Rapport d'information n° 728 (2015-2016) de M. Henri de RAINCOURT et Mme Hélène CONWAY-MOURET , fait au nom de la commission des affaires étrangères, de la défense et des forces armées, déposé le 29 juin 2016

Disponible au format PDF (1,5 Moctet)


N° 728

SÉNAT

SESSION ORDINAIRE DE 2015-2016

Enregistré à la Présidence du Sénat le 29 juin 2016

RAPPORT D'INFORMATION

FAIT

au nom de la commission des affaires étrangères, de la défense et des forces armées (1) sur l' aide publique au développement au Sahel ,

Par M. Henri de RAINCOURT et Mme Hélène CONWAY-MOURET,

Sénateurs.

(1) Cette commission est composée de : M. Jean-Pierre Raffarin , président ; MM. Christian Cambon, Daniel Reiner, Jacques Gautier, Mmes Nathalie Goulet, Josette Durrieu, Michelle Demessine, MM. Xavier Pintat, Gilbert Roger, Robert Hue, Mme Leila Aïchi , vice-présidents ; M. André Trillard, Mmes Hélène Conway-Mouret, Joëlle Garriaud-Maylam, MM. Joël Guerriau, Alain Néri , secrétaires ; MM. Michel Billout, Jean-Marie Bockel, Michel Boutant, Jean-Pierre Cantegrit, Bernard Cazeau, Pierre Charon, Robert del Picchia, Jean-Paul Emorine, Philippe Esnol, Hubert Falco, Bernard Fournier, Jean-Paul Fournier, Jacques Gillot, Mme Éliane Giraud, MM. Gaëtan Gorce, Alain Gournac, Mme Sylvie Goy-Chavent, MM. Jean-Pierre Grand, Jean-Noël Guérini, Claude Haut, Mme Gisèle Jourda, M. Alain Joyandet, Mme Christiane Kammermann, M. Antoine Karam, Mme Bariza Khiari, MM. Robert Laufoaulu, Jacques Legendre, Jeanny Lorgeoux, Claude Malhuret, Jean-Pierre Masseret, Rachel Mazuir, Christian Namy, Claude Nougein, Philippe Paul, Mme Marie-Françoise Perol-Dumont, MM. Cédric Perrin, Yves Pozzo di Borgo, Henri de Raincourt, Alex Türk, Raymond Vall, Bernard Vera .

AVANT-PROPOS

Mesdames, Messieurs

Au centre des attentions depuis quelques années, le Sahel ou la région saharo-sahélienne est cet immense espace bordé par le Maghreb au Nord et par la zone équatoriale du Golfe de Guinée au Sud, qui échappe en partie à une définition géographique classique en termes de territoires et de frontières. Parcouru de routes et de pistes, le nord de cet espace, en grande partie désert, s'organise en effet en réseaux mettant en relations des groupes de population aux jonctions de ces axes de communication, tandis qu'au sud des zones plus denses sont en plein essor démographique et affrontent tous les défis de la modernité urbaine.

La région possède de réels atouts : un potentiel agricole, certes encore insuffisamment exploité, un pastoralisme très développé, des richesses naturelles abondantes, des réseaux transsahariens qui pourraient permettre l'émergence de flux commerciaux conférant au Sahel un rôle central en Afrique de l'Ouest, et surtout des jeunes femmes et des jeunes hommes de plus en plus conscients de leurs forces et de leurs droits.

Pourtant, confrontés à cette situation géographique et humaine singulière mais aussi à une montée de l'insécurité due aux trafics puis à l'émergence de groupes terroristes qui ont su mettre à profit la logique de réseaux et de mobilité dominante au nord de la région, les États de la région et les acteurs de l'aide au développement ont les plus grandes difficultés à valoriser ces atouts.

En particulier, la France, en contradiction avec une volonté affichée de rompre avec un passé interventionniste, se retrouve paradoxalement à consacrer de plus en plus de moyens budgétaires à des interventions militaires pour résoudre des crises qu'elle n'a pas été en mesure de prévenir, tandis que les moyens qu'elle consacre à l'aide au développement diminuent progressivement.

C'est cette dynamique qu'il s'agit aujourd'hui d'inverser.

La crise politique et militaire traversée par le Mali, pays que l'on croyait solidement ancré sur une trajectoire de démocratisation, de décentralisation et de mise en oeuvre de l'aide au développement, a accéléré la prise de conscience de cet enjeu essentiel que représente la lutte contre les facteurs de déstabilisation du Sahel et de la nécessité d'y consacrer des moyens significatifs, ainsi que l'impératif d'une meilleure efficacité de l'aide au développement.

Le présent rapport entend s'appuyer sur cette prise de conscience, désormais partagée par une grande partie de la communauté internationale, pour proposer à la fois un regard sans complaisance sur le bilan de notre aide et des orientations pour contribuer à relancer le développement du Sahel.

I. LE SAHEL, UNE RÉGION CONFRONTÉE À D'IMMENSES DÉFIS

Parmi tous les défis que les pays du Sahel doivent relever pour se développer et améliorer les conditions de vie de leurs populations, quatre constituent des priorités absolues. Ces quatre priorités sont fortement interdépendantes et appellent donc une action conjointe.

Premier défi, cette région du monde n'a pas encore commencé la deuxième phase de sa transition démographique, celle qui se caractérise par une diminution de la natalité, alors même que la mortalité a déjà fortement diminué. Il en résulte un taux d'accroissement naturel de la population que la plupart des spécialistes considèrent comme incompatible avec le développement (A).

En second lieu, malgré de bons résultats dans la période récente, le développement et la croissance économique des pays du Sahel sont très insuffisants. Au rythme actuel et compte tenu du point de départ très bas, il leur faudrait des décennies pour atteindre une richesse par habitant comparable à celle des pays développés (B).

En troisième lieu, cette région est profondément affectée par les désordres dus à de nombreux conflits d'une part, à des trafics d'autre part. Ces phénomènes ruinent régulièrement les efforts de développement accomplis (C).

Enfin, la mauvaise gouvernance et la corruption continuent à jouer contre les peuples et à leur donner le sentiment que quelles que soient les actions mises en oeuvre, elles ne bénéficieront pas à l'ensemble de la société (D) .

A. UNE IMPASSE DÉMOGRAPHIQUE ?

Les pays sahéliens se trouvent dans une situation démographique unique à l'échelle de la planète. Cette situation, incompatible avec le développement de la région, laisse les bailleurs de l'aide publique au développement en grande partie désemparés.

1. L'absence de transition démographique
a) Un accroissement naturel très élevé

Les pays du Sahel (Mali, Niger, Tchad) connaissant les taux de croissance démographique les plus élevés au monde, entre 3,3 % pour le Mali et 3,9 % pour le Niger en 2014. De tels taux signifient que la population des pays concernés doublera d'ici 2030, quel que soit le scénario d'évolution de la fécondité . Selon la baisse plus ou moins rapide de celle-ci, la population pourrait être multipliée par près de 3 d'ici 2050. La population malienne atteindrait ainsi entre 44 et 49 millions d'habitants à cette échéance.

Les pays du Sahel sont en effet parmi les seuls au monde à ne pas avoir véritablement entamé la deuxième partie de leur transition démographique : alors que les indicateurs liés à la mortalité sont tous en repli, les indicateurs liés à la natalité et à la fécondité restent très élevés. Ainsi, alors que, depuis 1950, la mortalité juvénile (entre 0 et 5 ans) a été divisée par trois au Sud du Sahara, passant de 30 % à 10 %, les taux de fécondité sont les plus élevés au monde : 7,8 enfants par femme au Niger (record mondial), 6,4 au Mali - sans qu'une diminution significative soit actuellement observable .

Cette permanence d'un taux de fécondité élevé s'explique par un ensemble de facteurs culturels et anthropologiques liés aux caractéristiques de la famille (souvent polygame) et de la condition de la femme au sein de celle-ci. Les femmes sont en effet souvent mariées jeunes et sans avoir reçu d'éducation. En outre, en période d'insécurité alimentaire, les mariages précoces permettent de se séparer plus vite d'une bouche à nourrir.

Ainsi, le nombre d'enfants désirés reste très élevé. Selon une étude de 2010, dans 18 pays africains sur 26, le nombre idéal d'enfants déclaré par les femmes mariées était en moyenne supérieur à 5 et dans deux cas, supérieur à 8. Le record est détenu par le Tchad (13,7 enfants). La famille nombreuse est notamment souhaitée parce qu'elle représente une source de richesse, les enfants pouvant aider aux champs, garder le bétail et, plus tard, trouver de petits travaux en ville.

En outre, dans 20 pays d'Afrique subsaharienne, plus de la moitié des femmes entre 20 et 25 ans étaient mariées avant 20 ans . L'élévation de l'âge lors de la première union est très lente, voire inexistante selon les pays. Le Niger, le Mali et le Burkina Faso sont en tête des pays d'Afrique où se pratiquent le plus de mariages forcés et précoces. Ainsi, une femme sur deux se marie avant ses 18 ans au Burkina Faso.

Toutefois, la situation des femmes et des filles sahéliennes s'améliore lentement. Par exemple, au Mali, le taux de prévalence contraceptive des femmes en union est passé de 6,9 % en 2006 à 15,1 % en 2015 ; le mariage avant 15 ans, de 25 % à 16 % et le nombre d'enfants par femme de 6,7 à 6.

b) Des besoins en contrôle des naissances non couverts

Les moyens de contraception restent peu répandus. Alors que, en 2013, 63 % des femmes de 15-49 ans vivant en couple dans le monde utilisaient une méthode de contraception, et 57 % une méthode moderne, les proportions tombaient à 25 % et 20 % pour l'Afrique subsaharienne, et plus bas encore au Tchad, en Guinée et au Mali (autour de 10 %).

Au Mali, 16 % des femmes souhaiteraient avoir le moyen de contrôler leurs grossesses, sans que cela soit possible pour une grande partie d'entre elles.

Par ailleurs, toutes les administrations d'Afrique occidentale déclarent souhaiter une baisse de la fécondité , ce qui tarde à être suivi d'effet, car comme il ressort des discussions que vos rapporteurs ont pu avoir avec des décideurs politiques, ceux-ci considèrent encore largement que la croissance rapide de la population est un facteur de prospérité dans la mesure où elle contribue à l'expansion des marchés et à la puissance des pays.

c) Des effets complexes sur les migrations

Cet accroissement démographique particulièrement marqué a comme conséquence l'amplification des phénomènes migratoires, en premier lieu sous-régionaux, c'est-à-dire du Sahel vers les pays côtiers ouest-africains et le Maghreb.

De fait, l'Afrique de l'Ouest est la première région d'accueil des migrations en Afrique . Elle abriterait ainsi 7,5 millions de migrants, originaires pour la plupart d'un autre pays ouest-africain, soit près de 3 % de la population régionale. Ce taux, en hausse depuis 1990, est supérieur à la moyenne africaine (2 %) et dépasse largement celui de l'Union européenne (0,5 %). Il témoigne par ailleurs du dynamisme des relations sociales entre communautés nationales et diasporas et d'une intégration régionale effective « par le bas ».

Ce dynamisme migratoire est par ailleurs favorisé par l'intégration régionale : au début de l'année 2008, les chefs d'État et de gouvernement de la Communauté économique des États de l'Afrique de l'Ouest (CEDEAO) ont adopté une approche commune sur la migration, prolongeant l'esprit du Traité fondateur de la CEDEAO qui, dès 1975, a posé la liberté de circuler comme l'un de ses principes généraux.

La migration peut également être forcée. Au début de 2015, on comptait 2,8 millions de personnes déplacées au Sahel fuyant les conflits du nord Mali et dans le bassin du Lac Tchad et se déplaçant vers des provinces déjà sous pression comme la province de Diffa au Niger.

En outre, les migrations massives vers les pays côtiers ont pu avoir comme conséquence des réactions de xénophobie, ainsi les troubles de 2010-2011 qui ont provoqué le retour au pays de 210 000 Nigériens depuis la Libye et la Côte d'Ivoire.

Ces migrations viennent absorber une partie de l'accroissement naturel de la population des pays du Sahel. Les autorités maliennes estiment à 4 millions leurs ressortissants de l'extérieur, dont une centaine de milliers résidant en France (entre 80 000 et 120 000 personnes selon les estimations). Cette émigration génère d'ailleurs un apport financier contribuant considérablement à l'économie du pays : la balance des paiements du Mali montre que les transferts de l'étranger représentent 200 milliards de FCFA. Ils ont quadruplé en 10 ans, devenant supérieurs aux flux d'APD. Malgré leur proportion relativement plus faible en France, les Maliens sont ainsi des acteurs économiques essentiels pour leur pays puisqu'ils alimenteraient, selon la Banque africaine de développement, près des deux tiers de ces flux.

En comparaison de cette migration régionale, l'Europe reste pour le moment une option de second rang pour les migrants subsahariens , comme l'a souligné lors de son audition Karim Ben Cheïkh, chercheur associé au centre d'analyse, de prévision et de stratégie du Quai d'Orsay. Sur les 21 millions de migrants originaires d'Afrique subsaharienne recensés dans le monde, 14 millions, soit 75 %, étaient installés dans un autre pays d'Afrique subsaharienne en 2013. Parmi les 113 millions de migrants présents dans les pays de l'OCDE, seule une fraction est pour le moment originaire d'Afrique subsaharienne. Ceux-ci ne représentent en 2012 que 6 % des flux migratoires vers les pays de l'OCDE, et 5 % du stock de migrants qui y vivent. À titre de comparaison, 41 % des émigrés viennent d'un autre pays de l'OCDE et 18 % d'Asie.

Toutefois, entre 2000 et 2010, le nombre de migrants originaires d'Afrique subsaharienne dans les pays de l'OCDE a augmenté fortement (+75 % contre +40 % en moyenne au niveau mondial). Par ailleurs, l'explosion démographique des pays du Sahel risque de provoquer un accroissement important des migrations dans les décennies à venir et même de faibles pourcentages représenteront des effectifs significatifs pour les pays d'accueil.

Ainsi, à l'horizon 2050, les jeunes d'Afrique subsaharienne pourraient représenter près de 390 millions d'individus , soit 30 % des 15-24 ans au niveau mondial. En l'absence d'opportunités suffisantes d'éducation et d'emploi, une partie significative d'entre eux pourrait émigrer.

Enfin, selon les travaux qui ont été réalisés sur cette question, l'effet du développement sur les migrations connaît deux phases. À court terme, il permet à davantage d'individus de disposer des moyens de réaliser leur projet migratoire, et favorise donc l'émigration. À long terme en revanche, à partir d'un certain niveau de richesse, le développement conduit à une baisse de l'émigration.

2. Un développement entravé
a) L'absence d'exemple de pays ayant réussi à se développer sans maîtrise de l'accroissement naturel - la théorie du dividende démographique

Dans leur plaidoyer actuel pour la maîtrise de la croissance démographique, l'ONU, et en particulier le FNUAP, fondent leur argumentation sur la théorie du « dividende démographique ».

La théorie du dividende démographie appliquée au Sahel

Le dividende démographique se définit comme « l'avantage économique tiré d'une proportion relativement importante de personnes en âge de travailler au sein de la population, qui bénéficient d'investissements en faveur de leur autonomisation, de leur formation et de l'emploi » (Nathalie Bougnoux ERS/RED-AFD). Il y a dividende démographique lorsque le nombre de personnes en âge de travailler augmente tandis que le nombre d'enfants de moins de 15 ans diminue. Dans ce cas, le ratio de dépendance (c'est-à-dire de personnes à charge pour 100 personnes en âge de travailler) diminue. Cette modification découle de la transition démographique au cours de laquelle un pays passe d'une natalité ou fécondité et une mortalité élevées à une natalité ou fécondité et une mortalité basses.

Ainsi, le fait que les pays du Sahel conservent des taux de natalité et de fécondité très élevés les empêche de bénéficier du dividende démographique .

Le Mali par exemple, dont la part de la population de moins de 15 ans représente 46,6 % de la population, connaît un taux de dépendance de 102 %. Un tel taux nécessite des investissements considérables afin de faire face à l'arrivée des nouveaux enfants : infrastructures sanitaires, scolaires, énergétiques etc. On estime par exemple qu'entre 2005 et 2035, les dépenses totales pour l'éducation et la santé au Mali seront multipliées au moins par 8 (en cas de déclin rapide du taux de fertilité) et probablement par 11 (en cas de déclin faible du taux de fertilité) . Ainsi, les bénéfices de la croissance économique vont être absorbés par les investissements rendus nécessaires par l'accroissement permanent de la population.

L'argumentaire fondé sur la théorie du dividende démographique, pour être convaincant intellectuellement, suppose toutefois une adhésion au concept et une capacité d'une projection à long terme difficile pour des autorités politiques obnubilées par les problèmes du quotidien.

b) Employer tous les jeunes : mission impossible ?

La croissance démographique fait que plusieurs centaines de milliers de jeunes rentrent sur le marché du travail chaque année, en particulier au Niger et au Mali. Ainsi, au Mali, le nombre d'entrants sur le marché du travail (15-24 ans) va doubler d'ici 2030. La croissance économique, si elle reste au niveau actuel, ne permettra pas de leur offrir des perspectives professionnelles.

Serge Michailof prend ainsi l'exemple du Niger : « les emplois industriels dans le secteur manufacturier (si l'on met à part le secteur minier et pétrolier) ne représentent que 4 000 postes, chiffre à comparer avec les effectifs de la cohorte annuelle de jeunes arrivant sur le marché de l'emploi, qui est actuellement de 243 000. Les jeunes sont donc chassés des campagnes par la raréfaction des terres, leur perte de fertilité et le manque de rentabilité de l'agriculture. Mais ils ont infiniment plus de chances de venir grossir les rangs des désoeuvrés abonnés aux petits boulots dans les bidonvilles que de décrocher des emplois qualifiés. (...) Une importante fraction des jeunes urbains africains est constituée de ceux qu'on appelle les ni-ni-ni : ni en emploi, ni en recherche d'emploi, ni en formation 1 ( * ) ».

3. La relative impuissance des bailleurs internationaux
a) Un sujet difficile à aborder directement

Du fait des conceptions culturelles des populations et des dirigeants du Sahel sur le sujet de la natalité, les bailleurs internationaux, jusqu'à aujourd'hui, sont restés assez prudents sur les questions de planning familial. Par ailleurs, comme on l'a vu, l'efficacité de l'approche actuelle par la théorie du dividende démographique reste encore à prouver.

En conséquence, nombre de bailleurs, dont la France, ont privilégié des approches par le biais de la protection de la santé maternelle et infantile .

Ces approches rappellent ainsi que des naissances rapprochées ne favorisent pas la bonne santé des enfants, le planning familial étant présenté comme une mesure essentielle pour protéger la vie de l'enfant. La notion repoussoir pour ces populations de limitation des naissances laisse place à celle, plus neutre, d'espacement des naissances.

De fait, malgré quelques améliorations au cours des années 2000 , le Mali affiche des indicateurs sanitaires liés à la santé de la mère et de l'enfant parmi les plus faibles au monde . Ainsi, le taux de mortalité infantile varie entre 104 et 169,2 pour 1 000 naissances à l'échelle du pays, et le taux de mortalité maternelle oscille entre 363,6 et 540 pour 100 000 naissances vivantes. Outre des problèmes d'accès et de qualité des soins, ces forts taux de mortalité peuvent également s'expliquer par le faible espacement des naissances.

Il convient de noter que l'AFD, dans son nouveau plan d'action pour le Sahel (2015-2020), a enfin placé la démographie au premier rang de ses priorités.

Toutefois, encore une fois, l'agence n'a prévu d'intervenir que de manière indirecte 2 ( * ) , par le biais des questions de santé et en appui à des initiatives portées par des ONG. La réalisation d'actions plus directes est subordonnée à deux conditions qui ne sont pas remplies actuellement : disposer de moyens financiers en subventions plus importants ; parvenir à mettre en place un dialogue franc avec les gouvernements des pays concernés sur ces questions.

b) Travailler avec la société civile

Diffuser l'usage de la contraception au sein des populations africaines n'est cependant pas impossible, comme l'ont amplement montré les pays du Maghreb, l'Afrique du Sud, le Ghana ou le Kenya.

Néanmoins, les programmes portés par les organismes internationaux sans tenir compte des spécificités locales ont montré leurs limites . Une plus grande implication des responsables politiques ou religieux est nécessaire. Il n'est pas indispensable pour cela qu'ils agissent eux-mêmes, mais il est nécessaire qu'ils acceptent de laisser les relais privés ou associatifs agir.

Par ailleurs, un des meilleurs leviers reste la mobilisation directe des femmes et le soutien aux initiatives portées par des femmes . Toutefois, cette mobilisation est en partie tributaire d'une élévation du niveau d'éducation des filles. Or, en Afrique de l'Ouest par exemple, en 2010, environ 46 % des femmes de 20 à 39 ans n'ont reçu aucune éducation (contre 31 % des hommes).

B. UN DÉVELOPPEMENT ÉCONOMIQUE ENCORE TROP LENT POUR ABSORBER LA CROISSANCE DÉMOGRAPHIQUE

Les pays africains et les pays du Sahel en particulier ont connu au cours des dernières années une croissance économique souvent supérieure à 5 % par an . Un tel taux de croissance, enviable pour les pays européens, doit cependant être mis en regard d'un taux de croissance de la population qui dépasse souvent 3 %. En outre, beaucoup d'analystes estiment qu'il s'agit d'une croissance économique « sans profondeur » , c'est-à-dire limitée à certains secteurs, qui ne parvient pas à « tirer » le développement des pays et se traduit par un sous-emploi massif. La majorité des emplois se trouve ainsi cantonnée dans une agriculture peu productive et dans le secteur informel des grandes villes.

1. Des points forts insuffisamment mis en valeur : matières premières et agriculture
a) Des ressources minières importantes qui ne se traduisent pas par un surcroît de richesse

Le Sahel dispose de richesses minières insuffisamment exploitées . Ces richesses sont d'ailleurs convoitées par les acteurs de l'économie mondiale, en particulier asiatiques (Chine, Corée du Sud, Japon), à tel point qu'on a pu forger l'expression de « Chinafrique ». Le Mali en particulier est le troisième producteur d'or en Afrique après l'Afrique du Sud et le Ghana.

Au Mali comme au Niger, la plupart des gisements probables (gaz, pétrole, uranium) sont situés au nord du pays. De ce fait, la question du contrôle de l'exploitation future de ces richesses interfère avec les questions de sécurité.

Malgré la présence de ces richesses, il a été dûment démontré que le lien entre les ressources minières et le niveau de richesse globale d'un pays est très faible . Il n'est qu'à citer le cas du Niger, 2 ème ou 3 ème pays producteur d'uranium et dernier au classement de l'IDH.

Les ressources pétrolières et minières du sous-sol sahélien

Dans une note du Club du Sahel et de l'Afrique de l'Ouest de l'OCDE 3 ( * ) , les richesses du sous-sol sahélien sont ainsi décrites : « L'arc sahélien est riche en ressources : après le sel et l'or, pétrole et gaz, fer, phosphate, cuivre, étain et uranium sont autant de richesses nourrissant les convoitises de puissances désirant s'en assurer le contrôle. Le Sahel s'érige ainsi en « hub énergétique » de plus en plus convoité par les grandes puissances. »

Ressources pétrolières et gazières au Sahel et en Afrique de l'Ouest
(source : Club Sahel de l'OCDE)

Ressources minières au Sahel et en Afrique de l'Ouest

b) Une agriculture déstructurée

Paradoxalement, l'agriculture, installée autour des fleuves temporaires ou de grands fleuves comme le Niger, de l'économie d'oasis et autour de l'élevage migrant, est un autre point fort théorique de plusieurs sous-régions du Sahel.

Pour l'ensemble du Sahel, l'agriculture emploie 70 % de la population active et compte pour 30 % du PIB. Au Mali, l'agriculture emploie 80 % de la population active et représente 40 % du PIB. L'agriculture est essentiellement vivrière, mais aussi exportatrice avec le coton et l'arachide .

À cet égard, il convient de noter que les femmes représentent la majorité des petits fermiers. Elles sont souvent à la tête de leur foyer, les hommes ayant émigré vers la ville. Elles sont alors, de par leurs activités agricoles, un élément essentiel de la survie des populations rurales. Elles se heurtent cependant à des contraintes très fortes pour accéder aux capacités productives et aux services de vulgarisation agricoles fournies dans la région. Selon la FAO (Food and agricultural organisation), si les femmes recevaient le même accès aux ressources productives que les hommes, la productivité agricole en Afrique subsaharienne pourrait augmenter de 20 %. Il serait donc utile de soutenir des évolutions législatives destinées à favoriser l'accès des femmes au foncier, au crédit et plus largement aux opportunités de développement économique.

En outre, les pays du Sahel disposent de vastes cheptels, une dizaine de millions de têtes au Mali, au Niger, en Mauritanie, au Tchad, et de bonnes conditions pour l'élevage.

Toutefois, l'agriculture a été fortement déstructurée par la croissance démographique, les sécheresses successives, l'insécurité et l'incurie de certains gouvernements . Le potentiel agricole du Mali est désormais sous-exploité, les périmètres irrigués étant très inférieurs à ce qu'ils pourraient être. Quant à l'élevage, il ne peut se développer faute d'abattoirs et de chaîne du froid alors même qu'il pourrait alimenter massivement les pays du Maghreb.

Par ailleurs, la région du Sahel est toujours importatrice nette de produits alimentaires et est encore frappée régulièrement par l'insécurité alimentaire , qui concernait plus de 20 millions de personnes en 2015, dont plus de 4 millions avaient besoin d'une aide alimentaire d'urgence.

Paradoxalement, les objectifs du millénaire pour le développement (OMD) n'ont pas mis l'accent sur l'agriculture alors même que sa revitalisation et son développement sont indispensables à l'emploi des centaines de milliers de jeunes qui arrivent désormais chaque année sur le marché du travail du fait de la croissance démographique.

Selon Serge Michaïlof, entendu par vos rapporteurs, relancer cette agriculture et en développer les potentialités exportatrices est possible mais suppose une multitude d'actions coordonnées et un investissement financier massif .

2. Une industrie en retard et un développement des nouvelles technologies insuffisamment créateur d'emplois

Malgré certains discours optimistes, les progrès africains dans le domaine de l'industrie sont très lents . Depuis les indépendances, la part de l'industrie dans le PIB est ainsi restée inférieure à 10 %. L'emploi manufacturier reste très limité et ne permet pas d'absorber la forte croissance de la population active, contrairement à ce qui s'est produit dans les pays développés au 19 ème et au 20 ème siècle. Les jeunes qui gagnent les villes alimentent quasi-exclusivement le secteur informel, où, par définition, il ne peut exister que des micro-entreprises qui ne suffisent pas à constituer un véritable tissu économique susceptible de constituer le fondement d'une croissance plus forte.

Les causes de cette situation sont multiples : mauvais environnement des affaires, concurrence entre plusieurs sources de droit au sein d'un même pays, instabilité politique et corruption. Les pays du Sahel souffrent également d'une énergie chère et d'infrastructures de transports mal entretenues, notamment à cause de l'insécurité. En outre, malgré quelques progrès en matière d'intégration régionale (en particulier grâce à l'Union économique et monétaire Ouest-africaine, UEMOA), les marchés sont toujours trop étroits pour écouler une production plus importante.

Malgré ces handicaps, il est vrai que certains pays africains, tels que l'Éthiopie, ont réussi dans la période récente à construire une industrie et à s'insérer dans les fameuses « chaînes de valeur » de la mondialisation. Mais les obstacles qui se dressent dans les pays du Sahel semblent pour l'heure toujours dirimants, à commencer par un budget insuffisant pour lancer les projets d'infrastructure indispensable à tout décollage industriel.

Enfin, le développement du secteur des technologies de l'information et de la communication, bien que prometteur, ne semble pas devoir aller de pair avec une forte dynamique de création d'emplois.

3. Au Mali, une situation dégradée

Au début de l'année 2016, en matière économique et financière, la situation malienne restait fragile, avec des conséquences possibles sur la situation sociale.

L'économie du pays reste très dépendante de l'exploitation de ses ressources naturelles, qui ne lui permettent d'ailleurs pas d'assurer l'équilibre de ses échanges. Malgré quelques progrès, la situation budgétaire souffre toujours d'absence de réforme fiscale de fond , les réformes économiques structurelles n'avancent pas assez vite, les indices de bonne gouvernance se dégradent déjà et influent sur le climat des affaires, les effets de la croissance ne se font pas sentir en termes de pouvoir d'achat des ménages et de développement pour les populations .

En outre, le tourisme a subi de plein fouet la crise de 2012-2013 et continue à souffrir d'une insécurité qui se traduit par le dissuasif classement en « zone rouge » de la plus grande partie du centre et du nord du pays par le ministère des affaires étrangères et du développement international. Le pays Dogon, en particulier, est très affecté par cette situation qui prive une partie importante de la population des ressources auparavant liées au tourisme et incite certains jeunes à rejoindre des groupes armés ou à pratiquer la contrebande d'oeuvres d'arts. Certains représentants de la société civile rencontrés à Bamako par vos rapporteurs plaident d'ailleurs pour le rétablissement encadré d'une offre touristique à destination de la « classe moyenne » malienne avec une sécurisation d'un corridor Bamako-pays Dogon.

C. UNE RÉGION MARQUÉE PAR UNE CONFLICTUALITÉ COMPLEXE ET PAR LES TRAFICS

Au Sahel et plus largement en Afrique de l'Ouest, des insurrections d'ampleur modérée et des actes de violence commis par des acteurs non-étatiques ont peu à peu pris la place des conflits de plus grande envergure et des guerres intra-étatiques qui ont suivi la fin de la colonisation puis de la guerre froide. Parallèlement, les violences électorales se sont intensifiées au fur et à mesure de la progression de la démocratie en raison de la défaillance des mécanismes de partage du pouvoir après les élections.

Les facteurs de violence sont nombreux et imbriqués : différences religieuses, ethniques ou culturelles toujours fortes, sentiments d'injustice et de marginalisation économique croissants d'une partie de la population, trafic de drogue, montée de l'extrémisme religieux et terrorisme. Enfin, les conflits liés à la rareté des ressources naturelles pourraient devenir plus fréquents du fait des changements climatiques.

1. Des conflits nombreux et complexes
a) Les conflits « ethniques » ou identitaires hérités du passé

Les conflits ethniques ou identitaires, hérités de la colonisation et d'un tracé des frontières des États ne tenant pas compte de certaines réalités économiques traditionnelles telles que les parcours de transhumance du bétail, persistent encore aujourd'hui au Sahel.

Si les troubles avec le peuple Diola en Sierra Léone, le conflit de la Casamance, les conflits entre certains groupes au sein de la Mauritanie ou du Nigéria constituent des exemples de tels conflits hérités du passé, celui qui a suscité le plus de flambées de violences résulte de la marginalisation économique et politique du peuple Touareg au sein des espaces du Sahara et du Sahel.

Le compromis nigérien sur la question touarègue : un exemple à suivre ?

La Niger compte 1,8 million de Touaregs et le Mali 800 000 (auxquels il faut ajouter environ 250 000 personnes en Algérie et en Libye et quelques dizaines de milliers au Burkina Faso), traditionnellement regroupés en huit confédérations centrées sur des territoires de nomadisation.

