B. AMÉLIORER ENCORE LA PROCÉDURE LÉGISLATIVE
Outre les propositions de réforme qu'ils formulent concernant le mode d'élaboration des textes avant leur examen au Parlement, vos rapporteurs jugent nécessaire d'approfondir la réflexion sur les modalités de leur examen parlementaire. A l'occasion de la prochaine législature, ils proposent d'envisager d'aller plus loin dans la réforme de la procédure législative, dans le but d'améliorer la loi applicable aux entreprises. Ainsi ils estiment que les pistes suivantes mériteraient d'être explorées et affinées en concertation avec l'ensemble des commissions permanentes du Parlement.
1. Organiser un débat d'orientation préalable
Soucieux de mieux associer les parlementaires à l'élaboration de l'étude d'impact en amont du processus législatif, vos rapporteurs proposent d'organiser une forme de pré-débat législatif, qui pourrait reposer sur un premier canevas d'étude d'impact ou une fiche d'orientation fournie par le Gouvernement afin de discuter des grandes orientations du texte et d'envisager les options alternatives. Pour avoir du sens, ce débat devrait intervenir deux ou trois mois avant le dépôt du projet de loi devant le Parlement, et en tout état de cause avant l'examen des articles en commission.
En janvier 2015, l'Assemblée nationale a pris l'initiative d'expérimenter un tel débat en amont du projet de loi pour une République numérique. Même s'il n'est pas sûr que le Gouvernement ait transmis une première version d'étude d'impact en amont du débat, ce dernier a permis aux parlementaires de participer, par leurs prises de positions, à la détermination des grandes orientations du texte. Au Royaume-Uni, un tel débat sur le principe-même de la loi est prévu en plénière dans la procédure parlementaire de la Chambre des communes.
L'étude d'impact peut à cette occasion devenir un outil d'association plus étroite du Parlement aux travaux du Gouvernement en amont de l'examen des projets de loi.
Votre délégation suggère donc de débuter l'examen d'un texte au Parlement par un débat d'orientation préalable portant sur l'étude de son impact, ses grands objectifs et, s'il a déjà été rendu public, sur l'avis de l'instance indépendante de contre-expertise sur cette étude d'impact.
Il pourrait venir en remplacement de la discussion générale en séance ; toutefois, cela nécessiterait une modification des articles 42 et 43 de la Constitution , comme l'a indiqué le Conseil Constitutionnel en 2009 dans sa décision 186 ( * ) par laquelle il censurait l'initiative qu'avait prise le Sénat de modifier son règlement, après la révision constitutionnelle de 2008, pour permettre l'organisation d'un débat d'orientation en séance publique sur un projet ou une proposition de loi.
À défaut, un tel débat pourrait être prévu en commission en amont de l'examen du projet de loi proprement dit, afin de discuter systématiquement la qualité des études d'impact accompagnant les textes législatifs . Le rapporteur au fond devrait ainsi présenter son analyse de l'étude d'impact devant la commission. Une modification du règlement des assemblées en ce sens pourrait s'envisager. Elle a d'ailleurs été proposée par la mission d'information sur la simplification législative de l'Assemblée nationale en octobre 2014.
Proposition n° 22 : associer le Parlement à l'élaboration de l'étude d'impact d'un projet de loi et au contrôle de la qualité de cette étude, en organisant systématiquement un débat d'orientation préalable avant d'entamer l'examen en commission des articles du texte |
2. Endiguer le gonflement des textes au cours de leur examen parlementaire
Le gonflement des projets de loi au cours de la navette est un phénomène qui va en s'accentuant. Il appelle à s'interroger sur le mode de valorisation courante des parlementaires en fonction du nombre de textes et d'amendements qu'ils déposent et sur les modalités d'exercice du droit d'amendement 187 ( * ) .
Sous l'impulsion de son Président, le Sénat a d'ores et déjà renforcé le contrôle des irrecevabilités de nature constitutionnelle au titre des articles 41 et 45 (respect du domaine de la loi, interdiction des cavaliers législatifs -c'est-à-dire des amendements dépourvus de tout lien avec l'objet du texte initialement déposé-, règle dite de l'entonnoir qui interdit l'introduction de dispositions nouvelles dès la deuxième lecture). Votre délégation suggère d'aller plus loin encore que les progrès déjà constatés en étudiant des propositions supplémentaires.
Un premier moyen d'éviter la multiplication d'amendements serait de mieux associer les parlementaires en amont à l'élaboration des textes . Veiller à assurer un débat riche en commission, en présence du Gouvernement , contribuerait également à approfondir le dialogue entre Gouvernement et parlementaires et à éviter un redépôt quasi-systématique des amendements de commission en séance 188 ( * ) .
