B. LA GOUVERNANCE MONDIALE DE LA SÉCURITÉ

Dans sa résolution 65/41 du 8 décembre 2010 intitulée « Les progrès de l'informatique et de la télématique et la question de la sécurité internationale », l'Assemblée générale des Nations Unies s'est déclarée préoccupée par le fait que les « technologies et les moyens [informatiques] risquent d'être utilisés à des fins incompatibles avec le maintien de la stabilité et de la sécurité internationales et de porter atteinte à l'intégrité de l'infrastructure des États, nuisant ainsi à leur sécurité dans les domaines tant civils que militaires ».

Aujourd'hui, la question de la gouvernance mondiale de l'Internet est posée, la nécessité de sa réforme admise mais ni les objectifs ni le calendrier ne s'imposent d'eux-mêmes car d'importants enjeux sont en cause.

La toile d'araignée qui enserre le monde, le Net , l' Internet , le web , est en contact avec tous les domaines .

Les règles discrètes de sa mise en place et de son organisation ont bénéficié à des sociétés commerciales et à leur État d'origine tandis que la population mondiale se prêtait avec ardeur et inconscience à cette mainmise mondiale sur les esprits comme sur les objets.

Le tissage de la toile d'araignée mondiale a été effectué par quelques acteurs inconnus comme :

- l' IAB , l' Internet Architecture Board , désigné par l' Internet Society , comité chargé de la surveillance et du développement de l'Internet ;

- l' ICANN , l' Internet Corporation for Assigned Normes and Numbers , qui gère le fichier racine du système des noms de domaine assurant la correspondance entre les noms de domaine et les adresses IP ; de droit californien, cette association est supervisée par le Département du commerce américain ;

- l' IETF , l' Internet Engineering Task Force , en charge de l'ingénierie de l'Internet, qui participe à l'élaboration de normes pour l'Internet ;

- l' ISOC , l' Internet Society ;

- le W3C , Worldwibe web consortium , qui est l'organisation pour le réseau mondial.

La gouvernance actuelle de l'Internet résulte de l'action conjuguée de l'ensemble de ces acteurs, tous américains, dont les instances de direction comprennent notamment des géants américains du numérique .

C'est seulement depuis une dizaine d'années qu'une réflexion a été engagée sur cette curieuse structure à travers la création, en 2005, de l' Internet Governance Forum ( IGF ), espace de dialogue multiparties prenantes mais non interétatique.

Il a fallu l'affaire Snowden, en 2013, c'est-à-dire la révélation publique de l'identité de l'araignée en attente au coeur de sa toile, la National Security Agency ( NSA ), pour que se tienne, en avril 2014, au Brésil, une conférence mondiale sur la gouvernance de l'Internet dont la déclaration finale a condamné la surveillance en ligne et affirmé des principes fondateurs pour un Internet libre et démocratique .

Pour conserver le maximum de leurs prérogatives actuelles, les États-Unis d'Amérique ont proposé, en mars 2014, d'entamer une privatisation de la gouvernance de l'Internet, probablement afin d'éviter la création d'une organisation intergouvernementale ou l'influence de tout autre État . À noter que le contrat liant l' ICANN au département du commerce américain expire en septembre 2015.

Face à cette situation, la mission commune sénatoriale d'information sur la démocratisation de la gouvernance de l'Internet 3 ( * ) a proposé une nouvelle architecture reposant sur :

- l'élaboration d'un traité international consacrant les principes fondateurs du Net mondial de São Paulo de 2014 et entraînant la globalisation de la gouvernance de l'Internet ;

- la création d'un Conseil mondial de l'Internet (résultant de la transformation du Forum pour la gouvernance de l'Internet ou IGF ) ;

- la transformation de l' ICANN en une WICANN ( WorldICANN ) de droit international ou de droit suisse tout en organisant une supervision internationale du fichier racine des noms de domaine ;

- l'instauration d'un mécanisme de recours indépendant et accessible permettant la révision d'une décision de la WICANN ;

- l'établissement d'une séparation fonctionnelle entre la WICANN et les fonctions opérationnelles d'attribution des noms de domaine de premier niveau (la racine), des adresses IP et des numéros des systèmes autonomes (ASN) aux registres Internet régionaux et la définition des paramètres des protocoles Internet (liste des numéros de ports, etc.) ;

- la définition de critères d'indépendance pour les membres du bureau de la WICANN afin d' éliminer les conflits d'intérêts .

La nouvelle architecture de la gouvernance de l'Internet proposée par la mission d'information sénatoriale ne rencontre évidemment pas l'enthousiasme de l' ICANN qui entend bien s'autoréformer à sa manière .

La Commission européenne a présenté plusieurs communications sur ce sujet appelant à une gouvernance de l'Internet plus transparente, responsable et inclusive mais tous les membres du Conseil européen sont loin d'être sur la même ligne. En fait, l'alignement sur les États-Unis d'Amérique séduit encore le Royaume-Uni, la Suède, la Pologne, l'Estonie, la République Tchèque et les Pays-Bas, sans compter l'Allemagne, en dépit de l'espionnage avéré des communications privées de la Chancelière par les États-Unis.

Toutefois, à São Paulo, l'Union européenne a affirmé son soutien à un Internet unique, ouvert, libre, sûr, fiable et non fragmenté .

Devant le Sénat, le 23 octobre 2014, Mme Axelle Lemaire, secrétaire d'État chargée du numérique, a indiqué que la France souhaite que le Conseil de l'Union européenne prenne position en faveur de : « la liberté d'expression, la liberté d'association, la liberté d'information, le droit au respect de la vie privée, l'accessibilité, l'architecture ouverte d'Internet, une gouvernance multipartite, ouverte, transparente, redevable, un système qui soit inclusif, équitable et qui promeuve des standards ouverts » .

Face aux États-Unis d'Amérique, soudain favorables à une privatisation de la gouvernance de l'Internet, l'Union européenne s'oriente vers une moralisation incluant le droit de regard des États - et non plus d'un seul - sur la gouvernance de l'Internet.

Si vos rapporteurs ont tenu à effectuer ce rappel de la réalité et de l'évolution souhaitable de la gouvernance de l'Internet, c'est pour montrer que les enjeux de la sécurité des réseaux numériques se situent dans un cadre qui est lui-même construit comme un lieu d'insécurité .

Dès lors, placer ses informations, ses intérêts dans une toile d'araignée implique l'acceptation d'être une proie. Une prise de conscience de cette réalité par les individus comme par les entreprises ne peut que stimuler leur réflexion.

On ne surfe sur le Net que si l'araignée veut bien, momentanément, octroyer cette liberté étroitement surveillée.


* 3 « L'Europe au secours de l'Internet : démocratiser la gouvernance de l'Internet en s'appuyant sur une ambition politique et industrielle européenne » présidée par M. Gaëtan Gorce et dont le rapporteur était Mme Catherine Morin-Desailly (Sénat, n° 696, 2013-2014).

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