C. LES PERSPECTIVES EUROPÉENNES ET L'IMPASSE DES BLOCKCHAINS SOUVERAINES

Il faut souligner l'impasse technologique et politique de l'idée théorique des blockchains souveraines, qui ne constituent pas une réponse satisfaisante aux problèmes de souveraineté vus précédemment. En effet, par définition, une blockchain publique est un système ouvert, libre de droits et d'utilisation, à vocation universelle, alors qu'une « blockchain souveraine » serait fermée, soumise à autorisation d'accès par les autorités publiques.

Vos rapporteurs plaident, en revanche, pour le développement de blockchains européennes qui, sans être souveraines , seraient conçues sur le sol européen, dans le respect de nos principes politiques, philosophiques et moraux .

Il est impératif que la recherche et le monde économique investissent dans une technologie qui puisse porter les valeurs européennes, en particulier en termes de développement durable et de protection des données personnelles et du consommateur 80 ( * ) .

L'Union européenne a lancé en 2018 un observatoire de la blockchain . Celui-ci a pour triple mission de proposer une approche pédagogique de la technologie à l'attention des citoyens, de constituer un cadre réglementaire pouvant être proposé aux pays membres et, enfin, de réfléchir à des applications qui pourraient faire l'objet de projets européens.

Vos rapporteurs s'étonnent du choix de la Commission européenne de recourir à l'entreprise américaine Consensys pour ce faire. Il s'agit d'une start-up d'applications sur Ethereum devenue leader dans ce secteur avec plus de 800 salariés 81 ( * ) . Joseph Lubin, un des cofondateurs d'Ethereum, ancien cadre dirigeant de Goldman Sachs, a fondé en 2015 cette entreprise qu'il dirige toujours aujourd'hui.

L'Europe devrait s'emparer de cette question de manière plus stratégique et éviter la répétition du scénario d'internet. Pour Cyril Grunspan, « le web était tout de même une invention européenne, qui est passée sous pavillon américain, avec une gouvernance américaine ».

Les compétences et les domaines de recherche dont la préservation est indispensable pour que la France et l'Union européenne s'approprient la blockchain restent encore à préciser, mais il est certain que ce choix de faire appel à un acteur américain spécialisé dans Ethereum constitue un très mauvais signal .

Des investissements spécifiques et un effort en matière de recherche paraissent indispensables. Cyril Grunspan rappelle ainsi qu'aux États-Unis « la blockchain a fait l'objet de cours en ligne dès 2013-2014, dont un, excellent, à l'université de Princeton, écrit par Edward Felten. Le MIT (Massachusetts Institute of Technology) a lancé une initiative sur les monnaies numériques, attirant des stars du secteur comme Gavin Andresen, le développeur à la tête de la Fondation Bitcoin, considéré comme l'héritier de Satoshi Nakamoto ». De même, au Royaume-Uni, un centre de recherche sur les cryptomonnaies a été ouvert à l'Imperial College de Londres.

D'après le rapport de France Stratégie « Les Enjeux des blockchains » 82 ( * ) , les États affichent un intérêt de plus en plus marqué pour ces technologies et des stratégies nationales spécifiques se font jour ici et là : « après une période où la régulation semblait l'ennemi juré de l'innovation, l'heure semble venue de trouver un moyen de tenir la chaîne par les deux bouts : réglementer de façon coordonnée sur un certain nombre de sujets permettra à la fois de contrôler les usages délictueux et de favoriser les développements souhaités. (...) En réalité, en matière de blockchains, c'est une réponse à l'échelle européenne voire mondiale qu'il conviendrait de viser. (...) Après une période d'expérimentation sans contrainte, il est temps de `'sortir du bac à sable'', selon l'expression usuelle dans l'économie numérique. Par une sorte de convergence naturelle, la plupart des acteurs sont aujourd'hui disposés à entrer dans une nouvelle phase, celle d'une intervention des pouvoirs publics pour fixer un cadre juridique et règlementaire qui permette le plein essor de cette nouvelle technologie ».


* 80 Le projet BART, vu précédemment, va dans ce sens.

* 81 L'entreprise s'est à cet effet associée avec une association suisse et deux universités brittaniques.

* 82 http://www.strategie.gouv.fr/publications/enjeux-blockchains

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