Il arrive trop souvent qu'au cours de l'examen parlementaire, le Gouvernement dépose des amendements pouvant faire plusieurs pages, que le Parlement ne peut expertiser vu les délais et qu'il est conduit à adopter à l'aveugle. Vos rapporteurs proposent donc de réfléchir à l'opportunité de revoir la loi organique du 15 avril 2009 en soumettant éventuellement le dépôt d'amendement par le Gouvernement à un délai limite 189 ( * ) , tout en sauvegardant une faculté, pour le président de la Commission au fond, de déclarer recevables des amendements du Gouvernement hors délai, essentiels pour la cohérence du texte. Ceci permettrait d'écarter l'ajout de dispositions substantielles in extremis et d'améliorer la qualité des discussions en commission ou en séance, mais contribuerait aussi à empêcher les ministères de faire adopter des dispositions mal préparées ou n'ayant fait l'objet d'aucune concertation, ne serait-ce qu'entre ministères. L'introduction d'un tel délai-limite ne ferait qu'encadrer dans le temps le droit d'amendement du Gouvernement sur les projets de loi examinés au Parlement, droit qui, d'ailleurs, n'existe pas dans plusieurs pays européens 190 ( * ) .
La réflexion pourrait conduire à envisager les moyens d'éviter que le Gouvernement n'utilise son droit d'amendement pour échapper aux obligations d'étude d'impact et de saisine du Conseil d'État , soit en raison d'un défaut de préparation, soit délibérément. Le rapport du Club des juristes Sécurité juridique et initiative économique , déjà cité, suggère de mettre en place des moyens de contrôle de l'instrumentalisation de son droit d'amendement par le Gouvernement. Il propose à cette fin d'autoriser un ou plusieurs parlementaires à saisir la Conférence des présidents de leur assemblée pour qu'elle constate cette forme de détournement de procédure. Si cette démarche n'interdirait pas l'examen de l'amendement gouvernemental en question, elle pourrait constituer une base formelle sur laquelle le Conseil Constitutionnel pourrait s'appuyer pour exercer son contrôle. L'acceptabilité d'un tel aménagement de la loi organique de 2009 pourrait être mise en débat.
Enfin, vos rapporteurs appellent à considérer l'hypothèse d'un aménagement de l'article 40 de la Constitution , qui rend irrecevable tout amendement créant une nouvelle dépense publique -même compensée par une augmentation de recettes ou la diminution d'une autre dépense-. La remise en cause de cet article, alors soutenue par les présidents des deux commissions des finances du Parlement, MM. Jean Arthuis et Didier Migaud, avait déjà prêté à débat pour finalement être écartée dans la révision constitutionnelle de 2008. Dans le cadre d'un développement de l'évaluation préalable, il n'est pas sans intérêt d'y revenir : non seulement l'efficacité de cet article 40 apparaît douteuse au regard de l'état de nos finances publiques, mais l'interdiction qu'il pose ne permet pas de responsabiliser les parlementaires en les rendant attentifs à la dépense publique. Sans plaider pour son abrogation, vos rapporteurs s'interrogent sur l'opportunité qu'il y aurait à l'aménager pour que l'irrecevabilité ne puisse être opposée à un amendement, dès lors qu'il serait assorti d'une évaluation sérieuse et chiffrée de son impact sur les charges publiques, ainsi que sur les entreprises et l'emploi. Ceci ne restreindrait pas le droit d'amendement mais aurait pour vertu d'accompagner la diffusion d'une culture de l'évaluation.
Proposition n° 23 : promouvoir un nouveau regard sur l'activité des parlementaires, qui ne se réduise pas à leur classement en fonction de la quantité de textes ou d'amendements déposés Proposition n° 24 : ouvrir une réflexion collective sur les moyens d'améliorer la procédure parlementaire, afin d'endiguer le gonflement des projets de loi du fait des amendements adoptés au Parlement |
3. Installer une culture de l'évaluation préalable au Parlement
Les nouvelles exigences posées par votre délégation sur les études d'impact produites par le Gouvernement soulèvent la question de l'évaluation opérée par le Parlement lui-même.
Concernant les amendements , les contraintes de la procédure législative rendent irréaliste d'imposer à leurs auteurs l'évaluation de leur impact. Pourtant, des amendements de dernière minute peuvent avoir une incidence considérable sur un texte et dénaturer sa version initiale.
C'est la raison pour laquelle, dans le prolongement de la révision constitutionnelle de 2008 et conformément à l'article 15 191 ( * ) de la loi organique de 2009, l'Assemblée nationale a introduit dans son Règlement 192 ( * ) la possibilité de soumettre un amendement à évaluation préalable , à la demande du rapporteur ou du président de la commission saisie au fond si l'amendement émane de la commission, à la demande de l'auteur de l'amendement et avec l'accord du président de la commission saisie au fond, si l'amendement est déposé par un député. Il a confié cette évaluation préalable au Comité d'évaluation et de contrôle des politiques publiques (CEC), mais, selon les dernières informations publiées par l'Assemblée nationale à ce sujet 193 ( * ) , aucune saisine du CEC n'est intervenue depuis lors. En tout état de cause, le CEC ne dispose sans doute pas du temps et des moyens suffisants pour réaliser de telles études d'impact.
