Rapport d'information n° 597 (2017-2018) de M. Michel MAGRAS , fait au nom de la Délégation sénatoriale aux outre-mer, déposé le 22 juin 2018

Disponible au format PDF (4,7 Moctets)


N° 597

SÉNAT

SESSION ORDINAIRE DE 2017-2018

Enregistré à la Présidence du Sénat le 22 juin 2018

RAPPORT D'INFORMATION

FAIT

au nom de la délégation sénatoriale aux outre-mer (1) sur les actes du colloque « Révéler l' ancrage local des économies ultramarines : outils et bonnes pratiques »,

Par M. Michel MAGRAS,

Sénateur

(1) Cette délégation est composée de : M. Michel Magras, président ; MM. Maurice Antiste, Stéphane Artano, Mme Esther Benbassa, MM. Pierre Frogier, Jean-Louis Lagourgue, Robert Laufoaulu, Jean-François Longeot, Mme Vivette Lopez, MM. Victorin Lurel, Dominique Théophile, vice-présidents ; M. Jacques Genest, Mmes Victoire Jasmin, Viviane Malet, M. Gérard Poadja, secrétaires ; M. Guillaume Arnell, Mme Viviane Artigalas, MM. Jean Bizet, Patrick Chaize, Mme Catherine Conconne, MM. Mathieu Darnaud, Michel Dennemont, Mme Nassimah Dindar, M. Daniel Gremillet, Mme Jocelyne Guidez, MM. Didier Guillaume, Abdallah Hassani, Mme Gisèle Jourda, MM. Antoine Karam, Nuihau Laurey, Henri Leroy, Thani Mohamed Soilihi, Georges Patient, Mme Catherine Procaccia, MM. Michel Raison, Jean-François Rapin, Claude Raynal, Charles Revet, Gilbert Roger, Jean Sol, Mme Lana Tetuanui, M. Michel Vaspart.

OUVERTURE

Michel MAGRAS, Président de la Délégation sénatoriale aux outre-mer

Mesdames et Messieurs les Parlementaires et les élus des territoires,

Mesdames les présidentes et Messieurs les présidents des organisations représentant le tissu entrepreneurial de nos outre-mer,

Mesdames et Messieurs les acteurs de notre journée consacrée aux voies et moyens de l'ancrage territorial des économies ultramarines,

Chers amis qui témoignez par votre présence l'intérêt que vous portez à nos territoires dont la diversité enrichit notre pays,

je vous souhaite la bienvenue au Sénat, en mon nom propre et au nom de mes collègues de la Délégation sénatoriale aux outre-mer.

Le colloque d'aujourd'hui, organisé par notre délégation en réponse à l'amicale et judicieuse suggestion de notre ami Dominique Vienne qui préside la CPME Réunion, s'inscrit dans le droit fil des conférences économiques de bassin qui ont émaillé les trois dernières années et dont les actes sont disponibles en ligne sur le site du Sénat. Vous êtes d'ailleurs nombreux ici présents à y avoir assisté !

Faire fructifier les liens tissés avec les acteurs des territoires, donner de la visibilité à leur dynamisme, diffuser les modèles et les bonnes pratiques est pour nous majeur : c'est tout le sens de l'activité événementielle développée par notre délégation.

Nous connaissons tous le rôle structurant de certains grands groupes sur nos territoires, mais une caractéristique forte de nos économies ultramarines est la prédominance des TPE-PME dont le maillage est capital pour l'équilibre territorial et la cohésion sociale.

Malgré de réelles spécificités qui forgent leurs identités, les économies ultramarines ont de nombreuses caractéristiques communes résultant d'environnements comparables, les mêmes causes produisant les mêmes effets, avec :

- au registre des contraintes : l'insularité - maritime ou terrestre -, la distance à l'hexagone, des marchés de petite taille, une exposition majorée aux risques naturels, des dynamiques démographiques très prégnantes...

- et au registre des potentiels, entre autres, des patrimoines naturels exceptionnels, des espaces maritimes souvent gigantesques, un positionnement stratégique dans les différentes régions du monde ou encore des niveaux de vie qui font de nos territoires des îlots de richesse dans leurs environnements respectifs.

La combinaison de ces caractéristiques et leur insuffisante prise en compte dans les politiques publiques mais aussi dans les stratégies professionnelles à l'échelle nationale - nous avons pu le mesurer à l'occasion de notre étude sur les normes applicables au secteur du BTP -, ajoutées aux pesanteurs historiques, conduisent à des situations de déséquilibre et de forte dépendance vis-à-vis de l'extérieur ainsi qu'à une relativement faible insertion régionale.

Cependant, si l'équation est complexe et les freins pesants, nos territoires ne sont pas sous l'emprise de la fatalité et de fortes volontés se font jour d'accéder à un meilleur niveau d'autonomie grâce à la valorisation des potentiels locaux et à la mise en place d'outils permettant de fixer l'activité et de développer l'emploi sur les territoires. Nous allons voir tout au long de l'après-midi maintes illustrations du dynamisme qui les anime ! Je sais qu'au-delà des intervenants qui ont accepté de témoigner, d'autres dirigeants d'entreprises de nos outre-mer, aux parcours remarquables, sont présents dans la salle et, s'ils ne peuvent exposer leurs réalisations aujourd'hui, nous saurons créer d'autres occasions !

Après une présentation caléidoscopique des économies ultramarines au cours des trois conférences annuelles de bassin organisées depuis 2015, notre prisme est cette fois celui de l'ancrage territorial des activités économiques - un prisme on ne peut plus sénatorial puisque notre Constitution fait du Sénat la Maison des territoires !

Le programme de notre colloque oriente ainsi son projecteur sur les vertus d'une structuration en filières et de l'économie circulaire pour favoriser la territorialisation de l'activité.

Face à une vulnérabilité accrue résultant du contexte que nous avons évoqué précédemment, la structuration en filière, si elle n'est pas une parade infaillible, offre néanmoins des garanties de plus grande stabilité et de robustesse, de visibilité stratégique et de capacité d'amortissement des chocs externes.

Par ailleurs, les préoccupations environnementales et l'impératif de meilleure gestion des ressources sont de plus en plus incontournables sur les territoires. En effet, les enjeux de préservation de patrimoines naturels exceptionnels et de conditions de vie sur des surfaces foncières exiguës, mais aussi de limitation du poids des surcoûts qui grèvent la compétitivité, y sont majorés. Or, les mécanismes de l'économie circulaire plaident en faveur de davantage d'enracinement local.

Cette logique d'ancrage ne participe pas d'un processus de repli sur soi, bien au contraire. Il s'agit d'une logique d'enracinement, un enracinement pour conférer de la stabilité, de la robustesse au tissu économique, et pour promouvoir un développement fondé sur une dynamique globale impliquant l'ensemble des acteurs et privilégiant la cohésion.

Une telle démarche nécessite bien sûr des outils d'évaluation et de pilotage ; ainsi, notre seconde table ronde proposera une focale sur deux outils au service de l'ancrage territorial :

- l'un permet d'évaluer la performance économique d'un territoire en cernant les potentialités de relocalisation économique et les opportunités de développement en termes de diversification et de densification des activités. Elle permet d'identifier les secteurs où la demande n'est pas couverte localement et d'en initier et stimuler le développement. Pour bien décider, ne faut-il pas commencer par bien évaluer ?

- l'autre instrument utilise le levier de la commande publique : il s'agit du dispositif définissant une « stratégie du bon achat » et qui tend à réserver l'attribution d'une part des marchés publics aux entreprises locales. J'avais eu l'honneur avec plusieurs de mes collègues, lors de l'examen du projet de loi de programmation relative à l'égalité réelle outre-mer le 18 janvier 2018, de soutenir en séance publique l'adoption de ce dispositif et de l'enrichir d'un mécanisme visant à garantir la participation des PME locales par le biais de la sous-traitance.

Voilà donc un programme intense pour notre après-midi qui promet d'être passionnant !

Je vais maintenant céder la parole à ma collègue Jocelyne Guidez pour une mise en perspective de la première table ronde. Elle est élue dans l'Essonne mais a des attaches fortes en Martinique : son double prisme nous est particulièrement précieux au sein de la délégation aux outre-mer ! Chère Jocelyne, c'est à toi.

PREMIÈRE TABLE RONDE - ÉCONOMIE CIRCULAIRE ET TERRITORIALISATION DE L'ACTIVITÉ DANS LES OUTRE-MER

PROPOS INTRODUCTIF
Jocelyne GUIDEZ, Sénatrice de l'Essonne

Monsieur le président de la Délégation sénatoriale aux outre-mer,

Mesdames et Messieurs les Parlementaires et les élus,

Mesdames et Messieurs qui apportez votre concours à la réussite de cet après-midi de communion entre les territoires et de démonstration des talents qui s'y déploient,

Chers amis venus vous informer des ressorts qui animent la vie économique de nos outre-mer,

je voudrais en premier lieu vous dire le plaisir que j'ai à être directement associée au déroulement de notre manifestation, moi qui suis à la fois élue de l'Essonne et établie en Martinique où se trouve une partie de mon berceau familial, comme vient de le rappeler aimablement le président Magras. Vous comprendrez combien m'est chère la démarche consistant à croiser les regards, confronter les expériences et intensifier les échanges !

Notre première table ronde, qui réunit un nombre important d'intervenants venus des trois océans, Atlantique, Indien et Pacifique, s'articule autour de deux séquences qui présentent deux axes forts favorisant l'ancrage territorial : la filiarisation des économies, d'une part, le développement de l'économie circulaire, d'autre part.

