C. LA QUESTION DES PRÊCHES EN FRANÇAIS : LA KHOTBA

La plupart des spécialistes entendus lors des auditions considèrent comme largement fictif le risque de dérive radicale imputé aux prêches en langue étrangère, dans la mesure où les imams étrangers prêchant en arabe ou en turc sont justement ceux provenant des pays avec lesquels la France a conclu des accords, et qui sont soumis à des contrôles stricts de leur État d'origine.

En outre, ce type de prêche touche plus souvent des fidèles immigrés de première génération, plutôt que des jeunes sensibles à des thèses radicales, dont beaucoup ne comprennent d'ailleurs pas l'arabe. Surtout, les experts s'accordent à considérer comme assez minime le risque de « radicalisation dans les mosquées » ou sous l'influence des prêches, alors qu'en réalité, les phénomènes de radicalisation s'opèrent essentiellement en dehors des lieux de cultes, en particulier dans les prisons ou via Internet.

On peut certes souhaiter que dans les mosquées françaises, les prêches soient dispensés en français, mais il faut se garder de conclusions hâtives sur l'effet des prêches en arabe ou en turc : comme l'a bien résumé M.  Ahmet Ogras, Président du Comité de coordination des Musulmans turcs de France, « [...] les radicalisés l'ont été par des prêches en français. La langue française est donc un faux problème [...] » (audition du 30 mars 2016).

La consultation des plus hautes autorités religieuses - y compris le Dr. Al-Kaabbi, directeur des affaires religieuses des Émirats arabes unis, ainsi que Son Altesse Khaled Al-Fayçal Al-Saoud, Gouverneur de la Mecque -, confirme qu'il n'y a aucune interdiction à voir ces prêches formulés dans la langue du pays de résidence . La question du prêche en français revient régulièrement dans le débat politique comme induisant une suspicion sur la communication qui peut être transmise par les imams au cours des services religieux. Dans la mesure où beaucoup de fidèles, notamment parmi la communauté turque, ne comprennent pas l'arabe, vos rapporteurs suggèrent que les prêches puissent être faits en français . À terme, ce problème devrait trouver sa solution si les imams sont recrutés et formés en France dans le cadre d'un cursus francophone unifié, sous l'autorité d'un conseil scientifique dont vos rapporteurs préconisent la mise en place ci-après.

D. APPRENDRE LE TEXTE ET SON CONTEXTE : LE DIFFICILE DÉVELOPPEMENT DES FORMATIONS DE MINISTRE DU CULTE MUSULMAN

Pour combattre l'extrémisme et lutter contre les interprétations radicales du Coran, ou le refus de son interprétation, vos rapporteurs sont convaincus que l'Islam de France a besoin de cadres religieux compétents, formés, capables de faire autorité dans leur domaine et, ainsi, de développer le contre-discours nécessaire à la décrédibilisation du discours extrémiste .

De nombreuses personnes auditionnées ont insisté sur l'importance de la formation des ministres du culte. Ainsi, Me Chems-Eddine Hafiz a déclaré que « la formation des imams est capitale si on veut prévenir les dérives ». De la même manière, lors de son déplacement à Rabat, votre mission d'information a rencontré M. Mohammed Cheikh Biadillah, ancien président de la Chambre des conseillers du Maroc, qui a souligné l'importance de la qualité de la parole prononcée dans le lieu de culte : « la bombe à retardement est une bombe à fragmentation, et c'est la parole ». Il en va de même pour les aumôniers ; M. Abdelhaq Nabaoui a ainsi affirmé qu'« un aumônier non formé perd toute crédibilité auprès des personnes auprès desquelles il intervient ».