L'évaluation des amendements substantiels commence, depuis 2012, à se faire au Parlement européen, mais elle reste rare et n'est rendue possible que par les moyens d'évaluation importants dont s'est doté ce parlement (cf. supra ) et par la spécificité du processus législatif européen, qui laisse souvent s'écouler plusieurs mois entre l'examen du texte en commission et celui en séance. Aux Pays-Bas, le président d'ACTAL a aussi indiqué à vos rapporteurs qu'il leur arrivait de donner en quelques jours un avis sur l'impact d'amendements substantiels, mais peu fréquemment.
Les contraintes temporelles de la procédure parlementaire française ne permettent pas de reproduire ces exemples. La mission d'information de l'Assemblée nationale sur l'inflation législative a préconisé de permettre au président de la commission au fond d'exiger la réalisation d'une étude d'impact sur les amendements jugés substantiels par cette commission. Cette solution, qui exigerait de modifier la loi organique de 2009, paraît néanmoins se heurter encore aux mêmes difficultés d'effectivité, vu le très court délai qui sépare le dépôt des amendements de leur examen en commission comme en séance publique.
C'est pourquoi vos rapporteurs ont accueilli avec intérêt la suggestion que leur a faite M. Bertrand-Léo Combrade de prévoir l'obligation, pour le Gouvernement, de mettre à jour l'étude d'impact du projet de loi après sa première lecture dans chacune des chambres. La responsabilité de cette mise à jour reviendrait au ministère porteur du texte. Serait ainsi intégrée dans l'étude d'impact l'incidence des amendements adoptés en première lecture par une chambre avant que le texte ne soit examiné par l'autre, au regard de l'étude d'impact ainsi actualisée. Selon M. Combrade, une modification de la loi organique de 2009 ne suffirait pas à introduire cette obligation, dans la mesure où la loi organique prévue par l'article 39 alinéa 3 de la Constitution n'encadre que la « présentation des projets de loi », mais non leur transmission devant l'autre chambre. Il soutient donc la nécessité d'une révision constitutionnelle, pour compléter l'article 45 de la Constitution d'un alinéa prévoyant que les documents rendant compte de l'étude d'impact du projet de loi font l'objet d'une mise à jour, le cas échéant dans les conditions fixées par une loi organique.
Il est déjà arrivé -rarement- que des modifications apportées à un projet de loi donnent lieu à la présentation d'une étude d'impact complémentaire, témoignant ainsi de l'acclimatation progressive du Gouvernement et du Parlement à cette possible réforme.
Proposition n° 25 : envisager l'obligation, pour le Gouvernement, d'actualiser l'étude impact du projet de loi après la première lecture du texte dans chaque chambre |
Si le Parlement n'est pas en mesure d'évaluer l'impact des amendements examinés tant que les délais imposés par la procédure parlementaire restent très contraints, il pourrait en revanche s'organiser pour évaluer les propositions de loi inscrites à l'ordre du jour 194 ( * ) .
À cette fin, il aurait intérêt à varier le recrutement de son administration afin d'y intégrer quelques profils d'économistes et de statisticiens . Sans prétendre reproduire la démarche ambitieuse du Parlement européen qui tend à se donner des moyens autonomes d'évaluation concurrents de ceux de la Commission européenne, les assemblées devraient au moins pouvoir s'appuyer sur les compétences de quelques experts de ce type, capables ensuite de faire appel à un réseau d'universitaires pour analyser l'avis du Conseil de la simplification pour les entreprises sur la qualité des études d'impact et pour faire réaliser -en externe- l'étude d'impact des propositions de loi à l'ordre du jour. Cette étude d'impact pourrait figurer dans le rapport de la commission saisie de la proposition de loi. Cette disposition serait de nature à valoriser les propositions de loi des parlementaires.
* 186 Décision n° 2009-582 DC du 25 juin 2009.
* 187 À cet égard, il est frappant de voir qu'en Allemagne, notamment, les parlementaires ne sont pas jugés sur le nombre d'amendements qu'ils ont soutenus.
* 188 Au Royaume-Uni, un amendement rejeté en commission ne peut être redéposé en séance publique.
* 189 Le délai-limite de dépôt n'est aujourd'hui opposable qu'aux amendements d'origine parlementaire.
* 190 Notamment en Allemagne, en Allemagne et aux Pays-Bas.
* 191 « Les règlements des assemblées peuvent déterminer les conditions dans lesquelles des amendements des membres du Parlement, à la demande de leur auteur, ou des amendements de la commission saisie au fond peuvent faire l'objet d'une évaluation préalable communiquée à l'assemblée avant leur discussion en séance. »
* 192 Article 98-1.
* 193 Dans le rapport déjà cité de la mission d'information sur l'inflation législative, paru en octobre 2014, p. 95.
* 194 En vertu de l'article 39 alinéa 5 de la Constitution, « le président d'une assemblée peut soumettre pour avis au Conseil d'État, avant son examen en commission, une proposition de loi déposée par l'un des membres de cette assemblée, sauf si ce dernier s'y oppose ». Cette disposition est restée quasiment lettre morte.