La structuration en filières doit constituer une voie privilégiée pour les économies des territoires, afin d'ancrer dans le paysage certaines activités auxquelles viendront s'agréger d'autres activités pour développer des chaînes de production plus économes des importations, capables de fixer localement les emplois, de valoriser les potentiels et d'asseoir une moindre dépendance vis-à-vis de l'extérieur. La filiarisation permet ainsi de conférer une plus grande cohésion et une meilleure robustesse au développement territorial.

La structuration en filières et le degré d'intégration des filières est évidemment variable selon les territoires, l'orientation de leur économie et leur degré de maturité. Mais, partout, la réflexion est à l'oeuvre sous l'impulsion tout à fait déterminante des organisations patronales et sectorielles qui fédèrent localement les énergies et dont de nombreux représentants sont aujourd'hui parmi nous. Dans des univers où sphère publique et sphère privée sont encore trop souvent séparées par une frontière étanche et éprouvent des difficultés à dialoguer, la prise de conscience tend néanmoins à s'accélérer et des synergies se concrétisent avec l'implication des collectivités locales. La Réunion et la Nouvelle-Calédonie en particulier en offrent de remarquables exemples !

De façon générale, les secteurs de l'agriculture et de l'agroalimentaire, du BTP, des énergies renouvelables ou des nouvelles technologies de l'information et de la communication sont particulièrement porteurs et moteurs. Que seraient la Guadeloupe, la Martinique et La Réunion sans leur célèbre filière canne-sucre-rhum ? Que serait l'économie de La Réunion sans sa filière agroalimentaire ? Que serait l'économie calédonienne sans son industrie minière ?

Les enjeux sont majeurs à maints égards, notamment du point de vue de l'emploi local, mais aussi pour un rayonnement territorial sur le fondement d'une réputation d'excellence. Ainsi, le rhum agricole des DOM jouit-il d'une image de qualité exceptionnelle, reconnue d'ailleurs pour la Martinique par la labellisation AOC depuis 1996 ! La filière canne est en outre pourvoyeuse d'emploi et de cohésion territoriale avec plus de 5 000 exploitations sur les trois territoires concernés et près de 8 000 équivalents temps plein. De même, la filière banane est le premier employeur privé des Antilles françaises avec 56 % des salariés agricoles en Guadeloupe et 77 % en Martinique. De son côté, l'industrie minière est le premier employeur privé de Nouvelle-Calédonie avec environ 9 000 emplois directs ou en sous-traitance, sans compter les emplois induits dans le commerce et les services.

Et ce ne sont là que quelques exemples de réussite exemplaire ; mais nous en découvrirons bien d'autres dans quelques minutes ! En outre, les potentialités sont immenses, je pense notamment à celles de l'économie bleue, encore embryonnaire.

Cependant, le chemin du succès est souvent semé d'embûches et notre colloque a aussi vocation à exposer les difficultés rencontrées et les réponses apportées, l'expérience des pionniers pouvant parfois permettre aux acteurs émergents de surmonter plus aisément les obstacles et d'emprunter des raccourcis.

La seconde séquence de notre table ronde se focalisera sur les vertus de ce que l'on dénomme l'économie circulaire. Parce que nos territoires ultramarins se caractérisent souvent par la rareté du foncier disponible ainsi que des patrimoines naturels terrestres et maritimes d'une grande richesse, la préoccupation environnementale en termes de préservation et d'économie des ressources y est primordiale.

Sur ce chapitre aussi l'optimisation est de mise et les territoires se prennent en main ! Qu'il s'agisse de la gestion des déchets issus de la perliculture en Polynésie française, de la gestion durable des forêts guyanaises pour la production de sciages et profilés mais aussi de biomasse, ou encore du traitement et de la valorisation en Guadeloupe des déchets d'équipements électriques et électroniques récoltés dans la Caraïbe, la prise de conscience est générale et les plans d'action et les réalisations se multiplient. Ces initiatives sont bien sûr propices au développement d'un ancrage territorial de l'activité.

Mais les acteurs des territoires qui nous font l'honneur de leur présence au Sénat aujourd'hui sauront bien mieux que moi présenter les enjeux qui s'attachent à la structuration en filières et au développement d'une économie circulaire, de même que leurs contraintes et leurs atouts. Aussi vais-je m'effacer pour leur céder la parole.

Je vous remercie.

PREMIÈRE SÉQUENCE - MISER SUR LA « FILIARISATION » DE L'ÉCONOMIE »
Vincent GERONIMI, Directeur adjoint du CEMOTEV - Université de Versailles Saint-Quentin-en-Yvelines

Merci Monsieur le sénateur, merci de cette invitation à venir échanger sur le sujet important des territoires ultramarins. Je suis universitaire et vais parler en tant que tel, mais pas seulement.

En premier lieu, je me suis permis de prendre du recul, en opérant la synthèse d'une littérature impressionnante portant sur les problèmes liés au développement des petites économies insulaires. Nous comprenons pourquoi l'ancrage territorial du développement, pour les petites économies insulaires, et plus spécifiquement les territoires ultramarins, constitue un enjeu.

Ensuite, j'ai beaucoup travaillé sur l'exemple de la Nouvelle-Calédonie. Elle présente d'intéressantes spécificités pour se développer, telles que le nickel qui y est présent en abondance. Une stratégie de développement industriel s'est construite, mais la Nouvelle-Calédonie ne parvient toujours pas à équilibrer sa balance commerciale, malgré d'importantes exportations de nickel, qui représentent l'essentiel de ses exportations.

Dans notre ouvrage La Nouvelle-Calédonie face à son destin , nous arrivions à la conclusion que la Nouvelle-Calédonie devrait, pour se développer de façon soutenable, exploiter et valoriser son patrimoine. Le lien entre le patrimoine et l'ancrage local des économies ultramarines consiste en ce que le patrimoine constitue un capital spécifique, matériel, immatériel ou naturel, qui s'inscrit sur un territoire. Autrement dit, ce patrimoine est introuvable ailleurs. Ainsi, il peut être le point de départ du développement d'une activité économique et de produits différenciés destinés à des marchés extérieurs. Il permet alors de s'insérer dans l'économie mondiale et de favoriser le développement des petites économies insulaires.

Certains éléments, souvent évoqués lorsqu'on parle des territoires insulaires, doivent être remis en cause. Par exemple, la faible taille d'un territoire est souvent considérée comme un handicap économique. Certes, de petits marchés offrent difficilement la possibilité de bénéficier de rendements d'échelle. Toutefois, si ce handicap était aussi important et incontournable, les petits territoires devraient présenter des performances économiques inférieures aux autres territoires. Or, la littérature démontre le contraire. Les revenus par habitant générés par de petites économies peuvent être supérieurs à ceux de plus grandes économies.

Ce résultat remet en cause la surdétermination des trajectoires de développement par la taille d'un pays ou des critères géographiques liés à l'insularité. De fait, les trajectoires et performances de croissance des petites économies insulaires sont très hétérogènes.

Cependant, comme le rappelait Monsieur Magras, les petites économies insulaires restent confrontées à la difficulté, d'un point de vue macroéconomique, d'équilibrer leur balance commerciale. Bien qu'un petit nombre d'entre elles parviennent à couvrir les exportations de marchandises par les importations de marchandises, cet objectif pour les territoires ultramarins paraît inatteignable. Le taux de couverture de la Nouvelle-Calédonie, dont la stratégie de développement repose sur l'exportation de nickel, atteint 60 %. Ce chiffre, qui désigne le rapport entre la valeur des exportations sur celle des importations, est élevé. Poser la bonne santé et le développement économiques de ces territoires en termes d'équilibre de la balance commerciale ne fait pas forcément sens.

Comme l'indiquent les recherches de Bertram et Poirine, les petites économies insulaires qui réussissent privilégient les services, en particulier le tourisme et les flux financiers. Ils peuvent provenir de sources différentes : la relation particulière ou le passe-droit accordé par une puissance tutélaire permettant de bénéficier de dispositions fiscales intéressantes, ou les transferts liés aux migrations, souvent dans les économies les plus pauvres. Les meilleures performances s'obtiennent par la combinaison des services et des flux financiers.

Les résultats de nos analyses de la Nouvelle-Calédonie montrent que les stratégies de différenciation des produits et services doivent être exploitées, par la mobilisation des patrimoines et actifs territoriaux spécifiques dont bénéficient les petites économies insulaires. Par patrimoine, je veux parler de patrimoine naturel ou immatériel. En effet, la richesse totale ne se mesure pas uniquement à l'investissement économique traditionnel qu'affichent les comptes nationaux. Elle inclut aussi la richesse immatérielle, plus difficile à saisir, comme le capital humain, la qualité de la formation, le capital culturel et social, la qualité des institutions. Les stratégies de développement ne prennent pas toujours en compte cet aspect immatériel.

Ce patrimoine et ces actifs ancrés dans les territoires peuvent fonder des stratégies de différenciation permettant d'échapper à la concurrence par les prix. Être le seul à vendre un produit différencié permet de pratiquer un prix plus élevé, ce qui compense des coûts importants, liés par exemple à la faible taille ou à l'éloignement géographique.

La filiarisation de l'économie doit reposer sur une stratégie de valorisation et de mobilisation des actifs territoriaux spécifiques. La différenciation fondée sur cette stratégie permet à une économie confrontée à des coûts importants de s'insérer dans un marché mondial concurrentiel, de garder de l'emploi au niveau local et de s'insérer dans les « chaînes de valeur mondiales », c'est-à-dire des filières mondiales.