Le manque d'accès des Touaregs aux services sociaux de base, les difficultés environnementales extrêmes rencontrées dans le nord du Sahel et l'affaiblissement des modes pré-étatiques de règlement des conflits ont conduit à des soulèvements au Mali à l'indépendance en 1963, puis en 1995, en 2006, en 2009 et en 2012-2013. Ces mouvements sont parfois synchronisés avec des rébellions semblables au Niger.

La situation des deux pays est cependant très différente. En effet, le Niger est parvenu à négocier une solution politique avec les Touaregs contrairement à son voisin malien .

Cette négociation a débuté dès 1995 et s'est traduite par une décentralisation assortie d'une répartition des ressources issues de l'exploitation minière et industrielle, l'intégration de rebelles dans l'armée, la gendarmerie, la police, la douane et les administrations. Si une flambée de violence frappe néanmoins le Niger en 2007, un compromis est négocié par le colonel Kadhafi et les cadres de la rébellion sont progressivement intégrés aux instances dirigeantes du Mali : en 2011 le Premier ministre, le numéro deux de l'armée et un conseiller du chef de l'Etat sont des Touaregs et ceux-ci occupent également des fonctions électives dans les nouvelles collectivités locales. Faute peut-être de ressources minières suffisantes et du fait d'une minorité Touareg moins importante au sein de la population totale, le Mali n'a pas su construire un tel compromis.

b) Des coups d'Etat militaires fréquents

Au cours des dix dernières années, quatre coups d'Etat ont eu lieu au Sahel : deux en Mauritanie en 2005 et 2008, un au Niger en 2010 et un au Mali en 2012, avec des conséquences variables.

Les coups d'Etat militaires sont très fréquents en Mauritanie depuis 40 ans, l'armée demeurant toujours l'acteur dominant des régimes. Le président élu en 2007 à la suite d'un coup d'Etat a lui-même été renversé en 2008 par un coup d'Etat organisé par le chef de la garde présidentielle, Mahames Ould Abdel Aziz, qui a ensuite remporté les élections présidentielles de 2009 et a été reconnu par la communauté internationale.

De même, au Niger, le président Mamadou Tandja a été renversé par un coup d'Etat après avoir tenté de changer la constitution pour rester au pouvoir. A suivi un Gouvernement de transition qui a organisé les élections présidentielles d'avril 2011 remportées par Mahamadou Issoufou, réélu le 20 mars 2016 avec 92,51 % des voix.

c) Les mouvements de contestation économique et politique

Les pays sahéliens n'ont pas connu dans la période récente de mouvements comparables à ceux du « printemps arabe » . Néanmoins, ils connaissent des changements sociaux et politiques importants qui conduisent à des contestations sociales et politiques réclamant essentiellement davantage de transparence, de justice et de démocratie. Le Sahel a également connu en 2010 des émeutes de la faim dues à une forte hausse des prix des denrées alimentaires.

Par ailleurs, les disparités régionales et le sentiment de marginalisation ressenti par certains groupes sociaux établis dans des zones défavorisées est souvent à l'origine de conflits violents, les inégalités économiques et politiques se combinant avec les différences culturelles pour démultiplier leurs effets. Ainsi, le phénomène de division conflictuelle entre les zones du sud ou du littoral plus riches et des zones septentrionales plus pauvres et enclavées se retrouve aussi bien en Côte d'Ivoire qu'au Mali, au Niger et au Burkina Faso. À cet égard, des politiques de développement bien menées sont susceptibles de réduire la probabilité que ces écarts inter-régionaux aboutissent à des conflits violents, comme on peut l'observer au Ghana.

d) Des conflits liés à la rareté des ressources de plus en plus nombreux

Comme l'a souligné lors de son audition Olivier Ray, responsable de la cellule « Crise et conflits » de l'AFD, la majorité des conflits en Afrique sont d'origine foncière, du fait, d'une part, d'une incertitude sur le corpus juridique applicable, d'autre part, de la défaillance de la gestion du cadastre, régulièrement soulignée par les interlocuteurs rencontrés par la mission au Mali.

La question cruciale de la sécurisation de l'accès au foncier au Mali

Le Mali, comme ses voisins d'Afrique de l'Ouest, a conservé le principe de domanialité hérité de l'époque coloniale : toutes les terres non immatriculées au nom de particuliers (seuls 5 % des terres sont immatriculées, essentiellement en zone urbaine), relèvent du domaine privé de l'État. Cela a trois conséquences : les droits coutumiers auxquels se réfèrent les sociétés rurales ne sont pas reconnus et a fortiori pas sécurisés, l'État peut octroyer des titres ou baux emphytéotiques sans recours possible, il n'y a pas eu de transfert de patrimoine foncier aux collectivités locales dans le cadre de la décentralisation.

Le Mali est ainsi en retard par rapport à des pays qui ont reconnu les droits coutumiers et mettent en oeuvre les réformes nécessaires (Bénin, Burkina Faso, Niger, Madagascar). La croissance démographique, le développement de l'activité économique agricole ou pastorale et les contraintes et aléas climatiques exercent une pression accrue sur la terre. Elle se traduit ainsi par le développement de tensions et de situations de conflits entre usagers (agriculteurs/éleveurs, exploitations familiales/éleveurs/ investissements agricoles à grande échelle).

Ces conflits du quotidien, susceptibles de dégénérer en violences graves lorsque des armes circulent en grand nombre, prennent en particulier la forme d'affrontements entre les populations pastorales et agricoles dans le nord et le centre du pays . Bien qu'ancien, ce type de conflits semble en accroissement du fait de la pression démographique croissante et de la dégradation progressive des conditions climatiques. Ces phénomènes conduisent en effet à un accroissement des migrations régionales des populations pastorales vers le sud à la recherche de moyens de subsistance. Ils constituent une préoccupation importante pour les agences de développement dans la mesure où ils peuvent aboutir à la destruction d'ouvrages agricoles financés par l'aide.

e) Les conflits liés au déficit d'intégration de la jeunesse

Selon un rapport conjoint de l'AFD et de la Banque mondiale 4 ( * ) , les jeunes ont joué depuis l'indépendance un rôle central dans la majorité des conflits et des violences qui se sont produits en Afrique de l'Ouest, dont les rebellions touarègues au Niger et au Mali.

Le ressentiment de ces jeunes contre la corruption des États et leur incapacité à offrir des perspectives économiques, un sentiment de frustration et d'exclusion et une grande défiance envers les générations précédentes seraient à l'origine de ce phénomène. Ces facteurs faciliteraient le recrutement des jeunes hommes par des groupes armés, des réseaux extrémistes, des milices politiques et des groupes rebelles. Dès lors, l'augmentation rapide du nombre de jeunes due à l'accroissement naturel très élevé serait susceptible de conduire à davantage de violence dans la région sahélienne. Certaines analyses nuancent toutefois ce point de vue en se fondant sur des travaux montrant que le recrutement des djihadistes dans la période récente s'effectuerait aussi en grande partie auprès d'adultes éduqués de la classe moyenne ou supérieure 5 ( * ) .

f) Les conflits liés aux groupes terroristes

La violence liée à la radicalisation de certains groupes dans le nord du Sahel a généré une violence considérable à partir de 2010 en Afrique de l'Ouest. Selon l'ACLED ( Armed conflict Location & event data project ), sur l'ensemble du continent, la part de la violence politique liée à l'islamisme est passée de 5 % en 1997 à 14 % en 2012, cette prévalence étant sans doute encore nettement plus élevée si l'on ne tient compte que de l'Afrique de l'Ouest. Si le Nigéria est le pays le plus durement touché en raison de la présence de Boko Haram, les groupes armés de tendance islamistes mènent des actions violentes au Niger, en Mauritanie, au Burkina Faso et au Sénégal, ainsi, bien entendu, qu'au Niger.

2. Des trafics qui fragilisent les États
a) Une grande variété de trafics

L'analyse des trafics a progressivement pris une place de premier rang, aux côtés de celles des groupes terroristes, dans la recherche des causes de l'effondrement malien en 2012 et plus largement des difficultés rencontrées par les pays du Sahel pour se développer , tant leurs effets sont puissants et profonds sur les États et sur les sociétés.

Les trafics sont très anciens sur les pistes reliant l'Afrique du Nord à l'Afrique sub-saharienne. Ils sont également très divers, du trafic transfrontalier des denrées alimentaires subventionnées qui, indispensable à la vie quotidienne de ses habitants, bénéficie à des régions entières, au trafic de cocaïne capté par des groupes armés, en passant par celui des armes légères et de l'essence.

Le trafic transsaharien constitue ainsi la plus grande part du commerce entre l'Afrique sub-saharienne et l'Afrique du nord, se substituant à un commerce légal peu développé et réalisant de facto l'intégration de ces régions déshéritées dans l'économie mondiale.

Du trafic de produits alimentaires au trafic de drogue

Les trafics résultent d'abord des différences de prix entre produits de part et d'autre des frontières. Les produits alimentaires et l'essence subventionnés en Algérie sont ainsi acheminés vers le nord de la Mauritanie, le nord-est du Mali et, de manière moins importante, vers le Niger.

Ce trafic est souvent connu et toléré par les États sans la mesure où sa répression appauvrirait considérablement certaines populations, incapables d'acquérir ces produits aux tarifs pratiqués à l'intérieur du pays. Le trafic de produits alimentaires algériens dans le nord-est du Mali est à ce point développé qu'il constitue pour l'Algérie un moyen de pression politique sur les Touaregs.

Selon l'Atlas du Sahara-Sahel de l'OCDE, les volumes de produits commercés entre l'Algérie et le Mali représentent un volume hebdomadaire de 4 640 tonnes soit 180 camions par semaine en 2011, avant de baisser à 40 camions par semaine en 2014 à la suite de la crise. Selon le même schéma, la Libye fournit des produits alimentaires subventionnés au Niger et au Tchad.

Outre l'essence et les produits alimentaires, il existe un important trafic d'armes légères du fait du grand nombre de conflits ayant eu lieu dans la région au cours des dernières décennies au Sahara occidental, au Libéria et en Sierra Léone, en Casamance, en Algérie, Au Niger et au Mali, etc. En outre, des armes des armées régulières sont récupérées par les groupes armés.

Enfin, la crise libyenne a conduit à la dispersion d'arsenaux libyens contenant non seulement des armes légères mais aussi des armes lourdes, en particulier vers le Mali, comme le prouve l'interception en 2011 de convois à destination de ce pays au Niger et en Algérie. Des soldats Touaregs de l'armée libyenne sont également rentrés au Mali en emportant leurs armes, tandis qu'AQMI s'approvisionne sur le marché libyen et stocke des armes dans l'Adrar des Ifoghas (200 tonnes d'armement et de munitions ainsi qu'une vingtaine de tonnes de nitrate d'ammonium, retrouvés par les soldats de l'opération Serval en 2013).

Le trafic de cigarettes représenterait 10 % de la production mondiale et vise avant tout des marchés protégés par des taxations protectionnistes (Algérie, Maroc ou Libye) et les pays où le tabac cher résulte de politiques de santé publiques (Europe). La plupart des cigarettes sont fabriquées en Asie, débarquées dans le golfe de Guinée avant de remonter à travers le Sahel et le Sahara vers le Maghreb puis à un moindre degré vers l'Europe. L'une des routes passe par Madama au Niger, où le commerce de réexportation des cigarettes est légal et taxé, vers la Libye ; une autre passe par Gao, Kidal puis l'Algérie, tandis que la Mauritanie constitue un véritable « hub » de trafic vers le Maghreb. Selon l'Atlas du Sahara-Sahel de l'OCDE, le trafic de cigarettes a décliné après 2005 du fait d'une ouverture du marché du tabac algérien. En outre, une partie du déclin est également imputable au développement de l'insécurité au Sahel.

Le trafic de cocaïne , qui résulte d'une réorientation de la drogue colombienne vers le marché européen, s'est développé très rapidement depuis 2005 d'abord en Afrique de l'Ouest puis au Sahel. L'ampleur de ce trafic ainsi que le degré probable de corruption du Mali ont été révélés par l'affaire du Boeing qui s'était écrasé près de Gao en 2009 après avoir délivré une cargaison de drogue, événement qui n'avait pas fait l'objet de commentaires de la part des autorités maliennes alors qu'il révélait l'ampleur du trafic.

Enfin, le haschisch est également acheminé depuis le Maroc vers d'autres pays du Maghreb en passant par le nord des pays sahéliens, constituant ainsi le principal stupéfiant transitant dans le nord de la Mauritanie et le nord du Mali.

b) Des effets déstabilisateurs majeurs

Se représenter les espaces du nord des pays sahéliens comme des zones totalement exemptes de contrôle étatique et où toute gouvernance est organisée par les acteurs du trafic de drogue ou d'armes serait sans doute très exagéré. Comme le souligne Julien Brachet, chercheur à l'institut de recherche sur le développement (IRD), « au Sahel et au Sahara, les États sont bel et bien présents et contrôlent la grande majorité de leurs territoires à travers leurs agents, même si ces derniers font souvent autre chose que ce que les institutions internationales attendent d'eux (...) aucun commerçant, migrant ou simple voyageur ne dira que les douaniers, les policiers, les gendarmes et autres militaires n'y sont pas visibles et très actifs, quitte à ce que leurs activités soient peu en adéquation avec leurs missions officielles, voire totalement illégales (corruption, racket, trafics marchands). 6 ( * ) ».

Ainsi, les trafics ne doivent pas être considérés comme une nuisance cantonnée à la marge des États, dans des zones « hors de contrôle », « zones grises » où personne hormis les trafiquants et les terroristes ne saurait ce qui se passe réellement. Ils s'insèrent plutôt dans les configurations de pouvoir ; des acteurs institutionnels en tirent des bénéfices et en tiennent compte dans leur gestion des territoires.

Certains acteurs du pouvoir central instrumentalisent ainsi les trafics, ce qui a nécessairement des effets sur la gouvernance du pays tout entier.

Plusieurs des personnes entendues par vos rapporteurs ont ainsi souligné que le régime d'Amadou Toumani Touré n'était pas seulement, comme il est désormais reconnu, laxiste sur la question des trafics dans le nord-Mali, mais qu'il instrumentalisait aussi certains groupes, en leur donnant accès à des rentes de trafics dont il avait le contrôle, pour contrebalancer la montée en puissance des groupes touarègues hostiles. En outre, certains estiment possible que l'argent de la drogue et des autres trafics fût utilisé pour le financement des campagnes électorales.

Tolérés voire utilisés par le pouvoir malien, les trafics ont ainsi été à court terme un instrument de stabilisation du nord Mali, qui s'est cependant révélé catastrophique à plus long term e. Comme l'indique Danièle Rousselier, alors attachée culturelle à l'ambassade de France, à propos de l'affaire du Boeing déjà citée : « En novembre 2009, les autorités maliennes ont tenté de camoufler l'incendie en plein désert, près de Gao, d'un Boeing 727 transportant six tonnes de cocaïne «évaporée» dans les sables. L'affaire du Boeing «Air Cocaïne» a révélé ouvertement à la fois que le paisible Mali était bien devenu le carrefour du trafic de drogue en Afrique et, plus grave, que les trafiquants avaient bénéficié de complicités dans l'administration et dans l'armée au plus haut niveau 7 ( * ) ».

Enfin, le trafic de drogue financerait en partie les groupes armés rebelles et salafistes, en particulier le MUJAO. Avec les rançons, les trafics auraient ainsi permis aux groupes terroristes d'accumuler des richesses suffisantes pour être en mesure de lancer une offensive vers le sud du mali.

3. Groupes armés et groupes « terroristes »
a) Le continuum entre les divers groupes armés

L'ensemble des personnes entendues par vos rapporteurs ont souligné la porosité entre les groupes dits « signataires », car ayant signé l'accord d'Alger, et les autres groupes armés non signataires, dont les groupes terroristes (AQMI, MUJAO puis Al Morabitoune, Ansar Dine, le Front de libération du Macyna, etc.).

Ainsi, d'un point de vue idéologique, la notion de « djihadisme » n'est pas précisément définie et il est parfois difficile de cerner ce phénomène et le distinguer clairement des trafics et du banditisme.

Selon l'ancien diplomate Laurent Bigot, il faudrait même aller plus loin : la qualification de terrorisme constituerait un label imprudemment donné à des groupes essentiellement crapuleux ou mafieux du Sahel, qui, initialement, ont un agenda économique, voire politique, mais en aucun cas terroriste. Ce n'est que dans un second temps qu'ils profiteraient de la focalisation médiatique sur le terrorisme en ajoutant les actions terroristes à leur répertoire.

Cette question rejoint celle de la « sincérité » ou non de l'engagement salafiste et djihadiste, qui ne peut recevoir de réponse simple tant la nature de cet engagement peut varier entre les membres de l'organisation, du cynisme le plus absolu 8 ( * ) à un véritable fanatisme religieux.

Ce flou idéologique se combine à des appartenances à géométrie variable . Les individus sont ainsi susceptibles de changer d'allégeance et de passer d'un groupe considéré comme terroriste à un « simple » groupe armé et vice-versa, en restant en permanence en relation avec la population des villes et des villages. Ainsi, lorsque des soldats de la force Barkhane ont effectué des arrestations à la suite de l'attentat qui a coûté la vie à trois soldats français en avril 2016, des protestations se sont élevées parmi certains notables locaux contre le caractère « arbitraire » de ces arrestations qui touchaient parfois des membres bien intégrés des communautés.

b) Une insécurité qui ne régresse pas au Mali et qui s'étend même à de nouvelles régions

La situation sécuritaire au Sahel et en particulier au Mali n'a pas connu d'amélioration notable au cours de l'année 2015 et de la première moitié de l'année 2016. Si les responsables entendus par vos rapporteurs, notamment les militaires français membres de Barkhane ou d'EUTM, considèrent toujours que les groupes terroristes n'ont pas récupéré leur capacité de mener des actions d'envergure, en revanche les attaques de moindre ampleur et les attentats se poursuivent.

L'insécurité persiste ainsi dans le nord du Mali et s'étend dans le centre voire le sud du pays .

Au début de l'année 2015, le centre du Mali a vu l'apparition d'un nouveau mouvement terroriste composé de combattants Peuls, le Front de libération du Macina. Ce groupe, qui serait soutenu financièrement par Ansar Dine, est à l'origine de nombreuses attaques visant les forces de sécurité malienne et de l'attaque contre l'hôtel Byblos de Sévaré dans la région de Mopti, qui a fait 5 morts parmi des personnels contractants de la MINUSMA.

Le groupe terroriste Al Mourabitoune de l'Algérien Mokhtar Belmokhtar, affilié à AQMI, a par ailleurs frappé l'hôtel Radisson de Bamako le 20 novembre 2015, assassinant 20 personnes. D'autres attaques ont eu lieu depuis lors, frappant le quartier général de la mission EUTM ou des camps de la MINUSMA. Trois soldats français de Barkhane ont été tués le 13 avril par une mine, portant à sept le nombre de soldats français tués depuis le début de l'opération.

Enfin, dans un pays voisin, trente militaires nigériens et deux soldats nigérians ont été tués au début de juin 2016 lors d'une attaque lancée par le groupe islamiste nigérian Boko Haram à Bosso, une localité du Niger proche de la frontière avec le Nigeria.

La crise malienne de 2012-2013 : un conflit multifactoriel

Des causes multiples

On retrouve d'abord dans le conflit malien la dimension « ethnique » ou culturelle . Le Mali est en effet divisé en son centre par une limite virtuelle séparant les ensembles ethniques subsaharien au sud (90 % de la population, elle-même composée de plusieurs dizaines de groupes ethniques ou linguistiques) et arabo-berbère au nord.

Dans cette dernière zone, les régions de Tombouctou, qui compte environ 675 000 habitants, et celle de Gao (542 000 habitants) sont elles-mêmes majoritairement peuplées de Sub-sahariens (Songhaï, Peul, Dogon, Bozo, Somono) tandis que la région de Kidal, créée en 1991 pour englober l'Adrar des Ifoghas et ne comptant que 68 000 habitants, est majoritairement touarègue.

Par ailleurs, 80 % à 90 % de la population du nord est concentrée sur 1 % du territoire, soit une bande de part et d'autre du fleuve Niger, le reste du territoire étant quasiment désert. Dans la mesure où le MNLA, qui prétendait représenter l'ensemble des trois régions du nord et exigeait leur indépendance, n'était pas soutenu par une majorité de la population ni même par l'ensemble des Touaregs, des milices d'autres ethnies se sont créées pour le combattre. Le caractère ethnique du conflit est ainsi plutôt une conséquence qu'une cause du conflit.

Quant à la dimension religieuse du conflit, elle consiste en une opposition au sein de la religion musulmane entre les tenants du rite malékite, qui intègre des éléments d'animisme et se caractérise par sa tolérance, et ceux du rite hanbalite, plus puritain et auquel adhèrent deux courants très proches, le wahhabisme et le salafisme, qui prônent une lecture littérale du Coran et s'opposent à toute influence occidentale.

Le groupe Al-Qaida au Maghreb islamique (AQMI) et des autres groupes islamistes, qui s'inscrivent dans cette tendance wahhabite ou salafiste en la radicalisant, se sont installés au nord du Mali à partir de l'Algérie au début des années 2000. Par ailleurs, la continuité entre groupes terroristes et groupes de trafiquants a joué à plein dans le cas du nord Mali .

En outre, le facteur « inégalités territoriales » a également joué un rôle majeur, le MNLA invoquant l'abandon du nord par l'Etat malien, en particulier l'absence d'investissement public. Toutefois, plusieurs éléments contribuent à nuancer la vision d'un nord-Mali laissé pour compte des politiques nationales et des politiques d'aide au développement (cf. ci-dessous le bilan de l'aide au développement au nord Mali). De plus, il semblerait que les principaux acteurs du conflit de 2012 n'aient pas été parmi les plus marginalisés mais qu'ils bénéficiaient depuis plusieurs années de connexions avec AQMI et de leur participation aux trafics transfrontaliers.

Le rôle déclencheur de la crise libyenne

La guerre civile libyenne suscite une fuite massive des populations immigrées du pays, notamment plusieurs centaines de milliers de Tchadiens, de Nigériens et de Maliens, parmi lesquels des membres des forces de sécurité de Kadhafi, qui emportent avec eux des armes. Ils participent à la création du MNLA au Mali en 2011. Des convois d'armes sont alors organisés depuis des villes de Libye vers le Mali, ce qui permet au MNLA de déclencher la crise.

L'offensive du Nord et l'intervention de l'armée française

Le 14 janvier 2012, le mouvement national de libération de l'Azawad (MNLA) des Touaregs, alors allié à Ansar Eddine et à certains groupes armés djihadistes (GAD) implantés dans la zone, lance une offensive depuis l'Adrar des Ifoghas vers le sud du Mali (Ménaka, Tessalit, Aguelhok, Léré), puis proclame le 6 mars 2012 l' « indépendance » du Nord-Mali. Il contrôle rapidement les régions de Gao, Tombouctou et Kidal. Toutefois, les groupes armés djihadistes (Al-Qaida au Maghreb islamique (AQMI), le Mouvement pour l'unicité et la justice en Afrique de l'Ouest (MUJAO) et Ansar Dine) affrontent et battent le MNLA, prenant le contrôle des grandes villes et des territoires du Nord et y imposant la charia.

Le 15 octobre 2012, peu après la réunion des Nations unies sur le Sahel où la France avait souligné l'urgence de la menace terroriste au Nord-Mali, le Conseil de sécurité des Nations unies a adopté, sous chapitre VII de la Charte des Nations unies, la résolution 2071 , présentée par la France et coparrainée par l'Allemagne, l'Inde et le Royaume-Uni, ainsi que par les trois membres africains du Conseil de sécurité (Afrique du Sud, Maroc, Togo).

Cette résolution appelait les autorités maliennes à engager un dialogue politique avec les groupes rebelles maliens ainsi qu'avec les représentants de la population locale du nord du pays afin de préserver la souveraineté de l'Etat et l'intégrité du territoire malien et de lutter contre le terrorisme international.

Tandis que le Président de la République française proposait aux organisations africaines un soutien pour la préparation d'une force militaire africaine, la MISMA, le 10 décembre 2012, les 27 ministres des affaires étrangères de l'Union européenne approuvaient la mise en oeuvre de la mission « European union training mission Mali » (EUTM Mali) visant à « améliorer les capacités militaires et l'efficacité des forces armées maliennes afin de permettre, sous autorité civile, le rétablissement de l'intégralité territoriale du pays », la France s'étant déclarée volontaire pour assumer le rôle de Nation-cadre de cette mission.

La crise s'est toutefois accélérée au début du mois de janvier 2013. Des groupes armés terroristes se sont en effet mis en mouvement vers le sud du Mali, faisant craindre une extension de leur territoire à la plus grande partie du pays et une déstabilisation de la transition politique en cours à Bamako. Les mesures internationales de formation et de défense (EUTM Mali et la MISMA) risquaient également d'être compromises par cette progression.

À la suite d'une demande d'aide formulée le 10 janvier 2013 par le Président du Mali, adressée à la France et au Conseil de sécurité des Nations unies, et au titre de l'article 51 de la Charte des Nations unies relatif à la légitime défense, la France a engagé, avec le soutien de huit pays (Allemagne, Belgique, Canada, Danemark, Grande-Bretagne, Espagne, États-Unis et Pays-Bas) une intervention militaire, l'opération « Serval ».

La première phase de l'opération Serval a permis de stopper l'offensive des groupes armés djihadistes (GAD) vers le sud. Lors de la deuxième phase, les plateformes aéroportuaires du nord du Mali de Gao, Tombouctou, Kidal et Tessalit ont été successivement reprises aux GAD, ce qui a permis aux forces françaises de reprendre le contrôle du nord du pays. La troisième phase a consisté à neutraliser les GAD et à récupérer leurs matériels dans leur sanctuaire du Nord, au sein de l'Adrar des Ifoghas. Enfin, un transfert progressif de la mission aux partenaires maliens de la France ainsi qu'aux forces de l'ONU (mission multidimensionnelle intégrée des Nations unies pour la stabilisation au Mali, MINUSMA) a été opéré.

L'opération Serval a été un succès. Les groupes armés terroristes ont effectivement été profondément atteints dans leurs forces vives, des milliers de tonnes de matériels et de munition (200 tonnes d'armement et de munitions ainsi qu'une vingtaine de tonnes de nitrate d'ammonium) ayant été récupérés et des bases d'entraînement détruites. Les menaces à court terme pour le Sud du Mali ont été supprimées.

D. LE FLÉAU DE LA MAUVAISE GOUVERNANCE

La mauvaise gouvernance et la corruption sont toujours évoquées parmi les causes de mal-développement mais parfois de manière quelque peu formelle.

Pourtant, l'effondrement du Mali en 2012-2013 serait en grande partie dû à ces phénomènes. Inversement, la capacité à mettre en oeuvre l'accord d'Alger de 2015 et à poursuivre la décentralisation constituent un « test » du retour du Mali à une bonne gouvernance.

1. Mauvaise gouvernance et corruption : une réalité à ne pas relativiser, aux conséquences importantes

Le fait même que la majorité des pays du Sahel souffre d'un niveau élevé de corruption est largement reconnu. En revanche, l'importance conférée à ce phénomène complexe est très variable.

En effet, d'une part, il est parfois difficile d'évoquer ce sujet avec les interlocuteurs des pays partenaires. Dénoncée par Danièle Rousselier dans l'article précité qui évoque la « fiction de démocratie » du Mali d'Amadi Toumani Touré ou, devant vos rapporteurs, par Laurent Bigot, cette réticence à évoquer la mauvaise gouvernance et la corruption pourrait toutefois devenir un mauvais calcul alors que la société civile de certains États de la région monte en puissance et fait de la lutte contre ces phénomènes un de ses principaux combats.

D'autre part, les partenaires techniques et financiers des États du Sahel, s'ils font du renforcement de la gouvernance une de leurs priorités, minimisent parfois ces problèmes afin de pouvoir continuer à fournir, conformément à leur mission, des financements en prêts ou en dons. Encore une fois, le Mali est paradigmatique : considéré dans les années 1990 comme le bon élève de la démocratisation, de la décentralisation et du développement, il constituait pour la France et pour les bailleurs une « vitrine » de leur politique qu'il était difficile de remettre en question.

a) Au Mali : la responsabilité de la mauvaise gouvernance dans l'effondrement du pays

L'effondrement du Mali fait l'objet de deux grands types d'explications. Tandis que la première, plus commune, met l'accent sur les causes sécuritaires et en particulier sur le développement du terrorisme et des trafics, la seconde, tout en reconnaissant ces phénomènes, souligne davantage le rôle de la mauvaise gouvernance et de la corruption comme causes principales de la catastrophe .

Cette mauvaise gouvernance aurait rendu tout effort de développement du nord Mali illusoire. Le pouvoir malien, loin de chercher à renforcer le contrôle étatique du nord en y développant une administration efficace, en y faisant progresser la décentralisation et en mettant en place une armée loyale et bien formée, se serait appuyé sur certaines tribus touareg, en particulier les Imghad, vassales des Ifoghas, et sur des tribus arabes de Tombouctou et de Gao, pour administrer le nord du pays. Après la crise libyenne, cette stratégie s'est avérée perdante du fait du retour de Touaregs maliens des Ifoghas qui se sont engagés dans le MNLA et dans Ansar Dine.

Plus largement, la différence de gestion de la question touareg au Mali et au Niger a déjà été soulignée. Les Touaregs maliens ont été insuffisamment intégrés au sein de l'Etat et des pouvoirs, ce qui a favorisé leur révolte.

Enfin, outre la collusion de l'Etat avec certains groupes au détriment des autres, le comportement de l'armée malienne a également joué un rôle dans la dynamique qui a conduit une partie de la population à « lâcher » le gouvernement de Bamako au profit des groupes armés. Comme l'a affirmé Laurent Bigot lors de son audition « les djihadistes ont certes fait vivre un enfer aux populations du nord, mais c`était déjà l'enfer avant les djihadistes ». Selon certains interlocuteurs de vos rapporteurs, en 2012-2013, le MUJAO et Ansar Dine étaient ainsi mieux acceptés par la population que l'Etat malien ou les Touaregs. Lors de leur audition, l'amiral Gillier, directeur général de la coopération de sécurité et de défense, et Serge Michaïlof ont également souligné la déliquescence avancée de cette armée malienne où la position hiérarchique avait très peu à voir avec le mérite et les compétences.

Incapable de lutter contre les djihadistes en 2012-2013, cette armée était crainte par une population qu'il est désormais très difficile de convaincre qu'elle est redevenue exemplaire. À cet égard, les quelques phrases inscrites sur des affiches à l'intérieur des locaux de la mission EUTM, dans lesquels vos rapporteurs se sont rendus lors de leur déplacement à Bamako, ne dessinent-elles pas en creux les caractéristiques de l'armée d'avant 2014 : « le soldat malien, maître de sa force, respectueux de son adversaire, soucieux d'épargner les populations »...

