N° 693

SÉNAT

SESSION EXTRAORDINAIRE DE 2013-2014

Enregistré à la Présidence du Sénat le 8 juillet 2014

RAPPORT D'INFORMATION

FAIT

au nom de la commission des affaires européennes (1) sur l' Irlande et les pays de la zone euro sous assistance financière ,

Par M. Jean-François HUMBERT,

Sénateur.

(1) Cette commission est composée de : M. Simon Sutour, président ; MM.  Alain Bertrand, Michel Billout, Jean Bizet, Mme Bernadette Bourzai, M. Jean-Paul Emorine, Mme Fabienne Keller, M. Philippe Leroy, Mme Catherine Morin-Desailly, MM. Georges Patient, Roland Ries, vice-présidents ; MM. Christophe Béchu, André Gattolin, Richard Yung, secrétaires ; MM. Nicolas Alfonsi, Dominique Bailly, Pierre Bernard-Reymond, Éric Bocquet, Mme Françoise Boog, Yannick Botrel, Gérard César, Mme Karine Claireaux, MM. Robert del Picchia, Michel Delebarre, Yann Gaillard, Mme Joëlle Garriaud-Maylam, MM. Joël Guerriau, Jean-François Humbert, Mme Sophie Joissains, MM. Jean-René Lecerf, Jean-Jacques Lozach, Mme Colette Mélot, MM. Aymeri de Montesquiou, Bernard Piras, Alain Richard, Mme Catherine Tasca.

AVANT-PROPOS

Trois ans après son lancement, l'Irlande est sortie le 15 décembre 2013 du programme d'assistance financière négocié avec l'Union européenne et le Fonds monétaire international. Le prêt échelonné de 67,5 milliards d'euros a permis au pays de faire face aux échéances de remboursement de sa dette publique, sa position sur les marchés financiers s'étant sévèrement dégradée après l'explosion de la bulle immobilière et la crise bancaire qui a suivi. Au prix d'une cure d'austérité sans précédent, le pays a retrouve aujourd'hui une crédibilité pour pouvoir refinancer sa dette à des taux plus faibles que ceux des États-Unis ou du Royaume-Uni. La relance de l'activité économique semble par ailleurs se confirmer en 2014.

Il n'en demeure pas moins que cette sortie de programme n'équivaut pas totalement à une sortie de crise, même si le pays semble afficher un certain optimisme et vouloir renouer avec son passé de « Tigre celtique ». Le chômage demeure à un niveau élevé, notamment chez les jeunes, et le financement de l'économie réelle reste affecté par les difficultés rencontrées par les banques pour apurer les créances toxiques qui grèvent leurs bilans. La population irlandaise, pragmatique jusqu'alors, commence par ailleurs à manifester une forme de lassitude à l'égard des efforts continus qui lui sont demandés depuis 2008 pour juguler une crise dont l'origine reste bancaire.

C'est dans ce contexte qu'un déplacement à Dublin a été organisé du 24 au 26 juin 2014. Ce rapport tire les enseignements des entretiens organisés sur place. Il fait également un point sur la situation des quatre pays qui ont bénéficié ou sont encore sous aide européenne : l'Espagne, le Portugal, la Grèce et Chypre. Les États placés sous programme ont réalisé de substantielles économies en se finançant directement auprès du Fonds européen de stabilité financière puis du Mécanisme européen de stabilité. La Grèce a ainsi économisé 8,6 milliards d'euros en 2013 en ne passant pas par les marchés, Chypre, 3,4 milliards d'euros, le Portugal, 1,7 milliard d'euros, l'Irlande, 1,1 milliard d'euros et l'Espagne, 0,6 milliard d'euros. La situation macro-économique y demeure néanmoins toujours délicate.

I. LE REBOND IRLANDAIS ?

Confronté à une crise de liquidités liée aux difficultés du secteur bancaire, l'Irlande s'est vue accorder en novembre 2010 une aide financière de l'Union européenne, du Fonds monétaire international (FMI), de la Suède et du Royaume-Uni de 67,5 milliards d'euros, auxquels viennent s'ajouter 17,5 milliards d'euros prélevés sur le Fonds de réserve des retraites irlandais.

