Rapport d'information n° 672 (2014-2015) de Mme Chantal JOUANNO , fait au nom de la délégation aux droits des femmes, déposé le 8 septembre 2015

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N° 672

SÉNAT

SESSION EXTRAORDINAIRE DE 2014-2015

Enregistré à la Présidence du Sénat le 8 septembre 2015

RAPPORT D'INFORMATION

FAIT

au nom de la délégation aux droits des femmes et à l'égalité des chances entre les hommes et les femmes (1) sur « Les actes du colloque Femmes citoyennes », organisé le 19 mai 2015 dans le cadre de la célébration du soixante-dixième anniversaire du premier vote des femmes ,

Par Mme Chantal JOUANNO,

Sénatrice.

(1) Cette délégation est composée de : Mme Chantal Jouanno, présidente , Mmes Corinne Bouchoux, Hélène Conway-Mouret, MM. Roland Courteau, Mathieu Darnaud, Mmes Joëlle Garriaud-Maylam, Brigitte Gonthier-Maurin, M. Alain Gournac, Mmes Christiane Kammermann, Françoise Laborde, Michelle Meunier, vice-présidents ; Mmes Jacky Deromedi, Danielle Michel, M. Cyril Pellevat, secrétaires ; Mmes Annick Billon, Maryvonne Blondin, Nicole Bonnefoy, Laurence Cohen, Chantal Deseyne, Marie-Annick Duchêne, M. Jean-Léonce Dupont, Mmes Anne Emery-Dumas, Dominique Estrosi Sassone, M. Alain Fouché, Mmes Catherine Génisson, Éliane Giraud, Colette Giudicelli, M. Jean-Pierre Godefroy, Mme Sylvie Goy-Chavent, M. Alain Houpert, Mme Mireille Jouve, M. Marc Laménie, Mmes Claudine Lepage, Vivette Lopez, Marie-Pierre Monier et M. Philippe Paul.

COLLOQUE FEMMES CITOYENNES - SOIXANTE-DIXIÈME ANNIVERSAIRE DU PREMIER VOTE DES FEMMES AUX ÉLECTIONS MUNICIPALES DE 1945

Programme

14 h 30 - OUVERTURE DU COLLOQUE

Gérard Larcher , président du Sénat

Chantal Jouanno , présidente de la délégation aux droits des femmes du Sénat

Projection d'un témoignage vidéo de Cécile Goldet, sénatrice de Paris de 1979 à 1986,

née en 1914, médecin : « En 1979 au Sénat, nous étions quatre femmes »

PREMIÈRE TABLE RONDE

L'engagement des femmes en politique

L'accès aux mandats et aux responsabilités : une course d'obstacles ?

Animatrice : Roselyne Bachelot-Narquin , chroniqueuse - éditorialiste, ancienne ministre , a uteure de La petite fille de la V e (2015)

Jean-Marc Germain , député des Hauts-de-Seine (groupe socialiste, républicain et citoyen)

Chantal Jouanno , sénatrice de Paris (groupe UDI-UC), ancienne ministre

Marie-Pierre Monier , sénatrice de la Drôme (groupe socialiste), maire de Vinsobres

Marie-Françoise Perol-Dumont , sénatrice de la Haute-Vienne (groupe socialiste), ancienne présidente du Conseil général de la Haute-Vienne, députée honoraire

Frédérique Puissat , maire de Château-Bernard, vice-présidente de la communauté de communes du Trièves, première vice-présidente de l'assemblée départementale de l'Isère (groupe UMP-Divers droite)

Bornia Tarall , conseillère municipale de Strasbourg (groupe Strasbourg à vos côtés, UMP-MODEM et société civile), conseillère eurométropolitaine de Strasbourg, présidente des Marianne de la Diversité

DIALOGUE AVEC LA SALLE

DEUXIÈME TABLE RONDE

L'ordonnance du 21 avril 1944 et le vote des femmes

Modératrice : Réjane Sénac , chargée de recherche CNRS au CEVIPOF, présidente de la Commission Parité du Haut Conseil à l'Égalité entre les femmes et les hommes, auteure de « L'égalité sous conditions. Genre, parité, diversité » (Presses de Sciences Po, 2015)

Christine Bard , professeure d'histoire contemporaine à l'Université d'Angers : « Une histoire du suffragisme »

Anne-Sarah Bouglé-Moalic , historienne (Prix spécial de l'Assemblée nationale en 2011 pour sa thèse Le vote des Françaises. Cent ans de débats, 1848-1944) : « Vers l'ordonnance de 1944 : cent ans de débats sur le vote des femmes »

Mariette Sineau , directrice de recherche CNRS au CEVIPOF : « Les Françaises aux urnes, 1945-2015 »

« La parité, un combat inachevé » : témoignage d'Yvette Roudy,

ministre des Droits de la femme de mai 1981 à mars 1986

DIALOGUE AVEC LA SALLE

PAUSE

Danielle Bousquet , présidente du Haut Conseil à l'Égalité entre les femmes et les hommes : « Femmes politiques : quel prix à payer ? Pour un statut de l'élu.e égacompatible »

TROISIÈME TABLE RONDE

L'organisation personnelle des femmes politiques : comment font-elles ?

Animatrice : Béatrice Massenet , journaliste, auteure de Et qui va garder les enfants ? La vie privée des femmes politiques (2011)

Annick Billon , sénatrice de la Vendée (groupe UDI-UC), adjointe au maire du Château-d'Olonne et vice-présidente de la communauté de communes des Olonnes

Cécile Cukierman , sénatrice de la Loire (groupe communiste républicain et citoyen), conseillère régionale de Rhône-Alpes, chargée de l'égalité entre les femmes et les hommes

Valérie Létard , sénatrice du Nord (groupe UDI-UC), présidente de la communauté d'agglomération de Valenciennes Métropole, ancienne ministre

Laurent Olléon , conseiller d'État

Jean-Vincent Placé , sénateur de l'Essonne, président du groupe Écologiste du Sénat, conseiller régional d'Ile-de-France

Barbara Romagnan , députée du Doubs (groupe socialiste, républicain et citoyen), docteure en sciences politiques, auteure de Du sexe en politique (2005)

CLÔTURE DU COLLOQUE

Pascale Boistard , secrétaire d'État chargée des droits des femmes auprès de la ministre
des Affaires sociales, de la santé et des droits des femmes

Ouverture du colloque - Gérard Larcher, Président du Sénat

Madame la présidente de la délégation aux droits des femmes, chère Chantal Jouanno,

Mesdames les ministres,

Mesdames les sénatrices, messieurs les sénateurs, chers collègues,

Mesdames et messieurs les députés,

Mesdames les conseillères, mesdames les maires,

Mesdames et messieurs,

C'est à la fois un grand plaisir et un honneur pour moi d'ouvrir ce colloque que la délégation aux droits des femmes du Sénat a pris l'heureuse initiative de dédier à l'anniversaire du premier vote des femmes en France.

C'est un moment important, un moment symbolique, et je dois dire que le nombre de participants à ce colloque suffirait à témoigner de ce qui est ressenti, cet après-midi, dans cette salle Clemenceau du Sénat.

Il y a tout juste soixante-dix ans, les femmes françaises votaient pour la première fois à un scrutin municipal, en mai 1945. Quelques mois plus tard, elles prenaient part à un scrutin national, le 21 octobre 1945.

Pour reprendre la formule de Chantal Jouanno, enfin, la République était en équilibre. C'était hier, mais cela nous semble déjà loin ! Il est tellement difficile aujourd'hui, en effet, d'imaginer ce que pouvait être une société où les femmes n'avaient pas le droit de vote, où hommes et femmes ne participaient pas ensemble à l'exercice de ce droit essentiel du citoyen !

Comment ne pas rappeler dans cette oeuvre de mémoire l'influence décisive de l'action des femmes, notamment des femmes de la Résistance, dans l'obtention du droit de vote ? La célébration par le Sénat de la Journée nationale de la Résistance, organisée l'an dernier par votre délégation et sa présidente d'alors, Brigitte Gonthier-Maurin, avait permis de mettre en lumière ces sénatrices issues de la Résistance - que l'on appelait encore « sénateurs » à l'époque - qui ont siégé dans notre hémicycle, et leur rôle incontestable dans la libération de notre pays, mais aussi dans son retour à la dignité.

Or c'est dans la Résistance que les femmes ont gagné le droit de voter et d'être élues. Elles y ont fait preuve de courage, pris souvent des risques fous, caché des clandestins, assuré la transmission de messages... À quelques jours de la « panthéonisation » de deux grandes personnalités, Geneviève Anthonioz-de Gaulle et Germaine Tillion, il me semblait important de souligner cette filiation entre l'engagement résistant de tant de femmes et la reconnaissance de leurs droits politiques.

Le Général de Gaulle, comme en témoignait son fils Philippe, ne pouvait concevoir que, la paix revenue, les Françaises n'eussent pas été en mesure de s'exprimer et de participer pleinement à la vie politique de leur pays. On ne peut oublier cependant que l'ordonnance de 1944 est aussi l'aboutissement de profondes mutations culturelles et sociales de la France, notamment depuis la Première Guerre mondiale.

Dès lors, une question demeure : pourquoi si tard ?

Pourquoi la France, qui fut pionnière du suffrage universel masculin, dès 1848, a-t-elle été si en retard pour étendre aux femmes un droit qui existait dès avant 1914 en Nouvelle-Zélande, en Australie, en Finlande et en Norvège ?

Pourquoi la France n'a-t-elle pas pris cette mesure à l'issue de la Première Guerre mondiale, qui a vu la contribution de tant de femmes à l'effort de guerre, comme ce fut le cas dans de très nombreux pays dès 1919 - Danemark, Royaume-Uni, Canada, États-Unis, Belgique, Pays-Bas et Allemagne ?

Il m'est difficile de passer sous silence - car je dois assumer toute l'histoire du Sénat en tant que président de cette assemblée - la longue opposition du Sénat de la III e République, dont l'action législative fut pourtant, sur bien d'autres sujets, audacieuse et innovante, à l'accession des femmes aux droits politiques.

Je me risquerais à une explication tardive, et comme toutes les explications tardives, empreinte d'autant d'interrogations, d'incertitudes que de certitudes !

Les amendements sur la proposition de loi sur le vote des femmes, soutenus alors par le député Pierre-Etienne Flandin, en 1919, se révélèrent être en fait un fin jeu politique. En effet, les députés, opposants ou faux alliés, se rallièrent en masse à la proposition de suffrage intégral, persuadés qu'elle n'avait pas beaucoup de chances de prospérer pendant la navette parlementaire ! Nous étions sous la III e République et les pouvoirs étaient quasi égaux entre les deux assemblées ; la navette parlementaire pouvait tricoter, détricoter, retricoter tout texte jusqu'à parvenir à une synthèse. Nos collègues du Palais-Bourbon pouvaient ainsi s'attribuer le beau rôle sans prendre beaucoup de risques !

Je laisse les historiennes qui interviendront tout à l'heure évoquer ce débat et, sans doute, m'éclairer plus avant sur les théories que je viens d'échafauder.

Je voudrais toutefois relever que nombre de sénateurs, de sensibilités assez différentes - certains appartenaient au groupe de la Gauche démocratique - se dressèrent entre les deux guerres contre cet immobilisme, à l'exemple du sénateur du Var, Louis Martin, de celui du Rhône, Antonin Gourju, sénateur catholique de centre-droit ou du sénateur des Landes, Eugène Milliès-Lacroix, qui tentèrent de réenclencher le processus législatif sur ce sujet.

Tout cela appartient à l'histoire. Aujourd'hui, les sénatrices sont au nombre de 89 : ce nombre évoque en lui-même une Révolution. Elles représentent plus du quart de notre assemblée. Elles y occupent toute leur place : vice-présidentes, présidentes de commission, présidentes de délégation... Naturellement, le rêve serait d'atteindre enfin la parité en nombre dans notre institution, la division par moitié de 348. Je vous laisse faire le calcul...

Les femmes sont désormais enracinées dans cet hémicycle qu'elles ont conquis et qu'elles habitent lors de chaque débat, incarnant pleinement la disposition de l'ordonnance de 1944 : « Les femmes sont électrices et éligibles dans les mêmes conditions que les hommes ». Cette seule phrase a suffi à affirmer un droit essentiel.

Vous avez dédié, chère Chantal Jouanno, l'une des thématiques de ce colloque aux citoyennes, non seulement électrices, mais élues. Je sais que de nombreuses élues, maires, conseillères municipales, conseillères régionales, conseillères départementales, responsables d'intercommunalités, ont souhaité participer avec nous à cette célébration et sont présentes dans cette salle. Je m'en réjouis, et je leur souhaite à toutes, au nom de mes collègues sénatrices et sénateurs, la bienvenue au Sénat.

Je salue tout particulièrement notre ancienne collègue Cécile Goldet, médecin, sénateur de Paris de 1979 à 1986, qui a eu le mauvais goût de quitter le Sénat au moment où j'y entrais, après avoir été secrétaire de la commission des affaires sociales. Elle a tenu à témoigner, par vidéo interposée, de la place des femmes parlementaires au Sénat en 1979, et nous fait l'honneur de sa présence aujourd'hui, au premier rang de cette salle. Chère Cécile Goldet, je vous souhaite la bienvenue dans votre maison ! Je me tourne vers le public et vers les intervenants : chers amis, je suggère que nous nous levions tous pour applaudir très chaleureusement Cécile Goldet.

[Le public et les intervenants se lèvent et applaudissent Cécile Goldet.]

Je dois saluer également la présence de l'un de mes collègues masculins, Alain Gournac, élu dans le même département que moi 1 ( * ) et qui, depuis des années, assure une place particulière au sein de la délégation aux droits des femmes.

Je suis heureux, mesdames et messieurs - députés, sénateurs, hauts fonctionnaires, représentants d'associations - de votre présence cet après-midi. Elle montre que la féminisation de notre vie politique est aussi une affaire d'hommes et que chacun d'entre nous est attaché à contribuer à ce progrès décisif de nos institutions.

Je vous souhaite un très bon après-midi au Sénat et, à tous et à toutes, des échanges stimulants !

Introduction - Chantal Jouanno, Présidente de la délégation aux droits des femmes

Monsieur le Président,

Mesdames les ministres,

Mesdames les sénatrices, messieurs les sénateurs, chers collègues,

Mesdames et messieurs les députés,

Mesdames les conseillères, mesdames les maires,

Mesdames et messieurs,

Merci de votre présence extrêmement nombreuse à ce colloque qui se situe, à quelques jours près, soixante-dix ans après le second tour des élections municipales de 1945.

Je voudrais tout d'abord remercier notre président, Gérard Larcher, qui a tenu à nous faire l'honneur de procéder à son ouverture et qui, je dois en témoigner, se tient régulièrement informé des travaux de la délégation aux droits des femmes.

Vous avez souhaité, Monsieur le Président, adresser une parole particulière aux hommes qui ont accepté de participer à colloque en tant qu'intervenants. Je suis bien d'accord avec vous, l'égalité entre les femmes et les hommes implique entièrement les hommes ! Le combat pour l'égalité n'est pas un combat pour la différenciation, c'est au contraire un combat pour l'indifférenciation des droits et des opportunités. Nous le voyons aujourd'hui, ce combat n'est jamais terminé. Il n'existe pas nécessairement d'évolution « naturelle » vers l'égalité entre les hommes et les femmes. Nous avons tous le devoir de toujours porter ce combat au sein de nos actions politiques.

Donc, monsieur le Président, messieurs, soyez doublement remerciés d'être à nos côtés cet après-midi.

J'en viens plus concrètement au programme de ce colloque qui, vous l'avez vu, est organisé en trois séquences assez différentes.

Notre président a évoqué la séquence que je qualifierai d'historique, et qui se terminera par un bilan de soixante-dix ans de vote des femmes en France, intitulé Les Françaises aux urnes, 1945-2015 , que nous écouterons avec un intérêt particulier.

En réalité, monsieur le Président, la République pleine et entière a soixante-dix ans, l'âge du vote des femmes, même si son histoire a été jalonnée de bien d'autres évolutions. Cette table ronde, qui permettra des « regards croisés » d'historiennes et de politologues sur le droit de vote des femmes, fera la transition avec l'intervention d'Yvette Roudy, qui s'intitule de manière éloquente La parité, un combat inachevé .

Comme Gérard Larcher l'a fait observer, l'ordonnance de 1944 comporte deux volets : les femmes électrices et les femmes éligibles. Or sur ce point, je rappelle qu'il a fallu des lois contraignantes pour que le taux de féminisation de plusieurs institutions, et notamment du Parlement, puisse s'améliorer.

Nous avons encore du chemin à parcourir pour atteindre la parité. Nous le savons, quand il s'agit des droits des femmes, quel qu'en soit le domaine, il suffit de baisser la garde un instant pour que la place des femmes dans les différentes instances recule. Je renvoie sur ce point aux remarquables travaux de Réjane Sénac.

Deux séquences du colloque seront consacrées à la thématique de l'engagement politique des femmes. Ces tables rondes associeront diverses personnalités invitées à échanger sur leurs expériences de la manière la plus personnelle et la plus détendue qui soit.

Devant une telle audience, je conçois que cela ne soit pas chose si aisée, mais vous serez remarquablement pilotés par Roselyne Bachelot-Narquin, que je remercie tout particulièrement d'avoir accepté très spontanément d'animer la première de ces tables rondes concernant l'accès aux mandats et aux responsabilités.

Je ne doute pas, chère Roselyne, que tu réussiras à apporter à cette table ronde beaucoup de bonne humeur, de naturel et une ambiance souriante. Je compte beaucoup pour cela sur ton expérience en ce domaine. Cette expérience, ton livre, La petite fille de la V e , qui vient de paraître, en témoigne avec éloquence.

Le chapitre intitulé « Les tontons flingueurs » relate ton premier combat électoral dans un territoire considéré comme perdu d'avance, si bien que lorsque tu as remporté les élections, un responsable local t'a félicitée en ces mots : « Si on avait su que c'était jouable, on aurait envoyé un homme ».

Pour beaucoup d'entre nous, qui ont fait le constat d'un certain machisme en politique, je suis sûre que la plupart des anecdotes contenues dans ce livre suscitent une impression de « déjà vu »... L'objet de cette table ronde ne vise toutefois pas à évoquer seulement l'aspect culturel de la question de l'accès aux mandats et aux responsabilités, mais également ses aspects matériels et institutionnels, qui freinent les femmes de façon plus ou moins consciente.

La troisième séquence de ce colloque porte sur un sujet qui nous concerne tous et toutes : il s'agit de la conciliation des temps entre vie personnelle et engagement politique. Je dis bien « tous et toutes » puisque cette problématique concerne autant les hommes que les femmes.

Cependant, mon expérience personnelle me conduit à constater, bien qu'ayant un mari remarquable, que la charge liée à l'exercice de responsabilités familiales a parfois tendance à reposer davantage sur nos épaules, à nous les femmes. Du moins, la culpabilité que nous inspire le fait d'être absentes du domicile familial.

Sur ce point, je remercie Béatrice Massenet d'avoir accepté d'animer cette table ronde. Béatrice Massenet, journaliste, est l'auteure d'un livre particulièrement édifiant qui s'intitule de manière significative Et qui va garder les enfants ?

Nous comptons, en préambule de cette table ronde, sur Danielle Bousquet, Présidente du Haut Conseil à l'Égalité entre les femmes et les hommes (HCE|fh), pour nous montrer quel statut de l'élu-e permettrait de réaliser cette égalité à laquelle nous aspirons tous.

Je suis particulièrement heureuse que la composition de ces deux séquences politiques nous permette d'associer des femmes et hommes élus aux expériences diverses : locales et nationales, ministérielles pour certaines. Je me réjouis en outre que de nouvelles collègues sénatrices, élues lors des dernières élections sénatoriales d'octobre 2014, participent à ces tables rondes et puissent nous faire profiter du regard neuf qu'elles portent encore sur notre institution.

Je sais que dans cette salle nous écoutent de nombreuses femmes élues locales et responsables d'associations oeuvrant à l'égalité entre femmes et hommes : je suis certaine que nos échanges trouveront un écho dans les expériences que toutes, vous vivez au quotidien dans vos engagements politiques et associatifs.

Il me revient enfin le triste devoir d'engager chaque intervenant à s'en tenir au temps de parole qui lui a été imparti : notre programme est dense, et les conclusions de ce colloque doivent intervenir vers 19 heures.

Nous allons d'abord regarder, grâce au partenariat de l'Institut national de l'audiovisuel (INA), une très brève vidéo qui montre la continuité entre le premier vote des femmes en 1945 et la revendication de la parité. D'autres vidéos vous seront proposées grâce à l'INA au cours de l'après-midi. La liste de ces films figure dans vos dossiers et sera accessible depuis notre site internet.

Projection de la vidéo : Lucie Aubrac et Françoise Gaspard dans
« Histoire du vote des femmes »

Journal télévisé Antenne 2 (20 heures) du 21 avril 1994
Journaliste : Guilaine Chenu

Avant de confier la première table ronde à Roselyne Bachelot-Narquin, je propose que nous regardions ensemble une deuxième vidéo, elle aussi très courte, qui permet à notre ancienne collègue Cécile Goldet, qui vient de fêter ses 101 ans et qui nous fait l'honneur d'être parmi nous aujourd'hui au premier rang de cette salle, de témoigner de son parcours. Je rappelle que Cécile Goldet était médecin et qu'elle a joué un rôle très important au Planning familial.

Projection d'un témoignage vidéo de Cécile Goldet :
« En 1979, au Sénat, nous étions quatre femmes » 2 ( * )

Il est temps d'aborder notre première table ronde. Chère Roselyne, c'est avec un grand plaisir que je te donne la parole.

Première table ronde - l'engagement des femmes en politique - l'accès aux mandats et aux responsabilités : une course d'obstacles ?

Table ronde animée par Roselyne Bachelot-Narquin,
chroniqueuse - éditorialiste, ancienne ministre,
auteure de La petite fille de la V e (2015)

Intervenants :

Jean-Marc Germain, député des Hauts-de-Seine
(groupe socialiste, républicain et citoyen)

Chantal Jouanno, sénatrice de Paris (groupe UDI-UC), ancienne ministre

Marie-Pierre Monier, sénatrice de la Drôme
(groupe socialiste), maire de Vinsobres

Marie-Françoise Perol-Dumont, sénatrice de la Haute-Vienne (groupe socialiste), ancienne présidente du conseil général de la Haute-Vienne, députée honoraire

Frédérique Puissat, maire de Château-Bernard, vice-présidente
de la Communauté de communes du Trièves, première vice-présidente
de l'Assemblée départementale de l'Isère (groupe UMP-Divers droite)

Bornia Tarall, conseillère municipale de Strasbourg (groupe Strasbourg à vos côtés, UMP-MODEM et société civile), conseillère eurométropolitaine de Strasbourg, présidente des Marianne de la Diversité

Roselyne Bachelot-Narquin, chroniqueuse-éditorialiste, ancienne ministre, auteure de La petite fille de la V e

Nous voici donc réunis pour évoquer l'accès des femmes aux mandats et fonctions et pour examiner ensemble les difficultés qui se dressent sur la route des femmes élues.

Cinq femmes et un homme participent à cette table ronde. Je remercie tout particulièrement Jean-Marc Germain d'avoir accepté de se retrouver dans la situation dans laquelle je me suis si souvent trouvée dans ma carrière politique, lorsque j'étais la seule femme dans un phalanstère d'hommes !