Au total, comme l'affirment Boubou Cissé, économiste à la Banque mondiale, Joseph Brunet-Jailly, économiste et Gilles Holder, anthropologue entendu par vos rapporteurs, la crise est largement due au fait que « l'Etat s'est montré si obstinément prédateur que la population ne le supportait plus, et ceci aussi bien au Sud qu'au Nord 9 ( * ) ».

b) Une soif de justice qui alimente mouvements citoyens et mouvements confessionnels
(1) Une soif de justice

Les personnes entendues par votre rapporteur ayant des contacts réguliers avec la société civile des pays du Sahel ont souligné l'exaspération d'une partie croissante de la population, en particulier parmi la jeunesse qui constitue la grande majorité de celle-ci, devant la mauvaise gouvernance et plus largement, l'arbitraire et l'injustice qui caractérisent l'action de certaines autorités dans les pays du Sahel.

En outre, la représentation politique est accaparée par les générations précédentes de sorte que la jeunesse a le sentiment de ne pas pouvoir exprimer ses besoins en la matière : « la participation au système politique formel ne constitue plus pour eux un moyen d'exprimer leurs besoins, leurs aspirations, leurs revendications 10 ( * ) ». Durant les quatre législatures qui se sont succédées entre 1992 et le putsch de 2012, la part de députés maliens de moins de 40 ans n'a cessé de baisser, passant de 21 % à 10 % entre la première et la dernière législature, alors même que la proportion des jeunes dans la population augmentait 11 ( * ) .

Ainsi, la justice et la lutte contre l'impunité constitueraient la première demande des populations , avant l'éducation ou la prospérité économique. L'absence de mécanismes permettant de trancher les différends et d'obtenir satisfaction face aux abus de l'administration ou de l'armée a ainsi eu des conséquences très graves puisque l'application de la charia par les groupes djihadistes a pu être ressentie comme la réintroduction d'une forme de justice que l'Etat n'assurait plus.

De même, selon une étude de l'AFD, « le désir le plus clairement exprimé par les jeunes nigériens est celui (...) d'une gestion plus transparente (...) par l'État, notamment pour éliminer les facteurs dits «subjectifs». Ces facteurs sont par exemple les relations familiales, le favoritisme (le réseau PAC «Parents, Amis, Connaissance») ainsi que la corruption ».

Enfin, la lutte contre l'impunité passe également par une amélioration de la prise en compte des droits des femmes au sein des processus de justice et de réconciliation, celles-ci étant très nombreuses à être victimes de violences sexuelles lors des conflits.

(2) Les mouvements citoyens montent en puissance

Une partie de cette aspiration à la justice se traduit par la montée en puissance des divers mouvements citoyens , à des degrés cependant très divers selon les pays. Depuis 2010, à la faveur, notamment, du développement des réseaux sociaux et d'une urbanisation qui efface progressivement les appartenances traditionnelles, l'Afrique francophone a vu apparaître nombre de ces mouvements : « Ça suffit comme ça » au Gabon, « Y'en a marre » au Sénégal, le « Balai Citoyen » au Burkina Faso, Filimbi (sifflet en Swahili) et Lucha (Lutte pour le changement) en République démocratique du Congo, et « SOFAS » (du nom des anciens guerriers de Samory Touré, grand résistant à la colonisation de l'Afrique de l'ouest) au Mali.

Ces mouvements s'inspirent en partie des printemps arabes et leurs revendications concernent principalement la cherté de la vie, l'amélioration des conditions de vie et les enjeux de la gouvernance. Ils ont fortement contribué aux manifestations de rue qui ont provoqué le départ d'Abdoulaye Wade au Sénégal en 2012 et la chute du gouvernement de Blaise Compaoré au Burkina Faso en 2015.

La mobilisation ponctuelle des jeunes dans l'espace public à travers ces mouvements citoyens a lieu sur un fonds permanent d'échanges et de contestations à travers des médias comme les radios, de rencontre autour de la musique (dans plusieurs pays, des rappeurs jouent ainsi un rôle important dans les mouvements citoyens) et dans des lieux de sociabilité informelle.

S'ils sont le plus souvent soucieux de légitimité juridique et défenseurs de la Constitution contre les pratiques des autorités politiques non conformes à celle-ci, les mouvements citoyens partagent néanmoins avec certains mouvements religieux une forme de « radicalité » en ce sens qu'ils contestent la légitimité de dirigeants politiques élus et peuvent chercher à les renverser.

Par ailleurs, les femmes ont également investi les organisations de la société civile afin de contourner l'exclusion de l'espace politique dont, à l'instar des jeunes, elles font l'objet.

(3) Les mouvements confessionnels sont également très présents

Les auditions menées par vos rapporteurs témoignent de la difficulté que rencontrent les autorités publiques et les partenaires techniques et financiers de l'aide au développement à appréhender les mouvements religieux actuels au Sahel .

Ainsi, l'évocation de la « wahhabisation » des musulmans sahéliens, en particulier au Mali et au Niger, sous l'influence d'idées et de financements en provenance du Golfe, constitue un passage obligé de l'analyse des menaces pesant sur le Sahel, menaces qui se sont concrétisées lors de la prise de contrôle de la rébellion par les islamistes au Mali en 2013.

Selon cette analyse, cette mutation de l'Islam en Afrique de l'Ouest serait récente et se serait produite malgré et contre l'Islam traditionnel soufi, réputé pour sa tolérance, teinté d'animisme et que l'on disait naguère rempart infranchissable contre les versions rigoristes et fondamentalistes de l'Islam.

Or, il semblerait que cette analyse se méprenne sur la profondeur de l'ancrage de l' « islamisme » dans les sociétés sahéliennes. Selon Gilles Holder, chercheur au CNRS et à l'IRD entendu par vos rapporteurs, sans même évoquer les mouvements djihadistes du 19 ème siècle qui ont parfois abouti à la création d'États théocratiques en Afrique de l'Ouest, l'influence rigoriste est si ancienne qu'il est désormais erroné de considérer le salafisme comme un élément « importé » au Sahel et en particulier au Mali 12 ( * ) .

En outre, les mouvements religieux et les prêcheurs charismatiques ont contribué à créer au Mali un espace public de discussion sur la pauvreté, le développement et la justice pendant que l'Etat perdait toute crédibilité dans ces domaines. Ces mouvements religieux constituent une partie très importante de la société civile, active dans beaucoup de domaines, y compris le développement. Parfois financés par des intérêts du Golfe arabo-persique, ils peuvent paradoxalement conforter le sous-développement en remettant en cause les politiques d'émancipation féminine, dont dépend en grande partie la possibilité d'une diminution de la natalité.

Or, les acteurs de la politique étrangère ou de l'aide au développement ne prennent pas véritablement en compte les mouvements confessionnels , que ce soit pour analyser leur action ou pour engager des coopérations dans certains domaines. Dès lors, ces mouvements restent en marge de l'action des bailleurs alors qu'ils peuvent être des acteurs importants (comme lorsque l'imam Dicko a mobilisé une immense foule contre le nouveau code de la famille au Mali).

En revanche, il convient de noter que le plan d'action régional du Conseil européen en faveur du Sahel pour la période 2015-2020, qui fixe un cadre général aux fins de la mise en oeuvre de la stratégie de l'Union européenne (UE) pour la sécurité et le développement dans la région du Sahel, marque un début de prise en compte de cette réalité en recommandant de « soutenir les institutions et les organisations promouvant un islam modéré et pacifique, ainsi que les organisations islamiques de la société civile oeuvrant en faveur de la paix ».

Enfin, on peut noter que les femmes sont très investies au Sahel dans le dialogue interreligieux et dans la lutte contre l'intolérance religieuse . Il convient de conforter ces initiatives et de plaider auprès des autorités politiques pour un soutien accru à ces efforts.

2. Le Mali a désormais besoin d'une gouvernance efficace pour sortir durablement de la crise politique et sociale
a) La décentralisation, un impératif qui tarde à se concrétiser
(1) Une décentralisation déjà ancienne, autrefois donnée en exemple

La décentralisation est l'un des sujets qui a été le plus souvent évoqué lors du déplacement du groupe de travail au Mali, tant dans les entretiens avec les ministres maliens qu'avec les représentants des bailleurs. En effet, la décentralisation apparaît à beaucoup d'entre eux comme la clef de voûte, à la fois du développement du pays et de la réussite du processus de paix.

La décentralisation a déjà une longue histoire au Mali. Les principales réformes ont été menées dans les années 90.

La décentralisation des années 90 au Mali

Déjà évoquée dans les années 60, la décentralisation s'est imposée lors de la naissance de la Troisième République à la suite d'une insurrection populaire et d'un coup d'État militaire le 26 mars 1991, sous la forme d'une gestion décentralisée des ressources du pays. Il existe dès le début une ambiguïté sur la signification de cette décentralisation, tantôt plutôt conception politique qui reconnaît comme « collectivités » les tribus nomades, les villages et les fractions nomades, tantôt vision plus administrative et technique qui met l'accent sur la mise en place d'institutions (commune, cercle, région) considérées comme des démembrements de l'État.

C'est plutôt la seconde version qui l'emporte à partir de 1994. Dès lors, le cadre juridique est créé, le découpage territorial est mené à bien et les institutions des collectivités territoriales sont installées à partir des élections de 1999. Outre la définition des attributions respectives des différentes collectivités territoriales, des textes réglementaires prévoient le transfert de certaines compétences dans les domaines de l'éducation, de la santé et de l'hydraulique. La provisoire Mission de décentralisation est remplacée par la DNCT (Direction nationale des collectivités locales), l'ANICT (Agence nationale d'investissements des collectivités territoriales) et la MAT (Mission d'aménagement du territoire) ; un document cadre de politique nationale de décentralisation (2005-2014) est élaboré.

Les premières élections locales ont eu lieu en 1999 et ont abouti à la constitution de 8 assemblées régionales et du district de Bamako, de 49 assemblées de cercles et de 703 communes (dont 684 nouvellement créées).

(2) Un processus inachevé

De nombreuses questions restent en suspens avant la crise de 2012-2013 13 ( * ) :

- les limites de la tutelle ne sont pas clairement fixées et on ignore donc le degré d'autonomie des différentes institutions locales entre elles et par rapport à l'Etat ;

- il existe de nombreux blocages du processus de transfert de compétences et de ressources de l'État aux collectivités, le transfert des responsabilités n'étant effectif que pour la santé, l'éducation et l'hydraulique. Même pour ces secteurs, le transfert des ressources n'a commencé qu'en 2010 et seulement pour l'éducation ;

- il reste d'autres secteurs importants pour les citoyens, comme le foncier, pour lesquels aucun transfert n'a encore eu lieu alors que les conflits y deviennent de plus en plus nombreux et violents ;

- le rôle des collectivités territoriales dans le processus de création de richesses au niveau local (et donc dans le développement local) n'est pas clairement défini ;

- la démocratie à la base n'est pas promue car le contrôle par les communautés de base (dans les villages, quartiers, fractions, etc.) n'est pas organisé. On y a substitué la tutelle des services de l'État, et la corruption qui s'étend dans ces services rend le contrôle inefficace.

En outre, après la crise de 2012-2013, la question de la décentralisation interfère désormais avec celle de la mise en oeuvre de l'accord d'Alger qui prévoit la mise en place négociée d'autorités intérimaires . Après de très longues négociations, il a récemment été décidé que la mise en place des autorités intérimaires et conjointement le redéploiement de l'administration d'Etat interviendrait du 15 juillet au 15 août 2016. Ensuite aura lieu le redéploiement des services techniques de l'éducation, de la santé, de l'énergie, de l'eau et de la justice.

Si ce calendrier est respecté, il s'agira d'une avancée importante. Les groupes signataires du nord en font en effet une condition de l'application du volet sécuritaire de l'accord et de la mise en oeuvre du processus de DDR (désarmement, désengagement, réintégration dans l'armée). Les élections locales auront lieu ultérieurement.

Des autorités intérimaires à chaque niveau de collectivité

Les Autorités intérimaires seront mises en place, en principe à l'automne 2016, dans les collectivités territoriales des cinq régions du nord du Mali : Tombouctou, Gao, Kidal, Taoudénit et Ménaka.

Au niveau de la Région, l'Autorité intérimaire comprendra autant de membres que le conseil régional qu'elle remplace, désignés de façon consensuelle par le Gouvernement, la Plateforme et la Coordination parmi les agents des services déconcentrés de l'Etat, la société civile et les conseillers sortants.

Au niveau du cercle, le processus sera identique.

Enfin, au niveau de la commune, l'organe délibérant fonctionnel de la commune sera transformé en autorité intérimaire dans l'intégralité de sa composition initiale.

(3) Un révélateur des ambiguïtés de l'aide au développement

La décentralisation au Mali est un processus indispensable dans la mesure où sa réussite conditionne en partie la paix sociale et la stabilisation du pays, en particulier au nord.

Elle permet de donner une solution politique à des revendications locales et à faire exister des territoires de développement. L'exclusion de certains territoires et de certains groupes sociaux au sein de ces territoires est en effet un facteur de radicalisation.

La décentralisation est également l'un des domaines où le Mali peut bénéficier des nombreuses actions de coopération décentralisée entre collectivités locales françaises et collectivités locales maliennes, qui existent depuis de nombreuses années et qui, plus généralement, constituent un atout indéniable dans notre relation aux pays de la région sahélienne.

Or, malgré des progrès récents, la décentralisation fait toujours l'objet de débats existentiels entre les acteurs locaux, y compris sur son bien-fondé, ce qui semble parfois étonnant compte tenu du fait qu'elle a débuté il y a plus de 20 ans.

Ces débats révèlent en particulier les divergences de vue entre les différents bailleurs , qui arrivent chacun au Mali avec leur propre vision de la décentralisation, plus ou moins calquée sur celle qui prévaut dans leur pays d'origine. Lors d'un entretien à l'ambassade de France à Bamako, vos rapporteurs ont ainsi assisté à une discussion entre plusieurs ambassadeurs dans laquelle certains prônaient un modèle « à la française » tandis que d'autres, représentant des pays fédéralistes, considéraient qu'un modèle accordant encore bien davantage d'autonomie était tout à fait souhaitable au Mali !

Comme dans d'autres domaines de l'aide, on observe ainsi une situation où les bailleurs prétendent conseiller et influencer un Etat sans avoir eux-mêmes une vision claire et partagée de l'objectif à atteindre.

Enfin, un autre débat essentiel porte sur la compétence des acteurs locaux et révèle le caractère interdépendant des différents secteurs du développement et la nécessité d'un effort conjoint dans tous ces secteurs. En effet, certains estiment que la gestion locale est encore moins performante que la gestion centralisée du fait d'une incompétence notoire des responsables locaux. Ils souhaiteraient ainsi subordonner la décentralisation à l'amélioration du niveau des élites locales.

Toutefois, dans la mesure où le développement et notamment l'amélioration de l'éducation et de la formation professionnelle est lui-même lié à une meilleure gouvernance, dont la décentralisation constitue un facteur clé, il ne peut sans doute y avoir d'autre réponse qu'un effort conjoint dans l'ensemble de ces secteurs.

Le soutien de la décentralisation par l'AFD

L'AFD finance actuellement le projet PADER qui a pour objectif d'accompagner le renforcement du processus de décentralisation et plus particulièrement la régionalisation et la mise en oeuvre de la politique de développement économique régional dans les régions de Ségou et Tombouctou. Il met ainsi l'accent sur le développement des filières agricoles et pastorales, moteurs de l'économie locale des territoires ruraux concernés. Le montant de ce projet est de 33 millions d'euros.

b) Une mise en oeuvre de l'accord de paix d'Alger qui doit s'accélérer
(1) Un début prometteur

La signature de l'accord pour la paix et pour la réconciliation au Mali le 15 mai et le 20 juin 2015 constitue la principale réussite du nouveau Président malien. L'accord de Ouagadougou de juin 2013, signé avec les mouvements armés pour permettre la tenue des élections présidentielles, en faisait en effet la priorité politique pour le président élu. Après plusieurs cycles de négociations à Alger, appuyés par une médiation internationale avec l'Algérie comme chef de file, un accord a été trouvé, faisant l'unanimité au sein de la classe politique et parmi les partenaires du Mali. Dans l'opinion publique malienne, l'accord a également été accueilli comme une source d'espoir pour une paix définitive.

La visite du président Keïta en France en octobre 2015 et la conférence internationale pour la relance économique et le développement du Mali du 22 octobre au siège de l'OCDE ont permis au président malien de faire valoir le retour du Mali sur la scène internationale et la perspectives de retombées économiques.

(2) Une mise en oeuvre trop lente

Plusieurs difficultés sont cependant rapidement apparues. En avril 2014, le FMI avait relevé des irrégularités et des surfacturations concernant des contrats passés de gré à gré : l'acquisition d'un Boeing présidentiel pour un montant de 26 millions d'euros ; la signature de contrats de défense pour un montant de 105 millions d'euros. Ces fraudes ont conduit à la suspension de l'aide budgétaire au Mali des partenaires internationaux (France, Union européenne, Banque mondiale, etc.). Un accord a toutefois été trouvé entre le FMI et le Mali après des régularisations et le limogeage de trois ministres cités dans ces affaires, permettant ainsi une reprise de l'aide budgétaire.

Par ailleurs, malgré un accueil initialement favorable, l'opinion publique malienne peine à être convaincue par l'accord de paix : l'idée que les gens du Nord sont l'ennemi est toujours ancrée dans les esprits et le rôle de la MINUSMA n'est pas compris (accusation de partialité envers les mouvements armés et d'inefficacité en matière de protection des populations). En outre, les populations du nord et les mouvements armés estiment que la mise en oeuvre de l'accord de paix, notamment l'installation des autorités intérimaires, ne progresse pas suffisamment vite. En particulier, le processus de nomination des autorités intérimaires est très en retard.

(3) Une lutte contre la corruption qui doit s'intensifier

La lutte contre la corruption a été érigée en priorité (2014 été l'année de la lutte contre la corruption pour le président). Toutefois, les résultats concrets se font attendre pour les populations. Une loi portant prévention et répression de l'enrichissement illicite a été votée en mai 2014 mais ne connaît pas encore de véritable application. Les rapports du Vérificateur général du Mali pour 2013-2014 ont été rendus publics en mai 2015 et font état de plusieurs centaines de millions d'euros d'irrégularités financières au sein de l'administration malienne.

Enfin, la réforme du secteur de la justice progresse peu et les magistrats suscitent souvent la défiance des citoyens.

II. POUR UNE NOUVELLE STRATÉGIE DE DÉVELOPPEMENT

Avant de proposer des pistes pour contribuer à relancer le développement des pays de la région sahélienne (C) , il est urgent de comprendre pourquoi des décennies d'aide publique au développement, y compris dans le nord du Mali, ont laissé les États qui en ont bénéficié dans la situation décrite ci-dessus (A), puis d'étudier plus particulièrement l'élaboration, la mise en oeuvre et les limites du concept d' « approche globale » (B) .

A. LES ÉCHECS DE L'AIDE AU DÉVELOPPEMENT AU SAHEL

Les pays du Sahel ont indéniablement reçu une aide publique significative de la communauté internationale . Toutefois, il apparaît que plusieurs secteurs ont été relativement délaissés dans la période récente, au premier rang desquels la maîtrise de la croissance démographique, l'agriculture ou encore, en ce qui concerne tout au moins l'aide française, l'éducation.

Le bilan de ces efforts de l'aide publique au développement, tel qu'il découle de l'observation de la situation actuelle des pays du Sahel autant que des évaluations disponibles, est pour le moins décourageant, ce qui s'explique par une série de facteurs pour la plupart bien identifiés.

Enfin, à maints égards et malgré les objectifs affichés, le Sahel ne semble plus véritablement une région prioritaire pour la politique d'aide au développement française.

1. Une région qui reçoit une aide significative de la communauté internationale...
a) Une aide globalement importante

Les pays du Sahel, en particulier le Mali et le Niger, reçoivent actuellement et ont reçu au cours des 20 dernières années un volume important d'aide publique au développement de la part de l'ensemble des bailleurs de la communauté internationale.

En 2013, l'aide au Mali était moins importante du fait de la crise mais l'ensemble du Sahel recevait une aide significative de la part des bailleurs :

Sahel

Mali

2013

Dons, hors annulation de dette

APD bilatérale

Aide programmable

Dons, hors annulation de dette

APD bilatérale

Aide programmable

Etats-Unis

484

494

347

110

110

83

France

286

355

292

60

62

47

Canada

145

145

62

49

49

16

Allemagne

140

139

95

51

51

35

Japon

136

138

65

36

38

8

Suisse

88

88

64

22

22

18

Pays-Bas

82

82

82

45

45

45

Danemark

76

75

72

31

31

27

Suède

74

73

39

34

34

20

Belgique

71

72

36

23

22

12

Rang de la France parmi les bailleurs

2

2

2

2

En millions d'euros courants, source OCDE.

En 2011, juste avant la crise, l'APD globale au Mali s'élevait à environ 913 millions d'euros et celle au Niger à 465 millions d'euros :

En millions d'euros courants, source OCDE.

Au niveau bilatéral, la France demeure le deuxième bailleur au Sahel, après les États-Unis, avec près de 337 millions d'euros d'aide versés en 2011 dans six pays 14 ( * ) (Sénégal, Mauritanie, Mali, Burkina Faso, Niger, Tchad) . Les engagements de l'Agence française de développement (AFD) y atteignent un milliard et demi d'euros sur 2008-2012.

En ce qui concerne plus spécifiquement le Mali, l'aide de la France était encadrée par un document-cadre de partenariat définissant cinq objectifs pour les années 2006-2010 articulés sur les OMD 15 ( * ) . 80 % des crédits bilatéraux étaient concentrés sur l'éducation et la formation, l'eau et l'assainissement ainsi que l'appui au secteur productif. La France soutenait par ailleurs le « Programme spécial pour la paix, la sécurité et le développement du nord », PSPSDN, du gouvernement malien.

Au niveau européen, les moyens consacrés à ces six pays sahéliens ont représenté plus de 2,7 milliards d'euros sur le 10 ème fonds européen de développement (FED) , faisant de l'Union européenne le premier bailleur dans la région.

En outre, au niveau international, les pays de la région ont reçu 677 millions d'euros depuis 2002 du Fonds mondial de lutte contre le SIDA, la tuberculose et le paludisme, 300 millions d'euros de l'alliance mondiale pour la vaccination et l'immunisation (GAVI), 231 millions d'euros du partenariat mondial pour l'éducation et 17 millions d'euros depuis 2006 via l'initiative internationale d'achats de médicaments UNITAID.

Très élevés en valeur absolue, ces montants le sont également par rapport aux PIB des pays aidés . En 2011, avant la crise malienne, l'APD « tous donneurs » fournie au Mali représentait 913 millions d'euros courants, pour un PIB de 7 400 milliards d'euros environ, soit une APD représentant 12,3 % du PIB. La part des flux d'APD dans le PIB était d'ailleurs encore plus élevée jusqu'en 2006 (15 % du PIB en 2006), la baisse intervenue depuis s'expliquant par la diminution des appuis budgétaires sectoriels, notamment en matière d'éducation, de santé et de transports.

L'APD fournie au Niger était de 465 millions d'euros pour un PIB de 4 740 milliards d'euros environ, soit près de 10 % du PIB.

En outre, ces sommes financent la majeure partie des investissements réalisés dans les pays aidés.

Toutefois, ramené à l'habitant, le montant de l'aide apparaît moins impressionnant. À titre d'exemple, le Mali comptait, en 2011, 14,4 millions d'habitants. Une aide de 913 millions d'euros représente donc 63 euros par an par habitant (pour un PIB d'environ 500 euros par habitant), soit 17 centimes d'euros par habitant et par jour.

b) Le cas du nord du Mali : une région qui a déjà bénéficié de la mobilisation des bailleurs

Le nord Mali a concentré l'attention de la communauté internationale après la crise de 2012-2013. La pauvreté, le sous-développement et la relégation ont été considérés par les pays donateurs comme responsable de l'insécurité, de la présence des groupes armés et terroristes dans la région et par conséquent, in fine , de la prise de contrôle de cette région par les groupes hostiles à l'Etat malien.

Les Maliens du sud du pays considèrent parfois plutôt que les populations du nord sont favorisées par le pouvoir central et par l'aide internationale et, malgré cela, toujours prêtes à se rebeller. Il est également souvent souligné que les trois régions du nord du Mali ne sont pas, loin s'en faut, les plus pauvres du pays , celle de Sikasso, par exemple, l'étant nettement plus.

Il importe donc de savoir si le nord du Mali a, ou non, bénéficié d'une aide importante dans la période ayant précédé la crise.

Vos rapporteurs ont notamment pu bénéficier sur cette question des éléments fournis par une étude de Gwenola Rageau, de l'organisme de médiation « Center for humanitarian dialogue », portant sur 20 ans (1992-2012) d'aide au développement au nord Mali 16 ( * ) . L'auteure s'est efforcée de rassembler les données disponibles sur l'ensemble des projets de développement menés dans le nord pendant cette période.

Ainsi, la France a été très active dans les régions du nord Mali avant la crise. En collaboration avec l'Union européenne, elle a élaboré un grand programme d'appui à la décentralisation visant à renforcer l'échelon régional (Appui au développement des régions du nord, ADERE nord). Après 2000, alors que les collectivités françaises soutiennent encore des projets au nord Mali, l'aide française se replie toutefois vers la région cotonnière du sud en raison des problèmes d'insécurité de plus en plus prégnants. Elle contribue néanmoins au Programme spécial pour la paix, la sécurité et le développement au Nord-Mali (PSPSDN) en versant près de 1 million d'euros dans la phase de démarrage au titre de l'AFD (354 275 euros) et du MAE (608 008 euros).

En ce qui concerne la contribution de l'ensemble de la communauté internationale au développement du nord Mali, les programmes de développement se sont déroulés en deux grandes phases, entre 1992 et 2006 puis entre 2006 et 2012.

(1) Une première phase qui échoue

La première phase des programmes de développement du nord , marquée par de longues périodes d'instabilité conduisant de nombreux partenaires au développement à retarder leurs investissements, se serait caractérisée par la mise en oeuvre d'une multitude de petits projets ou programmes, sans grand effort de coordination entre les partenaires techniques et financiers .

Les 14 et 15 juillet 1995, la Conférence de Tombouctou réunit le Gouvernement, les partenaires au développement et les mouvements rebelles pour le lancement du premier programme de développement au nord, le « Programme transitoire de normalisation et de réhabilitation des régions du nord ». Les partenaires au développement sont bien présents et s'engagent significativement.

Un deuxième cadre d'action porte ensuite sur la planification du développement à long terme des régions du nord. Une « Stratégie pour un développement humain durable des régions du nord Mali » est validée à tous les niveaux (régional, national et international), proposant comme axes fondamentaux la consolidation de la paix, le développement participatif, la création de conditions économiques viables et la lutte contre la pauvreté.

En 1998, une nouvelle Table ronde est organisée à Genève sur la « Stratégie nationale de lutte contre la pauvreté » (SNLP). Il en ressort un bilan très mitigé du Programme transitoire de normalisation et de réhabilitation des régions du nord lancé en 1995. Ainsi, sur 245 millions de dollars mis à disposition, seuls 10 % des montants ont été décaissés.

En 2001, à nouveau, le bilan des efforts de développement engagé au nord est des plus décevant : « En dépit de tous ces efforts, force est de reconnaître que le problème de développement des régions du nord Mali se pose toujours avec encore plus d'acuité, et cela huit ans après la signature du Pacte national », conclut l'Autorité du développement intégré du nord-Mali (ADIN). Les raisons invoquées sont un manque de coordination des interventions, une mauvaise circulation de l'information entre les acteurs et une absence de mise à disposition des fonds. D'autres observateurs invoquent la situation sécuritaire ou encore l'importance accordée au dialogue intercommunautaire, nécessaire mais ayant pour effet de ralentir le processus. L'étude de Gwénola Fargeau conclut : « Le développement n'est pas en marche. Certes, on construit ici et là des écoles, des centres de santé, mais cela ne s'inscrit pas dans une stratégie globale de développement pour cette région ».

Parmi les principaux échecs, le fort accent mis sur la construction des infrastructures (44 % des financements) n'a pourtant pas permis de mener à bien les programmes de construction de routes. De même, les efforts en faveur du processus de décentralisation n'ont eu que peu de résultats. Enfin, peu de choses ont été faites pour soutenir la croissance économique malgré d'immenses besoins en emplois.

(2) Une seconde phase également décevante

La deuxième phase de l'effort de développement du nord , lancée au forum de Kidal à partir de 2006 après les accords d'Alger qui marquent la fin de la rébellion touarègue à Kidal et à Ménaka, correspond à la mise en place du Programme décennal de développement des régions du Nord (PDDRN). Elle est centrée sur un nombre plus limité de projets ou programmes que les partenaires au développement financeront de manière plus coordonnée, suivant ainsi les principes de la Déclaration de Paris de 2005.

De 297 projets et programmes identifiés dans les régions du nord entre 1992 et 2006, on passe ainsi à 39 . Le programme est assorti d'un Plan d'action prioritaire, décliné en deux tranches quinquennales (2007-2011 et 2012-2016).

Le coût actualisé au 31 décembre 2011 des 39 projets et programmes s'élève à 840 milliards FCFA ( proche de 1 milliard d'euros ) dont 443 acquis (53 %) et 397 à rechercher. Sur le montant acquis, un total de 110 milliards a été décaissé (25 %). Les fonds acquis proviennent de l'Etat du Mali pour un montant de 45 milliards de FCFA, des collectivités territoriales pour 3 milliards et des partenaires au développement pour 396 milliards FCFA .

Les secteurs du développement des infrastructures de base, l'eau et l'énergie et celui de la sécurité alimentaire et du développement rural absorbent 87 % des montants acquis.

Le PDDRN, comme les programmes qui l'ont précédé, souffre toutefois d'un manque de financement qui s'est aggravé en 2012 avec l'arrêt des aides au développement. Au 31 décembre 2011, seuls quatorze projets ou programmes étaient entièrement financés ; treize étaient partiellement financés et douze non financés. Dix-neuf programmes n'ont connu aucun début d'exécution ; seize sont actuellement en cours et seulement quatre sont achevés :

- un projet de lutte contre l'ensablement dans le Bassin du Niger (Volet Mali) ;

- la construction de la station ORTM de Kidal ;

- un projet d'amélioration de la navigabilité du fleuve Niger ;

- le projet « Appui au développement des régions du Nord » (ADERE-Nord).

(3) Un échec global

Au total, en rassemblant des données issues de l'agence de développement du nord (ADN) et des PTF, le rapport précité évalue à 1 906 milliards FCFA soit 2,9 milliards d'euros les dépenses engagées dans le nord entre 1992 et 2011 .

En revanche, il est difficile d'estimer les montants acquis et décaissés. Toutefois, selon le rapport, même en retenant l'hypothèse basse de l'ADN, on peut considérer qu'au moins 778 milliards FCFA, soit 1,187 milliard d'euros, ont été décaissés .

