II. UN MANQUE DE DONNÉES PRÉCISES SUR LES BESOINS
QUI FAIT COURIR LE RISQUE D'UNE PRISE EN COMPTE INSUFFISANTE

La nécessité de disposer de connaissances épidémiologiques approfondies est particulièrement importante dans le domaine de la psychiatrie. Celle-ci se caractérise en effet par une double spécificité qui rend nécessaire l'accès à des données objectives. D'une part, la psychiatrie, en particulier celle des mineurs, est fortement soumise au regard et aux évolutions de la société : à l'occasion des échanges de la mission d'information avec le Dr Laurent Defromont au centre collaborateur de l'OMS à Lille, celui-ci a relevé que tout le monde s'estime capable d'émettre un avis en matière de santé mentale. D'autre part, une particularité liée à l'âge du patient existe en ce sens que ce n'est pas toujours le mineur, surtout dans les premiers âges de la vie, qui formule une demande.

Comme le Pr Bruno Falissard le souligne, « on passe du côté du pathologique dès lors qu'il y une plainte. En pédopsychiatrie la seule différence est que cette plainte ne vient pas de l'enfant mais du groupe qui l'entoure » 18 ( * ) . On touche à la question de l'expression de la douleur, psychique ou somatique, chez l'enfant, en particulier le plus jeune. De fait, sans une meilleure assise épidémiologique, la politique publique en matière de pédopsychiatrie ne peut trouver sa pleine efficacité .

A. UNE PRÉVALENCE DES MALADIES QUI SEMBLE STABLE AU COURS DU TEMPS

1. Si le diagnostic et la reconnaissance des troubles psychiatriques ont progressé...

Deux éléments se conjuguent pour alimenter le sentiment d'une hausse de la prévalence des troubles psychiatriques :

- d'une part, l'élargissement aux notions de santé mentale positive et de bien-être brouille en partie l'analyse ;

- d'autre part, des comportements qui peuvent être symptomatiques de troubles psychiatriques comme la phobie scolaire se manifestent sous des formes aujourd'hui plus visibles et sont donc mieux pris en compte. Cette plus grande visibilité n'est pas nécessairement le reflet d'une augmentation des pathologies. Le Dr Georges Papanicolaou insiste sur cette distinction : « nous prenons en charge non pas les patients qui ont une phobie scolaire, mais les patients qui ne peuvent plus aller à l'école. Cette différence est importante » 19 ( * ) .

Les troubles psychiatriques sont désormais à la fois mieux appréhendés par la société et mieux diagnostiqués, avec des instruments de mesure affinés . Outre la définition de l'OMS (cf. supra ), le « manuel diagnostique et statistique des troubles mentaux », ou « diagnostic and statistical manual of mental disorders » (DSM), de l'association américaine de psychiatrie constitue la référence pour la classification de ces troubles. Or, les différents spécialistes entendus par la mission d'information ont insisté sur les conséquences de la dernière version (DSM-5), publiée en 2013, en matière de psychiatrie infanto-juvénile. Celle-ci élargit considérablement la définition retenue pour certaines pathologies mentales. De surcroît, certaines études portant plus généralement sur la psychiatrie s'interrogent sur une éventuelle causalité circulaire entre l'offre et le recours aux soins 20 ( * ) .

2. ... leur prévalence ne semble pas avoir augmenté

Le constat d'une hausse de la prévalence des maladies psychiatriques n'est pas établi. On assiste plutôt à une meilleure prise en compte des troubles mentaux grâce à un diagnostic plus précoce et plus fin et à une reconnaissance accrue. Les praticiens entendus par la mission d'information ont confirmé que la plupart des pathologies psychiatriques chez les enfants et les adolescents sont stables . Il semble néanmoins que ce constat doive être nuancé pour certaines affections.

Le Pr Bruno Falissard a indiqué que « la question se pose de savoir si les troubles du comportement alimentaire ont augmenté. C'est vraisemblable. Mais les données ne montrent qu'une augmentation mineure et on peut donc dire que la plupart des pathologies psychiatriques chez les enfants et les adolescents sont stables » 21 ( * ) .

En d'autres termes, plus qu'à une augmentation de la température du malade, on assiste à une multiplication du nombre de thermomètres et une amélioration de leur précision. Il s'agit là d'un progrès, lié à l'amélioration des connaissances sur le continuum des souffrances psychiques et à la nécessité établie de les traiter le plus précocement possible. Le Pr Jean-Philippe Raynaud constate ainsi que « l'évolution des pathologies est liée à nos progrès communs. L'Éducation nationale dépiste mieux, l'information circule mieux et les médecins généralistes sont bien formés. Cette mobilisation permet de dépister les pathologies de plus en plus tôt et de plus en plus finement » 22 ( * ) .

Pour autant, ces constats ne doivent pas occulter la faiblesse des connaissances épidémiologiques en matière de maladies psychiatriques, en particulier chez les mineurs, dès lors que les informations portent sur la prévalence des maladies mais non sur celle des malades comme l'a rappelé le Pr Bruno Falissard. Celui-ci établit une comparaison en ce sens entre maladie psychiatrique et manifestations d'une maladie somatique, affirmant qu'à « peu près la moitié d'entre nous avons des signes cliniques et radiologiques d'arthrose du genou, le plus souvent sans le savoir. Il ne s'agit donc pas d'un problème de santé et la société n'a pas à le prendre en charge. C'est la même chose pour les problèmes psychiatriques. » 23 ( * )

Le retard français en matière d'épidémiologie s'explique par plusieurs difficultés que la mission d'information estime nécessaire de surmonter.


* 18 Audition du mercredi 25 janvier 2017.

* 19 Audition du mercredi 8 février 2017.

* 20 Chapireau F. (2008), « Quel projet épidémiologique en psychiatrie pour la statistique publique ? », Revue d'épidémiologie et de santé publique n°56, article cité par le document de travail « Organisation de l'offre de soins en psychiatrie et santé mentale », Etudes et recherches n°159, Drees, avril 2014.

* 21 Audition du mercredi 25 janvier 2017.

* 22 Audition du mardi 24 janvier 2017.

* 23 Audition du mercredi 25 janvier 2017.

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