Nos intervenants sont de sensibilités politiques et d'origines géographiques différentes. Ils exercent des mandats très divers. Certains d'entre eux ont suivi des carrières classiques d'élus que je qualifierais de bottom-up et, comme moi, ont commencé par de « petits » mandats locaux avant d'arriver à des carrières plus prestigieuses. D'autres, comme Chantal Jouanno ou Jean-Marc Germain, ont suivi une carrière dans la haute fonction publique pour finalement se confronter au suffrage universel.

Je souhaite que notre débat soit le plus vivant possible et très marqué par les expériences personnelles, ainsi que vous l'avez souhaité, chère Chantal. Pour aller plus loin que la définition des problèmes auxquels ils ont été confrontés, j'invite nos intervenants à nous faire part des aides et des complicités qu'ils ont rencontrées au long de leur parcours, afin que nous puissions tirer de ces échanges une « boîte à outils » pour celles qui souhaitent s'engager et progresser en politique.

Je m'adresserai d'abord à Marie-Françoise Perol-Dumont. J'observe de nombreuses similarités dans nos parcours respectifs. J'ai réalisé ma première campagne électorale comme conseillère municipale en 1977, l'année même où vous êtes devenue conseillère municipale. Vous avez exercé comme moi presque tous les mandats électifs, pendant quatre décennies, à cette différence près que je n'ai pas été sénatrice et que vous n'avez pas siégé au Parlement européen. J'ajoute que vous étiez à l'origine professeure de collège et que vous êtes Colonel de la Gendarmerie dans la réserve citoyenne. Peut-être devrions-nous d'ailleurs vous appeler Colonel ? Vous avez été conseillère générale, présidente d'un Conseil général, conseillère régionale.

Quelles difficultés avez-vous rencontrées, en tant que femme, dans l'exercice de ces mandats ? Quelles règles vous étiez-vous fixées ? Avez-vous observé des évolutions dans la perception des femmes en politique ? Plus généralement, comment avez-vous traversé ces quarante années de vie politique ?

Marie-Françoise Perol-Dumont, sénatrice de la Haute-Vienne (groupe socialiste), ancienne présidente du conseil général de la Haute-Vienne, députée honoraire

J'ai traversé ces années avec bonheur ; le bonheur que procurent les mandats qui permettent une émulation intellectuelle permanente, mais ce fut également une course d'obstacles que nous connaissons tous !

Parler de soi est un exercice un peu compliqué, mais c'est nécessaire, parce que cela peut servir d'exemple aux autres.

Je suis un pur produit de la méritocratie républicaine au plan professionnel, et de la méritocratie politique ou élective au plan de mon action de femme publique. Pendant longtemps, je ne me suis pas rendu compte de la difficulté que cela pouvait représenter, de conduire une vie politique en étant une femme : un peu comme le marathonien qui ne mesure pas l'effort qu'il accomplit avant que la course ne soit achevée.

Puis vient un moment où « l'on se pose ». Et c'est en posant un regard sur l'ensemble de mon parcours que je me suis demandé comment j'avais pu traverser tout cela. J'ai réalisé tout le travail, toute la résilience, toute la conviction et tout l'humour il avait fallu pour résister. Une vie politique est en effet un chemin fort escarpé quand on est une femme, aujourd'hui encore dans notre pays.

Je reprendrai pour ma part le slogan des suffragettes américaines : « Aux hommes, tous leurs droits, rien de plus ; aux femmes, tous leurs droits, rien de moins ». Être femme n'est ni un handicap ni un atout, mais un état de fait. Le chemin d'une femme en politique ne devrait pas être une telle course d'obstacles. Or force est de constater que c'est bien le cas.

Je l'ai réalisé assez tardivement, l'an dernier, quand j'ai annoncé que je serais candidate à l'investiture au Sénat et que je ne briguerais pas de nouveau mandat à la présidence du conseil général ; c'est une règle que je me suis déjà appliquée en 2012 alors que j'étais députée et alors que j'avais déjà exercé trois mandats.

Les choses sont soudainement devenues très compliquées. J'avais créé une sorte d'appel d'air et la parole s'est libérée. J'ai découvert avec étonnement que j'étais une femme « de caractère », une femme « autoritaire ». Avez-vous déjà entendu, mesdames et messieurs, un homme politique qualifié « d'autoritaire » ? Non. Un homme politique « a de l'autorité »... nuance !

Dans une collectivité telle qu'un département, où chacun représente une partie du territoire, est élu sur son nom et a sa propre légitimité, le président ou la présidente doit porter l'intérêt général départemental et, dans ce sens, prendre des décisions et trancher. Quand cette personne est une femme, on dira qu'elle est « autoritaire ». S'il s'agit d'un homme, on dira qu'il « fait preuve d'autorité ». Les mots ont un sens...

À mon avis, la différence fondamentale entre les hommes et les femmes en politique tient au fait que pour l'immense majorité des femmes, la politique est un levier, et le mandat électif, un outil pour faire bouger les lignes - et je dois dire, chère Roselyne, que j'ai beaucoup apprécié de travailler avec vous à l'Assemblée nationale. La politique ne constitue pas une fin en soi. Cela explique que l'on voie plus fréquemment, me semble-t-il, des femmes qui, de plein choix, limitent le nombre de leurs mandats parce que la politique, ce n'est pas toute leur vie.

Si j'ai « survécu » dans ce milieu et si j'ai réalisé ce parcours, c'est grâce au conseil que m'avait donné une « ancienne » : pour résister aux attaques violentes dont je serais l'objet, m'avait-elle dit, il me faudrait toujours dissocier ma personne publique avec mon engagement plein et entier, de ma personne privée.

Les femmes en politique sont donc en quelque sorte les « deux corps du roi »... Opérer cette distinction fut pour moi salutaire et je conseille à toutes les jeunes femmes qui souhaitent entrer en politique de faire de même. Je vois également dans cette distinction un reflet du principe de laïcité qui, au-delà de la question des religions, consiste plus globalement pour moi à séparer ce qui relève de la sphère publique et ce qui relève de la sphère privée.

Roselyne Bachelot-Narquin

Marie-Françoise Perol-Dumont a bien souligné la différence de légitimité entre les hommes et les femmes dans l'exercice du pouvoir. L'homme exerce son pouvoir tel Bonaparte au pont d'Arcole, saisissant le drapeau et franchissant le pont : « Qui m'aime me suive ! ». La femme est sans cesse obligée de se relégitimer, dans une légitimité de consensus. Ceci explique un certain nombre des difficultés que nous rencontrons.

Je vous propose à présent d'écouter le témoignage de Frédérique Puissat, dont j'ai lu une phrase extrêmement significative. En politique, dites-vous, « On est comme un maçon qui construit un mur brique par brique, en faisant attention à ce que les fondations ne s'effondrent pas au fur et à mesure que le mur s'élève. Il ne faut pas brûler les étapes. Je ne sais pas si cette attitude qui guide ma vie est spécifique aux femmes. »

Maire de Château-Bernard, vous faites partie des « anciennes » puisque vous exercez cette fonction depuis 2001 et présidez également une intercommunalité. Vous avez été conseillère générale, vous êtes aujourd'hui conseillère départementale, première vice-présidente de l'assemblée départementale de l'Isère en charge des questions sociales.

Vous dites vous-même que vous êtes très attachée à la preuve par la compétence. Finalement, la question de l'interpellation spécifique aux femmes revient toujours. Pour ma part, je me souviens qu'à mon entrée au Conseil régional des Pays-de-la-Loire, voilà trente ans, le poste de présidente de commission qui devait m'être confié l'a finalement été à un homme, qui pourtant n'était pas plus compétent que moi. Il semble qu'il jouissait d'une sorte de compétence sui generis , alors que je devais « faire mes classes ». Je ne suis devenue présidente qu'après avoir fait mes preuves.

Ne craignez-vous pas, à travers cette notion de compétence, de « jouer un peu contre votre camp » en estimant qu'il faut d'abord faire ses preuves ?

Frédérique Puissat, maire de Château-Bernard, vice-présidente de la Communauté de communes du Trièves, première vice-présidente de l'Assemblée départementale de l'Isère (groupe UMP-Divers droite)

Je n'ai pas cette impression. J'estime très sincèrement qu'aujourd'hui, être une femme en politique est une chance et ce, parce que d'autres ont tracé le sillon bien avant nous et parce que nous sommes en France, cela il ne faut jamais l'oublier. Le risque aujourd'hui, lorsque l'on est une femme, est finalement d'être appelée à des fonctions justement parce que l'on est une femme. L'obligation de parité peut parfois conduire à brûler des étapes.

Le « mur » que j'ai évoqué et que vous mentionniez vaut selon moi pour les hommes comme pour les femmes. Si nous voulons que notre démocratie vive, nous devons exercer nos mandats avec compétence. C'est sur ce point que nous attendent avant tout les citoyens. Cela vaut pour la politique, mais aussi pour d'autres domaines, économique notamment. Soyons compétents pour que la démocratie puisse vivre ! Aujourd'hui, les systèmes politiques dans lesquels nous évoluons, imposant la parité à certaines élections - comme nous l'avons dernièrement observé au cours des élections départementales - ne servent pas toujours les femmes ni la démocratie. Nous devons tous, hommes et femmes, être choisis avant tout pour nos compétences et non parce que « hommes » ou « femmes ».

Ce n'est pas un discours qui séduit ou qui plaît, mais je m'y tiens. Je crois qu'au sein d'une assemblée se trouvent des hommes et des femmes qui sont plus ou moins compétents. Le choix par les électeurs de leur réélection, lors d'un nouveau scrutin, s'opère en fonction de ce critère.

Roselyne Bachelot-Narquin

Sur la question du choix qui ne tient pas aux compétences, il semble que les hommes tiennent très convenablement leur rôle. Chacun d'entre nous a certainement pu, à son échelle, être témoin de certains choix par « amitiés ». Nous y reviendrons au cours de nos débats.

Après avoir entendu une élue expérimentée, je propose que nous écoutions désormais une « bizuth ».

Marie-Pierre Monier, votre engagement en politique fait suite à un engagement associatif et syndical. En 2014 s'est produit ce que vous qualifiez de véritable « choc » dans votre vie, car vous êtes devenue presque simultanément maire de Vinsobres et sénatrice de la Drôme.

Vous faites également partie du groupe d'étude du Sénat sur la vigne et le vin, ce que j'ai trouvé assez sympathique, même si, bien-sûr, en tant que ministre de la Santé, j'ai veillé ardemment à lutter contre les dérives en la matière !

Vous indiquez vous-même être un « pur produit de la parité ». Pouvez-vous nous en dire davantage ?

Marie-Pierre Monier, sénatrice de la Drôme (groupe socialiste), maire de Vinsobres

Pour ma part, je crois au contraire que l'obligation de parité était nécessaire à l'arrivée des femmes en politique. Il ne faut pas se faire d'illusions. Bien que nouvelle dans ce milieu, j'ai en effet pu constater que les hommes ne lâchaient pas leur mandat à moins d'y être contraints. C'est mon sentiment, mais je suis « bizuth », en effet...

À l'époque de mes premiers engagements, j'étais très loin des appareils politiques, même si j'avais des convictions bien ancrées que je défendais activement dans la société civile locale. J'ai été sollicitée en 2011 pour être suppléante d'un conseiller général, précisément parce que la loi demandait que les binômes soient composés d'un homme et d'une femme. Je me suis donc engagée dans l'aventure politique aux côtés d'un homme très intéressant et, d'ailleurs, très respectueux de la place des femmes.

Quand on m'a proposé d'intégrer une liste pour la campagne des élections municipales dans ma commune, j'ai d'abord hésité. Finalement, les obstacles sont venus de moi. J'ai pris conscience de cette autocensure par la suite, au cours des échanges que nous avons pu avoir au sein de la délégation aux droits des femmes. Je considérais qu'ayant un mari, des enfants, un engagement syndical et un travail très prenant, je ne pourrais pas gérer en plus un mandat municipal. Par ailleurs, mon père était malade à l'époque.

Au décès de mes parents, j'ai décidé de m'engager pleinement en politique. J'ai été inscrite en seconde position sur la liste municipale. La tête de liste, un homme bien entendu, s'est finalement désistée et j'ai été élue avec neuf voix d'avance. Il est clair que dans ma commune de 1 200 habitants, je n'aurais jamais exercé cette fonction sans l'obligation de parité !

Les obligations paritaires sur les listes sénatoriales ont elles aussi tenu un rôle dans ma candidature, et donc mon élection, au Sénat. Didier Guillaume, sénateur de la Drôme et président du groupe socialiste, m'a encouragée dans cette aventure.

Comme vous l'indiquiez, cette élection a été un choc pour moi. J'ai néanmoins été très bien accueillie à mon arrivée au Sénat, notamment par tous les personnels et par les huissiers. J'ai par ailleurs eu la chance de rencontrer des femmes qui ont su m'épauler dans les moments difficiles, alors qu'il fallait trouver ma place dans un milieu qui m'était inconnu. De plus, dans le groupe politique auquel j'appartiens ainsi qu'au sein de la délégation aux droits des femmes, la parole est libre, ce que j'apprécie beaucoup...

Dans la vidéo qui nous a été projetée, Cécile Goldet témoignait de la manière dont on lui avait refusé le titre de « sénatrice ». Heureusement, les choses ont évolué positivement au Sénat où, dès le jour de mon arrivée, on m'a demandé comment je souhaitais être appelée.

Néanmoins, dans ma circonscription, un député refuse toujours de m'appeler Madame la sénatrice, et continue de de me donner du « Madame le sénateur ». Ce refus souligne bien qu'il reste difficile pour certains hommes de reconnaître la place des femmes en politique.

Étant professeure de mathématiques, j'ai évolué dans une spécialité majoritairement masculine et j'ai appris à prendre ma place. Néanmoins, l'égalité existe bien dans mon métier d'enseignante : à qualification égale, tous les professeurs touchent la même rémunération, qu'ils soient hommes ou femmes.

Si globalement, les choses se passent bien au Sénat, j'ai tout de même été témoin de réflexions déplacées de certains sénateurs à l'égard de femmes ministres s'exprimant dans l'hémicycle. L'écoute ne semble pas la même selon que l'orateur est un homme ou une femme.

Roselyne Bachelot-Narquin

Merci pour votre témoignage. Vous avez abordé des sujets sur lesquels nous pourrons revenir dans le débat. Les obstacles à nos parcours viennent-ils de nous ? Existe-t-il une solidarité féminine dans l'exercice de nos mandats et nos fonctions ? Est-il important de féminiser les titres ? Enfin, écoute-t-on les femmes de la même façon que l'on écoute les hommes ? Votre intervention a ainsi soulevé de nombreuses pistes de réflexion.

Intéressons-nous à présent à un parcours totalement différent, celui de Bornia Tarall, conseillère municipale et eurométropolitaine de Strasbourg.

Vous avez d'abord évolué dans le monde de l'entreprise, notamment en outre-mer puis en Afrique du Sud. À votre retour en France en 2001, vous vous engagez dans le mouvement associatif, au Club Convergence et coordonnez le réseau Coexist, qui s'est fixé comme mission la lutte contre le racisme et l'antisémitisme.

En 2005, vous créez avec Fadila Mehal les Marianne de la Diversité , que vous présidez depuis juin 2014. Vous insistez beaucoup sur l'importance de « l'école citoyenne » que représente le milieu associatif, dont vous dites qu'il vous a tout naturellement menée à la politique.

Bornia Tarall, conseillère municipale de Strasbourg (groupe Strasbourg à vos côtés, UMP-MODEM et société civile), conseillère eurométropolitaine de Strasbourg, Présidente des Marianne de la Diversité

Mon engagement associatif a été une chance pour moi : il a été le déclencheur de mon action politique tout en m'offrant un « exemple de terrain » qui a pu me guider dans mon engagement politique. En effet, les acteurs associatifs sont des développeurs d'idées et d'innovation sociale. Je suis donc convaincue de l'importance de la sphère associative pour le dialogue civil.

Je me suis engagée en politique lorsque j'ai pris conscience que la sphère associative limitait mon champ d'action et que seul un engagement politique m'offrirait l'opportunité de lutter pour la place des femmes et de la diversité dans le champ public.

Ce cheminement a été difficile. J'ai, moi aussi, vécu un véritable « parcours du combattant ». Je fais toujours l'objet d'une double discrimination, en tant que femme issue de la diversité. On me renvoie régulièrement à mes origines en m'invitant à me rendre sur un territoire pour « ramener des voix » ou en me suggérant de ne pas faire campagne dans un autre, sous peine de « faire monter le Front National ». Ces réflexions ne me démontent pas. Je ne baisse pas les bras. Je suis une femme d'action, une femme libre.

Je suis par ailleurs soutenue par une femme extraordinaire, Fabienne Keller 3 ( * ) , qui m'a inscrite en troisième position sur sa liste aux élections municipales, non pas parce que je suis une femme issue de la diversité, mais pour mes compétences.

Roselyne Bachelot-Narquin

Françoise Parturier stigmatisait les femmes qui « franchissaient les arcs de triomphe » pour ensuite fermer la porte derrière elles et empêcher ainsi d'autres femmes de passer. Vous semblez au contraire avoir rencontré de vraies solidarités. Je pense que c'est important.

Je me souviens pour ma part des paroles d'une femme politique, brillante et célèbre, qui, à mon entrée au Parlement, lorsque je militais pour la parité, m'a mise en garde : « Es-tu folle ? Les caméras de télévision se porteront moins volontiers vers nous si nous sommes plus nombreuses ». Cette phrase est authentique !

Je vous livrerai une autre anecdote personnelle. Je me souviendrai toujours d'une intervention de Ségolène Royal, qui s'était levée dans l'hémicycle pour plaider une cause qui m'était chère, celle de Leyla Zana, députée kurde emprisonnée parce qu'elle avait parlé kurde au Parlement d'Ankara. Pendant son intervention, un homme de mon parti politique a crié : « à poil ! » En sortant de l'hémicycle, je l'ai pris par le col de sa chemise et lui ai dit : « C'est moi que tu injuries. » Je pense que ce jour-là, il a compris la portée de son propos.

Je me tourne à présent vers Jean-Marc Germain. Vous avez effectué une grande partie de votre carrière de haut-fonctionnaire - vous êtes diplômé de l'École Polytechnique - auprès de Martine Aubry, en tant que directeur de cabinet et directeur général des services de la mairie de Lille. Vous avez également travaillé auprès de Lionel Jospin et de Pierre Mauroy.

Vous êtes actuellement secrétaire national du Parti socialiste en charge du pôle Mondialisation. Depuis 2012, vous êtes par ailleurs député des Hauts-de-Seine.

Comment un homme, haut-fonctionnaire et élu, vit-il la montée des femmes dans la sphère politique et la haute fonction publique ?

Jean-Marc Germain, député des Hauts-de-Seine (groupe socialiste, républicain et citoyen)

En tant qu'homme, je vis le féminisme comme un engagement politique. Mais cet engagement est motivé aussi par des raisons philosophiques. La montée des femmes en politique constitue à mon avis une chance pour la société, au sens que, selon moi, dans une femme, il y a trois hommes politiques.

Si vous aviez aujourd'hui interrogé six hommes politiques sur leurs parcours respectifs, vous auriez constaté que tous auraient indiqué avoir débuté en politique vers l'âge de 16 ans et auraient décrit un parcours quasi similaire. Les parcours féminins sont beaucoup plus divers, mêlant l'associatif, le syndicalisme ou encore le secteur privé.

À ce titre et au-delà de son importance philosophique, le mouvement de féminisation des mandats politiques est également très enrichissant pour la société française partout où la parité s'est imposée.

Nous aurions pu, au sujet des mandats municipaux, évoquer le nom de Michelle Demessine 4 ( * ) , avec qui j'ai travaillé lorsqu'elle était vice-présidente chargée des sports auprès de Pierre Mauroy à Lille.

Bien évidemment, je suis heureux de ce mouvement de féminisation. Je suis l'époux d'Anne Hidalgo et j'ai suivi son ascension, qu'elle doit comme vous toutes à sa volonté de servir son pays et sa ville, mais également à des femmes et des hommes qui ont cru en elle. Je pense tout particulièrement à Bertrand Delanoë, qui a eu l'intelligence de préparer sa succession. Permettez-moi d'insister sur ce point car c'est une chose suffisamment rare pour être notée.

J'ai toujours travaillé avec des femmes. Dans leurs parcours, je ne soulignerai pas les difficultés qu'elles ont rencontrées pour arriver à exercer des responsabilités, car toutes sont parvenues à les surmonter. En revanche, je peux témoigner des difficultés qu'elles doivent surmonter dans l'exercice du pouvoir. Elles tiennent notamment à l'image que renvoie la société des femmes exerçant des responsabilités, qui sont régulièrement qualifiées « d'autoritaires », quand on n'insiste pas sur leur « caractère »... Cette image est d'autant plus tenace que cette autorité est exercée sur des hommes.

Il est clair que cette approche explique largement les difficultés politiques qu'a rencontrées Ségolène Royal lors de la campagne présidentielle de 2007.

Nous devons continuer le combat pour la parité dans les mandats, auquel j'attache beaucoup d'importance. Je préconiserais pour ma part une solution radicale, qui consisterait à supprimer les subventions aux partis politiques qui n'arrivent pas à la parité des élus. La parité des candidatures ne suffit pas.

Le combat doit porter plus généralement sur l'accession des femmes aux responsabilités. À cet égard, je regrette vivement le parasitage du débat sur les ABCD de l'égalité qui, même s'ils ont pu paraître maladroits à certains égards, soulevaient la question essentielle des stéréotypes et de leur formation, dès l'école. Les comportements sexistes de certains représentants de la République, y compris de la nouvelle génération, récemment dénoncés par des femmes journalistes, sont bien révélateurs de la ténacité de ces stéréotypes.

Je tiens à évoquer une autre initiative qui me paraît importante et dont j'ai d'ailleurs subi les violences en tant qu'homme, celle de la pénalisation des clients de la prostitution. Nombre de mes collègues n'ont pas compris qu'en tant qu'homme, je m'inscrive dans ce combat. Lorsque j'ai affirmé, à l'Assemblée nationale, que ceux qui disent tout haut « touche pas à ma pute » pensent tout bas « touche pas à mon calbute », les réactions de certains de mes collègues, qu'ils soient socialistes ou non, ont été extrêmement violentes. Or ce combat contre la prostitution touche aux stéréotypes, à la représentation des femmes et à leur place dans la société.

Pour favoriser l'accès aux responsabilités, y compris politiques, nous devons continuer à mener l'ensemble de ces combats qui forment un tout.

Roselyne Bachelot-Narquin

Merci, Jean-Marc Germain.

Notre dernière intervenante est la présidente de la délégation aux droits des femmes du Sénat.

Votre parcours, Chantal Jouanno, est très différent de celui des quatre autres intervenantes.

Haute-fonctionnaire, vous êtes devenue secrétaire d'Etat à l'Écologie en 2009, puis ministre des Sports en 2010, avant de vous confronter au suffrage universel. Pouvez-vous nous faire part des difficultés que vous avez rencontrées et, éventuellement, du machisme auquel vous avez été confrontée dans ce parcours qui pourrait, en apparence, sembler plus « facile » que celui de nos autres témoins de cette table ronde ? En fait, je pense qu'il ne l'a pas été tant que cela...