Toutefois, l'offre de formation des imams et des aumôniers est divisée, disparate et dévalorisée. Comme le souligne le Pr. Francis Messner dans son rapport précité, le culte musulman, sur ce sujet comme sur d'autres, n'a pas pu s'appuyer sur une tradition antérieure à la loi de 1905, qui avait permis aux cultes catholiques, israélites et protestants de constituer des facultés de théologie organisées sur un modèle universitaire qui se sont simplement « privatisées » après l'entrée en vigueur de la loi de séparation des Églises et de l'État.

Les imams « consulaires » sont formés par leurs pays d'origine respectifs, dans des conditions et selon un cursus propres à ces derniers et sur lesquels il ne revient pas à votre mission d'information de se prononcer.

S'agissant des autres imams exerçant sur le sol français, votre mission d'information a constaté que les formations qui leur sont offertes, si elles existent - en nombre réduit -, souffrent cependant de plusieurs lacunes.

1. Deux principales formations en France, qui souffrent d'un manque de reconnaissance et d'harmonisation

Deux principaux instituts de formation des imams existent en France depuis le début des années 1990.

a) L'Institut européen des sciences humaines

Le premier institut de formation, l'Institut européen des sciences humaines (IESH) a été créé en 1990 à Château-Chinon, avec une première promotion en 1992 . Cet institut est considéré comme proche de l'UOIF .

Vos rapporteurs ont pu constater, lors de leur déplacement auprès de l'institut, la qualité des formations dispensées, ce qui démontre la possibilité d'effectuer des formations sur le territoire français - contrairement aux idées trop souvent reçues sur le sujet.

M. Larabi Berechi, directeur-adjoint de l'IESH, a indiqué à votre mission d'information que, depuis sa création, cet institut avait formé environ 500 étudiants et étudiantes, auxquels il convient d'ajouter 180 étudiants qui ont seulement étudié le Coran. Il a également précisé que la « capacité d'accueil (...) est aujourd'hui limitée à 240 étudiants. À court terme, nous devrions passer à 350 étudiants et à long terme à 550 étudiants. »

L'institut est composé de trois départements : un département du Coran, un département de théologie et un département d'arabe. Une formation complète dure sept années.

Privé, le financement de l'institut repose, pour les deux tiers, sur les frais d'inscription et, pour le tiers restant, sur les recettes exceptionnelles de l'institut : « un étudiant nourri et logé à l'Institut coûte par an entre 5 500 et 6 000 euros. L'étudiant paye 3 500 euros, le reste est pris en charge par l'Institut. Depuis quatre ans, notre budget de fonctionnement est équilibré grâce aux activités que nous avons développées pendant les 16 semaines de vacances annuelles : nous avons une colonie de vacances [mixtes] et nous dispensons des cours intensifs à l'occasion de séminaires. En outre, les étudiants à distance s'acquittent d'une contribution à l'Institut . »

Un autre institut, indépendant du premier sur le plan administratif mais appartenant au même groupe et rattaché à Château-Chinon sur le plan pédagogique, a par ailleurs été créé à Saint-Denis (93). À la différence de celui de Château-Chinon, l'IESH de Saint-Denis a reçu de l'Académie de Créteil sa reconnaissance comme établissement d'enseignement supérieur privé, mais il ne propose pas de formation en internat.

b) L'Institut Al-Ghazali rattaché à la Grande Mosquée de Paris

L'Institut Al-Ghazali a été fondé en 1993 au sein de la Grande Mosquée de Paris , non sans que, de l'aveu de ses responsables actuels, le ministre de l'Intérieur de l'époque Charles Pasqua ait incité la Grande Mosquée de Paris à développer ce type de formation.

Il propose un « tronc commun « études islamiques » [qui] dure quatre ans - science religieuse en arabe, français et histoire de la philosophie et des institutions - auquel s'ajoute un an de formation pratique et pédagogique, avec un suivi sur le terrain, pour les étudiants souhaitant devenir imams » 27 ( * ) . Il forme ainsi, selon les années, entre 20 et 50 imams , dont beaucoup sont ensuite affectés au réseau de mosquées affiliées à la Grande Mosquée de Paris, soit environ 540 mosquées.

