B. POUR MESURER LES EFFETS POTENTIELS RÉELS D'UN REVENU DE BASE : EXPÉRIMENTER

1. Des effets économiques et sociaux largement inconnus

Comme le soulignait, au cours de son audition 140 ( * ) , le « père du RSA », M. Martin Hirsch, ancien Haut-commissaire aux solidarités actives et président de l'Assistance publique-Hôpitaux de Paris, le revenu de base est une construction intellectuelle séduisante en elle-même, mais elle doit nécessairement s'intégrer dans un contexte où préexiste un système de protection sociale qui n'est pas totalement dépourvu d'efficacité, même s'il est fort perfectible.

Or, par rapport à des réformes qui se limiteraient à « re-paramétrer » notre système actuel de protection sociale sans pour autant en modifier totalement les fondements, l'introduction d'un revenu de base - eu égard aux besoins de son financement - aurait des conséquences systémiques, obligeant à une remise à plat totale des mécanismes socio-fiscaux actuels . Pourtant, ses effets macro-économiques et sociaux restent, à ce jour, encore largement inconnus .

a) Quel effet sur l'activité ?

La principale interrogation relative aux conséquences socio-économiques du revenu de base concerne ses effets sur l'incitation au travail , car aucune étude spécifique n'a, à ce jour, été menée sur ce point.

Pour l'évaluer, la Fondation Jean-Jaurès 141 ( * ) se base uniquement, par exemple, sur les travaux réalisés sur le salaire de réserve 142 ( * ) , ce qui lui permet d'estimer que les effets désincitatifs du revenu de base seraient limités dans le cas d'un revenu de base à 500 euros. De fait, un revenu de base conçu comme un « filet de sécurité », d'un montant proche du RSA actuel, n'aurait a priori que peu d'effets désincitatifs par rapport à la situation actuelle.

L'inconditionnalité du revenu de base par rapport au RSA (dont le versement est soumis à une obligation de recherche d'emploi ou à une démarche d'insertion) pourrait cependant avoir un impact sur les personnes les plus éloignées de l'emploi.

D'après la direction générale du Trésor, le revenu de base aurait , sur un plan théorique, des effets ambigus sur l'offre de travail . Il pourrait encourager la reprise d'emploi pour les bas revenus, le revenu universel ne diminuant pas avec la hausse des revenus d'activité. Mais il pourrait induire une désincitation à l'activité pour les individus qui percevaient, avant réforme, des prestations d'un montant inférieur à celui du revenu de base ou pour ceux dont l'impôt augmenterait pour financer la réforme.

Certes, la majeure partie des montants proposés par les promoteurs du revenu de base demeurent au mieux proches du seuil de pauvreté et sont bien souvent nettement inférieurs ; dans ces conditions, il est peu probable que les actifs se détournent massivement du travail pour se contenter du revenu que leur octroie la société. En revanche, les propositions de revenu de base d'un montant plus élevé, à hauteur de 750 euros voire de 1 000 euros et plus, modifieraient le seuil de l'arbitrage entre travail et loisir et pourraient favoriser le retrait d'un certain nombre de personnes du marché du travail . Ceci pourrait conduire à une réduction du temps travaillé et donc à une baisse de l'activité économique. 143 ( * ) Ainsi, en désincitant au travail, le revenu de base pourrait conduire à une réduction de la richesse créée, ce qui mettrait d'ailleurs à terme en difficulté ses conditions de financement.

À l'inverse, sur le plan théorique, des effets positifs du revenu de base sur l'activité et l'emploi peuvent être attendus .

Premièrement, la construction même du revenu de base, cumulable avec les autres revenus, pourrait permettre de lutter contre les phénomènes de trappe à inactivité. On peut ainsi attendre d'un revenu de base qu'il lève les freins à l'activité des femmes dans les ménages modestes, même si, dans certaines configurations familiales et en fonction des paramètres de la réforme (réforme de la fiscalité, maintien ou non de certaines prestations), le revenu de base pourrait avoir l'effet inverse.

Deuxièmement, en assurant un filet de sécurité plus efficace que celui qui existe actuellement, c'est-à-dire sans les angles morts du RSA actuel, le revenu de base pourrait être de nature à lutter contre les spirales d'exclusion qui éloignent certains publics du marché du travail.

Enfin, si l'on considère que le chômage des moins qualifiés est dû à un coût du travail trop élevé, le revenu de base pourrait permettre de réduire voire de supprimer le salaire minimum et rendrait donc économiquement viables des emplois faiblement productifs qui ne le sont pas actuellement, sans dégrader la situation des intéressés.

En définitive, les incidences d'un revenu de base pourraient être très variables selon les segments de la population . En particulier, l'effet sur les jeunes semble incertain. Si le revenu de base pourrait constituer un soutien nécessaire pour les nombreux jeunes qui se trouvent aujourd'hui dans des situations de grande précarité économique, il est difficile de dire ex ante dans quelle mesure le revenu de base facilitera l'accès à l'emploi, incitera à la poursuite d'études supérieures ou sera simplement empoché par des jeunes qui bénéficient déjà d'une forte solidarité familiale.

b) Quel effet sur les salaires ?

L'effet du revenu de base sur les salaires fait également l'objet de débats.

Les promoteurs du revenu de base font valoir que les salariés disposant d'un filet de sécurité seront moins disposés à accepter des emplois insuffisamment rémunérés et qu'ils bénéficieront alors d'un pouvoir de négociation accru. Le partage de la valeur ajoutée évoluerait alors dans le sens d'une hausse des salaires.