La tentative d'exploiter l'endémisme du patrimoine naturel, comme c'est le cas en Nouvelle-Calédonie, constitue cependant un danger pour une telle stratégie. Les plantes qui accumulent beaucoup de nickel sont composées de molécules dont les propriétés se révèlent intéressantes pour l'industrie agroalimentaire. Développer cette filière, si c'est possible, permettrait d'obtenir un positionnement intéressant.

Le tourisme illustre également la distinction entre une stratégie différenciée et une stratégie ordinaire. Par exemple, le tourisme de masse en République Dominicaine opère une concurrence par les prix mais, de ce fait, la rentabilité baisse. C'est pourquoi le pays, depuis quelques années, a adapté sa stratégie touristique et exploite désormais son patrimoine et ses actifs territoriaux spécifiques, en plus du sable, du soleil et de la mer.

Je vous remercie pour votre attention.

Vincent PACINI, Enseignant, chercheur, entrepreneur et consultant

Merci et bonjour à tous. Je suis à la fois enseignant-chercheur, entrepreneur et consultant car je considère qu'on ne peut plus regarder le monde d'aujourd'hui avec une seule paire de lunettes. Dans mon travail, j'adopte plusieurs angles d'analyse.

Le graphique illustre à quel point le monde dans lequel nous vivons a changé. Il présente les courbes du produit intérieur brut (PIB) par habitant et les revenus par habitant de la Révolution industrielle à aujourd'hui. Jusqu'à la deuxième guerre mondiale, les deux courbes sont corrélées. Dans ce monde des territoires de stocks, la création de richesse augmentait les revenus. Après la seconde guerre mondiale, la corrélation ne se retrouve plus. En d'autres termes, créer de la richesse sur un territoire n'augmente pas les revenus. Le PIB peut même baisser et les revenus augmenter. Cette transformation est la marque des territoires de flux.

Dans le monde des stocks, l'espérance de vie s'élevait à 50 ans environ. La moitié de la vie était consacrée au travail. Aujourd'hui, avec l'allongement de la durée de vie à 80 ans, un salarié aux 35 heures par semaine passe 14 % de sa vie à travailler. Avant, les lieux de vie et de travail étaient proches. Aujourd'hui, sur certains territoires, 60 à 70 % des actifs travaillent à l'extérieur. Les mécaniques et les dynamiques de développement ne sont plus les mêmes.

J'ai simplifié ces différences à travers deux modèles. Avant la seconde guerre mondiale, la richesse était créée et utilisée localement, et parfois exportée. La création de valeur reposait sur deux paramètres, l'agriculture et l'industrie. Dans le monde des flux, l'essentiel des revenus provient du paramètre résidentiel, qui représente en moyenne 50 % des revenus d'un territoire aujourd'hui, que ce soit en métropole ou en outre-mer. Ces revenus résidentiels se composent des retraites, du tourisme, des revenus portuaires et des revenus fonciers. Le tourisme génère 150 milliards d'euros. Additionnés aux 700 milliards d'euros versés par la sécurité sociale, la somme représente presque la moitié du PIB français.

Les revenus distribués par la sécurité sociale et l'administration publique irriguent l'économie des territoires, alors que les économies locales ne produisent que 20 % de leur revenu. En d'autres termes, aucune économie ni aucun territoire ne peuvent se développer seul, sans échanges extérieurs.

Cette manière d'observer la dynamique de développement d'un territoire produit un autre regard : certains territoires se considèrent comme pauvres, notamment en raison de leur nombre élevé de chômeurs et de bénéficiaires du RSA. Ces chiffres sont les marqueurs d'une réalité qui ne rend compte de la dynamique des flux. En effet ces mêmes territoires, peuvent capter bien plus de revenus (ramenés aux nombres d'habitants et par an) que la moyenne des territoires, mais leur modèle de développement a besoin de plus de ressources pour générer un emploi présentiel (emploi destiné à satisfaire les besoins des populations locales).

En résumé, les territoires qui présenteront demain les modèles de développement les plus robustes fonctionneront sur 3 leviers : créer de la valeur ajoutée exportable, capter des revenus et faire circuler les richesses captées et créées à l'intérieur du territoire. Et ces mécanismes devront s'inscrire dans une logique de croissance verte prenant notamment en compte une gestion raisonnée des ressources. La hausse mondiale du coût de l'énergie augmentera les coûts de production. Ainsi, l'importation d'énergie, qui représente 80 % du mix énergétique des territoires, crée un désavantage. Le développement peut reposer sur une plus forte indépendance énergétique et sur l'économie circulaire.

Le travail de recherche, commandé par Groupama en partenariat avec le CNAM, portait initialement sur l'impact de l'évolution des dynamiques territoriales sur les territoires de la France métropolitaine. L'étude a ensuite été étendue aux territoires d'outre-mer, notamment de l'océan Indien, des Antilles et à la Guyane. Nous avons appliqué la grille d'analyse utilisée pour l'espace métropolitain, en utilisant les trois critères suivants :

- l'attractivité : est-ce que le territoire attire des habitants, des revenus... ?

- la résilience : est-ce que le territoire a créé des emplois privés depuis la crise de 2008-2009 ?

- est-ce que le moteur présentiel génère de la richesse ?

Or, les résultats obtenus sont similaires à ceux de la France métropolitaine. Aucun territoire n'est condamné et les territoires ruraux ne sont pas nécessairement les territoires les plus fragiles.

Ma conclusion rejoint donc celle de Monsieur Geronimi. Il existe de réelles opportunités pour les territoires ultramarins, dès lors qu'ils prennent en compte la dynamique des flux dans leur stratégie et qu'ils cherchent à valoriser leurs spécificités. Je vous remercie.

Chérifa LINOSSIER, Présidente de la Représentation patronale du Pacifique sud (RPPS) et de la Confédération des PME de Nouvelle-Calédonie (CPME-NF)

Bonjour à toutes et à tous.

Les enjeux de structuration seront développés sur trois axes majeurs : le contexte économique des territoires français du Pacifique, la structuration des filières comme un enjeu de diversification et les freins liés à l'organisation institutionnelle de Nouvelle-Calédonie.

Les produits intérieurs bruts (PIB) par habitant de Nouvelle-Calédonie, Wallis-et-Futuna et Polynésie française comptent parmi les PIB par habitant les plus élevés des territoires d'outre-mer français. Celui de Nouvelle-Calédonie est similaire au PIB par habitant en métropole et celui de la Polynésie française se situe dans la moyenne des territoires ultramarins.

Dans l'océan Pacifique, les territoires d'outre-mer français font partie des meilleures économies en termes de PIB par habitant. Cet indicateur en Nouvelle-Calédonie côtoie celui de la Nouvelle-Zélande.

Source : CEROM

Source : CEROM / Gouvernement NC

Toutefois, nos économies se sont souvent concentrées sur un seul secteur d'activité. En Polynésie française, par exemple, le tourisme compte 2 700 entreprises, génère 15 % du chiffre d'affaires du pays et emploie 16 % des effectifs salariés. La croissance économique s'élevait à 1,8 % en 2016, dont un tiers s'explique par la croissance du tourisme. La corrélation entre le taux de croissance économique et la fréquentation touristique est manifeste.

En Nouvelle-Calédonie, dans les années 1960 et 1970, le nickel représentait jusqu'à 30 % du PIB. Cette part a diminué lors des dernières décennies, mais la dépendance aux cours du nickel reste forte et la croissance économique demeure corrélée aux cours de ce métal.

Ces deux exemples illustrent la dépendance de ces territoires à la volatilité de leur levier de croissance respectif. Une stratégie de diversification des sources de croissance et de développement d'autres filières paraît alors nécessaire.

La perliculture en Polynésie française illustre l'importance de la structuration en filières. Si le gouvernement polynésien a marqué sa volonté de soutenir le développement de cette filière en 1990, elle a souffert d'un manque d'organisation et d'une surproduction chronique. Les ventes de perles ont ralenti dans les années 2000. De ce fait, les producteurs et les négociants se sont regroupés en groupement d'intérêt économique (GIE) afin de valoriser la perle de Tahiti et de dynamiser sa commercialisation. Le 13 décembre 2016, l'Assemblée polynésienne a adopté une loi relative à la réforme réglementaire. Aidée par la volonté des acteurs politiques et économiques, cette loi a permis la création d'un conseil de la perliculture, l'instauration de quotas et la mise en place de cartes professionnelles.

En Nouvelle-Calédonie, l'exemple de l'industrie manufacturière et de ses leviers de croissance sera présenté par Xavier Benoist.

La volonté politique et économique croissante de structurer certaines filières en Nouvelle-Calédonie s'est traduite par la réalisation d'études portant sur quatre filières considérées comme prioritaires : le recyclage, l'agriculture, la pêche et le tourisme. Cependant, la provincialisation de l'organisation institutionnelle constitue un frein à cette structuration. En Nouvelle-Calédonie, les provinces disposent en effet de compétences stratégiques élargies, mais chacune gère ses filières économiques indépendamment des autres.

En termes de développement rural, maritime et touristique, de réglementation environnementale, de développement économique et d'insertion professionnelle, chaque province développe sa propre stratégie, alors que la Nouvelle-Calédonie ne compte que 270 000 habitants. Les provinces ont commencé à structurer leurs filières, mais elles se limitent à leur zone géographique. En l'état, la provincialisation institutionnelle permet la structuration des filières uniquement à l'échelle locale, et non à l'échelle du territoire.

