N° 596

SÉNAT

SESSION ORDINAIRE DE 2016-2017

Enregistré à la Présidence du Sénat le 28 juin 2017

RAPPORT D'INFORMATION

FAIT

au nom de la commission des finances (1) sur les modalités de répartition de la cotisation sur la valeur ajoutée des entreprises (CVAE),

Par MM. Charles GUENÉ et Claude RAYNAL,

Sénateurs

(1) Cette commission est composée de : Mme Michèle André , présidente ; M. Albéric de Montgolfier , rapporteur général ; Mme Marie-France Beaufils, MM. Yvon Collin, Vincent Delahaye, Mmes Fabienne Keller, Marie-Hélène Des Esgaulx, MM. André Gattolin, Charles Guené, Francis Delattre, Georges Patient, Richard Yung , vice-présidents ; MM. Michel Berson, Philippe Dallier, Dominique de Legge, François Marc , secrétaires ; MM. Philippe Adnot, François Baroin, Éric Bocquet, Yannick Botrel, Jean-Claude Boulard, Michel Canevet, Vincent Capo-Canellas, Thierry Carcenac, Jacques Chiron, Serge Dassault, Bernard Delcros, Éric Doligé, Philippe Dominati, Vincent Éblé, Thierry Foucaud, Jacques Genest, Didier Guillaume, Alain Houpert, Jean-François Husson, Roger Karoutchi, Bernard Lalande, Marc Laménie, Nuihau Laurey, Antoine Lefèvre, Gérard Longuet, Hervé Marseille, Claude Nougein, François Patriat, Daniel Raoul, Claude Raynal, Jean-Claude Requier, Maurice Vincent, Jean Pierre Vogel .

SYNTHÈSE DU RAPPORT

L'article 51 de la loi de finances rectificative pour 2016 modifie les modalités de répartition entre collectivités territoriales du produit de la cotisation sur la valeur ajoutée des entreprises (CVAE), qui représente 16 milliards d'euros et plus de 8 % de leurs recettes réelles de fonctionnement. La réforme a pour objet de rendre plus juste cette répartition en tenant mieux compte de l'organisation du tissu économique, qui comprend de plus en plus de groupes. À la demande du Sénat, l'entrée en vigueur de cet article a été fixée au 1 er janvier 2018, pour se donner le temps d'en analyser les effets.

À l'issue de ce rapport d'étape, la réforme n'est aujourd'hui pas applicable en l'état et a minima , un nouveau report s'impose. Il convient de profiter de ce report pour approfondir l'étude des conséquences de l'entrée en vigueur des valeurs locatives révisées, sur la base desquelles seront répartie plus des deux tiers de la CVAE en 2018. Enfin, une récente décision du Conseil constitutionnel concernant le dégrèvement barémique rend possible une optimisation fiscale, qu'il convient d'empêcher rapidement.

1. La consolidation de la CVAE des groupes : un débat récurrent, en germe dès la mise en place de la CVAE

La valeur ajoutée étant mesurée à l'échelle de l'entreprise et non du site, elle n'est pas spontanément territorialisée , sauf pour les entreprises mono-établissements, qui représentent 51 % des entreprises. Ainsi, le choix d'asseoir la CVAE sur la valeur ajoutée portait en lui-même le débat sur les modalités de répartition de son produit. À l'origine, en 2009, le Gouvernement avait proposé pour cet impôt des modalités de répartition de son produit proches de celles d'une dotation, c'est-à-dire en fonction de critères définis par la loi, voire selon une logique de péréquation entre collectivités territoriales. C'est le Parlement qui a souhaité et obtenu la territorialisation de l'assiette de la CVAE et donc de son produit, dans le but de maintenir un lien entre l'activité économique sur le territoire et les recettes perçues par les collectivités.