Chantal Jouanno, sénatrice de Paris (groupe UDI-UC), ancienne ministre

Il est vrai que mon accession au pouvoir et aux responsabilités a été beaucoup plus facile que pour nombre d'élus, hommes ou femmes. Si j'ai accédé à des responsabilités politiques et notamment ministérielles, c'est parce que, en tant que présidente de l'ADEME 5 ( * ) , j'avais acquis en quelque sorte une expertise en écologie. Je n'ai alors subi aucune forme de machisme.

Mais il n'en a pas été de même dans l'exercice du pouvoir et de l'autorité. Tout d'abord, je cumulais bien sûr tous les « défauts » que l'on pouvait imputer à une femme. Je me suis vue reprocher, comme nombre de femmes politiques, mon « autoritarisme », ma manière de parler, ma manière de m'habiller ou de me coiffer... Jamais, bien sûr, comme il faudrait !

Par ailleurs, je n'avais pas la même légitimité politique que les autres femmes et hommes politiques, celle qui ne peut provenir que du suffrage. Ma participation à la campagne des élections régionales comme tête de liste n'y a rien changé ! Le mode de scrutin par liste n'offre pas la même légitimité qu'une élection individuelle...

De la même manière, en France, l'élection au Sénat ne donne pas la légitimité politique qu'offre un mandat à la tête d'un exécutif local.

Si cette question du manque de légitimité par le suffrage est indépendante de la « spécificité » féminine, elle s'y ajoute. Cela me conduit à devoir prouver perpétuellement ma compétence sur la scène politique.

J'ai moi aussi été confrontée à des comportements machistes. J'ai bien sûr eu droit à la rumeur : si j'en étais arrivée là, ce ne pouvait être que grâce au soutien « très appuyé » d'un homme...

Roselyne Bachelot-Narquin

La fameuse « promotion canapé » !

Chantal Jouanno

Exactement. J'ajouterais qu'à l'origine, je n'étais absolument pas féministe, bien que j'aie toujours évolué dans des milieux masculins. Je le suis devenue lorsque j'ai dû exercer des responsabilités et que pour la première fois, j'ai été confrontée au machisme. J'ai également été, comme de nombreuses femmes en politique, l'objet d'insultes et de phrases déplacées.

Ces mots m'ont choquée, non pas pour moi, car en politique, nous avons les moyens de répondre et même de retourner ces propos contre leurs auteurs. J'ai été choquée par ce que ces mots révèlent de notre société et, plus particulièrement, de ce que subissent des femmes qui, elles, ne sont pas en position de répondre. Tolérer de tels comportements dans l'hémicycle d'une assemblée parlementaire revient à légitimer des pratiques bien pires en d'autres lieux.

Nous avons l'obligation d'agir et de réagir face à ces comportements, non pas pour nous-mêmes, mais pour toutes les femmes qui elles, n'ont pas les moyens de répondre et se trouvent de ce fait en situation d'infériorité.

Roselyne Bachelot-Narquin

Chantal Jouanno a conclu son propos par des paroles essentielles sur le combat féministe, que nous devons poursuivre sans baisser la garde.

Il est vrai que l'on a parfois tendance à vivre l'engagement féministe d'une manière intellectuelle. Ayant été élevée par une mère féministe et un couple profondément égalitaire, j'ai vécu mon entrée en politique, au Conseil général de Maine-et-Loire, comme un choc épouvantable.

Lors de la présentation des nouveaux élus à l'assemblée, nous étions six nouveaux élus, cinq hommes et une femme. Les cinq hommes ont été présentés par leurs engagements politiques, associatifs ou professionnels. Je n'ai eu pour seule présentation que la suivante : « Roselyne Bachelot, dont chacun connaît le charmant sourire... ».

Cette expérience, et d'autres qui ont suivi, ont transformé mon féminisme intellectuel en un féminisme militant. J'ai en effet compris que je ne pourrais mener seule ce combat, qu'il nous faudrait le mener ensemble, en y entraînant avec nous le maximum d'hommes qui seraient nos alliés et y trouveraient aussi leurs avantages, comme vous l'avez exprimé, Jean-Marc Germain.

Je propose que nous consacrions le temps qui nous reste aux échanges avec la salle.

Yamina Mamou, conseillère municipale déléguée à Carcassonne, vice-présidente des Marianne de la Diversité

Alors que nous sommes réunis pour célébrer le soixante-dixième anniversaire du droit de vote des femmes, qu'en est-il de l'obtention du droit de vote pour les femmes étrangères ?

Bornia Tarall

A priori , je ne suis pas opposée au principe de cette mesure, bien au contraire, dès lors qu'elle concerne des femmes qui vivent en France depuis longtemps et qui participent à la vie de la cité. Néanmoins, les modalités de sa mise en place doivent être mûrement étudiées. Je ne pourrai vous apporter de réponse tranchée sur ce sujet.

De la salle

Je tiens à saluer la mémoire de l'une des premières féministes, malheureusement quelque peu tombée dans l'oubli, Julie-Victoire Daubié 6 ( * ) . Originaire d'un petit village des Vosges, elle fut la première femme autorisée à présenter le Baccalauréat, qu'elle a obtenu à l'âge de quarante ans. Elle est par ailleurs l'auteure d'un petit pamphlet, intitulé déjà Le deuxième sexe .

Je me suis présentée aux élections municipales dans un village des Vosges. Tous les rencontres que j'ai effectuées lors de ma campagne, avec des familles, des personnes seules, des personnes âgées ou plus jeunes, m'ont montré à quel point la parole des femmes pouvait trouver un écho très favorable, y compris dans les milieux ruraux, plutôt défavorisés. J'ai ainsi été extrêmement touchée par l'intervention de Chantal Jouanno et par son souhait de porter la parole des femmes, pour les femmes défavorisées. Le féminisme doit aujourd'hui descendre dans les couches populaires. Nous pouvons, par nos paroles, montrer aux femmes, notamment des milieux ruraux, qu'il est possible de se projeter dans le quotidien qu'elles souhaitent, bien au-delà de la sphère domestique.

Roselyne Bachelot-Narquin

L'histoire des idées en France a été marquée par une lutte idéologique forte entre le féminisme et la tradition marxiste, qui refusait de s'impliquer dans le combat féministe, considéré comme un combat bourgeois éloignant de la lutte des classes. Vous avez raison d'insister sur le fait qu'au contraire, le féminisme n'est pas un combat de privilégiés et qu'il doit irriguer l'ensemble de la réflexion politique.

De la salle

Vous soulignez que le combat féministe est le combat de toutes les femmes. Je m'étonne donc que votre tribune n'accueille aucune représentante de l'outre-mer.

Roselyne Bachelot-Narquin

Vous constaterez qu'elle ne compte pas de représentante angevine non plus !

Laurence Cohen, sénatrice du Val-de-Marne

Je partage votre propos sur le rendez-vous raté entre le combat marxiste et le combat féministe. Au Parti Communiste, il nous a fallu du temps pour nous dégager de l'idée selon laquelle le combat contre le capitalisme suffirait à aboutir à l'égalité entre les hommes et les femmes, en faisant bouger les mentalités. Nous avons néanmoins le mérite d'avoir analysé cette réflexion erronée, et sommes convaincus depuis quelques années maintenant qu'il faut mener ces deux combats de front.

Notre histoire n'a pas été linéaire. En 1925, le Parti Communiste a présenté des femmes sur ses listes lors des élections municipales alors qu'elles n'avaient ni le droit de vote ni le droit d'éligibilité. Un certain nombre d'entre elles ont été élues. Malheureusement, leur élection a été annulée par les préfets.

Il me semble indispensable de continuer à faire preuve de cette audace, dans tous les domaines, notamment en ce qui concerne le droit de vote des étrangers. Agissons à cet égard comme nous l'avons fait en 1925 pour faire avance le droit de vote des femmes.

Je suis élue sénatrice depuis 2011 et j'entends nombre de mes collègues appeler à la patience en matière de représentation des femmes. Or nous faisons preuve de patience depuis des millénaires. Il me paraît par exemple important, comme le proposait Jean-Marc Germain, de supprimer les subventions aux partis qui ne respectent pas la parité. Je rappelle qu'un certain nombre d'entre eux préfèrent encore payer des pénalités qu'appliquer la loi.

J'en appelle donc pour ma part à des mesures plus radicales, en rendant les listes ou les candidats inéligibles si la parité n'est pas respectée.

Roselyne Bachelot-Narquin

Je suis une militante du scrutin binominal depuis quarante ans. En définitive, la solution ne serait-elle pas d'appliquer le scrutin binominal aux élections législatives ?

Marie-Françoise Perol-Dumont

La mise en place du scrutin binominal pour les élections départementales a été largement critiquée. J'étais moi-même à l'époque présidente de conseil général et du groupe majoritaire à l'Association des départements de France, et pourtant je jugeais cette proposition, dont mon propre camp avait pris l'initiative, un peu « baroque ».

Mais après mûre réflexion, je me suis souvenue que lorsque je suis devenue conseillère générale en 1988, j'étais la seule femme face aux quarante-et-un autres conseillers généraux de mon département. Pour l'anecdote, l'un d'eux ne trouvait pas de meilleur compliment à me faire que de dire à mon époux : « Tu sais, ta femme est le seul homme du conseil général... »

Quand en 2004 j'ai accédé à la présidence du conseil général, cette assemblée ne comptait que cinq femmes. En 2014, on en comptait une quinzaine. Aujourd'hui, 50 % des conseillers départementaux sont des femmes. Il s'agit d'une véritable révolution ! Il est clair que la parité imposée peut sembler difficile à faire fonctionner et qu'elle bouscule nos schémas intellectuels, le mien en premier. Néanmoins, il faut en passer par là pour que nos arrière-petites-filles n'aient pas à mener à leur tour, elles aussi, les mêmes combats que nous.

Julia Mouzon, présidente de Femmes & Pouvoir

Nous observons que par rapport au monde de l'entreprise, le monde politique est en retard en ce qui concerne la place des femmes, alors même qu'on l'attendrait à l'avant-garde de la société, porteur d'une vision et d'engagements dans ce domaine. Comment faites-vous concrètement, de l'intérieur, pour faire évoluer la sphère politique et vos propres partis sur ce sujet ?

Chantal Jouanno

Le levier central, au sein d'un parti, me semble être la commission nationale d'investiture (CNI). De la même manière que nous avons demandé la parité des conseils d'administration et que demain nous aurons la même attente à l'égard des comités exécutifs, nous sommes dans notre rôle quand nous exigeons que les CNI le deviennent aussi. Cette question relève, certes, de l'organisation interne des partis, mais il appartient à chaque femme de la faire avancer. Cette démarche a plutôt produit de bons effets au Sénat, où l'on observe la féminisation progressive du groupe UDI.

La parité ne doit pas se limiter au pouvoir politique. Elle doit aussi s'installer dans le pouvoir syndical, les médias ou encore les fédérations sportives. La question de la répartition du pouvoir entre les hommes et les femmes se pose en fait dans toutes les sphères de pouvoir, et nombre d'entre elles gagneraient à avancer sur le sujet.

Cécile Goldet, ancienne sénatrice de Paris

Je tiens à vous remercier pour votre accueil chaleureux. J'ai aujourd'hui 101 ans et j'ai voté pour la première fois en 1945, à l'âge de trente-et-un ans ! L'attente du droit de vote a représenté pour moi une frustration épouvantable, car j'ai été, dès ma jeunesse, passionnée de politique.

Un monde sépare ce que j'ai vécu à l'époque et la situation d'aujourd'hui. Lorsqu'en 1959, j'ai fait part au maire de ma commune de mon souhait d'entrer au conseil municipal, il m'a répondu : « Ce n'est pas possible ! On n'a jamais vu une femme au conseil municipal, ce n'est pas la place d'une femme. Je serais ridicule, tout le monde se moquerait de moi ! ». Je me suis tout de même présentée et j'ai par la suite été élue.

Je me souviens des remarques que j'entendais quand j'arrivais au conseil municipal : « Tiens, voilà notre conseillère », d'un air moqueur, ou encore « Bien qu'elle soit une femme, on peut écouter ce qu'elle dit...».

Il y a un monde, je le répète, entre la place des femmes hier et aujourd'hui, et ce monde se mesure finalement à l'échelle d'une seule vie... Nous devons être conscients de la rapidité des changements que nous avons connus en l'espace de cinquante ans.

Cinquante ans, ce n'est rien, c'est une demi-vie ! Il faut rester mobilisés et surtout, mobiliser les jeunes, car beaucoup reste à faire. Nous, les femmes, devons poursuivre nos luttes et nos revendications, mais nous avons surtout la possibilité de prendre le pouvoir : alors prenons-le !

Roselyne Bachelot-Narquin

Je propose que nous en terminions par cette conclusion de Cécile Goldet, qui porte tous nos combats et nous invite à les poursuivre. Nous le ferons toutes ensemble, par-delà nos appartenances géographiques et nos sensibilités politiques.

Merci à tous, et tout particulièrement à Jean-Marc Germain, pour la richesse de vos contributions.

Projection vidéo : Jeanne Boitel, Marie Dubas, Irène Joliot-Curie, Gilberte Brossolette
dans « Retour aux urnes, élections municipales du 29 avril 1945 »
(Les Actualités Françaises, 4 mai 1945)

Deuxième table ronde - L'Ordonnance du 21 avril 1944 et le vote des femmes

Modératrice : Réjane Sénac, chargée de recherche CNRS au CEVIPOF, présidente de la commission Parité du Haut Conseil à l'Égalité
entre les femmes et les hommes

Intervenantes :

Christine Bard, professeure d'histoire contemporaine
à l'Université d'Angers

Anne-Sarah Bouglé-Moalic, historienne,
prix spécial de l'Assemblée nationale en 2011
pour sa thèse Le vote des Françaises . Cent ans de débats, 1848-1944

Mariette Sineau, directrice de recherche CNRS au CEVIPOF

Réjane Sénac, chargée de recherche CNRS au CEVIPOF, présidente de la commission Parité du Haut Conseil à l'Égalité entre les femmes et les hommes

C'est un beau sourire de l'Histoire que de célébrer le soixante-dixième anniversaire du premier vote et de la première élection des femmes dans cette institution qui a contribué, pour reprendre une expression de Christine Bard, à ce que pendant un siècle, la République française soit une « Ré-mi-publique ».

Comme l'a dit Cécile Goldet, il y a un monde entre 1945 et aujourd'hui. Pour comprendre non seulement ce qui a changé pendant cette période, mais également ce qui résiste, voire se recompose, il est nécessaire d'analyser la persistance des inégalités entre les femmes et les hommes, non pas comme des scories irrationnelles mais comme l'expression de la continuité de l'Histoire. Pour cela, il est important de prendre le temps de retracer le parcours qui a permis aux femmes d'accéder au droit de vote et d'éligibilité par l'ordonnance du 21 avril 1944. Pour ce faire, nous accueillons deux historiennes et une politiste.

Christine Bard retracera l'« histoire du suffragisme » au prisme de la question du militantisme féministe et de son rôle dans ce qui a permis, à travers l'obtention du droit de vote et d'éligibilité des femmes, de parachever la République.

Parmi les nombreux travaux de cette professeure d'histoire contemporaine à l'Université d'Angers, je citerai Les filles de Marianne. Histoire des féminismes, 1914-1940 (1995), Les femmes dans la société française au XX ème siècle (2001), Une histoire politique du pantalon (2010), ou encore Les insoumises et la révolution du féminisme (2012).

À travers ses recherches, Christine Bard nous enseigne que même là où nous ne percevons que de l'accessoire, il y a du politique. Or, comme l'illustrent les témoignages qui ont enrichi la première table ronde et les entretiens vidéo qui ont été projetés, la tentation est grande de penser que pour atteindre l'égalité la fin justifie les moyens : « On m'appelle «Monsieur le Sénateur» ? On commente ma coiffure ou mes vêtements ? Ce n'est pas grave, l'essentiel est que je sois là ».

En ma qualité de politiste, j'analyse cette tentation comme l'expression d'une « égalité sous conditions » de performance de la différence pour celles et ceux qui ont été exclu.e.s historiquement et théoriquement de la fraternité républicaine : les femmes et les non-blancs 7 ( * ) . Le regard de Christine Bard nous permettra d'éclairer la dimension historique du sexisme républicain en s'inscrivant dans le temps long.

Ce regard historique sera complété par celui d'Anne-Sarah Bouglé-Moalic, qui a obtenu en 2011 le prix spécial de l'Assemblée nationale pour sa thèse d'histoire Le vote des Françaises. Cent ans de débats, 1848-1944 , publiée aux Presses Universitaires de Rennes. Anne-Sarah Bouglé-Moalic éclairera l'histoire du droit de vote et d'éligibilité des femmes à travers le prisme cette fois, non pas des luttes féministes, mais des débats parlementaires. Ces deux éclairages historiques seront donc complémentaires.

Ce parcours n'aurait pas été complet sans le regard d'une politiste. Mariette Sineau est directrice de recherche CNRS au CEVIPOF. Nous lui devons de nombreux travaux, parmi lesquels Femmes et pouvoir sous la V e République. De l'exclusion à l'entrée dans la course présidentielle (2011) et La force du nombre. Femmes et démocratie présidentielle (2010).

Mariette Sineau nous livrera une analyse de l'évolution du vote des femmes entre 1945 et aujourd'hui. Je rappelle en effet que l'une des raisons de la résistance à la reconnaissance aux femmes de ce droit fondamental tenait à la crainte, qui s'exprimait en particulier au Sénat et parmi les radicaux-socialistes, que celles-ci votent « comme le leur dirait le curé », c'est-à-dire à droite. Cette crainte révélait avant tout une négation de la capacité des femmes à émettre un jugement autonome et libre. Ainsi, derrière cette explication électoraliste, nous mesurons bien les raisons profondes de l'exclusion des femmes de la vie publique et de leur cantonnement à ce qui était alors considéré comme leur destin « naturel » : celui de procréer et d'éduquer les enfants.

Avant de donner la parole à Christine Bard, permettez-moi de citer Louise Weiss, cette militante féministe qui avait distribué une paire de chaussettes aux sénateurs, de manière à leur dire en substance : « Ne vous inquiétez pas, si nous accédons au droit de vote et d'éligibilité, nous continuerons à repriser vos chaussettes ! ».

Aujourd'hui, nous constatons que l'implication des femmes dans l'espace public n'a pas remis en cause leurs « devoirs de bonnes mères et de bonnes épouses ». Si elles ne reprisent plus les chaussettes, elles continuent à assumer les trois-quarts des tâches ménagères et domestiques. Les sénateurs avaient donc tort de craindre les droits politiques des femmes !

Ce rappel historique nous permet de mesurer à la fois le chemin accompli, comme le soulignait Cécile Goldet, mais également le chemin qu'il nous reste à parcourir.

Christine Bard, nous vous écoutons avec le plus grand intérêt.

Christine Bard, professeure d'histoire contemporaine à l'Université d'Angers

Avant de commencer, je rappellerai aussi que Louise Weiss distribuait aux sénateurs non pas seulement des chaussettes, mais aussi des bouquets de myosotis porteurs de ce message symbolique : « Ne m'oubliez pas » !

J'en viens à mon propos d'aujourd'hui.

UNE HISTOIRE DU SUFFRAGISME

Bien que l'histoire du suffragisme soit actuellement mieux connue qu'il y a quelques années, il n'est pas inutile de battre en brèche quelques idées reçues qui ont la vie dure et de souligner le déficit mémoriel dont elle est encore victime. De manière assez paradoxale, le mouvement pour la citoyenneté des femmes est associé à la défaite récurrente de sa revendication au Parlement. Il est aussi privé des bénéfices de son succès tardif en 1944 : le vote et l'éligibilité sont enfin accordés aux Françaises, dans des circonstances politiques d'exception, et sous la forme d'une récompense accordée à la Résistance féminine.

C'est dès lors un peu l'image de « vaincues de l'histoire » qu'ont les suffragistes d'une III ème République que l'on veut oublier. Simone de Beauvoir ne s'y attarde pas dans Le Deuxième sexe ; les mémoires de Louise Weiss laissent accroire que les Françaises étaient indifférentes à la citoyenneté. Aussi ne faut-il pas se fier à cette postérité bien modeste, si on la compare avec celle des Anglaises. Heureusement en effet, les archives nous réservent de bien belles découvertes.

Rappelons que cette lutte pour la citoyenneté se déroule dans des conditions très difficiles pour les femmes, qui se heurtent à toutes sortes de barrages et d'interdits légaux, moraux ou religieux. Le déni de citoyenneté politique n'est qu'un aspect de la domination qu'elles subissent au travail, dans la famille, dans la culture...

Faire du suffrage une priorité de l'émancipation des femmes ne va pas de soi. Au XIX ème siècle, le mouvement pour le droit des femmes met en avant l'éducation et la réforme du code civil, qui créeraient les conditions de l'autonomie féminine. Hubertine Auclert raisonne différemment, convaincue que le droit de vote serait la clé de voûte de tous les autres droits à conquérir. Première militante à employer le qualificatif « féministe » en 1882, elle est aussi la première suffragiste en France.

Le fait féministe précède l'invention du mot. On peut remonter loin, à Christine de Pisan ou à Olympe de Gouges et à sa Déclaration des droits de la Femme et de la citoyenne en 1791. Quand le mot est employé pour la première fois dans un sens moderne, en 1872 par Alexandre Dumas fils, c'est un siècle plus tard, dans un sens péjoratif. Il s'inspire d'un terme médical, le féminisme désignant alors « l'aspect d'un individu mâle présentant certains caractères secondaires du sexe féminin ». Ce sens originel n'est pas anodin, quand on songe à quel point le féminisme a été vu comme une pathologie. Ses militantes sont décrites comme des femmes « masculinisées ». D'emblée, le féminisme interroge l'identité sexuelle. L'égalité entre les sexes remet en effet en cause la vision traditionnelle des rôles sociaux impartis à chaque sexe, au nom de la nature, qui est aussi le nom de la loi divine pour les religieux.

Aussi faut-il toujours bien mesurer la force de l'antiféminisme, qui modèle les représentations dominantes du féminisme. Les adversaires de l'émancipation des femmes participent à la controverse sur l'égalité des sexes avec le bénéfice de positions de pouvoir politique, institutionnel, médiatique et intellectuel. Ils diffusent avec efficacité un portrait-type des suffragettes : laides, aigries, frustrées, agressives et ridicules. Cet antiféminisme, malgré la diversité de ses ancrages idéologiques, dépasse les clivages politiques.

On peut en dire autant des féminismes et des mouvements suffragistes : pluriels, qu'il s'agisse des modes d'organisation, de leur répertoire d'actions ou de leur orientation.

1) La faiblesse du suffragisme français est une des idées reçues les plus courantes.

À l'appui de cette idée sont mis en avant le faible nombre de militantes, l'absence de leader , le caractère bourgeois du recrutement, les divisions internes et l'inexistence de soutien masculin. Autant d'idées fausses ou de constats à relativiser et à contextualiser.

Le combat d'Hubertine Auclert, née en 1848 et décédée en 1914, n'a rencontré l'adhésion des féministes que dans la première décennie du XX ème siècle. La première grande association suffragiste est l'Union française pour le suffrage des femmes (UFSF), créée en 1909 et adhérente du Conseil national des femmes françaises, fondé en 1901. La France rejoint alors le mouvement international : Conseil international des femmes et Alliance internationale pour le suffrage des femmes. Cécile Brunschvicg incarne ce féminisme attaché à l'égalité des droits. Organisatrice hors pair, elle développe l'UFSF, qui compte 100 000 membres entre les deux guerres, colonies incluses. Membre du Parti radical, elle sera l'une des trois secrétaires d'État en 1936.

