B. LA MIXITÉ EN QUESTION AUJOURD'HUI EN FRANCE

Des observations de terrain font état d'évolutions inquiétantes pour l'avenir de la mixité, dans notre pays, dans l'espace public et dans des activités aussi diversifiées que les soins, plus particulièrement à l'hôpital public, dans l'entreprise et dans l'enseignement, tant supérieur que primaire et secondaire.

De semblables remontées de terrain sont dénoncées depuis une quinzaine d'années. À bien des égards, le diagnostic effectué par des rapports publics élaborés au début des années 2000, à commencer par celui de la « Commission Stasi », semble encore d'actualité.

L'heure n'est pas à la généralisation de ces alertes à l'ensemble du territoire ni à une dramatisation excessive . Les situations qu'évoque le présent rapport sont toutefois la manifestation de tendances préoccupantes qui doivent donner lieu à une réaction énergique des pouvoirs publics, précisément pour éviter la généralisation de ces difficultés.

Comme le recommande le philosophe Abdenour Bidar, il convient de se garder du piège tendu par ceux et celles qui, au nom de la liberté de conscience et du « dialogue entre les différences » 97 ( * ) , instrumentalisent les principes démocratiques pour demander toujours plus de tolérance et qui revendiquent des « droits spéciaux » tels que des « consultations médicales des femmes assurées spécialement par un personnel médical féminin ou des horaires réservés aux femmes dans les piscines », mais qui en privé, dissimulent une pratique religieuse conservatrice, voire obscurantiste « sous les dehors de la respectabilité » 98 ( * ) .

1. La question de l'espace public et les interrogations suscitées par le voile

La question de la mixité de l'espace public est liée à celle du voile. Ces derniers mois, la polémique sur la mode dite « pudique » puis, au cours de l'été 2016, sur le « burkini », maillot de bain présenté comme respectant la pudeur des femmes, a conféré à ce débat récurrent, souvent passionné, une dimension quelque peu renouvelée.

a) La mixité remise en cause dans l'espace public

Ce point impose de tenter de définir l'espace public : il s'agit d'un endroit « accessible à tous et ayant la capacité de refléter la diversité des populations », de « tout espace de rencontre, qu'elle soit fortuite ou programmée, où l'on peut faire l'expérience de l'Autre et où la différence, même sa propre différence, est protégée par l'anonymat » 99 ( * ) . En d'autres termes, on peut définir l'espace public comme un lieu où peuvent se rencontrer des personnes qui ne se ressemblent pas. L'espace public suppose la libre allée et venue de personnes pouvant se déplacer sans contrôle , ce qui semble exclure l'existence d'espaces publics dans des sociétés non démocratiques.

Quelle est la conséquence de cette définition sur la présence des femmes dans l'espace public ?

Selon la philosophe Catherine Kinztler, auditionnée par la délégation le 25 mars 2015, la liberté, fondamentale pour les femmes, de « pouvoir sortir sans être sommée à chaque instant de rentrer, s'entendre dire qu'on n'a rien à faire là, ou que si on est là sans avoir rien à faire, c'est qu'on se prostitue », est rendue possible par le régime laïque qui permet aux femmes non seulement de sortir de chez elles - question dont elle rappelle qu'elle ne s'est jamais posée pour les hommes - mais aussi de « sortir [... de leur] propre condition ».

Il semble malheureusement que se produise, dans certains quartiers, une exclusion progressive des femmes et des petites filles qui ne peut que préoccuper la délégation.

Ainsi les auteurs du rapport de juin 2004 (dit « rapport Obin ») intitulé « Les signes d'appartenance religieuse dans les établissements scolaires » rapportaient-ils le constat de la « disparition des filles des activités sportives et des centres sociaux » 100 ( * ) . Ils soulignaient aussi l'enfermement des filles, empêchées de sortir de chez elles pendant les week-ends : « Dans telle cité, on nous dit que les filles doivent rester le week-end en pyjama afin de ne pouvoir sortir ne serait-ce qu'au pied de l'immeuble » 101 ( * ) .

« Il n'y a plus aucune petite fille qui joue en bas des tours [...]. C'est réservé aux petits garçons » : ainsi témoignait, en 2014, une institutrice du Rhône 102 ( * ) .

Cette remise en cause de la mixité a atteint le secteur du commerce de proximité et notamment celui des auto-écoles (une polémique a ainsi concerné, en août 2016, une auto-école de la région lyonnaise proposant des formations à l'épreuve du code dans des salles séparées 103 ( * ) ).

En juin 2015, la polémique causée par la révélation de la fixation d'horaires d'ouverture séparés pour hommes et femmes dans une épicerie de la banlieue bordelaise a illustré l'ampleur d'un phénomène qui semble désormais très visible dans certains quartiers. Le gérant, converti à l'islam en 2012 de même que son épouse, pensait en collant « sur la porte de son commerce une affichette manuscrite indiquant les jours et les heures où le magasin était ouvert aux « frères » ou aux « soeurs » [... s'adapter] à la demande de sa clientèle » 104 ( * ) . Il a été condamné en avril 2016 à une peine de deux mois de prison avec sursis et à 500 euros d'amende pour discrimination à raison du sexe et refus d'un bien ou d'un service dans un lieu accueillant du public.

Cette question rejoint, entre autres exemples, la demande d'horaires séparés dans les piscines municipales 105 ( * ) , qui préoccupe certains élus locaux 106 ( * ) .

Toutes ces demandes ne tiennent pas à des préoccupations d'ordre religieux. Certaines sont motivées par des considérations liées à la santé (cas de groupes de femmes atteintes d'un cancer ou souffrant de troubles de l'alimentation) et n'appellent pas de commentaire particulier.

Certaines en revanche sont formulées pour des motifs que l'on peut qualifier de culturels ou de religieux. Elles sont contestables car elles portent atteinte à l'égalité entre femmes et hommes et au principe de mixité qui sous-tend notre projet de société. Elles contribuent de surcroît à limiter de manière injustifiée la liberté des autres usagers.

L'exclusion des femmes de l'espace public rejoint la question des prescriptions vestimentaires et de l'usage consistant à cacher le corps des femmes, autorisées à sortir en dehors du domaine privé de la maison si elles portent une tenue qui les dérobe aux regards.

Le témoignage des membres du collectif Femmes sans voile d'Aubervilliers , reçues le 25 mars 2016 par Chantal Jouanno, présidente, en présence d'autres membres de la délégation, a mis en valeur le rapport entre l'exclusion des femmes de l'espace public et l'obligation du port du voile.

Elles ont décrit l'exclusion progressive des femmes de la rue et des cafés où, dans leur commune d'Aubervilliers, elles ne sont plus les bienvenues. Parallèlement s'est opérée l'expansion du voile, qui conditionne l'acceptation par les hommes de la présence des femmes en dehors de leur domicile. Elles jugent inquiétante cette présence croissante du voile puisqu'il s'étend selon elles à des fillettes de plus en plus jeunes . Elles demandent donc l'interdiction du voile pour les mineures , y compris en dehors des établissements d'enseignement primaire et secondaire où la loi française l'interdit depuis 2004.

Elles s'alarment des pressions parfois violentes que subissent les femmes non voilées à Aubervilliers et dénoncent la peur qui conduit un nombre croissant de femmes d'origine maghrébine à adopter un comportement vestimentaire conformiste, par craintes de représailles, pour elles ou leurs enfants.

Le témoignage de Nadia Remadna, qui a créé la Brigade des mères en 2014 pour « remettre la République dans les banlieues », rejoint celui des Femmes sans voile d'Aubervilliers . Parmi les revendications des « brigadières », mentionnons cette demande éclairante : « que les mères aient le droit de sortir librement dans les quartiers », alors-même que ceux-ci sont désertés par les femmes 107 ( * ) .

Face au sentiment d'abandon qu'éprouvent ces femmes, la délégation considère que les pouvoirs publics doivent réinvestir l'ensemble du territoire de la République afin d'y garantir le respect des règles de notre vivre ensemble. Aucune injonction vestimentaire faite aux femmes, aucune limitation de leurs droits et libertés, qu'elles soient motivées par l'appartenance communautaire ou par des réflexes identitaires, ne sont acceptables.

Les pouvoirs publics se doivent, dans ces territoires, d'accorder une attention particulière à la situation des femmes et des jeunes filles pour réprimer toute tentative d'intimidation liée à leur sexe, à leur comportement ou à leur apparence. La proposition de la délégation consistant à créer un délit autonome d'agissement sexiste 108 ( * ) vise précisément les comportements de cet ordre.

S'il est compréhensible qu'il ne puisse y avoir de forces de sécurité présentes en tout temps et en tout lieu, à tout le moins la réaffirmation systématique des valeurs de la République est-elle un impératif.

b) Le voile : un débat récurrent ravivé par la « mode pudique » et par les questionnements sur le « burkini »

Récurrent dans notre pays, le débat sur le voile semble encore plus présent depuis quelques mois.

Un sondage de Figaro-Ifop réalisé entre le 14 et le 18 avril 2016, publié dans Le Figaro du 29 avril 2016, révèle que le nombre de personnes opposées au voile progresse en France .

En 1989, à la question : « Êtes-vous favorable au port du voile ou du foulard dans la rue pour les musulmanes qui le souhaitent ? », la part des réponses négatives était de 33 %. Elle est aujourd'hui de 63 % (on compte actuellement 9 % de réponses favorables seulement et 28 % d'indifférents) 109 ( * ) .

En février-mars 2016, la polémique suscitée par la mise en vente et la promotion, par de grandes enseignes de prêt à porter, de voiles et de tenues telles que des maillots de bain très couvrants 110 ( * ) (question sur laquelle ce rapport revient ci-après), a confirmé l'importance centrale des questions concernant les femmes au sein des interrogations suscitées par le fait religieux. Elle a rappelé aussi combien les vêtements féminins pouvaient investir le champ politique.

Il faut tout d'abord souligner ce qu'implique le terme de mode « pudique » 111 ( * ) qualifiant ces produits : serait-ce pour signifier que les femmes qui ne suivent pas cette mode seraient « impudiques » ?

Le fait que ces vêtements féminins puissent être considérés comme conformes aux codes vestimentaires islamiques ne fait pas de doute, si l'on se réfère au nom choisi pour les maillots de bain ( burkinis 112 ( * ) ) et pour la ligne ( Abaya) d'une marque de luxe italienne 113 ( * ) . Le débat de l'été 2016 devait d'ailleurs faire entrer dans le vocabulaire courant le mot « burkini », néologisme constitué à partir de « burqa » et « bikini ».

Selon un sociologue spécialiste des questions relatives à la mode, « On assiste à un véritable tournant. Que des grandes marques s'intéressent au marché du Moyen- Orient , cela existe depuis les années 1970. Elles lui ont toujours proposé des vêtements en les modifiant à la marge. La grande nouveauté est que, pour la première fois, elles créent des tenues islamiques » 114 ( * ) .

Cette offensive commerciale venue du Royaume Uni, d'Espagne, du Japon et d'Italie, encouragée sans aucun doute par les enjeux financiers d'un marché considérable, dont le chiffre d'affaire mondial a été évalué à 230 milliards de dollars en 2014 (320 milliards en 2020) 115 ( * ) , a suscité des réactions très vives en mars-avril 2016 .

Ainsi Danielle Bousquet, présidente du Haut conseil à l'égalité, a-t-elle souligné la « question politique » posée par la mode pudique, cette « mode religieuse » constituant un « instrument de plus au service d'un projet de société non seulement sexiste [...] mais d'enfermement et de contrôle du corps des femmes » 116 ( * ) .

Dans le même esprit, plusieurs associations féministes, parmi lesquelles la Ligue du droit International des Femmes , la Coordination Française pour le Lobby Européen des Femmes , EGALE Égalité Laïcité Europe , Femmes sans voile d'Aubervilliers , Femmes Solidaires , Féminisme et géopolitique , Les Libres Mariannes et Regards de femmes ont réagi ensemble, le 31 mars 2016, pour dénoncer dans un communiqué commun « la banalisation du port du voile islamique, qui veut se faire beau et élégant à travers des défilés de mode visant un immense et juteux marché mondial. [...] Ni l'élégance, ni la couleur, ni la taille, ni la richesse des tissus, ni leur texture, ne sauraient changer le sens de ce symbole » 117 ( * ) .

Selon l'historienne Christine Bard, auteure d' Une histoire politique du pantalon 118 ( * ) , ce débat passionné évoque « la longue controverse nationale sur le voile islamique et le voile intégral (le burqini rappelant la burqa ), qui se déploie aujourd'hui dans un contexte très tendu lié au traumatisme des attentats » 119 ( * ) . L'historienne a rappelé le lien entre l'émancipation des femmes et l'évolution de leur tenue vestimentaire , qu'il s'agisse du droit de porter le pantalon, de la « liberté de supprimer les entraves, comme le corset », ou de la faculté de « dénuder certains parties du corps comme les bras et les jambes ». Ce lien met en évidence la portée politique - dont témoigne par exemple l'appel au boycott des marques concernées - d'un débat loin, en réalité, d'être futile .

c) Le débat juridique sur le « burkini »

Le débat causé, en août 2016, quelques jours après l'émotion immense due à l'assassinat d'un prêtre catholique célébrant la messe, par la présence sur des plages françaises de femmes portant le burkini et par les arrêtés d'interdiction pris par quelque 31 communes dans le cadre des pouvoirs de police du maire 120 ( * ) , illustre la complexité de questions touchant aux libertés fondamentales combinées à la laïcité, à la définition de l'espace public, à l'égalité entre femmes et hommes et à la portée - politique et religieuse - des usages vestimentaires.

Tenue ostentatoirement religieuse, suscitant le rejet de certains dans le contexte issu des attentats de juillet 2016, élément de libération pour des femmes qui, sans cet accessoire, n'auraient pas la possibilité de profiter de la plage et de se baigner ou, au contraire, symbole de leur soumission à des préjugés enjoignant aux femmes de cacher leur corps ? Les interprétations de cet accessoire vestimentaire sont multiples.

Pour le président du Conseil supérieur du culte musulman, « la question du burkini n'est pas d'ordre religieux. Quelques femmes le choisissent, peut-être par provocation, mais la plupart le font par pudeur. [...]. Le débat [...] pose la question des libertés » 121 ( * ) .

Selon un sondage mené par l'Ifop entre le 22 et le 24 août 2016, 64 % des personnes interrogées seraient opposés au port du burkini sur les plages, 30 % s'affirmant indifférentes 122 ( * ) .

Ces arrêtés municipaux ont donné lieu à des réactions diverses. Pour le Premier ministre, le burkini est la « traduction d'un projet politique, de contre-société, fondé notamment sur l'asservissement de la femme » 123 ( * ) . Des points de vue comparables se sont exprimés dans la majorité comme dans l'opposition. Des voix se sont élevées pour demander qu'une norme claire soit élaborée, à l'échelle nationale, dans les espaces publics de baignade et sur les plages publiques. Mais des jugements critiques ont émergé, au sein même du Gouvernement : la ministre de l'Éducation nationale s'est demandé « jusqu'où [on pourrait aller] pour vérifier qu'une tenue est conforme aux bonnes moeurs ».

Ainsi les images de cette femme sommée par la police municipale de Nice de se dévêtir sur la plage, et verbalisée pour avoir porté une tenue de bain couvrante, ont-elles à juste titre été jugées choquantes par de très nombreuses personnes ; la délégation partage cette émotion.

À cet égard, force est de relever le paradoxe de cette polémique : alors que l'évolution du vêtement féminin, parallèlement à une tendance historique à la conquête de nouveaux droits, est allée dans le sens d'un allègement des contraintes, à la plage comme dans les autres aspects de la vie quotidienne, c'est en quelque sorte au nom des bonnes moeurs que l'on a rejeté des tenues de bains qui auraient été considérées comme correctes il y a cent ans.

Tel est le sens de la remarque du journaliste Edwy Plenel sur le site de Mediapart , une photo de baigneuses de la Belle époque, couvertes de la tête aux pieds, servant à relativiser la portée de la polémique sur le burkini . Pourtant, le parallèle ainsi établi fait fi de décennies de combats pour l'émancipation du corps des femmes .