La contribution internationale se décompose de la façon suivante :


• Un tiers, soit 22,5 milliards d'euros, supportés par le FMI ;


• Un tiers financé par le mécanisme européen d'assistance financière de l'Union européenne (MESF), financé par des emprunts réalisés par la Commission européenne ;


• Un dernier tiers apporté par le Fonds européen de stabilité financière (FESF) qui réunit les États membres de la zone euro mais aussi trois autres États : le Royaume-Uni (3,8 milliards d'euros), la Suède (600 millions d'euros) et le Danemark (400 millions d'euros).

L'intervention financière internationale répondait à trois objectifs. Le premier concerne la situation des banques locales : 10 milliards d'euros devant servir à recapitaliser les établissements en difficulté et 25 milliards d'euros devant être déposés sur un fonds de réserve. Sur ces 35 milliards d'euros, la moitié est financée par l'Irlande. Le deuxième objectif visait le retour à un déficit budgétaire irlandais inférieur à 3 % à l'horizon 2015. L'Union européenne insistait à cet égard sur la nécessité de mettre en oeuvre un ajustement fiscal d'envergure, sans viser expressément le faible taux de l'impôt sur les sociétés local (12,5 %). Le dernier concernait le retour de la croissance qui, selon le FMI et l'Union européenne, passait par une réforme d'envergure du marché du travail.

La sortie du programme d'aide a été opérée le 15 décembre 2013. La fin de la tutelle internationale n'est pas pour autant, une fin en soi, mais un « jalon très significatif sur la route » du redressement financier du pays, selon les mots du ministre irlandais des finances, Michael Noonan. La sortie du plan ne met pas un terme à l'activité de la troïka, puisque, conformément au two pack , celle-ci devrait exercer des missions semestrielles de surveillance jusqu'à ce que l'Irlande ait remboursé 75 % de l'aide octroyée. La fin de la surveillance devrait dans ces conditions intervenir en 2031.

À l'instar du Portugal, le gouvernement irlandais a obtenu une extension de la maturité des prêts octroyés afin de pouvoir mieux faire face aux échéances de remboursement. La première proposition irlandaise, présentée le 4 mars 2013, tablait sur un allongement de 15 ans en moyenne, les autorités irlandaises ayant conscience que ce délai devrait être sensiblement réduit à l'occasion des négociations avec la troïka. Le Conseil EcoFin a demandé à celle-ci, le 5 mars 2013, de présenter un projet à l'Irlande. Le FMI s'était de son côté, déclaré ouvert à un ajustement des termes du programme d'assistance financière afin d'aider le pays à en sortir et à faire son retour définitif sur les marchés. L'accord obtenu avec l'Eurogroupe, le 12 avril 2013, prévoit un allongement moyen de 7 ans. La maturité moyenne des prêts octroyés s'établit à 20,8 mois.

Tranches du prêt du FESF accordées à l'Irlande (en milliards d'euros)

Date

Montant distribué

Fin du remboursement

01/02/2011

1,9

01/08/2032

01/02/2011

1,7

01/08/2033

10/11/2011

0,9

01/08/2030

10/11/2011

2,1

25/07/2031

15/12/2011

1

01/08/2030

12/01/2012

1,2

01/08/2029

19/01/2012

0,5

01/07/2034

03/04/2012

2,7

01/08/2031

02/05/2013

0,8

01/08/2029

18/06/2013

1,6

18/06/2042

27/09/2013

1

27/09/2034

04/12/2013

2,3

04/12/2033

(Source : Fonds européen de stabilité financière)

En dépit du satisfecit de la troïka, la reprise économique peine à s'affirmer. Après s'être une nouvelle fois contractée en 2013, l'activité pourrait enfin croître au cours de l'exercice 2014 et atteindre 2,1 %. Les exportations constituaient jusqu'alors le principal moteur de l'activité économique locale, la demande intérieure enregistrant une baisse continue sur les 20 derniers trimestres. La faiblesse des prêts accordés aux ménages et aux entreprises comme le taux de chômage élevé justifient une telle atonie .

