POUR UNE FRANCOPHONIE DE LA SOCIÉTÉ CIVILE

III. POUR UNE FRANCOPHONIE DE LA SOCIÉTÉ CIVILE

« La langue, une affaire d'État », écrivait notre collègue sénateur Jacques Legendre dans son rapport de 2005 sur la loi dite Toubon 101 ( * ) .

Le statut de la langue française (notamment sa diffusion et son emploi, contre les langues régionales) comme son corpus (notamment la codification de sa forme) ont été fortement marqués par l'État. La langue française a indéniablement été l'un des instruments de la construction de l'État, monarchique puis républicain.

Mais sans négliger l'apport indispensable de l'État (et aussi de l'OIF) dans la construction et la mise en place d'une politique linguistique, vos co-rapporteurs plaident également pour donner un rôle accru à la société civile, qui a la clé de l'appropriation et du développement de la langue. En l'occurrence, le rôle des associations est majeur et doit être reconnu et soutenu.

Ø Proposition n° 22 : Soutenir le secteur associatif francophone.

A. UNE FRANCOPHONIE TOURNÉE VERS LA JEUNESSE

En 2050, 90 % des jeunes francophones âgés de 15 à 29 ans seront africains.

1. Les jeunes francophones

Face au succès du programme européen ERASMUS dont on fête cette année les 20 ans, l'idée de créer un « ERASMUS francophone » ressurgit régulièrement. Il s'agirait d'un programme d'échanges d'étudiants francophones en mobilité internationale.

C'est ainsi que Jacques Attali préconisait « sur le modèle d'Erasmus, (de) créer des partenariats universitaires ambitieux avec des zones extra-européennes dans lesquelles la France souffre d'un certain déficit de rayonnement, sans remettre en cause la priorité à la consolidation du monde francophone » 102 ( * ) . Notre collègue député Pouria Amirshahi évoquait quant à lui la nécessité de « mettre sur pied un programme de mobilité étudiante francophone de type Erasmus » 103 ( * ) .

Vos co-rapporteurs sont favorables à une telle initiative.

Ø Proposition n° 23 : Engager une réflexion sur la création d'un « ERASMUS francophone », porté par l'OIF.

De façon peut-être plus modeste, vos co-rapporteurs appellent aussi de leurs voeux la création d'un office francophone de la jeunesse, sur le modèle des offices franco-allemand et franco-québécois de la jeunesse 104 ( * ) . Cette structure pourrait être portée et animée par l'OIF, dans l'optique d'un renforcement de ses actions à visée linguistique. Cet office francophone de la jeunesse s'adresserait prioritairement aux jeunes professionnels francophones, afin de créer des liens entre jeunesses francophones.

Ø Proposition n° 24 : Créer un office francophone de la jeunesse porté par l'OIF.

Aujourd'hui quelques 206 000 des 330 000 lycéens scolarisés dans l'enseignement français à l'étranger sont étrangers (soit 62 %). Il s'agit bien souvent d'élèves issus des élites locales, qui seront plus tard des décideurs dans leur pays ou ailleurs. Mais, de plus en plus souvent, ces lycéens se tournent, une fois le diplôme en poche, vers des universités anglo-saxonnes. Selon l'UNESCO 105 ( * ) , les étudiants francophones représentent 10,5 % des étudiants mondiaux en mobilité d'études ; 50,8 % d'entre eux choisissent d'étudier dans un pays de langue française, 31,7 % dans un pays de langue anglaise.

Il semble pourtant indispensable à vos co-rapporteurs de capitaliser sur ce réseau extraordinaire issu des lycées français de l'étranger au profit des universités francophones. Le Maroc constitue à cet égard une plate-forme francophone intéressante, attirant dans son système d'enseignement supérieur un nombre croissant d'étudiants d'Afrique sub-saharienne.

La poursuite d'études de qualité est aussi souvent un facteur cité par les « apprenants-français » pour justifier du choix d'apprendre notre langue. L'existence d'accords inter-universitaires pérennes et actifs est donc fondamentale et le récent colloque 106 ( * ) organisé par notre commission sur les relations France-Maroc a été l'occasion de le rappeler. Ces accords permettent bien entendu à des étudiants étrangers de venir étudier en France mais aussi, et de plus en plus, à des étudiants français d'obtenir le diplôme d'un établissement d'enseignement supérieur francophone non français. Le rôle de l'Agence universitaire francophone (AUF) 107 ( * ) y est majeur.

Vos co-rapporteurs soulignent aussi l'apport des implantations croisées d'établissements (comme par exemple la présence de l'Université de Paris-Dauphine, de l'École centrale, ou encore de l'ESSEC au Maroc). Il s'agit le plus souvent non pas de simples « délocalisations » d'établissements mais de la création de nouveaux établissements, sous la marque du groupe promoteur.

