SYNTHÈSE DES PRINCIPALES OBSERVATIONS
L'objectif : donner aux armées les moyens
de leur mission
- Pourquoi 2 % du PIB ?
Le seuil de 2 % du PIB affectés au budget
de la défense n'a guère de valeur en soi.
Référentiel de l'OTAN procédant d'une logique de partage
du « fardeau », cet indicateur imparfait
revêt pourtant un utile rôle mobilisateur, dans le
débat public. La remontée des crédits de la défense
nationale fait désormais largement consensus, l'essentiel étant
de définir les moyens, notamment budgétaires, qui
répondent aux besoins militaires que commandent les graves menaces
pesant sur notre territoire, nos concitoyens et nos intérêts. Dans
cette perspective, alors que le budget de la défense inscrit en loi de
finances initiale pour 2016 représentait, pensions incluses, 1,79 % du
PIB, le « 2 % » permet de fixer un cap :
celui de la remontée en puissance des moyens.
- « 2 % » pour quoi faire
?
Les besoins de nos armées sont
croissants. Dans un contexte de plus en plus dangereux - retour des
« États puissances », faillite d'États,
accentuation des tensions régionales, montée du péril
terroriste djihadiste jusque sur le territoire national... -, quelque
30 000 soldats des forces françaises se trouvent aujourd'hui
déployés de façon opérationnelle : soit au sein des
postures permanentes ou des forces prépositionnées ; soit
dans des opérations extérieures (OPEX, dans la bande
sahélo-saharienne et au Levant) ou des opérations
intérieures (OPINT, notamment l'opération
« Sentinelle »), toutes intenses et durables. Les exigences
propres à la guerre moderne accroissent encore ces besoins :
l'évolution technologique des équipements actuels appelle un
maintien en condition opérationnelle (MCO) plus important que par le
passé ; les nouveaux milieux de conflictualité que sont
l'espace extra-atmosphérique et le cyberespace requièrent une
défense appropriée ; le renseignement est devenu un autre
enjeu crucial... Le soutien aux exportations d'armements (SOUTEX)
apporté par les armées, déterminant dans l'essor
récent de ces ventes, constitue une autre exigence de l'activité
militaire actuelle. L'ensemble de ce sur-engagement conduit à une usure
accélérée des hommes comme des matériels.
Les besoins de court terme sont clairement
identifiés. Outre qu'il convient de relever les contrats
opérationnels des armées au niveau des engagements effectifs -
à cet égard, les prévisions du Livre blanc sur la
défense de 2013 ont toutes été dépassées de
25 à 30 % -, l'urgence est à combler les lacunes
capacitaires. En termes de ressources humaines, le renforcement est requis pour
les unités opérationnelles, le renseignement et la
cyberdéfense, mais aussi pour la protection des sites et le soutien.
Quant aux équipements, les besoins les plus pressants visent les moyens
de surveillance et de reconnaissance, la flotte aérienne de transport,
les avions et bateaux ravitailleurs, les patrouilleurs et les
hélicoptères en général, ainsi que les
véhicules de l'armée de terre - pour le remplacement desquels une
accélération du programme « Scorpion »
s'impose. Pour préparer l'avenir de notre défense, le
renforcement du budget dédié aux études amont est
également nécessaire, à hauteur d'un milliard d'euros par
an. S'agissant des infrastructures, dont la situation est critique, le logement
familial, les bâtiments de vie et la protection des sites appellent des
efforts particuliers.
Ces besoins des forces conventionnelles ne doivent pas
faire négliger l'indispensable préservation de la
crédibilité de notre dissuasion nucléaire. La
modernisation en cours de celle-ci est en effet bientôt appelée
à des échéances majeures - en particulier, à partir
de 2020, la réalisation du sous-marin nucléaire lanceur d'engins
de nouvelle génération (SNLE 3G). À l'horizon 2025, le
budget de la dissuasion devra avoir quasiment doublé, par rapport
à 2013, pour atteindre un niveau de 5,5 à 6 milliards d'euros,
à valeur 2017 constante. Sont également à prendre en
compte, d'une part, le coût des décisions entérinées
en conseil de défense postérieurement à l'actualisation de
la loi de programmation militaire (LPM) réalisée en 2015 - soit
notamment 1 milliard d'euros pour 2018 et 1,2 milliard pour 2019 ; d'autre
part, l'ensemble des engagements déjà souscrits au titre de cette
programmation, soit un « reste à payer » global de
50 milliards d'euros fin 2016.
La méthode : une nouvelle
programmation militaire, vite
- Une remontée en puissance dès
2018
Afin d'assurer sans tarder la remontée en
puissance de nos armées, une nouvelle programmation militaire
apparaît nécessaire dès 2018. Cette programmation
intègrerait les mesures décidées par l'Exécutif
depuis l'actualisation de la LPM en 2015 et viserait à couvrir
l'ensemble des besoins.