A. LA POURSUITE DE L'EFFORT DE CONSOLIDATION BUDGÉTAIRE

Le déficit budgétaire s'est établi en 2012 à 8,2 % du PIB, soit en dessous du plafond retenu dans le mémorandum d'accord signé entre l'Irlande, l'Union européenne et le FMI en décembre 2010 : 8,6 % du PIB. Il a atteint 7,3 % du PIB, là encore en deçà de l'objectif défini en 2010 : - 7,5 % du PIB. La trajectoire affichée par le gouvernement pour les années 2014 et 2015 est la suivant : 4,8 % puis 2, % du PIB. La Commission européenne estime qu'en l'état actuel des choses, le déficit devrait s'établir à 5, % en 2014. La dette demeure, quant à elle, à un niveau élevé : 124, % du PIB en 2013.Elle pourrait être ramenée à 120, % du PIB à la fin de l'exercice 2014 selon la Commission européenne. L'objectif est qu'elle atteigne 9 % du PIB à l'horizon 2024.

Solde budgétaire et dette publique (en % du PIB)

2007

2008

2009

2010

2011

2012

2013

Déficit

0,1

- 7,4

- 13,9

- 30,9

- 13,4

- 8,2

- 7,5

Dette publique

25,1

44,5

64,9

92,2

106,4

113

124,4

(Source : Eurostat)

1. Un ajustement budgétaire continu depuis 2008

L'effort de consolidation budgétaire s'est établi à 3,5 milliards d'euros pour l'année 2013. À l'inverse des autres années où l'ajustement portait aux deux tiers sur les dépenses, l'effort a été équitablement réparti sur les dépenses (1,94 milliard d'euros de réduction) et les recettes (1,43 milliard de revenus supplémentaires, auxquels s'ajoutent 100 millions d'euros de revenus de dividende). Au final, sur la période 2008-2013, l'ajustement budgétaire a représenté 30 milliards d'euros, soit 18,5 % du PIB.

Les réductions opérées sur les dépenses sociales (900 millions d'euros) en 2013 ne concernaient pas le montant des allocations chômage ni celui des aides aux adultes handicapés. La durée de versement de l'allocation chômage a été néanmoins réduite à 9 mois, ce qui permet une économie de 33 millions d'euros. Le budget 2013 prévoyait en outre une réduction des allocations enfants (139 millions d'euros d'économie), l'introduction d'une franchise pour les bénéficiaires de la carte médicale, l'aide médicale gratuite automatiquement accordée à toute personne de plus de 70 ans, et sa mise sous condition de ressources (83 millions d'euros d'économie), la baisse des salaires des généralistes et des pharmaciens (70 millions d'euros), une révision des aides sociales aux paiements des factures d'électricité et de téléphone (20 millions d'euros d'économie) et l'augmentation du ticket modérateur dont le tarif maximum est porté à 144 euros mensuels (10 millions d'euros d'économie).

D'autres mesures visaient notamment l'éducation et la justice afin de permettre une économie de 200 millions d'euros. Le temps de travail des enseignants au sein des écoles payantes a ainsi été augmenté, le régime des arrêts maladie des enseignants et assistants a été aligné sur celui qui s'applique au sein de la fonction publique. Les frais d'inscriptions dans l'enseignement supérieur ont, quant à eux, été majorés alors que les subventions aux établissements sont réduites. Au sein de la police, 60 millions d'économies ont par ailleurs été obtenus par l'intermédiaire de la suppression des heures supplémentaires et de certains avantages salariaux.

L'indemnité parlementaire et les rémunérations versées aux anciens ministres et dirigeants politiques ont, dans le même temps, été réduites.