Enfin, à l'heure de la révolution numérique, nous avons tous intérêt à mutualiser nos plates-formes numériques d'enseignement supérieur comme le fait déjà France Université Numérique (FUN) avec le Maroc.

Un partenariat numérique dans l'enseignement supérieur entre la France et le Maroc

Le 15 juillet 2016, un accord a été signé entre M. Lahcen Daoudi, Ministre de l'Enseignement Supérieur, de la Recherche Scientifique et de la Formation des Cadres du Royaume du Maroc, M. Jean-François Girault, Ambassadeur de France au Maroc, et Mme Catherine Mongenet, directrice du GIP FUN-MOOC, pour la création d'une plateforme marocaine de MOOC en « marque blanche » déployée par FUN. Des présidents d'universités marocaines étaient présents à cet évènement.

Les universités marocaines pourront ainsi disposer de toutes les fonctionnalités de la plateforme FUN sur une plateforme indépendante aux couleurs du Maroc. C'est le principe de la « marque blanche ».

Concrètement, cet accord vise un triple objectif :

- Permettre aux universités marocaines, disposant déjà sur leurs propres sites de MOOC ( Massive Online Open Courses ) ou de formations en ligne pour leurs étudiants, de mutualiser leurs ressources sur une seule plateforme ouverte à tous et suffisamment robuste pour accueillir des milliers d'utilisateurs en même temps.

- Renforcer les partenariats dans le domaine des MOOC et des SPOC ( Small Private Open Courses ) avec les universités françaises pour développer des formations en ligne co-construites avec les universités marocaines ou encore pour contextualiser, pour un public marocain ou de la région, des MOOC existants sur FUN.

- Développer, grâce à cette plateforme « Maroc », une offre de formation en direction des étudiants francophones africains de la région et renforcer par ce biais les synergies entre universités africaines, marocaines et françaises.

La création de la plateforme Maroc intervient dans un contexte de forte augmentation du nombre d'étudiants au Maroc et dans la région. Elle permettra à ces derniers de disposer d'un outil supplémentaire pour suivre des formations supérieures ou pour enrichir leurs connaissances. Rappelons que 17% des inscrits sur FUN sont africains et que le Maroc est le premier pays d'origine des apprenants en Afrique.

Cet accord ouvre la voie au développement de MOOC par les universités marocaines en partenariat avec la France. Il vient compléter le dispositif mis en place par l'Agence universitaire de la francophonie (AUF), avec la plateforme IDNEUF pour le référencement de ressources éducatives libres en ligne.

La plateforme Maroc est la première plateforme nationale créée en partenariat avec FUN.

Source : https://www.fun-mooc.fr/news/

S'agissant des étudiants étrangers non francophones 108 ( * ) , nous avons également tout intérêt à les accueillir favorablement au sein de notre système d'enseignement supérieur et en faire sinon des francophones, du moins des francophiles à l'issue de leur séjour d'études.

La loi dite Fioraso de 2013 109 ( * ) a été l'occasion d'âpres débats sur la francophonie. Son article 2 autorise désormais de déroger au principe selon lequel la langue d'enseignement est le français. Ces exceptions doivent être justifiées :

- « par les nécessités de l'enseignement des langues et cultures régionales ou étrangères » ;

- « lorsque les enseignants sont des professeurs associés ou invités étrangers » ;

- « par des nécessités pédagogiques (lorsque les enseignements sont dispensés dans le cadre d'un accord avec une institution étrangère ou internationale) » ;

- « ou par le développement de cursus et diplômes transfrontaliers multilingues ».

Pour le bon équilibre du dispositif :

- les étudiants étrangers bénéficiant de formations en langue étrangère doivent suivre un enseignement de langue française lorsqu'ils ne justifient pas d'une connaissance suffisante de notre langue ;

- et à l'inverse, les enseignements proposés doivent permettre aux étudiants francophones d'acquérir la maîtrise de la langue d'enseignement dans laquelle ces cours sont dispensés.

Le rapport au Parlement sur l'emploi de la langue française de 2016 dresse un premier bilan de l'utilisation de ce régime d'exceptions, à l'occasion de la première vague d'accréditation des établissements. Il ressort de ses observations que « les formations restent très largement données en français ». « Les exceptions sont justifiées par les accords internationaux conclus par les établissements et par la volonté de mieux armer les étudiants français dans la compétition internationale, en particulier dans certains secteurs disciplinaires ».

Vos co-rapporteurs estiment que ce dispositif est équilibré et qu'il ne met pas en danger l'enseignement en français.

