau, tout partage comprend deux parties, les scientifiques et la société civile. Il faudrait donc aller au-delà d'une approche purement scientiste, et être attentif aux interrogations et aux questionnements. Il convient en particulier de ne pas reculer devant l'attaque des obscurantistes. Il faut que nous soyons présents, que nous sachions nous battre et répondre. Pour ce faire, il faut être à l'écoute et entamer les dialogues nécessaires.

Deuxième idée : vous avez parlé d'une harmonisation État-régions et d'une conférence annuelle. Je rappelle que dans la loi Curien de 1984, qui venait préciser certains termes de la loi d'orientation et de programmation de la recherche du 15 juillet 1982, Hubert Curien avait prévu une conférence annuelle entre l'État et les régions. Elle s'est tenue une fois ! Il faut être attentif au fait que ces choses-là sont très difficiles à mener dans la continuité.

Vous avez par ailleurs évoqué les différents acteurs, en particulier Universcience. Je rappelle qu'il existe d'autres grands établissements nationaux, comme le Muséum national d'histoire naturelle, qui jouent un rôle extrêmement important dans le développement de la science participative dans l'ensemble de nos régions. Il ne faut pas oublier ces établissements nationaux, qui ont aussi un rôle fédérateur et central.

Enfin, je reprendrai ce qu'a dit Isabelle This Saint-Jean à propos des différents acteurs de la culture scientifique pour rappeler qu'il ne faut pas oublier les médias. On trouve derrière eux cet autre véhicule, que je connais bien, celui de la publication du livre scientifique, aujourd'hui en déshérence totale. De la même façon que les médias se désintéressent de la science, il est difficile, même au sein d'une grande maison comme celle pour laquelle j'essaye de me battre, de conserver une place à la science. Ceci se retrouve également dans les grandes librairies, comme la FNAC, où le rayon consacré aux sciences est plus petit que celui consacré à l'ésotérisme !

Les « Petits débrouillards » constituent un réseau de terrain bien connu, réparti sur la totalité du territoire, avec une tête de réseau et des relais régionaux. Ceci explique notre sensibilité à l'existence d'une certaine lisibilité dans la politique de culture scientifique, et notre souhait que l'État fasse connaître ses orientations. Pour le moment, les choses sont encore largement en question, l'État étant extrêmement faible en la matière, surtout en moyens humains et financiers : la cellule qui suit ces questions est aujourd'hui composée de deux personnes et gère en tout et pour tout 150 000 euros, qu'il faut répartir sur l'ensemble des régions. Mener des politiques dans ces conditions n'est guère facile.

Les politiques régionales peuvent être très différentes et adaptées au cas de chaque région, mais doivent être affirmées et non déléguées. Le fait de déléguer cette politique et les crédits qui vont avec me semble constituer une grande faiblesse. C'est aussi un facteur de tension au sein des régions : quand les ressources sont rares, la bataille devient impitoyable !

Le dernier point sur lequel je voudrais insister concerne la transparence des décisions, nationales ou régionales. Isabelle This Saint-Jean a cité le conseil scientifique régional d'Île-de-France. Je voudrais évoquer à ce sujet les comités consultatifs régionaux pour la recherche et le développement technologique (CCRDT). Je ne sais s'ils existent dans toutes les régions, mais c'est le cas en Midi-Pyrénées et cela fonctionne bien. C'est également le cas en Île-de-France. Je ne suis d'ailleurs pas totalement étranger à leur création. Ces sortes de parlements de la recherche devraient également être les lieux où l'on discute et où l'on présente les politiques et les évaluations en matière de CSTI.

Les PTR ont-ils joué ce rôle ? Non ! Les PTR sont un lieu d'échange sympathique. Ce sont souvent des lieux où nous sommes représentés, mais rarement des endroits où l'on parle de ventilation des ressources ou des besoins. Il y a tout un voile à lever sur la gouvernance des CSTI au plan régional.

S'agissant du problème de l'harmonisation des moyens, « Les petits débrouillards » sont impliqués dans l'un des grands projets du Grand emprunt, à travers le « Science Tour ». Il s'agit de véhicules qui se déplacent à l'intérieur des régions. C'est certainement un facteur important de partage.

Le financement des contreparties de ce programme demande bien entendu des crédits d'investissement ; or, il existe des régions où il n'y en a pas, comme en Midi-Pyrénées. La volonté politique est là, mais la volonté administrative demeure beaucoup plus faible. Nous avons donc souvent à faire face à des difficultés.