Aux côtés de ce féminisme réformateur, républicain, de sensibilité laïque et sociale, existe un féminisme plus radical, révolutionnaire, associé à des engagements syndicaux ou socialistes. Cet engagement est d'ailleurs source de tensions pour les militantes. Le mouvement ouvrier considère en effet le féminisme comme un mouvement bourgeois. Les féministes radicales influencent néanmoins le cours de l'histoire en obtenant des partis de gauche des engagements suffragistes. Madeleine Pelletier fait ainsi entrer le vote des femmes au sein du programme de la SFIO dès 1906.

Troisième tendance : le féminisme modéré, qui se constitue dans les années vingt autour d'associations proches de partis de droite et catholiques. Tout en défendant un rôle traditionnel, il revendique le droit de vote, s'y sentant encouragé par l'approbation du Vatican. C'est là une grande nouveauté, car le mouvement féministe, jusqu'à cette date, est exclusivement le fait de militantes laïques, souvent protestantes, juives, libres-penseuses. Il est de ce fait une avant-garde, coupée de la majorité des Françaises qui restent, beaucoup plus que les hommes, attachées à l'Église.

A l'instar du syndicalisme, mobilisant surtout l'aristocratie ouvrière des ouvriers qualifiés, le féminisme mobilise essentiellement des femmes socialement et culturellement privilégiées. Ce qui ne permet pas pour autant d'accepter sans discussion l'expression péjorative de « féminisme bourgeois » diffusée par l'Internationale socialiste. On trouve en effet dans la tendance réformiste des enseignantes, des journalistes, des avocates, des doctoresses, pionnières dans ces professions autrefois réservées aux hommes, mais aussi des femmes des classes moyennes et supérieures qui n'exercent pas toutes une activité professionnelle, mais qui ne sont pas pour autant des recluses. Elles ont souvent été amenées au féminisme par leurs activités philanthropiques. Dans la tendance radicale, les institutrices sont nombreuses. La tendance modérée recrute dans des milieux très privilégiés.

Les féministes sont surtout des femmes, mais plusieurs associations sont mixtes et les soutiens masculins sont recherchés. Ils sont diversifiés sur le plan politique et philosophique. La franc-maçonnerie apporte sa contribution, ainsi que le Parlement. Entre les deux guerres, Justin Godart, député puis sénateur radical, Louis Marin, député de la droite républicaine, Louis Martin, sénateur radical, sont d'actifs militants. Les hommes militants sont à cette époque moins nombreux qu'au début du mouvement fondé par Léon Richer et Maria Deraismes ; ils existent néanmoins. L'UFSF met sur pied en 1911 une Ligue des électeurs pour le suffrage des femmes, présidée par le député radical de Paris Ferdinand Buisson 8 ( * ) .

Le débat sur la mixité et la non-mixité des luttes est récurrent, mais retenons le rôle stratégique de légitimation et d'appui joué par les hommes dans les partis et au Parlement, ainsi que la valeur des apports intellectuels et symboliques des grands féministes du passé : François Poullain de la Barre, Condorcet, John Stuart Mill, Victor Hugo.

2) Des moyens d'actions inefficaces ?

Une deuxième idée reçue est l'inefficacité des moyens d'action des suffragistes 9 ( * ) .

La campagne suffragiste utilise les moyens habituels de mobilisation de l'opinion publique : réunions publiques, campagnes de presse, d'affiches... Les moyens sont certes limités par le manque d'argent, un problème lié à la spécificité du statut sociojuridique des femmes, leur dépendance financière, l'infériorité de leurs ressources.

La campagne des Françaises est moins pittoresque que celle des Anglaises, qui privilégient des actions spectaculaires, parfois violentes, dans la rue. Avant 1914, elles sont plus d'un millier à être arrêtées, emprisonnées, elles font la grève de la faim et sont nourries de force dans les prisons anglaises. Rien de tel en France, où les féministes rejettent ces méthodes qui, estiment-elles, nuisent à l'image de la cause. En réalité, les Anglaises se montrent tout aussi divisées sur le choix des moyens d'action.

En France, les manifestations de rue sont peu nombreuses. La plupart du temps, elles sont interdites. Celles qui bravent l'interdiction sont rares. Plusieurs ont lieu devant le Palais du Luxembourg et se terminent au poste de police.

Anecdote révélatrice : en 1928, une suffragiste s'enchaîne sur un banc du Sénat en criant des slogans. Cet acte audacieux est jugé très inconvenant pour une femme. Et la militante le sait. C'est pourquoi, non sans humour, elle attire l'attention sur un détail : sa chaîne, précise-t-elle, est gainée d'une soie assortie à la couleur de sa toilette. La malheureuse est cependant admonestée par les huissiers. La presse rapporte l'événement, le trouve savoureux et apprécie particulièrement ce détail vestimentaire. Nous abordons là un autre aspect des handicaps des féministes françaises, qui ont intériorisé l'injonction d'être féminines et élégantes. La duchesse Edmée de La Rochefoucauld, présidente de l'Union nationale pour le vote des femmes, disait ainsi : « Nous ne voulons pas nous départir de la modestie, de la mesure qui sied à notre sexe ».

Les coups d'éclat sont rares. Hubertine Auclert brise les vitres d'une salle de vote, renverse une urne et est condamnée à une petite amende. Les féministes évitent toute provocation : elles cherchent avant tout à prouver qu'elles méritent le droit de vote. Louise Weiss estimera qu'il est plus efficace de s'inspirer des suffragettes en utilisant l'action dure et spectaculaire, à la manière des Anglaises, entre 1934 et 1936.

Les périodes électorales sont mises à profit depuis la fin du XIX ème siècle pour présenter des candidatures d'hommes et de femmes féministes aux élections locales. Ces candidatures obtiennent parfois des centaines de voix.

On peut certes penser que des méthodes plus radicales auraient eu plus d'effet. Mais ce serait négliger l'hétéronomie du féminisme, amené à se censurer au nom de causes telles que la défense de la patrie pendant la guerre, de la République ou de la démocratie.

C'est essentiellement par leurs congrès, leurs meetings, leurs journaux et leurs tracts que les suffragistes ont réussi à convaincre l'opinion. Leur cause est en effet populaire, dès la Belle Époque. Des votes sur le vote des femmes, qui ont une valeur de sondage en l'absence de sondages, le montrent.

3) Un argumentaire défaillant ?

Comment convaincre ? Les argumentaires suffragistes jouent sur plusieurs registres. Ils recherchent l'adhésion de fractions opposées dans l'opinion. Ils reflètent aussi la diversité politique et philosophique des militantes.

Deux logiques coexistent. L'une est inspirée par les principes de la Déclaration des Droits de l'Homme, ceux de l'universalité des droits et de l'égalité entre citoyens, quel que soit leur sexe. L'autre, la plus fréquente, justifie le droit de vote des femmes au nom de la spécificité féminine : les femmes doivent être représentées car elles ont une expérience et une sensibilité particulières. Leurs qualités - altruisme, douceur, dévouement... - enrichiraient la vie politique. Le programme que les féministes mettent en avant est essentiellement social : lutte contre l'alcoolisme, contre les taudis, contre la délinquance, contre les maladies vénériennes, contre la tuberculose, pour la protection de l'enfance. Il donne aussi à la défense de la paix une place majeure, estimant que les femmes, parce que mères, sont pacifistes par nature. Ce programme ressemble beaucoup à celui des associations d'anciens combattants, qui défendent eux aussi le vote des femmes comme un moyen de régénérer une vie politique corrompue 10 ( * ) .

Pour résumer ces deux types d'argumentations, on a, dans le premier cas, une justification du type : les femmes sont injustement privées d'un droit  et dans le deuxième cas : les femmes méritent de voter. Cette deuxième justification implique de prouver leur capacité. La propagande féministe y insiste beaucoup. Des cours de droit sont organisés pour les futures électrices ; surtout, des femmes célèbres, des héroïnes de guerre sont proposées en modèles, pour mieux souligner l'iniquité de leur exclusion politique. C'est une vieille stratégie. Marguerite Durand, directrice du quotidien féministe La Fronde , avait organisé un meeting où elle siégeait à la tribune à côté d'un homme un peu simplet, qui, lui, avait le droit de vote...

Les féministes soulignent enfin le retard incroyable que prend la France après la guerre. Les Anglaises obtiennent le droit de vote en mars 1918, les Allemandes et les Autrichiennes en 1919, les Américaines en 1920... Les féministes françaises disent notamment l'humiliation de voir les femmes des ex-pays ennemis devenir citoyennes avant elles.

En France, comme dans d'autres pays, le féminisme s'attaque au différentialisme qui conduit à l'exclusion des femmes de la sphère politique. Il observe la construction de la féminité à travers l'éducation, les préjugés, les limitations de tous ordres imposées aux femmes dans la vie sociale, la vie conjugale et domestique. Mais il ne remet pas en cause pour autant la définition naturaliste du genre : on naît femme.

Cette pensée véhicule toute une mystique du féminin : maternel, altruiste, pacifiste et valorise la complémentarité des sexes, l'équivalence remplaçant alors la notion d'égalité entre les sexes. Ce discours de la différence est bien plus facilement admis et entendu que le discours égalitaire, qui active la peur de la « masculinisation des femmes ».

Comme si le discours antiféministe avait été intériorisé, les féministes valorisent le féminisme « féminin » et « souriant ». Leur marge de manoeuvre est étroite. Tout en rassurant l'opinion sur leur respect des normes de genre, elles les transgressent sans cesse : parler en public, manifester dans la rue, coller des affiches...

Pour conclure, je dirais que la France a bien eu un mouvement suffragiste fort, diversifié, connecté aux organisations internationales, qui a su convaincre l'opinion publique mais pas le Sénat. Le moins que l'on puisse dire est que son rôle historique est peu reconnu. Il s'agit encore d'un autre combat, celui de la place des femmes dans la mémoire nationale et, plus particulièrement, de la place des féministes.

Les consultations réalisées en 2013 sur la panthéonisation ont mis en avant plusieurs féministes, au premier rang desquelles Olympe de Gouges. Les choix faits par le Président de la République repoussent à une date ultérieure cette reconnaissance, qui aurait pourtant eu toute sa place pour les soixante-dix ans de la citoyenneté des femmes.

Réjane Sénac

Merci, Christine Bard, pour cette intervention qui souligne à quel point les mouvements suffragistes et la force de leurs arguments ont pu être occultés dans l'interprétation des faits historiques.

Nous avons vu que ces mouvements pluriels ont porté deux arguments principaux. Le premier, que l'on peut qualifier de « républicanisme critique », consistait à placer la République en procès de cohérence et à avancer l'idée d'une égalité citoyenne qui n'exclurait pas la moitié de la population au nom d'arguments naturalistes mettant en évidence l'incompatibilité des femmes avec la citoyenneté. Le second soulevait l'idée d'une complémentarité entre les hommes et les femmes et vantait les mérites d'une accession des femmes à la citoyenneté, celles-ci pouvant apporter autre chose en politique tout en restant à la place que leur assignait leur « deuxième sexe ».

Je me tourne à présent vers Anne-Sarah Bouglé-Moalic, qui va nous éclairer sur la résonance de ces mouvements militants et de leurs arguments dans les débats parlementaires.

Anne-Sarah Bouglé-Moalic, historienne, prix spécial de l'Assemblée nationale en 2011 pour sa thèse Le vote des Françaises . Cent ans de débats, 1848-1944

CENT ANS DE DÉBATS PARLEMENTAIRES SUR LE VOTE DES FRANÇAISES

Je vous remercie. L'intervention de Christine Bard et la mienne sont en effet complémentaires.

Le chemin fut long entre l'accession des hommes et celle des femmes à la citoyenneté, ainsi que l'a rappelé le président Larcher au cours de son discours d'ouverture. Pendant ce long chemin, on constate un déphasage entre d'une part le mouvement militant, au départ très secret mais qui connut par la suite une forte résonance dans la société, et d'autre part le débat parlementaire.

Comme l'indiquait Christine Bard à l'instant, alors que la société était prête à accorder le droit de vote et d'éligibilité aux femmes, les institutions parlementaires, en particulier le Sénat, ont bloqué cette évolution. Ainsi, en 1932 pouvions-nous lire dans Le Figaro , au sujet du droit de vote des femmes : « La question n'est pas mûre, elle est pourrie. »

En décembre 1922, quelques jours après le rejet par le Sénat du droit de vote des femmes, Adrienne Avril de Sainte-Croix, l'une des cheffes de file du mouvement suffragiste en France, invitée à s'exprimer sur ce sujet, s'entend demander pourquoi les militantes ne vont pas pousser les sénateurs dans les bassins du Jardin du Luxembourg pour les faire réfléchir. Très modérée, elle refuse cette méthode, « au moins jusqu'à la prochaine défaite du droit de vote des femmes », indique-t-elle au comité d'hommes qui l'interroge. Il se trouve que les suffragistes françaises n'ont jamais prôné la violence. Tout au plus, comme nous l'avons vu tout à l'heure, ont-elles lancé à leurs opposants des myosotis, voire des chaussettes. Pourtant, elles ont dû souffrir un certain nombre de défaites face au Parlement avant d'obtenir enfin le droit de vote et d'éligibilité au printemps 1944.

Le débat sur les droits politiques des femmes s'est imposé dans la société alors qu'il était occulté au Sénat. Dès lors, le « retard français », auquel il est régulièrement fait mention, était-il le fait de la société française ou de certaines institutions ? Là est toute la question.

Dans une première période assez étendue, la société française est tout à fait en phase avec les institutions. Si la question du suffrage des femmes a pu être évoquée dans la société dès la deuxième moitié du XIX ème siècle, ce n'est pas une revendication de la majorité. Pendant près d'un siècle, tous les Français votent, mais pas les Françaises. La question du vote des femmes suit l'évolution de la condition féminine dans la société. Cette question est donc utopique au XIX ème siècle et n'est présente dans les institutions qu'à de très rares occasions.

On la retrouve notamment lors de la Révolution de 1848 et de l'instauration de la II ème République. Au moment où le suffrage universel masculin est encore rejeté par les acteurs politiques, même les plus progressistes, il est clair que le suffrage universel féminin est alors loin d'être acquis. Il est revendiqué par quelques femmes, comme Eugénie Niboyet ou Jeanne Deroin, qui sera la première femme à se présenter à des élections législatives en France.

Quelques hommes également essaient par ailleurs de défendre l'idée d'un suffrage « réduit » des femmes, sans prétendre à une égalité politique. Victor Considérant, député socialiste, tente ainsi d'introduire la question du vote des femmes dans la Constitution de la II ème République.

Le 21 novembre 1851, soit quelques jours avant le coup d'état de Louis-Napoléon Bonaparte, le député socialiste Pierre Leroux défend devant l'Assemblée nationale une loi accordant aux femmes le droit de vote aux élections municipales. Les réactions de l'hémicycle, telles que consignées dans le compte rendu de séance, sont très instructives : « exclamations et rires », « hilarité », « hilarité générale », « rires bruyants et prolongés », « explosions de rires », « les rires couvrent la voix de l'orateur », « le Président invite à plusieurs reprises les représentants, tous groupés autour de la tribune, à reprendre leur place ». La fin du discours donne lieu à une « nouvelle et plus bruyante hilarité » et à des « bravos sur quelques bancs ». Bien entendu, le texte n'est pas voté par les députés de 1851. On ne peut même pas dire que l'Assemblée nationale ait été hostile au projet de Pierre Leroux : le fait est qu'elle ne l'a tout simplement pas pris au sérieux.

Si quelques femmes continuent de militer pour le droit de vote sous le Second Empire, notamment celles qui ne se sont pas exilées en Angleterre après le coup d'état de Napoléon Bonaparte, elles sont de plus en plus nombreuses dès les débuts de la III ème République, notamment sous l'impulsion d'Hubertine Auclert.

Hubertine Auclert comprend bien le rôle des parlementaires dans l'accession des femmes au droit de vote et organise donc plusieurs pétitions, qui seront déposées à la Chambre. Néanmoins, ces actions n'aboutissent pas. Dans les dernières années du XIX ème siècle, la question est peu relayée auprès du grand public et n'intéresse guère les parlementaires.

Avant 1906, seules deux interventions en séance publique portent sur l'accession des femmes aux droits politiques.

La première date de 1890, lorsque Joseph de Gasté 11 ( * ) réclame la parité à la Chambre des députés, celle-là même que des intervenants de la première table ronde de ce colloque appelaient encore aujourd'hui de leurs voeux. Puis en 1901, Jean-Fernand Gautret 12 ( * ) dépose une proposition de loi, aussitôt rejetée, sur le vote des femmes majeures, veuves, divorcées ou célibataires.

L'année 1906 marque la création de la section « suffrage des femmes » du Conseil national des femmes françaises. C'est aussi l'année où le droit de vote est reconnu aux femmes dans certains pays, tels que la Finlande nouvellement indépendante, où les femmes accèdent à ce droit en même temps que les hommes. Cette même année, Paul Dussaussoy 13 ( * ) , député du Pas-de-Calais de l'Action libérale (plutôt de centre-droit) dépose une proposition de loi en faveur du vote des femmes aux élections locales. Pour la première fois, une proposition de loi de cette nature est prise en considération. Elle est renvoyée pour examen à la commission du suffrage universel de la Chambre. Le rapporteur Ferdinand Buisson 14 ( * ) , militant féministe, rend son rapport en 1909.

La Première Guerre mondiale ralentit le processus mais ne ferme pas totalement le débat. Dès 1916, apparaissent de nouvelles propositions en faveur du droit de vote des femmes : celle de Maurice Barrès 15 ( * ) pour le vote des veuves et celle d'Henri Roulleaux-Dugage 16 ( * ) en faveur du vote des femmes cheffes de famille.

En octobre 1918, la proposition de Paul Dussaussoy, alors décédé, est reprise par le député Pierre-Etienne Flandin 17 ( * ) . Ce dernier présente, devant la commission du suffrage universel, une proposition restrictive qui ne concerne que le vote des femmes de plus de trente-et-un ans, sans éligibilité, pour les élections des conseils municipaux et généraux. En mai 1919, la Chambre des députés débat de ce texte pendant trois séances.

Trois groupes se dessinent alors à la Chambre. Le premier rassemble des « antisuffragistes rigoureux », qui mettent en avant une nature féminine incompatible avec la politique et arguent que la reconstruction du pays n'est pas le bon moment pour accorder le droit de vote aux femmes. Un deuxième groupe rassemble les partisans d'une solution médiane. Estimant que les compétences féminines pourraient être utiles à la société, ses partisans accepteraient d'accorder des droits partiels aux femmes : celles de plus de trente ans, sans éligibilité. Enfin, un troisième groupe rassemble un certain nombre de députés suffragistes sans compromis, pour qui les femmes doivent avoir les mêmes droits politiques que les hommes, puisque ces droits sont inhérents aux êtres humains.

À l'issue de ce débat, deux députés, Jean Bon 18 ( * ) et Louis Andrieux 19 ( * ) , déposent un amendement accordant l'égalité complète des droits politiques entre les hommes et les femmes. Ce texte, défendu par de grandes figures de la Chambre telles que René Viviani et Aristide Briand, est finalement adopté par 344 voix contre 97.

Certes, on peut affirmer qu'il s'agissait là pour les députés d'un moyen consistant à faire reposer sur le Sénat, réputé hostile au féminisme, le fardeau de la décision. Toutefois, il est à noter que non seulement l'écart de voix est indéniable, mais aussi que le vote a eu lieu à l'issue d'un véritable débat.

Le Sénat montre rapidement son souhait d'éviter la question du vote des femmes. Il attendra quatre ans avant d'inscrire ce texte à son ordre du jour et nommera dès 1919 un rapporteur antisuffragiste, Alexandre Bérard 20 ( * ) , qui rendra un rapport lapidaire. Il y souligne par exemple que « les mains des femmes sont faites pour être baisées », non pour déposer un bulletin de vote dans l'urne.

Le débat au Sénat occupe plusieurs séances. Les arguments sont relativement similaires à ceux exposés en 1919 à la Chambre des députés. Finalement, le 21 novembre 1922, par 136 voix pour et 150 voix contre, les sénateurs rejettent le passage à la discussion et laissent la Chambre des députés reprendre la main sur la question.

Le suffrage est un élément de clivage entre les chambres, les députés se voulant plus proches de la volonté du peuple et le Sénat se positionnant comme chambre de la stabilité et de la raison, indépendante de l'influence exercée par les émotions populaires.

À partir de 1922, la Chambre des députés cherche à entraîner le Sénat vers le vote des femmes, sans y parvenir. Les députés soumettent ainsi 29 propositions de loi, assez variées, et votent quatre propositions de résolution afin d'obliger le Sénat à étudier la question. Ainsi, la Chambre des députés se prononce en faveur du vote des femmes à quatre reprises : en 1925, 1927, 1935 et 1936. Le Sénat s'y oppose deux fois, en 1922 et en 1932.

Pourtant, la société française est prête à admettre le vote des femmes. Le nombre d'adhérents et de militants des associations suffragistes augmente et l'image de femmes qui votent investit par exemple ce qu'on appelle aujourd'hui la publicité.

L'évolution des mentalités à l'égard du vote des femmes peut s'analyser à travers deux moments de rupture.

Le premier est consécutif au débat de 1922, qui paraît terriblement injuste à un certain nombre de femmes et d'hommes et les motive à s'engager en faveur du suffragisme.

Le second suit la remise, par le sénateur Pierre Marraud 21 ( * ) , d'un rapport antisuffragiste, qui conduira le journal Le Temps , l'un des derniers journaux antisuffragistes de la presse nationale, à publier une enquête sur la question. Les nombreuses lettres et courriers de protestation que le journal recevra par la suite le pousseront, en 1928, à changer de position et à embrasser la cause suffragiste.

Le deuxième débat au Sénat se tient en 1932. Il marque la radicalisation des sénateurs : ceux qui étaient en faveur du droit de vote des femmes le sont encore davantage, ceux qui y étaient opposés continuent d'insister sur le danger que représenterait cette réforme pour la famille et la République. Ces sénateurs craignent finalement que l'ajout d'un grand nombre d'électeurs dont on ignore les affinités politiques ne vienne briser ce que les « pères fondateurs » de la République avaient créé à la fin du XIX ème siècle.

Le dénouement se joue en deux étapes.

Au mois de mars 1944, un débat est organisé à l'Assemblée consultative provisoire d'Alger. Sur une proposition d'amendement de Fernand Grenier 22 ( * ) , l'égalité politique entre les hommes et les femmes est obtenue.

Son application s'appuiera sur l'Ordonnance du 21 avril 1944 du Général de Gaulle, qui concerne l'organisation de la France à la Libération.

Il fallait en quelque sorte faire « table rase » du passé pour reconstruire la République en y intégrant les citoyennes. C'est donc à travers un court article de cette ordonnance, « Les femmes sont électrices et éligibles dans les mêmes conditions que les hommes », que prend fin un débat de plus de cent ans. Cette disposition sonne comme une évidence, un peu perdue dans le vaste mouvement de la refonte des institutions, dans la Libération qui se profile et dans la République à reconstruire.

Réjane Sénac

Merci beaucoup, Anne-Sarah Bouglé-Moalic. Nous avons donc appris grâce à vous que le Sénat est la « Chambre de la raison » ! Il nous le démontre aujourd'hui à travers sa délégation aux droits des femmes et à travers l'initiative qu'il prend en accueillant cet événement ! L'institution sénatoriale est certainement mûre à présent pour que Chantal Jouanno en prenne la présidence et que Gérard Larcher assure celle de la délégation aux droits des femmes !