Malgré cet effort non négligeable, le rapport conclut : « Depuis vingt ans, les gouvernements maliens successifs et les partenaires au développement constatent l'échec de leurs politiques de développement au nord et de l'atteinte d'un de leur principal objectif, la stabilité dans ces régions ».

c) La communauté internationale s'est à nouveau mobilisée après la crise malienne de 2012-2013

Les partenaires du développement se sont à nouveau mobilisés au lendemain de la crise malienne pour relancer le processus de développement du pays. À l'issue de la conférence des donateurs qui s'est tenue à Bruxelles le 15 mai 2013, 3,3 milliards d'euros d'engagements ont été annoncés, dont 280 millions pour la France . Selon Cyril Rousseau, sous-directeur des affaires financières multilatérales et du développement de la direction générale du Trésor entendu par vos rapporteurs, au début de 2015, 95 % des engagements s'étaient concrétisés et 75 % avaient été décaissés. Les interventions de l'AFD représentent 94 % des annonces françaises.

Par la suite, à la conférence internationale pour la relance économique et le développement du Mali de Paris, 3,2 milliards d'euros d'engagements ont à nouveau été promis sur 3 ans , dont 20 % pour le développement du Nord. La France a promis 360 millions d'euros, dont 260 millions d'euros de nouveaux engagements , 96 % devant prendre la forme de financements de l'AFD.

Si ces annonces témoignent de l'engagement 17 ( * ) de la communauté internationale et en particulier de la France pour aider le Mali à relancer le développement du pays, elles suscitent de grandes attentes qui risquent d'aboutir à des frustrations toutes aussi importantes si des résultats meilleurs que par le passé ne sont pas rapidement obtenus .

2. ... mais des secteurs délaissés

Si le Sahel a ainsi bénéficié de nombreux financements au cours des vingt dernières années dans le cadre de la politique d'aide publique au développement, certains secteurs pourtant essentiels ont été délaissés dans la période récente.

a) La maîtrise de la population

Ainsi qu'il a déjà été noté, la problématique pourtant essentielle de la maîtrise de la croissance démographique a été longtemps relativement délaissée pour des raisons essentiellement idéologiques à la fois parmi les bailleurs (avec notamment un refus de la Banque mondiale de s'engager sur cette question sous l'administration Bush) et au sein des pays aidés, où ni les conceptions traditionnelles, ni les conceptions issues de l'Islam ou de la religion catholique n'admettaient des évolutions significatives dans ce domaine.

Dès lors, les actions menées l'ont été essentiellement de manière indirecte, par le biais de la santé maternelle et infantile ou de la promotion de l'égalité homme/femme (qui se heurte toutefois aux mêmes obstacles idéologiques).

La France est notamment intervenue dans le secteur de la santé reproductive, maternelle, néonatale et infantile (SRMNI) à travers le fonds Muskoka 18 ( * ) , avec un apport très significatif de 98 millions d'euros par an en moyenne entre 2010 et 2015, mis en oeuvre par le biais de canaux multilatéraux ou bilatéraux. À la conférence de Ouagadougou (2011) puis au sommet de Londres sur la planification familiale (2012), la France s'est engagée, sur les 500 millions d'euros de l'initiative Muskoka, à consacrer 100 millions d'euros à la planification familiale et à la santé de la reproduction dans les pays d'Afrique francophone.

Ces actions restent focalisées sur la santé, voire la lutte contre des violences contre les femmes, tandis que l'aspect planning familial reste très difficile à développer.

Selon les informations recueillies par vos rapporteurs lors de leur déplacement dans des centres de santé de Bamako soutenus par la coopération française, un effort particulier est désormais mené sur l'amélioration des conditions d'accueil des femmes dans les structures sanitaires . Il semblerait en effet que, même lorsque ces centres sont en mesure de fournir des moyens de contraception ou des conseils sur l'espacement des naissances, l'accueil matériel et moral des femmes y est souvent si déplorable qu'elles en sont découragées et ne reviennent pas.

b) Un retrait des bailleurs dans le domaine de l'agriculture

Le secteur agricole a souffert d'un relatif délaissement de la part des bailleurs de l'aide au développement au cours des dernières années. D'une moyenne de 15 % des financements naguère, il est passé à environ 8 %, ce qui semble très insuffisant compte tenu de l'importance de la population rurale dans les pays du Sahel (entre 55 % et 80 % de la population totale). En outre, les Gouvernement nationaux eux-mêmes ne consacrent, selon Serge Michaïlof, qu'entre 3 et 10 % de leur budget à l'agriculture, ce qui est également très faible.

Ainsi, le développement rural et local a-t-il, selon le même auteur, été abandonné par les donateurs : agriculture, élevage, infrastructures rurales, hydraulique humaine et pastorale, irrigation. Pire, la plupart de ces institutions auraient été totalement désorganisées par les programmes d'ajustement structurel des années 1980-1990. En outre, l'expertise internationale, et notamment française, qui existe dans ces domaines, n'est plus suffisamment mobilisée dans le Sahel, notamment à cause de l'insécurité et d'une réorientation vers l'Asie du Sud ou l'Amérique latine. L'élevage, pourtant point fort potentiel de plusieurs pays du Sahel, souffre du même abandon de la part des bailleurs.

c) Une éducation en grande difficulté
(1) L'éducation de base n'est plus, dans les faits, une priorité

L'éducation fait partie des secteurs dont le retard est le plus préoccupant dans les pays du Sahel . La très forte croissance démographique en cours déstabilise des systèmes éducatifs déjà fragiles. Malgré des progrès dans l'absolu en termes de taux de scolarisation, les classes sont surchargées, l'enseignement est d'une qualité insuffisante et l'absentéisme est massif.

Il y a déjà plus de vingt ans, le Burkina Faso investissait massivement dans l'éducation et obtenait de bons résultats, tandis que d'autres pays sahéliens se méfiaient d'une population trop éduquée. Au Mali en particulier, la situation est très mauvaise, malgré une dépense aujourd'hui massive dans le budget de l'Etat.

Il est vrai que les partenaires techniques et financiers ont ici une responsabilité non négligeable, le programme d'ajustement structurel des années 80-90 ayant engendré le départ massif d'enseignants qualifiés à la retraite par anticipation, provoquant une rupture des équilibres.

Théoriquement, notre pays a fait de l'éducation une de ses priorités majeures en matière d'aide au développement . La stratégie adoptée par le CICID en 2009 pour la période 2010-2015 comporte ainsi deux objectifs en direction des seize pays pauvres prioritaires : d'une part, l'accès à une éducation primaire de qualité pour l'ensemble des filles et des garçons, d'autre part, la promotion d'une vision intégrée de l'éducation, qui inclut l'enseignement et la formation professionnelle. Cette politique éducative doit en outre s'articuler avec la promotion du français.

Pourtant, depuis plusieurs années, seule une petite partie de notre aide à l'éducation concerne l'éducation de base . Si l'éducation constitue ainsi le premier poste de dépenses de notre APD bilatérale (17 % en moyenne, soit 1,6 milliard de dollars), sur cette somme 918 millions sont consacrés à l'écolage, tandis que seulement 10 % des fonds alloués à l'éducation (166 millions de dollars) financent l'éducation de base. Ainsi, entre 2008 et 2013, les dépenses consacrées à l'éducation de base ont diminué de 246 millions d'euros, soit environ 60 % !

En outre, au 31 décembre 2015, la France ne figurait qu'au dixième rang des donateurs du partenariat mondial de l'éducation (PME) , instrument très efficace qui a notamment permis de financer la scolarisation de 23 millions d'enfants supplémentaires, de former plus de 400 000 enseignants et de construire 37 000 salles de classe. Le nombre d'enfants scolarisés dans les pays africains qui bénéficient du PME a progressé de 64 %, soit le double du rythme d'accroissement enregistré dans les autres pays.

La contribution de notre pays s'élevait ainsi en 2015 à 98,6 millions de dollars, le Royaume-Uni étant le premier financeur avec 851,3 millions de dollars. En outre, la France a choisi de ne pas reconduire son engagement lors de la dernière reconstitution financière du PME, alors même que ce fonds soutient massivement des pays francophones.

Aujourd'hui, l'AFD réinvestit cependant dans ce secteur, conformément à ses contrats d'objectifs et de moyens, en passant en 2016 d'un montant extrêmement faible de 1 million d'euros de subventions à un total de 8 millions.

(2) La francophonie souffre de ce manque d'investissement dans l'éducation

Cette perte de vitesse dans le domaine de l'éducation se reflète dans le déclin de la francophonie sur le continent . En effet, si les prévisions à l'horizon 2050 assurent que 80 % des francophones vivront en Afrique, c'est plutôt en raison de la dynamique démographique que d'une véritable politique francophone.

Ainsi, la qualité de l'enseignement du français régresse et la maîtrise de la langue régresse. L'attractivité du français diminue en particulier du fait d'un problème de formation d'enseignants compétents. En outre, les crédits de l'OIF (moins de 100 millions d'euros) ne permettent pas de mener une politique internationale ambitieuse.

d) Un effort récent sur le choix des secteurs de l'aide ?

Un effort semble avoir été récemment accompli par les bailleurs pour relancer des projets de développement dans ces secteurs relativement délaissés. En particulier, l'AFD investit actuellement dans l'agriculture, dans l'éducation et dans le développement de l'économie et notamment des PME.

L'agence a également placé la question démographique au coeur des priorités de son plan d'action pour le Sahel même si les interventions prévues restent essentiellement indirectes.

3. Un bilan global de l'aide publique au développement plus que décevant qui s'explique par des facteurs bien identifiés
a) Un bilan globalement décevant d'après les évaluations disponibles

Le bilan de l'ensemble des projets et des programmes de développement menés au Sahel en général et au Mali en particulier n'est pas satisfaisant .

Si aucune des personnes entendues par vos rapporteurs n'a ainsi soutenu que les politiques menées avaient globalement réussi, l'appréciation peut cependant être plus ou moins sévère.

Selon Laurent Bigot, l'échec de l'aide au développement au Sahel est total. D'après l'ancien diplomate, dans le nord de cette région, quasiment aucun projet financé par l'aide au développement ne subsisterait cinq ans après son achèvement. Un des principaux problèmes consisterait selon lui dans l'absence de consultation des pays partenaires sur leurs réels besoins.

Serge Michaïlof, également entendu par votre commission, n'est pas loin de porter la même appréciation, comme le manifeste le titre d'un récent article : « Au Sahel, notre politique d'aide au développement s'est complètement fourvoyée 19 ( * ) ». Comme le souligne l'ancien directeur à la Banque mondiale, le revenu par tête des habitants des pays du Sahel est aujourd'hui plus faible qu'il n'était à l'indépendance . Malgré une croissance parfois forte du PIB, ces pays se sont donc, en réalité, appauvris.

Les autres spécialistes entendus pas vos rapporteurs, sans brosser un tableau aussi sombre, soulignent tous que la situation du Sahel après des décennies d'aide au développement n'est pas très encourageante et que l'effondrement du Mali , l'un des pays les plus aidés et l'un de ceux en lesquels des bailleurs fondaient le plus d'espoir, constitue un échec significatif pour la politique d'aide au développement .

Ainsi, si le rapport pour 2015 de l'ONU sur l'atteinte des OMD se félicite de la diminution de 47 % à 14 % du taux de la population mondiale vivant dans l'extrême pauvreté dans les pays en développement, ce taux n'est passé que de 57 % à 41 % en Afrique subsaharienne et les progrès sont encore bien moindres dans les pays sahéliens, l'essentielle de la croissance économique subsaharienne s'étant produite hors de cette région.

Autre exemple, s'il faut se féliciter de l'augmentation globale du taux de scolarisation dans le primaire, beaucoup d'observateurs s'effraient à juste titre d'une dégradation de la qualité de l'enseignement.

Cet échec des politiques d'aide au développement concerne surtout les objectifs finaux , même si les objectifs immédiats ou intermédiaires des bailleurs sont souvent atteints.

Ainsi, en 2006, la commission européenne a réalisé une évaluation de la coopération de la Commission européenne et de la France avec le Mali 20 ( * ) sur la période 1995-2005. Cette évaluation a démontré que les stratégies française et communautaire étaient globalement pertinentes au regard des besoins du pays et des priorités exprimées par le gouvernement malien dans la majorité des secteurs d'intervention. Cependant, si les résultats (ou effets à court terme) attendus ont été atteints, l'impact final des interventions (effets à plus long terme et plus globaux) s'avère très limité dans certains domaines tels que la décentralisation ou la santé. Dans d'autres domaines, tels que celui des transports routiers, les interventions de la Commission et de la France n'auraient pas eu d'impact durable .

Plus globalement, les stratégies communautaire et française ne sont pas insérées dans une approche d'ensemble du processus de développement au Mali . Faute d'une vision suffisamment complète du système économique au sein duquel elles se situent, elles ne débouchent pas sur une hiérarchie des priorités. Ainsi, la contribution des interventions des bailleurs au développement du secteur privé et à la diversification du tissu productif malien (on retrouve ici la notion de profondeur de la croissance) a été marginale.

Enfin et surtout, la contribution des interventions communautaire et française à l'objectif ultime de réduction de la pauvreté est « difficile à mettre en évidence » et « apparemment limitée ».

Quant aux conclusions de l'évaluation conjointe de la coopération de la Commission européenne, de la Belgique, du Danemark, de la France et du Luxembourg avec le Niger pour la période 2000-2008 , réalisée en 2010, elles sont sans appel et méritent d'être citées plus longuement : « Malgré certains résultats (sectoriels et/ou localisés), la coopération de l'Union européenne (Commission et États membres) n'a pas permis d'inverser la tendance générale de stagnation, sinon d'appauvrissement de la population nigérienne et de dégradation de la base productive, à savoir l'agriculture. Il est fort probable que, sans l'aide européenne, la situation, principalement sociale, mais aussi économique, ait été pire. Toutefois, au vu des résultats obtenus, l'évaluation conclut qu'au Niger, les DPE comme les autres bailleurs de fonds, ont pratiqué l'aide sans développement ».

Les évaluations réalisées au Tchad et au Burkina Faso sont certes légèrement plus encourageantes. Ainsi, pour l'évaluation de l'aide de la seule Union européenne au Tchad, dans deux des secteurs de concentration (transport routier ainsi que eau et assainissement), les résultats envisagés par les stratégies sont en grande partie atteints. Dans le secteur de la santé, les résultats sont plus mitigés. Enfin, « malgré ses efforts, l'UE n'a pas été en mesure de développer au Tchad une stratégie de stabilisation globale ». Encore une fois, la difficulté réside donc dans le passage des objectifs intermédiaires aux objectifs finaux.

Enfin, en ce qui concerne l'aide de l'Union européenne au Burkina Faso, l'efficacité de l'aide semble avoir été supérieure mais les données sont insuffisantes, notamment celles relatives à la pauvreté globale, pour pouvoir mettre en évidence des impacts positifs à moyen et long terme.

b) Une application toujours superficielle des principes de la déclaration de Paris

Depuis la déclaration de Rome sur l'harmonisation de l'aide (2003) puis celle de Paris (2005), suivie par celles d'Accra (2008) et de Busan (2011), la communauté internationale, soucieuse d'améliorer l'efficacité de l'aide publique au développement, a dégagé les grands principes dont la mise en oeuvre est indispensable pour garantir cette efficacité.

Ces principes ont irrigué l'ensemble des politiques, des programmes et des projets de développement.

Les 5 principes de la déclaration de Paris

L'objectif principal de la Déclaration de Paris est de réformer les modalités d'acheminement et de gestion de l'aide pour augmenter son efficacité, notamment en matière de réduction de la pauvreté et des inégalités, de consolidation de la croissance, de renforcement des capacités et de progression vers les OMD.

La déclaration est articulée en cinq principes : l'appropriation par les pays bénéficiaires, l'alignement de l'aide aux objectifs de ces pays, l'harmonisation des bailleurs de fonds, la gestion axée sur les résultats et la responsabilité mutuelle.

1- Appropriation : Les pays bénéficiaires de l'APD exercent une réelle maîtrise sur leurs politiques et stratégies de développement et assurent la coordination de l'action à l'appui du développement.

2- Alignement : Les donateurs font reposer l'ensemble de leur soutien sur les stratégies nationales de développement, les institutions et les procédures des pays bénéficiaires de l'APD. Dans la continuité du principe d'appropriation, l'alignement suggère que les pays bénéficiaires soient les véritables acteurs de leur développement.

3- Harmonisation : Les programmes des donateurs sont mieux harmonisés et plus transparents, et permettent une plus grande efficacité collective. Il s'agit ici de réduire la complexité des procédures d'octroi et de gestion de l'APD grâce à une convergence à la source.

4- Gestion axée sur les résultats : Gérer les ressources et améliorer le processus de décision en vue d'obtenir des résultats. Cette méthode de contrôle de l'efficacité du processus grâce à l'identification d'un certain nombre d'indicateurs (12 indicateurs figurent dans la Déclaration de Paris) permet d'élaborer des cadres d'évaluation de manière à rendre compte de la progression des stratégies nationales et sectorielles de développement.

5- Responsabilité mutuelle : Les donateurs et les pays bénéficiaires sont responsables des résultats obtenus en matière de développement. Ce dernier principe entend concrétiser un lien réel de partenariat entre les deux acteurs du développement identifiés par la Déclaration de Paris, soit les bailleurs de fonds et les pays bénéficiaires.

Malgré la mise en avant systématique, conformément à la déclaration de Paris, de la nécessité de l'appropriation et de l'alignement dans la mise en oeuvre des politiques de développement au Sahel, ces principes semblent souvent rester lettre morte.

S'il existe un général au sein des pays partenaires du Sahel des points d'appui qui rassemblent les données sur l'aide versée (comme le secrétariat à l'harmonisation de l'aide au Mali), en revanche il n'y a pas de vision globale du partenaire sur l'aide qu'il reçoit et sur la manière dont elle est censée « catalyser » le développement du pays .

Le processus qui a conduit à la conférence de Paris de 2015 sur le redressement économique du Mali n'échappe pas à cette critique. En effet, la Mission d'évaluation conjointe (MIEC Nord Mali) qui, en vertu de l'accord d'Alger, avait été constituée pour évaluer les besoins du Mali, n'a pas pu rendre ses travaux à temps pour la conférence. Dès lors, les priorités ont essentiellement été choisies par les partenaires techniques et financiers, parfois sur le fondement de recettes générales censées s'appliquer à tous les pays en sortie de crise.

Plusieurs autres personnes entendues par vos rapporteurs ont mis l'accent sur le fait que l'aide au développement fonctionne encore trop souvent selon les principes d'une « politique de l'offre » . Les institutions internationales et les agences de développement ont en effet pour objectif principal d'engager au maximum les financements dont elles disposent, puisque c'est à cette aune qu'elles sont jugées et évaluées par les pays financeurs ou par les pays de tutelle. Or, beaucoup des pays partenaires n'expriment pas de besoins précis, faute de réflexion stratégique ou des capacités techniques, financières et humaines nécessaires pour évaluer ces besoins. Dès lors, les partenaires techniques et financiers sont conduits à proposer des programmes ou des projets élaborés d'après l'idée qu'ils se font des besoins des pays et d'après les priorités de politique étrangères des États par lesquels ils sont financés, ou encore en reproduisant des projets déjà réalisés auparavant dans d'autres pays.

Conscients des conséquences négatives de ce fonctionnement, de nombreux acteurs de l'aide au développement tentent d'y échapper et d'appliquer plus énergiquement les principes de la déclaration de Paris. Ainsi, tant l'ambassadeur de France au Mali que le directeur de l'agence AFD du Mali ont-ils souligné lors de la visite de vos rapporteurs qu'ils s'efforçaient autant que possible de faire respecter le principe selon lequel il ne faut apporter une aide que là où il y a une demande clairement formulée et ne la poursuivre dans le temps que si le pays partenaire se l'approprie véritablement...

c) Une coordination des bailleurs en progrès mais encore insuffisante
(a) Un effort de coordination stratégique en amont : la programmation conjointe de l'Union européenne

La Commission et les États membres de l'Union européenne ont réalisé un effort important de coordination en élaborant, pour certains pays aidés, une programmation conjointe des interventions en matière d'aide au développement. Il existe ainsi une programmation conjointe pour le Mali, bientôt pour le Niger et la Mauritanie. Chaque programmation conjointe comprend une analyse de la situation et de la stratégie de développement du pays partenaire et de la réponse à y apporter, une répartition des tâches et des secteurs entre les bailleurs, enfin les dotations par secteur et par bailleur.

En principe, l'adoption d'une seule stratégie pour l'ensemble des bailleurs de l'UE, au lieu de multiples stratégies, devrait renforcer l'appropriation par le pays partenaire du processus de développement, qui se trouve davantage en situation d'insérer l'aide publique au développement au sein de sa propre stratégie.

La programmation conjointe de l'Union européenne

La programmation conjointe est un processus par lequel la Commission européenne, le Service européen pour l'action extérieure (SEAE) et les États membres de l'UE déterminent conjointement une stratégie de réponse en matière de développement pour un pays partenaire donné et préparent ensemble un document de stratégie conjoint, qui en principe doit remplacer les stratégies bilatérales. Ce processus implique également des décisions sur « qui fait quoi » à travers une répartition des tâches et des secteurs entre les bailleurs de l'UE prenant en compte leurs engagements à focaliser leur aide sur un maximum de trois secteurs dans chaque pays en développement qu'ils choisissent de soutenir, comme convenu en 2007. Les modalités conjointes de coopération, y compris les fonds communs, le cofinancement ou la coopération déléguée, ne font pas nécessairement partie de l'exercice de programmation conjointe.

La notion de « programmation conjointe » a été évoquée pour la première fois dans le rapport du Groupe adhoc sur l'harmonisation mis en place par l'UE (2004), dans le Consensus européen pour le développement (2005) et dans les Conclusions du Conseil de l'UE sur le cadre opérationnel sur l'efficacité de l'aide (2009), avant d'être testée à Haïti (2010) et au Sud-Soudan (2011). L'élan actuel en faveur de la programmation conjointe est lié au fait que l'on y voit une modalité pouvant contribuer à la mise en oeuvre du programme sur l'efficacité de l'aide et des engagements pris en 2005 dans la Déclaration de Paris .

Source : Tous pour un ou chacun pour soi ? Premières expériences de programmation conjointe de l'UE, Greta Galeazzi, Damien Helly et Florian Krätke, notes d'information de l'Européan center for development policy management, n°50, mai 2013.

Toutefois, les représentants des États membres craignent parfois que les intérêts et priorités de leur pays ne soient dilués à travers la coordination de l'aide, rendant ainsi leur influence politique moins visible 21 ( * ) . De ce fait, il est rare qu'un bailleur accepte, au seul motif qu'un secteur est suffisamment pris en charge par un ou plusieurs autres, de renoncer totalement à y intervenir.

(b) Une coordination opérationnelle parfois très formalisée mais qui ne suffit pas à rendre l'aide efficace

La coordination des partenaires techniques et financiers au Mali est particulièrement élaborée . Elle repose sur des relations entre les bailleurs, le ministère de l'économie et des finances et le secrétariat à l'harmonisation de l'aide malien. Elle a permis d'aboutir à la création d'une Stratégie commune d'assistante pays (SCAP) pour la période 2008-2011 (qui ne semble toujours pas révisée).

Instances de coordination et de concertation des PTF au Mali

Le Groupe exécutif de coopération (GEC) traite des thématiques et enjeux relatifs aux politiques de développement, des questions liées à l'efficacité du développement et à la coordination des interventions des PTF, du mode organisationnel des PTF et de ses interactions avec les autres acteurs. Le GEC est composé des chefs de coopération, représentants résidents, chefs et directeurs d'agences.

Le Groupe des ambassadeurs (GA) , complémentaire du GEC, est composé des ambassadeurs et représentants résidents ayant rang d'ambassadeur. Il est chargé des dialogues politiques dans ses dimensions stratégiques et sensibles, notamment les questions de droits humains, de réconciliation nationale, d'Etat de droit, les défis sécuritaires ou de toute autre thématique soumise à elle par le GEC.

Les groupes thématiques (GT) représentant les cadres de concertation des PTF au niveau sectoriel : économie agricole et rurale, économie et finances, justice et lutte contre la corruption, processus démocratique et organisation de la société civile, éducation et formation professionnelle, santé, eau et assainissement, transport, énergie. Ils sont responsables du suivi des engagements et des politiques relevant de leur secteur. Il existe également trois groupes transversaux : décentralisation et développement institutionnel, genre et autonomisation des femmes, environnement et changement climatique ; ainsi que cinq groupes ad hoc : la commission réhabilitation des zones post-conflits, l'équipe SCAP (stratégie commune d'assistance pays), la synthèse gouvernance, le groupe DDR (désarmement, démobilisation, réintégration), le groupe filets sociaux et protection sociale (non encore formalisé).

Ces groupes thématiques entretiennent un dialogue politique et technique avec les ministres sectoriels, le directeur de la cellule de planification et de statistiques correspondant.

La Troïka élargie a en charge l'animation des différents cadres. Elle est composée de deux bilatéraux et d'un multilatéral, plus la MINUSMA. Le lead de la Troïka est assuré par un chef de file sur une base rotative (un bilatéral ou un multilatéral).

Le dialogue entre les PTF et le Gouvernement malien a lieu à travers des réunions entre la Troïka et le Premier ministre, des réunions entre groupes thématiques et ministère technique, la revue annuelle du nouveau CREDD (Cadre stratégique pour la relance économique) qui a remplacé le Cadre stratégique pour la croissance et la réduction de la pauvreté (CSCRP) en décembre 2015, une revue budgétaire conjointe, une commission mixte PTF-Gouvernement, une réunion tripartie organisations de la société civile (OSC) /Gouvernement/PTF et des rencontres PTF/secteur privé.

Les partenaires techniques et financiers du pays ont ainsi, dès avant la crise de 2012, compris la nécessité d'une coordination élaborée pour éviter le syndrome du « troupeau de chats 22 ( * ) ».

Bien que complexe en elle-même, cette coordination très formalisée est indispensable s'agissant d'un pays où les partenaires techniques et financiers sont particulièrement nombreux.

Les praticiens de la coopération rencontrés par vos rapporteurs lors des auditions et à Bamako ont ainsi estimé que cette organisation était globalement opérante. En particulier, la coordination au niveau thématique semble relativement efficace et permet d'éviter les doublons.

(2) Une coordination toutefois incomplète et en partie impuissante

Si tous les acteurs rencontrés insistent sur la coordination comme nécessité absolue pour rendre l'aide plus « appropriable » et plus efficace, la mise en oeuvre concrète de cette coordination se heurte à l'existence de stratégies nationales de développement pas forcément convergentes ainsi qu'à la nécessité de préserver la visibilité des interventions, chaque acteur souhaitant pouvoir « planter son drapeau » sur les réalisations les plus prestigieuses.

De plus, pour les acteurs intervenant depuis longtemps dans les pays du Sahel et qui ont noué des relations étroites avec ceux-ci, il est encore plus difficile de cibler certains secteurs en se retirant des autres.

En outre, à supposer qu'il soit mené aussi loin que possible, cet effort de coordination ne peut résoudre à lui seul le principal problème, celui du manque d'appropriation et d'alignement de l'aide, comme le montre l'exemple du Mali.

En effet, malgré l'existence d'un plan d'action gouvernementale pour la période 2013-2018 (PAG) 23 ( * ) et toute l'organisation des partenaires techniques et financiers qui vient d'être décrite, le dialogue stratégique d'ensemble est loin d'être suffisant au plus haut niveau, ceci étant vrai non seulement pour le Mali mais aussi pour les autres pays de la région, à l'exception peut-être du Burkina Faso.

Les plans et les stratégies de développement existent, les mécanismes de coordination sont en place, les financements sont décaissés, mais in fine l'aide reste mal appropriée par des bénéficiaires qui manquent toujours de capacités techniques ou de volonté politique au plus haut niveau pour parvenir à cette appropriation.

d) Dans la période récente, l'insécurité, les conflits et les trafics entravent le développement

Les phénomènes de conflits et de trafics décrits dans la première partie du présent rapport ne sont pas seulement des marqueurs du sous-développement que l'aide au développement doit permettre de faire disparaître peu à peu. Ils sont également des forces agissantes qui paralysent, entravent ou ruinent les efforts accomplis par la communauté internationale et les pays partenaires .

S'il y a toujours aussi peu d'infrastructures de transport dans le nord du Mali, c'est ainsi en grande partie parce que les travaux sont sans cesse arrêtés par l'insécurité. Les personnels des agences ne peuvent pas se rendre sur place pour contrôler l'avancement des travaux et les ouvriers des chantiers sont régulièrement obligés de les abandonner. De même, un soulèvement violent peut détruire en quelques jours des équipements sanitaires, scolaires ou administratifs qu'il a fallu des mois ou des années pour construire.

Enfin, les trafics s'opposent directement à l'instauration de l'Etat de droit et d'une économie dynamique en générant en permanence de la corruption en en détournant les jeunes de l'économie légale.

e) L'aide internationale a-t-elle une part de responsabilité dans la crise malienne de 2012-2013 ?

Au-delà du constat de relatif échec de l'aide au développement dans les pays du Sahel, certains se demandent si l'aide au développement n'a pas une part de responsabilité dans la crise malienne 24 ( * ) .

En effet, selon eux, compte tenu des réseaux de clientélisme construits par le pouvoir malien dans les communes du nord, la sélection des projets, des partenaires ou des agences d'exécution était influencée par des arrangements frauduleux entre les entités publiques et les entreprises privées, parfois aux dépens de la population. Cette situation a sans doute empiré lorsque les bailleurs durent se retirer progressivement des zones affectées par une insécurité grandissante à partir de la deuxième moitié des années 2000.

Ceci met encore une fois en exergue la nécessité de placer la lutte contre la corruption et pour la bonne gouvernance au coeur des priorités dans le dialogue politique avec les pays du Sahel, afin d'éviter que l'aide au développement et les pays qui la fournissent ne se voient déconsidérés en étant associés aux yeux de la population à certaines pratiques des pouvoirs en place.

4. Malgré les discours, l'Afrique et en particulier le Sahel ne sont plus réellement une priorité de la France...
a) Le manque (ou l'excès) de stratégie globale : qui détermine la stratégie d'aide au développement de la France au Sahel ?

L'éclatement de la gouvernance française en matière d'aide au développement et de ses conséquences a déjà été analysé dans plusieurs rapports de notre commission 25 ( * ) .

Malgré des réformes successives, le dispositif institutionnel reste marqué par le rôle hypertrophié de la Présidence de la République et une concurrence entre les deux ministères des finances et des affaires étrangères. Ce dispositif institutionnel ne permet pas de porter cette politique de manière globale et cohérente : le secrétaire d'Etat ou ministre délégué chargé du développement, placé auprès du ministre des affaires étrangères, a du mal à jouer le rôle d'animation et de coordination interministérielle qui lui est assigné entre un ministre de plein exercice qui exerce les arbitrages internes au Quai d'Orsay et le ministre des finances qui tient les cordons de la bourse, chacun avec un prisme d'analyse différent de celui de la coopération.

Fait significatif, depuis que la coopération lui a été rattachée en 1998, le ministère des affaires étrangères a globalement démontré une grande difficulté à défendre les moyens de l'APD. Pour sa part, le ministère de l'économie est plus mobilisé par les moyens nécessaires pour les activités dont il a la charge directe en faveur des banques de développement et, au plan bilatéral, par les activités de prêt qui figurent à son budget que par les dons pour les projets dans les pays les plus pauvres ou pour l'assistance technique qui figurent au budget du ministère des affaires étrangères.