Il convient de souligner que l'Institut Al-Ghazali dispense également d'autres formations non destinées aux élèves imams mais, plus largement, à un public intéressé (notamment une formation en « civilisation islamique » ou une autre en « initiation à l'Islam »).

La formation de l'Institut Al-Ghazali coûte environ 300 euros par an pour un étudiant . Les locaux sont mis à disposition par la Grande Mosquée de Paris ; le salaire de l'équipe dirigeante est payé par cette dernière également, tandis que les professeurs sont rémunérés, pour les uns par le biais de l'enseignement des langues et cultures d'origine (ELCO), pour les autres par l'Institut lui-même. Ce dernier est financé par les frais d'inscription et par des aides ponctuelles de la Grande Mosquée de Paris, en cas de nécessités budgétaires.

Enfin, il convient de signaler qu' un autre centre de formation des imams créé par la Turquie a brièvement fonctionné à Strasbourg. S. Exc. M. Hakki Akil, ambassadeur de Turquie en France, a indiqué que « cette faculté privée a été ouverte en 2011 pour accueillir des étudiants de nationalité française. Malheureusement, cette université a été contrainte de fermer en 2013 en raison de problèmes d'équivalence de diplôme et de fondements juridiques inachevés ». Il a poursuivi en avançant que « cette faculté de théologie, proposant également des cours de philosophie orientale et occidentale, encadrerait les musulmans de France, qu'ils soient turcs ou non ».

c) L'ambition d'un programme commun

La première difficulté à laquelle les instituts de formation des imams sont confrontés est la définition d'un programme commun partagé , permettant la reconnaissance de la qualité de la formation des différents instituts par l'ensemble des mosquées du territoire français. Certes, en réponse à la question de notre collègue Rachel Mazuir, Anouar Kbibech, président du CFCM, a indiqué que la théologie enseignée dans les instituts de formation était la même « à quelques subtilités près (...). Les (...) instituts de formation sont partenaires du CFCM et un travail d'harmonisation des programmes est en cours. Ceux-ci sont d'ailleurs publics. Tous prônent un Islam ouvert et tolérant ». Dans le même sens, M. Abderrahmane Belmadi a indiqué à votre mission d'information avoir « des contacts réguliers avec les responsables de l'IESH (Institut européen des sciences humaines) de Château-Chinon. Sans être du même avis sur tout, nous nous accordons sur les fondements, les objectifs et la manière de travaille. ».

Cependant, M. Djelloul Seddiki, directeur pédagogique de l'Institut Al-Ghazali, a affirmé à vos rapporteurs, lors de leur visite de l'institut, qu' il ne se reconnaissait pas dans l'enseignement prodigué à Château-Chinon . De son côté, Larabi Berechi, directeur de l'IESH, a indiqué que « tous ces instituts devront se rapprocher pour parvenir à un programme commun ».

Une définition harmonisée et approfondie du programme apparaîtrait d'autant plus judicieuse que le contenu de la formation aujourd'hui dispensée est parfois critiqué , comme il l'a été par M. Amine Nejdi, vice-président du Rassemblement des Musulmans de France : « Certes, il existe aujourd'hui 3 instituts de formation des imams en France, dont deux qui appartiennent à l'UOIF, avec une tendance idéologique particulière. En outre, la majorité des personnes qui s'inscrivent dans ces instituts sont des jeunes qui n'ont aucune aspiration à devenir imams. Une grande partie sont des femmes. Ils souhaitent assouvir leur soif de connaître la culture et religion musulmane, en s'inscrivant à Château-Chinon ou en Ile-de-France, ou en suivant les cours par correspondance. Quatre de mes élèves sont inscrits dans ces institutions. Leur programme est très léger par rapport à ce que l'on exige d'un imam . »

Ainsi, vos rapporteurs sont favorables à la définition d'un programme commun partagé entre les différents instituts de formation . Cela implique que les instituts existants se dotent d'un conseil scientifique unique, qui serait composé de théologiens, ainsi que d'universitaires de disciplines profanes, non seulement en islamologie, mais aussi en sociologie ou en philosophie par exemple.

d) Des formations laïques complémentaires...