Cette incidence a été évoquée au cours de son audition par M. Etienne Pinte, président du Conseil national des politiques de lutte contre la pauvreté et l'exclusion sociale (CNLE), qui a estimé que l'octroi d'un revenu de base aurait nécessairement un impact sur la politique de rémunération des entreprises. Selon lui, « plus on s'approchera du niveau du SMIC et plus il faudra le relever, c'est évident. De la même manière, plus on se rapprochera de ces 1 000 euros, plus il faudra qu'un certain nombre d'entreprises qui ont besoin de main-d'oeuvre puissent revaloriser les salaires qu'elles verseront à leurs employés. Il est évident que cela va remettre à plat les politiques salariales. Même si quelqu'un estime qu'avec 800 euros ou 900 euros il n'a pas besoin de travailler et peut rester chez lui, quitte à faire des petits boulots, les entreprises continueront à avoir besoin de main-d'oeuvre et seront incitées à relever les salaires de façon à pouvoir attirer du personnel qui pourrait bénéficier de revenus salariaux plus importants. C'est donc un problème. » 144 ( * )

À l'inverse, certains craignent qu'un revenu de base incite les employeurs à restreindre les salaires. Cette crainte, qui explique en grande partie les réticences de l'ensemble des organisations syndicales entendues par la mission, est partagée par le Centre des jeunes dirigeants (CJD), dont les représentants ont estimé qu'un système de régulation devrait être imaginé si un revenu de base était instauré. 145 ( * )

L'effet de la mise en place d'un revenu de base sur le partage de la valeur ajoutée serait en définitif variable, puisque, comme le note la fondation Jean-Jaurès, ce revenu « agirait respectivement comme un revenu d'appui pour l'offre de travail des salariés ou comme effet d'aubaine pour la demande de travail par les entreprises, ces dernières ajustant alors les salaires à la baisse ». Ainsi, le revenu de base « serait plutôt favorable à l'offre de travail dans les branches connaissant un fort taux de marge et des difficultés à recruter importantes. A contrario, il serait favorable à la demande de travail dans les branches avec des taux de marges faibles et moins de difficultés à recruter ».

Il semble cependant là encore difficile de trancher ce débat ex ante , l'effet réel du revenu de base sur les salaires dépendant probablement de la situation dans laquelle se trouvent les différents secteurs d'activité en termes de marchés, de marges, de partage de la valeur ajoutée et de difficulté à recruter.

c) Quels effets redistributifs ?

La mise en place d'un revenu de base aurait nécessairement des effets redistributifs forts, là encore variables en fonction du montant retenu.

Comme le remarque l'économiste Guillaume Allègre, le revenu de base, en augmentant le salaire de réserve, conduirait à une hausse des bas salaires et à une plus grande égalité de ressources et aurait un coût pour les plus hauts revenus qui seraient fortement sollicités pour contribuer à son financement 146 ( * ) . Ces effets redistributifs seraient également géographiques, compte tenu des différences de niveau de vie entre les territoires, avec des transferts importants des régions riches vers les régions les plus pauvres.

Enfin, il faut aussi prendre en considération les effets de la mise en place d'un revenu de base se substituant à certaines allocations sur les droits connexes qui peuvent être attachés à ces dernières. Le choix de l'articulation à mettre en place entre ces différents droits est une question fondamentale, pour éviter tant de supprimer drastiquement certains avantages actuellement servis que de créer des effets d'aubaine.

Ces interrogations majeures conduisent la mission à estimer qu'il ne serait pas envisageable d'instaurer un revenu de base en France sans qu'une expérimentation préalable ait permis d'examiner empiriquement ses incidences et son avantage comparatif par rapport aux actuels dispositifs de lutte contre la pauvreté et d'aide à l'insertion professionnelle.

2. L'exigence d'une phase d'observation expérimentale

La modélisation mathématique permet sans doute d'avoir une première appréhension des effets induits par l'introduction d'un revenu de base en France.

C'est effectivement sur de telles modélisations que les promoteurs du revenu de base ont construit leur projet. Il faut citer, à cet égard, les travaux menés depuis plusieurs années par M. Marc de Basquiat, qui a ainsi contribué à donner davantage de corps et de réalisme à l'hypothèse d'un revenu de base en France.

C'est d'ailleurs à une modélisation mathématique plus poussée qu'a appelé le Conseil national du numérique. Il a préconisé qu'un travail de simulation macroéconomique soit réalisé par un groupement d'économistes, statisticiens, fiscalistes, juristes du travail, et associant les organisations en charge de la gestion d'aides sociales et les services du Secrétariat général à la modernisation de l'action publique, puis modélisé sur une plateforme en ligne, permettant aux internautes de mieux comprendre les effets macro-économiques d'un tel dispositif. La nécessité d'une telle démarche a également été soulignée au cours de son audition par M. Daniel Cohen, directeur du département d'économie de l'École normale supérieure, qui a indiqué que les dispositions de la récente loi n° 2016-1321 du 7 octobre 2016 pour une République numérique faciliteraient l'accès des chercheurs aux données nécessaires.

Pour autant, votre mission estime que les résultats qui peuvent être tirés de ces travaux théoriques resteraient insuffisants pour cerner la réalité des comportements des bénéficiaires, notamment dans leur relation à l'emploi. Seule une mise en oeuvre concrète expérimentale est de nature à permettre de mieux examiner les effets potentiels de l'introduction d'un revenu de base .

En préconisant une expérimentation d'un revenu de base, votre mission ne fait que s'inscrire dans une démarche déjà adoptée pour d'autres dispositifs à vocation sociale sur le fondement de l'article 37-1 de la Constitution, qui dispose que « la loi et le règlement peuvent comporter, pour un objet et une durée limités, des dispositions à caractère expérimental ».

L'exemple en a notamment été donné par la loi n° 2007-1223 du 21 août 2007 en faveur du travail, de l'emploi et du pouvoir d'achat, qui a autorisé à titre expérimental, dans des départements volontaires et pour une durée de trois ans, la mise en place d'un revenu de solidarité active pour les bénéficiaires du revenu minimum d'insertion et de l'allocation de parent isolé.

L'expérimentation du revenu de solidarité active

Autorisée par les articles 18 à 22 de la loi n° 2007-1223 du 21 août 2007 en faveur du travail, de l'emploi et du pouvoir d'achat, l'expérimentation du RSA a eu lieu dans 33 départements volontaires, bénéficiant ainsi à 111 000 allocataires du revenu minimum d'insertion ainsi qu'à 20 000 allocataires de l'allocation de parent isolé.

Elle a eu cependant pour seul objet d'étudier l'effet du retour à l'emploi des bénéficiaires , alors même que dans sa version généralisée à compter du 1 er janvier 2009, le RSA s'est vu assigner un second objectif : apporter à certains travailleurs pauvres un complément de ressources.

Chaque département a pu déterminer le champ géographique de son expérimentation, ce qui a donc fait varier le nombre de bénéficiaires. Certains ont choisi l'expérimentation dans une grande ville (Marseille, pour le département des Bouches-du-Rhône), d'autres des territoires relativement étendus permettant d'attraire entre 4 000 et 8 000 allocataires (Aisne, Nord, Pas-de-Calais, Seine-Saint-Denis), la plupart ayant expérimenté le dispositif sur des cohortes de 1 000 à 3 500 personnes.