Les auteurs des recours contre les arrêtés municipaux ont argumenté sur le terrain des atteintes aux libertés fondamentales (d'opinion, de religion, d'aller et venir, de se vêtir) et sur la définition de la laïcité qui, ont-ils rappelé, n'impose pas la neutralité religieuse dans l'espace public. Ils ont estimé que le burkini ne saurait contrevenir à la loi de 2010 car il ne dissimule aucunement le visage ; il convient donc selon eux de le considérer comme un voile, autorisé à ce titre dans l'espace public.

De manière très éclairante, les décisions de justice auxquelles ont donné lieu les arrêtés antiburkini s'appuient sur des appréciations diverses de la signification de ce maillot de bain.

Seul le tribunal administratif de Nice, en rejetant le 22 août 2016 les recours contre l'arrêté de Villeneuve-Loubet, a intégré dans son raisonnement la question de l'égalité entre hommes et femmes. Il a explicitement considéré que « même si certaines femmes de confession musulmane déclarent porter, selon leur bon gré, le vêtement dit burkini , pour afficher simplement leur religiosité, ce dernier, qui a pour objet de ne pas exposer le corps de la femme comme il était dit à l'audience, peut toutefois être analysé également comme l'expression d'un effacement de celle-ci et un abaissement de sa place qui n'est pas conforme à son statut dans une société démocratique ».

Le Conseil d'État, le 26 août 2016, n'a pas retenu ces arguments et s'en est tenu, pour annuler l'arrêté de Villeneuve-Loubet, à l'absence de trouble à l'ordre public, considérant que l'arrêté litigieux porte « une atteinte grave et manifestement illégale aux libertés fondamentales ».

On peut néanmoins observer, comme certains juristes éminents 124 ( * ) , que le Conseil d'État a fondé sa décision sur la seule protection de l'ordre public matériel, qualifiée par l'un de ces commentateurs de « conception étroite de l'ordre public », sans prendre en considération la notion d'atteinte à la dignité de la personne humaine qui avait fondé des décisions plus anciennes 125 ( * ) et qui aurait peut-être permis de donner à sa décision une dimension protectrice pour les femmes.

En tout état de cause, le burkini peut être considéré comme l'illustration symbolique d'une conception du corps de la femme et de sa place dans la société à laquelle ne saurait souscrire la délégation.

Faut-il pour autant légiférer sur cette question complexe ? Il semble qu'une proposition de loi antiburkini , si elle se borne à réglementer la tenue des femmes, ne puisse pas être soutenue par la délégation.

La délégation considère qu'il n'appartient pas au législateur de réglementer les tenues vestimentaires, à l'exception des risques d'atteinte à l'ordre public et de l'exigence de neutralité des agents publics.

La délégation constate que le débat sur la laïcité ou le fait religieux se focalise systématiquement sur la tenue vestimentaire des femmes. Elle déplore vivement les agressions dont sont victimes des femmes pour ce motif. Elle s'étonne que l'apparence des hommes ne fasse pas l'objet des mêmes questionnements et exclut toute intervention du législateur pour réglementer les tenues vestimentaires, des femmes comme des hommes, en dehors de toute considération d'ordre public et de l'exigence de neutralité des agents publics.

2. La mixité en question dans le domaine des soins médicaux

Dans le domaine des soins, plus particulièrement dans le service public hospitalier, le fait religieux est présent à travers une connaissance parfois imparfaite, par certains personnels, du devoir de neutralité auxquels ils sont soumis et par les demandes de certains malades qui perturbent parfois l'organisation des services.

a) La neutralité de certains personnels parfois en question

On observe ainsi le refus de certains personnels soignants de respecter l'obligation de neutralité qui incombe à tout agent public. Parmi les manifestations d'appartenance religieuse évoquées par Isabelle Lévy, auteure de Menaces religieuses sur l'hôpital 126 ( * ) , certaines sont communes aux femmes et aux hommes, comme par exemple les demandes d'aménagement du temps de travail. S'agissant spécifiquement des femmes , Isabelle Lévy, lors de son audition en avril 2016, a évoqué le cas de femmes membres du personnel demandant à pratiquer leur métier voilées , en dépit de la règle de neutralité qui s'impose aux agents du service public.

Une étude intitulée La « diversité » à l'hôpital : identités sociales et discriminations , réalisée en 2010 par le Centre Migrations et citoyenneté de l'IFRI atteste une connaissance insuffisante, de la part des personnels hospitaliers, de l'obligation de neutralité religieuse propre aux agents publics dans l'exercice de leur mission puisqu'il mentionne « des règles qui ne concernent pas l'hôpital (comme la loi de 2004) [...] invoquées pour interdire le port de signes religieux par le personnel » ainsi que le « port de la charlotte comme substitut au voile ou à la kippa » 127 ( * ) .

Les règles auxquelles sont soumis les personnels des établissements publics de santé semblent mal connues des professionnels et des futurs professionnels puisque, selon une enquête citée par la Fédération hospitalière de France, 70 % des étudiants en médecine et 64 % des médecins hospitaliers souhaiteraient recevoir un enseignement spécifique sur la laïcité 128 ( * ) . Ce constat souligne l'intérêt de la commission « Laïcité et fonction publique » installée le 7 juin 2016, à laquelle est précisément associé un représentant de l'AP-HP et dont les conclusions doivent être rendues en novembre 2016.

Le respect de la neutralité par les soignants est primordial pour les patients car, comme l'a relevé Isabelle Lévy lors de son audition, la manifestation de l'appartenance religieuse d'un soignant ne garantit pas au patient le respect d'une parfaite neutralité dans l'administration des soins : « Va-t-il proposer tous les antalgiques, toutes les interventions » 129 ( * ) que sa religion pourrait éventuellement réprouver ? Isabelle Lévy a confirmé, lors de cet entretien, le besoin d'une formation des personnels hospitaliers ce domaine .

b) Des soins à « négocier » face aux demandes de certains malades

L'étude précitée de l'IFRI intitulée La « diversité » à l'hôpital : identités sociales et discriminations , parle aussi  de « mieux négocier la réalisation du soin » et affirme que « L'adaptation des pratiques professionnelles aux pratiques culturelles ou religieuses du patient est considérée par les soignants comme un aspect important de leur métier » 130 ( * ) .

La Fédération hospitalière de France a estimé, au terme d'une enquête menée entre janvier et mai 2015 auprès de 172 établissements publics (de santé et médico-sociaux) sur la difficulté de mise en oeuvre du principe de laïcité, qu' un tiers des établissements étaient confrontés à des situations problématiques avec des patients ou leur famille 131 ( * ) .

Les principales difficultés ont trait, selon Isabelle Lévy, auteure de Menaces religieuses sur l'hôpital 132 ( * ) , à l'exigence, commune aux hommes et aux femmes, d'être examinés et soignés par une personne du même sexe.

Isabelle Lévy, qui effectue régulièrement des formations à la laïcité pour les personnels hospitaliers, observe que le fait religieux à l'hôpital est tellement présent que des malades précisent quelle est leur religion avant même d'aborder leur problème de santé : « les soignants sont quasiment contraints à parler de religion plus que du soin » 133 ( * ) . Ce constat était déjà présent dans le rapport remis au Président de la République le 11 décembre 2003 par la Commission de réflexion sur l'application du principe de laïcité dans la République : « Des personnels hospitaliers s'épuisent dans des négociations avec les usagers, au détriment des soins qu'ils devraient prodiguer en urgence » 134 ( * ) .

Les difficultés exposées par Isabelle Lévy concernent tant les personnels soignants que les malades et montrent que, depuis la publication du rapport de la « Commission Stasi », en 2003, la situation à l'hôpital n'a pas évolué favorablement.

On peut d'autant plus s'étonner de cette attitude que dans son enquête Islamistan , Claude Guibal fait intervenir le témoignage d'une ophtalmologiste d'Arabie saoudite, première femme médecin nommée au King Faisal Hospital et admise à « franchir les portes du palais royal ». Jamais un homme n'a refusé d'être examiné par elle : « Ici, même pour un ultrareligieux, je ne suis pas une femme, mais un médecin » 135 ( * ) . Pourquoi ce qui est possible en Arabie saoudite pose-il problème en France ?

Selon les remontées de « terrain » évoquées par Isabelle Lévy dans son livre précité, des femmes demanderaient des ordonnances sans examen clinique préalable si le médecin est un homme, des pancartes « interdit aux hommes » seraient affichées sur certaines portes de chambres d'hôpital, des femmes intégralement voilées refuseraient de se déshabiller, voire de se déganter, pour des examens ou des soins, y compris parfois pour passer au bloc opératoire 136 ( * ) .

Évidemment, il est compréhensible que, dans certaines circonstances, il soit plus facile pour un patient d'avoir affaire à un soignant du même sexe. On le comprend a fortiori s'agissant notamment des soins gynécologiques. Mais cette exigence de choix du praticien , parfaitement légitime dans le contexte des soins médicaux ordinaires, devient source de désordres quand elle s'exprime dans le contexte des urgences dont font souvent partie les accouchements.

c) Des constats préoccupants en gynécologie-obstétrique

Le rapport remis au Président de la République le 11 décembre 2003 par la Commission de réflexion sur l'application du principe de laïcité dans la République mentionnait, déjà, le « refus, par des maris ou des pères, de voir leurs épouses ou leurs filles soignées ou accouchées par des médecins de sexe masculin. Des femmes ont ainsi été privées de péridurale. Des soignants ont été récusés au prétexte de leur confession supposée » 137 ( * ) .

Le Collège national des gynécologues et obstétriciens français (CNGOF) a publié, le 17 octobre 2006, un communiqué pour défendre les femmes contre l'intégrisme, afin de protester contre les agressions dont des membres du personnel hospitalier avaient été victimes et pour marteler que l'hôpital « n'a pas à plier son organisation aux pratiques religieuses quelles qu'elles soient » :

« Nous le disons fermement, nous continuerons à avoir des services où les médecins hommes ou femmes apporteront les soins aux patients quel que soit leur sexe. Les hommes peuvent examiner les femmes et inversement. Nous défendrons la liberté des femmes à se déterminer sur la contraception, l'avortement, la stérilisation sans l'avis de leur mari . [...] Il y a trente ans, les femmes musulmanes venaient dans nos hôpitaux sans l'appréhension d'être prises en charge par des médecins généralement hommes, et il n'y avait pas ces difficultés, ces violences. Pourquoi cette régression ? Devons-nous nous laisser faire et régresser nous aussi ? » 138 ( * ) .

Quelque dix années plus tard, on constate que des incidents similaires n'ont pas disparu. Entre autres exemples, le journal Sud-Ouest a fait état, le 9 août 2015, de l'agression d'un aide-soignant, dans une maternité de Bordeaux, par un mari qui exigeait que sa femme enceinte soit examinée par une femme 139 ( * ) .

La situation n'a donc pas véritablement changé et il semble que des femmes paient encore actuellement le prix de cet obscurantisme : « Des maris s'opposent aux soins pour leurs épouses, mettant ainsi en danger la vie de leur enfant à naître et de sa mère, au nom de la sacro-sainte pudeur » 140 ( * ) . Des parturientes ne peuvent ainsi bénéficier d'une péridurale si l'anesthésiste est un homme.

Isabelle Lévy évoque aussi, dans le même ouvrage, les conséquences négatives de l'allaitement « parallèlement à une observance stricte du jeûne » 141 ( * ) et déplore que des femmes enceintes « refusent de cesser le jeûne au risque de compromettre leur grossesse en cours » 142 ( * ) .

D'après son témoignage, les exigences de non-mixité des soins s'étendent, de manière très surprenante, aux soins pédiatriques administrés à des enfants de quelques mois : « Des mères récusent des pédiatres de sexe masculin pour leur petite fille parfois âgée de quelques jours » 143 ( * ) . Des hommes préfèrent avoir affaire à un interne quand le seul médecin chevronné disponible est une femme, au mépris des compétences de celle-ci : « Ces patients font plus confiance à des internes, si ce sont des hommes, qu'à des femmes qui sont chef de service ! », a précisé Isabelle Lévy au cours de son audition.

Toutefois, selon les informations transmises à la délégation par le professeur Nisand le 5 septembre 2016, la situation s'est apaisée au CHU de Strasbourg depuis que des règles strictes , clairement affichées, et le rejet sans concession de toute exigence sur le sexe des soignants susceptible de compromettre la qualité des soins en urgence ont permis de décourager certaines attitudes. Selon le professeur Nisand, l'absence de fermeté a pu encourager par le passé des exigences inacceptables et récurrentes, mais l'affirmation d'une rigueur non négociable a eu des résultats certains.

Un autre sujet a retenu l'attention de la délégation : il s'agit de l'enjeu médical que peut être en France la nécessité de préserver la virginité des jeunes filles au nom de la religion . Dans son ouvrage Menaces religieuses sur l'hôpital 144 ( * ) , Isabelle Lévy 145 ( * ) cite une lettre ouverte de gynécologues-obstétriciens intitulée « Gynécologues-obstétriciens, laïques et fiers de l'être ! », publiée en 2004 par laquelle ces médecins s'indignaient de la pratique des réfections chirurgicales d'hymen : « Dans certaines cultures, les hommes ont placé leur honneur entre les cuisses des femmes pour mieux les ramener au rang d'objet . Un médecin n'a pas à prêter la main à cette démarche » 146 ( * ) .

Le Conseil national de l'Ordre des médecins avait recommandé, en décembre 2003, de ne plus répondre aux demandes de certificats de virginité . Le Collège national des gynécologues et obstétriciens français, par un communiqué du 17 octobre 2006 intitulé « Les gynécologues-obstétriciens défendent les femmes contre l'intégrisme musulman », s'est déclaré favorable à cette recommandation et s'est élevé contre ce qu'il assimile avec raison à « une atteinte à la dignité de la jeune femme dont nous devrions attester de « la qualité », comme d'un objet » 147 ( * ) .

Le Professeur Nisand témoignait, dans un article du journal Le Monde paru le 27 janvier 2007, avoir été appelé « en urgence pour délivrer un certificat de virginité à une gamine de onze ans » 148 ( * ) . Le fait que des certificats de virginité puissent parfois être demandés pour de très jeunes filles par leurs parents, à des fins de contrôle et en dehors de présomption de violences sexuelles, paraît inacceptable.

Le président du Collège national des gynécologues et obstétriciens français, contacté par la délégation, a estimé que, d'après les informations dont il disposait, ce type de demandes était désormais plus rare, ce qui peut s'expliquer par le refus le plus souvent opposé par les médecins à de telles demandes. Il n'en demeure pas moins que le guide Soins et laïcité au quotidien, publié en octobre 2015 sur le site du conseil départemental de l'ordre des médecins de la Haute-Garonne, consacre précisément une fiche aux certificats de virginité 149 ( * ) .

La délégation, au terme d'un échange de vues sur les réfections d'hymen et les certificats de virginité qui a eu lieu lors de sa réunion du 6 octobre 2016, s'indigne que les contraintes sociales qui pèsent sur certaines femmes les obligent à formuler de telles demandes.

d) Trois perspectives d'évolution à encourager
(1) Renforcer la formation des personnels à la laïcité

Une première perspective d'évolution concerne la formation à la laïcité et la présence de référents laïcité dans les hôpitaux.

La Fédération hospitalière de France juge en effet « primordial » le renforcement de la formation des acteurs du soin et de l'accueil des patients et des familles à la laïcité, sans oublier la formation initiale .

Dans le même esprit, la commission des usagers de la Fédération hospitalière de France suggère, ce que soutient la délégation :

- la mise en place systématique , dans les établissements sanitaires publics, de référents laïcité , alors que, selon les résultats de son enquête précitée, seuls 22 % des hôpitaux en sont aujourd'hui pourvus 150 ( * ) ;

- une rencontre annuelle de tous les référents laïcité et des référents laïcité des agences régionales de santé et la réalisation d'un bilan annuel de ces rencontres, afin de favoriser une meilleure connaissance des réalités du terrain 151 ( * ) (la délégation estime que l'un des points d'entrée de ce bilan annuel pourrait être la question de l'égalité entre femmes et hommes et la mixité).