La deuxième difficulté tient à la nécessité d'une formation complémentaire laïque (ou profane) harmonisée . En effet, si l'objectif de toute formation d'imam est l'apprentissage du texte dans le contexte, alors il est indispensable d'intégrer dans les programmes de formation un volet d'apprentissage du droit, de l'histoire des institutions, de l'histoire des autres religions, ou encore de philosophie .

À cet égard, Thomas Andrieu, alors directeur des libertés publiques et des affaires juridiques, a rappelé que « comme État laïc, la France ne prend pas en charge la formation religieuse, mais nous avons progressivement mis en place des diplômes laïcs sur le fait religieux, sa sociologie, ses rites, mais aussi des questions très pratiques comme le droit de la construction et l'environnement juridique des associations religieuses ; ces diplômes universitaires laïcs - il y en a treize - sont ouverts à tous, en particulier aux fonctionnaires ».

Le plus ancien de ces diplômes universitaires laïcs est celui mis en place à l'Institut catholique de Paris , à compter de 2008. Contrairement à une idée reçue, cette formation n'est pas une formation d'imams, mais une formation profane et complémentaire . Mgr Philippe Bordeyne, recteur de l'Institut catholique de Paris, a ainsi souligné devant votre mission d'information que « cette formation est une initiation intellectuelle qui porte sur des questions précises : il ne s'agit pas d'une formation théologique d'imams ».

Dès la première réunion de l'Instance de dialogue avec l'Islam de France en juin 2015, le ministre de l'Intérieur, M. Bernard Cazeneuve, a rappelé la volonté du Gouvernement de voir le nombre de diplômes universitaires de formation civile et civique (DU) doubler. Cet objectif a été atteint un an plus tard, avec un réseau de 13 formations, qui accueille 275 étudiants, dont un tiers de cadres de toutes religions. On vient également d'apprendre que l'Université de Rennes-1 ouvrira, à la rentrée prochaine, une formation continue diplômante sur la liberté religieuse et la laïcité.

Les retours d'expériences d'anciens étudiants confirment l'utilité et la richesse de ce brassage entre professionnels et acteurs religieux dans la sphère universitaire. Certains DU ont déjà créé des amicales d'anciens étudiants ou ont associé ceux-ci à des évènements liés aux enseignements du diplôme. Ceci est aussi le fruit de partenariats efficaces entre pouvoirs publics et associations cultuelles, qu'il est essentiel de poursuivre et de développer à l'avenir.

La combinaison de formations théologiques et profanes offre d'ailleurs l'avantage de permettre aux étudiants une reconnaissance de leur statut : ainsi, Me Chems-Edine Hafiz, vice-président de la Grande Mosquée de Paris, a indiqué que « sur la formation des imams, la principale difficulté à laquelle nous sommes confrontés - tout comme l'Institut européen de sciences humaines de Château-Chinon sous l'obédience de l'UOIF - est que, même si elle s'adresse à des bacheliers pour une formation de quatre années, l'inscription ne donne pas droit au statut d'étudiant , et ne permet donc pas d'accéder à un certain nombre de droits et avantages aux élèves en formation ». En effet, en tant qu'établissements privés ne délivrant pas de diplômes universitaires, ces instituts ne peuvent conférer le statut d'étudiant aux élèves qui suivent leur formation, avec les avantages qui s'y attachent en termes de bourse, de protection sociale ou d'accès aux installations universitaires (CROUS, sport, etc.).