Des données quantitatives et qualitatives ont été acquises au cours de ces expérimentations, entre les zones d'expérimentations et les zones « témoins » retenues dans les départements, qui ont été ensuite analysées par un comité d'évaluation.

Initialement prévue pour une durée de 3 ans, l'expérimentation n'a en définitive pas duré plus de 15 mois , compte tenu de la généralisation du RSA au 1 er juin 2009 par la loi n° 2008-1249 du 1er décembre 2008 généralisant le revenu de solidarité active et réformant les politiques d'insertion, ce qui a limité l'appréciation à plus long terme des effets du dispositif.

Malgré cette durée et diverses difficultés techniques d'évaluation mises en exergue dans son rapport définitif, le comité d'évaluation des expérimentations du RSA a estimé que les retours quantitatifs et qualitatifs obtenus faisaient apparaître un taux moyen de retour à l'emploi supérieur dans les zones d'expérimentation que dans les zones témoins, laissant donc à penser que le dispositif était donc par lui-même pertinent pour remplir l'objectif de favoriser le retour à l'emploi.

Plus récemment, une expérimentation portant sur des dispositifs d'aides à l'emploi afin de lutter contre le chômage de longue durée a été mise en place par la loi n° 2016-231 du 29 février 2016 d'expérimentation territoriale visant à résorber le chômage de longue durée, que M. Louis Gallois, président du fonds d'expérimentation institué par celle-ci, a présenté à la mission.

L'expérimentation « Territoires zéro chômeur de longue durée »

Autorisée par la loi n° 2016-231 du 29 février 2016 d'expérimentation territoriale visant à résorber le chômage de longue durée, l'expérimentation « Territoires zéro chômeur de longue durée » repose sur le constat qu'aucun individu n'est inemployable, que si les emplois manquent le travail ne manque pas et qu'il existe des fonds pour financer les conséquences de la perte d'emploi qui peuvent être réorientés vers des dispositifs nouveaux de retour à l'emploi.

La loi prévoit une telle expérimentation dans le but de résorber fortement le chômage de longue durée en permettant à des demandeurs d'emploi d'être embauchés en contrat à durée indéterminée par des entreprises relevant de l'économie sociale et solidaire, pour exercer des activités économiques pérennes et non concurrentes de celles déjà présentes sur le territoire. Cette expérimentation repose sur des collectivités territoriales volontaires, sélectionnées par appel à candidature par une structure, créée sous forme d'association, prévue par la loi : le fonds d'expérimentation territoriale contre le chômage de longue durée. Celui-ci est chargé de financer une fraction du montant de la rémunération ou des indemnités de licenciement des personnes embauchées, d'élaborer un cahier des charges, approuvé par un arrêté du ministre chargé de l'emploi, fixant les critères que doivent respecter les collectivités volontaires et de proposer au ministre chargé de l'emploi la liste des territoires retenus pour mener l'expérimentation et des collectivités y participant.

2 000 personnes devraient être concernées par cette expérimentation, qui interviendra dans des territoires qui devront comporter approximativement de 5 000 à 10 000 habitants, soit un nombre maximum d'environ 300 bénéficiaires chômeurs de longue durée par territoire.

Le budget du fonds d'expérimentation sera abondé en partie par la contribution des entités ayant recours aux services des chômeurs de longue durée embauchés par les entreprises à but d'emploi, le montant du RSA des intéressés que les départements n'auront plus à verser, ainsi qu'une dotation de l'État dont le montant idoine devrait correspondre, en année pleine, à 20 millions d'euros.

L'objectif est d'établir la liste des territoires d'expérimentation dans les prochains mois afin d'engager l'expérimentation, au moins partiellement, dès le 1 er janvier 2017.

Certes, au cours des auditions, le principe même d'une démarche d'expérimentation d'un revenu de base a été critiqué .

Sur le plan des principes, M. Pascal Pavageau, secrétaire général de Force ouvrière, s'y est déclaré résolument hostile, en estimant que si un revenu de base devait être institué malgré l'opposition de son organisation, cela devrait « se faire à égalité de droits et de traitement ». 147 ( * )

De son côté, M. Philippe Van Parijs, professeur à l'Université catholique de Louvain, a souligné les biais scientifiques d'une telle démarche ainsi que l'impossibilité d'en tirer une évaluation réellement incontestable. 148 ( * ) Selon lui, une expérimentation du revenu de base se heurte en effet à trois difficultés :

- d'une part, sa durée nécessairement limitée qui fausserait les comportements des bénéficiaires, puisque ces derniers intégreront le fait que la mesure est de nature temporaire. Dès lors, il ne serait guère possible d'évaluer si, véritablement, le revenu de base peut agir comme un élément moteur pour mieux choisir son emploi ou ses modalités d'exercice ;

- d'autre part, l'impossibilité de mesurer véritablement la dynamique créée à long terme sur le marché de l'emploi par cette mesure. Il estime ainsi qu'une série d'emplois, qui augmentent considérablement le capital humain mais qui génèrent, dans le même temps, des revenus incertains, devrait se développer, mais dont les effets réels ne pourront être détectés du fait du caractère nécessairement restrictif de l'échantillon de personnes bénéficiaires de cette expérimentation par rapport au marché du travail global ;

- enfin, le fait que, en pratique, l'on ne pourra pas mettre dans l'échantillon des bénéficiaires au titre de l'expérimentation des personnes qui, le cas échéant, seraient perdantes en cas d'introduction d'un revenu de base. Aussi, dès lors que tous les contributeurs nets, suite à la réforme, seront nécessairement exclus de l'échantillon, ceux qui sont opposés à la mesure, quelle qu'en soit la forme, pourront toujours réfuter une quelconque valeur méthodologique à l'échantillon.

Pour autant, consciente qu'une expérimentation ne pourra pas être exempte, quoi qu'il arrive, de toute critique méthodologique ou politique, votre mission estime qu'elle reste un moyen indispensable pour examiner l'ancrage territorial et les effets concrets d'une nouvelle forme d'aide sociale.

Il convient en effet d'adopter une démarche pragmatique, souvent insuffisamment mise en oeuvre dans notre pays, en recourant à l'expérimentation. Une majorité des personnes auditionnées par la mission s'y est montrée favorable, et certaines, comme MM. Louis Gallois ou Martin Hirsch, malgré leur scepticisme de principe, ont reconnu l'intérêt d'une démarche empirique en la matière.