Je voudrais que l'on comprenne mieux comment mener les choses, afin d'avoir une vision durable des financements. Le problème des appels d'offre annuels réside précisément dans le fait qu'ils n'interviennent qu'une fois par an et n'autorisent pas de continuité, alors que la technique de l'appel d'offre permet la transparence. Ce n'est pas un moyen à rejeter. Il faut simplement que l'appel à projet comporte des volets de soutien à l'investissement et au fonctionnement, et que les appels à projet puissent être pluriannuels. C'est le cas des appels d'offre concernant la recherche en Midi-Pyrénées. Ce point me semble extrêmement important. J'appelle votre attention sur ces quelques éléments : une stratégie durable du partage des CSTI sur les territoires nécessite une politique visible, la transparence et l'harmonisation des moyens, voire la pluri-annualité des appels à projet.

On parle souvent du rôle de l'État-stratège. En matière de recherche, il est important que l'État puisse manifester sa stratégie. Je regrette le temps où existait, au sein du ministère chargé de la recherche, un ensemble budgétaire appelé budget civil de recherche-développement (BCRD) ; il permettait une véritable interdisciplinarité et une interministérialité complète. Mais la loi organique relative aux lois de finances (LOLF) est arrivée et a tout balayé.

Mme Marie-Christine Blandin, présidente de la commission de la culture, de l'éducation et de la communication du Sénat

Merci pour les outils que vous proposez et l'argumentaire qui sous-tend ces propositions.

M. Jean Tkaczuk, président de la commission « Recherche et enseignement supérieur » du conseil régional de Midi-Pyrénées

Je suis également conseiller régional délégué à la recherche de Midi-Pyrénées, depuis que Nicole Belloubet a été appelée à d'autres fonctions. Ceci a une certaine importance par rapport à la relation qui peut exister entre les compétences de recherche et d'enseignement supérieur des conseils régionaux et la mission qui est dorénavant celle des régions en matière de culture scientifique. En Midi-Pyrénées, grâce à la volonté du président Martin Malvy, la culture scientifique a pu se développer en association avec la recherche.

Je voudrais rapporter ici, après tout ce qui a été dit, un certain nombre d'éléments d'ordre général. On doit vous remercier d'avoir organisé cette réflexion, centrée sur une thématique fondamentale. Toutefois, sur le terrain, si les choses fonctionnent dans une très grande diversité, on recourt aussi à des « bouts de ficelle ». Très souvent, lorsqu'on en arrive aux questions financières, toujours déterminantes, on a l'impression qu'on aborde un sujet qui relève de la « danseuse ». Sur le terrain, on rattrape les choses comme on peut, on s'arrange avec les moyens. Il est extrêmement important de conserver cet aspect des choses en tête.

Je voudrais également évoquer un certain nombre d'éléments concernant les objectifs. On a beaucoup parlé de sciences, mais il n'y a pas que la technique : il y a également les sciences sociales. Par rapport à ce que notre pays et le monde globalisé vivent aujourd'hui, on se pose parfois des questions sur le fait de savoir si l'économie est ou non une science. J'insiste sur le fait que les sciences humaines et sociales sont des sujets extrêmement importants. La création d'un musée nous a ainsi amenés à réfléchir au fait que certaines choses qui peuvent apparaître évidentes ne le sont pas fondamentalement par rapport au corps social.

Par ailleurs, l'importance donnée à l'innovation et au transfert, qui laisse de côté l'acquisition des connaissances et la question de la recherche fondamentale, vaut également pour la question de la culture scientifique. Il s'agit d'une question d'état d'esprit.

Dans le domaine qui est le mien, celui de la transfusion, le système chirurgical fonctionne parce que 4 % à 6 % de la population française donne son sang. Dans cette salle, on peut compter combien cela représente de personnes. Il en va de même du problème du transfert, d'innovation, de culture scientifique. Il ne s'agit pas de développer n'importe comment une culture scientifique et technique, mais simplement de trouver de bons opérateurs, de bons espaces, bien gérés, en capacité de fonctionner, pour que le système soit opérationnel. C'est un élément important qu'il faut garder à l'esprit !

On a beaucoup parlé de diversité. Ceci pose un problème concernant les compétences des régions. Ma région est la plus vaste de France, et destinée, paraît-il à s'agrandir - même si nos voisins immédiats ne sont pas tout à fait d'accord, si je m'en réfère aux gazettes. Il n'empêche que ces problèmes soulèvent des questions complexes. En dehors des questions territoriales, la culture scientifique recouvre une grande diversité de compétences, et nous amène à intégrer des éléments dont les conseils régionaux n'ont pas la responsabilité.

On peut être satisfait du PTR, mais cela soulève des questions. Ainsi, à la base, dans le primaire, on a besoin d'être dans la pratique. Il est important d'avancer dans ce domaine - et la question des rythmes scolaires aurait pu être l'occasion de le faire, si d'autres moyens financiers avaient été mis en place.