À cet égard, l'on doit saluer le fait que l'Institut Al-Ghazali ait conclu en 2016 un partenariat avec l'université Paris-Sud , cette dernière assurant la partie profane de la formation (droit, philosophie, histoire des religions, institutions publiques, etc.), sanctionnée par un diplôme universitaire, tandis que l'institut se concentrera sur les matières religieuses.

Vos rapporteurs souhaitent que cette formule, consistant à permettre aux formations théologiques d'imams de s'adosser à des formations laïques universitaires, soit généralisée : elle permet non seulement de donner un statut aux étudiants en question, mais également de développer l'ouverture de cette formation à d'autres disciplines « contextualisantes » pour les jeunes imams.

e) ... rendues obligatoires pour les aumôniers

Le ministère du culte relevant de chacun des cultes et, dans la religion musulmane sunnite, relevant même du choix de la communauté des fidèles, l'État ne peut en aucun cas conditionner l'exercice de l'imamat à tel ou tel niveau de formation, ni religieuse ni laïque .

En revanche, s'agissant des aumôniers que les services publics emploient, des conditions peuvent être fixées afin de garantir la qualité de l'accompagnement spirituel fourni . Ainsi, Thomas Campeaux a indiqué à votre mission d'information qu'un « prochain décret devrait (...) rendre obligatoire pour tous les aumôniers » le diplôme universitaire laïque mentionné précédemment. En tout état de cause, certains aumôniers en chef s'y étaient déjà engagés dans le cadre de leur recrutement, à l'image de l'aumônier national des hôpitaux.

Dans tous les cas, vos rapporteurs ont constaté lors de leurs déplacements en Algérie et au Maroc l'incontournable nécessité de la contextualisation. En effet, la formation des imams à l'étranger est toujours le reflet de la société où elle est dispensée.

Ainsi, en Algérie, les imams en formation n'ont aucun contact avec les membres de la communauté juive qui se résume aujourd'hui à environ 300 personnes.

Ils ne connaissent du conflit israélo-palestinien que la version des pays arabo-musulmans et, bien sûr, ignorent tout de la Shoah. De même, les imams formés en Turquie auront une vision strictement turque de la question arménienne, alors que la reconnaissance du génocide arménien fait partie du bloc de légalité français.

Sans multiplier les exemples, les imams formés à l'étranger peuvent véhiculer des idées reçues et des présupposés idéologiques qui les mettront en porte-à-faux dans le contexte français : tel est le cas, notamment, en ce qui concerne la peine de mort 28 ( * ) , lutte contre les discriminations liées au genre ou à l'orientation sexuelle (homophobie, statut des femmes, etc...), ou en lien avec certains sujets internationaux dont la présentation et la perception dans le monde arabo-musulman sont très différentes des nôtres (la question palestinienne et l'attitude face à Israël, en particulier).

Cette situation aura une influence sur leurs positions et les avis qu'ils pourront donner à leurs fidèles.

En France, plusieurs de ces questions font partie du socle commun des connaissances et doivent pouvoir être abordées en toute neutralité ; de même, l'interdiction des discriminations liées au sexe ou à l'appartenance ethnique font partie des valeurs de la Républiques, garanties par la Constitution et tous les textes fondamentaux relatifs aux droits et libertés. Vos rapporteurs considèrent donc indispensable que la formation civique et civile dispensée aux imams étrangers exerçant en France dans le cadre des diplômes universitaires auxquels ils doivent s'inscrire comporte sans délai des modules spécifiques sur ces sujets sensibles :

- éducation à la Shoah ;

- génocide arménien ;

- lutte contre les discriminations ;

- prévention et détection de la radicalisation ;

- principes fondamentaux de la justice pénale, parmi lesquels l'interdiction de la peine de mort et de la torture.

2. Une formation au Maroc financée par le Royaume marocain : le texte sans le contexte ?

Le 19 septembre 2015 , à l'occasion du déplacement du Président de la République au Maroc, Laurent Fabius, ministre des Affaires étrangères et du développement international, et Ahmed Toufiq, ministre des Habous et des affaires islamiques du Royaume du Maroc, ont signé une déclaration conjointe relative à la coopération en matière de formation des imams.