3. L'objet de l'expérimentation

Les conditions de l'expérimentation envisagée devront respecter les contraintes posées par la jurisprudence du Conseil constitutionnel. Aussi l'expérimentation devra-t-elle avoir un objet limité et suffisamment précis, être établie pour une durée elle-même limitée, prévoir des conditions précises et, enfin, ne pas méconnaître les autres exigences de valeur constitutionnelle. 149 ( * )

Eu égard à sa nature, l'expérimentation locale d'un revenu de base en France nécessiterait l'adoption d'un dispositif de nature législative qui en définirait les modalités. Elle ne pourrait cependant porter sur le volet fiscal du financement du revenu de base.

a) Une expérimentation dépourvue de volet fiscal

Si l'expérimentation du versement d'un revenu de base apparaît souhaitable, l'expérimentation de ses modalités de financement par l'impôt apparaît en revanche juridiquement délicate.

Lors de son audition, M. Frédéric Douet, professeur de droit fiscal à l'Université de Rouen, a souligné les exigences du principe constitutionnel d'égalité devant l'impôt , qui pouvaient s'opposer à la mise en place d'un volet fiscal à l'expérimentation d'un revenu de base.

Mme Véronique Bied-Charreton, directrice de la législation fiscale au ministère de l'économie et des finances, a de son côté indiqué que, si l'article 37-1 de la Constitution, relatif à l'expérimentation législative et règlementaire, n'exclut pas explicitement la matière fiscale de son champ, aucune expérimentation fiscale n'a à ce jour été mise en oeuvre.

En effet, l'expérimentation de la révision des valeurs locatives des locaux d'habitation et des locaux servant à l'exercice d'une activité salariée à domicile, prévue par l'article 74 de la loi n° 2013-1279 du 29 décembre 2013 de finances rectificative pour 2013, est pour l'essentiel un exercice de simulation fiscale, dans lequel les contribuables de cinq départements « test » sont tenus à des obligations déclaratives spécifiques. Elle n'a pas d'incidence sur leur niveau d'imposition qui reste fondé sur les bases locatives actuelles.

Par ailleurs, si le Gouvernement avait envisagé, en 2012, une expérimentation visant à permettre à la collectivité territoriale de Corse de fixer le taux et l'assiette des droits de mutation à titre gratuit afférents aux biens et droits immobiliers situés en Corse, ce projet s'est heurté devant le Conseil d'État à des obstacles liés à la territorialisation de l'impôt et au fait que, une fois pérennisé, ce dispositif aurait méconnu le principe d'égalité entre les charges publiques 150 ( * ) . Ce projet a, de ce fait, été abandonné.

Si l'on pourrait vraisemblablement envisager sans inconstitutionnalité manifeste de modifier de manière expérimentale le barème de l'impôt afin de fiscaliser, pour les ménages aisés, la somme versée expérimentalement au titre du revenu de base, la mise en place d'un impôt négatif à titre expérimental semble extrêmement complexe et sujet à questionnement juridique.

Au surplus, dans les deux cas, l'exigence de territorialité de l'expérimentation pourrait également constituer un obstacle difficile à surmonter, puisqu'il ne sera pas aisé de définir le critère de rattachement à ce dispositif (résidence fiscale déclarée, centre des intérêts matériels et moraux, etc.).

Dans ces conditions, la mission estime, par pragmatisme, qu'il conviendrait de privilégier un versement expérimental du revenu de base non couplé à des dispositifs fiscaux dérogatoires expérimentaux. En outre, pour éviter les incidences pénalisantes qu'aurait, pour les bénéficiaires de l'expérimentation, un tel versement - notamment, le fait que ceux qui sont placés juste sous le seuil d'imposition deviennent imposables, ou pour ceux qui le seraient déjà, le fait d'être soumis à une tranche supérieure - il conviendrait que ce versement intervienne en franchise d'impôt , ce qui est, du reste, la solution retenue dans les projets d'expérimentation finlandais et néerlandais.

La mission considère que, même amputée de son volet fiscal, l'expérimentation serait à même de permettre de mieux cerner les comportements des bénéficiaires du revenu de base, en particulier ses effets sur l'emploi et la réduction de la pauvreté.

b) Une expérimentation dans plusieurs départements volontaires, par appel à projet

D'un point de vue scientifique, l'expérimentation peut s'effectuer selon deux modalités.

Elle peut intervenir sur un territoire unique avec un tirage au sort des personnes soumises à l'expérimentation. C'est, par exemple, le schéma dans lequel devrait s'engager la Finlande, où l'expérimentation sera testée sur l'ensemble du territoire national par un tirage au sort d'au moins 2 000 bénéficiaires. C'est, en général, la solution préconisée d'un point de vue scientifique, car elle évite les biais liés, en particulier, aux mouvements de population ainsi qu'aux différences économiques ou sociales des différents territoires. Lors de son audition, M. Jean Pisani-Ferry, commissaire général de France Stratégie, s'est déclaré pour cette raison favorable à cette modalité d'expérimentation.

À l'inverse, l'expérimentation peut s'opérer sur un territoire morcelé, en choisissant des zones d'expérimentation multiples et plus réduites. C'est la démarche qui a été retenue, par le passé, dans le cadre de l'expérimentation du revenu de solidarité active et, aujourd'hui, de l'initiative « Territoires zéro chômeur de longue durée ».

Sur ce point, votre rapporteur insiste sur la nécessité que l'expérimentation intègre la diversité des territoires français, et prenne ainsi place, pour reprendre la typologie dégagée par les travaux de M. Laurent Davezies, 151 ( * ) professeur au Conservatoire national des arts et métiers, tant dans des territoires productifs et dynamiques qui concentrent l'activité économique (grandes métropoles, départements ou régions fortement urbanisées comme l'Île-de-France, Provence-Alpes-Côte d'Azur ou l'ancienne région Rhône-Alpes), que des territoires non productifs mais dynamiques et porteurs d'une « économie résidentielle » et, enfin, que des territoires désindustrialisés, dont l'économie est plus ou moins dépendante des revenus sociaux. France Stratégie soulignait ainsi récemment le « décrochage » relatif en termes de PIB par habitant des régions du Nord-Est par rapport à celles du Sud-Ouest : le PIB de ces dernières était supérieur de 3,5 % à celui des premières en 2000 ; en 2013, cet écart a atteint 9,5 %. 152 ( * )

L'expérimentation doit donc intervenir dans ces territoires - où le marché s'avère globalement défaillant pour assurer la survie économique de leurs habitants - mais également dans des territoires dotés d'une économie plus forte. Il conviendra donc que l'appel à projet qui devra être défini mette en exergue la nécessité d'une diversité territoriale et que la sélection des projets se fasse notamment sur ce critère .