La solution aujourd'hui retenue - consistant à répartir la valeur ajoutée des entreprises multi-établissements en fonction des valeurs locatives et des effectifs - ne permettait cependant pas de traiter la situation des groupes réunissant plusieurs entreprises alors même que des transferts importants de valeur ajoutée peuvent avoir lieu entre les entités d'un même groupe, notamment au profit du siège. Est donc apparue la crainte qu'une partie de la CVAE soit injustement captée par les territoires abritant de nombreux sièges sociaux , à commencer par la région d'Île-de-France. Cette crainte a été alimentée par le fait que près d'un tiers du produit national de CVAE revient à cette région et que sa part dans cette répartition est supérieure à son poids dans le produit intérieur brut (PIB).

Dès 2010 des parlementaires proposèrent d' appliquer aux groupes les règles de répartition des entreprises multi-établissements : la valeur ajoutée serait consolidée au niveau du groupe (et non plus au niveau de l'entreprise), avant d'être territorialisée en fonction des valeurs locatives et des effectifs des différents établissements du groupe. Cette réforme a finalement été inscrite à l'article 51 de la loi de finances rectificative pour 2016, après un débat difficile en raison de l'absence de transmission de simulations par le Gouvernement. Il aura fallu attendre 2014 pour obtenir les premiers éléments d'analyse solides et c'est cette année seulement que des simulations ont enfin été transmises au Parlement, grâce à l'inscription dans la loi de ces nouvelles modalités de répartition à compter de 2018.

2. Un débat qui repose sur des craintes difficiles à étayer

La pratique des transferts indus de valeur ajoutée vers les sièges n'est pas démontrée. Tout d'abord, les groupes n'ont aucun intérêt - d'un point de vue fiscal - à faire remonter leur valeur ajoutée au siège social. Par ailleurs, des « garde-fous » ont été prévus dès l'instauration de la CVAE afin de réduire les risques de transfert de valeur ajoutée : ainsi, les opérations de location de plus de six mois ou de cession bail sont neutralisées. En tout état de cause, les relations intra-groupes nationales n'entrant pas dans le champ des obligations déclaratives des entreprises en matière de prix de transfert, il n'est donc pas possible de les mesurer.

La concentration du produit de la CVAE sur le territoire francilien ne s'explique pas par un dysfonctionnement de la répartition de cette imposition. Elle est la conséquence mécanique du choix de territorialiser l'assiette d'un impôt assis sur la valeur ajoutée . Cette concentration est d'ailleurs contrebalancée par les mécanismes de compensations de la réforme de la taxe professionnelle (qui ont maintenu les recettes de chaque collectivité territoriale à leur niveau de 2010), ainsi que les mécanismes de péréquation mis en place à la même époque, et en particulier le fonds national de péréquation des ressources communales et intercommunales (FPIC).

Le fait que la part de CVAE de la région d'Île-de-France soit supérieure à son poids dans le PIB, c'est-à-dire dans la valeur ajoutée, ne permet pas non plus de conclure à une répartition injuste, dans la mesure où le calcul de la valeur ajoutée au sens de l'Insee est différent du calcul de la valeur ajoutée au sens de la CVAE.

Le dynamisme de la CVAE en Île-de-France correspond exactement au niveau de la moyenne nationale . Le département des Hauts-de-Seine est même un de ceux qui connait la hausse la moins importante, ce qui relativise à nouveau l'idée des transferts vers les sièges sociaux. En revanche, le territoire francilien bénéficie quantitativement d'une part très importante du dynamisme de la CVAE, du simple fait qu'il perçoit près d'un tiers de son produit.

3. En définitive, la réforme n'est aujourd'hui pas applicable en l'état et, à minima, un report s'impose.

Les simulations transmises par le Gouvernement font apparaître des effets massifs pour certaines collectivités territoriales, sans que le débat ne puisse se résumer à constater des gagnants en régions et des perdants franciliens . À l'échelle régionale, l'Île-de-France serait effectivement le principal perdant en valeur absolue mais d'autres territoires connaîtraient des baisses importantes en termes relatifs. Ces constats sont également vérifiés au niveau des départements et du bloc communal. Le total des gains et des pertes enregistrés par les régions s'élèverait, en valeur absolue, à 355 millions d'euros, soit 4,2 % de la CVAE qu'elles perçoivent. La proportion est identique pour les départements. Quant au bloc communal, l'effet serait plus massif encore puisqu'il concernerait 6,5 % des recettes de CVAE, soit 275 millions d'euros.