En conclusion, la diversification économique en Nouvelle-Calédonie doit reposer sur une stratégie de développement territoriale et sur la coordination des provinces qui sont volontaires. Les investisseurs et chefs d'entreprises que je représente sont en effet prêts à relever ce défi. Je vous remercie de votre attention.

Xavier BENOIST, Président de la Fédération des Industries de Nouvelle-Calédonie (FINC)

Merci Monsieur le président. Mesdames et Messieurs, je vais partager avec vous l'exemple de l'industrie de transformation en Nouvelle-Calédonie. En écho aux propos de la sénatrice de l'Essonne, qui demandait ce que serait l'économie calédonienne sans le nickel, je demanderais ce que serait l'économie calédonienne sans son industrie de transformation.

En résonance avec les mots de Monsieur Geronimi, je crois qu'en Nouvelle-Calédonie l'esprit d'entreprendre est l'un des piliers de la réussite de la structuration des filières. Cet esprit pionnier perdure et il a permis, via le développement de modèles économiques en collaboration avec la puissance publique, la structuration de certaines filières. Aujourd'hui, nous faisons face à de nouveaux enjeux pour continuer ce développement.

Dans l'économie calédonienne, l'industrie compte 2 800 entreprises, dont 700 emploient 15 400 salariés dans le secteur privé, et contribue à 16 % de la création de valeur ajoutée. Elle est le premier employeur privé du territoire.

Cette industrie s'articule autour de trois principaux secteurs : le nickel, qui ne représentait que 3 % du PIB en 2015 selon les estimations de l'institut statistique ; l'industrie manufacturière, qui représente 9 % du PIB et emploie 8 % de la population active ; et l'énergie, amenée à se développer.

Comme l'indiquait le président, l'industrie de transformation se compose de 8 filières : le bâtiment, l'agroalimentaire, la consommation courante, le textile - je salue le président d'honneur de la fédération des industries textiles, également propriétaire de la quatrième entreprise textile française -, l'artisanat d'art - dont le président de la chambre des métiers et de l'artisanat est présent à cette séance -, l'impression et la signalétique, l'auto-moto-bateau, l'équipement industriel et la maintenance.

L'industrie de transformation en Nouvelle-Calédonie a également pu se développer grâce à l'accompagnement des pouvoirs publics dans les années 1980. Monsieur Tjibaou et Monsieur Lafleur ont en effet souhaité mettre en place une politique de développement économique pour résoudre les difficultés institutionnelles et civiles, avec le soutien de l'État.

La défiscalisation est très importante pour ce développement. Le montant du financement des projets d'entreprises s'élevait à 53 milliards de francs Pacifique en 2013, dont 8 % destinés à l'industrie manufacturière. Des outils de financement, essentiels bien que parfois peu performants, ont également été mis en place : l'AFD, BPI, l'IOM et les banques. Le système bancaire calédonien souffre cependant de certaines carences pour répondre à nos besoins.

La Nouvelle-Calédonie présente toujours une fiscalité à l'entrée, c'est-à-dire une taxation lors de l'entrée sur le marché, même si le difficile projet d'une réforme de type TVA est en cours. L'industrie de transformation bénéficie d'une exonération des taxes générales à l'importation (TGI). En d'autres termes, un importateur paye la TGI, mais elle n'est pas due par un producteur sur les matières premières et les emballages. Ainsi, l'industrie de transformation jouit d'un avantage concurrentiel. Elle bénéficie également d'une protection de marché sous la forme, d'une part, d'une taxe à l'entrée sur les produits importés et déjà transformés localement et, d'autre part, d'un dispositif quantitatif de quotas lorsqu'il existe une production locale. Un dispositif de défiscalisation locale, en plus de la défiscalisation nationale, accompagne aussi l'investissement productif.

Enfin, les provinces, dont je salue la première vice-présidente en charge du développement économique de la province sud, aident les PME et micro-entreprises grâce à un budget dédié. Il représente 4,8 % du montant des aides financières des provinces et constitue un élément essentiel pour l'accompagnement de l'industrie de transformation.

Une étude des Comptes économiques rapides pour l'outre-mer (CEROM) a mesuré le poids du nickel en Nouvelle-Calédonie dans l'industrie de transformation. En termes d'emplois liés ou de commandes d'achats reçus, l'industrie manufacturière n'est pas trop dépendante du développement du nickel, contrairement aux secteurs du BTP et du commerce. D'autres secteurs que le nickel pourraient ainsi se développer et permettraient d'accompagner l'épanouissement économique calédonien dans les prochaines années.

Aujourd'hui, l'industrie de transformation est bien implantée en Nouvelle-Calédonie. Il nous semble que la relance de la structuration des filières existantes doit reposer sur la volonté des acteurs économiques. À ce titre, les états généraux de l'industrie de novembre 2017 ont permis, d'une part, la création d'un « cluster », c'est-à-dire d'un réseau d'entreprises dédié à l'accompagnement des industriels pour exporter au niveau régional et, d'autre part, la structuration des filières en amont et à l'aval. Ils ont également favorisé l'émergence d'une volonté politique de la part de la Nouvelle-Calédonie, des provinces et de l'État.

Les états généraux de l'industrie se donnaient pour objectif la révolution de l'industrie calédonienne à travers 6 axes de travail. Un groupe d'environ 100 personnes, composé d'une moitié d'industriels et d'une autre moitié de représentants de la société civile, s'est rassemblé pendant deux jours pour réfléchir collectivement à ce que devrait et ce que pourrait être cette industrie d'ici 5 à 10 ans. 17 propositions ont été formulées. Elles ont fait naître 10 projets en cours de déploiement. Par exemple, un projet consiste à développer des solutions logistiques mutualisées pour les industriels calédoniens. Un autre prévoit, à moyen terme, l'utilisation d'un logo destiné à identifier les produits fabriqués localement qui respectent une charte de qualité.

La structuration de l'industrie de transformation en Nouvelle-Calédonie doit également reposer sur l'export. Il y a 4 ans, le nickel était considéré comme le seul produit exportable. Pourtant, une étude de la chambre de commerce et d'industrie (CCI) de Nouvelle-Calédonie a montré que 18 % d'industriels avaient déjà engagé des démarches pour exporter. Ainsi, un réseau d'entreprises exportatrices a été créé. Il compte une centaine d'adhérents, dont des fédérations patronales et des chambres consulaires. Le gouvernement calédonien a également déployé un plan stratégique qui s'appuie sur ce réseau pour accompagner les industriels et d'autres entreprises à exporter. Ainsi, en 2016, 18 entreprises ont réussi à exporter. Elles étaient 39 en 2017 et 64 en 2018, à la date d'arrêt de l'étude. La zone d'intervention s'étend aux pays de l'arc mélanésien, au Japon, à Taiwan et à la Chine, où elle exporte du textile.

La structuration des filières constitue un réel enjeu pour la Nouvelle-Calédonie et son industrie de transformation. Un transformateur de riz, qui importe sa matière première, est implanté sur le territoire depuis un certain temps. Aujourd'hui, dans le cadre de sa politique agricole, la province sud a entrepris des travaux avec la technopole pour cultiver du riz. Un débouché naturel pour écouler cette production existe. Une fois les rendements et la qualité nécessaires atteints, le transformateur de riz historique pourra être alimenté en matière première. De même, la filière béton et ciment se structure aujourd'hui. Enfin, avec la mise en place de nouvelles réglementations, l'industrie du chauffe-eau solaire devrait se structurer prochainement. Elle attise cependant des appétits extérieurs au territoire qui contribuent à freiner, voire empêcher cette structuration.

Un certain nombre de nos interlocuteurs au sein de l'administration française affirment que la Nouvelle-Calédonie est compétente pour son développement économique car les provinces le sont. Certes. Mais l'État dispose d'outils très performants qui nous font défaut. Tant qu'un autre outil n'aura pas été déployé, la défiscalisation doit être maintenue. Or, BPI France est une institution puissante. Certains de ses dispositifs ont été déployés, mais la Nouvelle-Calédonie a besoin d'elle et de l'État pour modifier le système bancaire. Le gouvernement calédonien et les provinces doivent bien entendu accompagner le développement stratégique pour relancer la structuration des filières existantes.

Une autorité indépendante de la concurrence a récemment été créée. Elle préconise une concurrence complète et totale pour réguler les marchés. Cependant, la concurrence menace les outils tels que les protections de marché et les exonérations spécifiques. Ainsi, nous ne sommes pas entièrement en accord avec un modèle économique essentiellement régulé par la concurrence. Je pense que nos élus ont un rôle à jouer pour développer des modèles libéraux régulés permettant d'accompagner la structuration des filières de l'industrie de transformation en Nouvelle-Calédonie.

En conclusion, quel que soit le choix institutionnel du 4 novembre ou des référendums à venir, le développement de la Nouvelle-Calédonie doit reposer sur le développement de ses filières. La volonté, le savoir-faire et l'innovation existent en Nouvelle-Calédonie. La stratégie de l'État, ambitieuse, annoncée par le président Macron autour d'un axe indo-pacifique, est une très bonne nouvelle. Elle est essentielle pour nous accompagner, mais elle nécessite la mobilisation de moyens qui n'existent pas aujourd'hui. Je vous remercie.