Aux termes de cette déclaration, le Maroc accueille environ une quarantaine d'élèves français au sein de l'Institut Mohammed VI de Rabat , qui forme des imams marocains, mais aussi de plusieurs pays d'Afrique occidentale avec lesquels le Royaume a signé des accords bilatéraux. Il s'agit d'une part d'élèves en formation initiale, accueillis pour trois ans, et d'élèves en formation continue, qui sont souvent des imams exerçant déjà et qui sont accueillis pour des périodes de trois mois pendant plusieurs années.

Accueil d'imams à l'institut Mohammed VI de Rabat au 1 er semestre 2016

Pays

Formation

Durée

Nombre d'étudiants

Hommes

Femmes

Maroc

Fondamentale

1 an

150

100

Mali

Fondamentale

2 ans

170

-

Côte d'Ivoire

Fondamentale

2 ans

186

13

Guinée Conakry

Fondamentale

2 ans

196

19

France

Fondamentale

3 ans

32

1

Continue

3 mois

10

-

Nigéria

Continue

3 mois

12

-

Tchad

Continue

3 mois

39

-

Total

795

133

928

Source : Institut Mohammed VI

Votre mission d'information, qui s'est rendue à Rabat et a pu rencontrer certains des élèves en formation continue, a mesuré à la fois l'investissement réalisé par le Royaume du Maroc en la matière, et le sérieux de la formation dispensée . Cette dernière satisfait d'ailleurs les étudiants, dont certains étaient auparavant passés par l'IESH.

Les élèves en formation initiale sont répartis en trois groupes selon leur niveau, afin de permettre aux personnes les moins avancées de rattraper leur retard dans les matières de base (arabe littéraire et apprentissage du Coran). Les matières enseignées sont les suivantes : mémorisation du Coran, sciences du Coran, science et mémorisation des Hadiths, croyance et soufisme, jurisprudence islamique selon le rite malikite, prêches et exhortations.

D'autres disciplines profanes (géographie, histoire des religions, communication, etc.) sont enseignées - dans un deuxième temps, à la demande des étudiants eux-mêmes.

Les cours ont lieu du lundi au vendredi, de 8h à 16h, les élèves devant compléter par eux-mêmes leurs apprentissages relatifs au contexte français (Islam français, société française, traductions des textes en français, etc.).

Contrairement aux élèves des autres nationalités, les élèves français ne reçoivent pas d'enseignement professionnel (électricité, couture, informatique, etc.). Ce choix est-il pertinent, compte tenu de la probabilité que certains des imams français formés là-bas doivent compléter leurs futurs revenus d'imam par un emploi « civil » ?

Cette formation présente deux principaux avantages :

- la qualité du contenu , en associant notamment apprentissage du Coran, théologie, prêche, sciences profanes, dans une orientation malikite modérée. Comme l'a souligné S. Exc. M. Chakib Benmoussa , ambassadeur du Maroc en France, « l'enseignement qui leur est dispensé est celui d'un Islam ouvert et tolérant, en concordance avec les traditions marocaines, et avec pour référent la Commanderie des croyants » ;

- le confort de la formation , dans un institut créé spécifiquement à cette fin, moderne, disposant d'excellents professeurs. En outre, la formation est intégralement prise en charge par le Royaume du Maroc. Les étudiants reçoivent même une bourse de la part de l'institut.

Mais, de l'aveu des étudiants eux-mêmes, cette formation au Maroc ne peut constituer qu'une solution transitoire dans l'attente de formations similaires en France. Elle souffre de deux principaux problèmes :

- d'une part, elle est financée et organisée par un pays ami, certes, mais étranger ;

- d'autre part, dispensée au Maroc par des professeurs marocains en arabe, cette formation ne permet pas aux élèves de contextualiser , dans la société à laquelle ils seront confrontés en tant qu'imam, les textes sacrés qu'ils apprennent et interprètent. Cette difficulté a été soulignée par certains représentants de la société civile marocaine eux-mêmes, que votre mission d'information a pu rencontrer à Rabat.