Par ailleurs, l'une des conclusions du rapport de l'IFRI précité, intitulé La « diversité » à l'hôpital : identités sociales et discriminations , concerne la systématisation et le renforcement de « formation professionnelle sur les thématiques de la diversité socioculturelle et religieuse » 152 ( * ) .

La délégation considère que ce type de formation peut contribuer à favoriser la sérénité de l'hôpital et pourrait concerner tant les soignants que les cadres administratifs des hôpitaux, pour autant :

- qu'elle ne transforme pas ces personnels en arbitres de la théologie, mais qu'elle leur permette de comprendre et d'anticiper certains comportements de la part des patients et de leurs proches et, peut-être, d'apaiser la situation de l'hôpital ;

- qu'elle soit associée à une formation à la laïcité .

La délégation formulera une recommandation en ce sens.

(2) Disposer d'un système spécifique de remontée d'incidents concernant les refus de mixité des soins et les atteintes aux droits des femmes

En tout état de cause, il semble important de disposer d'un état des lieux précis de ces incidents mettant en cause l'accès des femmes aux soins , à partir d'un système direct de remontée d'informations 153 ( * ) .

La délégation recommande donc la mise en place, dans le service public hospitalier, d'un système de remontée d'incidents concernant spécifiquement les atteintes aux droits des femmes et à la mixité , selon une grille d'analyse commune à tous les établissements et à toutes les catégories de personnels, afin que ceux-ci soient en mesure de communiquer sans filtrage hiérarchique sur les difficultés qu'ils rencontrent dans l'accomplissement de leurs missions.

La ministre chargée des droits des femmes devrait être, avec le ministre chargé de la santé, destinataire de ce système d'alertes, qui permettrait de disposer d'un état des lieux des incidents observés afin d'élaborer une stratégie pour lutter contre ces dysfonctionnements inacceptables et d'en sanctionner les auteurs .

(3) Favoriser la mise en place d'équipes pluriconfessionnelles d'aumôniers et d'aumônières

Un autre axe de réflexion concerne les aumôniers 154 ( * ) présents dans les hôpitaux 155 ( * ) .

Isabelle Lévy a estimé, lors de son audition, que la plupart des refus opposés par les malades étaient généralement levés quand ceux-ci peuvent avoir un contact avec un ministre du culte qui rappelle aux patients la possibilité d'interpréter les obligations religieuses sans mettre en péril leur vie ou leur santé, ce qui confirme (si c'était nécessaire) que la religion n'a d'autre souci que la santé et le soin des personnes.

Isabelle Lévy a regretté que les choses n'aient pas beaucoup évolué depuis que le rapport de la « Commission Stasi » du 12 décembre 2003 pointait l'insuffisance d'aumôniers musulmans dans les hôpitaux .

Ainsi que le souligne Régis Debray dans La laïcité au quotidien , « Même si l'hôpital public cherche à maîtriser ses dépenses, ces postes [d'aumôniers] ne peuvent servir de variables d'ajustement pour des économies sur la masse salariale car la présence d'aumôniers, en particulier musulmans, aiderait à la régulation des conflits. C'est une obligation de l'État que dans des lieux où la maladie, la souffrance et la mort se côtoient, chacun puisse bénéficier de l'assistance spirituelle de son souhait. Il peut y avoir un aumônier pour plusieurs hôpitaux. » 156 ( * ) .

Le Conseil français du culte musulman, créé en 2003, a nommé en 2006 un aumônier général musulman des hôpitaux ; l'Institut musulman de la Grande mosquée de Paris a mis en place une formation d'aumôniers. Une circulaire du 20 décembre 2006 relative aux aumôniers dans les hôpitaux publics prévoit dans ces établissements l'existence de chapelles ou de lieux de prières ainsi que de locaux où les aumôniers peuvent recevoir malades et familles ; elle prévoit aussi le recrutement des aumôniers sur proposition des autorités cultuelles dont ils relèvent.

À ce jour, il semblerait toutefois que les équipes pluriconfessionnelles d'aumôniers et d'aumônières dans les établissements hospitaliers tardent encore à être mises en place, s'agissant plus particulièrement du culte musulman 157 ( * ) .

Or il est important que ces équipes soient en état de fonctionner pour que les soignants puissent recourir à des aumôniers (laïcs ou ministres du culte, rémunérés ou bénévoles) susceptibles de lever les doutes de certains malades sur la compatibilité des soins qu'exige leur santé et leur pratique religieuse, quand un tel arbitrage est nécessaire. L'objectif est d'éviter aux personnels toute intervention dans des débats théologiques.

La délégation considère que ces équipes doivent comprendre une proportion significative d'aumônières.

La délégation encourage donc la présence d'aumôniers et d'aumônières , de tous les cultes, dans les établissements hospitaliers.

Elle souhaite également que la formation 158 ( * ) des aumôniers et aumônières appelés à exercer leur mission à l'hôpital s'étende à l' égalité entre femmes et hommes et que les aumôniers et aumônières s'engagent, dans l'accomplissement de leur mission, à respecter cette valeur essentielle du droit français.

3. La mixité en question au travail
a) Des difficultés dont la perception dans les entreprises semble croissante

Selon un rapport récent de l'Association française du droit du travail (AFDT) intitulé Le fait religieux en entreprise , de plus en plus de managers se disent aujourd'hui en attente de réponses sur le fait religieux en entreprise, qu'il s'agisse de leurs doutes sur le droit applicable ou la conduite à tenir, ou qu'il s'agisse de la crainte de poursuites éventuelles pour discrimination 159 ( * ) .

La perception de ces difficultés diffère, c'est bien compréhensible, selon la localisation géographique de l'entreprise : un sondage cité par le rapport précité de l'Association française du droit du travail montre que la question paraît davantage préoccupante dans les grandes métropoles comme Lyon ou Marseille et que 43 % des responsables des ressources humaines d'Ile-de-France disent connaître ou avoir connu des problèmes liés au fait religieux, contre moins de 5 % des responsables RH des entreprises bretonnes 160 ( * ) .

La troisième étude de l'Observatoire du fait religieux en entreprise, publiée en avril 2015, constate également une progression du ressenti, par les cadres, du fait religieux (12 % en 2014 ; 23 % en 2015) et estime que le nombre de cas problématiques , bien que peu nombreux, semble en augmentation. Selon le rapport de l'AFDT précité, il apparaît que « le nombre d'incidents liés à l'expression du fait religieux en entreprise [est] en définitive limité. Cependant, lorsque des problèmes surgissent, ils sont aujourd'hui particulièrement explosifs - ce qui était nettement moins le cas auparavant » 161 ( * ) .

La plupart des demandes formulées par les salariés se résolvent cependant sans véritable conflit, même si le directeur de l'Observatoire du fait religieux en entreprise estime qu'un peu plus de 10 % des cas recensés « posent de sérieux problèmes aux managers et aux entreprises » 162 ( * ) .

Selon le rapport précité de l'Association française du droit du travail, 42 % des managers de proximité déclarent que les questions religieuses, lorsqu'ils y sont confrontés, influencent leurs pratiques managériales.

Le fait que le ministère du travail ait décidé d'élaborer un guide pratique du fait religieux dans les entreprises privées, pour donner des éléments de réponse afin d'aborder dans les meilleures conditions des situations très concrètes, montre combien ce sujet est actuel 163 ( * ) .

Le droit du travail pose en effet le principe de la liberté de manifester sa religion ou ses conviction sur son lieu de travail (à l'exception des agents soumis par le statut général des fonctionnaires à la neutralité et au respect du principe de laïcité) : « Nul ne peut apporter aux droits des personnes et aux libertés individuelles et collectives de restrictions qui ne seraient pas justifiées par la nature des tâches ni proportionnées au but recherché . » (article L. 1121-1 du code du travail).

Cette liberté est protégée par l'article 9 de la Convention européenne des droits de l'homme :

« 1. Toute personne a droit à la liberté de pensée, de conscience et de religion ; ce droit implique la liberté de changer de religion ou de conviction, ainsi que la liberté de manifester sa religion ou sa conviction individuellement ou collectivement, en public ou en privé, par le culte, l'enseignement, les pratiques et l'accomplissement des rites.

2. La liberté de manifester sa religion ou ses convictions ne peut faire l'objet d'autres restrictions que celles qui, prévues par la loi, constituent des mesures nécessaires, dans une société démocratique, à la sécurité publique, à la protection de l'ordre, de la santé ou de la morale publiques, ou à la protection des droits et libertés d'autrui » 164 ( * ) .

Dans le respect de cette convention internationale, la jurisprudence a toutefois permis certaines restrictions à la libre manifestation de leurs convictions religieuses par les salariés pour des raisons liées à la santé et à la sécurité, au respect des obligations contractuelles, à l'interdiction du prosélytisme, à des préoccupations tenant à l'image de l'entreprise (par exemple pour les salariés en contact avec la clientèle), aux obligations incombant aux salariés du fait de dispositions légales ou réglementaires (comme la visite médicale annuelle), ou quand l'intérêt de l'entreprise s'oppose à l'absence d'un-e salarié-e.

Dans ce contexte, il est significatif que, selon la troisième étude de l'Observatoire du fait religieux en entreprise, d'avril 2015, 84 % des personnes interrogées déclarent connaître la religion de leurs collègues (cette proportion n'était que de 70 % environ en 2013-2014). Cette hausse rapide confirme la présence croissante du fait religieux dans l'entreprise. Il faut noter aussi que pour 38 % des répondants, cette connaissance aurait aujourd'hui des effets négatifs sur les rapports entre collègues et sur le travail.

De manière éclairante également, un rapport du Conseil économique, social et environnemental (CESE) sur Le fait religieux dans l'entreprise 165 ( * ) , publié en novembre 2013, fait état d'un avis du Haut conseil à l'intégration de 2011 favorable à une modification de la législation pour intégrer le cas échéant aux règlements intérieurs des entreprises des clauses encadrant le port de tenues vestimentaires et de signes religieux pour des raisons tenant aux « impératifs de sécurité, au contact avec la clientèle ou à la paix sociale interne ».

Dans cet esprit, une proposition de loi « relative au respect de la neutralité religieuse dans les entreprises et les associations » avait été déposée en avril 2013 par des députés UMP à l' Assemblée Nationale pour introduire dans le code du travail la possibilité de « réglementer le port de signes et les pratiques manifestant une appartenance religieuse », quand ces restrictions « sont justifiées par la neutralité requise dans le cadre des relations avec le public ou par le bon fonctionnement de l'entreprise et proportionnées au but recherché ».

La charte de la laïcité adoptée « au nom du meilleur vivre ensemble » par l'entreprise Paprec Group, qui emploie 4 000 employés de 56 nationalités différentes, s'inscrit dans cette tendance à privilégier la neutralité dans l'entreprise. Le PDG estime ainsi que « la laïcité est la protection des croyants modérés » 166 ( * ) .

Selon la troisième étude de l'Observatoire du fait religieux en entreprise, d'avril 2015, 64 % des répondants se prononcent en faveur d'une interdiction des signes religieux au travail (cette proportion s'élève à 75 % pour les non-pratiquants, elle n'est en revanche que de 20 % pour les pratiquants).

La polémique causée en mars 2016 par une disposition de la version initiale du projet de loi visant à instituer de nouvelles libertés et de nouvelles protections pour les entreprises et les actifs confirme combien la libre expression de convictions religieuses sur le lieu de travail est devenu un sujet sensible pour de nombreuses personnes favorables au principe de neutralité .

La disposition contestée était ainsi rédigée : «La liberté du salarié de manifester ses convictions, y compris religieuses, ne peut connaître de restrictions que si elles sont justifiées par l'exercice d'autres libertés et droits fondamentaux ou par les nécessités du bon fonctionnement de l'entreprise et si elles sont proportionnées au but recherché.» 167 ( * ) Cette rédaction semble pourtant proche de l'esprit de l'article 9 de la Convention européenne des droits de l'homme ci-dessus reproduit 168 ( * ) .

Ces multiples interrogations expliquent que dans le cadre de la discussion du projet de loi de modernisation du droit du travail ait été adoptée la possibilité d'inscrire le principe de neutralité dans le règlement intérieur de certaines entreprises, à l'initiative de notre collègue Françoise Laborde, au cours de la première lecture de ce texte. Cette modification, devenue l'article 2 de la loi n° 2016-1088 du 8 août 2016 relative au travail, à la modernisation du dialogue social et à la sécurisation des parcours professionnels, a introduit dans le code du travail la disposition suivante :

« Art. L. 1321-2-1.- Le règlement intérieur peut contenir des dispositions inscrivant le principe de neutralité et restreignant la manifestation des convictions des salariés si ces restrictions sont justifiées par l'exercice d'autres libertés et droits fondamentaux ou par les nécessités du bon fonctionnement de l'entreprise et si elles sont proportionnées au but recherché. »

La rédaction retenue reprend la notion de « restrictions proportionnées au but recherché » prévue par l'article L. 1321-3 du code du travail relatif au règlement intérieur, qui exclut à la fois :

« 2° Des dispositions apportant aux droits des personnes et aux libertés individuelles et collectives des restrictions qui ne seraient pas justifiées par la nature de la tâche à accomplir ni proportionnées au but recherché ;

« 3° Des dispositions discriminant les salariés dans leur emploi ou leur travail, à capacité professionnelle égale, en raison de leur origine, de leur sexe, [...] de leurs convictions religieuses [...]. »

La faculté définie par le nouvel article L. 1321-2-1 devra se combiner avec d'autres dispositions du code du travail définissant les principes concernant la liberté de conscience et la libre manifestation des convictions religieuses dans l'entreprise :

- le principe général de liberté : « Nul ne peut apporter aux droits des personnes et aux libertés individuelles et collectives de restrictions qui ne seraient pas justifiées par la nature des tâches ni proportionnées au but recherché . » (article L. 1121-1) ;

- la définition des discriminations : « Aucune personne ne peut être écartée d'une procédure de recrutement ou de l'accès à un stage ou à une période de formation en entreprise, aucun salarié ne peut être sanctionné, licencié ou faire l'objet d'une mesure discriminatoire, directe ou indirecte [...] en raison de son origine, de son sexe [...], de ses convictions religieuses [...]. » (article L. 1132-1) ;

- l'encadrement des différences de traitements : « L'article L. 1132-1 ne fait pas obstacle aux différences de traitement, lorsqu'elles répondent à une exigence professionnelle essentielle et déterminante et pour autant que l'objectif soit légitime et l'exigence proportionnée. » (article L. 1133-1).

On peut donc s'interroger sur la possibilité que des règlements posant le principe de la neutralité deviennent la règle générale.

Une autre difficulté juridique concernant la neutralité au travail vient d'une frontière parfois difficile à percevoir entre secteur public - soumis à l'obligation de neutralité - et secteur privé - régi par le principe de liberté religieuse .

L'affaire Baby Loup , qui avait posé la question de la légitimité du licenciement de l'employée d'une crèche privée travaillant au contact des enfants et ayant souhaité porté le voile, a illustré les conséquences concrètes de cette complexité.

CRÈCHE BABY LOUP - RAPPEL

Fondée en 1991, la crèche Baby-Loup (établissement associatif privé fondé par un collectif de femmes de Chanteloup-les-Vignes) accueillait des enfants de familles défavorisées, dont les parents travaillent en horaires décalés. Elle fonctionnait 24 heures sur 24 et 7 jours sur 7. Le règlement intérieur de l'établissement prévoyait l'obligation de neutralité politique, confessionnelle et philosophique pour le personnel.

L'une de ses salariées, de retour d'un congé parental en 2008, s'est présentée voilée et a refusé de retirer son voile malgré les demandes de la directrice. Elle a donc été licenciée.

Le Conseil des prudhommes puis la Cour d'appel de Paris ont estimé le licenciement justifié. La salariée a formé un pourvoi devant la Cour de Cassation : le 19 mars 2013, un arrêt de la Chambre sociale a cassé la décision de la Cour d'appel (voir infra ) au motif que la crèche était un établissement privé dans lequel le principe de neutralité ne s'appliquait pas. Elle a considéré que le licenciement constituait une discrimination pour motifs religieux.

