C. L'AFFIRMATION DES POUVOIRS DES PRÉFETS

Autre évolution notable, les pouvoirs des préfets ont été complétés, dans le sens de davantage de coordination, de mutualisation et de modularité dans l'organisation des réseaux territoriaux.

Afin de favoriser une meilleure articulation entre les services de l'État et ceux des collectivités territoriales notamment, le préfet de département s'est vu confier, conjointement avec le président du conseil départemental, l'élaboration d'un schéma départemental d'amélioration de l'accessibilité des services au public (SDAASP), par la loi n° 2015-991 du 7 août 2015 portant nouvelle organisation territoriale de la République (article 98). Ce schéma, soumis pour avis au conseil régional et aux établissements publics de coopération intercommunale, fixe pour six ans un programme d'actions destiné à renforcer l'offre de services dans les zones déficitaires, et comprend un plan de mutualisation des services.

Plus encore, par deux instructions en date du 5 novembre 2015 et du 3 août 2016, les préfets ont acquis un rôle pivot dans les projets d'évolution des réseaux territoriaux de l'État et de ses opérateurs.

Ces instructions formalisent une « démarche permettant d'anticiper et de coordonner les modifications d'implantations territoriales des services de l'État et de ses opérateurs, et notamment les éventuelles fermetures de sites » .

À l'échelon national, les secrétaires généraux de chaque ministère présentent les projets d'évolution relevant de leur compétence devant la Conférence nationale de l'administration territoriale de l'État (CNATE), et communiquent ces projets aux préfets de région et de département, le Commissariat général à l'égalité des territoires (CGET) mettant des cartographies à la disposition de ce dernier.

À l'échelon local, le préfet de département analyse ces projets, réunit les services concernés et, le cas échéant, les opérateurs et élus locaux, et peut solliciter tout service ou opérateur pour lui demander d'accentuer la concertation locale ou d'ajuster son projet.

Le préfet de région, quant à lui, veille à la cohérence des projets avec les schémas départementaux d'amélioration de l'accessibilité des services au public (SDAAP) et réunit annuellement un comité de l'administration régionale (CAR) dédié aux réseaux territoriaux.

En accord avec le préfet de région, le préfet de département peut exercer un « droit d'alerte », par lequel il peut attirer l'attention et solliciter l'arbitrage du Premier ministre en cas de certaines fermetures non coordonnées de services dans une même localité.

Au total, et pour reprendre les propos de Denis Robin, secrétaire général du ministère de l'Intérieur, « l'administration préfectorale est en première ligne lorsqu'il y a des fermetures de services publics, même quand ces services publics ne relèvent pas directement du préfet » .

Plus généralement, les pouvoirs des préfets ont été confirmés ou affirmés en matière de mutualisation et d'adaptation des services.

La charte de la déconcentration de 2015 confirme le rôle des préfets en matière de mutualisation des services déconcentrés (article 13). Par ailleurs, elle ouvre la faculté pour le préfet de région de proposer de déroger aux décrets relatifs à l'organisation des services déconcentrés et à la répartition des missions entre ces services, afin notamment de tenir compte des spécificités locales (article 16).

Lors de son audition par vos rapporteurs, le secrétaire général du ministère de l'Intérieur a insisté sur le renforcement des pouvoirs des préfets à l'égard des opérateurs de l'État, permise par la charte précitée : « le Premier ministre a souhaité donner un "droit de regard" au préfet sur les évolutions prévues par les opérateurs de l'État. Cela s'est traduit par la charte de la déconcentration, qui lui confère un pouvoir très clair et très précis sur ce point. »

Peuvent ainsi être relevées certaines dispositions, plus ou moins novatrices, de la charte de la déconcentration. Cette charte pose ainsi le principe de « l'action coordonnée de l'ensemble des services déconcentrés et des services territoriaux des établissements publics de l'État » (article 1). Par ailleurs, les préfets peuvent être désignés comme délégués territoriaux des établissements publics de l'État ; à défaut, ils disposent d'un pouvoir d'avis sur la désignation et l'évaluation des représentants territoriaux de ces établissements. Enfin, ces d'établissements sont représentés, à leur demande ou à la demande des préfets, aux instances de collégialité, voient leurs actions intégrées aux documents stratégiques de l'État, et peuvent participer à des mutualisations avec les services déconcentrés (articles 13 et 15).

Vos rapporteurs jugent positive l'affirmation des pouvoirs des préfets qui, disposant d'un « droit d'alerte » lors de fermetures de sites, d'un « droit de regard » à l'égard de certains opérateurs de l'État, et plus généralement de pouvoirs en matière de mutualisation et d'adaptation des services, peuvent concourir au maintien des réseaux territoriaux.

Ils soulignent en particulier l'intérêt des schémas départementaux d'amélioration de l'accessibilité des services au public (SDAASP), qui leur a été rappelé par la quasi-totalité des élus locaux auditionnés par eux. Ces schémas sont un support utile à la co-construction d'un diagnostic et d'un programme d'actions partagés dans les territoires.

Vos rapporteurs rappellent également que les élus locaux sont très préoccupés par les fermetures successives ou simultanées des services publics sur un même territoire, consécutivement aux réformes conduites isolément ces dernières années selon une « logique des silos » .

Faute d'une coordination suffisante au sein de l'État et de ses opérateurs, certaines communes, et notamment les plus rurales, ont subi une concentration inédite de fermetures, qui a pu affaiblir la présence de l'État dans ces territoires, et déstructurer le tissu économique.

Au cours de son audition par vos rapporteurs, Alain Lambert, président du conseil départemental de l'Orne et président du Conseil national d'évaluation des normes (CNEN), est revenu sur les conséquences de ces fermetures en série : « Je constate un effet de cascade qu'alimente la fermeture de services de l'État. Lorsqu'un territoire est touché, généralement d'autres services utilisent cet effet d'aubaine pour justifier des fermetures en série. Ce type de fermetures détricote indirectement le tissu économique local. Les acteurs économiques, ou leurs institutions, suivent. »

Ce constat est corroboré par les élus locaux ayant participé à la consultation.

Il a déjà été indiqué que 61,7% des répondants ont affirmé avoir été touchés par au moins une réforme des implantations territoriales de l'État.

En complément, rappelons que les deux réformes dont l'impact a été jugé le plus important sont celles des gendarmeries (25,5%) et des services déconcentrés régionaux (22,7%) , suivies de celles des hôpitaux (13,4%), des écoles (13,1%), des sous-préfectures (11,5%), des tribunaux (5,2%), et des sites de défense (3,8%).

Quoiqu'indirect, dans 52,8% des cas, cet impact a été jugé négatif ou très négatif par les élus locaux en termes d'accès aux services publics pour leurs concitoyens (75,8%), de potentiel économique pour leurs communes ou établissements (52%), et dans le travail quotidien de leurs agents (47,2%).

Dans ce contexte, il est impératif que soit poursuivie et intensifiée, sous l'autorité des préfets et en association avec les élus locaux, une stratégie coordonnée dans le cas des évolutions des réseaux territoriaux.

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