La fiscalité a, quant à elle, été orientée vers le soutien à l'activité. Le budget 2013 prévoyait une augmentation des recettes de 1,7 milliard d'euros, dont 1,1 en taxes et impôts nouveaux, le taux de l'impôt sur les sociétés ( corporate tax ) - 12,5 % - demeurant, quant à lui, inchangé. 360 millions d'euros devraient ainsi être obtenus via l'augmentation de la taxe sur l'immatriculation des véhicules, la nouvelle taxe sur les moteurs, l'assujettissement des combustibles solides à la taxe carbone ou la taxation des alcools, du tabac et des cigarettes. Le gouvernement a également souhaité réviser la cotisation sociale, retraite et chômage (PRSI) levant ainsi 285 millions d'euros supplémentaires. Enfin, répondant à une recommandation de la troïka, le budget 2013 introduisait une taxe sur les propriétés au 1er juillet 2013, censée rapporter 250 millions d'euros, soit environ 180 € par foyer. Un barème progressif a été mis en place : la taxe représente ainsi 0,18 % de la valeur de marché des biens fonciers estimés entre 100 000 et 1 million d'euros puis 0,25 % au-delà. Les collectivités locales destinataires de cette taxe pourront faire varier ce taux de plus ou moins 15 % à compter de 2015. Des exemptions sont prévues pour les primo-accédants acquérant un bien neuf en 2013 ou les personnes achetant un bien inoccupé d'ici à 2016. Les ménages en difficultés peuvent, par ailleurs, étaler le paiement de cette taxe. La loi de finances prévoyait également l'assujettissement des personnes âgés de 70 ans et plus, bénéficiaires de l'aide médicale gratuite, dès lors que leurs revenus dépassent 60 000 euros annuels (35 millions d'euros de recettes supplémentaires) ainsi que la fiscalisation des indemnités accordées durant le congé de maternité (15 millions d'euros attendus). Ces deux dernières dispositions sont contestées. Au final, la pression fiscale s'est accrue de 1 000 euros par foyer en 2013.

La troïka estimait fin 2013 que la poursuite de l'effort de consolidation budgétaire devrait atteindre 2,5 milliards d'euros par an en 2014 et 2015 si le gouvernement souhaite atteindre l'objectif qu'il s'est fixé pour 2015. L'ajustement prévu en 2014 est réalisé pour 2/3 en réduction de dépenses et pour 1/3 en augmentations de recettes. Il est le fruit d'un compromis politique entre le parti majoritaire Fine Gael (centre droit) et le parti travailliste, membre de la coalition gouvernementale. Le Fine Gael tablait initialement sur un ajustement budgétaire de 3,1 milliards d'euros, le Labour souhaitant limiter cet effort à 2,5 milliards d'euros. Ce montant devrait néanmoins être atteint via 600 millions d'euros d'économie et de ressources. L'objectif affiché est de ramener le déficit à 4,8 % du PIB fin 2014, un excédent primaire étant par ailleurs espéré au cours de cet exercice.

Les dépenses courantes sont ainsi réduites de 4 %, les coupes budgétaires d'un montant de 2 milliards d'euros visant tous les secteurs. La protection sociale, qui constitue le premier poste budgétaire, et la santé sont amputées d'un milliard d'euros, dont 660 millions d'euros pour la seule santé. L'aide médicale gratuite est remise en cause, comme l'allocation téléphonique des retraités. Les allocations maternité et adoption, les allocations chômages pour les jeunes, l'allocation décès ou les pensions d'invalidité sont diminuées. Le nombre de jours de carence est, quant à lui, doublé, passant de 3 à 6. Si la réduction du nombre d'agents publics se poursuit, elle épargne l'éducation nationale et la police. La masse salariale de la fonction publique a diminué de 17 % depuis 2009 et le nombre d'agent de 10 %.

L'augmentation des recettes fiscales estimée à plus de 40 milliards d'euros, est induite par la relance de la demande intérieure et les créations d'emploi constatées en 2013 et leurs répercussions sur les rentrées fiscales. Le relèvement des droits d'accises sur la bière, le tabac, les cigarettes et le vins devraient rapporter 160 millions d'euros. Dans le même temps, la loi de finances introduit une contribution exceptionnelle sur les dépôts des banques, estimées à 150 millions d'euros. Elle vient compléter deux prélèvements visant les fonds de pension publics et les assurances vies, qui devraient rapporter 240 millions d'euros.