Enfin, l'AFD, qui est montée en puissance depuis la réforme de 1998, incarne une vision plus neutre et technique de l'aide au développement, construite en partie contre l'image de la Françafrique. L'importance des financements qu'elle peut mobiliser lui confère une certaine indépendance. Adossée aux grands objectifs internationaux de l'aide publique au développement, elle est désormais autant une banque de prêts aux pays émergents 26 ( * ) qu'une agence de coopération à destination des pays pauvres d'Afrique subsaharienne . Les nouvelles tendances de l'aide publique au développement au niveau mondial, développement durable et biens publics mondiaux, impliquent d'emblée une action quasi-universelle, non des interventions concentrées sur des pays avec qui nous aurions une relation privilégiée du fait de l'Histoire ou de notre proximité humaine et géographique.

Les principales interventions de l'AFD au Mali

Orientations de l'intervention de l'agence

Un cadre intervention pays (CIP) de l'agence consacré au Mali sur la période 2015-2019 prévoit les secteurs de concentration suivants : énergie, hydraulique urbaine, éducation - en particulier dans le nord - et formation professionnelle, agriculture et pastoralisme ; enfin appuis directs en faveur du secteur privé.

L'AFD met également en oeuvre les appuis budgétaires de l'Etat français, finance de nombreuses ONG françaises via son guichet DPO, appuie la coopération décentralisée.

Elle appuie également de nombreuses politiques publiques : réforme du secteur du coton, restructuration du secteur de la microfinance, réforme du secteur de l'énergie, réforme institutionnelle du secteur de l'eau, loi foncière agricole, cadre juridique des partenariats publics-privés, etc.

Enfin, PROPARCO intervient de manière importante au Mali (12,4 millions d'euros octroyés en 2015 en faveur du groupe hôtelier Azalaï).

Montants engagés

Le portefeuille de projets vivants AFD (hors ARIZ et PROPARCO) au 1 er janvier 2016 est de 325 millions d'euros (40 projets).

Les engagements de l'agence étaient de 62 millions d'euros en 2013 (sur 10 mois d'activité), 175 millions d'euros en 2014 (incluant le dossier de conversion de dette monétaire de 65 millions d'euros) et 141 millions d'euros en 2015.

Les décaissements sont de 47,2 millions d'euros en 2013, 42 millions d'euros en 2014 et 37 millions d'euros en 2015.

Les octrois prévisionnels en 2016 sont supérieurs à 100 millions d'euros avec des interventions prévues dans l'énergie, le coton, la microfinance, le produit ARIZ, la diaspora et enfin le projet SDNM2 (sécurité et développement dans le nord du Mali, 2 ème phase) dans le nord du pays.

L'AFD a un seul impayé au Mali : 6 millions d'euros avec la société Transrail ; toutefois, du fait de la résiliation de la concession de chemin de fer à cet opérateur début 2016 par le Sénégal et le Mali, l'encours non souverain pourrait être transformé en un encours souverain, qui serait dans ce cas remboursé par l'Etat du Mali.

Principes d'intervention

L'AFD intervient sur des projets à gros volumes (engagements supérieurs à 100 millions d'euros par an) et à impacts importants (ex : le projet Kabala (eau et assainissement) en faveur d'un million de Bamakois, la restructuration du secteur de la microfinance à l'échelle du pays, la Loi foncière agricole).

L'agence s'efforce de travailler avec des maîtrises d'ouvrage nationales en répondant aux demandes exprimées mais travaille aussi avec des ONG si nécessaire (ex : facilité santé mise en place en 2013 lorsque l'Etat n'était pas présent dans le nord du pays).

La partie malienne a de grandes attentes vis-à-vis de l'AFD qui est un partenaire de longue date. Ceci rend plus difficile l'exercice de concentration sectorielle.

Beaucoup d'interventions ont lieu dans le nord du pays, en zone rouge : une douzaine de projets pour plus de 80 millions d'euros, ce qui a conduit l'AFD à réfléchir à ses modes opératoires (cf. l'approche globale ci-dessous).

Enfin, l'agence a de bonnes relations avec Expertise France : coopération dans le domaine de la santé et bientôt dans l'éducation.

b) Des financements bien trop faibles pour peser

Cette gouvernance complexe se traduit également par une certaine incapacité à traduire dans les faits la priorité affichée de l'aide aux pays pauvres prioritaires.

La France était certes le second bailleur au Sahel en 2013.

Une aide qui se veut concentrée sur les pays pauvres prioritaires

En volume, l'aide de la France aux pays les moins avancés (PMA) a augmenté de 4 % entre 2009 et 2013. Si ce montant a connu une baisse importante en 2012, elle a été compensée par une augmentation de près de 25 % entre 2012 et 2013.

Au sein des PMA, la France a identifié des pays pauvres prioritaires, au nombre de 16, parmi lesquels se trouvent tous les pays du Sahel.

Conformément aux décisions prises lors CICID du 31 juillet 2013, à partir de 2014, la France concentre au moins la moitié des subventions de l'Etat et les deux tiers de celles mises en oeuvre par l'AFD sur un nombre limité de pays pauvres prioritaires (PPP), au nombre de 16 dont tous les pays du Sahel. En 2014, cet objectif de concentration des subventions strictement budgétaires relevant des programmes 110 (aide économique et financière au développement) et 209 (solidarité à l'égard des pays en voie de développement) a été quasi rempli, 49 % des subventions des programmes 110 et 209 ayant été à destination des pays pauvres prioritaires. L'objectif des deux tiers de subventions mises en oeuvre par l'AFD à destination des PPP a également été rempli en 2014.

Par ailleurs, Le montant des subventions accordées aux pays du Sahel en 2013 par l'AFD est de 62 millions d'euros, auxquels s'ajoutent, en 2013, 311 millions d'euros pour les prêts (souverains et non souverains) et 28 millions d'euros de garanties. Sur la période de 2007 à 2013, le total des engagements de l'AFD au Sahel s'élève à 3,3 milliards d'euros.

L'AFD a principalement investi dans le secteur de l'eau et de l'assainissement au Sahel avec un total de 315,5 millions d'euros, puis dans l'agriculture (257 millions d'euros). Le Sénégal est le premier pays récipiendaire des subventions AFD au Sahel (579 millions d'euros) suivi par le Mali (359 millions d'euros). L'agence intervient majoritairement en subventions de projets (442 millions d'euros).

Sur la période 2015-2020, l'AFD souhaite maintenir son effort financier sur ces pays, en plaidant pour une mobilisation accrue des ressources de l'Etat en subventions, et en renforçant ses partenariats avec les institutions européennes, notamment via la mobilisation du nouveau Fonds fiduciaire Stabilité et Migrations.

Toutefois, les cinq pays concernés par l'opération Barkhane sont très loin d'être les plus aidés par la France au sein de notre aide publique au développement .

Le Mali est ainsi en 2013 le 18 ème pays le plus aidé par la France, le Burkina Faso le 25 ème , le Niger le 27 ème , la Mauritanie le 39 ème et le Tchad le 40 ème ! En comparaison, l'Afrique du Sud est le troisième pays le plus aidé, le Mexique le 4 ème et la Chine le 5 ème . Cette situation est naturellement liée à la prédominance des prêts dans notre aide, ceux-ci étant pour l'essentiel destinés à des pays plus riches que les pays sahéliens.

Ces chiffres reflètent cependant une réalité : notre apport en subventions est désormais insuffisant . Cette analyse a déjà été faite à de nombreuses reprises dans des rapports des deux assemblées. Elle peut être résumée ainsi :

- sur un budget d'aide au développement d'environ 3 milliards d'euros, environ 1,7 milliard est confié aux institutions multilatérales et européennes. Il reste 1,2 milliard pour notre aide bilatérale ;

- une fois déduits les annulations de dette, les contrats de désendettement et de développement (C2D, qui en Afrique de l'Ouest ont principalement concerné la Côte d'Ivoire et la Cameroun) et les bonifications de prêts AFD, il reste moins de 230 millions d'euros par an pour des subventions aux pays les plus pauvres ;

- ceci représente entre 10 et 15 millions d'euros par an en moyenne pour chacun des 16 pays pauvres prioritaires, ce qui est très faible.

Ce faible montant est insuffisant pour financer dans les pays sahéliens des actions de développement rural, de développement social et toutes les infrastructures qui n'offrent pas de rentabilité à court terme mais qui, au contraire, resteront longtemps coûteuses (on pense aux routes dans le nord-Mali).

En outre, ces financements sont insuffisants pour lancer des projets permettant de mobiliser l'aide des institutions internationales dont la France est fortement contributrice, et qui pourraient davantage se concentrer sur les besoins des pays sahéliens. Au contraire, les Britanniques, par exemple, sont habiles à se servir de l'effet de levier de subventions plus importantes et sont ainsi capables de mobiliser plusieurs dizaines de millions d'euros dans les pays qu'ils considèrent comme prioritaires.

5. ... ni la France une priorité du Sahel

L'influence française dans la région sahélienne est liée au poids du passé, à la francophonie et à la forte contribution de notre pays à la formation des élites des années 1970 aux années 1990. Le nouveau président malien, Ibrahim Boubacar Keïta, est le vivant symbole de cette réalité : élève de secondaire au lycée Janson-de-Sailly à Paris, étudiant à la faculté des lettres de l'université Panthéon-Sorbonne, chargé de recherche au CNRS et enseignant en systèmes politiques du Tiers-Monde à l'Université de Paris Tolbiac, son discours à la Sorbonne lors de sa visite d'Etat à Paris en octobre 2015 a incarné de manière frappante cette proximité de la France et du Mali.

Aujourd'hui en revanche, le modèle français est un modèle parmi d'autres , fortement concurrencé par celui des autres principaux bailleurs, en particulier nord-américain, de la Chine ou des pays arabo-persiques, sans évoquer l'influence des autres grands émergents que sont l'Afrique du Sud ou le Brésil.

Si la popularité de notre pays au Mali a connu un regain considérable après l'opération Serval, cet effet semble déjà en voie d'effacement. Le point de retournement avant la lassitude puis l'exaspération inévitable devant la présence armée est même, selon des chercheurs de l'IRD entendus par vos rapporteurs, déjà dépassé . C'est ainsi que la présence de Barkhane peut parfois être présentée non pas comme un rempart contre le terrorisme mais au contraire comme un élément qui incite les terroristes à frapper prioritairement le Mali.

B. LES AMBIGUÏTÉS DE L' « APPROCHE GLOBALE »

L'insécurité qui règne depuis des années dans la région sahélienne du fait des soulèvements des groupes armés, des trafics et de la mauvaise gouvernance des États, constitue une entrave permanente au développement.

Or, la réciproque est également vraie : une sécurité durable ne peut être obtenue que par un développement plus avancé. Cette nécessité de transformer en profondeur la situation institutionnelle, économique et sociale des pays touchés par l'insécurité vaut à plus forte raison dans la période qui suit les conflits armés.

La nécessité d'une « approche globale » des crises a ainsi émergé à la suite d'une série de crises et de conflits où la communauté internationale est intervenue militairement et où elle a pu mesurer l'impérieuse nécessité d'ajouter à l'approche purement militaire une stratégie incluant tous les autres facteurs nécessaires à la stabilisation durable de l'Etat ou de la région concernée.

Bien qu'ils prennent aujourd'hui dûment en compte cette nécessité, les différents acteurs impliqués peinent toutefois à se coordonner, tandis que la question du financement des interventions à mener reste prégnante.

1. Une évidence : pas de sécurité sans une approche globale incluant le développement

Ce qu'il est désormais convenu d'appeler « approche globale » comporte un double aspect : premièrement, prévenir les conflits pour ne pas avoir à s'y impliquer militairement : prévenir un conflit est en effet bien moins coûteux à tous points de vue que d'intervenir militairement pour tenter de le résoudre. Ainsi, le coût de l'opération Serval en 2013 s'est élevé à environ 650 millions d'euros et le coût de Barkhane à environ 550 millions d'euros par an ! Il faut ajouter à ces sommes la participation aux opérations de maintien de la paix de l'ONU, soit à nouveau plus de 500 millions d'euros en 2016. Deuxièmement, transformer un succès militaire en succès politique . Les exemples de l'Afghanistan et de l'Irak montrent la difficulté de l'opération.

Mettre en oeuvre une « approche globale » implique ainsi de mieux prévenir les crises, par des actions de coopération structurelle militaire, de coopération civile et de développement. Le développement économique, la construction des structures de l'Etat, de l'administration, de la justice, sont en effet les plus sûrs moyens de prévenir les crises. Mais il s'agit aussi d'aller plus loin en analysant systématiquement, selon les concepts désormais mis en oeuvre par l'AFD, les « facteurs de crise » et les « facteurs de résilience » de chaque situation .

Il faut en outre mieux détecter les signaux avant-coureurs des crises et savoir aussi, dès les débuts de l'intervention militaire quand celle-ci s'avère inévitable, déployer, en coordination avec l'action militaire, des capacités civiles pour créer les conditions d'une stabilisation durable.

Le Livre blanc de 2008, puis celui de 2013, avaient déjà mis en avant cette nécessité d'une approche globale, qui avait conduit à l'adoption, en 2009, d'une stratégie interministérielle de gestion civilo-militaire de gestion des crises extérieures. La France puis l'Union européenne à sa suite ont aussi mis en place des stratégies intégrées pour le Sahel (respectivement en 2008 et en 2011), qui ont toutes les deux pour caractéristique d'inclure un large périmètre d'États dans leur réflexion et d'ambitionner de mener une approche transversale alliant développement, sécurité et gouvernance.

Dans leurs deux rapports de 2013 « Mali, comment gagner la paix ? » et « Sahel, pour une approche globale », nos collègues Jean-Pierre Chevènement et Gérard Larcher avaient montré que, si le concept d'approche globale semblait bien défini, il peinait toutefois à se traduire dans les faits et à s'organiser au plan opérationnel . Ils constataient notamment que « La coordination entre l'action des militaires, celle des diplomates et des coopérants est loin d'être une marque de fabrique française, là où d'autres cultures, notamment britanniques, savent impulser des démarches plus transversales ».

Où en est-on trois ans plus tard ?

2. Des acteurs qui ont pris la mesure de l'enjeu...
a) Un effort français pour établir une stratégie interministérielle régionale, qui a permis la mobilisation de la communauté internationale

Notre pays s'est engagé dès 2008 dans une stratégie interministérielle, sous l'égide du SGDSN . La stratégie saharo-sahélienne française couvre ainsi six pays (Mauritanie, Mali, Burkina Faso, Niger et Tchad) et est née en réponse à des défis identifiés dès 2006 : la crise touarègue au Mali, l'extension des opérations du groupe salafiste pour la prédication et le combat (GSPC) algérien vers le Sud du Sahara sous franchise AQMI et la question de l'absence de développement des pays du Sahel sur fond de défi démographique et climatique. Elle couvre le spectre de la sécurité, du développement et de la gouvernance, prévoit une action concertée avec les partenaires africains et multilatéraux et vise à aider les États sahéliens à exercer pleinement leur souveraineté, à soutenir l'émergence d'une réponse régionale structurée sur les plans sécuritaire et économique.

Les axes de la stratégie saharo-sahélienne de la France

- Renforcer les capacités publiques à lutter contre les menaces criminelles (trafics, terrorisme).

- Cibler les trafics et leur lien avec le terrorisme.

- Répondre aux frustrations qui alimentent la radicalisation violente.

- Encourager et faciliter les initiatives de coopération sécuritaire régionales.

- Améliorer les conditions de vie des populations et l'adaptation aux défis environnementaux.

La stratégie a évolué en 2014, compte-tenu des crises libyenne et malienne, vers une régionalisation de l'effort (substitution de Barkhane à Serval et Épervier et soutien au G5 Sahel) et vers une implication accrue des acteurs internationaux (Union européenne et États-Unis). Une nouvelle révision est en cours en 2016.

La crise malienne a certes manifesté les limites de la stratégie saharo-sahélienne puisqu'elle n'a pas permis de l'éviter. Néanmoins, cette approche globale a indéniablement obtenu certains résultats :

- la France a mobilisé ses partenaires sur l'ensemble des sujets et a réussi à faire émerger la région saharo-sahélienne en tant que telle, alors que les approches étaient jusqu'à présent très éclatées. Outre l'Union européenne (cf. ci-dessous), les Nations unies ont étendu le mandat du Représentant spécial du secrétaire général de l'ONU Afrique de l'Ouest au Sahel et se sont engagées à travers leurs agences, dont le PNUD. Celui-ci a également développé une stratégie Sahel. La Banque mondiale s'est investie à son tour ;

- le G5 Sahel est monté en puissance au début de 2014 et la coopération transfrontalière a été structurée de manière durable à la fin de 2015 avec la signature de la charte « G5 Sahel PMCT (partenariat militaire de coopération transfrontalière)» ;

- on peut estimer que la mobilisation à travers l'approche régionale a permis d'éviter une extension de la crise à la Mauritanie et au Niger, alors qu'il existait un risque évident de contagion.

b) Une gestion à la fois civile et militaire des crises

Dès 2007, le Royaume-Uni s'est doté d'une « Stabilisation unit » (SU), placée sous l'autorité du ministère de la défense, du Foreign Office et du Department for international development (DFID).

D'après le Livre blanc de 2008, la résolution des crises doit suivre « des stratégies réunissant l'ensemble des instruments diplomatiques, financiers, civils, culturels et militaires, aussi bien dans les phases de prévention et de gestion de crises proprement dites que dans les séquences de stabilisation et de reconstruction après un conflit ».

En France, une Stratégie interministérielle pour la gestion civilo-militaire des crises extérieures été adoptée en 2009. Le pilotage interministériel a été placé sous l'égide du ministère des Affaires étrangères avec un échelon de pilotage de haut niveau se réunissant plusieurs fois par an au Centre de crise (CDC) du quai d'Orsay et une structure opérationnelle modulaire, placée sous l'autorité du CDC depuis décembre 2013 afin de réunir les administrations concernées par la gestion de crise extérieure.

Cette structure chargée du pilotage, de la mobilisation et de la coordination interministérielle pour planifier l'engagement civil français en phase post-crise est devenue la « mission pour la stabilisation » (MS) placée en 2014 au sein du Centre de crise. Composée de neuf agents fournis par les différents ministères concernés, en lien avec les ambassades, les organisations internationales, les ONG, etc., elle intervient pour recréer les conditions d'un état de droit, rétablir la justice, aider aux processus électoraux, etc.

La France a ainsi mis en place une gestion intégrée des crises qui va de l'amont, avec l'action du Centre de crise du quai d'Orsay et du centre de planification et de conduite des opérations (CPCO) de l'état-major des armées, à l'aval avec l'intervention de la MS. En revanche, il n'y a pas de crédits spécifiques pour cette gestion des crises, ce qui oblige à glaner des financements au coup par coup.

c) L'Union européenne soutient l'approche globale

La stratégie française a permis de mobiliser l'Union européenne qui a à son tour élaboré en 2011 une stratégie Sahel, mobilisé les reliquats du 10 ème FED (1,5 milliard d'euros ont été alloués au titre de cet instrument au Mali, à la Mauritanie et au Niger pour soutenir des actions figurant dans la stratégie) et le 11 ème FED (2,47 milliards d'euros pour le Sahel).

En outre, trois missions de la politique de sécurité et de défense commune (PSDC) au Sahel ont contribué à la mise en oeuvre de l'approche globale européenne : les missions civiles EUCAP SAHEL Niger et Mali 27 ( * ) , qui fournissent des conseils et une formation pour soutenir les autorités nationales et les forces de sécurité intérieures des pays dans leurs capacités de lutte contre le terrorisme et la criminalité organisée, ainsi que la mission EUTM Mali, mission militaire s'appuyant sur les effectifs militaires de 23 États membres (environ 550 militaires), qui entraîne l'armée malienne et apporte une expertise dans le domaine de la réforme des forces armées.

Par ailleurs, l'Instrument de stabilité a été largement mobilisé pour le Sahel.

L'utilisation de l'Instrument de stabilité et de l'instrument contribuant à la stabilité et à la paix en faveur du Sahel

L'instrument de stabilité, ainsi que son successeur, l'instrument contribuant à la stabilité et à la paix, ont été largement utilisés dans toute la région du Sahel, que ce soit au titre de leur volet « réaction aux crises à court terme » ou de leur volet à long terme.

Dans le domaine de la sécurité, les activités ont notamment consisté à aider les services civils chargés de faire respecter la loi et les services de justice à rétablir la sécurité et à assurer la protection des civils (Mali), à apporter un soutien en matière de sécurité au niveau local, y compris pour la création de services de police municipale (Niger) et à appuyer le renforcement des capacités de gestion des frontières (Mauritanie, Niger-Nigeria).

Un soutien a également été apporté à des initiatives de lutte contre le terrorisme et contre la radicalisation, à la création du Collège sahélien de sécurité (actuellement composé de représentants du Mali, de Mauritanie et du Niger) approuvée par le G5 du Sahel, à la promotion de la tolérance, du dialogue et de la liberté d'expression, du dialogue interconfessionnel et intraconfessionnel, ainsi qu'à la fourniture d'une assistance éducative aux écoles coraniques (Mali, Nigeria, Niger), à la lutte contre l'extrémisme violent par la création de débouchés socioéconomiques, notamment pour les jeunes (Tchad, Niger, Nigeria).

Les programmes de désarmement, de démobilisation et de réintégration favorisant la réintégration sociale et économique des anciens combattants/soldats ont également bénéficié d'un soutien (Nigeria, Tchad). Suite à l'évaluation en matière d'alerte précoce réalisée en 2013, une analyse des publications sur la lutte contre l'extrémisme violent a été commandée et un expert a conseillé plusieurs délégations dans la région sur la manière de traiter la lutte contre l'extrémisme violent dans leur contexte particulier.

Source : conclusions du Conseil sur le plan d'action régional en faveur du Sahel pour la période 2015-2020, 20 avril 2015.

Enfin, la nomination d'un représentant spécial de l'UE (RSUE) en 2013 a contribué à une approche plus proactive de l'UE à l'égard de la région.

La contribution, en particulier financière, de l'Union européenne à la stabilisation du Sahel est significative et compense partiellement un soutien plus « discret » des États membres.

Par ailleurs, la stratégie de l'UE a suscité une bonne adhésion des pays partenaires, une convergence dans la perception des menaces ainsi, semble-t-il, qu'un renforcement de la coopération de l'Algérie. En outre, en tant que projet phare du SEAE, la stratégie pour le Sahel bénéficie d'une forte attention politique et administrative.

Plus généralement, selon une étude 28 ( * ) , la stratégie pour le Sahel « applique une approche en matière de sécurité fondée sur le développement, au lieu d'appliquer une approche en matière de développement fondée sur la sécurité ».

d) La prise en compte de l'approche globale par l'AFD et par Expertise France

À la suite de la multiplication des situations de fragilité et des terrains de crise dans le champ d'intervention de l'agence, l'AFD a été sollicitée par ses tutelles et les acteurs du dispositif français pour renforcer son action dans les zones de crise . Ce tournant stratégique s'inscrit dans un mouvement de fonds plus général où les bailleurs cherchent à adapter leurs dispositifs d'intervention au sein des États fragiles : c'est le cas de la Banque mondiale (dans un rapport de 2011), du Royaume-Uni (dans ses priorités sur les États fragiles réaffirmées dans la nouvelle stratégie de l'aide britannique de novembre 2015) ou encore de l'Allemagne (stratégie orientée vers les actions contre les fragilités dès 2011, un tournant accentué en 2015 à la suite de la crise des réfugiés).

L'adaptation de l'organisation et des procédures de l'AFD dans le cadre de l'approche globale

Dans son organisation interne, dans le but d'opérationnaliser son approche, l'agence a rattaché en 2014 sa Cellule crises et conflits à la direction exécutive des opérations (au lieu de celle des études de la recherche et des savoirs) au sein du département des appuis transversaux. Elle l'a chargée, en la renforçant, de l'appui stratégique et opérationnel au département technique et géographique ainsi qu'à ses agences locales dans les contextes de fragilité, de crise et de catastrophe.

L'agence a accentué la prise en compte préventive des vulnérabilités dans ses documents de cadrage d'activité (stratégies sectorielles et régionales et cadres d'intervention pays) par une analyse des fragilités et facteurs de résilience et une analyse par scénarios afin d'anticiper davantage les risques et les opportunités. Le cadre d'intervention transversal 2013-2015 sur l'action de l'AFD dans les contextes fragiles affirme ainsi 4 principes clés d'intervention : ne pas nuire ; privilégiez les opérations à « double dividende » (actions de développement et réduction des fragilités) ; une meilleure articulation entre les opérations d'urgence, de transition et de développement ; le renforcement des partenariats avec la communauté des bailleurs et au sein de l' « équipe France » .

De manière opérationnelle, l'AFD s'est dotée d'une nouvelle gamme d'instruments financiers pour répondre aux enjeux de réactivité et de diversification des partenaires dans les zones de fragilité (appels à projets de sortie de crise, outil d'intervention de faibles montants, fonds d'étude, flexibilité dans les projets). L'agence s'est également investie dans des thématiques nouvelles telles que les réfugiés, l'emploi des jeunes, les villes en crise, les ruptures sociales dans la jeunesse au Sahel et les risques de radicalisation .

Traduction opérationnelle de ces principes, l'AFD s'est engagée dans plusieurs zones de crise et a soutenu plusieurs initiatives :

- l'appui aux collectivités au Liban et en Jordanie qui accueillent les réfugiés syriens afin de prévenir les tensions avec les communautés hôtes ;

- au Sahel, l'AFD finance des projets de développement rural permettant de réduire les tensions. La Banque mondiale (cofinancements, échanges stratégiques) et la Commission européenne (délégation de fonds) souhaitent travailler avec l'AFD pour répliquer ces projets et les étendre ;

- la République centrafricaine a servi de laboratoire à cette nouvelle approche. L'agence est restée très engagée pendant la crise. Elle finance par exemple des projets à haute intensité de main d'oeuvre, couplés à de la formation professionnelle, pour fournir des alternatives aux jeunes tentés de rejoindre les groupes armés.

Par ailleurs, Expertise France, la nouvelle agence française d'expertise internationale créée en janvier 2015, outre son appui à la MINUSMA, joue également un rôle important dans la mise en oeuvre de l'approche globale, à travers le portage de projets régionaux axés sur la stabilisation des États en crise et sur la sécurité, ainsi que dans le domaine crucial du renforcement des institutions régaliennes et des capacités stratégiques des États du Sahel.

Ainsi, l'agence d'expertise porte un projet de soutien à la stabilisation et à la sécurisation des espaces frontaliers de la zone du Liptako Gourma en coordination avec les autres opérateurs français et partenaires européens et en lien avec le G5 Sahel. Ce projet se développerait autour de trois axes d'intervention : développement, renforcement de la coopération transfrontalière et appui à la gouvernance transfrontalière. La question aurifère et minière étant centrale dans cette région, ce projet s'attacherait en particulier à la sécurisation et à la création de pôles de développement autour des sites miniers.

Enfin, Expertise France s'implique dans la mise en oeuvre du Fonds fiduciaire d'urgence de l'Union européenne en faveur de la stabilité et de la lutte contre les causes profondes de la migration irrégulière et du phénomène des personnes déplacées en Afrique (FFU).

Les interventions d'Expertise France dans le cadre du Fonds fiduciaire d'urgence de l'Union européenne en faveur de la stabilité et de la lutte contre les causes profondes de la migration irrégulière et du phénomène des personnes déplacées en Afrique (FFU).

Au Mali, Expertise France met en oeuvre le Programme d'appui au renforcement de la sécurité dans les régions de Mopti et de Gao et à la gestion des zones frontalières (PARSEC) dans le cadre d'une délégation de crédits de l'UE, en partenariat avec d'autres États membres, au premier rang desquels l'Allemagne. Ce programme de 29 millions d'euros répond à une commande de la Commission européenne et s'inscrit dans le cadre des activités des missions européennes EUTM Mali et EUCAP Sahel. Il s'articule autour de deux objectifs principaux : l'amélioration de la sécurité des populations et du contrôle du territoire et le renforcement de la gestion des espaces frontaliers, y compris la gestion des flux et des personnes et la coopération transfrontalière. De manière transversale, l'amélioration de la redevabilité externe de l'Etat et l'instauration d'un dialogue entre la société civile et les services déconcentrés de l'Etat feront l'objet d'une attention particulière.

L'agence pourrait soumettre 7 projets au prochain comité du volet Sahel/ Lac Tchad (septembre 2016), d'un montant supérieur à 180 millions d'euros :

- Burkina Faso : Programme d'appui à l'emploi dans les zones frontalières et périphériques (5 millions d'euros).

- Mauritanie : projet de prévention de la radicalisation violente (6 millions d'euros), programme d'amélioration de l'employabilité des diplômés du supérieur (6,7 millions d'euros), projet d'appui à la lutte contre les trafics transfrontaliers (20 millions d'euros).

- Projet régional d'appui au développement socio-économique et de renforcement de la résilience des populations dans l'espace CEDEAO (millions d'euros).

- Projet régional sur la thématique des migrations , centré sur les thématiques de la lutte contre la traite des êtres humains, de la protection des migrants et de la réinsertion des migrants de retour (50 millions d'euros), avec la coopération espagnole (AECID) et l'OIM.

- Projet pilote de soutien à la stabilisation et à la sécurisation des espaces frontaliers de la zone du Liptako Gourma (cf. ci-dessus).

3. ...mais qui ont toujours du mal à se coordonner
a) Une coordination encore perfectible

Si la complexité de l'exercice est évidente s'agissant d'un processus impliquant par définition un grand nombre d'intervenants, il n'en reste pas moins que des errements subsistent malgré huit années de mise en oeuvre du concept d'approche globale. Si tous les instruments ont été mis en place, leur fonctionnement conjoint reste perfectible.

Vos rapporteurs relèvent par exemple que :

- la DCSD a décidé de lancer au début de 2014 un projet conjoint sécurité/développement dans la région des trois frontières du Mali, Niger et Burkina Faso (région du Liptako-Gourma) et n'est pas parvenu à associer l'AFD, qui considère (non sans arguments), d'une part, que la sécurité n'entre pas dans son mandat et, d'autre part, qu'elle est plus qualifiée que la DCSD pour lancer des projets de développement ;

- le ministère des affaires étrangères et du développement international a récemment confié des missions très proches à la Cellule « crises et conflits » de l'AFD et à la mission pour la stabilisation du Centre de crise et de soutien . Les deux organismes pourront en effet déployer des interventions dans le domaine de la gouvernance, pourtant transféré à l'AFD. Le principe de répartition des actions (outre le fait que l'AFD n'intervient pas dans le domaine de sa sécurité) se fonde sur les montants engagés et sur la rapidité de mise en oeuvre. La Mission pour la stabilisation interviendra ainsi pour des projets inférieurs à 150 000 euros et qui doivent être mis en place en quelques semaines, avec des objectifs politiques de très court terme, par exemple la consolidation de la paie des fonctionnaires après une grave crise, l'AFD pour les projets plus importants. L'efficacité de cette répartition devra être testée dans la durée ;

- au niveau stratégique et de planification, de l'avis de plusieurs praticiens entendus par vos rapporteurs, le SGDSN, du fait de son positionnement, n'a pas une autorité suffisante face au ministère des affaires étrangères et au ministère de la défense pour imposer un véritable échange d'informations et ainsi coordonner la planification des interventions au Sahel.