La Cour d'appel de Paris, siégeant en tant que juridiction de renvoi, a confirmé la validité du licenciement le 27 novembre 2013, estimant que la crèche pouvait être considérée comme une « entreprise de conviction » (concept inspiré de la notion plus ancienne d'« entreprise de tendance »), ce qui autorisait des prescriptions particulières comme l'obligation de neutralité.

Saisie à nouveau par la salariée, la Cour de cassation en Assemblée plénière, le 25 juin 2014, a rejeté son pourvoi et validé le licenciement, mais a écarté le fait que la crèche puisse constituer une « entreprise de conviction ».

Elle a considéré que les dispositions du règlement intérieur étaient justifiées par la nature des tâches, proportionnées au but recherché et rédigées en termes suffisamment précis.

On peut s'interroger sur les frontières malaisément compréhensibles aujourd'hui entre agents soumis à l'obligation de neutralité et agents soumis au droit commun de la liberté religieuse , tracées par la jurisprudence en fonction de la notion de service public .

Ce principe revient en effet à permettre l'expression apparente de leurs convictions religieuses à des personnes qui travaillent au contact de publics fragiles (jeunes enfants, personnes âgées ou en situation de handicap) , si leur mission s'exerce dans des institutions sociales et médico-sociales associatives.

Or le port de signes d'appartenance religieuse peut faire douter de la capacité de ces employé-e-s à surmonter, pour effectuer leur travail, des restrictions religieuses , par exemple alimentaires, ce qui n'est pas sans conséquences pour les personnes dont elles s'occupent. Les pratiques vestimentaires que ces personnes sont susceptibles de revendiquer peuvent aussi, dans une certaine mesure et dans certaines circonstances, s'apparenter à du prosélytisme, a fortiori quand elles s'occupent de jeunes enfants ou de personnes en situation de handicap. C'est d'ailleurs en considération de ce risque que la convention collective de la branche de l'aide, de l'accompagnement, des soins et des services à domicile de 2010 prévoit que « Les salariés sont tenus de respecter la plus stricte neutralité politique, religieuse, philosophique et syndicale pendant leur activité professionnelle ».

Dans cet esprit, la Cour d'appel saisie de l'affaire Baby Loup avait justifié le licenciement de l'employée de la crèche par le fait que « ces enfants, compte tenu de leur âge, n'ont pas à être confrontés à des manifestations ostentatoires d'appartenance religieuse ».

Un avis du Haut conseil à l'intégration de septembre 2011 visait d'ailleurs à étendre le principe de neutralité régissant les services publics aux « structures privées des secteurs social, médico-social ou de la petite enfance chargées d'une mission de service public ou d'intérêt général ». Tel était également le sens d'une résolution adoptée par l'Assemblée nationale le 31 mai 2011 .

L'avis de l' Observatoire de la laïcité sur la définition et l'encadrement du fait religieux dans les structures privées qui assurent une mission d'accueil des enfants, publié le 15 octobre 2013, estimait que si le droit positif suffisait à régler ce type de difficulté, ce droit était en revanche « profondément méconnu ». Il appelait à la nécessité d'intervenir par « circulaire interministérielle explicitant la jurisprudence de la Cour de cassation et rappelant clairement, à destination de tous les acteurs concernés, ce que le droit positif permet et ne permet pas selon la catégorie juridique à laquelle appartient le gestionnaire ». Il soulignait aussi le besoin de guides pratiques pour aider les acteurs de terrain, confirmé par le premier rapport d'étape remis au Gouvernement le 25 juin 2013 par le président de l' Observatoire de la laïcité .

Le rapport précité du CESE constatait pourtant, en novembre 2013, qu'« aucune réponse de nature juridique adaptée » 169 ( * ) n'avait été trouvée pour régler les difficultés posées par la définition malaisée de la frontière entre personnels soumis à l'obligation de neutralité et personnels autorisés à exprimer leurs convictions religieuses. L'une de ses recommandations consistait donc à inviter les organismes concernés à rédiger des guides de bonnes pratiques à destination de leurs salarié-e-s.

b) L'égalité entre femmes et hommes en question ?

En quoi la situation des femmes est-elle affectée au travail par le fait religieux ?

Le rapport précité de l'Association française du droit du travail rapporte de manière significative les « comportements qui conduisent à considérer les collègues féminines différemment (refus de serrer la main ; refus d'autorité etc...) » 170 ( * ) . Il constate que « La friction entre respect des convictions religieuses et principe d'égalité entre les femmes et les hommes est souvent évoquée » 171 ( * ) lors des remontées de terrain faites par les managers.

Selon la troisième étude de l'Observatoire du fait religieux en entreprise, datée d'avril 2015, les faits les plus fréquemment rencontrés sont, en ce qui concerne spécifiquement la situation des femmes, le port d'un signe d'appartenance religieuse, le « refus de travailler avec une femme » et le « refus de travailler sous les ordres d'une femme ».

De même le guide publié en juillet 2015 par l'Observatoire de la laïcité pour « rappeler les réponses, encadrées par le droit, aux cas concrets relevant du fait religieux dans le monde du travail » 172 ( * ) mentionne-t-il, parmi les difficultés pratiques qui se posent aux managers, le refus de l'autorité d'une femme ou de la visite médicale en raison du sexe du médecin.

D'autres alertes peuvent également donner à réfléchir.

Il s'agit aussi des pressions parfois insistantes dont font l'objet des salariés, hommes et femmes, d'origine maghrébine notamment, de la part de collègues revendiquant une observation stricte des rites, pour les inciter à respecter, eux aussi, les rites de leur religion supposée.

Ces agissements relèvent du prosélytisme et sont susceptibles de s'apparenter à une forme de harcèlement ou de discrimination . Ils ne sauraient être tolérés.

Le PDG de Paprec Group, cité par Le Monde des religions en avril 2014, a ainsi fait état de l'hostilité au port du voile dans son entreprise exprimée par des « employées musulmanes d'origine maghrébine » , « car elles n'en portent pas personnellement et n'ont pas envie d'être discriminées en tant que mauvaises musulmanes » sur leur lieu de travail 173 ( * ) . Cette remarque fait partie des considérations qui ont conduit à l'adoption, dans cette entreprise, de la charte de la laïcité précédemment évoquée.

Un autre précédent appelle un commentaire : en mars 2016, la compagnie Air France a demandé aux hôtesses de l'air d'adopter sur la ligne Paris-Téhéran , alors en voie de réouverture, une tenue vestimentaire conforme aux règles en vigueur en Iran .

Selon un article du quotidien en ligne LeMonde.fr du 3 avril 2016, intitulé « Des hôtesses d' Air France refusent de se voiler lors des escales en Iran », « la direction d' Air France a diffusé une note interne obligeant le personnel navigant féminin à « porter un pantalon durant le vol, une veste ample et un foulard recouvrant les cheveux à la sortie de l'avion ». Cette demande a été contestée par des hôtesses refusant l'obligation qui leur était faite de se conformer à cet usage, obligation de surcroît limitée aux femmes. Devant la vigueur des réactions inspirées par une requête estimée à la fois sexiste contraire à la liberté des personnels, la direction a finalement décidé que seules des hôtesses volontaires seraient affectées à cette nouvelle ligne » 174 ( * ) .

Ces difficultés n'ont toutefois pas été véritablement résolues et l'on en est resté à cet égard à un règlement au cas par cas, seule formule envisageable, mais pas pleinement satisfaisante, dans ce contexte particulièrement sensible.

Les guides de bonnes pratiques élaborés par certaines entreprises 175 ( * ) pour aider leurs cadres à résoudre les litiges susceptibles de survenir du fait de « l'émergence d'une plus grande visibilité religieuse » 176 ( * ) sont par ailleurs très éclairants des questions pouvant au quotidien se poser aux managers de terrain en lien avec la situation des femmes .

Les questions-type, très comparables d'un guide à l'autre, concernant certaines attitudes à l'égard des femmes , relèvent de comportements que l'on pourrait simplement qualifier d'incivils ou de grossiers, mais qui constituent aussi des agissements discriminatoires. Pour celles qui les subissent, il s'agit incontestablement d'humiliations. Ils peuvent sans aucun doute être cause de souffrance au travail .

Les exemples ci-après s'appuient sur les guides publiés par EDF ( Repères sur le fait religieux dans l'entreprise à l'usage des managers et des responsables RH ), La Poste ( Fait religieux et vie au travail - quelques repères ) France télécom Orange et la RATP ( Laïcité et neutralité dans l'entreprise ). Ces guides ont pour objet de donner des repères aux managers pour leur permettre de résoudre les difficultés susceptibles de résulter de « demandes ou de situations relatives à l'expression du fait religieux » 177 ( * ) à partir du « recensement de situations concrètes rencontrées sur le terrain » 178 ( * ) . Ces situations concrètes sont significatives des questions que pose le fait religieux dans le monde du travail aujourd'hui dans ses manifestations mettant en cause la place des femmes et les relations entre collègues des deux sexes.

En règle générale, ces guides suggèrent à raison de ne pas placer le débat sur le terrain religieux ou théologique, mais de se référer aux interdictions légales (par exemple discrimination ou harcèlement) et au souci du bon fonctionnement de l'équipe et de l'entreprise.

S'agissant du port de signes religieux et plus particulièrement du voile , les manuels d'EDF et de France télécom Orange appellent les managers à la tolérance et à la recherche de compromis ; EDF suggère d'inciter les intéressées, pour la bonne cohésion des équipes, à adopter un « petit foulard de couleur » plutôt qu'un « grand foulard gris » ; France télécom Orange mentionne l'hypothèse d'un « foulard discret au lieu d'un voile islamique » et précise que tout refus de recrutement ne saurait être fondé sur le port d'un voile lors de l'entretien d'embauche.

Le manuel de la RATP renvoie en revanche « au principe de neutralité s'appliquant de plein droit à la RATP en tant qu'entreprise publique » 179 ( * ) .

Le guide de La Poste distingue les emplois en contact avec la clientèle, qui supposent la neutralité de l'agent, de ceux situés en « service arrière », dont les titulaires sont libres de porter un signe religieux visible. Toutefois le guide rappelle que l'obligation de neutralité faite à certains agents au contact avec le public n'implique pas la possibilité de refuser à un candidat ou une candidate de se présenter à une procédure de recrutement en portant des signes religieux apparents (sous réserve que son visage soit découvert), car quel que soit le poste un tel refus constituerait une discrimination .

L'hypothèse d'une salariée refusant de se rendre à la visite médicale obligatoire, au motif que le médecin est un homme (qui pourrait d'ailleurs concerner un homme refusant le contact avec un médecin de sexe féminin) est évoqué dans les guides de France télécom Orange, de La Poste ainsi que dans le projet de la RATP. La réponse-type proposée par le manuel de France télécom Orange invite le manager à saisir la DRH, ces refus pouvant donner lieu à des sanctions, voire justifier un licenciement ; la rédaction de la RATP rappelle que cette visite est obligatoire pour le salarié et que ce refus exposerait celui-ci à une sanction, voire à la rupture du contrat de travail.

L'attitude à adopter face au refus de serrer la main des femmes est détaillée dans le guide de la RATP et dans le guide d'EDF.

À cet égard, la presse a largement relayé, en novembre 2015, l'émotion suscitée par l'attitude de certains chauffeurs de bus de la RATP (refus de serrer la main de collègues femmes ou de toucher le volant quand ils leur succèdent dans le planning) 180 ( * ) . Un article du magazine en ligne Le point.fr du 28 mars 2013 présentait par exemple une liste de faits conduisant à s'interroger sur certains comportements : « Un chauffeur de bus qui refuse de s'asseoir à son poste parce que celui qui l'a précédé était une conductrice. Qui interrompt son service pour prier. Un autre qui, au contraire, refuse l'accès à une femme voilée intégralement. » 181 ( * )

En ce qui concerne spécifiquement le refus de serrer la main des femmes, le guide de la RATP estime sur ce point que si chacun est libre de saluer les autres comme il le souhaite, l'entreprise ne pouvant « codifier les marques de salut » (ni la « bise » ni le serrement de main ne sont obligatoires) il faut néanmoins rappeler à l'agent que son attitude ne doit ni discriminer, ni stigmatiser, ni constituer une « forme d'exclusion manifestement délibérée » 182 ( * ) .

Le guide d'EDF relativise l'importance de ce type d'agissement, qui semble acceptable pour les personnels travaillant seuls. À la question « Est-ce que refuser de serrer la main entrave l'aptitude [du salarié] à réaliser sa mission ? », ce guide propose les axes de réflexion suivants, fondés sur la nature de la mission confiée au salarié : « Si ce dernier est en relation avec d'autres personnes pour réaliser sa mission : le fait de ne pas serrer la main peut entraver la réalisation de sa mission. En effet, serrer la main fait partie, dans le contexte culturel de l'entreprise, des moyens d'entrer en communication. Or les aptitudes professionnelles comprennent les qualités nécessaires à une tâche technique que l'on évalue avec des repères globalement fiables (CV, diplôme, etc.) et les qualités nécessaires aux relations annexes à cette tâche technique (compétences ou aptitudes relationnelles). Si ce dernier travaille seul et/ou uniquement par téléphone, le fait de ne pas serrer la main ne met pas en cause son aptitude. »

Le guide admet toutefois que le refus de serrer la main « peut affecter la cohésion de l'équipe » et considère que cette attitude :

- ne relève pas du prosélytisme mais « s'apparente plutôt à une attitude d'exclusion » ;

- peut poser des problèmes si le salarié est en contact avec la clientèle et « occupe un poste en lien avec la signature de contrats » : « les impératifs commerciaux s'en trouveraient entravés » ;

- en revanche, pour un salarié occupant un poste de maintenance à l'heure de la fermeture des bureaux, « ce motif ne peut être invoqué » contre le salarié.

Le manuel invite donc les cadres à rappeler l'obligation faite aux salariés de ne pas avoir un « comportement discriminatoire et ségrégatif ».

Le guide France télécom Orange, qui récapitule les questions fréquemment posées par les managers, mentionne l'hypothèse de salariés refusant de travailler en équipe avec des femmes et de leur serrer la main Un de mes collaborateurs refuse de travailler en équipe avec des femmes, voire même de leur serrer la main, au motif que sa religion s'y oppose, cela provoque d'énormes tensions dans l'équipe, que puis-je faire ? »).

La réponse-type évoque la nécessité de « rappeler à l'ensemble de l'équipe l'égalité entre femmes et hommes doit être strictement respectée dans le cadre professionnel, et que son non-respect pourra entraîner une sanction disciplinaire ». Le guide invite le manager à saisir la DRH car ce type de comportement peut conduire à des « sanctions disciplinaires pouvant aller jusqu'au licenciement ». Le document d'EDF attire l'attention des managers sur l'impossibilité d' « autoriser des hommes à refuser que des femmes s'attablent à leurs côtés » au restaurant d'entreprise.

La Poste exclut pour ses employé-e-s toute « modification de comportement en fonction du sexe de [leurs] interlocuteurs(trices) ou de [leurs] collaborateurs(trices) », et souligne que ces comportements sont passibles de sanctions quand de tels agissements, qui pourraient être qualifiés de harcèlement, sont la cause de « troubles dans l'organisation et le fonctionnement du service ».

L'éventualité de revendications exprimées par des hommes au sujet de la tenue (vêtements, maquillage) estimée incorrecte de collègues féminines qui ne se conformeraient pas aux préceptes de leur confession (« Certains de mes collaborateurs se plaignent de ce que leurs collègues féminines n'ont pas une tenue correcte selon les préceptes de leur confession (en matière vestimentaire, de maquillage, de respect du jeûne...)... Cela suscite des tensions, quelle attitude adopter ? ») figure dans le guide de France télécom Orange. Celui-ci observe que « la religion et son expression reposent sur des choix individuels pour lesquels l'entreprise n'a pas à intervenir » et qu'« un salarié n'a pas à émettre de remarques, commentaires de quelque nature qu'il soit concernant la tenue ou le comportement de collègues de travail ».

Le guide France télécom Orange mentionne également les difficultés causées aux managers quand les clients refuseraient d'être servis par des femmes.