Cette modification importante de la répartition du produit de la CVAE sur le territoire national impliquerait probablement de remettre en cause l'équilibre trouvé en 2010 et donc de recalculer les versements et prélèvements au titre du fonds national de garantie individuelle des ressources (FNGIR) , pour tenir compte des effets de la nouvelle répartition.

Par ailleurs, si la consolidation de la CVAE des groupes corrige certains facteurs d'instabilité, elle contribue à en créer d'autres . Certes, la filialisation d'un établissement ne conduirait plus à modifier la répartition de la CVAE, toutes choses égales par ailleurs. Mais, contrairement à aujourd'hui, les changements de périmètre des entités faisant partie d'un groupe et, à périmètre stable, les évolutions des effectifs et des bases foncières entre les différentes entités du groupe, influeraient sur la répartition des recettes entre collectivités. À cet égard, ces effets semblent plus importants que ceux qui pourraient se produire aujourd'hui et accroîtraient donc la volatilité du produit de CVAE .

Enfin, le problème de la volatilité du produit de CVAE, particulièrement significative, ne serait pas résolu par cette réforme .

À ce stade, les rapporteurs spéciaux considèrent que la réflexion doit être poursuivie. Des simulations fines au niveau du bloc communal doivent être réalisées - en prenant en compte les déclarations des effectifs des entreprises mono-établissements qui seront disponibles à l'automne - pour apprécier précisément les conséquences de la réforme. Parallèlement, il conviendrait d'étudier la réalité des transferts de valeur ajoutée et les risques sur la volatilité du produit de CVAE, à travers la réalisation de monographies sur quelques groupes de tailles différentes. En attendant, il convient de reporter l'application de l'article 51 de la loi de finances rectificative pour 2016.

4. Des problèmes à résoudre dès 2018, même si les modalités actuelles de répartition sont conservées

Les effets de la révision des valeurs locatives

Il s'agit tout d'abord de prendre en compte les effets de l'application, pour la première fois, des valeurs locatives révisées des locaux professionnels . Modifier un des critères utilisés pour répartir la CVAE des entreprises multi-établissements (qui représente 11 milliards d'euros, soit près des ¾ de la CVAE perçue par les collectivités territoriales) aura forcément des conséquences importantes sur la répartition du produit fiscal entre collectivités territoriales. Ces effets devraient être étudiés, en particulier pour les territoires accueillant des établissements industriels , dans la mesure où les valeurs locatives industrielles, non révisées , vont diminuer par rapport aux valeurs locatives professionnelles et commerciales.

Une telle étude permettra, le cas échéant, de justifier l'augmentation de la surpondération appliquée aux établissements industriels .

Des risques d'optimisation fiscale à écarter

Le montant de CVAE effectivement acquitté par une entreprise dépend du dégrèvement barémique dont elle bénéficie, qui repose lui-même sur son chiffre d'affaires, comme le rappelle le graphique que vous avez sous les yeux. Une décision récente du Conseil constitutionnel a censuré la consolidation du chiffre d'affaires au niveau des groupes fiscalement intégrés pour le calcul du dégrèvement barémique . En d'autres termes, un groupe aurait désormais la possibilité de diviser son activité en plusieurs filiales et de réduire ainsi artificiellement son chiffre d'affaires, afin de bénéficier d'un dégrèvement plus important voire total. Cette censure ne modifiera pas le montant réparti aux collectivités territoriales, mais pourrait représenter un coût de 300 millions d'euros pour l'État .

