QUATRIÈME PARTIE : UNE CRISE QUI N'EN FINIT PAS DE FINIR

Au terme d'une petite dizaine d'années de crises, après onze G20, des interventions financières massives des États et des banques centrales, de multiples réformes du système financier, on s'interroge toujours sur le niveau de probabilité d'une nouvelle crise financière systémique, étant entendu que personne, même les responsables financiers, optimistes par fonction, ne se risque à assurer qu'il est nul.

Toute crise systémique étant le produit, à des doses variables, d'un système financier dangereux et d'interventions publiques inadaptées dont les effets viennent aggraver un contexte économique et sociopolitique déprimé, avant de tenter une réponse de conclusion et afin de l'étayer, on tentera d'abord d'évaluer l'évolution de la dangerosité du système financier au terme de ces dix années de réformes avant d'envisager le contexte économique, social et politique dans lequel il se déploie.

I. LA MACHINE À CRISES FINANCIÈRES EST TOUJOURS LÀ

Deux éléments de diagnostic :

« La finance mondiale est devenue une énorme centrale nucléaire bâtie en dehors de toutes normes de sécurité. Pour au moins trois raisons : l'interconnexion des opérations, la masse des capitaux,
la dangerosité du combustible.
»
Jean-Michel Naulot 131 ( * ) .

« Les gouvernements ont démissionné face aux marchés financiers. »
Jacques de Larosière 132 ( * ) .

Pourtant, le G20 de Cannes en 2011 avait annoncé 133 ( * ) , s'agissant des établissements financiers d'importance systémique mondiale, de sérieuses réformes : « Ces établissements seront soumis à une supervision renforcée, à une nouvelle norme internationale pour les régimes de résolution et, à partir de 2016, à des ratios de fonds propres plus élevés. Nous ne tolérerons pas un retour des comportements observés dans le secteur financier avant la crise, et nous contrôlerons étroitement la mise en oeuvre de nos engagements concernant les banques, les marchés dérivés de gré à gré et les pratiques de rémunération. »

Autre souci du G20 alors, faire « face aux risques posés par les transactions à haute fréquence et la liquidité opaque » 134 ( * ) , domaines dans lesquels, compte tenu du coût des équipements techniques et des qualités exigées des traders , de leur opacité, excellent les très grands établissements.

Malgré ces déclarations martiales, la machine à crises financières est toujours là. Tout simplement parce que penser supprimer les inconvénients du système financier en le conservant est aussi vain que d'espérer supprimer la face cachée de la lune.

La liquidité est toujours plus abondante, la spéculation aussi active et le système toujours aussi fragile, voire plus. Force est même de constater que le remède administré au malade a entretenu, sinon aggravé, la maladie.

A. LES FACTEURS DE CRISES FINANCIÈRES

1. Les crises : quelques rappels

• Le carburant des crises, c'est l'abondance de liquidités (de capitaux) qui stimule la spéculation, donc les prises de risques et donc la mise en circulation de créances douteuses. Dans un premier temps, dopée par la montée des prix (des valeurs immobilières, des actions, des obligations, des titres, des garanties, etc.), tout va bien. Puis le doute s'installe et l'édifice s'écroule. Les spéculateurs à crédit ne peuvent rembourser leurs emprunts, les banques récupérer leurs mises, leurs créances étant devenus non vendables. La suite, on la connaît.

• La possibilité pour les banques de mobiliser les dépôts qui leur sont confiés pour spéculer à crédit est un puissant facteur de risque.

• Moins les banques sont résilientes , plus les risques de crise sont grands. La résilience des banques dépend d'abord de l'importance du ratio entre leurs fonds propres et leur niveau d'endettement (emprunts pour équilibrer leur passif), de la volatilité de ce passif (emprunts à plus ou moins long terme), de l'importance et surtout de la qualité de leurs actifs . Ce qui signifie que, plus ceux-ci rapportent, plus il y a de chances qu'ils soient risqués.

• Le but de la régulation est prioritairement d'édicter des normes prudentielles et de contrôler leur mise en oeuvre, de contrôler la qualité des produits financiers mis en circulation, d'organiser le renflouement des établissements en difficulté ou leur « résolution ».

2. Les crises systémiques

Jusqu'à 2008, toutes les crises financières sont restées limitées à un secteur d'activité et un secteur géographique limités.

La crise de 2008, comme celle de 1929, est une crise financière systémique en ce qu'elle est mondiale et touche l'ensemble du système financier (banques, marchés, assurances, etc.). Cette contamination de l'ensemble du système a été rendue possible par l'élargissement du champ d'intervention ( mondialisation, banques universelles ) des établissements bancaires, leurs interconnexions multiples , l'enchevêtrement des garanties et contre-garanties qu'elles s'accordent entre elles, ce qui fait que quand l'une est touchée, les autres le sont aussi, du fait de la dématérialisation complète des échanges qui ont crû de manière exponentielle et de l'opacité en résultant. Le moindre soupçon de défiance peut avoir des effets catastrophiques.

Du système financier, la coagulation de la circulation monétaire se propage alors à l'économie tout entière.


* 131 Crise financière. Pourquoi les gouvernements ne font rien. - Seuil - 2013. Et audition du 26 novembre 2015.

* 132 Les Échos - 10 juin 2016.

* 133 Déclaration finale du G20 - 4 novembre 2011.

* 134 Ibid.

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