La réponse type rappelle, fort heureusement, que l'entreprise ne peut souscrire à ces demandes car « l'égalité entre femmes et hommes est inscrite dans la loi française et Orange, comme toute entreprise, se doit de la faire respecter » et parce qu'elles « offensent la dignité » de ses collaboratrices. Le guide condamne ce type d'exigence de la clientèle « qui s'appuie sur des arguments pseudo-religieux, contraires aux lois de la République ».

Par ailleurs, le guide de la RATP prévoit la question type « Un(e) salarié(e) peut-il(elle) refuser l'assistance à une personne en danger ? » 183 ( * ) , qui appelle le commentaire suivant : « Pour exemple, un(e) salarié(e) qui refuserait de porter secours à une personne du sexe opposé étant tombée sur les voies s'exposera non seulement à une sanction disciplinaire de la part de l'entreprise, mais sera aussi passible de sanctions pénales ».

Que cette question figure dans ce document à titre préventif ou qu'elle réponde à des précédents, le fait qu'elle ait été insérée dans ce guide semble permettre de supposer l'existence de tels questionnements au sein du personnel, ce qui ne laisse pas d'inquiéter.

De manière générale, les comportements mettant en cause la mixité au travail et la dignité de la personne, comme le refus de serrer la main ou la récusation d'autorité peuvent, il faut le souligner, être vécus comme une souffrance au travail par ceux et celles qui les subissent. Ils vont au-delà de l'insulte et de l'humiliation.

Il convient donc de se féliciter que ces comportements puissent être pris en compte en tant qu' agissements sexistes , interdits par l'article L. 1142-2-1 du code du travail et par l'article 6 bis de la loi n°83-634 du 13 juillet 1983 portant droits et obligations des fonctionnaires 184 ( * ) , dispositions sur lesquelles le présent rapport reviendra ci-après.

4. La mixité en question dans l'enseignement

Les difficultés concernent tant l'enseignement supérieur que l'enseignement primaire et secondaire.

a) Une situation préoccupante dans l'enseignement supérieur

Selon un projet d'avis de 2013 du Haut conseil à l'intégration intitulé Expression religieuse et laïcité dans les établissements publics d'enseignement supérieur en France , qui n'a pas donné lieu à publication officielle, mais que l'on trouve aisément sur Internet 185 ( * ) , « L'expansion de revendications communautaristes, le plus souvent à caractère religieux », a donné lieu depuis plusieurs années à des litiges « qui concernent tous les secteurs de la vie universitaire » 186 ( * ) . Ce rapport fait état de « contentieux nombreux », qui « concernent tous les secteurs de la vie universitaire », même si, précise-t-il, tous les établissements, fort heureusement, ne sont pas touchés 187 ( * ) ; les cas qu'il présente ne sauraient donc être généralisés.

Selon ce document, certains de ces agissements tendent à faire passer pour une expression de la liberté religieuse « ce qui s'avère souvent relever de la contestation publique des valeurs fondatrices de notre culture et de notre société », et s'apparentent parfois à « des attitudes de provocation qui instrumentalisent le religieux et qui constituent des troubles délibérés de l'ordre public » 188 ( * ) . Les auteurs estiment que ces attitudes mettent à mal l'article L. 141-6 du code de l'éducation qui garantit l'indépendance du service public de l'enseignement supérieur de « toute emprise politique, économique, religieuse ou idéologique » afin qu'il puisse tendre à l'« objectivité du savoir ».

Certaines des difficultés soulevées par ce rapport affectent particulièrement la situation des femmes , même si, c'est une évidence, tous les établissements ne sont pas touchés dans les mêmes proportions par ces dérives.

Le rejet de la mixité se traduit par exemple par la difficulté qu'éprouvent parfois les professeurs à « organiser des binômes d'étudiants des deux sexes pour des travaux de groupe » 189 ( * ) et par la récusation d'examinateurs de l'autre sexe . Ces attitudes inacceptables représentent une discrimination sexiste intolérable et contraire à la loi française .

Le rapport mentionne aussi - mais ce fait remonte à 2008 - la création de locaux séparés pour hommes et femmes dans un lieu de culte installé à la demande d'une association dans un local collectif aménagé dans la résidence universitaire d'Antony 190 ( * ) .

Le Haut conseil à l'intégration a donc préconisé que toute occupation d'un local, au sein d'un établissement public d'enseignement supérieur, par une association étudiante, fasse l'objet d'une convention d'affectation des locaux.

La délégation estime que toute occupation d'un local, au sein d'un établissement public d'enseignement supérieur, par une association étudiante, devrait faire l'objet d'une convention d'affectation des locaux mentionnant, parmi les critères d'attribution, le respect de l'égalité entre femmes et hommes, du principe de non-discrimination entre hommes et femmes et de la mixité.

Le développement de l'ostentation vestimentaire est également mentionné par le rapport (cas d'étudiantes de Paris 13 refusant d'ôter leur voile en sport pour cause de mixité du groupe). De fait, si le voile a été interdit dans les établissements primaires et secondaires par la loi du 15 mars 2004 191 ( * ) , il est licite dans l'enseignement supérieur.

Ce point fait aujourd'hui l'objet d'un débat.

Jean-Pierre Obin, inspecteur général de l'Éducation nationale, entendu le 5 mars 2015 par la commission d'enquête du Sénat sur le fonctionnement du service public de l'éducation, s'exprimait à cet égard de manière très claire : « Je prends le pari [...] que d'ici dix ans le Gouvernement devra étendre aux universités la loi de 2004 sur les signes ostentatoires religieux » 192 ( * ) .

Le rapport du Haut conseil à l'intégration a préconisé l'interdiction de signes et tenues manifestant ostensiblement une appartenance religieuse dans les établissements publics d'enseignement supérieur, dans les espaces dédiés à l'enseignement et à la recherche (mais pas dans les lieux dédiés à la vie étudiante), afin de préserver « la liberté d'expression, l'autorité du professeur et la transmission du savoir dans un cadre serein » 193 ( * ) .

La délégation a écarté l'extension, à l'enseignement supérieur, de l'interdiction des signes ou tenues manifestant une appartenance religieuse opérée par la loi de 2004 dans l'enseignement primaire et secondaire, considérant que s'opposent à une telle mesure les spécificités de l'enseignement supérieur, s'agissant notamment de l'âge des étudiant-e-s et de leur maturité supposée.

Néanmoins, certains témoignages font état de pressions exercées sur des étudiantes, en raison de leur appartenance supposée à la religion musulmane, pour qu'elles portent le voile dans les locaux universitaires , comme l'a mentionné à propos de l'université de Saint-Denis Antoine Sfeir, spécialiste de l'islam et du monde musulman, lors de son audition par la mission d'information sur l'organisation, la place et le financement de l'islam en France, le 3 février 2016 : « J'ai vu l'une de mes étudiantes sortir un voile de son sac en arrivant à Saint-Denis : une bande se trouvait là ; en passant devant eux, m'a-t-elle dit, je me ferais insulter si je ne portais pas de voile. C'est très grave ! ».

Ces intimidations, contraires à la liberté de conscience, devraient pouvoir être sanctionnées car elles relèvent de comportements discriminatoires , et même doublement discriminatoires puisqu'elles sont liées à la fois au sexe des personnes et à leurs convictions religieuses supposées.

Le rapport du Haut conseil à l'intégration précité rappelle par ailleurs que la présence d'étudiantes voilées lors des examens peut poser des problèmes d'identification des candidates et empêcher le contrôle d'éventuelles fraudes : peu de surveillants oseraient, selon le rapport, demander à voir les oreilles des jeunes filles devant le nombre de refus d'obtempérer 194 ( * ) . À cet égard, le rapport cite la Charte des examens adoptée par l'Université de Toulouse 1 Capitole 195 ( * ) , par laquelle tout étudiant s'engage à permettre le contrôle de son identité et à accepter de découvrir ses oreilles, avant le début de l'épreuve et à tout moment pendant celle-ci 196 ( * ) .

Le rapport du Haut conseil à l'intégration cite par ailleurs 197 ( * ) un article du règlement intérieur du CNAM intitulé « obligations des usagers » renvoyant à l'interdiction suivante, dont la formulation constitue à elle seule un catalogue des difficultés rencontrées dans ce domaine dans l'enseignement supérieur : « Aucune raison d'ordre religieux, philosophique, politique ou considération de sexe ne pourra être invoquée pour refuser de participer à certains enseignements , empêcher d'étudier certains ouvrages ou auteurs, refuser de participer à certaines épreuves d'examen, contester les sujets, les choix pédagogiques ainsi que les examinateurs ».

Il est fort regrettable que le comportement de certains étudiants ait rendu nécessaire l'adoption de textes comme la charte des examens précitée et l'article du règlement intérieur du CNAM .

La délégation préconise donc d'inviter les établissements publics d'enseignement supérieur, dans le respect de leur autonomie :

- à intégrer, dans leurs règlements intérieurs, des dispositions inspirées du passage du règlement intérieur du CNAM ci-dessus reproduit pour que soient absolument proscrits tout rejet de la mixité, tout refus de participer à certains enseignements et toute récusation d'enseignant ou d'examinateur ;

- à adopter une charte des examens rappelant l'exigence liée au contrôle de l'identification des candidats, notamment en vue de la prévention de fraudes éventuelles ;

- à assortir toute procédure d'inscription d'un engagement écrit de l'étudiant-e à respecter ce règlement et cette charte.

b) L'enseignement primaire et secondaire : quels citoyens et citoyennes pour demain ?

S'il est un lieu où l'influence des cultes peut être préoccupante, c'est bien l'école, car les déviances qui y sont observées depuis une quinzaine d'années, plus particulièrement peut-être dans l'enseignement secondaire, ne semblent pas garantir qu'y soient formés de futures citoyennes et citoyens attachés à l'égalité entre femmes et hommes.

(1) La condition féminine dans l'enseignement : un sujet de préoccupation

Une enquête de terrain réalisée entre avril et juin 2015 auprès de 9 000 collégiens des Bouches-du-Rhône, commentée par L'Obs , confirme qu'à l'école comme ailleurs, la religion est devenue un « marqueur social fort », qui détermine « un certain nombre d'attitudes, d'opinions et de comportements spécifiques » 198 ( * ) . La commission d'enquête du Sénat sur le fonctionnement du service public de l'éducation, présidée par notre collègue Françoise Laborde, l'a parfaitement exprimé dans son rapport : les « valeurs religieuses [...], aux yeux d'un nombre croissant d'élèves, sont la première, parfois la seule vraie source de légitimité » 199 ( * ) .

Qu'il s'agisse du catholicisme, de l'islam ou du judaïsme, cette influence se traduit, selon l'enquête précitée effectuée en 2015 dans les Bouches-du-Rhône, par un « conservatisme certain, et une plus grande intolérance en matière de moeurs » 200 ( * ) . Le commentaire fait état de comportements qualifiés de « néo-puritains » et observe le renversement opéré par rapport à la génération des jeunes des années 1960-1970 qui militaient pour l'amour libre. Les élèves d'aujourd'hui, dont la rigueur préoccupe d'ailleurs souvent les parents qui ne se reconnaissent pas dans ce conservatisme moral, prônent selon cette enquête la pureté (pour les filles comme pour les garçons), la virginité avant le mariage et la séparation des univers féminins et masculins 201 ( * ) .

Peut-on vraiment voir dans cette tendance l'« effet de mode » identifié par Tareq Oubrou, grand imam de Bordeaux 202 ( * ) ?

Cette enquête révèle que, en cas de contradiction entre la loi et leurs principes religieux , les élèves interrogés feraient passer la religion en premier pour 68 % de ceux qui se présentent comme musulmans et 40 % de ceux qui se présentent comme catholiques. Elle confirme aussi une certaine défiance envers les professeurs, que ceux-ci imputent aux « redoutables concurrents » que constituent Internet « et sa farandole de prédicateurs 2.0 » 203 ( * ) .

À bien des égards, le diagnostic effectué par le rapport Les signes d'appartenance religieuse dans les établissements scolaires , présenté en juin 2004 au ministre de l'Éducation nationale, de l'enseignement supérieur et de la recherche par une équipe d'inspecteurs généraux, paraît toujours valable 204 ( * ) . Selon le rapport de la commission d'enquête du Sénat sur le fonctionnement du service public de l'éducation (que présidait notre collègue Françoise Laborde), publié en juillet 2015, « L'enterrement du rapport Obin par les responsables de l'Éducation nationale en 2004 a fait perdre dix années à l'école » 205 ( * ) .

Il est donc regrettable que les conséquences des constats posés il y a plus de dix ans, et plus particulièrement la dégradation de la mixité et les atteintes à l'égalité entre femmes et hommes, n'aient pas pu être tirées plus tôt.

Les remontées de terrain que ce rapport présentait sont en effet inquiétantes s'agissant des femmes et des jeunes filles, enseignantes ou élèves , victimes les unes et les autres de l'expansion d'un puritanisme qui exerce des effets particulièrement graves quand il se combine à un message extrémiste .

Ce rapport ne s'appuyait que sur un petit nombre de structures (61 collèges, lycées et lycées professionnels répartis dans une vingtaine de départements), choisis précisément parmi des établissements « à problèmes » et à ce titre, non représentatifs de la majorité. Ce document présentait toutefois un inventaire éclairant des domaines dans lesquels la laïcité soulevait des difficultés.

Plus particulièrement, les cas qu'il pointait concernant la situation des jeunes filles et des femmes peuvent encore aujourd'hui sembler significatifs , même si fort heureusement ils ne paraissent pas généralisables .

Dénonçant les « régressions de la condition féminine » 206 ( * ) observées dans les établissements scolaires, ce document commentait le refus de la mixité et la récusation de l'autorité exercée par les femmes, l'expansion de codes vestimentaires pudiques et la contestation de certains enseignements et activités (sport et éducation sexuelle particulièrement) :

- il soulignait que les personnels féminins étaient victimes d'agissements discriminatoires , impensables en France , de la part de pères ou de frères d'élèves (refus de leur serrer la main, voire de leur adresser la parole) ;

- il évoquait aussi des refus de mixité se traduisant par des cas de discrimination à l'encontre de professeurs de sexe masculin : « On a vu également un père refuser que sa fillette soit laissée dans la classe d'un instituteur (homme) remplaçant l'institutrice. » 207 ( * ) ;

- il constatait également de « nombreux cas d'enseignantes du second degré ayant fait l'objet de propos désobligeants ou sexistes de la part d'élèves ». Des faits tels que le refus de certains parents d'être reçus par une personne de l'autre sexe , de la regarder , de se trouver dans la même pièce , voire de « reconnaître sa fonction » étaient également mentionnés ;

- il relevait aussi de tels agissements de la part d'hommes membres du personnel, vis-à-vis de collègues ou de supérieures hiérarchiques femmes ;

- il déplorait le contrôle des moeurs des jeunes filles , de même que la surveillance exercée sur elles par leurs frères ;

- il constatait l'omniprésence de codes vestimentaires stricts : tenues sombres et amples, interdiction des jupes et des robes..., et évoquait des jeunes filles « [enfilant] leur manteau avant d'aller au tableau afin de n'éveiller aucune concupiscence » 208 ( * ) ;

- il dénonçait des cas de violences graves dont certaines jeunes filles auraient été victimes dans l'enceinte de collèges, au nom de ce contrôle moral (« gifles, coups de ceinture, tabassages » 209 ( * ) ) ;

- il faisait état, par ailleurs, de l'influence des préjugés des familles et des élèves sur certaines activités scolaires et, tout d'abord, sur l'éducation physique et sportive, visée au premier chef dans l'enseignement secondaire, un nombre croissant de jeunes filles en étant dispensées pour préserver leur pudeur, le recours à des certificats de complaisance étant massif dans certains quartiers 210 ( * ) et des enseignants étant contraints de renoncer aux séances de natation 211 ( * ) , a fortiori parce que, au nom d'une « obsession de la pureté » 212 ( * ) qui ne connaît parfois pas de limites , certains garçons refusaient de se baigner dans « l'eau des filles » ;

- il faisait état aussi des conséquences de ces attitudes sur les sorties scolaires et les classes transplantées du secondaire, auxquelles « il arrive de plus en plus souvent aux professeurs de renoncer » 213 ( * ) ;

- il observait aussi une contestation fréquente des séances d'information et d'éducation à la sexualité prévues par l'article L. 312-16 du code de l'éducation 214 ( * ) , les raisons invoquées pour refuser de participer à ces séances, pourtant obligatoires, étant l'impudeur des propos, la mixité des séances (qui n'est d'ailleurs pas la règle, car les formateurs constituent régulièrement des groupes de filles et de garçons séparés) et leur caractère superflu puisque « les musulmanes restent vierges » 215 ( * ) .