Nous souhaitons donc, dès la prochaine loi de finances, empêcher de tels comportements d'optimisation et ainsi éviter un dérapage du coût du dégrèvement barémique pour l'État . Il serait possible d'étendre la consolidation du chiffre d'affaires à l'ensemble des groupes, qu'ils aient ou non choisi l'intégration fiscale. Une telle disposition serait pleinement compatible avec la décision du Conseil constitutionnel mais augmenterait la pression fiscale sur les groupes non intégrés - ce qui n'est pas notre objectif. Il conviendra donc de travailler sur ce sujet d'ici le prochain projet de loi de finances.

Toujours en matière d'optimisation fiscale, nous constatons que le coût du plafonnement en fonction de la valeur ajoutée progresse deux fois plus vite que la somme du produit de CVAE et de CFE, ce qui nous interroge.

Nous n'avons pas d'éléments permettant de conclure à des comportements d'optimisation, mais nous allons demander des informations précises sur les entreprises bénéficiant de ce dégrèvement et sur les raisons qui expliquent une telle progression .

5. L'hypothèse d'une territorialisation de la CVAE découplée de la valeur ajoutée

Deux craintes alimentent le débat sur la territorialisation de la CVAE : celle des transferts de valeur ajoutée vers les sièges sociaux et celle de l'instabilité résultant des changements de périmètre des groupes. Ni les modalités de répartition actuelles, ni celles qui figurent dans la loi de finances rectificative pour 2016, ne répondent de façon satisfaisante à l'ensemble de ces difficultés. La seule solution - d'un point de vue technique - consisterait à ne plus répartir la CVAE en fonction de la valeur ajoutée. Les rapporteurs spéciaux proposent donc que soit étudiée l'hypothèse d'une répartition de l'intégralité du produit de CVAE en fonction des valeurs locatives et des effectifs situés sur chaque territoire, en cessant de territorialiser la valeur ajoutée.

Dans cette hypothèse, les deux risques précités seraient évités et la répartition reposerait sur des éléments physiques, moins mobiles, qui permettraient une moindre volatilité. De telles modalités de répartition seraient probablement favorables aux territoires, dans la mesure où le rapport entre la valeur ajoutée et les critères de répartition (valeurs locatives et effectifs) est a priori supérieur dans les métropoles.

Certes, cette solution impliquerait un changement de logique important. Tout d'abord, le lien entre le territoire et l'entreprise serait modifié : la collectivité territoriale ne serait plus directement intéressée à la valeur ajoutée produite par les entreprises présentes sur son territoire. Néanmoins, un lien avec l'activité économique serait maintenu, dans la mesure où l'arrivée ou le départ d'une entreprise, ou le fait qu'elle embauche ou licencie, aurait une incidence sur le produit effectivement perçu.

Par ailleurs, les recettes perçues par une collectivité territoriale donnée ne dépendraient plus uniquement des évolutions des entreprises implantées sur son territoire , mais également de celles de l'ensemble des entreprises. Actuellement, si une entreprise a au cours de deux années la même valeur ajoutée, les mêmes effectifs et les mêmes valeurs locatives, le produit perçu est identique. À l'inverse, dans le dispositif envisagé, ce montant varierait selon la situation de l'ensemble des entreprises au niveau national. Cette moindre prévisibilité de la recette serait la contrepartie de variations de moindre ampleur.

Enfin, l'hypothèse que nous décrivons supprimerait le lien entre la base fiscale (la valeur ajoutée) et la répartition territoriale du produit de l'impôt, ce qui pourrait donc être analysé comme le remplacement d'un impôt direct local par une dotation. Dès lors qu'il s'agirait d'une dotation, elle serait susceptible d'être rabotée en fonction de la situation budgétaire, tandis que les parlementaires et le Gouvernement pourraient être tentés d'en modifier régulièrement les modalités de répartition . Un tel comportement entrainerait naturellement une instabilité accrue, à moins de parvenir à mettre en place une nouvelle gouvernance des finances locales.

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