Grégory NICOLET, Président de l'Interprobois Guyane

Bonjour Mesdames, bonjour Messieurs. Je vais vous présenter la façon dont s'est structurée l'interprofession des bois de Guyane.

Les exploitants forestiers et les scieurs, la mission « forêt bois » à la chambre de commerce et d'industrie (CCI) de Guyane et la commission « bois » des moyennes et petites industries (MPI) de Guyane se sont regroupés à maintes reprises contre l'Office national des forêts, unique fournisseur. Par la suite, les exploitants et scieurs ont exposé leurs revendications aux autres entrepreneurs de la filière.

En 2009, malgré des différences de points de vue et de taille d'entreprise, une dizaine de corporations de métiers différentes ont été regroupées pour créer l'interprofession bois : gestionnaires forestiers, exploitants forestiers, scieurs, charpentiers, menuisiers, ébénistes, artisans d'art, architectes et professionnels de la filière bois-énergie. L'interprofession compte 215 entreprises, souvent de petite taille, dont 23 PME, et représente 830 emplois.

Avec le soutien de la CCI et des acteurs publics, nous avons été lauréats du dispositif « Grappe d'entreprises » et permis la promotion de la filière bois. Grâce à cette dotation, nous avons financé la création de la Maison de la forêt et des bois de Guyane. Elle s'érige comme un totem de nos métiers au milieu de la ville depuis la fin de sa construction en fin d'année 2017. Nous souhaitons également obtenir une certification de gestion durable de nos massifs forestiers. Nous sommes déjà labellisés PEFC et nous sommes en cours de labélisation FSC de nos 8 millions d'hectares de forêt.

La création d'un centre technique des bois et des forêts de Guyane pour développer des produits innovants est également prévue. Nous obtiendrions ainsi un meilleur positionnement à l'export et un meilleur ancrage local. En effet, de nombreux produits brésiliens, surinamiens, américains et nord-européens sont commercialisés. Face à cette concurrence, nous devons innover et proposer de nouveaux produits. Se positionner sur les marchés extérieurs nous permettrait également de réduire notre dépendance à la commande publique. Cette stratégie à l'export se heure cependant à des frais de port élevés et à des lignes commerciales difficiles plutôt tournées vers l'import. Aujourd'hui, environ 25 % de la production est exportée. Nous souhaitons que cette part atteigne 50 à 60 % dans les 6 ou 7 prochaines années.

La composition de l'interprofession bois est hétérogène. Certains corps de métiers, comme les scieurs et les charpentiers, sont surreprésentés tandis que d'autres, comme les menuisiers d'art et les ébénistes, sont sous-représentés malgré leur importance pour exporter sur des marchés de niche à forte valeur ajoutée. Ils sont peu structurés, mais nous avons intérêt à les soutenir. Par exemple, certains exportent au Canada et en Amérique du Nord.

Les entreprises sont très dispersées en Guyane. Nous sommes certes présents sur l'ensemble du territoire, mais nous rencontrons des difficultés pour nous réunir et communiquer. Nous réussissons cependant à construire une vision globale de la filière.

L'interprofession compte un seul fournisseur de bois : l'État. L'Office national des forêts (ONF) relève à la fois du secteur privé pour le bois et du secteur public pour la préservation des forêts. Le dialogue était parfois difficile avec cet acteur mais, grâce à l'interprofession, des points d'accord ont été trouvés.

Avec 215 entreprises, le tissu entrepreneurial se révèle peu dense, mais le projet de développement stratégique de la filière sur 10 ans amorcé en 2010 et mis en place en 2015 devrait tripler le nombre d'entreprises et créer 1 000 emplois directs. Il repose sur le développement de la filière biomasse, autrement dit le recyclage des connexes de l'exploitation forestière et des premières et deuxièmes transformations.

Notre modèle économique a correctement fonctionné jusqu'en 2011. Ensuite, la chute d'activité a fortement déséquilibré la filière et d'autres sources de revenus ont dû être trouvées. En accord avec les programmations pluriannuelles de l'énergie (PPE), nos efforts se sont concentrés sur le développement des énergies renouvelables et de la filière biomasse. Un objectif de fourniture de 25 Mégawatts d'électricité issue de la biomasse a été fixé. Cette stratégie de diversification concerne et unit l'ensemble des entreprises de l'interprofession.

Malgré l'hétérogénéité des acteurs de la filière bois, nous avons réussi à définir une vision commune qui a permis la naissance de l'interprofession. Tandis que certains exploitent la forêt et que d'autres s'approvisionnent sur le marché extérieur, une prise de conscience de l'interdépendance des acteurs a pu émerger. L'effondrement d'un secteur affaiblirait les autres.

Pour mieux se positionner sur les marchés locaux, une marque « bois de Guyane française » a été créée. L'obtention de l'écocertification constitue une réussite d'un point de vue éthique. Nous sommes reconnus pour notre exemplarité par les secteurs forestiers tropicaux, européens et nord-américains.

Une aide aux surcoûts a été mise en place. Sa négociation a débuté environ 10 ans auparavant et l'interprofession l'a confirmée. Ainsi, nous prévoyons de collecter et centraliser les fonds reçus pour l'aide aux surcoûts afin d'organiser des actions collectives pour se positionner sur les marchés extérieurs. L'argent collecté va soutenir l'émergence de la première entreprise de bois massif abouté et de bois massif reconstitué destinés aux marchés européen et nord-américain. Les bois seront résistants aux intempéries et aux termites. Une telle usine coûte entre 5 et 6 millions d'euros. Or, aucun acteur de la filière ne serait capable d'assumer seul les risques sans l'argent collecté.

Sur 10 ans, nous souhaitons réduire notre dépendance économique à l'exploitation de la forêt primaire. Elle constitue une source de richesse importante, mais sa conservation est une priorité. La valeur du bois est aujourd'hui connue, mais elle risque d'augmenter dans les prochaines années, en raison de sa rareté croissante. Dans certains pays d'Asie, la valeur de certains bois a été multipliée par 10. Ainsi, l'exploitation d'une forêt de plantation permettrait de préserver la forêt primaire. Grâce au développement de la filière biomasse, nous aurons les moyens de valoriser cette forêt de plantation sur les marchés. Dans un premier temps, le bois sera destiné à la filière bois-énergie. Dans 20 ans, des bois d'oeuvre pourront être exploités pour la construction de logements. Les bois de la forêt primaire seront destinés à des marchés de niche, afin d'en retirer la plus haute valeur possible.

Nous faisons face à de nombreux défis : augmenter l'activité des filières, atteindre les seuils de rentabilité des équipements industriels, assurer la fluidité des chaînes de transformation, diversifier les approvisionnements et les productions, construire une offre compétitive, développer le marché local du bâtiment, approvisionner les centrales biomasses et se positionner sur les marchés à l'export.

Nous devons également renforcer le poids économique de la filière bois, attirer des investisseurs, pérenniser les formations aux métiers de la filière et adapter les infrastructures. La Guyane connaît une forte pression démographique et compte de nombreux jeunes actifs. Ainsi, développer la formation professionnelle et créer de l'emploi localement constitue un enjeu pour la filière. L'ensemble des métiers de la filière sont proposés à la formation : sylviculteurs, exploitants forestiers, scieurs, mécaniciens, hydrauliciens, professionnels de l'énergie. La formation s'adresse à tous les niveaux, du CAP ou BEP à Bac+5. La création d'emploi favorisera la stabilité du territoire.

La production de bois d'oeuvre s'élève à 70 000 m 3 . Nous prévoyons un triplement de notre capacité de production dans 10 ans et une production de bois énergie de 300 000 tonnes.

Désormais établie, l'interprofession bois doit accélérer sa structuration. Nous souhaitons obtenir une reconnaissance nationale, puis européenne. L'ensemble des projets ont pu être réalisés grâce à la volonté des chefs d'entreprise. La reprise de la croissance économique en Guyane favorise notre optimisme. Selon nous, l'interprofession est promise à un grand avenir. Merci de votre attention.

Une stratégie de développement à 10 ans

Philippe LABRO, Président du Syndicat du Sucre de La Réunion

Je remercie le président Magras pour l'invitation à ce débat. Mesdames et Messieurs, chers amis de l'outre-mer, la structuration des filières me semble constituer une solution adaptée aux outre-mer. Je vous présenterai dans un premier temps les avantages de la structuration des filières, puis ses avantages en outre-mer. Enfin, j'illustrerai mon propos par l'exemple de la filière canne-sucre en outre-mer.

Selon moi, la structuration des filières offre de nombreux avantages aux secteurs de l'agriculture et de l'industrie agroalimentaire pour quatre raisons. D'abord, elle permet l'émergence d'une vision stratégique commune et partagée par les différents acteurs de la chaîne de valeur. Ensuite, la structuration constitue un outil de régulation, dont nos marchés ont de plus en plus besoin. Sur les marchés alimentaires, la régulation stabilise les niveaux d'activité et limite les crises de surproduction ou de pénurie. Troisièmement, elle permet la construction de stratégies de long terme essentielles dans des secteurs d'activité requérant d'importants investissements. Enfin, la structuration assure un meilleur partage de la valeur ajoutée au sein d'une filière.

Un nombre croissant de secteurs se structure en France et en Europe, comme en témoignent les états généraux de l'alimentation et la nouvelle politique agricole commune (PAC). Or, en termes de structuration, les départements d'outre-mer (DOM) peuvent servir de modèle.