Dans un esprit comparable, l'enquête précitée réalisée dans les Bouches-du-Rhône en 2015 évoque aussi des difficultés en sciences de la vie et de la terre : « Plusieurs jeunes filles ont refusé de réviser les cours de sciences de la vie et de la terre (SVT) avec des animateurs de sexe masculin » 216 ( * ) . Il semble pourtant que l'injonction très forte de pureté faite aux filles pourrait les rendre particulièrement vulnérables, si l'on se réfère aux pratiques sexuelles auxquelles elles pourraient être incitées dans certains collèges, de manière à préserver leur virginité. Un précédent rapport de la délégation avait fait état sur ce point, en 2014, de comportements préoccupants relayés par des infirmières scolaires 217 ( * ) .

Les témoignages recueillis par la commission d'enquête du Sénat sur le fonctionnement du service public de l'éducation en 2014-2015 confirment l'actualité de l'état des lieux effectué par le rapport dit Obin de 2004. Les observations faites par nos collègues montrent, dix ans après, dans le domaine qui intéresse la délégation, que :

- « les comportements sexistes tendent à se multiplier » : « plusieurs directrices d'école, enseignantes et conseillères principales d'éducation ont rapporté des refus d'adresser la parole, de regarder ou de serrer la main d'une femme de la part de parents d'élèves, voire d'élèves eux-mêmes » 218 ( * ) ;

- ces comportements s'observent aussi entre élèves : des directrices d'école, enseignants et conseillères principales d'éducation font état d'un « refus croissant de la mixité entre filles et garçons » 219 ( * ) ; la question : « Pourquoi les filles et les garçons ne sont-ils pas séparés en sport ? » fait partie des remarques les plus fréquemment adressées aux enseignants 220 ( * ) (l'enquête effectuée dans les Bouches-du-Rhône en 2015 précédemment évoquée confirme également que la mixité en éducation physique et sportive, et plus particulièrement à la piscine , pose problème 221 ( * ) ) ;

- s'agissant du sport, et plus particulièrement de la natation , le recours aux certificats médicaux de complaisance semble parfois relever d'une pratique extrêmement courante : « dans la classe d'un collège de l'académie de Besançon, plus de la moitié des jeunes filles se prétendent allergiques au chlore, certificat médical à l'appui » 222 ( * ) .

Le rapport de la commission d'enquête du Sénat révèle par ailleurs que l'interdiction des signes ostentatoires d'appartenance religieuse , plus de dix ans après l'adoption de la loi de 2004 , donne lieu à des « attitudes de petite résistance au quotidien qui démontrent une contradiction non résolue entre deux systèmes de valeur » 223 ( * ) .

Le « port du voile par les jeunes filles de confession ou de culture musulmane au sein des établissements scolaires relevant du service public de l'éducation » est ainsi une « question récurrente » 224 ( * ) , les enseignants et conseillers d'éducation faisant face « quasiment tous les jours à des stratégies de contournement (port de vêtements dits « culturels » ou « ethniques ») » 225 ( * ) . La directrice générale de l'enseignement scolaire a évoqué, le 19 février 2015, la « prolifération de tenues vestimentaires revendiquées comme culturelles et non pas religieuses telles que les grandes robes ou les djellabas du vendredi » 226 ( * ) . Abdennour Bidar, philosophe, chargé de mission sur la pédagogie de la laïcité au ministère de l'Éducation nationale, a pour sa part considéré, le 21 mai 2015, comme « très sensible » la question des jupes longues 227 ( * ) .

De manière plus préoccupante, le rapport de la commission d'enquête cite un témoignage faisant état de comportements déplacés envers des enseignantes en jupe, qui ont donné lieu à la mise en place d'une surveillance policière pour permettre aux professeures harcelées d'entrer et de sortir du collège 228 ( * ) .

Ce rapport mentionne aussi des témoignages recueillis dans l'académie de Créteil faisant état de « pressions à caractère prosélyte » exercées par certains enseignants « sur des collègues en salle des professeurs, et notamment à l'égard des femmes » 229 ( * ) .

La délégation soutient la recommandation de la commission d'enquête sur le fonctionnement du service public de l'éducation, consistant à mettre en place dans l'enseignement public un système de remontée directe des incidents, sans filtrage hiérarchique et jusqu'au ministère.

Elle demande donc que tous les signalements concernant les atteintes à la mixité et à l'égalité entre filles et garçons ou femmes et hommes soient systématiquement adressés à la ministre chargée des droits des femmes, afin que l'on puisse disposer d'un recensement et d'une cartographie aussi complets que possible des dysfonctionnements observés .

La délégation appelle par ailleurs tous les établissements scolaires à élaborer ou intensifier une stratégie de lutte contre les dérives inacceptables portant atteinte, dans les établissements scolaires, à la mixité et à l'égalité entre filles et garçons, afin que l'école ne soit pas le lieu d'expansion de formes d'obscurantismes, aux dépens des droits des femmes et des filles.

Elle formulera une recommandation en ce sens.

Les conséquences du fait religieux à l'école sont particulièrement importantes pour les femmes, car c'est l'avenir de notre société qui se joue. Il est regrettable que dans notre pays l'école, au lieu d'être le creuset d'égalité garanti par la République, puisse devenir un lieu où s'expriment des préjugés obscurantistes qui menacent tout particulièrement les femmes.

« Quand [les petites filles] jouent à la dinette dans le coin de la classe, elles mettent leur veste sur la tête pour aller promener le bébé dans la poussette... », observait en octobre 2014 une institutrice en ZEP, à Bron dans le Rhône, lors d'un colloque organisé à Lyon par l'association Regards de femmes 230 ( * ) . Qui aurait pu imaginer une telle scène dans une école de la République il y a trente ans ?

Le fait religieux a des conséquences non seulement au sein de l'école, mais aussi parce qu'il encourage le développement d'écoles hors contrat où le dogme, dans sa version la plus littérale, est respecté à la lettre. Le reportage précité, publié par L'Obs , rapporte que dans une école de la banlieue parisienne gérée par la Fraternité sacerdotale de Saint Pie X, créée par Mgr Lefevre, l'enseignement de la théorie de l'évolution est proscrit, de même que toute éducation sexuelle.

Lors de son audition par la mission d'information sur l'organisation, la place et le financement de l'islam en France, le 14 mars 2016, le président de la Fédération nationale de l'enseignement privé musulman a évoqué le refus opposé à sa demande de visite dans une école de filles de Roubaix, « sous prétexte que l'établissement n'accepte pas les hommes ». Il a observé qu'il s'agissait d'un cas « extrême » et que la fédération n'acceptait pas les exigences de certains parents « qui souhaiteraient que leur fille ne soit pas assise à côté d'un garçon ». Les contrôles du contenu de l'enseignement et de l'organisation de la scolarité ne semblent donc pas pleinement garantis dans ce type d'établissement, ce qui est alarmant.

Quant à l'enseignement à domicile, il fait l'objet d'un coaching en ligne, par exemple sur le site « ummacademy.fr » auquel on accède à partir du site « avenuedessoeurs.com » 231 ( * ) .

Le site « ummacademy.fr » définit la formation proposée aux femmes qui souhaiteraient devenir le professeur d'école de leurs enfants : 90 cours destinés à permettre un « quotidien apaisé, rythmé et un foyer paisible ».

Les dangers de ce type d'enseignement sont évidents et se passent de commentaire. Ils ne sont d'ailleurs pas propres à un culte.

(2) L'importance de l'enseignement du fait religieux pour lutter contre les préjugés sexistes

Quel visage offrira notre société quand arriveront à l'âge adulte ces enfants et ces jeunes habitués dès le plus jeune âge à refuser tout contact avec des personnes de l'autre sexe, à récuser l'autorité exercée par les femmes, à juger légitime la violence exercée à leur encontre et à se référer à la loi divine plutôt qu'à celle de la République ?

Face aux dérives ci-dessus dénoncées, la formation des enseignants doit évidemment faire l'objet d'une attention particulière, même s'il ne faut pas se leurrer sur la capacité des professeurs à conjurer à eux seuls les dangers du fanatisme et de l'obscurantisme ...

Il est toutefois important de faire en sorte que les enseignants, en formation initiale comme en formation continue , disposent des connaissances nécessaires pour faire face à un fait religieux qui peut menacer à la fois leur autorité et le contenu de leur enseignement et dont les conséquences à terme sur notre société, au premier chef sur la situation des femmes, sont potentiellement dévastatrices .

Cette formation s'inscrit dans l'enseignement laïque des faits religieux qui, à la suite du rapport de Régis Debray, L'enseignement du fait religieux dans l'école laïque , remis au Président de la république en février 2002, a été mis en place en lien avec la création de l'Institut européen en sciences des religions (IESR) où sont proposés des stages de formation initiale et continue au personnel de l'Éducation nationale. La mise en place de cet enseignement est partie du constat que « les extrémistes, les hystéries de l'absolu, résultent non d'un excès mais d'un déficit de transmission, d'une panne de courant, d'une rupture de la chaîne éducative » 232 ( * ) . Il a donc été jugé souhaitable, dans ce contexte, que se développe un « savoir profane du religieux » 233 ( * ) , distinct de ce que l'on peut aborder quand on étudie la laïcité.

Cet enseignement, qui « n'est pas un enseignement religieux » 234 ( * ) et qui ne vise pas à transformer les enseignants en arbitres de débats théologiques , s'appuie sur les disciplines existantes et sur les « contenus d'enseignement, par une convergence plus raisonnée entre les disciplines existantes » 235 ( * ) (philosophie, lettres, histoire).

Les témoignages recueillis par la commission d'enquête sur le fonctionnement du service public de l'éducation montrent le grand désarroi des professionnels devant le comportement de certains élèves et du besoin de formations très concrètes , à partir de mises en situations et de cas pratiques .

L'enseignement du fait religieux, qui s'inscrit dans la formation des futurs citoyens, doit pouvoir contribuer, par le développement de l'esprit critique, à déjouer l'incompréhension qui fait le lit de l'exclusion et de la haine .

Il ne saurait toutefois exister sans une formation des enseignants à la laïcité. Il faut rappeler que le ministère de l'Éducation nationale, après les attentats de janvier 2015, a mis en place un programme de formation de 1 000 formateurs, chargés de former à leur tour 300 000 enseignants à la laïcité.

Parallèlement à cette formation à la laïcité a été instauré un enseignement moral et civique, dans le primaire et le secondaire, en remplacement de l'éducation civique, juridique et sociale .

Une note du réseau national des ÉSPÉ de juillet 2016 effectuant un « État des lieux sur la formation des enseignants à la laïcité et aux valeurs de la République » confirme le besoin de ce type de formation en faisant état du « manque de connaissance minimum des religions et du fait religieux, ainsi que d'autres options spirituelles (agnosticisme, humanisme athée...), de la part des étudiants ».

Or selon le rapport de la commission d'enquête sur le fonctionnement du service public de l'éducation, il semble que les formations reçues dans le cadre du module « Transmission des valeurs de la République », malgré l'évidente bonne volonté des responsables, diffèrent sensiblement d'une ÉSPÉ à une autre 236 ( * ) , ce qui tient notamment aux exigences multiples auxquelles ces établissements sont confrontés et à des programmes et des emplois du temps très chargés. La parution, prévue pour l'automne 2016, d'un livre blanc sur la formation des enseignants à la laïcité et aux valeurs de la République dans les ÉSPÉ, rédigé par les référents laïcité des ÉSPÉ , devrait clarifier le contenu de cet enseignement décisif pour l'avenir de la mixité et des droits des femmes .

À ce stade, le processus mis en place par le ministère de l'Éducation nationale paraît rencontrer des limites :

- compte tenu de la complexité et de la sensibilité du sujet, on peut s'interroger sur la pertinence de l'enseignement dispensé en deux jours seulement par l'Institut européen en sciences des religions (IESR) aux 1 000 formateurs initiaux ;

- un sujet aussi sensible ne saurait s'accommoder de ce modèle (1 000 formateurs pour 300 000 professionnels) sans « perte en ligne » ou altération du message au fur et à mesure de sa transmission ;

- la complexité des questions posées pourrait rendre pertinent le recours à des formations en ligne ou MOOC 237 ( * ) , qui semblent adaptées à la diffusion d'un message cohérent et homogène sur tout le territoire et au traitement de cas pratiques (conformément aux besoins exprimés par certains professionnels), tant dans le cadre de la formation continue que dans celui de la formation initiale .

En revanche, la délégation estime positif que l'enseignement moral et civique prévu dans le primaire et le secondaire s'appuie sur un module « Connaissance de la République et de ses valeurs » qui comporte la sensibilisation « à l'élaboration et à la promotion de principes nouveaux comme la liberté d'union et de mariage, l'égalité filles-garçons ou la parité dans le monde politique ou professionnel » 238 ( * ) .

Convaincue que l'égalité entre femmes et hommes commence par l'égalité entre filles et garçons, la délégation recommande :

- le renforcement de l'éducation à l'égalité et de la lutte contre les stéréotypes masculins et féminins, dès le plus jeune âge ;

- que soit prioritaire, au sein de l'enseignement moral civique, la mise en valeur de l'égalité entre filles et garçons et entre femmes et hommes, élément essentiel et non négociable des valeurs de la République.

5. Vers une extension de l'exigence de neutralité ?

La délégation estime que l'obligation de neutralité, prévue par la loi de 1983 portant statut des fonctionnaires, pourrait s'étendre à des catégories de personnes dont la situation n'est à ce stade pas clairement définie.

a) Aux étudiants des ÉSPÉ et aux fonctionnaires stagiaires

Il semble en tout état de cause souhaitable d'appliquer l'interdiction de signes ostentatoires d'appartenance religieuse à un public particulier : les étudiants des ÉSPÉ (écoles supérieures du professorat et de l'éducation), qui sont sur le point d'exercer une profession imposant une stricte neutralité que d'ailleurs, dans une certaine mesure, ils exercent déjà à l'occasion de stages.

Une note du Réseau national des ÉSPÉ de juillet 2016 présentant un « État des lieux sur la formation des enseignants à la laïcité et aux valeurs de la république dans les ÉSPÉ » pose très justement la question : comment des étudiants qui affichent leur identité religieuse de manière ostentatoire « peuvent-ils se transformer, une fois recrutés, en défenseurs de la laïcité et en promoteurs de la neutralité religieuse auprès de leurs élèves ? ».

Au cours de sa réunion du 6 octobre 2016, la délégation a débattu de l'extension, aux élèves des ÉSPÉ, de l'obligation de respecter le principe de neutralité.

Corinne Féret a jugé que cette obligation ne devrait s'appliquer que pendant les périodes de stage dans les établissements scolaires, et non pendant leurs périodes de formation, que ces élèves suivaient « comme n'importe quel étudiant ».

Françoise Laborde a pour sa part estimé que les étudiants des ÉSPÉ devraient être considérés, s'agissant de l'obligation de neutralité, comme des enseignants. Elle a fait valoir qu'il était important de soutenir les responsables des ÉSPÉ pour que ces établissements soient neutres au regard de l'ostentation religieuse, certains jeunes étant selon elle « dans le déni de la laïcité ».

L'article 25 de la loi n° 83-634 du 13 juillet 1983 portant droits et obligations des fonctionnaires impose l'« obligation de neutralité » au fonctionnaire « dans l'exercice de ses fonctions ». Il dispose aussi que « le fonctionnaire exerce ses fonctions dans le respect du principe de laïcité. À ce titre, il s'abstient de manifester, dans l'exercice de ses fonctions, ses opinions religieuses ». Si l'article 32 inséré dans la loi de 1983 par la loi n° 2016-483 du 20 avril 2016 a étendu ces obligations aux agents contractuels , aucune disposition ne porte clairement sur les élèves fonctionnaires .