2. Une réforme de l'État de première ampleur

L'accord dit de Croke Park signé en juin 2010 par l'ensemble des syndicats de la fonction publique et des représentants de la police et de l'armée avec le gouvernement conditionne l'absence de grève sur la période 2010-2014 au maintien des salaires et des pensions de retraite. Les rémunérations publiques avaient entre 2008 et 2010 été amputées de 14 %. Cet accord a été repris à son compte par la coalition gouvernementale arrivée au pouvoir en mars 2011. Il s'inscrit dans la lignée des partenariats sociaux mis en place entre 1987 et 2006 et qui ont contribué à pacifier le climat social.

L'absence de manifestation a permis aux gouvernements irlandais successifs de mener à bien la réforme de l'État depuis 2008. Les effectifs de la fonction publique ont ainsi été réduits de 8,8 % entre 2008 et 2013, passant de 320 000 à 280 000 personnes. Les recrutements ne sont autorisés que si l'objectif de réduction des effectifs est atteint. La masse salariale a, quant à elle, été diminuée de 17,7 % entre 2009 et 2012, passant de 17,5 milliards d'euros à 14,4 milliards d'euros. Le gouvernement table sur un objectif de 13,7 milliards d'euros à l'horizon 2015. Les gains d'efficacité et de productivité obtenus dans le même temps sont estimés à 678 millions d'euros. Les salaires et les pensions de la fonction publique représentent à l'heure actuelle 36 % de la dépense publique.

Les critiques récurrentes concernant la réforme de l'État visent le caractère arithmétique des réductions du nombre de fonctionnaires, affectant directement le fonctionnement de certains secteurs, à l'image de l'éducation ou de la santé. L'année universitaire 2008-2009 a ainsi été marquée par une réduction des personnels de 7,3 % alors que le nombre d'étudiants augmentait, quant à lui, de 14,9 %. À la rentrée 2011-2012, a été réalisé le redéploiement de 200 professeurs et 950 instituteurs afin de faire face au boom démographique enregistré dans les années 2000. 2 855 postes ont été supprimé dans le secteur de la santé, confronté pourtant à une augmentation du nombre de consultations et des hospitalisations liée à l'octroi de la carte médicale, la couverture maladie universelle locale, à 565 000 personnes supplémentaires, pour l'essentiel des demandeurs d'emplois. Le recours au travail intérimaire et aux contrats temporaires est désormais pratiqué dans ces secteurs sous tension. Les services fiscaux ont vu leurs effectifs réduits de 13 % depuis 2008, les collectivités locales perdant dans le même temps 8 500 emplois.

Certains observateurs estiment, par ailleurs, que les économies opérées sur la masse salariale n'auraient pas atteint les plus hauts revenus. L'échelon le plus élevé de la fonction publique n'aurait pas, en outre, été assez incité à adopter une culture de la responsabilité. Même gelées, les rémunérations octroyées dans le public seraient néanmoins, à niveaux d'étude et d'expérience équivalents, supérieurs de 6 à 19 % aux salaires versés dans le secteur privé. La Banque centrale européenne estimait en 2009 que les salaires publics étaient 1,2 à 1,3 fois supérieurs aux salaires du secteur privé (moins de 1 fois en France).

Le gouvernement souhaitait renégocier en 2013 cet accord, avec pour objectif de réaliser 1 milliard d'euros d'économies supplémentaires au cours de cette année. Un nouvel accord cette année permettait de surcroît au gouvernement d'éviter que les négociations ne perturbent les échéances électorales de 2014 (élections européennes) et 2015 (élections générales). Le futur accord devait porter sur de nouvelles réductions d'effectifs, sur le temps de travail et la notion de performance. L'objectif affiché par le gouvernement était de parvenir à réaliser un milliard d'économie sur trois ans, entre 2013 et 2016, dont 300 millions d'euros en 2013. Il prévoyait, à cet effet, des réductions pouvant aller de 5,5 % à 10 % sur les rémunérations dépassant 65 000 euros annuels, l'avancement étant dans le même temps gelé sur trois ans. Le temps de travail devait être augmenté de deux heures, passant de 35 à 37 ou de 37 à 39 heures par semaine selon les secteurs. Ces dispositions visaient à limiter le recrutement ou le recours aux heures supplémentaires. Les primes visant celles-ci devaient, dans le même temps, être diminuées, comme celles concernant le travail le dimanche. Cette diminution devait être proportionnelle au montant du salaire. Le projet supprimait également les primes sur les heures de fin de journée et obligeait les fonctionnaires à travailler désormais au moins à mi-temps.