Les DOM sont précurseurs en la matière car la nécessité de se structurer y est particulièrement importante. Dans un monde de plus en plus aléatoire et ouvert, le besoin de stabilité s'accroît. Or, les départements et collectivités d'outre-mer sont par nature plus touchés par les aléas, les instabilités et les perturbations. La structuration satisfait le besoin de stabilité.

Les perturbations résultent de causes externes et internes. Les DOM-COM reçoivent régulièrement sur leurs marchés les produits de dégagement, c'est-à-dire les surplus de produits fabriqués en métropole. Ces surplus déstabilisent les marchés locaux. En outre, la situation géographique de nos îles est propice aux incidents climatiques et la taille des marchés locaux est réduite.

Le POSEI, développé en marge de la PAC et particulièrement adapté aux régions ultrapériphériques, s'est construit pour accompagner le développement des filières. À ce titre, il doit être défendu à la fois sur le principe et sur le montant des enveloppes.

La filière canne-sucre est organisée en interprofession depuis 2006. Je salue Monsieur Isidore Laravine, co-président de l'interprofession. La structuration de la filière a apporté de nombreux avantages à l'économie et à la société de La Réunion.

La naissance de l'interprofession a permis de s'engager sur le long terme et de construire une vision partagée. En d'autres termes, nous avons choisi notre modèle de développement agricole et nous le préservons. Ce modèle est fondé sur de petites exploitations familiales créatrices d'emplois. La Réunion compte 3 000 exploitations cannières, dont la taille moyenne atteint 7,5 hectares en comptant les terrains destinés à l'exploitation d'autres matières premières. En comparaison, les exploitations en métropole s'étendent sur 120 hectares en moyenne, dont 20 hectares sont dédiés à la betterave et 100 hectares au maïs ou au blé. Le modèle mis en place dans les DOM offre 20 fois plus d'emplois à l'hectare que les cultures céréalières métropolitaines.

La structuration en filière repose sur un état d'esprit qui favorise le travail collectif et les partenariats. Le modèle réunionnais est fondé sur la complémentarité des filières agricoles. La production agricole atteint 300 millions d'euros en valeur, dont un tiers est produit par la filière canne, un tiers par la filière animale et un tiers par la filière végétale. La chaîne de valeur ajoutée de la canne s'élargit à la transformation industrielle. Ainsi, la filière canne-sucre à La Réunion est prédominante dans la production de valeur. Or, la stabilité offerte par la structuration de la filière a permis à l'interprofession de diversifier ses activités.

Par ailleurs, les exploitations de canne à sucre à La Réunion s'étendent sur toutes les communes de l'île, excepté Cilaos. Des installations industrielles, des sucreries, des centres de réception de la canne à sucre et des centres de recherche parsèment également le territoire.

Sur l'île de La Réunion, la filière canne-sucre génère 18 300 emplois directs, indirects et induits, soit 13 % des salariés du secteur privé et 9 % de la population active. En métropole, aucune activité n'atteint cette ampleur. Dans les mêmes proportions, la filière y emploierait 2,3 millions de personnes. Bien que La Réunion n'équilibre pas sa balance commerciale, elle exporte de nombreux produits issus de la filière. Le sucre et le rhum représentent deux tiers des exportations de La Réunion.

La bioéconomie peut bénéficier de la structuration de la filière canne-sucre. La culture de la canne à sucre est adaptée au climat de l'île car elle résiste aux aléas météorologiques. De plus, la canne à sucre participe aussi aux paysages de l'île et favorise le tourisme. Les deux sucreries les plus visitées de La Réunion accueillent chacune 300 000 visiteurs par an. En prenant en compte le musée du sucre et le musée du rhum, un touriste sur trois visite un site industriel. De même qu'elle est complémentaire des filières animale et végétale, la filière canne-sucre est complémentaire du tourisme. Enfin, le parc de canne à sucre capte l'ensemble des émissions en CO 2 des activités de l'île.

Dans le cadre de l'interprofession, des conventions de 6 ou 7 ans sont signées entre les producteurs de canne à sucre et les industriels. Elles assurent au producteur l'existence d'un débouché à prix fixe pour l'ensemble de sa production et protègent des crises de surproduction. Ainsi, les producteurs peuvent prendre le risque de se diversifier dans la filière animale ou la filière végétale. Grâce à cette organisation économique, le taux d'autosuffisance en produits agricoles frais atteint 80 % sur l'île.

Le modèle de l'interprofession constitue un exemple unique en France et en Europe et est amené à perdurer. Depuis les années 1980, l'industrie sucrière réunionnaise a développé 9 innovations mondiales réutilisées par le Brésil et l'Inde, dont 5 ces 7 dernières années. 10 millions d'euros sont investis chaque année dans les outils industriels. Le budget de recherche et développement s'élève à 6,5 millions d'euros par an.

L'économie cannière s'inscrit dans un modèle de développement circulaire. L'ensemble des composants de la canne à sucre servent la production. Ainsi, la bagasse permet de produire 10 % de l'électricité de l'île.

La majeure partie de la production de sucre est exportée en France et en Europe. La mélasse sert à la production de rhum et d'aliments pour le bétail. La bagasse permet, quant à elle, la production d'électricité. La production s'effectue dans un circuit intégré, rien n'est jeté. Ainsi, grâce à la réutilisation des écumes riches en amendements, nous pouvons éviter d'importer de l'engrais. La filière canne-sucre consomme peu d'herbicides et de produits chimiques.

La structuration de la filière canne-sucre permet tout à la fois le développement territorial, l'emploi, l'exportation, la complémentarité des filières agricoles, l'innovation, la bioéconomie et l'économie circulaire. J'espère vous avoir prouvé l'intérêt de la structuration en filières et j'appelle à défendre le POSEI qui la favorise. Merci à tous.

Source : Adrien Diss pour le Syndicat du Sucre de La Réunion (SSR)

SECONDE SÉQUENCE - STIMULER LES DÉMARCHES « RECYCLAGE ET VALORISATION »
Johnny LAW YEN, Président de Solyval

Bonjour à tous,

Merci de votre invitation Monsieur le président.

La décomposition du pneumatique dure des siècles s'il n'est pas recyclé. À La Réunion, depuis plus de 10 ans, nous avons construit une filière de recyclage avec certains partenaires. La prise en charge des déchets pneumatiques est une nécessité d'intérêt général. Avec un parc de plus de 400 000 véhicules, le risque sanitaire et environnemental est élevé. La saison des pluies dure 6 mois et la propagation des moustiques et des maladies vectorielles constitue un fléau. Un pneumatique peut contenir autant de larves que 20 ou 30 soucoupes d'eau. Les dépôts sauvages de pneumatiques favorisaient la prolifération de moustiques et de maladies. En 2005 et 2006, le chikungunya a touché un quart de la population et tué plus de 200 personnes. L'activité touristique s'est alors réduite de moitié. En outre, la combustion des pneumatiques pose des problèmes environnementaux et peut mettre du temps à s'éteindre.

Ainsi, entre 2004 et 2006, une filière de recyclage des pneumatiques s'est construite avec les importateurs et l'éco-organisme AVPUR. AVPUR désigne l'association pour la valorisation des pneumatiques usagés à La Réunion. Son rôle consiste à fédérer les importateurs et à structurer financièrement et techniquement la filière. Aujourd'hui, la filière compte 57 importateurs et collecte 75 % des pneumatiques de l'île. La société Run Environnement s'occupe de la collecte et Solyval gère le centre de tri, de regroupement et de recyclage. En 2019, la filière emploiera environ 30 personnes grâce au projet de revalorisation des pneumatiques.

Solyval, composée de 7 personnes, recycle la majorité des pneumatiques usagés sur l'île. Les pneumatiques collectés sont rapatriés sur le site de production, d'une taille de 1,2 hectare. Ils sont ensuite pesés puis triés. Les pneumatiques réutilisables, qui représentent entre 2 et 4 % des pneumatiques collectés, sont exportés à Madagascar. Les autres sont coupés et broyés. Le résultat, appelé « chips », servira au BTP ou sera exporté. Nous en transformons également une partie en gomme de caoutchouc, en acier et en textile. La gomme de caoutchouc permet la construction d'aires de jeux locales et l'acier est exporté. Une partie du textile est destinée aux centres équestres, l'autre partie aux centres d'enfouissement technique.

Avec les chips de pneu, nous avons réalisé d'importants chantiers pour Crête d'Or. Ces chips, utilisées comme produits drainants, permettent la création de bassins drainants. Par ailleurs, des murs de soutènement de la Zac Portail ont été construits à l'aide de ce matériau.

80 % de notre production est exportée, essentiellement en Inde. Lors de la naissance du projet, nous avions sous-estimé le potentiel de la filière à l'export. En 2010, nous avons fourni la FIFA en granulats de caoutchouc pour la Coupe du Monde de Football en Afrique du Sud.

Mais notre dépendance à l'export est forte. Les marchandises envoyées en Inde sont transformées en produits finis. Or, des usines de transformation pourraient être construites à La Réunion. Elles permettraient de générer de l'activité et de créer de l'emploi. En outre, la Chine a mis un terme à l'importation de déchets. Cette décision déstabilise la filière du recyclage en Europe et sur nos territoires. Enfin, le transport maritime est coûteux. Ainsi, nous souhaitons réduire notre dépendance à l'export.

Des études réalisées avec la CPME et nos partenaires des filières BTP et déchets ont montré l'existence d'un marché local pour les produits issus des granulats de caoutchouc. Ainsi, un nouveau projet de production de produits moulés, appelé Solygom, a été lancé. Nous sommes accompagnés par la région, l'ADEME et le Territoire de la Côte Ouest. Cet accompagnement nous permet de nous insérer sur nos petits marchés et d'être compétitifs.