L'objectif est d'assurer les rattrapages requis pour
les forces conventionnelles avant de faire face aux besoins de la
dissuasion. Il s'agirait ainsi d'éviter, à la fois, le
risque de ruptures capacitaires et celui d'effets d'éviction. Les
années 2018 à 2020 apporteraient une « première
vague » de ressources supplémentaires, principalement
destinées aux forces conventionnelles ; les augmentations annuelles
suivantes, à compter de 2021, constitueraient une
« deuxième vague » visant à financer la
dissuasion. Ce faisant, la future LPM devrait permettre d'atteindre le seuil
des 2 % du PIB consacrés à la défense, davantage si
nécessaire. En l'état de la programmation, sans
réajustement, le budget de la défense représenterait
1,7 % du PIB en 2019 et 1,63 % à l'horizon 2023.
L'effort à consentir est de l'ordre de deux
milliards d'euros supplémentaires par an, en vue d'atteindre
les 2 % du PIB en 2022, pensions et surcoûts d'OPEX et d'OPINT
inclus. Cette cible paraît en ligne avec l'ambition fixée par le
Président de la République d'atteindre ces 2 % en 2025 mais
hors pensions et « surcoût OPEX ». Le budget de la
défense se trouverait ainsi porté à 35,5 milliards
d'euros constants en 2018, 37,5 milliards en 2019 et 39,5 milliards en 2020.
- Un projet de LPM dès 2017 fondé
sur une revue stratégique
Pour que la nouvelle programmation militaire
proposée puisse prendre effet en 2018, le dépôt du projet
de loi correspondant doit intervenir dès 2017. Ce calendrier,
du reste, éviterait que l'éventuelle adoption d'un projet de loi
de programmation des finances publiques couvrant la période 2018-2020 ne
« préempte » les arbitrages militaires.
À cet effet, il convient qu'une revue
stratégique soit rapidement menée à bien, sur
laquelle l'actuelle programmation militaire pourra être refondée
dans de brefs délais. Nous n'avons pas le temps de mettre en oeuvre la
réalisation d'un nouveau Livre blanc sur la défense, d'autant que
les analyses sur lesquelles repose celui de 2013 sont restées
entièrement pertinentes.
Les conditions de réussite : un « contrat
» entre la Nation et son armée
- Faire de la défense nationale une
priorité
La réussite du scénario
préconisé exige qu'une priorité politique et donc
budgétaire soit clairement donnée à la défense
nationale, en phase avec les orientations adoptées pour leurs
budgets de défense par nos partenaires - Royaume-Uni, Allemagne,
États-Unis... - et par des puissances militaires comparables à
travers le monde, dont la Chine et la Russie.
À ce titre, la sécurisation de la
trajectoire financière de la future LPM est impérative.
Dans la gestion, il faudra proscrire les ponctions financières qui ne
seraient pas compensées au budget de la défense, notamment dans
le cadre des régulations de fin d'exercice, et assurer de façon
« nominale » l'exécution des dépenses
prévues, en maintenant la plus grande vigilance sur le niveau du report
de charges - en particulier pour ce qui concerne le programme
d'équipement des forces. S'agissant des ressources, il s'agira de
proscrire le recours aux crédits extrabudgétaires et de rester
prudent quant aux économies attendues de l'évolution des prix,
compte tenu de la possibilité de retournements de la conjoncture
économique.
Une double
« sincérisation » budgétaire, visant les OPEX
et les OPINT, est en outre proposée, pour contribuer à
la solidité de la programmation militaire. En effet, au vu des
engagements des dernières années et de leur probable
durabilité, il est devenu légitime d'inscrire, en loi de finance
initiale, une prévision plus réaliste des surcoûts
engendrés par ces opérations. Dans le même but, une
meilleure valorisation du SOUTEX dans le budget de la défense
est recommandée, en prenant en compte le coût de possession des
équipements prolongés en service dans les armées à
la suite de ventes d'équipements neufs à des États
étrangers. Par ailleurs, la consolidation de la base
industrielle et technologique de défense (BITD) doit
également permettre de fiabiliser la future LPM - en exploitant les
leviers offerts par l'Union européenne, en approfondissant les
coopérations en place et en en développant de nouvelles.
L'éventuelle instauration d'un nouveau service
national universel et obligatoire ne doit pas « tuer dans
l'oeuf » la remontée en puissance des moyens des armées
ainsi organisée. Ce dispositif, tel qu'il a été
esquissé par le Président de la République, relève
d'un projet de société bien plus que d'un enjeu de
défense ; tant sa finalité que ses modalités restent
d'ailleurs à préciser. En outre, son coût, en
première approximation, serait très élevé :
jusqu'à 30 milliards d'euros sur 5 ans, dont 12
à 17 milliards d'investissement initial en infrastructures, acquisitions
foncières incluses, et 2,5 à 3 milliards par an pour
l'encadrement et le fonctionnement. Un travail approfondi d'expertise
préalable est recommandé, que pourrait mener une commission
indépendante de haut niveau, associant les ministres concernés et
des personnalités qualifiées. Le cas échéant, pour
garantir une séparation étanche entre les financements, une
nouvelle mission ad hoc, en dehors du périmètre de
ressources de la LPM, devrait être aménagée au sein du
budget général de l'État.
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