Amenée à s'interroger sur la personne publique qui devrait être désignée responsable de cette expérimentation territoriale, la mission a estimé que, compte tenu de la proximité avec les territoires, les collectivités territoriales devraient avoir la responsabilité de sa mise en oeuvre.

Elle a pris connaissance des réflexions qu'avaient à cet égard engagées certaines régions en la matière, et en particulier celle de la région Nouvelle-Aquitaine, ainsi que certains départements, notamment le département de la Gironde.

La réflexion au sein de la région Nouvelle-Aquitaine en vue d'une expérimentation territoriale d'un revenu universel

Une réflexion participative avec élus, société civile, chercheurs s'est engagée dans la région Nouvelle-Aquitaine afin de décider de la faisabilité et des paramètres d'une expérimentation du revenu universel sur son territoire et, le cas échéant, sur des territoires d'autres régions qui se porteraient volontaires.

À ce stade serait envisagée une expérimentation sous la forme d'une « recherche action » s'appuyant sur des travaux d'études doctorales en économie, psychologie et sociologie et sur une assistance à maîtrise d'ouvrage pour l'accompagnement administratif et scientifique et l'accompagnement ex-post . Elle s'appuierait aussi sur un comité scientifique en cours de constitution, qui suivra la démarche, puis l'évaluera, avec les doctorants.

Est à l'étude le versement d'une allocation de trois montants différents (500 euros, 800 euros, 1 000 euros), sur une population totale de 200 à 1 000 personnes, sur une durée de deux à quatre ans. L'enveloppe nécessaire, en fonction des options retenues, serait de l'ordre de 12 millions à 111 millions d'euros.

Trois rencontres régionales du comité de réflexion sont prévues : en septembre 2016 (sur les approches et les enjeux sociétaux), en janvier (sur le financement) et en juin 2017 (sur l'expérimentation). Un rapport sur la démarche globale devrait être présenté fin juillet 2017 pour un lancement de l'expérimentation en fin d'année 2017 ou en début d'année 2018.

La démarche engagée par le département de la Gironde pour la mise en place d'une simulation et d'une expérimentation d'un revenu de base sur son territoire

Depuis mai 2016, le département de la Gironde, sous l'impulsion de son président, M. Jean-Luc Gleyze, s'est engagé dans une démarche tendant à simuler puis, le cas échéant, à expérimenter sur son territoire diverses formes d'un revenu de base.

À cette fin, il entend mettre en place un partenariat avec la fondation Jean-Jaurès ainsi que deux organismes de recherche universitaire : le Centre pour la recherche économique et ses applications (CEPREMAP), dirigé par le professeur Daniel Cohen, et l'Institut des politiques publiques de l'École d'économie de Paris, dirigé par M. Antoine Bozio.

Selon les informations recueillies par la mission, des études de simulation et de modélisation pourraient être lancées avant la fin de l'année 2016, afin de déterminer les effets de quatre modalités de revenu de base ou d'allocation unique. Il s'agirait de tester les effets :

- d'une fusion du RSA et de l'aide personnalisée au logement (APL) - réforme suggérée par M. Daniel Cohen au cours de son audition par la mission ;

- d'une fusion des minima sociaux selon le scénario 3 du rapport de M. Christophe Sirugue ;

- d'une allocation inconditionnelle d'un montant de 750 euros ;

- d'une allocation inconditionnelle d'un montant de 1 000 euros.

La mission estime néanmoins que la cohérence des compétences entre les divers échelons territoriaux plaide pour que les départements soient chargés de l'expérimentation d'un revenu de base .

En effet, les départements exercent depuis longtemps la compétence en matière d'aides sociales. La loi n° 2014-58 du 27 janvier 2014 de modernisation de l'action publique territoriale et d'affirmation des métropoles (MAPTAM) a désigné le département comme « chef de file » en matière d'aide sociale, d'autonomie des personnes et de solidarité des territoires. Et la loi n° 2015-991 du 7 août 2015 portant nouvelle organisation territoriale de la République (NOTRe), en supprimant la clause générale de compétence et les compétences du département à l'égard d'autres politiques publiques, a renforcé ce rôle de maître d'oeuvre des politiques de solidarité dans les territoires.

En outre, ils ont déjà - pour 34 d'entre eux - l'expérience d'une démarche d'expérimentation en matière de prestations sociales sur leurs territoires, avec le RSA.

La mission n'est toutefois pas opposée à ce que, comme dans de nombreux domaines, le département délègue, le cas échéant, la mise en oeuvre de l'expérimentation à un autre niveau de collectivité territoriale .

Entre 2008 et 2009, l'expérimentation du RSA s'est faite en laissant aux départements une grande marge de manoeuvre dans la constitution des zones et des groupes test. Ils ont ainsi pu choisir entre plusieurs modalités d'éligibilité du nouveau dispositif, définir le taux de cumul de l'allocation avec les revenus d'activité et déterminer la taille des zones d'expérimentation.

Votre mission estime que cette approche différenciée et « à la carte » est de nature à permettre de tester plusieurs modalités d'un revenu de base . Il est donc souhaitable que les départements, dont les compétences en matière d'accompagnement social les mettent en mesure de bien connaître les populations de leurs territoires, puissent ainsi être autorisés à opérer certains choix.

Pour autant, à l'instar de l'expérimentation du RSA, ces choix doivent pouvoir être évalués par un comité scientifique au niveau national qui doit s'assurer de la pertinence des critères retenus, notamment pour la définition des zones test. In fine , il devrait revenir à ce comité de proposer parmi les collectivités candidates les projets d'expérimentation qui lui paraissent comporter les moindres biais scientifiques afin de garantir une évaluation des expérimentations dans des conditions optimales.

c) Une expérimentation sur plusieurs cohortes de différentes formes d'un revenu de base mesurant les effets sur l'activité et la précarité

Au cours de ses travaux, la mission a pu se rendre compte combien l'acception même de revenu de base ou de revenu universel comportait des compréhensions variables. Dans bien des cas, le dispositif évoqué par les différents intervenants sous cette dénomination ou celle de revenu d'existence revêtait un caractère conditionnel. Et il est important de souligner que les deux pays de l'Union européenne dans lesquels la réflexion sur une expérimentation est la plus avancée - la Finlande et les Pays-Bas - ne testeront vraisemblablement aucun revenu totalement inconditionnel.