Il résulte de ces difficultés de coordination que les acteurs de l'approche globale se coordonnent parfois « par le bas » en passant entre eux des accords « locaux » qui permettent finalement d'obtenir la coordination voulue, mais de manière sans doute moins rapide et plus imparfaite que ne le permettrait une coordination plus efficace en amont, par exemple par le biais du SGDSN.

À titre d'exemple, la Cellule crises et conflits de l'AFD a développé de son propre chef ses relations au sein du dispositif français de prévention et de gestion des crises. Elle a ainsi noué des relations avec la Mission de stabilisation et la Mission de l'action humanitaire du Centre de crises et de soutien (avec un protocole signé fin 2015) et s'est rapprochée de la DCSD. Depuis 2014, l'agence a également noué des relations avec des services du ministère de la défense : échanges d'informations, analyse et formation avec la DGRIS, l'INSERM, l'IHEDN, le CHEM ; planification des opérations militaires avec le CPCO et le CIAE ; appuis sécuritaires aux missions de l'AFD sur le terrain. En outre, un accord-cadre va être signé avec le CEMA, identifiant la nature des collaborations possibles et la juste distance à entretenir entre les forces militaires et les acteurs du développement. L'AFD a également noué des relations plus intenses avec les acteurs humanitaires.

Enfin, le ministère des affaires étrangères a mis en place sa propre structure de coordination au moment de la crise malienne, une « task force » interministérielle temporaire qui a coordonné les acteurs pendant le conflit. Il existe aussi actuellement une « task » force consacrée à la crise due aux agissements de Boko Haram autour du lac Tchad.

b) Projets à impact rapide ou projets de développement ?

Aux difficultés de stratégie et de coordination des acteurs s'ajoute une difficulté conceptuelle à définir ce que sont des projets post-crises combinant impact de développement et impact d'amélioration de la sécurité.

Par exemple, les « quick impact project (QIP)» ou projets à impact rapide sont avant tout des projets visant à l'acceptation de la force par la population, accompagnant ou succédant immédiatement à une intervention armée. Ils n'ont pas d'objectif de développement à long terme et doivent par définition être identifiés comme provenant de la même source que l'intervention militaire. Ils doivent être mis en place en quelques semaines et mis en oeuvre au maximum en quelques mois.

Au contraire, les projets de développement ont une phase d'évaluation préalable et d'instruction de plusieurs mois et peuvent être mis en oeuvre sur plusieurs années. Ils ne doivent pas avoir de lien avec la force militaire, afin de ne pas faire de l'organisme de développement qui les met en oeuvre une cible pour les éventuels groupes hostiles encore actifs après la crise et de préserver son « capital » d'opinions positives au sein de la population.

Or, l'approche globale post-conflits suppose justement de mettre en place de véritables projets de développement , ayant un impact réel et durable en termes de développement, mais ayant aussi des effets très rapides pour que la population et les parties à un règlement récent de la crise puissent immédiatement recueillir les dividendes de la paix. Il ne s'agit pas seulement de soutien à la gouvernance mais aussi d'infrastructures de santé ou économiques présentant une utilité évidente pour la population. Par ailleurs, dans les situations de crise, la situation sécuritaire dégradée peut rendre nécessaire une protection des acteurs du développement par les militaires.

De tels projets de développement à impact rapide commencent à se mettre en place non sans difficultés , tant ils supposent une révision des pratiques ordinaires des différents acteurs civils et militaires.

En effet, d'un côté les acteurs du développement doivent se mobiliser très rapidement, estimer les besoins réels de la population, raccourcir leurs procédures d'instruction et identifier les relais de mise en oeuvre pertinents.

De l'autre, l'armée est éventuellement sollicitée pour aider à identifier les besoins, voire pour protéger des travaux ou contrôler leur exécution. Les militaires peuvent exprimer des réticences compréhensibles dans la mesure où ils s'éloignent alors de leur coeur de métier sans en avoir nécessairement les moyens .

Malgré ces obstacles, au Mali, l'action conjointe de l'ambassadeur de France, de Barkhane puis de l'AFD et des autorités maliennes a abouti au lancement d'un tel projet de développement à impact rapide, prévoyant la mise en place d'infrastructures à destinations des populations du nord.

Le projet sécurité et développement dans le Nord du Mali - SDNM 1

Ce projet, signé le 6 juillet 2015, est subventionné pour 1 million d'euros dont 750 000 euros de l'AFD et 250 000 euros de l'Agence nationale d'investissement des collectivités territoriales du Mali (ANICT) qui assure la maîtrise d'ouvrage. Le conseil régional de Kidal, les communes de la région de Kidal (les projets font l'objet d'une délibération des conseils municipaux) et leurs représentants sont également associés.

Il vise à mettre en place des infrastructures à mise en oeuvre et impact rapide d'ici la fin du premier semestre 2016, soit une durée totale du projet d'un an, ce qui est très court pour un projet de développement.

Le projet s'est appuyé sur les populations locales et leurs leaders, consultés et associés à l'identification et à la pré-sélection des projets. Un comité composé de l'ANICT, de l'AFD et du Conseil régional de Kidal examine la faisabilité technique et l'opportunité des projets portés par les communes.

Le projet met à contribution les acteurs locaux : bureaux d'étude et entreprises de travaux recrutés localement, main d'oeuvre locale pour des travaux à haute intensité de main d'oeuvre.

En outre, Barkhane effectue une veille sécuritaire et, quand cela est possible et compatible avec les opérations qu'elle mène, un contrôle de la réalisation des travaux.

Le projet comprend deux phases. La première, réalisée à la fin de 2015, a consisté en l'électrification des communes d'Aguelhok et d'Anefis (groupe électrogène et réseau), la construction d'un barrage filtrant à Tessalit, d'un centre de santé communautaire à Djouhane dans la commune de Kidal et la réhabilitation de celui d'Essouk.

La deuxième phase, en cours de réalisation, prévoit la réhabilitation de centres de santé communautaires à Timthaghène, Abeibara, Aliou/Kidal et Anefis, la construction d'ouvrages hydrauliques à Inafaghot/Tinessako, Intadeyni/Kidal, Tintersene/Kidal, de la piste de Dekundekun à Essouk et de centres d'accueil à Adielhoc et Tessalit.

Le projet SDNM 2, d'une ampleur bien supérieure, est en cours d'instruction et devrait recevoir un financement de 5 millions d'euros de l'AFD, 13 millions d'euros du Fonds fiduciaire d'urgence européen, 1 million d'euros du Mali. Il concernera les régions de Taoudenni, Kidal, Ménaka, Gao et Mopti. Il vise à la construction de réseaux électriques et de groupes électrogènes, d'ouvrages hydrauliques (forages, puits maraîchers et pastoraux, barrages filtrants, infrastructures de transport (réhabilitation de pistes), infrastructures sociales (construction et réhabilitation d'écoles primaires et de centres de santé communautaires), d'infrastructures collectives productives (marchés, parcs à bétail). La maîtrise d'ouvrage sera nationale (ministère de la décentralisation et de la réforme de l'Etat), les opérateurs des bureaux d'études et des ONG déjà actifs dans les zones du projet.

4. Comment financer la sécurité et le régalien ?

La question du financement des institutions régaliennes des États en post-crise reste entière. L'exemple de l'Afghanistan a montré que des financements considérables étaient nécessaires pour renforcer les institutions régaliennes et de sécurité d'un Etat : armée, police, gendarmerie, justice, voire douanes. Or, l'aide militaire n'est pas éligible à l'aide publique au développement. En outre, en ce qui concerne la France, la police n'entre pas dans le mandat de l'AFD (ce secteur est donc exclu du transfert de la gouvernance par le MAEDI à l'agence).

Outre les dons de matériels militaires dans le cadre de la coopération bilatérale avec les pays du Sahel, l'Union européenne est le seul acteur à intervenir, dans le cadre de la PSDC, par le biais de ses missions de formation et de conseil. Toutefois, les pays du Sahel ne sont pas tant intéressés par ce type de services que par des capacités matérielles supplémentaires, notamment dans le domaine des équipements de surveillance et de mobilité, afin de pouvoir couvrir avec plus d'efficacité les espaces saharo-sahéliens. Par ailleurs, la MINUSMA ne peut rembourser que des équipements déjà acquis, alors que les États du Sahel ont de grandes difficultés à financer leur acquisition sans rogner sur d'autres dépenses essentielles.

Dans ce contexte, votre commission a déjà plusieurs fois souligné à quel point l'attrition des moyens de notre coopération sécuritaire structurelle (menée par la DCSD) et l'absence de crédits spécifiques de coopération opérationnelle (mis en oeuvre par l'état-major des armées), pourtant au coeur des besoin aujourd'hui au Sahel, sont regrettables.

Ceci est d'autant plus dommageable qu'avec le transfert des compétences en matière de gouvernance, l'AFD va pouvoir consacrer davantage de financements à la gouvernance que ne le faisait le ministère des affaires étrangères et du développement international à travers les crédits du FSP (fonds de solidarité prioritaire), eux-mêmes en diminution drastique depuis plusieurs années. Il y aura dès lors un déséquilibre flagrant entre, d'un côté des actions de renforcement des administration, y compris en matière de justice, qui pourront bénéficier de la « force de frappe » de l'AFD, et de l'autre des actions de coopération en matière de sécurité et de défense dépourvues de moyens.

C. POUR UNE VÉRITABLE STRATÉGIE DE DÉVELOPPEMEN T AU SAHEL

Les propositions de vos rapporteurs s'articulent autour de trois axes : l'établissement d'une stratégie unifiée et d'axes d'intervention clairs pour notre politique d'aide au développement ; une réforme de la gouvernance du secteur de l'aide publique au développement dans notre pays ; enfin une clarification et une mise en oeuvre plus efficace de l' « approche globale ».

1. Remettre le Sahel au coeur de notre stratégie d'aide au développement

Afin de ne plus avoir à réagir au coup par coup aux crises sécuritaires et humanitaires, il semble tout d'abord nécessaire de se projeter à long terme pour envisager ce que pourrait être le Sahel de l'avenir s'il parvenait à se développer.

Tout d'abord, le développement du Sahel ne doit pas être pensé sans celui de l'ensemble de l'Afrique de l'Ouest et du Maghreb . Les migrations vers les pays du Golfe de Guinée et vers l'Afrique du Nord, la croissance des grandes métropoles ouest-africaines, le commerce transsaharien constituent le cadre naturel de ce développement. Les flux de trafics deviendraient ainsi des flux commerciaux, participant à l'enrichissement de toute la région.

La coopération avec les pays européens pour mieux encadrer les phénomènes migratoires et les faire participer davantage au développement est également un impératif. La révision pour 2016 de la stratégie saharo-sahélienne de la France prend désormais en compte ces aspects puisqu'elle prévoit « le renforcement de l'intégration des flux économiques et humains entre nord et sud du Sahara pour tirer celui-ci de sa marginalisation », préconise une connexion entre Maghreb et Sahel et estime que « sur de nombreux sujets, la verticale Afrique/Maghreb/Europe est le seul cadre cohérent ».

Parallèlement, les pays du Sahel pourraient s'intégrer dans l'économie mondiale en s'appuyant sur des points forts enfin mis en valeur : secteur minier exploité de manière durable au bénéfice des populations ; agriculture à la productivité améliorée fournissant un coton d'excellente qualité à l'export ainsi que des textiles transformés au sein même des pays producteurs ; percée dans le domaine des énergies renouvelables, en particulier dans le secteur de l'énergie solaire ; intégration progressive du secteur informel à l'économie légale et création de multiples PME capables d'employer une partie significative de la jeunesse, etc.

Il est également indispensable de tenir un discours cohérent sur les relations de notre pays avec les pays du Sahel .

La réforme de l'aide au développement de 1998, qui était pensée pour mettre fin à la « Françafrique », était indispensable. Cependant, le contexte a changé. Aujourd'hui les États-Unis sont le premier bailleur de la région et la Chine et les grands émergents multiplient les partenariats avec les pays africains. Pendant ce temps, la France consacre plus d'un demi-milliard d'euros par an en opérations militaires indispensables mais sans aucune retombée immédiate en matière de développement et qui risquent même parfois, après l'euphorie des premiers temps qui ont suivi l'intervention au Mali, de rendre notre pays impopulaire.

Par ailleurs, cette question ne diffère pas de celle plus générale des relations de la France avec l'Afrique, à laquelle nos collègues Jeanny Lorgeoux et Jean-Marie Bockel ont tenté de répondre dans leur rapport l' « Afrique est notre avenir », et dont nous reprendrons ici quelques conclusions.

Nos collègues proposent ainsi de définir cette relation non comme un héritage du passé colonial, mais en fonction des paramètres qui la façonnent aujourd'hui en insistant sur le fait que la France est liée à l'Afrique :

- parce que des millions de Français sont d'origine africaine, ou vivent ou ont vécu en Afrique ;

- parce que la France a des intérêts économiques et stratégiques en Afrique et qu'elle regarde ce continent en essor comme un réservoir de croissance ;

- parce que l'Afrique, notamment le Sahel, représente un enjeu pour la sécurité nationale de la France (trafic de personnes, trafic de drogue, terrorisme...) ;

- parce que la France est garante de la stabilité monétaire des quinze Etats africains appartenant à la zone franc ;

- parce que nous avons un intérêt partagé à un développement durable et harmonieux de l'Afrique.

Et de conclure : « Notre discours sur l'Afrique doit faire sa part à l'Afrique qui décolle. Nous en avons décrit ici les nombreux enjeux politiques, économiques, commerciaux, environnementaux et culturels. (...) Assumer nos intérêts, s'orienter vers l'avenir, miser sur notre expertise de l'Afrique : voilà les orientations que nous proposons pour structurer un nouveau récit sur notre relation à l'Afrique ».

Pour concrétiser ces orientations et mobiliser les énergies autour de leur mise en oeuvre, il serait judicieux d'élaborer une stratégie Sahel unique , là où il en existe plus d'une quinzaine actuellement. Comment justifier qu'il y ait une stratégie de la France, une stratégie (appelée « plan d'action pour un engagement renouvelé ») de l'AFD, une stratégie de l'Union européenne, une stratégie du l'ONU, etc ? La stratégie de l'Union européenne, fortement influencée par la stratégie saharo-sahélienne française qui a le privilège de l'ancienneté (2008), pourrait servir de base pour l'établissement d'une stratégie unique entre les principaux acteurs de la politique étrangère, de l'aide au développement et plus généralement de l'approche globale au Sahel. Cette stratégie serait ensuite déclinée au niveau national avec une répartition des actions à mener entre les bailleurs, sur le modèle des programmations conjointes de l'Union européenne.

Ensuite, cette stratégie devrait être discutée avec chacun des pays partenaires de notre aide. Ce n'est que si nous rencontrons en face de nous une forte volonté politique, une véritable vision du développement, garante de la bonne appropriation de notre aide, que nous pourrons décliner notre stratégie en programmes et projets.

Proposition n°1 : Remettre le Sahel au coeur de notre stratégie d'aide au développement et de notre politique étrangère.

Proposition n°2 : Élaborer une stratégie Sahel unique et partagée.

Afin de manifester cette priorité accordée au Sahel, il est ensuite nécessaire de doubler l'enveloppe des subventions à destination des pays pauvres prioritaires, dont tous les pays du Sahel font partie, en passant de 230 à 460 millions d'euros de subventions .

Sans une telle augmentation, nos interventions se réduisent à un « saupoudrage » de quelques millions d'euros par pays. Cette dispersion des moyens ne nous permet ni d'orienter le développement de ceux-ci dans un sens conforme à nos valeurs et à nos objectifs, ni de peser dans les instances multilatérales. Il nous place dans une position de faiblesse par rapport à nos partenaires et concurrents (Royaume-Uni, Allemagne, États-Unis...), quels que puisse être par ailleurs l'importance de notre volume de nos prêts. Ce constat est unanime ; il a été fait maintes fois par des parlementaires des deux assemblées.

Afin de dégager les fonds nécessaires à cet objectif de doublement des subventions bilatérales, il serait judicieux de revoir à la baisse certaines de nos contributions multilatérales.

Proposition n°3 : Doubler l'enveloppe des subventions à destination des pays pauvres prioritaires, en passant d'environ 228 millions d'euros à environ 460 millions d'euros.

En outre, il nous faut impérativement revoir les priorités sectorielles de notre aide publique au développement .

Malheureusement, au Sahel, quasiment tout est prioritaire ! Tout doit progresser de concert s'il on veut espérer un progrès global. Néanmoins, les observateurs les plus qualifiés font observer que certains secteurs-clés sont délaissés , et pas toujours pour de bonnes raisons.

Il en est ainsi en premier lieu des interventions visant à obtenir une maîtrise de la croissance démographique . Si l'AFD a désormais placé ce sujet au coeur de ses préoccupations, le plan d'action de l'agence pour le Sahel ne prévoit pourtant que des interventions indirectes, par exemple, outre les interventions sur la santé maternelle et infantile, des travaux anthropologiques sur les représentations qui font qu'il existe toujours une préférence pour les familles très nombreuses, ou encore des interventions sur la scolarisation des adolescentes. En effet, deux obstacles principaux empêchent l'agence d'aller plus loin dans ce domaine :

- le manque de ressources en subventions déjà évoqué, subventions que vos rapporteurs proposent donc de doubler ;

- l'absence de volonté des autorités nationales des pays partenaires. C'est là le point le plus problématique. Interrogé sur ce point lors du déplacement de vos rapporteurs à Bamako, le Premier ministre du Mali, a été très clair : selon lui, il n'y a de richesses que d'hommes. L'obstacle est donc considérable.

Notons que le plan d'action de l'Union européenne pour 2015-2020 prévoit qu'« Une réflexion spécifique pourrait également être lancée sur l'enjeu démographique, le but étant de savoir comment mieux y faire face. La question de la démographie devrait être intégrée progressivement, et de manière plus systématique, dans le dialogue politique avec les pays bénéficiaires ».

En tout état de cause, si cette opposition au plus haut niveau est regrettable, il est délicat de heurter de front les conceptions qui la sous-tendent. En revanche, il serait pertinent de soutenir au maximum les initiatives de certains éléments de la société civile, qui parviennent à faire évoluer très progressivement les mentalités, y compris chez certaines autorités religieuses. Il est également impératif de poursuivre le dialogue institutionnel ouest-africain sur ce sujet, notamment à travers le partenariat de Ouagadougou.

En outre, la contribution française au Fonds des Nations unies pour la population (FNUAP), qui intervient principalement sur ce sujet, apparaît extrêmement faible : environ 550 000 euros par an pour les ressources ordinaires, soit 1 % de celle des Pays-Bas ! Il faut donc impérativement revoir cette contribution à la hausse si nous voulons crédibiliser notre action dans ce domaine.

La question de l'éducation est également centrale . Au Mali en particulier, la situation est décourageante, malgré une dépense budgétaire aujourd'hui massive (31 % du budget de l'Etat). Il est vrai que les partenaires techniques et financiers ont ici une responsabilité non négligeable, les programmes d'ajustement structurel des années 80-90 ayant engendré le départ massif d'enseignants qualifiés à la retraite par anticipation, provoquant une rupture des équilibres.

Il est donc nécessaire de fournir des efforts considérables pour l'éducation, en particulier pour renforcer l'éducation de base , confrontée à l'arrivée de classes d'âge de plus en plus nombreuses du fait de la croissance démographique rapide.

Malheureusement, en particulier au Mali, les bailleurs n'ont pour l'instant aucune assurance que leurs apports financiers dans l'éducation seront utilisés de manière pertinente et efficace, c'est pourquoi, malgré le caractère prioritaire de ce secteur, il convient d'agir avec une grande prudence en ciblant les pays et les régions où l'aide est susceptible d'avoir un véritable impact.

Troisième secteur délaissé par les bailleurs depuis plusieurs années, l'agriculture est passée de 15 % à 7 % environ des financements de l'aide au développement au cours des quinze dernières années . Outre les possibilités inexploitées de l'agriculture irriguée, le pastoralisme sahélien est quasiment en friche, alors que le potentiel est très important. Dans son ouvrage « Africanistan », Serge Michaïlof appelle ainsi à un véritable « plan Marshall » pour l'agriculture sahélienne. Dans ce domaine, nos financements nationaux seront insuffisants. Il est donc nécessaire de plaider, au sein des organisations internationales, pour remettre en tête des priorités la construction d'une agriculture solide, et au-delà d'une économie agricole rentable et productive, capable d'employer une partie significative de la jeunesse.

En outre, l'absence d'effet d'entraînement de notre aide sur le secteur productif et sur les petites entreprises doit être corrigée . Cette question est étroitement liée à celle de l'emploi des jeunes. L'AFD l'a heureusement placée parmi ses priorités, avec le renforcement des institutions de micro et méso-finances, des crédits bonifiés aux banques locales, la promotion de la garantie ARIZ auprès des PME.

Enfin, il convient de noter qu'après trois années actives en la matière, la France, via l'AFD, ne dispose plus d'outil d'aide budgétaire « vivant » au Mali. Il serait pourtant utile que la France puisse apporter un appui budgétaire même limité (de l'ordre de 5 millions d'euros de subvention par an) au Mali afin de mieux participer aux discussions en matière d'élaboration du budget de l'Etat et de gestion des finances publiques.

Proposition n°4 : revoir les priorités sectorielles de notre aide : placer la démographie, l'éducation, l'agriculture et le développement économique au centre de nos préoccupations et plaider pour leur remise au premier plan au sein des institutions multilatérales. Augmenter la contribution française au fonds des Nations unies pour la population (FNUAP) ainsi qu'au partenariat mondial de l'éducation et allouer un soutien financier en faveur de projets qui visent spécifiquement à l'autonomisation des femmes. Préserver un outil d'aide budgétaire pour renforcer le dialogue sur les finances publiques.

Par ailleurs, deux évolutions plus transversales nous semblent indispensables.

Premièrement, notre aide au développement doit davantage s'appuyer sur la société civile, dans notre pays aussi bien que dans les pays partenaires, et se connecter davantage à la jeunesse . La participation accrue des organisations de la société civile (OSC) est une recommandation déjà ancienne mais qui peine à être mise en oeuvre, comme l'a montrée la récente évaluation par le ministre des affaires étrangères des Contrats de désendettement et de développement (C2D).

En la matière, la responsabilité est partagée : la participation des OSC est certes encore insuffisamment ancrée dans les habitudes des bailleurs, mais il est également difficile d'identifier les OSC capables de participer aux projets de développement dans les pays partenaires. Il est également nécessaire d'élaborer une doctrine vis-à-vis des OSC confessionnelles , dont le rôle de plus en plus important dans la société des pays du Sahel ne peut être simplement ignoré.

Enfin, le « réengagement » des jeunes dans la société constitue une autre orientation transversale pour répondre à un sentiment de déclassement et d'exclusion, facteur de radicalisation politique ou religieuse.

Proposition n°5 : « connecter » davantage notre aide au développement et notre diplomatie à la société civile et à la jeunesse, en travaillant notamment davantage à l'identification des ONG relais capables de mettre les projets en oeuvre, en coopérant avec les autres organisations de la société civile (OSC) et en fixant un objectif transversal de « réengagement » des jeunes dans la société.

Il apparait en outre indispensable de tenir un discours clair sur la mauvaise gouvernance et de soutenir toutes les initiatives dans ce domaine .

La montée en puissance des mouvements citoyens dans la région et l'immédiateté de la communication permise par les nouvelles technologies, ainsi que l'urbanisation croissante, rendent les contestations citoyennes beaucoup plus fortes et plus efficaces que par le passé. Les sondages d'opinion montrent que la demande de davantage de justice est extrêmement pressante parmi les populations, notamment dans les zones du nord du Sahel où l'Etat a été peu présent jusqu'à aujourd'hui. Il est dès lors impératif de prendre des positions aussi claires que possible contre la corruption et la mauvaise gouvernance, et en faveur d'une justice indépendante et efficace .

Ce constat vaut particulièrement pour le Mali, où l'Etat doit repartir de zéro pour construire sa légitimité dans le nord du pays. Comment pourrait-il y réussir s'il reste considéré par certains habitants, comme vos rapporteurs ont pu le constater sur place, comme adoptant parfois des comportements de « prédation » ? Notre pays doit, plus que jamais, faire très attention à ne pas être associé aux mauvaises pratiques qui perdurent dans ce domaine, car c'est notre image, et, pour l'heure, celle de notre armée, qui risquent d'en souffrir rapidement.

Proposition n°6 : soutenir énergiquement la lutte contre la corruption, contre l'arbitraire et pour l'efficacité de la justice.

Parallèlement à ces orientations de la politique de développement française au Sahel, il est nécessaire de plaider pour que l'engagement de l'Union européenne dans cette région se poursuive . L'UE est déjà l'un des principaux bailleurs de l'aide au développement au Sahel. Elle s'est également dotée d'un nouvel instrument permettant des interventions plus rapides, le Fonds fiduciaire d'urgence en faveur de la stabilité et de la lutte contre les causes profondes de la migration irrégulière et du phénomène des personnes déplacées en Afrique, doté d'1,8 milliard d'euros. Les acteurs français de l'aide au développement ont déjà commencé à proposer des projets au soutien du fonds dans son volet « région du Sahel et bassin du lac Tchad ». Il est souhaitable de continuer les efforts en ce sens.

Par ailleurs, la renégociation de l'accord de Cotonou entre l'Union européenne et les pays « ACP » (Afrique, Caraïbe, Pacifique), qui arrive à échéance en 2020, va débuter. Il apparaît notamment souhaitable, malgré des résultats mitigés, de conserver et de renforcer l'aspect « dialogue politique » entre l'UE et les pays ACP lors du renouvellement cet accord, afin de ne pas perdre un instrument de dialogue sur la question des droits de l'homme, de l'égalité hommes/femmes et de la bonne gouvernance qui pourrait être davantage utilisé dans nos relations avec les pays du Sahel.

Proposition n°7 : mobiliser le fonds fiduciaire européen d'urgence sécurité-migrations pour financer des projets de développement au Sahel. Dans la renégociation de l'accord de Cotonou entre UE et ACP, conserver la dimension de dialogue politique.

Enfin, on ne peut manquer d'être frappé par la réduction constante des moyens consacrés à la défense de la langue française en Afrique occidentale et dans les instances internationales.

La langue française reste pourtant un excellent véhicule d'influence, non seulement culturelle mais aussi politique, dans la mesure où elle s'identifie aux valeurs démocratiques portées par notre pays, comme le traduit la déclaration de Bamako de 2000. En outre, au-delà du débat sur les chiffres exacts, le nombre de locuteurs francophones est nécessairement appelé à progresser considérablement dans les prochaines décennies, du simple fait de la croissance démographique. Par conséquent, il importe de ne pas relâcher les efforts dans ce domaine. Outre les mesures proposées par le rapport « L'Afrique est notre avenir » 29 ( * ) , toujours d'actualité, il convient d'insister sur la nécessité de réviser la politique de bourses en faveur d'étudiants en provenance de pays d'Afrique subsaharienne francophone, afin d'enrayer leur diminution, qui conduit les étudiants talentueux à privilégier de plus en plus des destinations d'Amérique du Nord pour leurs études supérieures.

Proposition n°8 : réactiver le vecteur de la francophonie : développer les partenariats avec les universités francophones, encourager le développement de thèses en cotutelle franco-africaine. Augmenter notre contribution au partenariat mondial de l'éducation, qui soutient massivement l'éducation dans les pays africains francophones. Réviser la politique de bourses en faveur d'étudiants en provenance de pays d'Afrique subsaharienne francophone.

2. Réformer la gouvernance de l'aide au développement française

Après la stratégie, le deuxième axe de nos recommandations porte sur le pilotage et la gouvernance de l'aide au développement française .

Premier aspect, à la suite de Jeanny Lorgeoux et Jean-Marie Bockel dans leur rapport « L'Afrique est notre avenir », nous préconisons la création d'un ministère du développement international de plein exercice rassemblant les services compétents actuellement rattachés aux ministères des affaires étrangères et des finances.

La complexité du pilotage de la politique de coopération française, la concurrence nocive entre les deux ministères, l'impossibilité de porter la politique de développement de manière globale et cohérente pour un secrétaire d'Etat ou ministre délégué placé auprès du ministre des affaires étrangères, le fait significatif que depuis 1998, le ministère des affaires étrangères a démontré une grande difficulté à défendre les moyens de l'APD : tout plaide pour la création d'un tel ministère de plein exercice.

Proposition n°9 : créer un ministère du développement international de plein exercice pour simplifier la gouvernance de la politique française d'aide au développement, faciliter la gestion budgétaire et améliorer le pilotage politique de l'AFD. Ce ministère regrouperait les services suivants : DGM, services du Trésor chargés de l'APD, services stratégiques de l'AFD, agents des ministères techniques concernés.

D'autre part, malgré la réforme de 1998, le dispositif d'aide au développement sur le terrain est encore composé de deux structures, les agences de l'AFD et les Services de coopération et d'action culturelle (SCAC).

Les (SCAC) sont dirigés par un conseiller de coopération et d'action culturelle (COCAC) à la fois conseiller de l'ambassadeur sur le pilotage du dispositif de l'aide française au plan local et chef de service. Ils sont les interlocuteurs privilégiés de la Direction générale de la mondialisation, mais ne géraient plus que 20 % des crédits de financement de projets, ceci avant le transfert de la gouvernance à l'AFD  début 2016 ! De manière peu lisible, les SCAC peuvent intervenir dans presque tous les domaines de compétences de l'AFD, mais avec des moyens d'intervention très limités.

Dans son évaluation en 2011 de la politique d'aide au développement, la Cour des comptes préconisait la poursuite des transferts des compétences opérationnelles du ministère des affaires étrangères à l'AFD, la DGM se recentrant sur les missions de pilotage stratégique de l'aide, ainsi que sur la rationalisation du réseau.

C'est désormais en partie chose faite avec le transfert, début 2016, de la compétence « gouvernance » (hors sécurité) à l'AFD ainsi que des experts techniques et des fonds FSP correspondants.

Il convient d'aller plus loin en confiant le rôle de conseiller de l'ambassadeur pour les questions de développement et de chef de coopération 30 ( * ) au directeur d'agence de l'AFD , qui devra ainsi sortir de son rôle de banquier pour assumer un positionnement plus politique, comme c'est déjà le cas dans de nombreux pays. Un tel positionnement est nécessaire pour que l'aide publique au développement de l'AFD soit vraiment perçue par le pays partenaire comme l'aide française, porteuse des priorités de notre pays, et ainsi rendre beaucoup plus efficace et productif le dialogue avec ce partenaire au niveau gouvernemental et administratif.

En contrepartie de ce nouveau positionnement et de cette montée en puissance du directeur d'agence de l'AFD, les projets de l'agence devraient être transmis au siège sous couvert de l'ambassadeur et non plus avec son avis simple, de manière à assurer la pleine compatibilité de ces projets avec la politique étrangère française.

Parallèlement, le SCAC serait recentré sur la dimension culturelle et la diplomatie administrative, notamment les bourses pour les écoles françaises du secteur public, ou encore la diplomatie des normes pour la promotion des approches ou des politiques publiques françaises.

