VI. L'ENSEIGNEMENT PRIVÉ MUSULMAN

Apparu au début des années 2000, l'enseignement privé musulman répond à une demande grandissante de beaucoup de familles musulmanes qui, comme d'autres familles d'autres confessions, souhaitent que leurs enfants reçoivent à l'école un enseignement de qualité, conforme aux normes définies par l'Éducation nationale mais incluant des heures d'enseignement religieux, dispensé dans un établissement dont le projet éducatif propre soit compatible avec les croyances et les valeurs de l'Islam 60 ( * ) .

Cet enseignement élargit et complète l'offre éducative proposée aux familles, mais ne se distingue pas, sur le plan statutaire et organisationnel, des autres filières d'enseignement privé proposées aux élèves, soit par les établissements d'autres confessions (catholiques, juifs ou protestants, par exemple), soit par des établissements à pédagogie alternative ou axés sur les langues régionales, soit par quelques écoles privées n'affichant pas d'attache idéologique ou religieuse particulière 61 ( * ) .

Du reste, l'expérience montre que si la majorité des élèves scolarisés dans des établissements privés musulmans sont de confession ou de culture musulmane, tel n'est pas toujours le cas : certains établissements musulmans comme le lycée Averroès de Lille accueillent ainsi des élèves d'autres religions ou même issus de familles agnostiques, comme l'a montré la mission qu'y ont effectuée en 2015 nos deux collègues, Mme Françoise Laborde et M. Jacques Grosperrin, dans le cadre de la commission d'enquête du Sénat sur la transmission des valeurs de la République à l'école ( cf. rapport précité) ; inversement, les établissements catholiques scolarisent de nombreuses jeunes filles musulmanes qui, dans le cadre d'une école confessionnelle, sont autorisées à y porter le voile, alors que cette faculté ne leur est pas offerte dans les établissements publics.

En d'autres termes, « les établissements privés musulmans sont des lieux d'éducation et d'enseignement pour réussir sa scolarité et non apprendre par coeur le Coran », pour reprendre l'expression imagée de M. Makhlouf Mamèche, Président de la Fédération nationale de l'enseignement privé musulman (FNEM) 62 ( * ) , lors de son audition du 17 mars 2016.

En tant qu'instrument fondamental de l'éducation et de l'intégration des jeunes musulmans dans la société française, l'enseignement privé musulman n'a pas manqué de retenir l'attention toute particulière de votre mission d'information . Elle y a consacré deux séances d'auditions : la première, le 17 mars 2016, durant laquelle elle a pu entendre les représentants de la Fédération nationale de l'enseignement privé musulman et les initiateurs du projet de collège et de lycée Averroès, la seconde, d'un caractère plus technique, le 24 mai 2016, où plusieurs responsables du ministère de l'Éducation nationale, de l'Enseignement supérieur et de la Recherche ont présenté un exposé approfondi sur ce thème.

Votre mission a ainsi pu constater qu'hormis quelques questions très circonscrites (le statut des instituts de formation des imams français au sein de l'enseignement supérieur, notamment), le régime de l'enseignement privé musulman n'est pas traité de manière spécifique par les pouvoirs publics : il s'agit d'un enseignement privé comme les autres, avec ses forces et ses faiblesses.

Son seul vrai handicap réel réside - là encore - dans le fait d'être apparu dans le paysage éducatif et scolaire beaucoup plus récemment que l'enseignement catholique ou juif, par exemple, ce qui lui impose un gros effort de rattrapage pour rejoindre les autres écoles confessionnelles.

A. LES DONNÉES STATISTIQUES SUR L'ENSEIGNEMENT PRIVÉ MUSULMAN EN 2016

Le premier établissement d'enseignement privé musulman fut ouvert en 1948, à La Réunion (l'École de La Medersa, établissement du premier degré sous contrat). Les ouvertures suivantes sur le territoire métropolitain n'eurent lieu que beaucoup plus tard, à partir de 2002, avec une accélération marquée depuis quelques années : 4 établissements en 2007, 24 en 2012, 34 en 2013, soit 145 classes - dont 30 sous contrat - scolarisant un total de 2 767 élèves, dont 675 dans des classes sous contrat. Cette montée en puissance s'est accrue, avec 49 établissements en 2015 -dont 5 sous contrat - et plus de 5 000 élèves, dont 4 343 dans des classes hors contrat. Au total, le nombre d'élèves a donc presque doublé depuis 2013 .

Ces 49 établissements se répartissent dans 15 académies , 80 % de l'effectif d'élèves étant concentré dans seulement 4 d'entre elles : Versailles (1 443 élèves), Lyon (802), Lille (727) et Créteil (611). Les établissements sous contrat se trouvent majoritairement dans les académies de Lille et de La Réunion. Dans les autres académies il y a quelques classes sous contrat au sein d'établissements majoritairement hors contrat.

L'ouverture d'un établissement hors-contrat n'étant pour le moment subordonnée qu'à une simple déclaration, l'insertion de l'enseignement privé musulman au service public de l'éduction reste donc encore assez peu encadrée. Sa structuration interne et son unité autour d'une tête de réseau restent à élaborer, comme cela a été le cas, en leur temps, pour l'enseignement des langues régionales ou pour les pédagogies alternatives.

Votre mission d'information a cependant noté que de fait, la FNEM endosse aujourd'hui un rôle de tête de réseau : elle a élaboré une charte de l'enseignement privé musulman et tente de fédérer les actions des porteurs de projets.


* 60 Les mesures légales ou réglementaires prises par la puissance publique pour restreindre le port de signes religieux dans les écoles publiques ont accéléré la construction d'établissements musulmans, les porteurs des nouveaux projets ayant pour ambition de rescolariser les jeunes filles voilées exclues de leur établissement public. Le site internet du lycée Averroès de Lille l'indique très clairement : « L'idée de l'ouverture d'un lycée privé musulman est née en 1994 suite à l'exclusion de 19 jeunes filles voilées du lycée Faidherbe à Lille ».

* 61 Tous établissements confondus, l'enseignement privé - composé principalement d'établissements catholiques sous contrat - scolarise aujourd'hui environ 2,1 millions d'élèves : 877 000 dans le premier degré et environ 1,2 million dans le second. L'enseignement catholique - premier réseau historiquement et numériquement - représente 96 % de l'ensemble, les 4 % restants regroupant les réseaux laïc, juif, protestant et musulman. Ce dernier n'occupe encore qu'une part très modeste, mais en développement significatif depuis quelques années.

* 62 Cette fédération, qui mutualise les expériences, est l'interlocuteur privilégié des pouvoirs publics. Constituée de soixante établissements privés - surtout des écoles primaires - dont six sous contrat, elle accompagne et coordonne les porteurs de projet. La Fnem a élaboré une charte des principes fondateurs de l'enseignement privé musulman de France, à laquelle les établissements adhérents doivent souscrire.

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