(1) Une expérimentation tournée vers la lutte contre la précarité et l'insertion dans l'emploi

Dès lors qu'elle estime que le revenu de base, s'il devait être instauré en France, devrait avoir pour objectif prioritaire la lutte contre la pauvreté tout en ne remettant pas en cause l'importance du travail et de l'activité dans l'insertion sociale, la mission estime que l'expérimentation devrait en premier lieu concerner la population en grande difficulté, c'est-à-dire notamment celle qui bénéficie aujourd'hui des minima sociaux. Cette démarche serait d'ailleurs conforme à celle que s'apprêtent à emprunter la Finlande et les Pays-Bas.

Toutefois, l'expérimentation proposée ne saurait se limiter à ces seuls bénéficiaires. Elle devrait également pouvoir concerner des publics qui ne reçoivent pas, aujourd'hui, de minima sociaux , soit de manière structurelle - parce que la réglementation actuelle les en exclut largement, comme les jeunes de moins de 25 ans -, soit de manière conjoncturelle - car les potentiels bénéficiaires n'en font pas recours.

C'est la raison pour laquelle elle ne souhaite pas limiter le champ de l'expérimentation ni soumettre, dans ce cadre, le versement d'une allocation à la préexistence d'une condition ou d'un statut.

Il conviendra néanmoins de constituer des groupes d'expérimentation et des groupes de contrôle homogènes, ce qui pourrait conduire à répartir les groupes par statut.

(2) Tester sur plusieurs segments de la population

L'expérimentation doit permettre de tester les effets concrets d'un revenu de base sur plusieurs segments de la société . À ce stade, et dans la mesure où il s'agit de catégories qui connaissent aujourd'hui la situation sociale la plus difficile, votre mission estime que l'expérimentation devrait se concentrer :

- d'une part, sur les 18-25 ans . L'expérimentation sur ce segment de la population française présenterait l'avantage d'aborder la problématique de la substituabilité des minima sociaux dans des termes moins aigus, puisque, pour l'essentiel, il n'est pas éligible au RSA 153 ( * ) ;

- d'autre part, sur les 50-65 ans qui, par leur âge plus avancé et la structuration actuelle du marché du travail 154 ( * ) , sont souvent les plus éloignés de l'emploi et, de ce fait, peuvent davantage que les 25-50 ans tomber dans la pauvreté.

Pour autant, l'expérimentation pourrait être également envisagée, sans que cela soit un objectif prioritaire, pour la catégorie des 25-50 ans. Le revenu de base pourrait en effet avoir aussi, sur ce segment, des effets favorables, notamment sur la situation des familles monoparentales ou des femmes en reprise d'activité après avoir élevé des enfants.

Dans tous les cas, le nombre de bénéficiaires doit être suffisant pour que les données récoltées soient signifiantes : au total, votre mission estime que l'expérimentation devrait concerner entre 20 000 et 30 000 personnes afin de disposer d'un échantillon statistique pertinent . Il s'agit, du reste, d'un ordre de grandeur proche de celui retenu pour l'expérimentation du RSA en 2008.

(3) Expérimenter plusieurs formes d'allocation

Votre mission est convaincue que la pertinence d'un revenu de base ne peut s'apprécier qu'au regard de ses conséquences concrètes par rapport aux effets actuels des autres systèmes de protection sociale. Mais, si la mission a marqué des préférences à l'égard de certains principes devant présider à la mise en place d'un éventuel revenu de base en France, elle estime que le propre de l'expérimentation qu'elle recommande est d'explorer plusieurs systèmes - dont elle est consciente qu'ils peuvent s'écarter de l'épure d'un revenu de base stricto sensu puisque, pour certains, ils s'apparenteraient à une forme plus ou moins atténuée de revenu de participation - afin de déterminer lequel d'entre eux est le plus efficace.

À cet égard, la démarche retenue par la mission est proche de celle dans laquelle devraient s'engager les communes des Pays-Bas, à commencer par Utrecht.

Aussi, la mission propose-t-elle l'expérimentation :

- d'une allocation sous forme inconditionnelle . Les bénéficiaires se verraient verser une somme fixe, indépendamment de leur pouvoir d'achat, qu'ils pourraient utiliser de façon totalement libre. Il s'agirait ainsi de tester la forme la plus « pure » du revenu de base. Ce faisant, la France serait le premier pays de l'Union européenne à expérimenter un vrai revenu inconditionnel. Cette expérimentation pourrait concerner les 25-64 ans, dans un objectif de lutte contre la précarité et de retour à l'emploi ;

- d'un versement inconditionnel avec obligation d'utiliser l'allocation à des fins spécifiques . Un montant fixe serait versé à chaque bénéficiaire, mais son emploi serait « finalisé ». Le bénéficiaire devrait utiliser ces fonds par exemple pour des achats alimentaires, des actions de formation, des frais de mobilité.

La mission estime que l'expérimentation de cette forme de revenu serait particulièrement pertinente à l'égard des jeunes, pour lesquels il semble préférable d'orienter l'utilisation de l'allocation envisagée à des actions en lien avec leur bonne insertion dans la société ;

- d'un versement conditionné au respect d'une obligation spécifique . Dans une telle hypothèse, le revenu ne serait versé qu'en contrepartie d'une obligation particulière, par exemple le suivi d'une action de formation ou des mesures de recherche d'emploi actives. Deux variantes seraient possibles : dans l'une, le revenu serait versé mais susceptible d'être retiré par la suite en cas de méconnaissance des obligations ; dans l'autre, le versement n'interviendrait qu'une fois constaté que l'intéressé a commencé à remplir ses obligations.

Cette modalité devrait être également testée notamment sur les jeunes. Néanmoins, compte tenu de la proximité de ce type de dispositif avec celui de la Garantie jeunes, une articulation avec cette dernière devrait être envisagée. Il conviendrait également de mettre en regard les effets d'un tel versement par rapport à celui d'un dispositif tel que « Territoires zéro chômeur de longue durée ».