Ces enseignements en langue étrangère apportent beaucoup aux étudiants qui en bénéficient. Ils ne doivent pas conduire notre enseignement supérieur à perdre sa spécificité francophone qui est l'un de ses atouts, qui permet d'offrir des formations de haut niveau à des étudiants étrangers francophones et qui conforte le français dans son rôle de « langue d'accès à la modernité » ainsi que le disait devant votre groupe de travail notre collègue sénateur Jacques Legendre 110 ( * ) .

À condition toutefois que les cours de français prévus en contrepartie soient effectivement dispensés, cette disposition doit donc être maintenue dans notre droit. Plus qu'une atteinte à la francophonie, elle constitue un utile instrument de déploiement de la francophonie et permet d'attirer de nouveaux « apprenants-français ».

Ø Proposition n° 25 : Maintenir l'équilibre des dispositions législatives relatives aux cours en langues étrangères dans nos établissements d'enseignement supérieur.

2. Priorité aux médias

Dans les instances institutionnelles, on a souvent oublié la langue au profit du politique. Or il faut réinvestir la langue, faire le lien entre des espaces francophones qui se connaissent encore trop peu et donner progressivement « envie de français ». Comme l'a indiqué Francis Balle, professeur d'université, à votre groupe de travail 111 ( * ) , la francophonie est aujourd'hui une réalité linguistique mais ni véritablement économique, ni véritablement politique et pas non plus culturelle.

L'espace médiatique francophone est aujourd'hui très fragmenté et encore loin de constituer une véritable communauté médiatique francophone.

a) De l'importance des « contenants »

Le célèbre professeur et sociologue canadien Marshall McLuhan a démontré, dès 1964, l'importance des médias : les moyens de communication ne sont pas un simple moyen de transmission d'une culture ; ils influent aussi sur cette culture et la transforment. Comme la télévision à l'époque de McLuhan, la révolution numérique joue un rôle central dans la diffusion de notre langue, son rayonnement, son attractivité pour les francophones et les non encore francophones.

La supériorité d'une langue sur ses consoeurs est essentiellement symbolique. L'anglais tire sa prédominance en partie de son image de langue moderne et efficace. En investissant les médias les plus modernes, la langue française peut asseoir son image de langue de la modernité, des médias, de la culture et de la créativité. En un mot : faire de notre langue, un « objet de désir ».

Il est aujourd'hui indispensable que la promotion de la langue française passe par les moyens de télécommunication modernes et que des contenus francophones y soient diffusés en quantité et qualité suffisantes en direction des « parlants-français » 112 ( * ) , mais aussi de ceux auxquels nous pourrions « donner envie de français ». C'est ce à quoi nous invitait notre collègue député Yves Tavernier en 2000 lorsqu'il nous enjoignait d' « accorder une attention particulière à la communication (télévision, cinéma, internet) » 113 ( * ) . Notre autre collègue député Pouria Amirshahi propose également de « soutenir les médias francophones qui installent un « bain francophone » quotidien, particulièrement TV5 Monde et RFI 114 ( * ) » 115 ( * ) .

On rappellera que 116 ( * ) :

- TV5 Monde compte plus 55 millions de téléspectateurs chaque semaine dans 200 pays couverts et 12 langues sous-titrées ;

- RFI compte 40 millions d'auditeurs chaque semaine dans 62 pays et 12 langues de traduction ;

- France 24 est passée de 206 millions de foyers en 2012 à plus de 315 millions de foyers qui reçoivent au moins l'une de ses trois versions, auxquels s'ajoutent plus de 103 millions de foyers en diffusion partielle ; elle est regardée par 50,9 millions de téléspectateurs chaque semaine.

Vos co-rapporteurs saluent à ce titre le lancement par TV5 Monde d'une chaîne ludo-éducative en français pour les 4-10 ans en Afrique avec un objectif d'« africanisation » des contenus.

L'action en Afrique pour la diffusion de contenus francophones de groupes comme Orange 117 ( * ) ou Vivendi 118 ( * ) , entendus par votre groupe de travail, va également dans le bon sens pour la francophonie.

b) Sans négliger le « contenu »

À l'heure de la révolution numérique, l'abondance des contenus ne doit pas conduire à une homogénéité culturelle mais au maintien d'une diversité et d'une pluralité de choix. C'est tout l'enjeu du maintien et du développement d'une offre de contenus francophones.

Selon la belle formule de l'essayiste Henri Meschonnic 119 ( * ) , ce sont les oeuvres qui portent leurs langues et non le contraire. La capacité de la langue française à produire des oeuvres de l'esprit est donc fondamentale. La France a incontestablement une carte maîtresse à jouer, compte tenu de son excellente image en la matière, comme « langue de la culture ».