Je donne à présent la parole à Mariette Sineau, qui va nous éclairer sur la période qui a suivi l'obtention du droit de vote et d'éligibilité pour les femmes. A-t-on assisté à une chute de la République, comme le craignaient les antisuffragistes ? Le vote des femmes a-t-il été plus conservateur que celui des hommes ? Comment ce vote a-t-il évolué jusqu'à aujourd'hui ?

Mariette Sineau, directrice de recherche CNRS au CEVIPOF

LES FRANÇAISES AUX URNES, 1945-2015

Avant même que les femmes n'obtiennent le droit de vote, on a beaucoup spéculé, à droite comme à gauche, sur l'usage qu'elles feraient de ce droit, une fois autorisées à glisser un bulletin dans l'urne. D'ailleurs, sur cette question, les positions des partis politiques renvoyaient non à la reconnaissance d'un droit mais souvent à l'anticipation de comportements électoraux, qu'ils soient espérés ou redoutés.

Dès les débuts de la III ème République, le vote des femmes, supposé pencher vers la droite cléricale, constitue un enjeu capital entre la gauche républicaine et la droite royaliste. C'est la raison pour laquelle les radicaux au pouvoir s'opposent au suffrage féminin. Significative est, à cet égard, l'intervention du Sénateur Isidore Cuminal (Ardèche) au Congrès Radical de 1927 : « Si par malheur vous veniez à instituer le suffrage universel en faveur des femmes, même seulement en ce qui concerne la formation des conseils municipaux, vous pourriez dire adieu aux majorités républicaines de la plupart de vos départements 23 ( * ) ». À cela s'ajoute la peur du « débordement par le nombre », les femmes étant potentiellement majoritaires dans le corps électoral 24 ( * ) .

À la Libération, le contexte politique ayant changé, on spécule cette fois sur le rôle modérateur que pourraient avoir les femmes, enfin devenues électrices. De menace qu'elles étaient hier pour les institutions républicaines, elles sont perçues en 1945 - notamment par les partis et personnalités de droite - comme un rempart de protection contre un éventuel raz-de-marée communiste. Georges Bidault, leader du Mouvement républicain populaire (MRP), aurait confié à Charles d'Aragon (résistant et élu 25 ( * ) MRP) : « Avec les femmes, les évêques et le Saint-Esprit, nous aurons cent députés ». Ces spéculations sur le conservatisme des électrices reposent notamment sur leur surreprésentation parmi les seniors et parmi les catholiques pratiquants.

Quels que soient les calculs auxquels se sont livrés les partis sur l'orientation du vote féminin, on notera qu'à l'heure où l'Ordonnance accorde enfin aux Françaises leurs droits politiques, l'opinion est loin d'être totalement favorable à cette avancée juridique. En octobre 1944, selon un sondage IFOP, plus d'un tiers des hommes (34 %) et plus d'un quart des femmes se déclarent hostiles au vote des femmes.

« Des conservatrices 26 ( * ) »

L'observation scientifique tend-elle à confirmer les calculs et prévisions politiques ? En analysant les élections successives en France à partir des chiffres de sondage, on peut déceler un « effet genre », qui s'est d'abord soldé par un double constat :

Premièrement, les femmes nourrissent un peu plus que les hommes le camp des abstentionnistes, se montrant par ailleurs moins intéressées par la politique.

Deuxièmement, quand elles participent aux scrutins, elles tendent à voter un peu plus souvent en faveur des partis conservateurs et démocrates-chrétiens, affichant leur réticence à choisir les partis de gauche, socialiste et surtout communiste.

Sous la IV ème République, il s'établit ainsi une sorte de partage d'influence entre, à droite, le Mouvement républicain populaire (MRP) d'obédience chrétienne, qui a la faveur des femmes et à gauche, le Parti communiste, qui a celle des hommes. Ainsi, aux élections législatives du 10 novembre 1946, 31 % des femmes ont voté en faveur du MRP, contre moins de 22 % des hommes 27 ( * ) . Au contraire, seules 23 % d'entre elles contre 33 % des hommes ont voté pour le Parti communiste, selon un sondage IFOP.

Le changement de République va d'ailleurs rendre manifeste l'audience de Charles de Gaulle auprès des femmes. Dès 1958, et durant les dix années de sa présence à la tête de l'État, elles apportent un soutien appuyé aux partis qui s'en réclament (UNR en 1958, UDR après 1968). La popularité personnelle de Charles de Gaulle auprès des électrices éclate au grand jour lors de l'élection présidentielle de 1965, qui pour la première fois s'exerce au suffrage universel direct. Dans ce face-à-face personnalisé et médiatisé entre un peuple et son leader , l'homme de Colombey est, au second tour, quasi plébiscité par les femmes : 61 % d'entre elles se portent sur son nom, contre 49 % des hommes. Non seulement l'écart selon le genre est accusé (douze points), mais encore, le vote féminin fait la différence. En prenant une valeur marginale, il change la couleur du vainqueur.

François Mitterrand, le challenger malheureux et candidat unique de la gauche l'a déploré : sans les femmes, il aurait gagné l'Élysée dès 1965, puisque, dès cette date, il recueille une majorité absolue de voix masculines.

Ensuite, les femmes voteront davantage en faveur de Georges Pompidou, puis de Valéry Giscard d'Estaing. Leur réticence envers les communistes perdure assez longtemps : en 1969 par exemple, Jacques Duclos, candidat communiste à la présidentielle, ne recueille au premier tour que 15 % des suffrages féminins, contre plus d'un quart des suffrages masculins (26 %).

Glissement vers la gauche et résistance au Front National

Cependant, à partir du milieu des années 1970, l'orientation du vote des femmes amorce un long mouvement de bascule vers la gauche, tandis qu'elles tendent à participer autant que les hommes aux scrutins 28 ( * ) . Ce mouvement reflète la grande mue sociale des électrices lors des Trente Glorieuses (1945-1975). Des électrices qui sont de plus en plus diplômées du secondaire et du supérieur et qui font leur entrée en masse dans les emplois salariés du secteur tertiaire : or, ce sont deux facteurs de participation et d'orientation à gauche.

Dans le même temps, l'évolution du vote féminin réfléchit les valeurs propres aux générations issues du baby-boom . Le déclin de la pratique catholique chez les femmes nées après 1945 explique en partie le « réalignement » des électrices, sachant que vote de droite et intégration religieuse sont liés. Enfin, l'adhésion aux valeurs féministes contribue à expliquer le nouveau comportement électoral des femmes. À partir des années 1970, le féminisme a socialisé les générations de l'après-guerre à refuser l'ordre patriarcal ancien et à adhérer aux valeurs de gauche, même si les féministes des années MLF tiraient de leur origine gauchiste une certaine méfiance vis-à-vis des élections et du parlementarisme...

Cette dynamique a provoqué une sorte d'alignement du vote des femmes sur celui des hommes à partir du milieu des années 1980. C'en est fini de ce que l'on appelle le gender gap traditionnel, qui désigne les femmes comme des « conservatrices ». On passe désormais au gender gap moderne, par lequel les électrices votent aussi souvent, voire plus souvent que les électeurs, en faveur des partis de gauche et des Verts... Ainsi, à la présidentielle de 1988, 55 % des femmes ont voté pour François Mitterrand au second tour, contre 53 % des hommes. À la présidentielle de 2012, 52 % des femmes et 51 % des hommes ont voté pour François Hollande.

Si le genre n'est plus un déterminant de l'orientation gauche/droite du vote, ni de l'abstention 29 ( * ) , en revanche, il reste longtemps une variable prédictive du vote pour l'extrême droite, les femmes accordant moins souvent leur suffrage au Front National. Durant quelque vingt années (1988-2007) et quatre élections présidentielles, les femmes ont fait « rempart » au vote pour Jean-Marie Le Pen. Cela s'est d'ailleurs vérifié de façon spectaculaire à la présidentielle de 2002 : si seules les électrices avaient voté, Lionel Jospin aurait été qualifié pour le second tour et non Jean-Marie Le Pen. Seules 14 % d'entre elles ont alors voté pour ce dernier contre 20 % des hommes.

Deux types d'électrices se montraient alors particulièrement réticentes à accorder leur voix à l'extrême droite : d'une part, les jeunes femmes, diplômées, urbaines et actives, qui refusaient de voter pour un parti porteur d'un projet antiféministe et pour un leader laissant percer une violence à la fois verbale et physique ; d'autre part, les femmes âgées catholiques, rétives à rallier un parti s'écartant des valeurs d'universalisme prônées par la religion catholique.

Vers un nouveau cycle politique...

La présidentielle de 2012 a entamé un nouveau cycle, marqué par l'émergence d'un néo tripartisme. Marine Le Pen, qui a succédé à son père à la tête du Front National en 2011, a rallié alors autant ou presque autant de suffrages de la part des Français que des Françaises à la présidentielle de 2012, soit environ 18 % 30 ( * ) . Ce changement sociologique de la base électorale du Front National est à imputer bien sûr à la stratégie de dédiabolisation élaborée par Marine Le Pen, visant à donner une image honorable de l'extrême droite.

C'est également en jouant de son identité de femme que Marine Le Pen a convaincu une partie des Françaises. Au cours de son allocution d'Hénin-Beaumont (Pas-de-Calais), le 13 mars 2012, elle se pose en femme et surtout en mère (« Présidente de parti, femme, mère de trois enfants, je lutte... ») 31 ( * ) . Elle saura en particulier attirer à elle les voix des femmes en situation de précarité économique face à la crise 32 ( * ) . Elle réalise ses meilleurs scores parmi les non diplômées (29 %), les jeunes de 25-34 ans (près de 25 %), les ouvrières (29 %) et les femmes au foyer (29 %), selon le sondage CSA du 22 avril 2012.

Ainsi, le Front National a cessé d'être le parti le plus mal aimé des femmes, dans le temps même où il a remplacé un leader vieillissant aux accents souvent « machistes » par une présidente jeune et moderne, s'appropriant des thématiques de gauche comme la défense des services publics, des crèches et de la laïcité.

On voit donc que l'identité de genre des candidats peut constituer, dans un contexte de crise, un déterminant clé du vote des femmes.

En conclusion, j'indiquerai qu'il est toujours pertinent d'analyser le vote des femmes en liaison avec l'âge. Car parmi les jeunes, les femmes ont tendance à voter plus à gauche que les hommes, alors que parmi les seniors , les électrices, en surnombre dans l'électorat, sont plus conservatrices que les électeurs. C'est ce que les anglo-saxons nomment le gender generation gap .

L'échec de Ségolène Royal à la présidentielle de 2007 est en partie imputable à cet effet genre/génération. Très parlants sont à cet égard les résultats du second tour. Chez les jeunes de 18-24 ans, près de 70 % des femmes ont voté pour Ségolène Royal, soit douze points de plus que les hommes de cette catégorie d'âge. Chez les seniors au contraire, près de 70 % d'entre elles ont choisi Nicolas Sarkozy, soit sept points de plus que les hommes.

Tout se passe donc comme si, dans l'électorat féminin, l'effet genre et l'effet génération se renforçaient l'un l'autre dans les urnes. Plus les femmes vieillissent, plus elles ont de probabilité de voter à droite ; plus elles appartiennent à des générations âgées, plus elles ont de chance d'adhérer à des valeurs traditionnelles et catholiques.

Cependant, on peut parier qu'à l'avenir, le vieillissement ne sera pas forcément synonyme de conservatisme. L'appartenance aux générations âgées de femmes plus diplômées et moins catholiques pratiquantes que les générations précédentes n'ira plus forcément de pair avec l'adhésion à des valeurs traditionnelles 33 ( * ) .

Réjane Sénac

Merci beaucoup, Mariette Sineau. Vous nous avez démontré que les femmes électrices sont devenues des « électeurs comme les autres ». La différence de vote qui perdurait par rapport à l'extrême droite se résorbe en effet sous l'effet du tournant « social » du programme frontiste.

Je propose que nous ouvrions les échanges avec la salle, avant de donner la parole à Yvette Roudy, dont il faut répéter qu'elle a été la première ministre des Droits des femmes. Son engagement et son témoignage font le lien entre le thème du droit de vote et celui de l'éligibilité des femmes, à travers la problématique de la parité.

Catherine Albertini

À l'heure actuelle, le premier parti de France est l'abstention. Les hommes et les femmes ont lutté pour obtenir le droit de vote, mais aujourd'hui, la République se fissure puisque le droit de vote n'est plus exercé et n'est d'ailleurs considéré ni comme un droit, ni comme un devoir.

Réjane Sénac

J'aimerais citer sur ce point l'ancienne sénatrice Cécile Goldet, dont on connaît le combat pour le droit de vote et d'éligibilité, et qui, lorsqu'elle a reçu la délégation aux droits des femmes pour préparer sa participation à ce colloque, a tenu les propos suivants :

« Aujourd'hui, quand j'entends des gens qui disent : « Voter, pour quoi faire ? », j'ai envie de leur rentrer dedans ! Je n'admettrais pas qu'un de mes neuf petits-enfants ne vote pas. C'est un acte citoyen de base absolument essentiel. » Cette question se pose plus que jamais en cette journée anniversaire.

Mariette Sineau

Le climat politique a beaucoup évolué. Aujourd'hui, les politologues ont coutume de distinguer deux types d'abstention : d'une part, une abstention « aliénation », émanant de sujets peu politisés, indifférents à la politique ; d'autre part, une abstention politisée, émanant de personnes qui entendent ainsi protester contre une offre électorale qui ne les satisfait pas. Cette dernière forme d'abstention traduit un certain désabusement face au monde politique qui ne répond plus aux attentes des électeurs, tant en matière d'emploi que d'éducation par exemple.

Il est donc difficile de porter un jugement global sur l'abstention. Il faut aussi distinguer l'élection présidentielle, qui mobilise beaucoup les électeurs et les électrices, des élections « intermédiaires », locales ou européennes, qui déplacent beaucoup moins les foules...

Christine Bard

Je rappelle que le mouvement féministe comptait également, dès le XIX ème siècle, des tendances libertaires, certaines militantes ne croyant ni au pouvoir du bulletin de vote ni au parlementarisme pour transformer la société. Ces doutes s'expriment à nouveau après mai 1968. Le Mouvement de libération des femmes (MLF) compte même de nombreux abstentionnistes pendant une dizaine d'années après 1968 et ne pousse pas les femmes à voter. Il faudra attendre l'année 1981 pour que s'opère un bouleversement.

Chantal Jouanno

À entendre toutes ces présentations et ces réactions, je me pose une question. Il semble que l'argument relatif à la fragilité de la République fréquemment évoqué par des opposants au vote des femmes n'ait finalement été qu'un paravent. La vraie question était probablement, en fait, l'argument naturaliste fondé sur la différenciation entre les hommes et les femmes. Alors pourquoi ces arguments, si forts en France au point de freiner l'adoption du droit de vote des femmes, ne l'ont-ils pas été dans d'autres pays, notamment les pays anglo-saxons et les pays du Nord de l'Europe ?

Anne-Sarah Bouglé-Moalic

Je ne pense pas que cet argument n'ait été qu'un paravent. Les arguments contre le vote des femmes ne relevaient pas uniquement, à mon avis, de la question du genre, mais étaient également proprement politiques. C'est ce que je tente de démontrer dans ma thèse. Cette crainte de faire tomber la République, au contraire très ancrée dans les mentalités des hommes politiques, est bien, je pense, le facteur qui a empêché que le droit de vote des femmes en France soit adopté avant 1944.

Mais les arguments naturalistes étaient, eux aussi, très ancrés dans les convictions des opposants au vote des femmes. Nous les retrouvons également dans les débats tenus dans les autres pays à la fin du XIX ème siècle et au début du XX ème siècle.

Christine Bard

Le retard français dans l'accession des femmes aux droits politiques a des causes très diverses.

De manière générale, la façon de se représenter l'histoire de la France a toujours exclu les femmes. L'imaginaire républicain a, dès 1789, véhiculé l'idée d'une influence nocive des femmes de pouvoir dans le passé. L'imaginaire national républicain est ainsi malheureusement défavorable à la mixité. Il craint l'influence des femmes. La place que tient la séduction féminine dans l'imaginaire politique, pour ceux qui veulent limiter l'influence des femmes, est très importante et semble spécifique à la France.

Néanmoins, il convient de ne pas exagérer cette spécificité française. L'analyse des circonstances de l'obtention du droit de vote par les femmes dans les différents pays est très éclairante. Elle souligne ainsi que les premiers pays à accorder ce droit aux femmes sont aussi ceux dans lesquels les hommes restaient majoritaires dans le corps électoral.

Le temps écoulé entre l'obtention du droit de vote masculin et féminin est également intéressant à analyser. En France, cet écart a été extrêmement long. Il peut s'expliquer par le traumatisme qu'a représenté le premier exercice du suffrage universel masculin pour la gauche, qui a directement conduit à l'Empire. L'inquiétude quant à l'impact du suffrage universel pour la démocratie a perduré longtemps et s'est d'ailleurs réactivée dans la crise des années 1930.

Mariette Sineau

Nous pouvons à cet égard rappeler le bon mot de Georges Clemenceau à propos du vote des femmes : « Nous avons déjà le suffrage universel. Inutile d'aggraver une bêtise ».

Je perçois des raisons politiques et idéologiques du retard français. La Révolution a accordé aux femmes la citoyenneté civile en leur accordant par exemple, le divorce par consentement mutuel, mais leur a refusé la citoyenneté politique. Après ce mauvais départ, les républicains avaient beau jeu de se réclamer des grands ancêtres révolutionnaires pour continuer comme avant. Il est toujours difficile, lorsque l'on rate un train, de le rattraper ensuite.

Réjane Sénac

Ils l'ont raté, non pas par inadvertance mais de manière volontaire et justifiée. Le pays des droits de l'Homme a ainsi exclu la moitié de sa population à grand renfort théorique.

Monique Bouaziz, vice-présidente de l'Association des femmes de l'Europe méridionale (AFEM)

Je souhaite rappeler le nom de Marcelle Devaud, première femme vice-présidente du Sénat et fondatrice de l'Association des femmes de l'Europe méridionale (AFEM) et de l'Alliance internationale des femmes. Il me semble important de mentionner son action aujourd'hui.

Vous évoquiez l'abstentionnisme. Pour lutter contre ce phénomène, la meilleure solution serait selon moi de rendre le vote obligatoire, comme c'est le cas en Belgique.

Marie-Lourdie Chardavoine, Femme Avenir

Le vote étant secret, comment les statistiques genrées sur le vote sont-elles obtenues ?

Mariette Sineau

Elles sont obtenues par des enquêtes d'opinion. Ces enquêtes se sont largement développées en France après la Seconde Guerre mondiale. Les sondages ne sont pas véritablement des outils de prédiction des résultats électoraux, mais ils restent très utiles pour étudier les structures de l'électorat, c'est-à-dire pour observer le vote selon le sexe, l'âge, la profession...

A la même période, quelques communes, me semble-t-il, telles que Vienne, Grenoble, Belfort, ont par ailleurs expérimenté les urnes séparées, ce qui a permis aux politologues de réaliser des monographies locales et d'étudier les différences de comportement entre hommes et femmes. Ces études ont révélé une légère tendance des femmes à voter en faveur des partis de droite et des démocrates-chrétiens, qui faisaient florès dans la France d'après la Seconde Guerre mondiale.

Christine Bard

Je tiens à rappeler que la France était encore un empire colonial au moment où les Françaises ont obtenu le droit de vote et d'éligibilité. Les « Musulmanes » en Algérie, tel qu'on les appelait à l'époque, n'ont obtenu le droit de vote qu'en 1958. Le décalage de droits entre les hommes et les femmes a donc perduré après 1944.

Réjane Sénac

Les femmes n'étaient pas les uniques exclues de la République à l'époque. Les « Indigènes » l'étaient également, dans une logique coloniale. Vous avez raison, c'est important de le rappeler. La France n'est devenue cohérente et réellement démocratique qu'avec l'obtention du droit de vote pour les femmes mais aussi pour ces racialisé.e.s qu'étaient les habitantes et habitants des colonies.

Merci pour vos riches interventions.

Nous allons maintenant entendre avec beaucoup d'intérêt Yvette Roudy, que j'invite à nous rejoindre à la tribune, sur le sujet « La parité, un combat inachevé ».

Témoignage d'Yvette Roudy, ministre des droits de la femme de mai 1981 à mars 1986

LA PARITÉ, UN COMBAT INACHEVÉ

Je remercie la délégation aux droits des femmes du Sénat de m'avoir invitée à participer à ce débat, à l'occasion du soixante-dixième anniversaire du premier vote des femmes en France. L'accession des femmes aux droits politiques est récente - ma propre mère ne votait pas - ce qui explique le retard que l'on observe encore dans l'exercice de ces droits, comme dans de nombreux domaines.

La reconnaissance des droits politiques des femmes marque l'aboutissement d'un long combat, d'une lutte du mouvement des femmes, que je fais remonter à Olympe de Gouges. À l'automne, elle entrera symboliquement à l'Assemblée nationale, où un buste à son effigie sera installé dans la Salle des pas-perdus, à l'emplacement même où tous les députés doivent passer et où les journalistes s'arrêtent. Par conséquent, celle qui n'a pas pu monter à la tribune de l'Assemblée de son vivant pourra désormais porter un regard sur nos députés. Cette avancée est à porter au combat des féministes qui se sont battues en vain pour qu'elle puisse entrer dans le lieu des Immortels.

Le mouvement des femmes a toujours été accompagné de quelques hommes, plus sensibles qui avaient tout simplement moins peur des femmes que les autres. Les hommes politiques avaient, dans leur grande majorité, surtout peur de perdre « leurs » sièges... Pourtant, nous savons bien qu'il n'est pas de démocratie sans partage.

Je remarque que nous avons obtenu le droit de vote grâce à la volonté d'un général, qui l'a accordé par Ordonnance. Si tel n'avait pas été le cas, nous y serions encore ! Les députés et sénateurs continueraient de s'interroger gravement pour savoir s'il est important de faire entrer ces êtres « immatures », « difficiles » et « caractériels » dans les institutions publiques.

Nous pouvons nous interroger sur les raisons du retard français, alors que les pays scandinaves, l'Espagne et la Grande-Bretagne avaient depuis longtemps reconnu aux femmes leurs droits politiques. La Grande-Bretagne avait d'ailleurs décidé en 1928 34 ( * ) d'ouvrir le droit de vote aux femmes du fait de l'exemplarité du travail qu'elles avaient fourni pendant la guerre.

Les Françaises avaient pourtant fourni autant de travail. Elles avaient véritablement fait marcher le pays : rentré les moissons, élevé les enfants, soutenu les soldats, assuré le fonctionnement des usines d'armement... Il fut d'ailleurs très difficile, à la fin de la guerre, de les faire rentrer à la maison.

Les Britanniques ont eu ce geste fort. « Elles l'ont gagné », a-t-on entendu à l'époque. Pendant ce temps, en France, les « lois scélérates » de 1920 interdisaient aux femmes le droit d'interrompre une grossesse.

Dès lors, n'existerait-il pas un « cas » français ? J'ai été militante féministe et militante politique. J'ai longtemps fréquenté le milieu politique. J'ai vécu au milieu des hommes et observé leurs réactions. Il existe en France un machisme particulier. Il y a bien un « cas » français.