Solygom prévoit la construction de dalles, de terrasses, d'allées, de panneaux et de tapis de confort pour les animaux d'élevage. Nous proposons un large panel de produits. Je compte sur la puissance publique et sur les territoires pour soutenir cette activité. Solygom s'inscrit dans l'économie circulaire, car les produits de la gamme pourront être réutilisés.

En conclusion, la filière se développe au niveau local. L'association AVPUR est performante grâce à sa bonne connaissance du terrain. Un débat national destiné à recadrer les éco-organismes est en cours et j'espère qu'AVPUR se maintiendra.

Merci de votre attention.

Chérifa LINOSSIER, Présidente de la Représentation patronale du Pacifique sud (RPPS) et de la Confédération des PME de Nouvelle-Calédonie (CPME-NF)

La CPME de Nouvelle-Calédonie s'est engagée dans une démarche de développement durable pour diversifier ses leviers de croissance économique. Il existe des fortunes dans nos poubelles. Deux femmes cheffes d'entreprise dans l'industrie, que je félicite, vont vous présenter leurs activités. Nous pouvons être fiers de nos territoires pour ces exemples de parité dans l'entreprise. Je suis fière de vous faire découvrir ces deux femmes courageuses. Merci.

Présentation d'un film sur l'activité de deux entreprises calédoniennes, OZD (recyclage de déchets organiques en compost, engrais et matériaux biomasse) et Recy'verre (recyclage du verre)

Jean-Marc AMPIGNY, Gérant de la société Essainia (2TDA SARL)

Monsieur le président, je vous remercie de l'occasion que vous me donnez d'exposer ce projet innovant et important pour le territoire. Je salue la présidente de la CGPME-CPME Martinique présente dans l'assemblée et qui m'a sollicité pour l'occasion.

L'assainissement non collectif en Martinique concerne plus de 60 % des foyers, dont seuls 20 % font l'objet d'un entretien régulier malgré ce que prévoit la loi. En d'autres termes, 47 000 habitations disposent de fosses septiques et 100 microstations, hors zone de la Communauté d'agglomération du centre de Martinique (Cacem), sont réparties dans le nord et le sud de l'île.

18 entreprises de vidange agréées collectent les boues des particuliers. Ces boues représentent un volume de 110 000 m 3 sur l'ensemble du territoire et 72 000 m 3 sur notre zone d'intervention. Dans un premier temps, nous nous sommes fixés un objectif de collecte de 50 % du volume de boue. Jusqu'au début de l'année 2018, seul le centre agréé de la Cacem était en mesure de récupérer les boues collectées. Les coûts d'acheminement vers ce site unique peuvent être importants suivant l'origine géographique des boues en raison de sa localisation et de la difficulté de circulation sur l'île.

Le projet Essainia vient répondre à ce besoin de traitement des boues sur la partie nord-est du territoire. En effet l `étude de faisabilité réalisée en 2013 avec le concours de l'Office de l'eau, l'ADEME, le bureau d'études SCE et Vilea, recommande la construction d'unités de traitement dont l'une sur le nord Atlantique.

Dans un contexte insulaire, trouver des terrains adaptés est extrêmement difficile. Le premier centre a été édifié au Marigot, car le maire de la ville, Monsieur Peraste, a tout de suite adhéré à la nécessité de ce projet et a pu identifier un terrain adapté. Dès 2014, la région devenue collectivité territoriale de Martinique (CTM) s'engage et nous convenons avec la société Maisonneuve de la mise en place d'une plateforme de traitement pilote. En 2015, les dossiers administratifs pour l'éligibilité et l'obtention de fonds européens sont constitués, par ailleurs l'arrêté préfectoral d'autorisation et le permis de construire sont obtenus. Le chantier débute en 2016 et est livré en novembre 2017. Je vous propose maintenant de visionner le film de présentation du projet....

Les images présentent l'évolution du chantier. En juin 2017, le génie civil était déjà avancé. Il se termine en juillet. En août, les équipements sont posés. En novembre, les premières boues sont acheminées par camion hydrocureur.

Je vous projette un autre film présentant cette fois-ci l'inauguration de la plateforme du Marigot.

En conclusion, le projet Essainia repose sur la réalisation de plusieurs plateformes de traitement qui seront judicieusement positionnées, conformément à l'étude de faisabilité évoquée précédemment. La maîtrise foncière est une phase toujours difficile mais pour la prochaine étape nous sommes en passe d'aboutir.

Cependant, sur les 18 entreprises agréées pour collecter les boues, 3 seulement ont adhéré au projet et une seule achemine les boues régulièrement.

Il est donc indispensable que l'État, qui délivre les agréments aux professionnels, s'assure du respect par ces derniers de la loi en matière sanitaire. L'environnement relève du droit pénal et les entreprises doivent être largement sensibilisées afin qu'elles jouent pleinement leur rôle dans la préservation de notre environnement.

Pour toute précision n'hésitez pas à consulter notre site internet www.essainia.fr qui héberge les films projetés lors de cette présentation et fournit des explications complémentaires. Mesdames et Messieurs, je vous remercie pour votre écoute attentive.

Christian TORRES, Président de la SIDREP

Bonsoir à tous. Je suis martiniquais et vis dans les Antilles depuis 35 ans. En France, j'étais spécialiste dans le traitement des centres d'enfouissement pour la société John Deere. À l'époque, tout, le bon comme le mauvais, était enseveli. Ainsi, je me suis rendu compte que les décharges publiques recelaient des opportunités économiques : ce constat est toujours valable.

Aux Antilles, j'ai lancé l'entreprise MPM. Elle fabrique des préformes, ces soufflés en plastique destinés à la production de bouteilles par les minéraliers et les entreprises de boissons gazeuses. Il y a 23 ans, j'étais persuadé que les déchets constituaient une matière première réutilisable. J'avais déjà conscience de l'économie circulaire et du recyclage. Cependant, aucun marché n'existait et je me suis concentré sur la fabrication de préformes à partir de produits dérivés du pétrole, importés du Mexique ou de Lituanie par exemple.

Mais l'idée de transformation du plastique m'est restée. Tout ce qui se construit se déconstruit, les matériaux récupérés sont réutilisables. Après plusieurs années, les Autrichiens ont trouvé le moyen de recycler les bouteilles en plastique, mais le résultat ne pouvait pas être utilisé dans la production de contenants alimentaires.

Lorsque la technologie pour recycler des bouteilles en plastique alimentaire a été disponible, j'ai décidé de créer Sidrep, une usine de recyclage en Martinique. J'étais précurseur, contre toute attente. Le Fonds européen de développement régional (FEDER) m'a accompagné dans le financement de l'usine située sur un terrain près du port. L'usine est implantée sur un terrain de 8 000 m 2 d'une valeur de 250 euros le m 2 . Comme l'a rappelé précédemment Monsieur Ampigny, tout est coûteux à la Martinique. Les banques nous ont suivis avec beaucoup de réticence. Le projet a mis du temps à se mettre en place.

Le coût total du projet s'élève à 11 millions d'euros, foncier compris. L'usine se compose de deux lignes. La première lave 600 kg de bouteilles par heure, soit 4 500 tonnes par an, les réduit en paillettes et les lave à nouveau pour atteindre l'alimentarité. La seconde transforme les paillettes en granulés stériles destinés à l'usine de fabrication des préformes.

L'installation de l'usine au port de Fort-de-France donne accès aux marchés des Caraïbes. Il n'y a pas d'usines de préformes entre la République dominicaine et Trinité-et-Tobago ; or, 1,4 milliard de préformes sont transformées dans cette zone. Il n'y a pas non plus d'usine de recyclage et la plus proche, au Costa Rica, n'effectue pas la transformation finale ; il faut sinon aller aux États-Unis. Nous avions mis toutes les chances de notre côté ; les usines de la République dominicaine et de Trinité-et-Tobago étaient même susceptibles d'acheter notre éventuel surplus.

Les collectivités territoriales sont chargées de la collecte et du tri sélectif, conformément au contrat signé avec l'entreprise Citeo, émanation des plus importants minéraliers français. Elle est financée par une taxe sur les emballages fabriqués et elle redistribue les fonds collectés aux collectivités en fonction du poids de déchets triés. En Guyane, le processus de tri a démarré il y a moins de deux ans et il faut attendre avant de porter une appréciation. En Martinique et en Guadeloupe, 14 000 tonnes de plastique sont jetées chaque année et seulement 11 % de ce volume est collecté. Aux Antilles, mon usine traite seulement 1 000 tonnes de déchets malgré sa capacité de production de 4 500 tonnes par an. Ainsi, nous éprouvons des difficultés à honorer nos dettes.

Je me suis aperçu que lorsque l'on sort du cycle privé/privé, cela ne marche pas. Avec mon autre société MPM, je travaille avec des acteurs du secteur privé s et l'usine tourne. Nous répondons à 92 % des besoins de préformes des entreprises en Martinique, un peu moins en Guadeloupe.