En 2010, le travail d'une élève britannique portant sur une fourmi, réalisé dans le cadre d'une classe primaire, a fait l'objet d'une publication dans une grande revue scientifique. Cet exemple peut parfaitement être reproduit chez nous. En Midi-Pyrénées, je connais des enseignants qui, au-delà des principes réglementaires qui leur sont imposés, prennent des initiatives fortement critiquées par l'administration, mais qui marquent les jeunes esprits, dans le domaine de l'analyse critique et de la démarche organisée, comme la recherche, chez les tout-petits. Cela va au-delà de ce que peut discuter un conseil régional, mais c'est absolument fondamental.

D'un autre côté, notre région dispose de magnifiques outils, comme l'Observatoire du Pic du Midi, qui offre au public des télescopes nécessitant bien évidemment la présence de personnels. Le conseil d'administration de l'Observatoire Midi-Pyrénées, dont je suis membre, a dû discuter pour savoir comment financer ces personnels. Nous avons choisi un maître des écoles, qui a suivi une formation doctorale, financée dans le cadre d'un montage entre l'université des sciences Paul Sabatier et le Centre national de la recherche scientifique (CNRS).

On l'a dit, le problème vient de ce que, malgré une reconnaissance inscrite dans les textes, en pratique, nous disposons de très peu de moyens financiers. Si on n'y arrive pas avec les établissements publics à caractère scientifique et technologique (EPST), les universités ou un observatoire comme celui de Midi-Pyrénées, comment faire avec des associations, qu'elles soient connues comme « Sciences et animation », ou « Les petits débrouillards », ou parfaitement inconnues ? Je le répète, on fonctionne avec des « bouts de ficelle ».

En outre, depuis 1996, avec l'arrivée d'Internet, chaque individu a tendance à se replier sur lui-même. Les enseignants, qu'il s'agisse des professeurs d'université ou des professeurs des écoles, ne sont plus sollicités de la même manière par le public, jeune en particulier, qui trouve ses informations sur Internet.

C'est pourquoi mes collègues de Bordeaux et de Grenoble ont été extrêmement heureux de pouvoir bénéficier, dans le cadre du PIA, d'un soutien en faveur du projet « Inmédiats ». C'est une expérience pratique que le conseil régional de Midi-Pyrénées soutiendra pour un montant de 1,5 million d'euros.

Par ailleurs, les PTR sont des lieux nécessaires, mais insuffisants. Malgré les contacts, les subventions ne sont pas assez élevées. L'organisation et la gouvernance doivent de plus être améliorées.

S'agissant des problèmes de transfert de gestion de l'État aux régions, la somme de 3,6 millions d'euros est également insuffisante. La région Midi-Pyrénées injecte, quant à elle, 450 000 euros par an et l'État 150 000 euros ; c'est très peu, comparé à ce que perçoivent les régions Aquitaine ou Provence-Alpes-Côte d'Azur (PACA). L'État doit donc augmenter sa participation !

Quant à la Fête de la science, qui durait jusqu'à présent une semaine, elle s'étale à présent sur trois semaines et connaît des problèmes financiers. Comment le conseil régional de Midi-Pyrénées va-t-il pouvoir aider cette manifestation ? Faut-il que nous nous substituions à l'État dans ce domaine ? Ce sera extrêmement difficile, nos moyens étant relativement limités.

Enfin, pour ce qui est des investissements d'avenir, l'avance de trésorerie pose également problème, aucune solution n'existant pour le moment.

Concernant les crédits du Fonds européen de développement économique et régional (FEDER), des possibilités vont peut-être se dégager, la gestion par les régions devant permettre un certain nombre d'avancées. La difficulté réside dans le fait de savoir comment intervenir. Mes collègues de la majorité régionale éprouvent les plus vives difficultés à faire passer des actions qui ne figurent pas dans les thématiques propres de la région. On est à la limite de ce qu'on peut faire accepter aux élus.

En Midi-Pyrénées, nous avons mis en place un appel à projet : seuls les projets concernant les quatre départements sont retenus. Les choses fonctionnent relativement bien dans ce domaine.

Mme Marie-Christine Blandin, présidente de la commission de la culture, de l'éducation et de la communication du Sénat

Vous nous avez rappelé que tout ceci fonctionnait avec des « bouts de ficelle » : il est très important de le crier haut et fort !

Ici, les parlementaires sont à votre écoute ; ils le font bien volontiers, se nourrissent de votre expérience et de votre savoir, et ne se contentent pas d'occuper la tribune, en vous confinant à un rôle de spectateurs.

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