Le sujet des droits des femmes est un sujet politique. Il faut que les femmes se battent pour obtenir des lois. Les féministes des partis ne doivent pas relâcher la pression.

Je laisse à nos politologues le soin de réfléchir sur ce « cas » français. Je pense pour ma part que la loi salique et les hommes de la Révolution ont une lourde responsabilité à cet égard, comme l'a d'ailleurs très bien démontré Olympe de Gouges. Lorsque je me suis battue pour obtenir une loi sur la parité, je ne manquais pas de rappeler qu'une loi interdisait jadis aux femmes d'accéder aux droits politiques et que dès lors, il serait logique qu'une loi leur permette cet accès.

Le « cas » français a, certainement, beaucoup freiné cette accession. Pour vous en rendre compte, je vous invite à lire les interventions des députés à la tribune entre les deux guerres : « ce n'est pas le bon moment » (ça ne l'est jamais !), « les femmes ne sont pas prêtes », « il faut les former », disaient-ils.

Les hommes, eux, sont bien sûr naturellement doués pour la politique...

Lors de mon premier mandat à la mairie de Lisieux, j'ai demandé un groupe paritaire. La loi sur la parité n'existait pas encore. Toutes les femmes que j'ai sollicitées m'ont demandé de quelle manière elles pourraient se former. Pas un seul homme ne m'a posé la question...

Parmi les autres arguments entendus à l'époque, nous retrouvons des phrases telles que : « Elles ne le demandent pas », « Il n'y a pas de mouvement social qui le justifie», « Elles vont amener le chaos », et bien sûr, la meilleure : « C'est contraire à leur nature », selon une argumentation naturaliste tenace.

Nous pouvons nous interroger sur ce que les femmes ont fait de leur droit de vote. J'ai entendu dire récemment, mais peut-être s'agit-il d'une idée fausse, que les femmes votaient moins que les hommes. La politique ne les intéresserait plus. Si tel est le cas (ce qui reste à prouver), je pense cela ne traduit pas un désintéressement de la politique en général, mais de la politique qu'on leur propose.

J'en viens à présent à la parité, dont l'idée nous vient, comme souvent, de l'Europe. Il faut aussi rappeler que l'Europe est également à l'origine de la mise en place des délégations aux droits des femmes au Parlement.

En 1992 est signée la Charte d'Athènes, un texte très court - je m'en suis servie comme carte de voeux - qui souligne que la démocratie impose la parité. Cette charte demande une répartition équilibrée des pouvoirs publics et politiques entre femmes et hommes, revendique une égalité de participation des femmes et des hommes à la politique et souligne la nécessité de procéder à des modifications profondes dans les pays membres de l'Union européenne afin d'assurer l'égalité. La Charte d'Athènes a soulevé un immense espoir parmi les féministes européennes, mais les partis politiques sont restés sourds à cet appel de l'Europe.

Comment dès lors réveiller les partis politiques ? Les associations féminines et féministes ont un certain pouvoir, que d'ailleurs elles sous-estiment. Elles ont la capacité de rappeler à l'ordre les députés et sénateurs qui nous représentent.

En 1996, cette possibilité étant inexistante, j'ai pensé qu'il convenait de créer un choc politique inédit. J'ai donc contacté Simone Veil, que j'avais connue au Parlement européen. Simone Veil est une féministe. Lorsque je lui ai proposé de signer un manifeste, elle m'a accueillie avec beaucoup d'enthousiasme. J'ai également sollicité Édith Cresson, qui à l'origine n'était absolument pas féministe, mais qui l'est devenue, considérant la manière dont elle avait été traitée. Les « conversions tardives » au féminisme sont parfois les meilleures !

À l'époque, nous ne comptions que 5 % de femmes sénatrices et maires et 6 % de députées.

Dix femmes, cinq de droite et cinq de gauche, toutes anciennes ministres, ont signé le Manifeste des dix pour la parité 35 ( * ) . Celui-ci comprenait sept points de revendication :

1. une politique volontariste des partis, des gouvernements et des associations féminines conjugués, en s'appuyant sur des quotas et sur l'adoption d'un scrutin proportionnel, même partiel, pour les élections ;

2. la limitation drastique du cumul des mandats et des fonctions, pour un meilleur partage du pouvoir ;

3. le financement des partis politiques en fonction du respect de la parité par leurs instances dirigeantes et leurs élus - pour ma part, je leur supprimerais totalement leurs subventions s'ils ne la respectent pas ;

4. la nomination volontaire de femmes à des postes de responsabilité ;

5. l'adoption d'une législation sur le sexisme comparable à celle sur le racisme ;

6. la modification de la Constitution, si cela est nécessaire, pour introduire des discriminations positives ;

7. et pourquoi pas un référendum sur le sujet ?

Lionel Jospin, qui a largement puisé dans nos propositions, croyait qu'il faudrait dix ans pour atteindre la parité. Cela fait vingt ans maintenant, et il reste encore beaucoup de chemin à parcourir 36 ( * ) .

Aujourd'hui, je tenais à attirer votre attention sur un recul considérable des droits des femmes. Actuellement, la loi sur l'égalité professionnelle, à laquelle je suis personnellement très attachée, est en train d'être vidée de son contenu 37 ( * ) . Le ministre du travail m'a assuré qu'un amendement permettrait de régler la situation. Or aucun des amendements en préparation n'est susceptible de le faire.

Je vous remercie.

PAUSE

Les vidéos ci-après sont projetées :

Jeanine Alexandre-Debray dans
« Les femmes et la politique »
Liberté de l'esprit du 16 octobre 1958
Réalisateur : Arnaud Desjardins
Présentateur : Pierre Corval (1 er extrait)

Marie-Madeleine Dienesch dans
« Sept femmes députées : histoire du vote des femmes »
26 janvier 1963
Journaliste : Danièle Breem

Louise Weiss dans
« Les femmes et la politique » - Liberté de l'esprit du 16 octobre 1958
Réalisateur : Arnaud Desjardins
Présentateur : Pierre Corval (2 ème extrait)

Micro-trottoir rue Mouffetard à Paris dans
« Enquête sur les prochaines élections »
Journal télévisé nuit du 16 octobre 1958
Journaliste : Jacqueline Baudrier

Édith Cresson, Marcelle Devaud, Marie-Claude Vaillant-Couturier dans
« Aux urnes citoyennes, 1944-1994 »
Les brûlures de l'histoire du 12 avril 1994
Réalisatrice : Elisabeth Kapnist
Présentatrice : Laure Adler

Germaine Poinso-Chapuis dans
« Les problèmes de la condition féminine en politique »
Émission radiophonique du 12 mars 1852 sur la chaîne nationale
Journaliste : Lise Elina

Danielle Bousquet, présidente du Haut Conseil
à l'Égalité entre les femmes et les hommes

FEMMES POLITIQUES : QUEL PRIX À PAYER ?
POUR UN STATUT DE L'ÉLU.E ÉGACOMPATIBLE

Madame la ministre, chère Yvette,

Madame la présidente de la délégation aux droits des femmes,

Mesdames et messieurs les parlementaires et, tout particulièrement,

Madame la sénatrice honoraire Cécile Goldet,

Mesdames et Messieurs les élu.e.s,

Mesdames, Messieurs,

Permettez-moi d'un mot de remercier le Sénat et, plus particulièrement, Chantal Jouanno, présidente de la délégation aux droits des femmes, d'avoir pris l'initiative d'organiser ce colloque.

Nous l'avons vu, il reste encore un long chemin à parcourir pour aboutir à la parité active. L'enjeu qui est devant nous est de créer les conditions d'une véritable « parité de participation », selon les termes de Réjane Sénac, pour assurer que le pouvoir soit réellement partagé entre les femmes et les hommes élu.e.s. Au-delà de l'égalité du nombre, l'égalité doit porter sur les responsabilités.

Après deux révisions constitutionnelles et neuf lois sur la parité, il y a aujourd'hui dans la sphère politique près de 250 000 femmes élues, pour près de 400 000 hommes élus.

Une fois en place, quels obstacles freinent plus particulièrement les femmes élues dans l'exercice de leur mandat ? Et lorsqu'elles parviennent à composer avec ces obstacles pour exercer pleinement leur mandat, quel prix particulièrement lourd doivent-elles payer ?

Les obstacles sont bien connus et la dernière table ronde ne va pas manquer d'y revenir. En effet, compte tenu des inégalités extrêmement lourdes qui persistent dans l'organisation domestique familiale, les femmes élues continuent à avoir une triple journée (foyer, emploi, arène politique) quand les hommes n'en mènent, dans la plupart des cas, que deux.

En outre, du fait des inégalités qui perdurent dans le monde professionnel (inégalités salariales, temps partiel imposé, etc.), les femmes élues sont plus souvent précarisées que les hommes. Elles ont donc moins de facilité que leurs homologues masculins à échanger des heures de travail rémunérées contre des heures de mandat bénévoles ou faiblement indemnisées.

Malgré cela, elles sont nombreuses à exercer leur mandat de manière pleine et entière, avec passion et sens du devoir. Néanmoins, elles le paient au prix fort en termes d'activité professionnelle, de vie sociale et familiale. Cela s'explique par l'absence d'un véritable « statut de l'élu.e égacompatible », en d'autres termes, d'un statut de l'élu.e compatible avec l'égalité entre les femmes et les hommes.

J'ai en effet pu entendre un nombre croissant de témoignages de femmes élues locales, en particulier dans les petites et les moyennes collectivités, qui travaillent à temps partiel afin de pouvoir assumer leur charge d'élue tout en combinant leurs différents temps de vie.

C'est pourquoi, avec Réjane Sénac, qui a de nombreux titres, dont celui de présidente de la Commission Parité du HCE|fh, nous pilotons actuellement une étude, en collaboration avec la clinique du doit EUCLID de l'Université de Paris-Nanterre, pour analyser le statut de l'élu.e au prisme du genre, afin d'alimenter les réflexions sur les politiques publiques qui permettraient de favoriser un exercice des mandats qui soit réellement égalitaire.

Je vous livrerai nos premiers éléments d'analyse.

Tout d'abord, face à la difficile articulation des temps de vie, il n'existe pas de véritable statut de l'élu.e aujourd'hui en France .

Le statut de l'élue.e est une question délicate, car elle vise à articuler les devoirs et les droits des élu.e.s, tout au long de leur parcours, depuis leur élection jusqu'à leur sortie de mandat 38 ( * ) .

Or en France, le débat sur le « statut de l'élu.e » butte sur le mythe du bénévolat, alors qu'exercer un mandat n'est gratuit ni en termes de responsabilités, ni en termes de temps. Ainsi, bien que les mandats électoraux et autres fonctions électives demandent de plus en plus de disponibilité et de compétences, notre pays ne compte pas encore de réel statut de l'élu.e, mais seulement des mesures éparses votées depuis 1992.

Cette absence de statut entretient une forte propension au cumul des mandats ainsi qu'un non-renouvellement de la classe politique.

Deuxièmement, les mesures existantes pour faciliter l'exercice des mandats ne prennent pas suffisamment en compte les inégalités qui pèsent largement sur les femmes .

L'étude de ces mesures montre de manière frappante qu'elles ont été avant tout pensées par des hommes élus, pour des hommes élus. Outre le fait que le périmètre du débat se limite à l'articulation de l'exercice du mandat avec une activité professionnelle, sans poser la question des temps de vie dans leur globalité, comprenant également les temps familiaux et les temps sociaux, les mesures prises ignorent les inégalités qui continuent à peser sur les femmes.

Je prendrai un seul exemple : les autorisations d'absence pour assister à une séance plénière, à une réunion de commission, de bureau ou encore au conseil d'administration d'un organisme où l'on représente la collectivité dont on est élu.e.

Si les employeurs sont a priori tenus de faire droit aux demandes d'absence des élu.e.s, la rémunération du temps d'absence ne constitue pas, en revanche, une obligation. Il n'existe de compensation de la perte de revenu professionnel pour cette absence que pour les communes, et seulement à titre facultatif, pour les élu.e.s qui ne perçoivent pas une indemnité de fonction. Compte tenu de la réalité professionnelle vécue par les femmes, ces autorisations d'absence sont, à l'évidence, moins aisées à mobiliser que pour leurs collègues masculins 39 ( * ) .

Troisièmement, si nous notons des avancées récentes, celles-ci sont loin d'être satisfaisantes .

La loi d'initiative sénatoriale Sueur-Gourault du 31 mars 2015 a élargi par exemple le périmètre de remboursement des frais de garde d'enfants. Néanmoins, seuls certains élus locaux sont concernés, et sous certaines conditions. Combien d'élus locaux et d'élues locales sont informé.e.s de ces dispositifs ? Combien de collectivités ont adopté la possibilité de ces remboursements ? Dans la réalité, la portée de ce dispositif risque d'être singulièrement réduite.

Il serait, de ce point de vue, pertinent d'examiner la possibilité, comme c'est le cas dans beaucoup d'autres États européens, de conditionner le remboursement des frais de garde à la situation familiale et non au type de mandat ou au montant des indemnités perçues. Au Danemark par exemple, tout élu parent d'au moins un enfant de moins de dix ans a droit à un supplément familial équivalent à 1 340 euros par an. À l'image des crèches d'entreprises, les collectivités pourraient également développer des crèches internes, ouvertes à leurs salarié.e.s et à leurs élu.e.s. La Chambre des communes britannique, l'Assemblée nationale italienne, le Bundestag allemand ou encore le Parlement européen l'ont fait 40 ( * ) . Pourquoi pas l'Assemblée nationale ?

Ajoutons à cela que les indemnités et le remboursement des frais ne règlent pas nécessairement toutes les difficultés et, en particulier, ne remplacent pas la présence des parents auprès de leurs enfants.

« Blablater moins, pour travailler mieux » pourrait être un mot d'ordre bienvenu pour en finir avec les réunions interminables. Des règles communes salutaires pourraient être prises, comme par exemple :

- ne pas tenir de réunion si un ordre du jour précis n'a pas été fixé au préalable ;

- annoncer dès la convocation une heure de fin de réunion pour faciliter l'organisation des participant.e.s ;

- ou encore éviter les réunions qui commencent trop tôt le matin ou trop tard le soir par exemple.

La réflexion sur un statut de l'élu.e égacompatible, entamée dès 1995, sous l'égide de Roselyne Bachelot-Narquin, par l'Observatoire de la parité, n'a pas pour objectif de transformer les élu.e.s en professionnels de la politique qui y feraient toute leur carrière mais, au contraire, de permettre à toutes et à tous de s'engager en politique sans préjudice pour leur vie professionnelle et familiale, et de faciliter leur retour à la vie « civile ».

La modernisation du statut de l'élu.e est donc aujourd'hui une exigence démocratique, qui concerne les femmes comme les hommes, et qui tirera vers le haut les conditions d'exercice de tous les mandats.

Il est essentiel pour la démocratie que les élu.e.s soient « bien dans leur mandat et bien dans leur vie ». Pour cela, il faut avoir le courage de bousculer les habitudes et de repenser l'organisation du temps politique.

Je m'adresse là aux élus nationaux, car c'est bien par la loi que cela peut se régler.

Je vous remercie.

Troisième table ronde - L'organisation personnelle des femmes politiques : comment font-elles ?

Table ronde animée par Béatrice Massenet, journaliste,
auteure de Et qui va garder les enfants ? La vie privée des femmes politiques (2011)

Intervenants

Annick Billon, sénatrice de la Vendée (groupe UDI-UC), adjointe au maire
du Château d'Olonne et vice-présidente de la communauté
de communes des Olonnes

Cécile Cukierman, sénatrice de la Loire (groupe communiste républicain et citoyen), conseillère régionale de Rhône-Alpes, chargée de l'égalité
entre les femmes et les hommes

Valérie Létard, sénatrice du Nord (groupe UDI-UC), présidente de la Communauté d'agglomération de Valenciennes Métropole, ancienne ministre

Laurent Olléon, Conseiller d'État

Jean-Vincent Placé, sénateur de l'Essonne, président du groupe Écologiste du Sénat, conseiller régional d'Ile-de-France

Barbara Romagnan, députée du Doubs (groupe socialiste, républicain et citoyen), docteure en sciences politiques, auteure de Du sexe en politique (2005)

Béatrice Massenet, journaliste, auteure de Et qui va garder les enfants ? La vie privée des femmes politiques

Nous abordons à présent le problème lié à l'organisation personnelle et quotidienne qu'il est nécessaire de mettre en place lorsque l'on choisit de s'engager dans la vie politique. En France, contrairement à certains pays nordiques, l'activité politique ne s'arrête pas le vendredi à 18 heures pour reprendre le lundi à 9 heures. La plupart de nos élus habitent en province, font des allers retours incessants à Paris, ont des enfants en bas âge, des adolescents, des conjoints qui ont eux aussi une carrière à mener.

Je remercie Chantal Jouanno de m'avoir invitée à ce colloque, et tout particulièrement pour m'exprimer sur ce sujet : je suis persuadée que la thématique de la gestion du temps doit être résolue pour pousser les jeunes femmes à entrer en politique et à y rester.

Au cours de cette table ronde, nous explorerons les pistes qui permettraient de conserver un équilibre entre vie d'élu(e) et vie familiale. Quel est le rôle du conjoint ? Comment réagit l'environnement familial et amical ? Comment s'organiser pour les réunions tardives, les meetings, les inaugurations, les séances de nuit ? Comment faire en sorte que la vie politique française soit aussi pensée pour les femmes afin qu'elles ne ressentent plus un sentiment de culpabilité ? Voilà toutes les questions dont nous allons débattre avec nos invités.

Je tiens tout d'abord à remercier Laurent Olléon, Conseiller d'État et époux de Fleur Pellerin, ainsi que Jean-Vincent Placé, sénateur de l'Essonne, président du groupe Écologiste du Sénat et conseiller régional d'Ile-de-France, d'avoir accepté de participer à cette table ronde. Il est vrai que nous avons peu l'occasion d'entendre les conjoints s'exprimer sur la vie quotidienne et familiale des femmes politiques.

J'ai aussi grand plaisir à accueillir Annick Billon, sénatrice UDI de la Vendée, adjointe au maire du Château d'Olonne et vice-présidente de la Communauté de commune des Olonnes ; Cécile Cukierman, sénatrice communiste de la Loire, conseillère régionale de Rhône-Alpes chargée de l'égalité hommes-femmes ; Valérie Létard, sénatrice UDI du Nord, présidente de la Communauté d'agglomération de Valenciennes Métropole, ancienne ministre, et Barbara Romagnan, députée du Doubs, docteure en Sciences politiques, qui siège à la délégation aux droits des femmes de l'Assemblée nationale et qui est membre du groupe socialiste, républicain et citoyen.

Avant toute chose, je vous propose de visionner le témoignage de Jeanine Alexandre-Debray, membre du Conseil municipal de Paris, qui nous livre, en 1958, son explication édifiante de l'absence des femmes en politique.

Projection vidéo : Jeanine Alexandre-Debray dans
« Les femmes et la politique »
Liberté de l'esprit du 16 octobre 1958
Réalisateur : Arnaud Desjardins
Présentateur : Pierre Corval (3 ème extrait)

Béatrice Massenet

Jeanine Alexandre-Debray évoque la légitimité des femmes en politique et souligne les difficultés de conjuguer les exigences de la vie publique et celles de la tenue d'un foyer. Elle invite dès lors les femmes à attendre d'avoir pu se détacher des tâches qui leur sont dévolues avant de se lancer en politique...

Cécile Cukierman, vous qui avez été élue à trente-cinq ans et avez trois enfants en bas âge, que pensez-vous de ce questionnement sur la légitimité des femmes en politique ?

Cécile Cukierman, sénatrice de la Loire (groupe communiste républicain et citoyen), conseillère régionale de Rhône-Alpes, chargée de l'égalité entre les femmes et les hommes

La légitimité provient du suffrage et de notre engagement à répondre aux attentes des électeurs. Bien évidemment, le témoignage de Jeanine Alexandre-Debray fait sourire, mais il souligne surtout l'évolution positive de la place des femmes dans la société. J'ai trente-neuf ans maintenant et je crois que la tenue de cette table ronde n'aurait pas été possible avec une telle diversité d'intervenants il y a trente-neuf ans.

Certes, un long chemin reste encore à parcourir, mais beaucoup de choses ont changé, qui nous permettent, en tant que femmes, de nous engager en politique, d'y assumer des responsabilités et d'y prendre toute notre place.

Tout n'est pas simple, mais je tiens à vous rassurer : les gendarmes ne m'ont encore jamais appelée parce que mes enfants seraient seuls dans la rue, et les insectes n'ont pas encore envahi ma maison parce qu'elle ne serait pas tenue ! Dans l'ensemble, les choses se passent bien, même si, comme dans toute famille, les portes claquent parfois ! C'est ce qui fait la vie et le plaisir de la vivre...

Béatrice Massenet

Pouvez-vous nous décrire votre semaine-type ?

Cécile Cukierman

Avant d'entrer au Sénat, je pensais que je passerais à Paris les mardis, mercredis, voire parfois les jeudis, et que je pourrais être dans ma région le reste de la semaine.

Une fois élue, j'ai découvert très rapidement que l'agenda parlementaire idéal n'existe pas, que les séances ont tendance à commencer dès le lundi pour parfois finir le vendredi, ce qui nécessite un jonglage permanent ente nos obligations locales et nos obligations parisiennes. Finalement, il n'existe pas de semaine-type, seulement une « semaine moyenne » que je pourrais décrire, mais qui n'est jamais celle que je vis effectivement.

Cela complique largement l'organisation au quotidien, pour soi, pour ses proches et surtout pour ses enfants, qui ont besoin - c'est essentiel - de disposer de repères et de régularité. Or nous ne sommes pas toujours capables de leur en donner.

La question n'est donc pas tant celle de l'absence quelques jours par semaine que celle de l'impossibilité de l'anticiper et de l'expliquer. Il faut savoir s'organiser pour ne pas être trop souvent dans l'urgence : l'éducation exclut en effet la précipitation. La vraie difficulté se situe à ce niveau.

Dans l'ensemble, je suis absente de chez moi deux nuits par semaine pour mes activités parlementaires. Mais il faut le rappeler, la vie parlementaire ne se limite pas à l'activité législative à Paris : elle comprend aussi le travail que l'on effectue au niveau local et l'implication dans la vie politique des partis auxquels nous appartenons.

Béatrice Massenet

Je me tourne à présent vers Barbara Romagnan. Vous êtes l'auteure d'un ouvrage intitulé Du sexe en politique . Quelles difficultés principales liées à l'organisation de la vie politique en France avez-vous, pour votre part, relevé ?

Barbara Romagnan, députée du Doubs (groupe socialiste, républicain et citoyen), docteure en sciences politiques, auteure de Du sexe en politique

L'objet de ma thèse était plutôt de comprendre les raisons pour lesquelles il est souvent dit que les femmes « font de la politique autrement ».

Permettez-moi de rebondir sur les propos de Cécile Cukierman s'agissant de l'organisation des femmes politiques.

J'ai une fille de six ans et nous avons opté, son père et moi, pour la garde alternée. De ce fait, j'ai finalement deux semaines-types. La semaine où ma fille est avec moi, je ne me rends pas, ou peu, à l'Assemblée. Je suis élue dans le Doubs ; ma circonscription se trouve à trois heures de train de Paris, ce qui est raisonnable, mais les trains ne passent pas toutes les heures ! En revanche, lorsque ma fille est chez son père, je passe toute la semaine à Paris et je tâche ainsi de compenser mes absences pendant les semaines où je m'occupe d'elle.