La question des fonctionnaires-stagiaires ne semble jamais avoir fait l'objet de décision du juge administratif, mais l'extension de l'obligation de neutralité à cette catégorie semble cohérente avec la jurisprudence du Conseil d'État. Si l'on se réfère à l'avis Melle Marteaux du 3 mai 2000, le principe de laïcité et de neutralité des services publics s'applique à tous les agents, quelles que soient leurs fonctions et quelle que soit la nature des services publics concernés , et le fait pour un agent du service public de « manifester dans l'exercice de ses fonctions ses croyances religieuses, notamment en portant un signe destiné à marquer son appartenance à une religion, constitue un manquement à ses obligations ».

La délégation estime donc que l'obligation de respecter le principe de neutralité et la laïcité, prévue par le statut des fonctionnaires, devrait s'appliquer aussi aux fonctionnaires stagiaires ou élèves-fonctionnaires et que cette exigence devrait être précisée par la loi de 1983.

Elle juge souhaitable que la neutralité exigible des agents publics soit applicable aux étudiants des ÉSPÉ se destinant à l'enseignement.

La délégation formulera une proposition en ce sens.

b) Aux candidats aux concours de la fonction publique

Le même raisonnement devrait, en bonne logique, s'appliquer aux candidats aux concours de la fonction publique lors des épreuves de recrutement, tant écrites qu'orales . On peut en effet considérer que le « candidat fonctionnaire [...] doit également démontrer sa volonté de respecter les principes du service public, car il n'y a pas de raison de penser qu'un candidat qui refuse de quitter avant son recrutement un signe religieux ostensible s'astreindrait à le faire en cas de recrutement » 239 ( * ) .

La délégation est d'avis d'étendre l'obligation faite aux fonctionnaires de respecter le principe de neutralité et la laïcité à tous les candidats aux concours de la fonction publique lors des épreuves de recrutement, tant écrites qu'orales.

Elle souhaite que la loi du 13 juillet 1983 portant droits et obligations des fonctionnaires soit modifiée sur ce point et formulera une proposition en ce sens.

c) Aux élu-e-s

Au lendemain des élections municipales de 2014, le fait que des élues voilées siègent dans des conseils municipaux nouvellement constitués a suscité une certaine émotion. L'édition de Seine-et-Marne du journal Le Parisien a ainsi évoqué, le 29 mars 2014, à propos de la commune de Montereau, la « première femme voilée élue d'Ile-de-France », notant que cette élue, voilée depuis « l'âge de 22 ans » en raison d'un « choix personnel et profondément intime », se déclarait par ailleurs « profondément laïque », engagée dans le « combat de tous les jours » que constitue selon elle le port du voile, et avait annoncé qu'elle siégerait au conseil municipal avec son voile, puisque la loi l'y autorise car elle est « une élue, pas une fonctionnaire de l'État » 240 ( * ) . Le fait qu'une élue d'Argenteuil figure voilée sur le trombinoscope du conseil municipal a, lui aussi, fait débat 241 ( * ) .

Selon une note du Courrier des maires et des élus locaux publiée en février 2015, le port de signes religieux par des conseillers municipaux n'est pas contraire à la loi et ne s'oppose pas au principe de neutralité car celui-ci ne s'applique qu'aux agents publics, dans le cadre de leur mission de service public, ainsi qu'aux maires et à leurs adjoints en tant qu'officiers de police judiciaire et officiers d'état-civil. Il ne concerne pas non plus les candidats aux élections :

« Aucune disposition législative ne permet au maire dans le cadre des séances du conseil municipal d'interdire aux élus de manifester publiquement leur appartenance religieuse . [...] En effet, si le principe de neutralité du service public fait obstacle à ce que les agents disposent dans le cadre du service public du droit de manifester leurs croyances religieuses, aucun texte, ni aucune jurisprudence n'étend ce principe aux élus .

« En l'occurrence, le Conseil d'État considère qu'un agent ne peut sans méconnaître ses obligations, manifester dans l'exercice de ses fonctions ses croyances religieuses, notamment en portant un signe destiné à marquer son appartenance à une religion.

« Or ce raisonnement ne saurait être transposable aux élus , notamment aux conseillers municipaux qui ne sont pas des agents publics . En revanche, le principe de neutralité devrait s'appliquer au maire et à des adjoints en leur qualité d'officiers de police judiciaire et officier d'état civil .

« Plus largement, cette question rejoint celle de la possibilité pour un candidat de porter un signe distinctif religieux. Elle s'était posée pour une candidate aux élections cantonales qui portait un voile islamique ainsi qu'une candidate aux élections municipales qui portait une croix de façon très distincte.

« Le Conseil d'État a apporté une réponse très claire en affirmant que « la circonstance qu'un candidat à une élection affiche son appartenance à une religion est sans incidence sur la liberté de choix des électeurs ; qu'aucune norme constitutionnelle, et notamment pas le principe de laïcité, n'impose que soit exclues du droit de se porter candidates à des élections des personnes qui entendraient, à l'occasion de cette candidature, faire état de leurs convictions religieuses »» 242 ( * ) .

Selon la délégation, il appartient au législateur de se prononcer sur l'extension de l'exigence de neutralité aux élu-e-s. En effet, comme le relève l'Observatoire de la laïcité dans son guide Laïcité et collectivités territoriales , « Les élus de la république ont la charge de faire respecter la laïcité ». Il est important également de garantir aux citoyens la neutralité des élu-e-s , ce que ne permet pas le port de signes d'appartenance religieuse .

Dans cette logique, l'obligation de respecter le principe de laïcité et l'exigence de neutralité devraient donc être étendus aux membres des conseils locaux (municipaux, départementaux et régionaux) dans l'exercice de leur mandat 243 ( * ) .

La délégation estime donc que la Charte de l'élu local , qui figure à l'article L. 1111-1-1 du code général des collectivités locales , devrait prévoir que 244 ( * ) :

« 1. L'élu local exerce ses fonctions avec impartialité, diligence, dignité, probité et intégrité et dans le respect du principe de laïcité.

« 2. Dans l'exercice de son mandat, l'élu local s'abstient du port de signes ou tenues susceptibles de constituer une manifestation d'appartenance religieuse. Il poursuit le seul intérêt général, à l'exclusion de tout intérêt qui lui soit personnel, directement ou indirectement, ou de tout autre intérêt particulier. »

Elle formulera une proposition dans ce sens.

d) La question des parents accompagnateurs de sorties scolaires

La question du voile s'est manifestée une nouvelle fois lors du débat sur l'accompagnement de sorties scolaires par des « mamans voilées », qui a suscité une interrogation sur la neutralité de personnes intervenant auprès des enfants dans le cadre de l'école publique et sur la possibilité, pour ces personnes, de porter des signes ou tenues d'appartenance religieuse.

Dans un premier temps, le tribunal administratif de Montreuil avait estimé, le 22 novembre 2011, que les parents d'élèves participant volontairement au service public de l'éducation devaient respecter, dans leur tenue comme dans leurs propos, le principe de laïcité, et que le règlement intérieur d'une école élémentaire pouvait imposer cette règle aux parents car ils participaient, lors des sorties, au service public de l'éducation.

L'importance de la polémique et la divergence d'opinions qui se sont alors manifestées ont conduit à la saisine du Conseil d'État dont l'avis, non publié, du 23 décembre 2013 observe que les parents accompagnateurs de sorties scolaires ne sont ni des agents ni des collaborateurs du service public mais des usagers du service public , de ce fait non soumis à l'obligation de neutralité . Toutefois, le Conseil d'État admet que « les exigences liées au bon fonctionnement du service public de l'éducation peuvent conduire l'autorité compétente, s'agissant des parents d'élèves qui participent à des déplacements ou des activités scolaires, à recommander de s'abstenir de manifester leur appartenance ou leurs croyances religieuses » 245 ( * ) .

Ainsi le tribunal administratif de Nice a-t-il, le 9 juin 2015, donné raison à l'auteure du recours contre la décision de l'école qui lui refusait de garder son voile pendant une sortie qu'elle accompagnait en considérant que « les parents d'élève autorisés à accompagner une sortie scolaire à laquelle participe leur enfant doivent être regardés, comme les élèves, comme des usagers du service public de l'éducation ».

En l'absence de règle claire s'appliquant à tous les établissements, sur tout le territoire, ces situations sont appréciées au cas par cas, ce qui conduit nécessairement à des différences d'appréciation selon les écoles.

La délégation a évoqué le sujet des parents accompagnateurs au cours de ses réunions du 29 septembre 2016 et du 6 octobre 2016. Après débat, elle a décidé, faute de consensus, d'écarter toute proposition de modification législative visant à étendre l'obligation de neutralité aux parents accompagnateurs de sorties scolaires.


* 97 Abdenour Bidar, Self islam , Points-Seuil, 2016, p. 158.

* 98 Abdenour Bidar, Self islam , Points-Seuil, 2016, p. 158.

* 99 Ilaria Casillo, « Espace public », Dictionnaire critique et interdisciplinaire de la participation, Paris, GIS Démocratie et participation, 2013.

* 100 Les signes d'appartenance religieuse dans les établissements scolaires , p. 12.

* 101 Les signes d'appartenance religieuse dans les établissements scolaires , p. 12.

* 102 « Être fille à l'école en France aujourd'hui », colloque La Laïcité : une force et un bouclier pour les femmes , 13 octobre 2014.

* 103 https://www.lyoncapitale.fr/Journal/Lyon/Actualite/Actualites/Discriminations/Michele-Vianes-denonce-un-apartheid-sexue-a-Villefranche.

* 104 http://www.sudouest.fr/2016/04/26/bordeaux-le-gerant-d-une-epicerie-musulmane-condamne-

pour-discrimination-2341391-2780.php

* 105 Les réserves émises au sujet d'horaires séparés motivés par des préoccupations religieuses ne concernent pas les demandes exprimées par des associations de disposer de couloirs réservés, pendant les heures d'ouverture, pour certains publics.

* 106 « Après Malek Boutih, le sénateur radical Philippe Esnol (ex-PS) met les pieds dans le plat à propos de la montée du fondamentalisme religieux », Le Point.fr , 16 janvier 2015.

* 107 Voir sur le site http://www.brigadedesmeres.net/ le reportage d'Emmanuelle Chartoire, La République des mères , diffusé en mai 2016 sur France 2 .

* 108 Voir infra les conclusions de la délégation.

* 109 Ce sondage compare les réponses faites à cette question en France et en Allemagne : à la question « êtes-vous favorable au port du voile ou du foulard dans la rue pour les musulmanes qui le souhaitent ? », on compte 9 % de favorables seulement (14 % en Allemagne), 63 % d'opposés (49 % en Allemagne), 28 % d'indifférents (41 % en Allemagne).

* 110 http://www.leparisien.fr/laparisienne/societe/les-marques-se-mettent-a-la-mode-islamique-29-03-2016-5668939.php

* 111 http://www.latribune.fr/opinions/tribunes/h-m-zara-uniqlo-l-attaque-des-clones-de-la-mode-pudique-561191.html

* 112 Ces maillots de bain, mis en vente par une enseigne britannique bien connue, couvrent l'intégralité du corps, ne laissant libres que le visage, les mains et les pieds. Présentés par la marque comme un « signe d'ouverture », ils ont donné lieu à nombre d'expressions indignées sur Internet.

* 113 La ligne Abayas est constituée de quatorze pièces d'abayas (robes longues) et de hidjabs.

* 114 http://www.leparisien.fr/laparisienne/societe/les-marques-se-mettent-a-la-mode-islamique-29-03-2016-5668939.php

* 115 http://www.lemonde.fr/societe/article/2016/04/02/polemique-sur-la-mode-islamique_4894454_3224.html

* 116 Communiqué de presse du 31 mars 2016.

* 117 http://www.lemonde.fr/societe/article/2016/04/02/polemique-sur-la-mode-islamique_4894454_ 3224.html

* 118 Seuil, 2010.

* 119 « La mode islamique déchire les féministes », Elle , 15 avril 2016, p. 32

* 120 De manière presque simultanée, la demande de privatisation d'un parc aquatique proche de Marseille, par une association souhaitant permettre aux femmes musulmanes de se baigner en « burkini », demande d'ailleurs refusée par la municipalité, a suscité des critiques, exposées par exemple par le magazine en ligne Algérie Focus , si l'on se réfère à l'article « Vu d'Algérie. Burqa et burkini, une provocation inutile en France ». Reproduit par le Courrier international , 8 août 2016.

* 121 Cité par le journal Le Figaro du 25 août 2016.

* 122 L'opposition au port du « burkini » concernerait tout le spectre politique ; elle semble davantage le fait des hommes (68 %) que des femmes (60 %).

* 123 Cité par le journal Le Figaro du 18 août 2016.

* 124 Bertrand Mathieu, professeur à l'École de droit de la Sorbonne Paris 1 et Serge Sur, professeur émérite de droit public à l'Université de Paris 2 Panthéon Assas - Le Monde des 28-29 août 2016, p. 26.

* 125 27 octobre 1995, Commune de Morsang-sur-Orge, Essonne, sur le lancer de nains, et ordonnance du 9 janvier 2014 à propos du spectacle de Dieudonné.

* 126 Isabelle Lévy, Menaces religieuses sur l'hôpital , Presses de la Renaissance, 2011.

* 127 p. 4.

* 128 La laïcité dans les établissements publics de santé et médico-sociaux - rapport de la commission des usagers , 30 juin 2015, p. 11.

* 129 Voir en annexe le compte rendu de l'entretien d'Isabelle Lévy avec la délégation, le 15 avril 2016.

* 130 Citation p. 3. Étude réalisée entre mars 2009 et décembre 2010 auprès de quatre établissements publics et privés de la région d'Ile-de-France à partir de 116 entretiens avec des personnels hospitaliers, des patients et des représentants du secteur associatif investis à l'hôpital. Cette étude a été publiée en 2011.

* 131 La laïcité dans les établissements publics de santé et médico-sociaux - rapport de la commission des usagers , 30 juin 2015 ; http://www.fhf.fr/Presse-Communication/Espace-presse/Communiques-de-presse/La-FHF-s-exprime-sur-la-laicite/Rapport-laicite-FHF-2015

* 132 Isabelle Lévy, Menaces religieuses sur l'hôpital , Presses de la Renaissance, 2011.

* 133 Voir en annexe le compte rendu de l'entretien d'Isabelle Lévy avec la délégation, le 15 avril 2016.

* 134 p. 43.

* 135 Claude Guibal, op. cit., p. 90.

* 136 Isabelle Lévy, op. cit. , p. 9.

* 137 p. 42.

* 138 http://www.cngof.asso.fr/D_PAGES/MDIR_52.HTM

* 139 http://www.sudouest.fr/2015/08/19/agression-a-la-maternite-de-bordeaux-il-refuse-que-sa-femme-

soit-examinee-par-un-homme-2101073-2780.php

* 140 Isabelle Lévy, op. cit., p. 10.

* 141 Isabelle Lévy, op. cit., p. 195.

* 142 Isabelle Lévy, op. cit., p. 196.

* 143 Isabelle Lévy, op. cit., p. 9.

* 144 Presse de la renaissance, 2011.

* 145 Voir aussi en annexe le compte rendu de son entretien, le 15 avril 2016.

* 146 Isabelle Lévy, Menaces religieuses sur l'hôpital , Presses de la Renaissance, 2011, p. 144.

* 147 http://www.cngof.asso.fr/D_PAGES/MDIR_52.HTM

* 148 http://www.lemonde.fr/a-la-une/article/2007/01/27/hopital-laicite-et-integrisme-s-affrontent_860536_

3208.html

* 149 Les autres fiches concernant la santé des femmes ont trait à l'excision, à l'hyménéoplastie, à l'IVG, à la contraception médicalisée, à la procréation médicalement assistée, à l'interruption médicale de grossesse et à la stérilisation (masculine et féminine).

* 150 La recommandation de la Fédération hospitalière de France concerne aussi les établissements médico-sociaux (voir le rapport précité, p. 11).