Proposition n°10 : compte tenu de l'accroissement considérable des compétences de l'AFD avec le transfert de la compétence « gouvernance », achever la réforme de la coopération en confiant au directeur d'agence de l'AFD locale le rôle de conseiller de l'ambassadeur pour les questions de développement et de chef de coopération, représentant de la France aux réunions des « chefs de coopération ». Prévoir que les projets AFD locaux sont transmis au siège de l'AFD sous couvert de l'ambassadeur.

Enfin, troisième point de cette réforme de l'architecture de notre aide au développement, il nous semble nécessaire de consacrer institutionnellement l'importance de l'évaluation .

En effet, cette fonction n'est pas mise en oeuvre de manière satisfaisante. Dispersée entre trois ministères, elle ne dispose pas de l'indépendance requise. Or il suffirait pour y remédier de mettre en oeuvre une disposition que notre commission, à l'initiative de MM. Cambon et Peyronnet, avait insérée dans la loi du 7 juillet 2014 d'orientation et de programmation relative à la politique de développement, et qui prévoyait la fusion des trois services d'évaluation des ministères des affaires étrangères, des finances et de l'AFD en un organisme indépendant, l'Observatoire de la politique de développement et de solidarité internationale .

Cette création permettra à la fois une mutualisation et une rationalisation des moyens ainsi qu'une évaluation neutre des programmes menés par la France. L'observatoire comprendra onze membres, désignés pour un mandat de trois ans par les huit collèges du CNDSI et sera présidé alternativement par un député et un sénateur. Notons que les Britanniques disposent déjà d'une telle structure indépendante d'évaluation de l'aide au développement, qui rend compte directement au Parlement.

Une telle organisation permettrait par exemple de mener des évaluations « cinq ans après », afin de savoir si les projets mis en oeuvre par notre coopération sont durables. Des évaluations fiables et indépendantes nous permettraient également de mettre fin aux projets et programmes qui ne fonctionnent pas.

Proposition n°11 : pour revitaliser l'évaluation et lui donner un rôle d'amélioration permanente de notre APD, créer un observatoire de l'évaluation indépendant, conformément au rapport annexé de la loi du 7 juillet 2014, et remettre ainsi au centre de la stratégie les principes de la déclaration de Paris sur l'efficacité de l'aide, au premier rang desquels le principe d'appropriation de l'aide par le pays partenaire.

3. Clarifier et mettre ne oeuvre plus efficacement l'« approche globale »

Troisième orientation, vos rapporteurs préconisent de faire de l' « approche globale » un concept plus opérationnel .

En premier lieu, compte tenu des coûts et des inconvénients à long terme des interventions militaires, il est nécessaire de faire de l'anticipation et de la prévention des crises une priorité absolue, afin de réduire le risque de devoir intervenir militairement. Il est vrai que le discours sur l'importance de la prévention et du développement à la fois pour éviter les crises et pour en sortir de manière durable est devenu un lieu commun. Notre pays s'est en outre doté depuis quelques années d'un ensemble d'instruments d'anticipation, d'analyse et de proposition dans ce domaine. Pour autant, cette priorité doit davantage se traduire dans les faits.

Proposition n°12 : privilégier la prévention des crises pour réduire le risque de devoir intervenir militairement.

Or, la France ne dispose plus de moyens suffisants pour mener des actions massives, rapides et efficaces de développement afin d'inverser la tendance dans des situations de fragilité ou de post-crise.

Lors de l'audition préalable à sa nomination comme directeur général de l'AFD, Rémi Rioux a évoqué le projet de création d'une « facilité dédiée pour la lutte contre les vulnérabilités et la réponse aux crises ».

Un tel outil répondrait effectivement à l'enjeu. Cette facilité devrait être dotée d'au moins 100 millions d'euros par an prélevés sur l'enveloppe de 370 millions d'euros supplémentaires annoncés par le Président de la République. Elle pourrait être gérée par l'AFD et permettrait d'importants effets de levier sur des ressources de nos partenaires multilatéraux.

Les points d'application potentiels de cette facilité seraient nombreux : Sahel mais aussi lac Tchad dans une région profondément déstabilisée par Boko Haram, ainsi que la Syrie. On peut également imaginer une mise en oeuvre dans le cas d'une épidémie semblable à celle du virus Ebola dans le golfe de Guinée en 2014, dès lors qu'elle déstabilise un pays ou une région.

Avec un tel instrument, la France rejoindrait d'autres pays, comparables au nôtre par leur volume global d'aide au développement, qui ont récemment renforcé leurs moyens d'intervention en subventions (Grande-Bretagne et Allemagne). En effet, le type d'interventions que requiert une situation de déstabilisation ou de post-crise ne peut être financé, pour l'essentiel, que par des subventions, et non par des prêts.

Proposition n°13 : créer une facilité de lutte contre les vulnérabilités et de sortie de crise gérée par l'AFD de 100 millions d'euros de subventions dans le cadre des +370 millions de subventions annoncées à la fin de 2015.

Par ailleurs, il existe toujours un hiatus entre les projets à impact rapide des militaires (dits aussi « quick impact projects » ou QIP) et les projets à élaboration plus longue des agences de développement. Tandis que les premiers visent en principe à obtenir une meilleure « acceptation de la force » et doivent être mis en place en quelques semaines, les seconds ont des délais d'évaluation préalable et d'instruction plus longs du fait du respect de procédures visant à en garantir la qualité.

S'il existe d'ores et déjà des projets « hybrides » tels le projet sécurité et développement dans le nord Mali (SDNM), ayant pour objectif la construction rapide de petites infrastructures utiles à la population dans la région de Kidal, il est nécessaire de capitaliser sur cette expérience pour que ce type de projets entre dans la « panoplie » permanente de la sortie de crise.

Proposition n°14 : trouver le bon équilibre sécurité/développement dans les projets à impact rapide en poursuivant l'élaboration de projets hybrides : projets à impact rapide/projets de développement, et capitaliser rapidement sur ces expériences.

Par ailleurs, nous proposons de revaloriser les crédits de la coopération militaire structurelle, qui ont été drastiquement réduits au cours des dernières années . Avec un montant de 87 millions d'euros en 2016, les crédits de sécurité et de défense sont en diminution de plus de 6 % par rapport à 2015, alors même que ces crédits sont consacrés au premier chef à la prévention et à la consolidation des capacités de sortie de crise de nos partenaires africains.

Pour réduire les incidences de cette forte diminution, l'action du MAEDI est recentrée sur certains axes prioritaires : le renforcement de l'architecture de paix et de sécurité en Afrique ; les grands enjeux de sécurité (terrorisme, trafics, criminalité organisée, piraterie, formation et conseil de haut niveau au détriment des niveaux intermédiaires). Ces actions prioritaires elles-mêmes souffrent toutefois nécessairement de la baisse continue du nombre de coopérants engendrée par celle des crédits.

Une telle attrition des moyens s'oppose directement à la volonté par ailleurs affichée de faire émerger en Afrique des forces de sécurité locales tant militaires que civiles qui puissent prendre en charge la sécurité du continent, les trois quarts de la coopération de sécurité et de défense concernant l'Afrique subsaharienne. En témoigne, par exemple, la fermeture à l'été 2014 du centre de perfectionnement de la police judiciaire au Bénin.

Il y a là en outre un déséquilibre flagrant avec les crédits engagés pour financer l'engagement de nos forces armées en opérations extérieures (OPEX), soit un coût de plus de 560 millions d'euros en 2016 dans la bande sahélo-saharienne.

Proposition n°15 : dans le cadre de l'approche globale, renforcer les moyens de la coopération structurelle (DCSD) afin de réduire la déséquilibre financements de la sécurité/financements du développement.

Il importe par ailleurs d'améliorer la coordination stratégique de l'approche globale au Sahel. En effet, actuellement, la coordination effectuée par le SGDSN est entravée par un positionnement auprès du Premier ministre alors qu'en raison de l'esprit de nos institutions, la présidence de la République joue toujours un rôle essentiel en matière de politique étrangère. Cette situation ne semble pas permettre d'aboutir à un échange d'informations efficace, de sorte que les différents acteurs du processus d'approche globale sont finalement conduits à nouer des relations ad hoc , ce qui constitue une perte d'énergie et d'efficacité.

Par conséquent, il semble nécessaire d'expérimenter une autre organisation. La coordination stratégique pourrait être effectuée au niveau de la présidence de la République, ou par une structure dédiée de type « task force » positionnée auprès du ministère des affaires étrangères. Cette question fera également l'objet de préconisations au sein du rapport de votre Commission consacrée aux OPEX.

Proposition n°16 : instaurer une nouvelle coordination stratégique de l'approche globale, permettant un véritable échange d'information et une planification efficace .

EXAMEN EN COMMISSION

Mercredi 29 juin 2016, la commission des affaires étrangères, de la défense et des forces armées, sous la présidence de M. Jean-Pierre Raffarin, président, a procédé à l'examen du rapport de M. Henri de Raincourt et Mme Hélène Conway-Mouret, co-présidents du groupe de travail sur « Quelle approche globale au Sahel ? »

M. Jean-Pierre Raffarin, président. - Mes chers collègues, nous examinerons d'abord le rapport d'information de nos collègues Henri de Raincourt et Hélène Conway-Mouret sur l'aide publique au développement au Sahel ; nous nous pencherons ensuite sur le rapport d'information de nos collègues Claude Malhuret et Claude Haut sur la Turquie comme puissance émergente et pivot géopolitique.

M. Henri de Raincourt, co-rapporteur . - Le 16 décembre dernier, notre commission a demandé à Hélène Conway-Mouret et moi-même de préparer un rapport d'information sur le thème de l'aide au développement au Sahel, en particulier à travers l'exemple du Mali.

Pendant cinq mois, Mme Conway-Mouret et moi-même avons rencontré de très nombreux responsables et spécialistes du sujet. En mars, nous nous sommes rendus à Bamako, où nous avons visité des chantiers financés par l'Agence française de développement, l'AFD, et nous sommes entretenus avec les chefs de coopération des autres principaux bailleurs, ainsi qu'avec les militaires de l'opération Barkhane et ceux de la mission de formation de l'Union européenne au Mali, l'EUTM Mali ; nous avons également rencontré le Premier ministre malien, ainsi que d'autres ministres et responsables de ce pays.

Nous nous sommes surtout appuyés sur les travaux antérieurs menés au nom de notre commission par Gérard Larcher, Jean-Pierre Chevènement, Jeanny Lorgeoux, Jean-Marie Bockel, Christian Cambon et Josette Durrieu. Venant après d'aussi prestigieuses personnalités, Mme Conway-Mouret et moi-même avons abordé notre travail avec une très grande humilité !

Je commencerai pas vous expliquer quels sont, pour nous, les traits saillants de la situation des pays du Sahel, ainsi que les principaux enjeux qui se posent dans cette région.

Avant tout, les pays du Sahel sont marqués par une très grande pauvreté et un très faible développement. Tous en effet figurent à la fin du classement des pays selon l'indice de développement humain : sur un total de 188 pays, le Niger est à la 188e place, le Tchad à la 185e, le Burkina Faso à la 183e et le Mali à la 179e.

Ces pays n'ont pas entamé la deuxième phase de leur transition démographique, celle de la diminution de la natalité. La population du Mali et celle du Niger doublent ainsi tous les quinze ans, et 250 000 jeunes arrivent chaque année sur le marché du travail dans chacun de ces pays, alors que le nombre de postes à pourvoir n'est que de quelques milliers ; il faut mesurer l'ampleur du décalage qui en résulte à la longue. Aucun pays au monde n'a réussi à se développer vraiment avec une croissance démographique aussi forte !

Par ailleurs, la croissance économique, quoiqu'elle s'élève régulièrement à plus de 5 %, est insuffisante pour permettre un réel décollage, d'autant qu'il s'agit d'une croissance sans profondeur, comme disent les spécialistes, c'est-à-dire limitée à quelques points forts, surtout miniers et agricoles.

Les pays du Sahel souffrent en outre de nombreux conflits et d'une forte insécurité, qui entravent les efforts de développement. Les conflits ethniques sont anciens, de même que les conflits identitaires, à l'instar des rebellions des Touaregs. D'autres conflits naissent de la rareté des ressources et s'exacerbent avec le changement climatique, opposant notamment les populations pastorales aux populations agricoles. Sans compter les conflits religieux, en particulier l'opposition entre l'islam malékite et le salafisme, bien installé dans la région depuis des décennies. Enfin, l'intrusion d'Al-Qaïda au Maghreb islamique, ou AQMI, ainsi que d'autres groupes radicalisés dans le nord et le centre du Sahel a entraîné une violence considérable à partir de 2010, le point culminant ayant été atteint en 2013, obligeant la France à intervenir.

Une autre cause d'insécurité et de déstabilisation réside dans les trafics, lesquels ont pris une ampleur inédite dans la zone saharo-sahélienne. En particulier, le trafic de cocaïne se développe très rapidement depuis 2005, comme l'a révélé, en 2009, l'affaire fameuse du Boeing retrouvé carbonisé à Gao. Affectant le noyau des États en alimentant la corruption et la mauvaise gouvernance, ces trafics ont accéléré la décomposition du Nord-Mali, où l'État doit désormais quasiment négocier sa présence avec les populations.

Si, après l'intervention réussie de la France au Mali, l'élection d'un président et l'accord d'Alger signé en 2015 devaient marquer le retour à la gouvernance saine indispensable à la relance du développement, la mise en oeuvre de cet accord ne progresse, hélas, pas bien vite. Les autorités locales intérimaires ne sont toujours pas en place et leur installation est désormais annoncée pour l'automne, alors que les groupes armés en font une condition préalable à leur entrée dans le processus « désarmement, démobilisation, réintégration », ou DDR. La décentralisation marque le pas, tandis que les populations attendent toujours des résultats concrets en termes de services publics et d'opportunités de développement.

Parallèlement, la situation sécuritaire s'aggrave, avec la multiplication des attaques contre la mission multidimensionnelle intégrée des Nations unies pour la stabilisation au Mali, la MINUSMA, comme contre Barkhane, la reprise des accrochages entre groupes armés rivaux et l'extension des troubles vers le centre, voire le sud du Mali.

Devant ces constats un peu décourageants, reconnaissons-le, que penser des efforts considérables accomplis pendant des années en matière d'aide au développement ?

La France est, depuis plusieurs années, le deuxième bailleur bilatéral au Sahel, après les États-Unis. Les engagements de l'AFD dans la région ont atteint 1,5 milliard d'euros sur la période 2008-2012. Au Mali, après une interruption liée aux événements, nos engagements ont repris à partir de 2014 de manière importante, puisqu'ils se montent actuellement à environ 85 millions d'euros par an.

En outre, les moyens consacrés aux six pays sahéliens dans le cadre du dixième fonds européen de développement (FED) se sont élevés à plus de 2,7 milliards d'euros entre 2008 et 2013.

Enfin, en ce qui concerne plus particulièrement le Nord-Mali, on estime à 2,9 milliards d'euros les dépenses engagées entre 1992 et 2011, ce qui va à l'encontre de la thèse selon laquelle cette partie du pays aurait été totalement délaissée. Elle ne l'a pas été, en tout cas, par l'aide au développement. En revanche, elle l'a davantage été par les autorités maliennes elles-mêmes.

Or, si ces montants non négligeables ont permis de construire des écoles, des dispensaires et des infrastructures de toute nature, les objectifs finaux de réduction de la pauvreté et de développement économique n'ont jamais été atteints. D'une certaine manière, on peut dire que les bailleurs ont pratiqué, pendant des années, l'aide sans le développement...

Cet échec résulte de plusieurs causes.

D'abord, certains principes de la Déclaration de Paris de 2005 sur l'efficacité de l'aide ne sont toujours pas vraiment respectés, comme celui d'appropriation par le pays partenaire. De fait, il n'y a toujours pas de dialogue stratégique de haut niveau avec les gouvernements aidés sur les besoins et sur les priorités, ni de vision partagée du développement. En d'autres termes, si nos partenaires ne refusent jamais les projets que nous leur proposons, ils ne se les approprient que rarement.

Ensuite, les bailleurs ont parfois fermé les yeux sur la mauvaise gouvernance, trop heureux de disposer de bons élèves de l'aide, comme le Mali, souvent cité en exemple de démocratisation et de décentralisation. Partant, ils ont parfois contribué à la déconsidération, aux yeux des populations, du développement, voire de la démocratie.

Par ailleurs, la coordination des bailleurs est encore insuffisante, au point que, pour les dirigeants des pays aidés, les bailleurs sont comme un « troupeau de chats », selon la formule d'une des personnes que nous avons entendues, M. Serge Michaïlof.

Enfin, l'insécurité croissante depuis la seconde moitié des années 2000 empêche la réalisation de nombreux projets ou oblige à les laisser inachevés, comme c'est le cas pour certaines routes, commencées mais non terminées.

En ce qui concerne plus spécifiquement la France, deux facteurs principaux contribuent selon nous à réduire l'efficacité de notre aide.

En premier lieu, contrairement à ce qu'on pourrait imaginer, nous manquons d'une stratégie globale du développement de l'Afrique francophone. Si l'on compare les résultats obtenus en Afrique francophone et en Afrique anglophone, les conséquences de ce manque de stratégie se voient !

Vous n'ignorez pas que la gouvernance de l'aide française est éclatée entre plusieurs ministères et une agence de développement que nous apprécions beaucoup, mais qui est assez autonome. En outre, la réforme de 1998 fut en grande partie dirigée contre le tropisme africain de la France, si bien que les grands axes de notre politique actuelle - développement durable et biens publics mondiaux, notamment - concernent autant et même davantage les pays émergents d'Amérique latine ou d'Asie que les pays du Sahel.

En second lieu, nos financements en dons sont devenus bien trop faibles pour avoir un impact réel : 228 millions d'euros de subventions font moins de 15 millions d'euros par pays pauvre prioritaire... Une misère !

Ces subventions ne nous permettent pas non plus de mobiliser les financements des organisations multilatérales. Je pense qu'il nous faudra sans doute dégager des moyens supplémentaires, y compris - il faudra regarder cela de près - en diminuant certaines contributions multilatérales trop élevées qui, peut-être, déséquilibrent une partie de notre aide.

M. Jeanny Lorgeoux. - Très bien !

M. Henri de Raincourt, co-rapporteur . - En outre, l'approche globale, qui tente de combiner développement et sécurité, pourrait encore être améliorée.

Certes, de nombreux acteurs ont pris conscience qu'une telle approche était indispensable. Notre pays s'est ainsi engagé dans une stratégie interministérielle dès 2008, sous l'égide du secrétariat général de la défense et de la sécurité nationale, le SGDSN. Cette stratégie a permis de mobiliser les partenaires de la France, au premier rang desquels l'Union européenne, qui a créé trois missions dans le cadre de la politique de défense et de sécurité commune (PSDC) au Niger et au Mali. Toutefois, les initiatives des différents acteurs pèchent par un manque de coordination et un manque de moyens.

Ainsi, la coordination manque lorsque la direction de la coopération, de la sécurité et de la défense du Quai d'Orsay, la DCSD, lance un projet combinant sécurité et développement dans la région des trois frontières du Mali, du Niger et du Burkina Faso, sans parvenir à obtenir le soutien de l'AFD, qui considère, d'une part, que la sécurité ne fait pas partie de son mandat et, d'autre part, qu'elle est plus qualifiée que la DCSD pour mener des projets de développement.

La coordination et la cohérence manquent encore lorsque le ministère des affaires étrangères et du développement international confie des missions très proches à la cellule « Crises et conflits » de l'AFD et à la mission pour la stabilisation du centre de crise et de soutien.

La coordination manque enfin lorsque le SGDSN, du fait de son positionnement, n'a pas une autorité suffisante face aux ministères des affaires étrangères et de la défense pour imposer un véritable échange d'informations, ce qui contraint les acteurs à se coordonner par le bas, en concluant entre eux de multiples accords ad hoc qui peinent à déboucher sur une cohérence globale.

Quant au manque de moyens, il est flagrant lorsque la DCSD, dont les compétences en matière de renforcement des capacités sécuritaires des États sont au coeur de la politique dont le Sahel a aujourd'hui besoin, voit son budget fondre année après année.

Le constat des insuffisances passées de l'aide au développement et des errements de l'approche globale ayant été dressé, allons-nous tirer comme il convient les leçons du passé ? Comment pouvons-nous améliorer les choses ? À cet égard, votre attente est grande, et Hélène Conway-Mouret va maintenant la combler...

Mme Hélène Conway-Mouret, co-rapporteur. - Comme vous l'avez compris en écoutant Henri de Raincourt, nous avons décidé de tenir un langage de vérité, sans complaisance, sur l'aide publique au développement, une aide dont nous pouvons être fiers, mais qui doit être appréciée à l'aune de ses résultats. Les interlocuteurs que nous avons rencontrés au Mali, très honnêtes, nous ont dit : demandez-nous des résultats ! C'est dans cet esprit que M. de Raincourt et moi-même avons élaboré nos propositions.

À l'issue des conférences des bailleurs du Mali tenues en 2013 et 2015, un montant d'engagements d'environ 6,5 milliards d'euros a été annoncé. En outre, le sommet de La Valette de novembre 2015 a permis le lancement du fonds fiduciaire d'urgence de l'Union européenne, dans le cadre duquel la Commission européenne a annoncé, le 14 juin dernier, de nouvelles actions ciblées sur le Sahel et le lac Tchad. Cette mobilisation est positive, mais risque, selon nous, d'échouer à nouveau, si certaines réformes ne sont pas appliquées.

La première grande orientation que nous recommandons consiste à réaffirmer la priorité de l'Afrique francophone pour notre aide au développement. Je pense que ce n'est pas M. Legendre qui dira le contraire...

En effet, le contexte a changé depuis la réforme de 1998, conçue pour mettre fin à la « Françafrique ». Les États-Unis sont le premier bailleur de la région et la Chine y construit de nombreuses infrastructures. Pendant ce temps, la France consacre plus de 1,5 milliard d'euros par an à des opérations militaires certes indispensables, mais sans retombées immédiates en matière de développement.

Parce que notre développement économique futur passe par l'Afrique de l'Ouest et que le Sahel est aujourd'hui un enjeu de sécurité nationale pour nous, nous devons à nouveau considérer la stabilité et le développement de cette région comme des priorités. Il nous faut donc une véritable stratégie pour le Sahel, et une seule, alors qu'il y en a actuellement une quinzaine ! Comment justifier qu'il y ait une stratégie de la France, une stratégie de l'AFD, une stratégie de l'Union européenne, une stratégie du l'ONU et d'autres encore ? Il faut que tous les acteurs se coordonnent pour établir une stratégie unique.

Dans un second temps, cette stratégie devra être discutée avec chacun des pays destinataires de notre aide. Ce n'est que si nous avons en face de nous, émanant des autorités locales, une volonté politique suffisante et une véritable vision du développement, garantes de la bonne appropriation de notre aide, que nous pourrons décliner notre stratégie en programmes et en projets.

En outre, il nous faut impérativement revoir les priorités sectorielles de notre aide.

La première des priorités doit être la maîtrise de la croissance démographique. Nous avons évoqué le sujet avec le Premier ministre du Mali, M. Keita, qui nous a dit, en substance, qu'il n'y avait de richesses que d'hommes... Dans ce domaine, il faut nous efforcer de tenir un langage de vérité à nos partenaires. Nous devons aussi soutenir davantage les initiatives de la société civile, qui parviennent très progressivement à faire évoluer les mentalités.

Notre contribution au Fonds des Nations unies pour la population est très faible : environ 550 000 euros par an, soit 1 % de la contribution des Pays-Bas ! Nous devrions revoir ce montant à la hausse pour crédibiliser notre action. Notre apport au partenariat mondial pour l'éducation, trop modeste, doit également être réévalué, car celui-ci vise notamment à encourager l'éducation des filles, qui est l'une des clefs de la maîtrise démographique.

Plus largement, la question de l'éducation est centrale. Or la situation n'est pas bonne dans ce domaine, notamment au Mali, malgré une dépense budgétaire aujourd'hui importante. N'ayant pour l'instant aucune assurance que nos financements seront utilisés de manière pertinente et efficace dans ce domaine, nous devons cependant agir avec prudence. Il est d'ailleurs possible d'avoir un impact important avec un investissement modéré ; je pense à un projet de création de manuels scolaires que j'ai personnellement soutenu.

M. Henri de Raincourt, co-rapporteur. - Avec succès !

Mme Hélène Conway-Mouret, co-rapporteur . - Enfin, il faut réinvestir dans l'agriculture, qui est passée de 15 à 7 % des financements versés au titre de l'aide au développement au cours des quinze dernières années, et concentrer davantage notre aide sur le secteur productif et sur les petites entreprises, afin de créer des emplois pour les jeunes.

Par ailleurs, deux évolutions transversales nous semblent indispensables.

Premièrement, notre aide au développement doit s'appuyer davantage sur la société civile et sur la jeunesse. C'est une recommandation déjà ancienne, mais que nous peinons à mettre en oeuvre.

Deuxièmement, il est indispensable d'avoir un discours clair sur la corruption et la mauvaise gouvernance et de soutenir les initiatives dans ce domaine. En effet, dans certains des pays du Sahel, la montée en puissance des mouvements citoyens et l'immédiateté de la communication due aux nouvelles technologies et à l'urbanisation rendent les contestations beaucoup plus fortes que par le passé. Nous devons donc prendre garde à ne pas être associés aux mauvaises pratiques qui perdurent.

Le deuxième grand axe de nos recommandations se rapporte au pilotage de l'aide française au développement.

À la suite de nos collègues Jeanny Lorgeoux et Jean-Marie Bockel, auteurs du rapport « L'Afrique est notre avenir », nous préconisons d'abord la création d'un ministère du développement de plein exercice, regroupant les services compétents actuellement rattachés aux ministères des affaires étrangères et des finances, afin de remédier à la complexité et à la déperdition considérable d'énergie qu'entraîne l'organisation actuelle.

Ensuite, vu que le transfert récent à l'AFD de la coopération en matière de gouvernance a accru encore le poids de cette agence, désormais responsable de la quasi-totalité de l'aide française au développement, et que le service de coopération et d'action culturelle a été recentré presque exclusivement sur la dimension culturelle, l'AFD ne peut plus se cantonner dans un rôle technique de banquier : comme l'a expliqué devant notre commission M. Rioux, son nouveau directeur général, elle doit développer une vision sur les objectifs globaux de l'aide française, ainsi qu'une capacité à influer sur l'impact final de cette aide.

Pour parachever cette réforme qui fait vraiment de l'AFD le visage de l'aide française, nous proposons que les directeurs des agences locales deviennent les chefs de coopération auprès des ambassadeurs, chargés de représenter la France dans les réunions des représentants de coopération des grands bailleurs ; nous suggérons aussi que les projets des agences locales soient transmis au siège sous couvert des ambassadeurs, et non plus avec leur seul avis, de manière à assurer la compatibilité de ces projets avec notre politique étrangère.

Enfin, il nous semble nécessaire de consacrer l'importance de l'évaluation, actuellement éclatée entre trois ministères. Il suffirait pour cela de mettre en oeuvre une disposition insérée par notre commission dans la loi du 7 juillet 2014 d'orientation et de programmation relative à la politique de développement et de solidarité internationale et qui prévoit la fusion des trois services d'évaluation des ministères chargés des affaires étrangères et des finances, ainsi que de l'AFD en un unique organisme indépendant, l'Observatoire de la politique de développement et de solidarité internationale.

Une telle réforme permettrait par exemple de rendre plus systématiques les évaluations cinq ans après la fin de la mise en oeuvre des projets, afin de déterminer si leur impact est durable. Des évaluations fiables et indépendantes nous permettraient également d'arrêter les projets qui ne fonctionnent pas, ce que nous faisons très peu aujourd'hui.

La troisième de nos orientations est l'amélioration de l'approche combinée sécurité-développement.

Si le discours sur l'importance de l'approche globale est devenu un lieu commun, les instruments ne suivent pas.

Nous avons pu observer au Mali un exemple très représentatif de cette problématique. Un projet avait été lancé visant à mettre en place de petites infrastructures à impact immédiat dans la région de Kidal. L'ambassadeur a demandé aux soldats de Barkhane d'identifier les besoins des communautés, puis de surveiller autant que possible les chantiers dans une zone marquée par l'insécurité. On se plaçait donc dans une optique post-intervention militaire de « projet à impact rapide ». Toutefois, pour avoir un impact plus significatif et durable, il fallait aller plus loin, vers un vrai projet de développement.

Or l'AFD était réticente : d'une part, parce que ses procédures sont longues, ce qui est la contrepartie d'un haut niveau de qualité, et, d'autre part, parce que pour préserver son capital de neutralité, l'agence ne doit pas être associée à la force militaire. Finalement, l'AFD a trouvé des modalités d'intervention acceptables pour elle et réussi à agir en un temps record. Une deuxième phase est désormais prévue, avec un financement du fonds fiduciaire d'urgence de l'Union européenne.

Cette réussite ne pourra toutefois faire école que si l'AFD dispose de moyens plus élevés en subventions, car ce type d'interventions post-crise fonctionne rarement avec des prêts.

À cet égard, lors de l'audition préalable à sa nomination à la direction générale de l'AFD, Rémi Rioux a évoqué un projet de création d'une « facilité dédiée pour la lutte contre les vulnérabilités et la réponse aux crises » ; dotée d'au moins 100 millions d'euros par an prélevés sur l'enveloppe de 370 millions d'euros supplémentaires annoncée par le Président de la République, cette facilité serait logée à l'AFD. Je crois que cet outil répondrait tout à fait à l'enjeu. C'est pourquoi nous proposons que le principe en soit acté au plus tard lors du prochain comité interministériel de la coopération internationale et du développement (CICID), qui se tiendra à l'automne, afin que cette facilité soit inscrite dans la prochaine loi de finances.

Enfin, nous proposons de revaloriser les crédits de la coopération militaire structurelle, qui ont été drastiquement réduits au cours des dernières années. Cet effort nous paraît indispensable pour réduire le déséquilibre entre les financements disponibles pour l'aide au développement et ceux destinés au renforcement des administrations régaliennes des États fragiles, clef de la stabilisation de ceux-ci.

Mes chers collègues, ces préconisations visent à améliorer nos politiques de développement, mais aussi à éviter que nous perdions notre lien particulier avec cette région du monde, où d'autres puissances s'investissent désormais davantage. Il y a là un grand risque qu'il nous faut conjurer, car notre effacement dans la région ferait à coup sûr de la France une puissance de deuxième ou de troisième rang, dont l'influence sur la marche du monde deviendrait de plus en plus faible.

M. Jean-Marie Bockel. - Je félicite nos deux collègues pour la qualité de leur travail, qui présente le double avantage de dresser un diagnostic juste et d'avancer des propositions assez concrètes.