Mais ce n'est pas possible de tout compenser. Comme je ne suis présente à Paris qu'une semaine sur deux, je me trouve à l'Assemblée nationale soit la semaine où les amendements sont discutés en commission, soit la semaine où ils le sont dans l'hémicycle. Ce rythme de présence rend donc difficile pour moi le travail de rapporteure, qui supposerait une présence plus régulière à Paris. Il se trouve toutefois que, étant une « socialiste punie », la probabilité que me soient confiés des rapports est assez limitée ! Ma frustration sur ce plan est donc moindre...

Toujours pour compenser mon rythme de présence, quand je suis en circonscription et que ma fille n'est pas avec moi, je débute mes journées extrêmement tôt. Cela me permet d'avoir des activités qui me seraient inaccessibles dans d'autres circonstances, comme par exemple la distribution de tracts à cinq heures du matin, qui me donne la possibilité de discuter avec des personnes qui travaillent à ces heures-là. Le contact avec les gens est différent.

De même, quand je ne peux pas me rendre à une inauguration, je propose de venir à un autre moment. Moins de personnes seront présentes, bien sûr, mais en général les élus locaux viennent, ce qui me permet de leur montrer mon intérêt pour leurs initiatives, et surtout, de discuter du fond des dossiers avec eux.

Béatrice Massenet

Annick Billon, comment parvenez-vous à concilier votre vie personnelle et vos activités d'élue ?

Annick Billon, sénatrice de la Vendée (groupe UDI-UC), adjointe au maire du Château d'Olonne et vice-présidente de la communauté de communes des Olonnes

Je suis élue de territoire depuis quatorze ans et j'ai été élue au Sénat en octobre 2014. J'ai trois enfants, âgés de 15 à 21 ans. Concilier la vie familiale et les activités d'élue demande une certaine organisation, et surtout de l'anticipation. Mais l'agenda parlementaire rend cette tâche particulièrement difficile.

Le choix de l'engagement politique est un choix de famille. Le jour où l'on m'a proposé de me présenter aux élections sénatoriales, j'ai demandé l'avis de mes enfants et de mon mari. Nous avons pris cette décision ensemble.

Je me suis reconnue dans les interventions de la première table ronde : quand on m'a proposé d'être candidate au Sénat, ma première réaction a été de me demander si j'en étais capable. Il est clair qu'un homme ne se serait jamais posé la question...

La principale difficulté dans l'organisation d'une vie de parlementaire tient effectivement au fait, comme cela a été dit, qu'il n'existe pas de semaine-type. Théoriquement, le lundi, le vendredi et le samedi, je suis en Vendée et le reste de la semaine à Paris, au Sénat.

J'en profite d'ailleurs pour remercier les élus vendéens venus en nombre aujourd'hui, notamment la première femme présidente de l'association des maires de Vendée, récemment élue.

À cela, s'ajoutent bien sûr les divers déplacements liés par exemple au travail de commission : la dernière mission à laquelle j'ai participé s'est par exemple déroulée sur onze jours d'affilée.

C'est évident, l'organisation doit être anticipée quand la journée de travail commence à 8h et ne se termine qu'à 22h, comme cela a été le cas hier. Je ne peux pas tout confier à mon mari qui, lui aussi, travaille énormément.

Mais au-delà des difficultés que peut poser l'organisation de la vie quotidienne, je pense qu'il est tout à fait stimulant pour des enfants de voir leurs parents travailler, s'impliquer, aimer ce qu'ils font. Mes enfants ont par ailleurs eu l'occasion de venir au Sénat, de découvrir un univers qui, jusqu'ici, leur était inaccessible.

Le Sénat est une institution magnifique. À mon arrivée, j'ai été accueillie avec beaucoup de bienveillance et je m'y suis très rapidement sentie en confiance. Les journées de travail y sont longues et il est vrai que nous rentrons souvent fatigués à la maison.

Par exemple, quand je rentre chez moi en Vendée le jeudi soir, à 23 heures, mes proches savent qu'il me faut me laisser un temps pour « atterrir » et me libérer l'esprit après l'agitation de la vie sénatoriale. Avec ce genre d'organisation, il faut que chacun dans la famille trouve son équilibre.

Cécile Cukierman

Si vous le permettez, j'aimerais dire un mot sur les frais de garde d'enfants qu'évoquait Danielle Bousquet.

Il s'agit effectivement d'une bataille à mener, d'une véritable exigence pour les élus locaux. Mais il faut aussi dire que l'accès des femmes aux responsabilités politiques n'est pas uniquement une question d'argent. Dans ma famille, nous avons fait le choix d'avoir recours à de la garde collective et non individuelle : c'est un choix d'éducation personnel. Mais le choix d'un mode de garde peut être contraint et renforcer les inégalités.

Pour ma part, j'ai eu la chance d'avoir le soutien de ma mère et de ma belle-mère, qui ont accepté de participer activement à la garde de mes enfants. Au-delà du remboursement des frais de garde, il faut absolument poser la question de l'organisation du temps politique, afin de permettre aux femmes et aux hommes de s'épanouir également dans une vie sociale et familiale.

Béatrice Massenet

Considérez-vous que sans l'aide d'un conjoint et de l'environnement familial proche, il est plus difficile d'entrer en politique ?

Annick Billon

L'une des participantes à la première table ronde déclarait qu'il faut séparer sa vie privée de sa vie publique. Nous ne sommes en effet jamais préparées à recevoir des coups et des attaques personnelles, surtout lorsqu'ils proviennent de proches. À mon sens, la stabilité familiale et le soutien des proches sont très importants pour mener sereinement des activités politiques. Il est essentiel pour moi de savoir que lorsque je suis absente, tout se passe bien à la maison.

Pendant la campagne sénatoriale, j'ai été surprise des remarques de certains proches qui estimaient que du fait de mon engagement politique, j'abandonnais totalement ma famille. Ces personnes pensaient que mon engagement n'était pas bon pour l'équilibre familial. Finalement, nous faisons face, nous les femmes, à un sentiment de culpabilité qui nous revient de manière incessante même si nous ne l'éprouvons pas spontanément à l'origine.

Aujourd'hui encore, la société considère que c'est aux femmes d'assurer l'éducation des enfants. On conçoit difficilement que les femmes puissent avoir des enfants tout en menant une vie professionnelle bien remplie.

J'interroge régulièrement ma fille de quinze ans pour savoir comment elle vit mes absences. En réalité, elle se porte parfois même mieux lorsque je ne suis pas à la maison !

Béatrice Massenet

Sur ce sujet, je propose que nous écoutions témoignage de Simone Veil.

Projection vidéo : Simone Veil dans
« Portrait de Simone Veil »
Satellite du 10 avril 1975
Journaliste : Jacqueline Dubois

Béatrice Massenet

Simone Veil estime avoir peut-être « sacrifié » son mari et ses enfants à cause de son travail. Laurent Olléon, avez-vous le sentiment d'être « sacrifié » ?

Laurent Olléon, conseiller d'État

Absolument pas.

Paradoxalement, si Fleur Pellerin et moi-même avions demandé à nos amis, il y a dix ans, lequel de nous deux deviendrait un jour ministre, ce n'est peut-être pas à elle qu'ils auraient spontanément pensé. Mais dès lors que le Président de la République avait choisi de former un gouvernement paritaire, nous savions qu'il était plus probable que ce soit elle qui y entre. Nous avons donc choisi ensemble de travailler pour qu'elle y parvienne.

Dès 2012, j'ai pour ma part été pendant deux ans, simultanément, directeur adjoint du cabinet de Marylise Lebranchu et directeur du cabinet d'Anne-Marie Escoffier, qui est par la suite redevenue sénatrice. En termes d'organisation, il nous a fallu mettre en place un système quasi-militaire !

Le temps politique est une parfaite illustration de la « théorie des gaz » : il occupe tout l'espace disponible. Vingt ans après la réforme du calendrier parlementaire de 1995 dont Philippe Séguin, président de l'Assemblée nationale, avait pris l'initiative, et qui visait précisément à éviter aux députés et sénateurs de siéger jusqu'à des heures impossibles, on constate que les parlementaires continuent d'examiner des textes de loi très tard dans la nuit.

De la même manière, Fleur et moi-même pensions en 2012 que comme elle n'avait pas de terre d'élection, contrairement à d'autres ministres, elle pourrait consacrer ses week-ends à notre vie familiale. Mais il est finalement très rare qu'elle ne soit pas accaparée, le week-end, par diverses manifestations ou déplacements. Le temps politique a lui aussi occupé tout l'espace disponible !

Ce problème d'organisation des temps dépasse de loin la sphère politique. Il concerne la vie professionnelle en général. En France, l'organisation du travail est telle que la majorité des cadres supérieurs sont jugés en grande partie selon leur temps de présence au bureau. Le monde politique est finalement en cohérence avec cette tendance très française, consistant à étendre le travail sur des durées longues, au détriment de la vie familiale.

À Montréal, où je suis récemment passé dans le cadre d'une mission, il n'y a plus personne dans les bureaux après dix-huit heures. De même, il y a une dizaine d'années, j'ai pu rencontrer en Allemagne l'actuel ministre des Affaires étrangères. La façon dont il organisait son temps de travail était très différente de la nôtre : il y a bien un « problème français ».

Je reviendrai un instant sur la question des gardes d'enfants, pour laquelle trop d'inégalités sont à déplorer. Sur le plan financier, je rejoins entièrement ce qu'a dit Cécile Cukierman. Il est en effet beaucoup plus facile pour un cadre supérieur, qu'il exerce dans le privé, qu'il soit haut-fonctionnaire ou ministre, d'accéder à un mode de garde qui soit suffisamment souple pour lui permettre de s'adapter aux contraintes de la vie politique. Le rôle de l'entourage familial est également essentiel, bien sûr. Nous avons pour notre part la chance de pouvoir confier nos enfants à leurs grands-parents, qui nous aident énormément.

Notre organisation familiale est un peu particulière, parce que nous sommes une famille recomposée. Nous avons toujours dû prévoir, depuis une dizaine d'années, une organisation très cadrée pour pouvoir passer du temps avec nos enfants quand ils sont avec nous. Nous y sommes habitués.

Finalement, les grands « sacrifiés » dans cette organisation ne sont pas nos enfants, à qui nous consacrons un maximum de temps, mais plutôt nos amis qui, depuis 2012, ont malheureusement en grande partie disparu de notre emploi du temps. Ils en avaient d'ailleurs conscience avant nous ! Il faut faire des choix.

Béatrice Massenet

Concrètement, qui remplit le frigo chez vous ?

Laurent Olléon

On le remplit tous les deux ! Nous faisons les courses ensemble, le week-end. Ce temps est extrêmement important pour Fleur, car il lui permet de rester connectée à la vie réelle. De la même manière, depuis qu'elle est ministre, elle a toujours veillé à accompagner sa fille à l'école, et il est exceptionnel qu'elle n'y parvienne pas.

Il me semble essentiel, lorsque l'on exerce de hautes responsabilités, de réussir à conserver du temps pour soi, pour lire, cuisiner, discuter... Nous faisons attention, c'est très important pour nous, à passer du temps ensemble même quand Fleur rentre à la maison à 22 heures ou 23 heures.

Finalement, nous avons trouvé un bon équilibre et fonctionnons véritablement en tandem.

Béatrice Massenet

Que pouvez-vous nous dire, Valérie Létard, de votre organisation familiale ? Vos enfants étaient adolescents quand vous êtes entrée au gouvernement. Avez-vous observé une évolution par rapport à l'époque où vous êtes devenue sénatrice ?

Valérie Létard, sénatrice du Nord (groupe UDI-UC), présidente de la Communauté d'agglomération de Valenciennes Métropole, ancienne ministre

J'ai été élue sénatrice à trente-huit ans, alors que mes enfants avaient six et neuf ans. Être parlementaire alors qu'on vit en province et qu'on a des enfants demande une organisation à toute épreuve, parce que la vie politique nécessite d'être très disponible le soir et les week-ends.

J'ai eu la chance, quand mes enfants étaient petits, de pouvoir compter sur leurs grands-parents et sur mon mari qui, malgré ses contraintes professionnelles, s'est toujours arrangé pour être présent tous les soirs quand j'étais à Paris.

Au moment où je me suis engagée dans des responsabilités nationales, d'abord au Sénat puis en tant que ministre, nous avons fait le choix de ne pas éloigner nos enfants de l'environnement qu'ils avaient toujours connu. Ils n'ont donc pas senti l'impact de mon engagement national. J'ai préféré en porter le poids seule, plutôt que faire venir mes enfants à Paris.

Finalement, je ne serais pas devenue parlementaire ni ministre si je n'avais pas eu la certitude qu'à la maison, la structure familiale ne pâtirait pas de mes absences et que la qualité de nos relations familiales n'en souffrirait pas. Mes absences ont d'ailleurs été plus difficiles à vivre pour moi que pour ma famille.

Je sais pourtant qu'il n'est pas évident, pour un adolescent, d'avoir un parent élu, médiatisé et exposé à la critique. Quand j'étais tête de liste pour les élections régionales et que mon portrait était affiché dans toute la région, mon fils aîné, alors âgé de treize ans, déjà très intéressé par la vie politique, m'a dit un jour : « Maman, s'il te plaît, pas d'affiche de toi devant l'école ! » J'ai compris alors à quel point il était sensible aux regards et aux commentaires de ses camarades. J'ai depuis été très attentive à la manière dont il vivait le fait que je sois exposée du fait de mon engagement politique. Aujourd'hui encore, même s'il est très fier de moi, je sais qu'il se demande si un jour je vais enfin arrêter !

Béatrice Massenet

Justement, comment préserver sa famille de la médiatisation, des critiques ou des attaques ?

Valérie Létard

J'ai toujours veillé à ce que mon mari et mes enfants subissent le moins possible les conséquences de mes choix. C'est pourquoi nous avons tenu à ce que nos enfants restent en province, dans notre commune d'origine, loin de la scène politique parisienne. Il nous a semblé très important de ne pas les « déraciner ». J'ai eu la chance d'avoir un mari formidable qui m'a toujours soutenue dans tous mes engagements politiques. Sans lui, rien de tout cela n'aurait été possible.

Barbara Romagnan

Je voudrais ajouter un mot sur le rapport des politiques au temps.

Il y a à mon avis un véritable effort de pédagogie à faire envers nos concitoyens. Ils doivent comprendre que s'ils veulent que leurs élus ressemblent davantage à la société telle qu'elle est, ils ne peuvent pas attendre d'eux qu'ils soient présents et disponibles tout le temps. Je suis une « intégriste » du mandat parlementaire unique, pour cette raison notamment.

Une hypothèse par exemple me semblerait intéressante : pourquoi députés et sénateurs ne pourraient-ils pas siéger une semaine sur deux seulement au Parlement ? Cette mesure présenterait beaucoup d'intérêt en termes d'organisation personnelle des élus. Elle leur permettrait aussi de passer plus de temps dans leur circonscription, au contact de leurs concitoyens. Elle pourrait par ailleurs avoir pour effet de réduire les frais de transports, qui sont considérables à l'heure actuelle.

Enfin, je tiens à souligner que l'Assemblée nationale française reste l'un des seuls parlements en Europe à ne pas disposer de service de crèche. À plusieurs reprises, j'ai moi-même dû emmener ma fille à l'Assemblée, pendant les vacances scolaires. Rien n'est prévu pour les personnels de l'Assemblée ou les élus qui ont des enfants. De même, j'ai été enceinte pendant mon mandat de conseillère générale. Là non plus, rien n'était prévu. La maternité est un véritable enjeu pour les instances politiques ; il faut trouver les moyens légaux de résoudre ces problèmes d'organisation. Il est impératif également de changer le regard que porte la société sur la question du temps, notamment du temps des élus.

Béatrice Massenet

On sait que plus les femmes sont diplômées, plus elles risquent de divorcer ou de vivre seules. Qu'en est-t-il en politique ?

Barbara Romagnan

Je n'ai pas d'expertise particulière à ce sujet. En revanche, je souhaite rebondir sur le thème de l'organisation du temps en tant qu'élue. Ce que j'ai pu entendre précédemment m'a plutôt étonnée :je dois me situer à-peu-près dans la « moyenne », mais je ne suis pas véritablement organisée, je suis séparée du père de ma fille et mes parents ne vivent pas dans la région où je suis élue.

Béatrice Massenet

Je me tourne enfin vers Jean-Vincent Placé, qui va nous livrer son expérience personnelle.

Jean-Vincent Placé

Quand on est venu me proposer de m'exprimer devant une assemblée principalement composée de femmes pour parler de la vie quotidienne des femmes en politique, j'ai d'abord pensé : « En quoi cela me concerne-t-il ? ».

Et puis j'ai compris. Je suis père d'une fille de dix-huit mois, que j'ai avec moi deux week-ends par mois, ainsi que les soirées encadrant les week-ends qu'elle passe chez sa mère. Or comme l'ont souligné plusieurs intervenants, le temps politique n'a jamais été pensé pour s'accorder avec la vie familiale.

Bien que j'appartienne à un parti de sensibilité féministe, qui a souvent été dirigé par des femmes et qui a appliqué la parité bien avant que la loi le prévoie, je me suis longtemps accommodé de cette situation et je ne me suis pas vraiment posé de question.

Les commissions électorales illustrent parfaitement ce point. Elles s'éternisent généralement jusque tard dans la nuit : elles sont composées à 90 % d'hommes et se déroulent dans une ambiance « virile ». Ce centre de pouvoir est ainsi extrêmement clanique et misogyne.

Pendant vingt ans, je me suis consacré totalement à la politique. J'ai grandi dans une famille traditionnelle, et je n'ai appris que tardivement l'importance de la féminisation des statuts. C'est d'ailleurs pour cette raison que je suis un « repenti ».

Depuis que je suis séparée de la mère de ma fille, j'ai dû revoir entièrement l'organisation de ma vie d'élu. Désormais, les dix jours par mois pendant lesquels je garde ma fille, je les lui consacre entièrement. Je n'hésite pas à aménager mes horaires lorsqu'elle est avec moi en semaine : je termine le soir à 18 heures et je reprends le lendemain matin à 10 heures, après l'avoir emmenée chez sa nourrice.

J'assume entièrement ce choix. Il est pourtant régulièrement la cause de situations un peu particulières. J'ai ainsi été amené à refuser une « matinale » à la radio, en pleine période de promotion d'un livre. Je rate désormais la moitié des réunions de coordination du parti, parce qu'elles ont lieu tôt le mardi matin. J'ai récemment dû décliner auprès du secrétariat de la Présidence de la République un rendez-vous un matin à 9 heures, pour cause de « pouponnage » ! Aujourd'hui, rien n'est plus important pour moi que les moments que je passe avec ma fille. Mon bonheur est là.

Je comprends aujourd'hui de ce fait un ensemble de problématiques du quotidien que j'ignorais totalement jusqu'ici. Ma mère, qui était institutrice, a élevé cinq enfants et s'est arrêtée de travailler à mon arrivée en France. Aujourd'hui, je me rends compte de ce que cela représente et je l'ai remerciée de tout ce qu'elle a fait et que je ne soupçonnais pas ! Ma vie quotidienne est bouleversée par la paternité : j'ai découvert les biberons, les couches, les journées entières passées à ne s'occuper que de son enfant... Je suis donc prêt aujourd'hui à soutenir toutes les mesures qui peuvent faciliter le partage des tâches, la garde d'enfants et la conciliation des temps de vie. Je milite notamment pour que les frais de garde soient intégrés à l'indemnité représentative des frais de mandat (IRFM).

Il y a un an de cela, je n'aurais probablement pas eu le souci de participer à vos échanges. Je peux aujourd'hui vous assurer que vous pouvez compter sur moi pour soutenir toute disposition susceptible de faciliter la vie des femmes élues et de favoriser l'intégration des femmes, avec ou sans enfants, à la vie politique. Je découvre la vie que beaucoup d'entre vous menez, et je peux vous dire, mesdames, que vous avez bien du mérite !

Béatrice Massenet

Je vous remercie, Jean-Vincent Placé, pour ce témoignage.

L'heure est venue de conclure ce colloque. Nous accueillons Pascale Boistard, secrétaire d'État chargée des Droits des femmes auprès de la ministre des affaires sociales, de la santé et des droits des femmes.

Clôture du colloque - Mme Pascale Boistard, secrétaire d'État chargée des droits des femmes auprès de la ministre des affaires sociales, de la santé et des droits des femmes

Avant toute chose, je tiens à remercier Chantal Jouanno, présidente de la délégation aux droits des femmes du Sénat et Danielle Bousquet, Présidente du Haut conseil à l'égalité, les élus et parlementaires venus en nombre ainsi que vous tous et toutes rassemblés ici pour célébrer le soixante-dixième anniversaire du premier vote des femmes.

Au-delà de cette célébration, ce colloque a été l'occasion de refaire le chemin vers la reconnaissance du droit de vote des femmes, un chemin particulièrement long par rapport à d'autres pays, mais un chemin qui a aussi été jalonné de nombreuses grandes dates historiques et de grandes figures féminines de l'histoire qui ont livré ce combat pendant plus de cent cinquante ans.

Je pense notamment à Olympe de Gouges, à Georges Sand, mais également aux femmes de la Résistance qui ont contribué à la reconnaissance de l'autonomie des femmes et de leur capacité à l'exprimer dans leur vote. J'en profite pour vous inviter à découvrir l'exposition installée le long de l'Hôtel de Ville de Paris, à l'occasion de l'entrée au Panthéon, le 27 mai prochain, de deux femmes de la Résistance qui ont eu un parcours admirable et exemplaire tout au long de leur vie.

À travers ce colloque, le but était de rendre hommage aux hommes et aux femmes qui, encore aujourd'hui, se battent pour faire progresser les droits. Comme le disait Simone de Beauvoir, il faut rester vigilantes. Nous le resterons, pour contribuer d'abord à sacraliser les droits acquis, mais aussi pour concourir à les faire encore avancer largement.

De nombreuses lois ont été votées pour aboutir à la parité. La loi sur la parité dans les élections départementales adoptée en 2013 représente par exemple une avancée extraordinaire. Elle a permis de porter la part des femmes dans les conseils départementaux de 14 à 50 %. La parité est aujourd'hui une réalité dans les collectivités, mais elle ne l'est pas dans les assemblées parlementaires, malgré les avancées permises par la loi du 4 août 2014. Certains partis préfèrent en effet s'acquitter de lourdes pénalités plutôt que respecter la loi.

Les partis politiques ont tous une responsabilité à l'égard de la représentation des femmes dans la sphère publique, qui n'est pas à évacuer d'un trait de plume. Nous avons tous une exigence à porter quant au personnel politique présenté aux différentes élections, mais également quant aux responsabilités confiées aux femmes élues.

En effet, même si nous progressons dans les collectivités vers une parité en nombre, nous comptons encore peu de femmes présidentes d'assemblées départementales, de régions et maires.

C'est une véritable question pour les exécutifs qui verront leurs compétences évoluer.

C'est aussi une exigence citoyenne qui doit pouvoir se développer et que les partis politiques doivent pouvoir animer, même si ce sujet reste délicat.

Je souhaite saluer toutes les femmes qui s'engagent encore en politique malgré les difficultés dont certaines ont été dénoncées aujourd'hui, répondant ainsi à l'exigence citoyenne d'une démocratie plus représentative de la société dans sa diversité, qu'il s'agisse d'une représentation paritaire ou sociale : il en va de la bonne santé de notre démocratie.