* 151 Ce point fait partie des recommandations formulées par le rapport précité d la fédération hospitalière de France (p. 11).

* 152 p. 7.

* 153 Cet état des lieux pourrait éventuellement être établi à partir d'une adaptation des procédures mises en place par l'Observatoire national des violences en milieu de santé dans une logique de sécurité qui ne répond pas pleinement au besoin identifié par la délégation. La fiche de déclaration accessible depuis la plateforme de déclaration comporte par exemple, s'agissant des « préjudices aux personnes », des rubriques telles que « menaces avec arme », « violence volontaire », « menace de mort », « violence avec arme », « prise d'otage », « viol » ou « séquestration ». La rubrique « injure, insulte ou provocation » ne semble pas suffisamment documentée pour permettre de mieux identifier les comportements relevant par exemple du refus de mixité.

* 154 L'article 2 de la loi du 9 décembre 1905 prévoie la prise en charge par les budgets de l'État, des départements et des communes des dépenses liées aux « services d'aumônerie » destinés « à assurer le libre exercice des cultes dans les établissements publics tels que lycées, collèges, écoles, hospices, asiles et prisons ». Le présent rapport a limité son approche à la question des aumôniers en milieu hospitalier, sans aborder la question du milieu carcéral. La question des femmes dans les lieux de privation de liberté a fait l'objet d'un rapport de la délégation (n° 156, 2009-2010).

* 155 Le rapport de l'Institut Montaigne intitulé Un islam français est possible rappelle que les aumôniers peuvent relever de contrats de droit public ou être des bénévoles considérés comme des collaborateurs occasionnels du service public .

* 156 Régis Debray, Didier Leschi, La laïcité au quotidien, guide pratique , folio, 2015, p. 20-21.

* 157 Environ 300 aumôniers musulmans interviennent actuellement en métropole dans le secteur hospitalier, ce qui ne semble pas suffisant compte tenu des besoins. Sur cet effectif global, il semble que le nombre de femmes parmi les aumôniers musulmans soit limité à ce jour à cinq.

* 158 Le rapport de l'Institut Montaigne intitulé Un islam français est possible recommande (p. 117) la création d'une formation universitaire pour les aumôniers, qui seraient recrutés par un concours interne ou externe et qui seraient affectés, à l'issue de leur formation, dans la fonction publique (prisons, écoles, hôpitaux et armée). Ce rapport n'aborde pas spécifiquement la féminisation de cette fonction.

* 159 Synthèse des travaux du groupe AFDT - Le fait religieux en entreprise , sd., p. 7.

* 160 Synthèse des travaux du groupe AFDT - Le fait religieux en entreprise , sd., p. 6.

* 161 Synthèse des travaux du groupe AFDT - Le fait religieux en entreprise , sd., p. 11.

* 162 Le Monde.fr , 15 mars 2016.

* 163 Initialement annoncée pour le 20 octobre 2016, la publication de ce document a été repoussée au mois de novembre 2016. Selon un dossier paru dans la revue Semaine sociale Lamy du 20 octobre 2016 (n° 1741), page 11, les sujets traités couvrent un « spectre très large » et abordent indifféremment l'entretien d'embauche, la restauration collective, la salle de prière, le jeûne, les congés pour fêtes religieuses, les conversations relatives à la religion, le prosélytisme, le refus de serrer la main à une femme, les horaires de travail... « Pour chaque question, une entrée pour les employeurs et une pour les salariés sont prévues ».

* 164 La Charte des droits fondamentaux de l'Union européenne du 7 décembre 2000 , à laquelle le Traité de Lisbonne de 2007 a donné force contraignante interdit toute discrimination fondée sur la religion. La directive 2000/78/CE du 27 novembre 2000 détermine le cadre juridique européen de lutte contre les discriminations ; la liberté religieuse y est traitée à travers l'égalité de traitement et la non-discrimination.

* 165 Le fait religieux en entreprise , avis du CESE présenté par Édith Arnoult-Brill et Gabrielle Simon au nom de la section du travail et de l'emploi, novembre 2013, Les éditions des Journaux officiels.

* 166 http://www.lemondedesreligions.fr/savoir/comment-manager-le-fait-religieux-en-entreprise-2-2-18-04-2014-3835_110.php

* 167 Cette rédaction relevait d'une logique inverse de celle de la proposition de loi précitée, déposée à l'Assemblée nationale en avril 2013 et rejetée en séance le 6 juin 2013 .

* 168 « 1. Toute personne a droit à la liberté de pensée, de conscience et de religion ; ce droit implique la liberté de changer de religion ou de conviction, ainsi que la liberté de manifester sa religion ou sa conviction individuellement ou collectivement, en public ou en privé, par le culte, l'enseignement, les pratiques et l'accomplissement des rites.

2. La liberté de manifester sa religion ou ses convictions ne peut faire l'objet d'autres restrictions que celles qui, prévues par la loi, constituent des mesures nécessaires, dans une société démocratique, à la sécurité publique, à la protection de l'ordre, de la santé ou de la morale publiques, ou à la protection des droits et libertés d'autrui. »

* 169 CESE, op. cit., p. 20.

* 170 Synthèse des travaux du groupe AFDT - Le fait religieux en entreprise , p. 14.

* 171 Synthèse des travaux du groupe AFDT - Le fait religieux en entreprise , p. 15.

* 172 Observatoire de la laïcité, La gestion du fait religieux dans l'entreprise privée , p. 1.

* 173 http://www.lemondedesreligions.fr/savoir/comment-manager-le-fait-religieux-en-entreprise-2-2-18-04-2014-3835_110.php

* 174 http://www.lemonde.fr/societe/article/2016/04/03/des-hotesses-d-air-france-refusent-de-se-voiler-lors-des-escales-en-iran_4894709_3224.html

* 175 Ces guides (La Poste, France télécom Orange, EDF, IBM France et Groupe Casino) sont commentés par le rapport du CESE intitulé Le fait religieux dans l'entreprise ; annexe 8, pp. 81-83 (novembre 2013).

* 176 Laïcité et neutralité dans l'entreprise, guide pratique à destination des managers, RATP, p. 5.

* 177 Laïcité et neutralité dans l'entreprise, guide pratique à destination des managers, RATP, p. 6.

* 178 Laïcité et neutralité dans l'entreprise, guide pratique à destination des managers, RATP, p. 7.

* 179 Laïcité et neutralité dans l'entreprise, guide pratique à destination des managers, RATP, p. 15.

* 180 http://www.lefigaro.fr/actualite-france/2015/11/17/01016-20151117ARTFIG00183-la-ratp-confrontee-a-la-poussee-du-communautarisme-islamiste.php .

http://www.20minutes.fr/paris/1733667-20151119-paris-montee-discriminations-religieuses-contre-femmes-ratp-inquiete

* 181 http://www.lepoint.fr/societe/ratp-laicite-mode-d-emploi-28-03-2013-1647152_23.php

* 182 Laïcité et neutralité dans l'entreprise, guide pratique à destination des managers , RATP, p. 16.

* 183 Laïcité et neutralité dans l'entreprise, guide pratique à destination des managers , RATP, p. 34.

* 184 Les comportements mettant en l'égalité et la mixité ne semblent pas se limiter à l'entreprise privée et il est heureux que le prochain rapport de la commission « Laïcité et fonction publique », mise en place le 7 juin 2016 par la ministre de la fonction publique, puisse apporter des éléments sur cette question.

* 185 http://www.egale.eu/uploads/fichiers_PDF/Rapport%20Definitif%20HCI.pdf ; http://www.lefigaro.fr/assets/pdf/Avis.pdf

* 186 p. 3.

* 187 p. 3.

* 188 p. 12.

* 189 p. 5.

* 190 Selon le rapport, ce lieu de culte a été fermé en 2008 et le local, affecté à un usage de salle de réunion, a été attribué à une association selon une convention d'occupation signée en 2011.

* 191 Loi n°  2004-228 du 15 mars 2004 encadrant, en application du principe de laïcité, le port de signes ou de tenues manifestant une appartenance religieuse dans les écoles, collèges et lycées publics.

* 192 Faire revenir la République à l'école , n° 590, 2014-2015, tome II, p.82.

* 193 p. 14.

* 194 p. 19.

* 195 p. 20.

* 196 On peut aussi citer la charte des examens (licence-master) de l'Université Pierre et Marie Curie d'avril 2015 qui prévoit, s'agissant de l'accès aux salles d'examen et pour prévenir toute fraude (article 5), que la tenue des candidat-e-s « doit rendre possible l'identification de la personne et n'engendrer aucun doute sur son identification ; l'ovale du visage doit être systématiquement dégagé ; doit respecter les règles et nécessités liées à l'organisation et au déroulement des examens et concours ; doit rendre possibles les vérifications par le personnel de surveillance visant à s'assurer qu'aucun matériel ou appareil n'a été dissimulé, notamment au niveau des oreilles ». Ce texte prévoit aussi, à l'article 6 relatif aux conditions d'examen, que « Tout comportement consistant à refuser de se présenter à des épreuves orales ou écrites, arguant des considérations de sexe, de religion, politiques ou philosophiques, est prohibé ». On observe en revanche que d'autres chartes des examens, moins précises que l'exemple ci-dessus, se bornent à mentionner le contrôle de l'identité des candidat-e-s en vue de l'accès à la salle d'examen et de l'admission à composer et, s'agissant de la fraude, les sanctions disciplinaires éventuellement appliquées.

* 197 p. 10.

* 198 « L'école défiée par la religion », L'Obs, 4 février 2016, p. 31.

* 199 Faire revenir la République à l'école , n°  590, 2014-2015, tome I, p. 16.

* 200 « L'école défiée par la religion », L'Obs , 4 février 2016, p. 30.

* 201 « Paroles d'adolescents dévots », L'Obs , 4 février 2016, pp. 32-34.

* 202 « Paroles d'adolescents dévots », L'Obs, 4 février 2016, p. 32.

* 203 « L'école défiée par la religion », L'Obs, 4 février 2016, p. 31.

* 204 Ce rapport résulte d'une enquête entreprise à partir de 2003. Entre temps, a été adoptée la loi du 15 mars 2004 encadrant, en application du principe de laïcité, le port de signes ou de tenues manifestant une appartenance religieuse dans les écoles, collèges et lycées publics.

* 205 Faire revenir la République à l'École, n° 590, 2014-2015, tome I, p. 10.

* 206 Les signes d'appartenance religieuse dans les établissements scolaires, op. cit., p. 11.

* 207 Les signes d'appartenance religieuse dans les établissements scolaires, op. cit., p. 13.

* 208 Les signes d'appartenance religieuse dans les établissements scolaires, op. cit., p. 12.

* 209 Les signes d'appartenance religieuse dans les établissements scolaires, op. cit., p. 21.

* 210 Les signes d'appartenance religieuse dans les établissements scolaires, op. cit., p. 24.

* 211 Les signes d'appartenance religieuse dans les établissements scolaires, op. cit., p. 24.

* 212 Les signes d'appartenance religieuse dans les établissements scolaires, op. cit., p. 13.

* 213 Les signes d'appartenance religieuse dans les établissements scolaires, op. cit., p. 21.

* 214 « Une information et une éducation à la sexualité sont dispensées dans les écoles, les collèges et les lycées à raison d'au moins trois séances annuelles et par groupes d'âge homogène. Ces séances pourront associer les personnels contribuant à la mission de santé scolaire et des personnels des établissements mentionnés au premier alinéa de l'article L. 2212-4 du code de la santé publique ainsi que d'autres intervenants extérieurs conformément à l'article 9 du décret n° 85-924 du 30 août 1985 relatif aux établissements publics locaux d'enseignement. Des élèves formés par un organisme agréé par le ministère de la santé pourront également y être associés.

« Un cours d'apprentissage sur les premiers gestes de secours est délivré aux élèves de collège et de lycée, selon des modalités définies par décret. »

* 215 Les signes d'appartenance religieuse dans les établissements scolaires , op. cit., p. 27.

* 216 Les signes d'appartenance religieuse dans les établissements scolaires , op. cit., p. 30.

* 217 Voir Prostitution, la plus vieille violence du monde faite aux femmes , rapport de Brigitte Gonthier-Maurin au nom de la délégation aux droits des femmes, n° 590 (2014-2015), p. 251.

* 218 Faire revenir la République à l'école , Sénat, n° 590, 2014-2015, tome I, p. 46.

* 219 Faire revenir la République à l'école , Sénat, n° 590, 2014-2015, tome I, p. 46.

* 220 Faire revenir la République à l'école , Sénat, n° 590, 2014-2015, tome I, p. 50.

* 221 L'école défiée par la religion », L'Obs, 4 février 2016, p. 30.

* 222 Faire revenir la République à l'école , Sénat, n° 590, 2014-2015, tome I, p. 47.

* 223 Faire revenir la République à l'école , Sénat, n° 590, 2014-2015, tome I, p. 16.

* 224 Faire revenir la République à l'école , Sénat, n° 590, 2014-2015, tome I, p. 16.

* 225 Faire revenir la République à l'école , Sénat, n° 590, 2014-2015, tome I, p. 16.

* 226 Citée par le rapport précité Faire revenir la République à l'école , Sénat, n° 590, 2014-2015, tome I, p. 49.

* 227 Cité par le rapport précité Faire revenir la République à l'école , Sénat, n° 590, 2014-2015, tome I, p. 49.

* 228 Faire revenir la République à l'école , Sénat, n° 590, 2014-2015, tome II, p. 79.

* 229 Faire revenir la République à l'école , Sénat, n° 590, 2014-2015, tome I, p. 31.

* 230 « Être fille à l'école en France aujourd'hui », colloque La Laïcité : une force et un bouclier pour les femmes , 13 octobre 2014.

* 231 L'on trouve aussi sur ce site des publicités pour la nouvelle collection d'un site de vente en ligne de vêtements pudiques comprenant un jilbab imperméable (« bellepoursonmari.com ») et le récit de « cette nuit où j'ai décidé de porter le voile ».

* 232 Régis Debray, L'enseignement du fait religieux dans l'école laïque , nouvelle édition, Odile Jacob, 2015, p. 19.

* 233 O. Roy, op. cit., p. 209.

* 234 Rapport de Régis Debray, p. 9.

* 235 Rapport de Régis Debray, p. 17.

* 236 Faire revenir la République à l'école , Sénat, n° 590, 2014-2015, tome I, p. 96.

* 237 Massive open online course .

* 238 http://cache.media.eduscol.education.fr/file/EMC/25/6/Ress_emc_connaissance_republique_valeurs_516256.pdf

* 239 Encyclopédie Dalloz, Les collectivités territoriales - Les fonctionnaires territoriaux - chapitre 1, L'admissibilité aux emplois publics, section 3, Contrôle de l'égale admissibilité et de la non-discrimination par le juge administratif, Annie Fitte-Duval.

* 240 http://www.leparisien.fr/espace-premium/seine-et-marne-77/nadia-siegera-voilee-au-conseil-de-montereau- 29-03-2014-3719531.php

* 241 http://www.directmatin.fr/france/2016-02-24/le-port-du-voile-par-une-adjointe-au-maire-dargenteuil-fait-debat-723630

* 242 http://www.courrierdesmaires.fr/46456/une-conseillere-municipale-peut-elle-etre-voilee-lors-des-seances- du-conseil-municipal/

* 243 Selon le guide Laïcité et collectivités locales , publié en juillet 2015 par l'Observatoire de la laïcité, « il est recommandé aux représentants élus de la République, lorsqu'ils participent à titre officiel à des cérémonies religieuses, de ne pas témoigner, par leur comportement, d'une adhésion manifeste à un culte quel qu'il soit. Cette recommandation ne s'oppose pas à l'observation des marques de respect communément admises » (p. 5). Cette obligation ne concerne pas en revanche les cérémonies religieuses auxquelles des élu-e-s assistent à titre personnel.

* 244 La partie modifiée figure en gras dans le texte reproduit.

* 245 « Une mère voilée peut-elle participer à une sortie scolaire ? », 18 juin 2015, http://actu.dalloz-etudiant.fr/a-la-une/article/une-mere-voilee-peut-elle-participer-a-une-sortiescolaire/h/b064b0e803ad5a68a478b4400c2a93cd.html

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