En première approche, la mission estime que le montant du versement ainsi opéré devrait correspondre à celui du RSA , même s'il serait envisageable, le cas échéant, de tester un montant supérieur mais en tout état de cause relativement moindre que le seuil de pauvreté.

Ce versement viendrait se substituer aux minimas sociaux (RSA, ASS, AAH...) perçus par les personnes faisant l'objet de l'expérimentation, jusqu'à concurrence de leur montant, laissant au bénéficiaire tout reliquat supérieur à ce versement.

d) Une expérimentation d'une durée d'au moins trois ans pour permettre une évaluation réelle

En proposant d'expérimenter un revenu de base en France, la mission ne nourrit aucun a priori . Elle n'envisage cette expérimentation que comme un test, qui peut être concluant dans un sens ou dans l'autre, mais qui ne saurait présager d'ores-et-déjà de la mise en place d'un revenu de base en France. Dès lors, elle insiste pour que la durée de l'expérimentation soit suffisante afin que les données récoltées puissent être à même de conduire à une évaluation scientifique réelle.

La position de la communauté scientifique à l'égard de l'expérimentation du RSA est notamment qu'elle n'a pas été suffisamment longue - elle n'a duré effectivement que 15 mois - pour aboutir à une évaluation détaillée, même si au terme de cette durée, certaines lignes de force positives en faveur du RSA ont pu être dégagées, à l'époque, par le comité d'évaluation ad hoc présidé par M. François Bourguignon. Compte tenu de la complexité de l'expérimentation qu'elle propose de mettre en oeuvre, la mission estime donc que sa durée devrait être d'au moins trois ans .

Cette évaluation devra ensuite être effectuée selon une démarche scientifique (analyse de données statistiques, entretiens avec les bénéficiaires...) au moyen de critères qui devront avoir été préalablement définis.

À ce stade, la mission n'entend pas définir précisément les différents critères qui devraient être retenus pour procéder à l'évaluation de l'expérimentation. Il s'agit en effet de questions qui relèvent d'une expertise scientifique pour laquelle elle ne s'estime pas armée. Pour autant, elle juge intéressants les critères d'évaluation qui lui ont été présentés par l'Agence nouvelle des solidarités actives (ANSA).

Quelques critères d'évaluation des effets des dispositifs expérimentés
présentés par l'ANSA

Pour mesurer l'impact économique :

- l'évolution du travail rémunéré et son impact sur le PIB ;

- les entrées / sorties du marché du travail, notamment des jeunes ;

- l'évolution des formes de travail : CDI ou CDD / travail indépendant / travail saisonnier ;

- l'évolution du niveau de salaire ;

- la qualité du travail proposé, accepté et refusé ;

- le développement de projets professionnels et de création d'entreprise ;

- l'augmentation ou non du coût de la vie, des loyers...

Pour mesurer l'impact sur l'accès aux droits et services :

- la simplification des dispositifs ;

- la baisse du non recours ou des demandes d'aides ;

- l'économie de l'argent public ; la réutilisation du temps agents sur l'accompagnement plutôt que sur l'application des procédures règlementaires ; la qualité des services rendus / fournis (délais, satisfaction, adaptation...) ;

Pour mesurer l'impact sur la société et les individus :

- les contributions à la société (travail non rémunéré) : bénévolat, vie familiale, projet culturel ;

- les nouvelles formes de travail investies - plus autonomes, plus adaptées à un monde créatif et ouvert ;

- la cohésion sociale et l'équilibre familial ; le bien-être individuel et collectif ;

- la qualification et la formation ;

- l'amélioration sur la santé des personnes et l'accès aux soins ;

- le sentiment de bonheur ;

Pour mesurer l'impact financier :

- pour les personnes : l'augmentation du niveau de vie ;

- pour les institutions : les coûts supplémentaires et les coûts évités.

En outre, il y aura lieu de comparer ensuite les résultats obtenus à l'issue de l'expérimentation avec ceux, pour les publics similaires, qui résulteront de la mise en oeuvre de la Garantie jeunes ainsi que de l'expérimentation « Territoires zéro chômage de longue durée ».

Il reviendra aux organes chargés de la gouvernance de l'expérimentation, et notamment son comité scientifique dont la constitution serait indispensable, de déterminer les critères pertinents.

4. La gouvernance et le financement de l'expérimentation

La gouvernance retenue pour l'expérimentation du revenu de base doit garantir l'objectivité scientifique de la démarche, tout en associant les parties prenantes. Comme dans d'autres dispositifs d'expérimentation, la mission croit nécessaire de séparer l'organe de pilotage de l'expérimentation de l'organe scientifique qui développera la méthodologie de l'expérimentation.

a) Un comité de pilotage

La mission estime, conformément au modèle d'expérimentation défendu par M. Yannick L'Horty, professeur d'économie à l'université de Paris-Est, lors de son audition, que la gouvernance de l'expérimentation projetée doit, autant que possible, assurer la participation des différentes parties prenantes qui, dans un projet aussi ambitieux, sont nombreuses. Un comité de pilotage de l'expérimentation devrait ainsi être institué, comprenant :

- des élus nationaux : députés et sénateurs. L'expérimentation est en effet un dispositif d'envergure nationale et ses résultats - quels qu'ils soient - auront un fort impact sur les politiques publiques pour l'ensemble de notre pays ; il est donc essentiel que la représentation nationale y soit pleinement associée ;

- des représentants des administrations qui seraient parties prenantes, tant au niveau central qu'au niveau déconcentré ;

- des représentants des collectivités territoriales, issus des structures nationales (Assemblée des départements de France, Association des maires de France, Association des régions de France) ainsi que des territoires expérimentateurs ;

- des universitaires, notamment en économie et en sociologie ;

- des représentants des associations représentatives des personnes en situation d'exclusion et de lutte contre la pauvreté ;

- des représentants des travailleurs sociaux ;

- des représentants des syndicats d'employeurs et des syndicats de salariés, compte tenu des effets potentiels sur l'emploi ;

- enfin, des bénéficiaires de l'expérimentation.

Ce comité, qui pourrait comporter une formation plus restreinte et plus opérationnelle, serait chargé de veiller à la bonne conduite des différentes expérimentations sur les différents territoires, tout au long de leur durée.