Je tiens enfin à souligner, comme nous l'a rappelé une récente tribune signée par quarante journalistes, le problème de la persistance de comportements sexistes dans nos assemblées et dans notre vie quotidienne, ainsi que j'ai pu moi-même en être témoin. Nous devons combattre ces comportements, ne serait-ce qu'en en dénonçant les coupables, comme les journalistes ont su le faire parce qu'elles en avaient les moyens. Je salue leur démarche, au nom de toutes les femmes qui, dans leur vie professionnelle et quotidienne, font face aussi à de tels comportements.

Une société évoluée est une société qui a notamment su instaurer un respect entre les hommes et les femmes. À cet égard, notre société a encore du chemin à parcourir. La question ne sera pas résolue par un énième rapport sur les discriminations. Elle ne le sera que si nous faisons preuve d'une volonté politique forte et partagée pour combattre ce fléau.

Je remercie encore une fois la délégation aux droits des femmes du Sénat d'avoir organisé ce colloque. Vous me trouverez toujours à vos côtés pour mener ces combats.

ANNEXES

I. Biographies des intervenants

NB : à partir de cette page (qu'il faudra supprimer), insérer le pdf suivant qui a sa propre numérotation :

INTERVENANTS

II. Entretien avec Cécile Goldet, médecin et sénatrice de Paris de 1979 à 1986, le jeudi 7 mai 2015.

Les citations ci-dessous ont été dictées par Cécile Goldet au secrétariat de la Délégation aux droits des femmes du Sénat, le 7 mai 2015.

Quand j'ai voulu entrer au conseil municipal de Fleury-en-Bière, en 1959, je suis allée voir le maire pour lui faire part de mon souhait. Après m'avoir fait attendre plusieurs semaines en me disant : « On verra ! », il m'a opposé les arguments suivants : « On n'a jamais vu une femme au conseil municipal, ce n'est pas la place d'une femme. Je serais ridicule. Tout le monde se moquera de moi ! ».

Il voyait son statut d'homme : ce n'était pas mon rôle qu'il voyait, mais le sien.

Puis des femmes sont entrées dans les conseils municipaux.

Le même maire s'est mis à faire la tournée des communes en s'exclamant : « Il n'y a pas de femmes chez vous ? »

Mon ridicule était devenu une gloire...

***

Quand je constate actuellement le pouvoir, certes encore relatif, mais non nul, des femmes, je regrette d'être venue trop tôt. Être une fille, pour quelqu'un qui est né en 1914, c'était une imperfection... Si au lieu d'avoir 101 ans, j'en avais 40 ou 50, j'aurais aujourd'hui des possibilités d'action qui m'ont fait défaut.

***

Quand un homme est candidat à une élection, on discute pour savoir s'il a des chances d'être élu. Pour une femme, on s'interrogera sur ses capacités.

Si on propose l'investiture à un homme, il dira : « Mais comment donc ! ». Une femme objectera : « Je ne sais pas si j'en suis capable ».

Nous nous dévalorisons nous-mêmes.

***

J'ai voté pour la première fois à 30 ans. C'était un soulagement ! Dans notre famille, nous étions cinq femmes : ma grand-mère, ma mère, mes deux soeurs et moi. Les jours d'élection, nous avions toutes notre opinion, mais personne à la maison n'avait le droit de vote. C'était une frustration épouvantable.

J'ai participé activement à la campagne de 1936 pour aboutir à ne pas voter, avec une rage sans nom...

J'étais un animal très politisé, et la fréquentation des hôpitaux de l'époque ne risquait pas de calmer les choses !

Aujourd'hui, quand j'entends des gens qui disent : « Voter, pour quoi faire ? », j'ai envie de leur rentrer dedans ! Je n'admettrais pas qu'un de mes neuf petits-enfants ne vote pas. C'est un acte citoyen de base absolument essentiel.

***

III. Le manifeste des dix pour la parité41 ( * )

Par Michèle Barzach, Frédérique Bredin, Edith Cresson, Hélène Gisserot, Catherine Lalumière, Véronique Neiertz, Monique Pelletier, Yvette Roudy, Catherine Tasca et Simone Veil

Pourquoi des femmes venues d'horizons divers, aux engagements parfois opposés, ont-elles décidé d'unir leurs voix ?

Ayant en commun d'avoir eu ou d'exercer actuellement des responsabilités publiques, nous voulons, alors que se profile le prochain millénaire dans un monde incertain et une France inquiète, lancer cet appel pour l'égalité des chances et des droits entre hommes et femmes. Une égalité enfin effective, au-delà des promesses de circonstance, électorales ou non. Une égalité plus urgente que jamais, non seulement pour les femmes, mais pour notre pays, car plus qu'hier encore la participation des unes va de pair avec l'intérêt national.

Toutes, à un degré ou à un autre, nous avons eu à affronter l'incapacité du système politique français à accepter véritablement les femmes. De l'indifférence condescendante et du mépris à l'hostilité déclarée, nous avons pu mesurer le fossé séparant les principes affichés de la réalité s'exprimant dans le comportement de la classe politique. Oui, décidément, celle-ci a encore du mal à tolérer que les femmes participent avec des responsabilités réelles à la direction des affaires du pays. Inutile de rappeler ici les mésaventures survenues à chacune des signataires de cet appel. Les lecteurs, et davantage les lectrices, les ont en mémoire.

« Ni rire ni pleurer, mais comprendre », disait Spinoza. Alors comprendre pour transformer un état de fait aussi injuste que nuisible.

Pour que les résistances soient aussi fortes contre l'admission des Françaises en politique, c'est qu'il y a là, dans notre histoire et notre culture civiques, quelque chose de plus enraciné qu'un simple préjugé et qui dépasse les bonnes, ou moins bonnes, volontés. D'autant, et c'est là ce qui nous conforte dans notre démarche, que nous avons rencontré des hommes aux plus hautes fonctions qui, conscients de cette situation, scandaleusement inégale, ont voulu, pas simplement pour des motifs d'opportunité, rééquilibrer la représentation du pays. À travers nous, c'était bien évidemment l'ensemble des Françaises qui voyaient leur place et leur rôle ainsi reconnus, en même temps qu'étaient sollicitées leurs compétences, qui, en politique, avaient été très longtemps cantonnées au salon ou à l'alcôve.

Mais il faut bien constater que ce souci d'équité demeure encore le fait du prince, sans que les partis politiques aient relayé cette volonté. Si les femmes sont en effet citoyennes à l'égal des hommes par leur nombre dans l'électorat et le niveau de leur participation aux scrutins, cette parité ne se retrouve pas, loin s'en faut, dans la proportion d'élus. Cinquante ans après l'instauration du droit de vote des femmes en France, seulement 5 % d'entre elles sont sénateurs ou maires, 6 % députés ou conseillers généraux. Le scrutin proportionnel améliore sensiblement la représentation féminine, avec 12 % des conseillers régionaux et 30 % des parlementaires européens.

Parmi 20 grands pays développés d'Europe et d'Amérique du Nord, le nôtre est bon dernier pour la représentation des femmes au Parlement, loin derrière les États scandinaves, l'Allemagne, l'Espagne. Si bien que, dans l'Union européenne, la France est la lanterne rouge pour la proportion de femmes élues.

Ce n'est pas tout. Seuls 6 % des postes «laissés à la discrétion du gouvernement» sont occupés par des femmes: 2,6 % des préfets, 2 % des ambassadeurs, 5,5 % des directeurs d'administration centrale. Sans parler des directions d'entreprises ou d'établissements publics. Cependant, l'accès des femmes aux grands corps de la fonction publique ne cesse de progresser à la sortie de l'ENA.

Si des raisons historiques, comme un droit de vote relativement tardif ou la loi salique, peuvent expliquer une telle situation, c'est ailleurs, selon nous, qu'il convient d'en rechercher les véritables causes. Et en France, au commencement, il y a toujours notre héritage républicain. C'est lui qu'il faut interroger en premier, car là, comme pour d'autres questions posées par la société contemporaine, cet héritage appelle des solutions autant qu'il fait lui-même problème. Qu'on nous entende bien. « Liberté, Égalité, Fraternité », la devise républicaine, essence de notre pacte national, aurait plutôt pour nous, dans tous ses termes, un goût de pas assez. Il s'agit uniquement de repérer l'origine de cette résistance typiquement française à intégrer les femmes dans le système de représentation et d'action politiques, et plus généralement de sélection des «élites». C'est essentiel pour notre devenir, car par son rôle, qui demeure grand, l'État est à la fois acteur de premier plan et référence, sinon exemple, pour tous les autres secteurs de la société.

Cet échec de la participation des femmes à la vie et aux responsabilités publiques provient d'une tradition plongeant ses racines dans un jacobinisme désormais hors de saison. Noyau de notre culture républicaine, pas toujours démocratique, le jacobinisme a d'abord et surtout été une affaire d'hommes. Pratiquement et symboliquement. Centralisateur et hiérarchique, donneur de leçons et arrogant autant qu'éducateur, rhétorique et rationaliste jusqu'à l'abstraction chimérique, le jacobinisme est en quelque sorte un concentré de qualités viriles, comme seule une époque baignant dans une Antiquité imaginaire pouvait les fantasmer. La relation aux autres tels qu'ils sont, la sensibilité, le concret, le souci du quotidien étaient ainsi rejetés du champ politique. Et les femmes avec. Des personnages aussi prégnants dans notre imaginaire républicain que le maire, l'instituteur, le soldat ou le juge étaient des figures essentiellement masculines. De ce panthéon les femmes étaient absentes.

Plus près de nous, cette centralisation jacobine a été renforcée, sous la V e République, par des rapports étroits entre la haute administration et la sphère politique. Les fonctions de représentation et d'exécution sont accaparées par un groupe dirigeant, petit en nombre, extrêmement homogène par la formation reçue dans les grandes écoles, et une insertion précoce dans les grands corps de l'État et les cabinets ministériels. Stable dans sa composition et peu perméable dans son accès, ce groupe dirigeant constitue une « aristocratie démocratique » sous couvert d'élite républicaine.

Il est grand temps d'en finir avec ces stéréotypes et ces blocages, en féminisant la République. Le regard des femmes, leur expérience, leur culture manquent cruellement au moment de l'élaboration des lois.

Après les grandes avancées juridiques des années 70 et 80, il est évident que le mouvement vers l'égalité marque le pas, quand il n'y a pas régression. Et la crise aidant, les femmes sont apparemment plus silencieuses sur leurs revendications « spécifiques ». Pourtant, elles ne sont pas dupes. Elles savent ou pressentent qu'elles sont les premières touchées par les licenciements et le chômage, total ou partiel, et que les écarts de salaires persistent, sans parler de l'accès aux postes de décision. Dommage pour les femmes ! Pas seulement. Dommage pour l'ensemble de la société française, dommage pour sa capacité à réussir la grande transformation dans laquelle elle est engagée.

En quelques années, le monde a plus changé que durant un demi-siècle. Quelles sont en effet les nouvelles sources de richesse, de bien-être et finalement de puissance ? L'information et sa circulation, le savoir et sa diffusion, la relation sous ses formes interindividuelles ou collectives. Comment ne pas voir que dans ces trois domaines les femmes, en raison de leur identité et de leur histoire, sont aussi bien - quand ce n'est pas mieux - placées que les hommes pour relever les défis qui s'annoncent ? Quand la force physique ne compte plus, sauf sur les rings, quand l'organisation hiérarchique est périmée, quand la rationalité linéaire et abstraite ne peut plus rendre compte de la complexité d'un monde de plus en plus interdépendant, quand, enfin, la concertation et le débat sont désormais indispensables à la formation des décisions collectives, comme l'a montré le mouvement social de la fin de l'an dernier, il est certainement temps de changer nos conceptions du pouvoir et la clef de sa répartition entre hommes et femmes. Les Français seront-ils dans le monde postindustriel les derniers à en prendre conscience ?

Débattre, éduquer, convaincre, inciter ne suffisent plus pour modifier une situation qui perdure malgré les bonnes volontés. Pour atteindre à l'égalité effective des hommes et des femmes à tous les échelons et dans tous les secteurs de la société française, il faut que le politique donne l'exemple. Et pour cela le temps de la contrainte, fût-il transitoire, est arrivé.

Une pratique renouvelée du pouvoir et de la démocratie ne sera possible que soutenue par une volonté et une pression politique sans faille. L'objectif est d'arriver, par étapes, à la parité. Pour y parvenir, voici les mesures que nous proposons :

1 - Une politique volontariste des partis, du gouvernement et des associations féminines conjugués. Les pays nordiques montrent l'efficacité de cette attitude. Quand il le faut, ils n'hésitent pas à utiliser les quotas. Sans cet aiguillon, il y aura toujours de bonnes raisons de ne rien faire. L'adoption d'un scrutin proportionnel, même partiel pour les législatives, renforcerait cette obligation de quotas. En tout état de cause, il faudrait atteindre le seuil significatif du tiers des élus de chaque assemblée concernée.

2 - Limitation drastique du cumul des mandats et des fonctions, pour un meilleur partage et exercice du pouvoir. Cette limitation permettra de dégager plusieurs milliers de sièges.

3 - Financement des partis politiques en fonction du respect de la parité de leurs instances dirigeantes et de leurs élus.

4 - Nomination volontaire à des postes de responsabilité qui dépendent de l'État et du gouvernement, en se fondant sur un principe de parité.

5 - Adoption d'une législation sur le sexisme comparable à celle sur le racisme, permettant aux associations de droits de l'homme et de la femme ainsi qu'aux individus d'ester en justice civilement ou pénalement.

6 - Et s'il faut modifier la Constitution pour introduire des discriminations positives, nous y sommes favorables, comme l'est, nous en sommes persuadées, la majorité de nos concitoyens.

7 - Alors, sur ce sujet, pourquoi pas un référendum ?


* 1 Les Yvelines.

* 2 Enregistrement réalisé en 2014 par l'équipe de communication du Sénat à l'occasion du colloque « Femmes résistantes » du 27 mai 2014.

* 3 Sénatrice du Bas-Rhin (Les Républicains) depuis 2004, conseillère municipale de Strasbourg et conseillère de la Communauté urbaine de Strasbourg, ancienne maire de Strasbourg.

* 4 Sénatrice du Nord (Communiste républicain et citoyen) depuis 1992, réélue au Sénat en 2001 et en 2011, ancienne ministre, ancienne adjointe au maire de Lille et ancienne vice-présidente de Lille-Métropole Communauté urbaine.

* 5 Agence de l'environnement et de la maîtrise de l'énergie.

* 6 1824-1874, première bachelière de France (a été reçue au baccalauréat en 1861 à Lyon). Elle est également la première licenciée ès lettres, diplôme qu'elle a obtenu en 1872 à une époque où les femmes n'avaient pas le droit de suivre les enseignements de la Sorbonne. Journaliste, elle a publié dans La Presse , L'économiste français et Le droit des femmes . Son ouvrage principal s'intitule La femme pauvre au XIX ème siècle (1866). Elle a milité, entre autres causes, pour le droit de vote des femmes et contre la prostitution.

* 7 Cf. Réjane Sénac, L'égalité sous conditions. Genre, parité, diversité , Paris, Presses de Sciences Po, 2015.

* 8 La ligne des électeurs pour le suffrage des femmes s'honore de la présence d'un ancien ministre, René Viviani (note de Christine Bard).

* 9 Le terme suffragiste est sans jugement de valeur, contrairement à suffragette, dont on se sert pour évoquer les Anglaises, le plus souvent pour s'en moquer (note de Christine Bard).

* 10 Nous pouvons noter des points communs entre les argumentaires de l'entre-deux-guerres et les argumentaires en faveur de la parité à la fin du siècle (note de Christine Bard).

* 11 (1811-1893), député du Finistère, élu sur un programme comportant le soutien à l'égalité entre hommes et femmes. A Paris, il soutient les candidatures féministes.

* 12 (1862-1912), député de la Vendée.

* 13 (1860-1909).

* 14 (1841-1932), député de la Seine, président de la Ligue de l'enseignement et de la Ligue des droits de l'Homme, prix Nobel de la paix.

* 15 (1862-1923, élu député en 1889 puis en 1906 ; il siège à la Chambre jusqu'à 1923.

* 16 (1879-1932), député de 1910 à 1930.

* 17 (1889-1958), député de l'Yonne de 1914 à 1940, président du conseil en 1934-1935.

* 18 (1872-1944), député SFIO de la Seine de 1914 à 1919.

* 19 (1840-1931), élu député du Rhône en 1876 et député des Basses Alpes en 1885 puis en 1910 et jusqu'en 1924.

* 20 (1859-1923), sénateur de l'Ain (Gauche démocratique) de 1908 à sa mort.

* 21 (1861-1958), sénateur du Lot-et-Garonne (Gauche démocratique) de 1920 à 1933.

* 22 (1901-1992), élu député (communiste) en 1937 puis en 1945 et jusqu'en 1968 ; membre de l'Assemblée consultative provisoire d'Alger puis de l'Assemblée constituante.

* 23 Cité par Jean Touchard, La Gauche en France puis 1900, Paris, Le Seuil (« Points », Histoire), 1977, p. 113. (Les notes sont de Mariette Sineau).

* 24 Cet argument est avancé en mars 1944 par le radical Paul Giacobbi, membre de l'Assemblée consultative d'Alger. Celui-ci y déclare : « Il est établi qu'en temps normal les femmes sont déjà plus nombreuses que les hommes. Que sera-ce à un moment où les prisonniers et les déportés ne seront pas encore rentrés. Quels que soient les mérites des femmes, est-il bien indiqué de remplacer le suffrage masculin par le suffrage féminin ? ». Cf l'intervention de Claire Andrieu lors du colloque « Femmes résistantes » organisé au Sénat le 27 mai 2014 dans le cadre de la première commémoration de la Journée nationale de la Résistance. En mars 2011, on compte 52,6 % d'électrices parmi les 43,2 millions d'électeurs inscrits sur les listes, soit un excédent de plus de deux millions de voix.

* 25 Charles d'Aragon est député des 1 ère et 2 ème Assemblées constituantes, puis de la Chambre des députés de 1946 à 1951.

* 26 Suivant le titre d'un article de Maurice Duverger, Nef , n°26 (38), octobre-décembre 1969, pages 22-24.

* 27 Les prévisions optimistes de Georges Bidault se trouvent vérifiées et au-delà : dans la chambre nouvellement élue, le groupe MRP a 158 députés !

* 28 Lors des municipales de 1977, une étude portant sur le dépouillement de listes d'émargement dans des bureaux de vote parisiens montre que le taux d'abstention des femmes comme celui des hommes se situe autour de 30 %. Cf Janine Mossuz-Lavau et Mariette Sineau, « Sociologie de l'abstention dans huit bureaux de vote parisiens », Revue française de science politique 28 (1), février 1978, pages 73-101. Notons que les sondages sont de médiocres outils pour analyser l'abstention, les interviewés ayant du mal à « avouer » qu'ils ne se sont pas rendus aux urnes. En effet, tant dans la culture catholique que républicaine, le vote est considéré comme un droit mais aussi comme un devoir.

* 29 Aujourd'hui, la différence de participation électorale entre femmes et hommes est faible et dépend surtout de l'âge. Avant 40 ans, les femmes votent plus souvent que les hommes ; entre 40 et 80 ans, il n'y a plus de différence ; après 80 ans, les femmes votent moins souvent que les hommes. Le genre influe en revanche sur le taux d'inscription sur les listes électorales (les femmes étant plus souvent inscrites que les hommes, notamment parmi les jeunes). Cf . Xavier Niel et Liliane Lincot, « L'inscription et la participation électorales en 2012 », INSEE Première , n° 1411, septembre 2012, page 1.

* 30 D'après le sondage CSA/Terrafemina réalisé en ligne le jour du vote, le 22 avril 2012, auprès de 5 969 personnes, 18 % des hommes et 18 % des femmes ont voté en faveur de Marine Le Pen ( www.csa.eu ). D'autres sondages laissent voir la persistance d'un écart de faible amplitude sur le vote Marine Le Pen à la présidentielle 2012, mais tous convergent pour constater que le niveau du vote féminin pour la candidate du Front se situe à un niveau élevé. Ajoutons que, lorsqu'on contrôle le vote Marine Le Pen, suivant l'âge, suivant le diplôme ou suivant la pratique religieuse, alors s'efface toute différence selon le genre.

* 31 Dans ce discours, elle annonce qu' « après un long combat », elle a enfin obtenu les cinq cents signatures de « parrains » nécessaires au dépôt de sa candidature à la présidentielle.

* 32 L'enquête de Céline Braconnier et Nona Mayer montre que la sympathie pour Marine Le Pen augmente avec le niveau de précarité ( Les inaudibles. Sociologie politique des précaires , Presses de Sciences Po, 2015).

* 33 Références bibliographiques indiquées par Mariette Sineau :

Janine Mossuz-Lavau et Mariette Sineau, Enquête sur les femmes et la politique en France , Paris, PUF, 1983 .

Réjane Sénac, Maxime Parodi, « Gender gap à la française : recomposition ou dépassement ? », Revue française de science politique , « Élections 2012 », 63 (2), avril 2013, pp. 225-248.

Mariette Sineau, « Effets de genre, effets de génération ? Le vote hommes/femmes à l'élection présidentielle de 2007 », Revue française de science politique , 57 (3), 2007, p. 351-367.

Mariette Sineau, La force du nombre. Femmes et Démocratie présidentielle , La Tour d'Aigues, L'Aube, 2008.

Mariette Sineau, « Vote/comportements politiques », in Catherine Achin et Laure Bereni (dir.), Dictionnaire Genre et Politique : concepts, objets, problèmes , Paris, Presses de Sciences Po, 2013.

* 34 Les femmes britanniques âgées de plus de trente ans ont obtenu le droit de vote en 1918 ; c'est en 1928 que le droit de vote a été étendu en Grande-Bretagne aux femmes dès l'âge de vingt-et-un ans.

* 35 Ce texte est reproduit en annexe au présent volume d'actes.

* 36 À ce jour (septembre 2015), nous n'avons atteint 30 % de femmes ni à l'Assemblée nationale ni au Sénat (note de Mme Yvette Roudy).

* 37 Mme Roudy évoque les dispositions du projet de loi relatif au dialogue social et à l'emploi, alors en discussion (il a été adopté définitivement par l'Assemblée nationale en juillet 2015). La mise en cause du rapport de situation comparée par ce texte était très contestée au moment du colloque.

* 38 Les droits des élu.e.s recouvrent les questions du régime indemnitaire, de la protection sociale, les droits d'absence pour les élu.e .s salarié.e.s, la possibilité de suspension d'une activité professionnelle, accompagnées d'aides au retour à l'emploi, ou encore le droit à la formation ou la prise en charge des frais de garde (note de Danielle Bousquet).

* 39 Le dispositif du « crédit d'heure » constitue un autre exemple attestant de l'inégalité entre les femmes et les hommes. Il vise à permettre aux élu.e.s de « disposer du temps nécessaire à l'administration de leur collectivité » ou des organismes auprès desquels ils la représentent et « à la préparation des réunions des instances où ils siègent ». Ce « crédit d'heures » est forfaitaire et trimestriel. Et la quotité d'heure est réduite en cas de temps partiel, au prorata du volume horaire du contrat de travail de l'élu.e. C'est là que le bât blesse, puisque le temps partiel concerne bien davantage les femmes que les hommes (note de D. Bousquet).

* 40 Ainsi que le Sénat français (note de la délégation aux droits des femmes).

* 41 Publié dans L'Express du 6 juin 1996.

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