Les syndicats n'avaient manifesté aucune opposition au principe d'embargo sur les recrutements, souhaitant juste qu'un assouplissement soit permis pour les secteurs sous tension. Des compromis devaient également être trouvés sur le temps de travail. L'accord obtenu avec les centrales, dit de Croke Park II, a néanmoins été rejeté par la base des syndicats de la fonction publique le 17 avril 2013. En dépit de ce refus, l'accord a été inscrit dans la loi. Ce qui a donné lieu à de nouvelles négociations concernant les modalités d'application de celle-ci, cette fois-ci plus positives.

3. Cet effort peut-il être poursuivi ?

La trajectoire budgétaire retenue initialement par le gouvernement tablait sur un effort de consolidation de 2 milliards d'euros pour 2015 et répondait aux recommandations de la troïka. La reprise de la croissance et l'augmentation attendue des recettes fiscales conduisent aujourd'hui le gouvernement à réviser à la baisse cette ambition, suscitant les réserves de l'Union européenne. Cette demande est appuyée par le Haut conseil des finances publiques, organe indépendant mis en place en 2010, qui craint les risques sur la consommation interne. Certains observateurs relèvent, en outre, que la détermination de l'effort budgétaire ne doit pas seulement prendre en compte l'évolution du produit intérieur brut (PIB) mais aussi et surtout le produit national brut (PNB). À la différence du PIB, le PNB intègre les revenus des investissements nets réalisés à l'étranger. Or le PNB irlandais croît plus vite que le PIB : 3,4 % en 2013, la progression devrait être identique au cours des années 2014 et 2015. Ce qui n'est pas sans incidence sur les recettes fiscales puisque le PNB est un des critères de calcul des impôts.

Le résultat des élections européennes et locales du 25 mai 2014 n'ont pas été sans influence sur cette nouvelle appréciation de la situation. Le parti travailliste, membre de la coalition, est sorti affaibli de ces scrutins, ce qui le conduit à demander un ralentissement des efforts demandés aux Irlandais depuis 2008, le gouvernement précédent ayant déjà mis en place des mesures de consolidation pour faire face à la crise économique et bancaire. Il est à noter que, jusqu'alors, cette politique n'a pas suscité de manifestations d'ampleur au sein d'une population relativement syndiquée par ailleurs (38 % des Irlandais sont adhérents d'une organisation professionnelle) et finalement assez pragmatique. Il convient, en outre, de relever que le sentiment européen ne s'est pas non plus détérioré pendant cette période comme en témoigne la ratification par referendum portant sur le Traité sur la stabilité, la coordination et la gouvernance le 31 mai 2012 (60,29 % de votes favorables). L'Irlande était le seul pays à organiser une telle consultation. La plupart des observateurs relèvent, malgré tout, une lassitude grandissante de l'opinion publique à l'égard des mesures d'austérité.

Si l'argument politique est recevable côté irlandais, les craintes européennes face à tout ralentissement de l'effort budgétaire sont également fondées. Elles reposent sur un risque de détérioration de la confiance des marchés à l'égard de l'Irlande mais aussi sur le caractère ouvert de l'économie locale. Celle-ci est, dans ces conditions, très sensible aux ralentissements de la conjoncture internationale et notamment à l'évolution des marchés américain et britannique. C'est dans ce contexte que les autorités irlandaises surveillent avec inquiétude la question d'une éventuelle sortie du Royaume-Uni de l'Union européenne. Or l'Irlande ne semble pas disposer de marges de manoeuvre suffisante pour faire face à un ralentissement de l'activité de ses principaux partenaires économiques. La Commission européenne estime en outre que l'objectif de réduction de la dette publique ne serait pas satisfait, celle-ci étant amenée à atteindre 128 % du PIB sans poursuite de l'ajustement budgétaire.

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