Dans la phase de démarrage de l'expérimentation, il lui reviendrait en particulier, sur la base des préconisations qui lui seront faites par le comité scientifique, de déterminer les modalités de l'appel d'offres et d'arrêter les territoires susceptibles de donner lieu à l'expérimentation. Sur ce dernier point, M. Yannick L'Horty a indiqué lors de son audition qu'il serait préférable, afin d'éviter tout biais méthodologique, que ces territoires soient ensuite tirés au sort parmi les territoires proposés par les départements.

b) Un comité scientifique

Garant de la qualité scientifique de la démarche, un comité scientifique devrait être constitué, qui serait composé d'universitaires ainsi que d'experts issus des administrations relevant des ministères économiques et sociaux (statisticiens, sociologues, économistes...).

Le comité scientifique serait chargé de définir les modalités techniques de l'expérimentation.

Il lui reviendrait, notamment, de sélectionner, parmi les territoires proposés par les départements, ceux qui présentent les caractéristiques économiques et sociales les plus pertinentes scientifiquement pour participer à l'expérimentation , et de définir les territoires de contrôle idoines. Lui incomberait également de proposer les conditions de mise en oeuvre pratique des différentes variantes expérimentées.

Il serait également chargé de piloter les travaux d'évaluation de l'expérimentation , par l'exploitation des données recueillies. Dans ce cadre, il serait souhaitable que des partenariats puissent être noués avec des instituts de recherches publics ou privés qui pourraient ainsi mener en pratique les mesures d'évaluation.

c) Une expérimentation prise en charge financièrement par l'État

Compte tenu de l'absence de volet fiscal de l'expérimentation, un financement ad hoc devrait être trouvé. La mission envisageant une expérimentation sur environ 20 000 à 30 000 personnes, le coût annuel maximum de l'expérimentation, avec un revenu de l'ordre de 500 euros coûterait, en année pleine, de l'ordre de 100 à 150 millions , ce montant pouvant varier en fonction du nombre des individus dans les échantillons testés qui seraient déjà allocataires des minima sociaux auxquels le revenu de base se substituerait à concurrence de son montant.

S'agissant d'une dépense à vocation d'aide sociale de lutte contre la précarité et d'inclusion dans l'emploi, la mission estime qu'elle devrait être financée par principe sur le budget de l'État .

Toutefois, les départements expérimentateurs pourraient, outre leur participation par le biais de la mise à disposition de leurs personnels pour le service du revenu de base dans le cadre de l'expérimentation, contribuer financièrement de manière volontaire aux frais engagés.

En outre, le financement de l'expérimentation pourrait s'inscrire dans le cadre prévu pour l'utilisation des crédits gérés par l'État 155 ( * ) au titre du fonds social européen (FSE).

Répartition des crédits issus du FSE géré par l'État, 2014-2020

(en millions d'euros)

Axe prioritaire

Objectif thématique

Soutien de l'Union européenne

Contrepartie nationale

Financement total

1. Accompagner vers l'emploi les demandeurs d'emploi et les inactifs et soutenir les mobilités professionnelles

OT 8 Promouvoir un emploi durable et de qualité et soutenir la mobilité de la main d'oeuvre

395,6

350,3

745,9

OT 10 Investir dans l'éducation, la formation et la formation professionnelle pour acquérir des compétences et pour l'apprentissage tout au long de la vie

58,1

52,5

110,7

2. Anticiper les mutations et sécuriser les parcours et les transitions professionnels

OT 8 Promouvoir un emploi durable et de qualité et soutenir la mobilité de la main d'oeuvre

707,3

627,8

1 335,1

3. Lutter contre la pauvreté et promouvoir l'inclusion

OT 9 Promouvoir l'inclusion sociale et lutter contre la pauvreté et toute forme de discrimination

1 634,4

1 450,5

3 084,9

4 Assistance technique

98,4

87,2

185,6

Total

2 893,8

2 568,4

5 462,2

Source : Programme opérationnel national du FSE pour la période 2014-2020

Ces crédits, qui représentent près de 2,9 milliards d'euros pour la période 2014-2020, sont en effet affectés en priorité à l'accompagnement vers l'emploi, à la sécurisation des parcours professionnels et à la lutte contre la pauvreté.

Ils permettent actuellement de contribuer au financement de l'expérimentation relative à la Garantie jeunes. Il semble que l'expérimentation envisagée par la mission puisse, compte tenu de son objet, bénéficier d'une partie de ces crédits au titre de chacun des trois axes d'action prioritaire du fonds.

_________________


* 140 Audition du 23 septembre 2016.

* 141 Groupe de travail « Revenu universel » de la Fondation Jean-Jaurès, Le revenu de base, de l'utopie à la réalité , 22 mai 2016.

* 142 Le salaire de réserve correspond au salaire minimal en dessous duquel les chômeurs refusent une offre d'emploi.

* 143 Celle-ci pourrait néanmoins rester mesurée, compte tenu des gains de productivité résultant de la baisse du temps de travail ou de l'accès à l'emploi de personnes jusqu'alors au chômage du fait du partage du temps de travail.

* 144 Audition du 28 septembre 2016.

* 145 Audition du 12 septembre 2016.

* 146 Guillaume Allègre, « Comment peut-on défendre un revenu de base ? », OFCE, 19 décembre 2013.

* 147 Audition du 14 septembre 2016.

* 148 Audition du 23 juin 2016.

* 149 Décision du Conseil constitutionnel n° 2009-584 DC, 16 juillet 2009, considérant n° 38.

* 150 Conseil d'État, avis d'Assemblée générale (section des finances), n° 386.093 du 9 février 2012.

* 151 Laurent Davezies, La crise qui vient. La nouvelle fracture territoriale , Paris, Seuil, 2012.

* 152 Clément Dherbécourt et Boris Le Hir , « Dynamiques et inégalités territoriales », France Stratégie, 2016.

* 153 Même s'il peut bénéficier d'autres minima, tels que l'AAH.

* 154 Un taux d'emploi de 60,5 % pour les 50-64 ans et de 49 % pour les 55-64 ans.

* 155 La gestion des crédits du FSE est répartie entre l'État, à hauteur de 65 %, et les régions, à hauteur de 35 %. Au sein de l'État, l'autorité de gestion concernée est la délégation générale à l'emploi et à la formation professionnelle (DGEFP).

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