Puisque, comme l'on sait, qui trop embrasse mal étreint, donner la priorité à l'espace francophone peut tout à fait faire sens. Faisons attention aussi, à une époque où nos moyens sont limités, aux fonds multilatéraux. Non qu'ils soient inutiles - notre engagement très fort en faveur du fonds mondial de lutte contre le sida, par exemple, a fait sens à une certaine époque -, mais ils finissent par absorber une part importante de nos capacités financières. Dans notre rapport, M. Lorgeoux et moi-même avions déjà souligné que la France devait davantage sur le plan bilatéral. Le renforcement de notre action dans l'Afrique francophone suppose cette montée en puissance de notre aide bilatérale.

Cette évolution nous permettra de mener une action visible, susceptible d'être évaluée et propre à enclencher des dynamiques, alors que, aujourd'hui, trop souvent, nos moyens n'atteignent pas la masse suffisante pour que notre action soit vraiment efficace.

Par ailleurs, il faut bien mesurer que, au Mali comme dans d'autres pays africains, il y a les mots et il y a la réalité. Nos amis africains sont aussi intelligents que nous ; ils ont une vision assez lucide et la volonté que les choses aillent mieux. Après, il y a la vie, qui est compliquée. Le discours qu'on peut nous tenir sur la corruption et la bonne gouvernance, nous avons plaisir à l'entendre et, du reste, il est bon qu'il soit tenu, car cela n'a pas toujours été le cas ; mais, ensuite, il y a la réalité, qui est complexe.

Il y a, bien sûr, la grande corruption, et des pratiques dans le fonctionnement des États qui doivent absolument changer. Il y a aussi la vie de chacun au quotidien, dans sa famille, dans son clan, qui rend très difficile le passage de l'intention à la mise en oeuvre. Le résultat n'est pas non plus tout à fait le même selon que l'argent de la corruption est ou non réinvesti sur place, même si cela n'excuse rien.

Nous avons tous à l'esprit des expériences qui montrent que les mots et la réalité sont deux choses distinctes. Pour ma part, je songe aux projets que j'ai menés dans le cadre de la coopération décentralisée, l'une des actions dont nous pouvons légitimement être fiers. Le Mali était champion dans ce domaine, les partenariats conclus avec ce pays se comptant par centaines. J'en ai mené pendant vingt ans, ce qui m'a permis de sillonner, notamment, le nord du pays, où, en maints endroits, on ne peut plus aujourd'hui ni coopérer ni même se rendre.

Nous avons expérimenté à nos dépens que l'enfer est pavé de bonnes intentions, au point de conclure, dans le contexte de l'époque - mais a-t-il aujourd'hui fondamentalement changé ? -, que, pour mener à bien un projet qui profite réellement aux populations, il ne fallait confier aucune somme aux acteurs locaux, fussent à des intermédiaires de la société civile, mais contrôler directement l'intégralité des dépenses. Souvent, nos interlocuteurs nous disaient eux-mêmes : surtout ne nous donnez pas d'argent, car vous mettriez sur nous une pression ! Moyennant quoi, il s'agit d'agir dans un esprit de partenariat fraternel en associant les familles, en particulier les femmes.

Cette histoire, nombre d'entre nous peuvent la raconter à partir de leurs exemples vécus, tant il est vrai que changer peu à peu les choses dans le cadre d'une démarche de coopération et de codéveloppement est un exercice difficile.

Une opportunité de faire bouger les lignes se présente aujourd'hui au Mali. Du sommet à la base, toutes les personnes de bonne volonté aspirent à ce changement. Nous sommes donc à un bon moment pour lancer de nouvelles dynamiques, mais il nous faudra être extrêmement attentifs, car le diable est dans les détails...

M. Alain Joyandet. - Comme M. Bockel, je félicite les auteurs du rapport d'information pour l'excellente qualité de leur travail et pour la pertinence de leurs orientations.

L'idée de créer un nouvel organisme d'évaluation a été avancée. Nous avons déjà pléthore d'organismes et je crois qu'il faudrait plutôt réfléchir aux moyens d'en supprimer...

Par ailleurs, je considère que l'AFD devrait devenir beaucoup plus qu'aujourd'hui le bras séculier du Gouvernement pour la mise en oeuvre des politiques de coopération. Mme Conway-Mouret a dit que cette agence avait su préserver un peu d'indépendance. Pour moi, celle-ci n'a pas d'indépendance à rechercher ; elle doit disposer de compétences plus larges, mais au service de l'application des orientations définies par le Gouvernement.

Les auteurs du rapport proposent également la création d'un ministère de la coopération de plein exercice. De façon complémentaire, je me demande si le ministre de plein exercice ne devrait pas être aussi le directeur général de l'AFD. Dans certains pays, comme le Canada, le patron de l'agence du développement est, en clair, le ministre de la coopération ; il est nommé par le pouvoir exécutif pour mettre en oeuvre la politique du Gouvernement et remplacé en cas d'alternance. En d'autres termes, il n'y a pas une administration qui travaille parallèlement au Gouvernement, mais une organisation conçue pour assurer l'exécution des orientations de l'exécutif. Je me demande si nous ne devrions pas nous aussi emprunter cette direction.

Mme Nathalie Goulet. - Coordonner et évaluer sont deux mots que nous entendons depuis un certain temps dans le domaine du développement.

Il ne faut pas oublier le rôle des fondations, notamment internationales, comme la fondation Bill et Melinda Gates, très active en Afrique. Pensons aussi aux banques de développement, qui se sont multipliées, ainsi qu'à la coopération décentralisée, avec laquelle l'action nationale doit être coordonnée. La coopération décentralisée est de la compétence d'un service situé au ministère des affaires étrangères.

Par ailleurs, Mme Conway-Mouret a parlé d'un système d'évaluations à cinq ans. Ne pourrait-on pas inclure dans les accords de développement une clause rendant possible une interruption assez rapide des programmes ? Un délai de cinq ans me paraît très long et je me demande si un processus plus rapide ne pourrait pas être imaginé pour le cas où un programme ne fonctionnerait pas. Je pense par exemple à une évaluation aléatoire sur les projets mais continue sur la durée. Quand un programme ne fonctionne pas, ce n'est pas la peine d'attendre cinq ans pour l'interrompre ! En outre, ces évaluations devraient donner lieu à un rapport au moins tous les ans.

L'évaluation des programmes est une question récurrente. Des mesures ont déjà été adoptées dans le cadre de la loi d'orientation et de programmation relative à la politique de développement et de solidarité internationale, mais nous ne disposons d'aucune évaluation de leur mise en oeuvre !

M. Jacques Gautier. - Je crois que nous sommes tous d'accord pour saluer le travail approfondi, intelligent et constructif de nos deux collègues.

On décrit les mêmes problèmes depuis des années, mais, nous le voyons bien, tout reste à faire.

Plusieurs d'entre nous, dont je suis, travaillent sur l'approche globale des OPEX ; nous rendrons notre rapport le 13 juillet. Nos conclusions sont identiques à celles des auteurs du présent rapport d'information et, en ce qui concerne le Mali, qui est un des deux exemples que nous étudions, nous mettons au jour les mêmes dysfonctionnements. Je pense au projet des trois frontières défendu par l'amiral Marin Gillier, pour lequel il a fallu aller chercher de l'argent japonais parce que l'AFD n'a pas permis de répondre aux problématiques locales...

Dès qu'il y a une intervention militaire, il faut prévoir un accompagnement par des fonds, sous la forme de micro-crédits ou de subventions fortes, selon, notamment, le degré de corruption de l'État central et l'ampleur des problèmes ethniques ; il s'agit d'éviter que les fonds ne se diluent dans les sables.

Par ailleurs, comme l'a souligné M. Joyandet, un coordinateur est nécessaire. Doit-il être ministre ou pas ? Il doit, en tout cas, disposer d'une reconnaissance absolue aux niveaux national et international ; il doit commander à l'AFD et assurer une liaison permanente avec les services de la diplomatie, les militaires et les organismes internationaux.

Nous n'avons pas parlé ce matin des faiblesses de la MINUSMA et des autres missions des Nations unies ; nous serons forcés d'en traiter dans notre rapport sur les OPEX.

Nous voyons bien qu'il y a un problème de fond : nous réussissons le volet militaire, mais nous échouons sur le plan de l'approche globale, parce que nous n'avons toujours pas un patron en la matière.

M. Jeanny Lorgeoux. - Lorsqu'on examine l'intérêt de la France en Afrique, on doit se poser cette question : faut-il suivre une vision stratégique et géopolitique à très long terme ou caboter en réagissant uniquement sur le moment ? On peut aussi essayer de concilier ces deux approches.

Je me souviens d'avoir, jeune député, prononcé après la chute du mur de Berlin un discours complètement à contre-courant : si tout le monde regarde à l'est, disais-je, l'intérêt supérieur de la France est probablement, à long terme, en Afrique. Comme vous pensez, j'ai été taxé de ringardise et de néocolonialisme... Aujourd'hui, il m'apparaît toujours que, du point de vue de l'intérêt de la France à long terme, le choix stratégique doit être celui de l'Afrique. C'est la position que M. Bockel et moi-même avions défendu dans notre rapport.

Reste à savoir comment agir à court terme sur un continent où la situation est très disparate : on y voit des rémanences de pouvoirs autoritaires liés à ce qu'on appelle la « Françafrique » et des phénomènes de corruption qui, comme M. Bockel a essayé de l'expliquer, ont aussi une fonction redistributive au niveau local compte tenu de la structuration sociologique des villages, des lignages et des tribus, toutes réalités qu'il ne faut pas évacuer, mais aussi des interventions de différents pays destinées à soulager les misères, à régler des problèmes et à encourager le développement, sans oublier le rétablissement de l'ordre international, vu que l'ONU reste un machin splendide, qui coûte très cher, mais qui s'avère beaucoup moins efficace que l'intervention de nos armées.

Cette situation très complexe nécessite absolument, selon moi, la restauration d'un ministère de la coopération de plein exercice, dirigé par un patron politique qui fasse entendre la voix de la France et réunisse sous son autorité des structures aujourd'hui dispersées.

Pour le court terme, je souscris tout à fait aux propositions avancées par les deux auteurs du rapport d'information.

Nous voyons par ailleurs que la montée en puissance actuelle de l'AFD pose un certain nombre de problèmes, puisque, sans le dire, cette agence s'érige en quelque sorte sur un plan égal à celui du pouvoir politique, mais je pense que ces problèmes peuvent être réglés. L'essentiel est que, politiquement, nous ayons conscience que, d'un point de vue historique et géopolitique, le choix de l'Afrique est pour notre pays le bon choix à terme.

M. Philippe Esnol. - Je me permets de poser une question un peu annexe.

J'entends bien que notre pays doit conserver une certaine place sur la scène géopolitique, mais notre situation économique et financière ne laisse pas de m'inquiéter. N'oublions pas que notre dette dépasse aujourd'hui 2 000 milliards d'euros ! J'aimerais donc savoir si Thierry Breton, qui s'est livré devant nous voilà quelques semaines à un exposé très intéressant sur la perspective de création d'un fonds européen de défense, a pu avancer dans son projet.

Il est bon d'intervenir par la coopération décentralisée, et je l'ai moi-même beaucoup fait en tant que maire. Je vois seulement que ma commune a beaucoup dépensé dans un pays où, aujourd'hui, on ne peut plus mettre les pieds... Je crains donc que tout notre effort n'ait pas servi à grand-chose. C'est pourquoi j'aimerais savoir si les autres pays européens sont prêts eux aussi à participer aux financements.

M. Jean-Pierre Raffarin, président. - Depuis dimanche, le projet a pris de l'ampleur, puisque Thierry Breton a rencontré Wolfang Schaüble, Angela Merkel et s'est rendu à la Banque centrale européenne. Il a réalisé une étude qui a été communiquée à tous les membres de notre commission. Je pense que ce projet de fonds avance bien.

M. Henri de Raincourt, co-rapporteur. - Je remercie nos collègues pour leurs observations et leurs questions, ainsi que pour l'extrême amabilité dont ils ont fait preuve à l'égard de Mme Conway-Mouret et de moi-même.

Il est parfaitement clair dans mon esprit que toute la politique d'aide publique au développement doit correspondre à la vision stratégique qui inspire la politique que mène la France, en liaison avec l'Europe, à l'égard du continent africain. C'est sur le fondement de cette stratégie à long terme que nous devons définir nos actions à court terme, qui toutes doivent tendre vers le même objectif.

De ce point de vue, l'Afrique est, à l'évidence, une grande part de l'avenir du monde ! Elle l'est à la fois par les capacités qu'elle recèle et par les défis qu'elle nous pose, liés en particulier à sa croissance démographique et à sa proximité géographique avec les côtes françaises et européennes.

Fort de cette conviction que l'Afrique jouera un rôle déterminant dans les décennies qui viennent, on peut essayer de reprendre un certain nombre d'idées que vous avez émises, les uns et les autres, pour nous permettre de mener une politique d'aide publique au développement claire et qui ne soit pas bousculée en permanence par des réminiscences de la « Françafrique », un passé qui doit être révolu bien qu'il continue de nous mettre du plomb dans les chaussures. Notre politique doit être transparente et crédible, mais aussi constante par-delà les alternances démocratiques ; à cet égard, je me réjouis que, ces dix dernières années, aucune rupture majeure ne soit intervenue dans la politique de la France. C'est une politique d'intérêt général dont nous avons besoin, qui dépasse nos idées et nos engagements particuliers !

D'un point de vue plus concret, le débat soulevé par M. Bockel sur les parts respectives de la composante multilatérale et de la part bilatérale est ancien au Parlement. Nous sommes tous persuadés qu'il faut mettre l'accent sur la composante bilatérale, mais cela suppose une reconfiguration de la structure de notre aide financière.

Depuis des années, notre politique d'aide au développement consiste à diminuer les dons et à augmenter les prêts. Or nous savons très bien que ce système à une limite : la capacité de remboursement des pays bénéficiaires. Il est donc absolument fondamental de trouver des ressources financières à hauteur de l'effort annoncé par le Président de la République visant à augmenter les dons à 400 millions d'euros d'ici à 2020.

C'est pourquoi je suis favorable à la taxe sur les transactions financières, même si je suis peut-être minoritaire à ce sujet. Tout le monde s'est battu pour obtenir cette taxe ; il faut maintenant se battre pour qu'elle soit généralisée au niveau européen et pour que, en interne, son produit ne soit pas capté au service d'autres objectifs que l'aide au développement... C'est d'ailleurs une raison supplémentaire de recréer un ministère de la coopération de plein exercice.

Il est normal que cette taxe sur les transactions financières soit appliquée, car, aujourd'hui, les opérations financières profitent de la mondialisation sans participer à la politique de développement. Ce dispositif est donc à la fois financièrement indispensable et moralement justifié. Les ressources qui en résulteront doivent servir à renforcer notre action bilatérale.

Par ailleurs, je signale à M. Joyandet que l'Observatoire de la politique de développement et de solidarité internationale a vocation à fondre en un seul organe trois services dépendant aujourd'hui de trois ministères. Notre proposition est donc parfaitement cohérente avec l'objectif de coordination qui a été l'un des fils conducteurs de notre travail.

En ce qui concerne l'AFD, je tiens à souligner qu'il s'agit d'une pépite pour la France, au même titre que la Caisse des dépôts et consignations - je dresse ce parallèle à dessein, car il ne faut pas rayer d'un trait de plume l'idée avancée par le Président de la République à la fin de l'année 2015, mais la retravailler, ce qui, du reste, va être fait.

Outil déterminant du rayonnement de la France, l'AFD est, du point de vue de son fonctionnement, une institution soumise à des contraintes bancaires. Elle doit donc aussi fonctionner comme une banque.

Le bon équilibre reste encore à trouver pour concilier sa capacité d'intervention sur le plan bancaire, une direction plus politique à laquelle je suis moi aussi favorable et une crédibilité fondée sur l'objectivité ; ce n'est pas que les responsables politiques ne soient pas objectifs, puisque c'est l'intérêt général qui les guide, mais il faut être réaliste quant au regard extérieur.

Le conseil d'administration de l'AFD, dont je suis membre, a décidé la semaine dernière, sur la proposition de Rémi Rioux, directeur général, de réfléchir aux moyens de mieux prendre en compte la dimension politique de l'action de l'agence, avec une présence accentuée du Parlement et du Gouvernement. À cet égard, je suis d'accord avec M. Joyandet : le ministre du développement ou de la coopération doit être le patron politique de la maison, étant entendu qu'un patron fonctionnel est également nécessaire.

Si j'insiste beaucoup pour que le Parlement, en particulier, soit plus présent dans toutes les instances de l'AFD, c'est pour que son organisation corresponde à celle de la Caisse des dépôts et consignations, dans la mesure où, je crois, des coopérations très importantes vont s'établir entre les deux institutions. Or, comme vous le savez, la Caisse des dépôts et consignations est placée sous le contrôle du Parlement. Une sorte de parallélisme doit s'établir de ce point de vue ; il contribuera à l'équilibre dont j'ai parlé il y a quelques instants, ainsi qu'au renforcement réciproque des deux établissements.

Mes chers collègues, nous devons avoir à l'esprit trois priorités : l'approche globale, les réalisations concrètes à court terme et la bonne utilisation des fonds publics. Quant à la corruption, les acteurs de terrain eux-mêmes nous demandent de la combattre plus fermement, au besoin en stoppant certaines opérations.

Mme Hélène Conway-Mouret, co-rapporteur. - M. de Raincourt vient de balayer très largement les questions soulevées par nos collègues ; je me contenterai de compléter son propos sur quelques points de détail.

Notre réflexion a été guidée par la volonté de nous inspirer de ce qui marche aujourd'hui. De ce point de vue, il est certain que la tendance française à la dispersion des acteurs et au saupoudrage des quelques moyens que nous pouvons avoir a entraîné, à la longue, une rétrogradation de notre pays. C'est pourquoi nous proposons la fusion des trois services d'évaluation. Il s'agit de faire l'analyse des structures existantes en vue de les rassembler. Quand il y a un décideur, le travail est bien meilleur et la visibilité à l'étranger beaucoup plus forte !

Il convient d'analyser aussi la manière dont nous distribuons notre aide. Quelque volonté que nous ayons de bien faire, nous avons tendance à expliquer aux Africains ce qui est bon pour eux et ce qu'ils devraient faire. Or les Maliens, par exemple, sont tout à fait responsables et savent exactement ce dont ils ont besoin. Il faut donc commencer par les interroger, puis seulement leur proposer notre aide, au lieu de leur expliquer de l'extérieur ce que nous allons faire pour eux. Dans un partenariat, il faut d'abord écouter son partenaire pour comprendre ses besoins et ses attentes !

M. Bockel a parlé de l'espace francophone. Même s'il ne faut pas négliger les parties lusophone et anglophone de l'Afrique, il est certain que nous ne tirons pas suffisamment parti de la place privilégiée que nous occupons dans cet espace. Je pense qu'il faut revendiquer cette place, l'histoire qui nous lie aux pays francophones et la langue que nous avons en partage avec eux, laquelle peut nous aider à nous imposer face à nos concurrents, qui n'opèrent pas forcément selon les mêmes normes que nous.

Quant au renforcement de l'aide bilatérale, il est en effet souhaitable. C'est pourquoi nous proposons de mettre l'accent sur les dons, qui sont le meilleur moyen de travailler directement avec un pays.

S'agissant de la corruption, nous suggérons d'accompagner les autorités locales pour aider les pays à gagner en stabilité juridique et financière. Il ne s'agit pas de proclamer de l'extérieur que la corruption doit cesser. Pour être efficace, ce travail de fond doit être mené de l'intérieur.

Enfin, si nous n'avons pas traité de la coopération décentralisée dans nos exposés, madame Goulet, c'est simplement que nous voulions privilégier une présentation orale concentrée. Notre rapport écrit est beaucoup plus fourni ; vous y trouverez, je l'espère, des réponses plus détaillées à vos questions.

M. Jean-Pierre Raffarin, président. - Ce rapport d'information est très important, d'autant que notre commission partage cette vision d'un destin euro-africain.

M. Henri de Raincourt, co-rapporteur. - Absolument.

M. Jean-Pierre Raffarin, président. - La question du partage entre le national et le multilatéral est essentielle et parfaitement cohérente avec nos débats sur l'Europe.

Il y a des causes importantes, comme la lutte contre le sida. Reculer dans un domaine comme celui-ci est très difficile, même si certains estiment qu'on devient un peu l'otage du système dans lequel on est entré.

M. Daniel Reiner. - C'est bien le cas !

M. Jeanny Lorgeoux. - La contribution de la France au fonds sida s'élève à 360 millions d'euros !

M. Jean-Pierre Raffarin, président. - De tels sujets engagent toutefois l'image de la France. Il faut donc fixer des règles, pour ne pas s'exposer au reproche qui peut parfois nous être adressé de faire des choix d'opportunité.

Pour finir et en conclusion, mes chers collègues, j'attire votre attention sur la nécessité de bien surveiller les débats à venir sur le projet de loi relatif à la transparence, à la lutte contre la corruption et à la modernisation de la vie économique, au cas où des amendements reprendraient l'idée, refusée par notre commission, d'intégrer l'AFD dans la Caisse des dépôts et consignations. Nous comptons sur votre vigilance à ce sujet !

M. Henri de Raincourt, co-rapporteur. - Un amendement risque en effet d'être présenté. Pour ma part, j'inciterai nos collègues à ne pas le voter, car cette idée est tout à fait prématurée et risque de provoquer des désordres !

M. Christian Cambon. - Bien sûr !

M. Jean-Pierre Raffarin, président. - Une réforme de ce type ne doit pas se faire par un amendement.

Je mets aux voix le rapport d'information sur l'aide publique au développement au Sahel.

Le rapport d'information est adopté à l'unanimité.

LISTE DES PERSONNES ENTENDUES

Déplacement au Mali du 23 au 26 mars 2016 :

Entretien avec M. Modibo Keita , Premier ministre du Mali

Entretien avec M. Abdoulaye Diop , Ministre des affaires étrangères du Mali

Entretien avec M. Issaka Sidibe , Président de l'Assemblée nationale du Mali

Entretien avec le général Lafont-Rapnouil , représentant de Barkhane au Mali

Entretiens avec les chefs de coopération des pays bailleurs de l'aide au développement au Mali et des représentants d'ONG

Entretiens avec des responsables de l'AFD, de l'IRD et d'Expertise France

Entretiens avec les ambassadeurs d'Allemagne, du Canada, de l'Union européenne et de l'Algérie ainsi que le représentant spécial du secrétaire général de l'ONU au Mali

Rencontre avec le contingent français de la mission EUTM

Entretiens avec des représentants de la société civile malienne

Visites de chantiers (eau et assainissement) et d'infrastructures de santé soutenus par l'AFD

*****

Au Sénat :

28 janvier 2016

M. Serge Michaïlof , chercheur associé à l'Institut des Relations internationales et stratégiques (IRIS)

9 février 2016

M. Laurent Viguié , sous-directeur Afrique occidentale, MAEDI

18 février 2016

M. Jean-Marc Châtaignier , directeur général délégué de l'Institut de recherche pour le développement (IRD) accompagné de MM. Charles Grémont , anthropologue et Gilles Holder , anthropologue

3 mars 2016

M. Sébastien Mosneron Dupin , directeur général d'Expertise France

M. Karim Ben Cheikh , chargé de mission Maghreb, Sahel, centre d'analyse, de prévision et de stratégie du quai d'Orsay

M. Cyril Rousseau , sous-directeur des affaires financières multilatérales et du développement, Direction générale du Trésor

8 mars 2016

M. Marin Gillier , vice-amiral d'escadre, directeur de la coopération de sécurité et de défense (DCSD) du MAEDI, accompagné de M. Vincent de Crayencour , conseiller spécial auprès du directeur

15 mars 2016

Mme Anne-Marie Descôtes , directrice générale de la mondialisation (DGM) du Quai d'Orsay accompagnée de Mme Corinne Brunon-Meunier , directrice-adjointe et M. Marco Giacomini , ambassadeur chargé des questions économiques, de reconstruction et de développement

29 mars 2016

M. Jean-Pierre Marcelli , directeur Afrique et Mme Zolika Bouabdallah , conseillère parlementaire, AFD

31 mars 2016

M. Jean-Louis Falconi , ambassadeur, directeur représentant M. Louis Gautier, secrétaire général de la défense et de la sécurité nationale (SGDSN)

11 mai 2016

Mme Gwenola Rageau , conseillère spéciale société civile, centre pour le dialogue humanitaire (CDH)

Mardi 17 mai

M. Jean-Marie Clament, directeur des questions régionales de la direction générale des relations internationales et de la stratégie (DGRIS), ministère de la défense

Mercredi 18 mai

M. Olivier Ray , responsable de la Cellule « crises et conflits de l'AFD », M. Olivier Pezet , conseiller Fragilités, crises et conflits, AFD

M. Philippe Jahshan , Coordination Sud

Mercredi 25 mai

M. Laurent Bigot , ancien sous-directeur d'Afrique de l'Ouest au MAEDI, consultant

ANNEXE - Tableau récapitulatif des montants de l'aide bilatérale, multilatérale et européenne dans les six pays d'intervention de la France au Sahel (en millions d'euros courants) entre 2004 et 2013


* 1 Africanistan, 2014.

* 2 Ainsi existe-t-il un programme de restauration des infrastructures sanitaires dans le Nord du pays - qui vise notamment à réduire la mortalité maternelle et infantile et augmenter la prévalence contraceptive - porté par l'ONG Handicap International ou encore un projet d'informatisation à moyenne échelle des Centres de Santé Communautaires porté par l'ONG Data Santé Mali qui doit permettre la mise en place d'un suivi médicalisé et individualisé des couples en âge de procréer et des enfants de moins de 5 ans.

* 3 « Vulnérabilités et facteurs d'insécurité au Sahel », par M. Mehdi TAJE, chargé des études africaines à l'Irsem, note publiée par le Secrétariat du Club du Sahel et de l'Afrique de l'Ouest, consultable sur : http://www.oecd.org/fr/csao/publications/45830147.pdf

* 4 Relever les défis de la stabilité et de la sécurité en Afrique de l'Ouest, AFD et Banque mondiale, 2015.

* 5 L'Atlas du Sahara Sahel, OCDE, 2014, page 187.

* 6 Julien Brachet, « Sahel et Sahara : ni incontrôlables, ni incontrôlés », Ceri, juillet 2013.

* 7 Au Mali, la France a favorisé une fiction de démocratie, Danièle Rousselier , Libération, 5 mars 2013.

* 8 Illustré par exemple par Ousmane Diarra dans son roman « La route des clameurs », qui raconte sur un mode burlesque l'offensive des djihadistes au Mali en 2012-2013.

* 9 Au Mali, des islamistes largement soutenus, Le monde, 25 octobre 2012.

* 10 PNUD, 2006

* 11 Le pouvoir décisionnel de la jeunesse au Mali, la représentation élitaire en question/ Le renouveau des élites politiques au Mali, Centre d'Études Politiques d'Europe Latine (CEPEL), Université de Montpellier, document de travail.Savane, L. (2015), cité par Notes Techniques n°15, AFD, mars 2016.

* 12 « L'implantation des premiers Wahhabites au Mali, en particulier à Bamako, date du milieu des années 40. Ce sont des retours de quelques étudiants pèlerins qui étaient au Caire à l'université al-Azhar en particulier et puis qui sont passés à Médine et à la Mecque, et qui reviennent avec la doctrine de la Wahabia qui se définit comme apolitique. » Gilles Holder, RFI, 25 novembre 2015.

* 13 Cf. La décentralisation au Mali, le transfert de compétence en difficulté, Cheibane Coulibaly, décembre 2010.

* 14 Un tableau récapitulatif des montants de l'aide bilatérale, multilatérale et européenne dans les six pays d'intervention de la France au Sahel entre 2004 et 2013 figure en annexe.

* 15 Soit lutte contre la pauvreté et atteinte des Objectifs du millénaire pour le développement, priorité aux secteurs de l'éducation et de la formation, de l'eau et de l'assainissement, de la sécurité alimentaire ; développement économique ; maîtrise du français dans le système scolaire, et environnement francophone dans les domaines culturels et audiovisuels ; consolidation de la gouvernance.

* 16 Régions du nord Mali : les mal aidées du développement ? Bilan de vingt années (1992-2012) d'appui technique, institutionnel et financier dans les trois régions du nord Mali (Tombouctou, Gao et Kidal), Centre pour le Dialogue Humanitaire (CHD) avec le soutien de l'Ambassade du Danemark au Mali, document de travail, 2014.

* 17 Notons cependant que, selon Serge Michaïlof et Olivier Lafourcade, c'est un montant double de celui annoncé, soit 2 milliards par an pendant au moins 5 ans, qui serait nécessaire pour véritablement sortir le Mali de l'ornière. Cf. la note « Comment gérer efficacement l'aide au Mali », IRIS, novembre 2013

* 18 Issu du sommet du G8 de Muskoka au Canada en 2010.

* 19 Le Monde, 29 avril 2016.

* 20 Évaluation conjointe de la coopération de la Commission européenne et de la France avec le Mali - ref. 991

* 21 Pourtant, la programmation conjointe ne consiste pas en la mise en oeuvre conjointe des projets...

* 22 Expression d'un des ambassadeurs occidentaux à Kaboul pour traduire la complexité pour le pays aidé de coordonner les interventions des partenaires techniques et financiers, rapportée par Serge Michaïlof dans « Africanistan », 2015.

* 23 Le PAG a succédé au Plan pour la relance durable du Mali 2013-2014. Ces plans déclinent le CSCRP.

* 24 Cette idée a notamment été exposée dans un rapport d'Isaline Bergamaschi, professeur assistante au département de sciences politiques de l'Université des Andes à Bogota, ainsi que dans l'article «Notes sur l'État au Mali » sur le site internet de la coordination de l'aide au développement au Mali : www.maliapd.org

* 25 Cf. L'Afrique est notre avenir, page 401.

* 26 Ce qui est en soit une excellente chose en permettant de contribuer au développement durable au niveau mondial et en diffusant l'influence de la France pour un coût minime pour le contribuable français.

* 27 Le 5 octobre 2015, le Conseil a porté de 9,8 à 18,4 millions d'euros le budget de l'EUCAP Sahel Niger pour la période du 16 juillet 2015 au 15 juillet 2016. Le 6 juin 2016, le Conseil a augmenté le budget de l'EUCAP Sahel Mali de 4 925 000 d'euros, faisant ainsi passer le budget total de la mission pour 2016 à 19 millions d'euros. Les coûts communs de l'EUTM Mali (chaque pays rémunérant ses formateurs) sont de 12,3 millions d'euros pour ses 15 premiers mois à compter du 18 février 2013 puis 33,4 millions d'euros pour sa prolongation pendant 24 mois à compter de mai 2014.

* 28 López Lucia, E., «The EU Foreign Policy after Lisbon: the case of the European Strategy for Security and Development in the Sahel», intervention à Milan les 13-14 février 2012.

* 29 Renforcer la participation au Partenariat Mondial pour l'Education ; promouvoir des partenariats public-privé en faveur du développement de système de formation professionnelle en Afrique ; créer une université francophone pilote à l'image de l'université Paris-Sorbonne-Abou Dhabi ; encourager le développement de thèses en cotutelle franco-africaine ; développer des universités numériques en coordination avec les partenaires francophones.

* 30 Représentant la France dans les réunions des chefs de coopération des pays bailleurs de l'APD.

Les thèmes associés à ce dossier

Page mise à jour le

Partager cette page