Aussi vos rapporteurs ne sont-ils pas favorables à la poursuite et au développement de ces formations à l'étranger d'imams français. La formation à l'étranger ne peut être qu'une solution transitoire , en cas d'insuffisance des ressources humaines - ce qui n'est pas prouvé au terme des auditions - ou de moyens financiers - ce qui pourrait être pallié par une Fondation des oeuvres de l'Islam de France relancée, qui financerait également, à enveloppe constante pour les pays d'origine partenaires, des candidats à l'imamat résidant en France (cf. ci-dessous).

Vos rapporteurs demandent qu'à terme la formation des imams officiant en France soit faite exclusivement en France dans des centres de formation « labellisés » sur la base de programmes définis par un conseil scientifique unique, décrit précédemment. Cette formation serait adossée à des formations laïques universitaires.

En attendant que cette offre soit opérante et permette une substitution progressive des imams étrangers détachés par des imams français, des conventions devront mieux encadrer le détachement d'imams étrangers, pour assurer un imamat compatible avec les valeurs de la République.

À cet égard, vos rapporteurs proposent d'instaurer une Conférence rassemblant des ministres des pays partenaires en charge des cultes et affaires religieuses . En effet, ils ont relevé l'absence de coordination entre les différents ministres des cultes des pays arabo-musulmans et de Turquie.

Compte tenu de l'importance des « pays d'origine », vos rapporteurs préconisent donc que soit organisée, selon une périodicité à définir (au moins tous les deux ans), une Conférence de haut niveau réunissant au minimum les ministres des cultes des pays d'origine et hauts responsables concernés : le ministre algérien des Affaires Religieuses et des Wakfs, le ministre marocain des Habous et des Affaires Islamiques, le président de l'instance auprès du Président turc aux affaires religieuses (Diyanet) et, pour la France, les ministres de l'Intérieur et des Affaires étrangères, auxquels se joindraient les directeurs et responsables des différents organismes compétents.

Cette Conférence ne devrait pas se limiter aux ministres des cultes des pays d'origine, mais pourrait associer le ministre des affaires religieuses de l'Arabie saoudite organisateur du Saint pèlerinage et gardien des deux mosquées. Il semble très surprenant que ces ministres n'échangent pas entre eux.

Dans la perspective d'une meilleure organisation de l'Islam de France, vos rapporteurs préconisent que cette première Conférence se tienne à Paris, à l'initiative du Gouvernement français, dans un délai rapproché de façon à envisager la mise en place d'une harmonisation souhaitée à la fois sur les formations et les financements en provenance de ces pays .

Dans le même esprit, vos rapporteurs proposent que le ministère des Affaires étrangères, par l'intermédiaire de notre consul général à Jeddah, organise une coopération plus suivie avec l'Organisation de la Conférence Islamique (OCI) 29 ( * ) .


* 27 Audition de M. Abderrahmane Belmadi, responsable de la commission pédagogique de l'Institut Al-Ghazali.

* 28 Le Maroc et l'Algérie ne l'ont toujours pas abolie même s'ils n'en font plus un usage habituel (contrairement à la Turquie, qui l'a constitutionnellement abolie en 2004).

* 29 Avec un nombre aussi considérable de musulmans sur son territoire, la France gagnerait à mieux faire valoir ses positions auprès des 56 États-membres de l'Organisation de la coopération islamique (OIC). Pour l'heure, elle n'assiste que comme membre invité à certains travaux de l'OIC, alors que d'autres États occidentaux à forte communauté musulmane y participent comme observateurs (c'est le cas, par exemple, de la Russie).

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