Cette culture ne doit cependant être ni franco-française (les contenus doivent être produits et partagés dans toute la francophonie) ni élitiste (la massification de l'accès aux contenus nécessite une offre de culture « populaire »). Notre collègue député Pouria Amirshahi a également fait une proposition en ce sens qui mérite d'être rappelée : « appuyer la circulation des oeuvres culturelles : accessibilité, diffusion, coédition, promotion, traduction, festivals » 120 ( * ) .

Plus l'aire culturelle francophone sera large, plus la francophonie sera forte. Groupes de médias privés et puissance publique peuvent jouer cette partition de concert : exportation de programmes 121 ( * ) (par exemple la série « Hélène et les Garçons », qui a rencontré un grand succès en français sous-titré dans les pays nordiques), construction de salles de cinéma permettant la diffusion de films francophones 122 ( * ) , soutien aux actions favorisant l'accès aux contenus, etc.

Ø Proposition n° 26 : Promouvoir les contenus médiatiques et culturels francophones (notamment les CLOM 123 ( * ) francophones).

Cet enjeu est particulièrement prégnant en Afrique où il est indispensable de développer des médias locaux de qualité en langue française.

Le projet de déploiement sur l'Afrique francophone de la radio Africa n° 1 , actuellement diffusée en France mais disponible sur internet, est à cet égard particulièrement intéressant.

Il en est de même pour la presse écrite francophone et a fortiori pour la télévision .

Ce développement peut se faire par partenariats franco-africains avec, à terme, l'idée qu'ils seront repris par des intérêts africains. Il n'est pas nécessaire d'y apporter des fonds publics. Il s'agit dès lors de la définition d'une nouvelle politique de coopération, appuyée sur des investisseurs privés mus, non pas exclusivement par la promesse d'une rentabilité élevée, mais par l'intérêt porté au développement social et solidaire et aux causes d'intérêt général.

Cela représente une chance pour la diaspora africaine de retour au pays. Ces projets permettraient de développer l'entrepreneuriat et l'emploi locaux. C'est enfin une piste pour contribuer à la régulation des phénomènes de migrations internationales que l'Europe connaît actuellement.

Ø Proposition n° 27 : Pour constituer des groupes de médias locaux de qualité en langue française, encourager les projets d'investissements privés et publics-privés, notamment en Afrique.


* 100 Audition de Thierry Vautrin, chef du secteur Présence et Influence françaises dans les institutions européennes, du 24 novembre 2016.

* 101 Rapport n° 27 (2005-2006), fait au nom de la commission des affaires culturelles du Sénat, déposé le 19 octobre 2005.

* 102 Op.cit.

* 103 Op.cit.

* 104 Audition du 6 juillet 2016. L'office franco-québécois de la jeunesse accompagne en moyenne 4 000 participants chaque année.

* 105 Cité par « Étudiants internationaux, les chiffres clés », Campus France, janvier 2017.

* 106 « Relever ensemble les défis contemporains : L'éducation et la culture au coeur du développement de la relation France-Maroc », colloque organisé au Sénat le 14 février 2017 à l'initiative de la commission de la culture, de l'éducation et de la communication en collaboration avec l'ambassade du Maroc en France.

* 107 Audition du 1 er juin 2016.

* 108 Plus d'un étudiant sur deux en mobilité dans un pays de langue française est originaire d'un pays non francophone, d'après les statistiques de l'UNESCO, citées par « Étudiants internationaux, les chiffres clés » de Campus France, janvier 2017.

* 109 Loi n° 2013-660 du 22 juillet 2013 relative à l'enseignement supérieur et à la recherche.

* 110 Audition du 19 janvier 2017.

* 111 Audition du 29 septembre 2017.

* 112 Alors même que tous les foyers africains ne bénéficient pas d'un téléphone fixe, le taux de couverture de la population en téléphonie mobile atteint les 80 %.

* 113 Op.cit.

* 114 Pour une présentation plus détaillée de l'action audiovisuelle extérieure de la France voir les rapports budgétaires successifs de votre co-rapporteur Claudine Lepage, faits au nom de la commission de la culture, de l'éducation et de la communication.

* 115 Op.cit.

* 116 Chiffres OIF et audition du 14 juin 2016.

* 117 Audition du 16 novembre 2016.

* 118 Canal Plus, Africa Plus, Canal Olympia, Blue zones, etc. Audition du 17 novembre 2016.

* 119 Cité par Revue Critique, op.cit.

* 120 Op.cit.

* 121 C'était l'une des préconisations de notre collègue député Pouria Amirshahi, op.cit.

* 122 C'était l'une des préconisations du rapport de Jacques Attali, op.cit.

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