Malgré l'argent investi par les collectivités - environ la moitié des 11 millions d'euros évoqués précédemment - et par moi-même, un tiers du personnel de l'usine Sidrep a dû être licencié il y a 6 mois en raison d'une trop faible activité. Il faut être un peu un aventurier pour innover dans les outre-mer ; malgré mon engagement pour faire vivre cette société, elle n'y arrive plus aujourd'hui. Lors des 20 ans d'Eco-Emballages, en décembre 2012, elle avait été citée en exemple devant plus de 1 800 personnes comme la première entreprise de plasturgie s'inscrivant dans l'économie circulaire dans les outre-mer ; je ne voudrais pas réunir à nouveau 1 800 personnes pour annoncer sa disparition en raison de défaillances de la part de Citeo et des collectivités territoriales. Ceci ne pourrait que renforcer les craintes de tous ceux qui veulent entreprendre outre-mer. Vous risquez l'argent de toute une vie dans une affaire ainsi que de plonger, dans le même temps, vos salariés dans la difficulté parce que le système ne fonctionne pas. J'ai alerté le ministère des outre-mer et la préfecture, mais la situation n'évolue pas rapidement. Le temps des banquiers n'est pas celui des politiques : ils attendent que l'argent rentre, sinon, c'est la mort ! Je vous remercie pour votre écoute.

Antoine DE PALMAS, Directeur régional recyclage et valorisation La Réunion, Mayotte et Nouvelle-Calédonie Suez

Merci, Monsieur le président, de votre invitation. Je suis honoré de défendre le développement des outre-mer et la défense de l'environnement. Je vais tâcher de présenter ma vision et celle du groupe Suez de la problématique des déchets à La Réunion et en outre-mer. La règle de Pareto illustre cette problématique. 80 % des sujets, tels la mise en place du tri sélectif, le traitement des ordures ménagères et la valorisation des encombrants ont été réglés. Ils étaient probablement faciles à mettre en place. Le témoignage précédent montre que les 20 % restants sont les plus complexes à mener, mais, j'en suis persuadé, les plus intéressants et les plus valorisants.

Notre vision de l'économie circulaire concerne la valorisation du carton. Il est demandé aux Réunionnais de trier le carton. Une fois emballé, il est envoyé en Chine, recyclé, transformé en emballage, envoyé en Europe puis revendu à La Réunion. Dans ce schéma d'économie circulaire, le carton fait le tour du monde. Or, d'un point de vue environnemental, le bilan carbone est élevé, et d'un point de vue économique, la valeur créée quitte le territoire. Notre but consiste à réduire l'étendue géographique de la chaîne de valeur pour en faire bénéficier La Réunion.

Trois éléments satisferont cet objectif. D'abord, il nous faut augmenter le volume de matières premières captées. Ensuite, il faut innover, car les nouvelles filières d'économie circulaire n'atteindront jamais la taille critique des marchés européens. Enfin, il faut développer l'innovation sociale par le prisme des nouveaux modèles économiques de l'économie sociale et solidaire qui sont différents des modèles des entreprises privées classiques.

Inovest désigne le projet de construction d'une grande usine de tri. Les deux centres d'enfouissement à La Réunion arrivent à saturation. Le syndicat mixte de traitement des déchets du Nord et de l'Est (SYDNE), dont je salue le président Gérald Maillot, a choisi de nous faire confiance pour construire cette usine qui limitera l'enfouissement. En additionnant les volumes récoltés par le SYDNE et les déchets industriels banals (DIB) des entreprises, 70 000 tonnes de déchets sont enfouies aujourd'hui.

L'enfouissement de ce volume s'étend sur 23 hectares et emploie 10 personnes, alors que l'usine de tri s'étendra sur 2 hectares et emploiera plus de 30 personnes. Elle captera 72 % des matières premières enfouies. L'activité de cette usine ne concurrence pas le tri à la source ni le tri sélectif, elle est complémentaire.

L'usine traitera 15 000 tonnes de matières premières comme l'acier, l'aluminium, le plastique, 8 000 tonnes de compost et 70 000 tonnes de combustible solide de récupération (CSR). Depuis peu, il est considéré comme une énergie renouvelable et participera à la transition énergétique de La Réunion. L'usine permet d'optimiser la ressource foncière, en mobilisant moins de surface et de matière et en créant plus de valeur et d'emplois que les activités d'aujourd'hui.

Dans la conception, la réalisation et l'exploitation de ce projet, l'adhésion de la société de La Réunion est importante. L'usine représente un investissement d'un montant de 70 millions d'euros. La part défiscalisée de ce montant réduira les coûts pour la collectivité et les entreprises clientes. Nous faisons confiance à des entreprises réunionnaises. En se positionnant sur un marché estimé entre 2 et 3 millions d'euros, elles pourront embaucher des ingénieurs, capitaliser de l'expérience et la maintenir sur le territoire. La méthode Local Footprint ® qui sera présentée par Arnaud Florentin mesurera l'impact de cet investissement et proposera un plan d'action.

Les emplois créés pour cette usine n'existent pas encore sur le territoire. Nous avons fait appel au lycée professionnel pour développer des programmes spécifiques. Nous proposons cette usine comme lieu de travaux pratiques et comme support pédagogique. Nous souhaitons également que des formations dédiées soient élaborées, afin de recruter des Réunionnais pour ces postes à haute valeur ajoutée.

Un centre de tri récupérera les déchets de grande taille. La création d'un atelier solidaire accompagnera la structuration de la filière recyclage. Il sera exploité par une association et une entreprise d'insertion professionnelle pour favoriser le recrutement et la formation. L'objectif consiste ici à récupérer des matériaux en amont du tri sélectif et à les réparer pour alimenter les réseaux de ressourceries naissants. Le nombre d'emplois directs créé est estimé à 30 et le nombre d'emplois indirects à 100. Inovest permettra de doubler le volume de plastique actuellement capté par la filière recyclage. Le compost sera vendu au prix de 8 euros par tonne, alors qu'un sac de 15 kilos est vendu 25 euros en jardinerie.

L'économie circulaire s'oppose à l'économie linéaire. Aujourd'hui, l'économie fonctionne en écosystème plutôt qu'en concurrence classique. Il nous faut être plus complémentaire et développer de nouveaux partenariats. Le projet Inovest a été élaboré à partir d'un partenariat public-privé avec le SYDNE. Ce mode contractuel n'est pas habituel, mais il permet de profiter de la défiscalisation. Nous nous sommes engagés à rétrocéder à la collectivité l'ensemble des subventions et défiscalisations dont nous bénéficierions. Aucune marge n'est réalisée sur les subventions. Il est naturel que les clients finaux en bénéficient. Ainsi, l'apprentissage de la collaboration entre le secteur privé et le secteur associatif est favorisé.

En conclusion, le champ des possibles s'ouvre. Je suis persuadé que nous devons adopter des logiques gagnant-gagnant. Le développement des territoires va bénéficier aux entreprises. Nous devons tout mettre en oeuvre pour que ce sujet avance. Je vous remercie.

SECONDE TABLE RONDE - DEUX OUTILS POUR MAXIMISER LES RETOMBÉES LOCALES

PROPOS INTRODUCTIF
Thani MOHAMED SOILIHI, Vice-président du Sénat et Sénateur de Mayotte

Propos prononcé par M. Michel MAGRAS, président de la délégation en l'absence de M. Thani MOHAMED SOILIHI, retenu en séance publique

Monsieur le président de la Délégation sénatoriale aux outre-mer,

Mesdames et Messieurs les parlementaires et les élus, chers collègues,

Mesdames et Messieurs qui venez témoigner des actions que vous déployez dans vos territoires et du dynamisme qui les anime,

Mesdames et Messieurs, chers amis qui nous faites l'honneur de votre présence,

je suis heureux de l'occasion qui m'est donnée de mettre en perspective cette seconde table ronde, bien qu'il me faille jongler avec la séance publique pour soutenir des amendements sur le projet de loi pour une immigration maîtrisée et un droit d'asile effectif. Vous savez combien ces questions sont problématiques à Mayotte !

Mais revenons à l'ancrage local des économies ultramarines.

La seconde table ronde se focalise sur deux outils favorisant l'ancrage local :

- une procédure d'attribution préférentielle aux entreprises locales de parties de marchés publics, d'une part,

- une méthode d'évaluation des performances économiques d'un territoire afin de déceler les créneaux porteurs d'activité susceptibles d'être rapatriés sur le territoire, d'autre part.

Sur le premier volet, nous savons l'importance de la commande publique comme soutien à l'activité économique dans nos outre-mer. Celle-ci est en particulier vitale pour le maintien des filières structurantes comme le BTP. Ainsi, à La Réunion, elle représente près de 90 % du chiffre d'affaires de cette filière. Le coefficient multiplicateur de la dépense en matière de bâtiments et travaux publics étant parmi les plus élevés, la conjoncture économique des territoires est largement tributaire de l'effectivité de ce levier. De fait, le BTP a connu, depuis les années 1990, un développement considérable grâce à la commande publique. Ainsi, en Nouvelle-Calédonie, le nombre d'emplois dans ce secteur a été quasiment doublé entre 1995 et 2012, passant de 4 600 à 9 000.

Pour autant, ce secteur stratégique est affecté, depuis quelques années, par la baisse de l'investissement public due à la dégradation de la situation financière des collectivités. Ainsi, en Martinique, la diminution de l'investissement (- 4,6% en volume), et notamment de l'investissement public, a contribué à une baisse du PIB en volume de plus de 1 % en 2016.

Alors que le secteur public est essentiel pour l'économie mahoraise - rappelons que la consommation finale des administrations représentait 60 % du PIB du département en 2013 -, la détérioration de la situation financière des 26 collectivités du territoire, dont la capacité d'autofinancement a chuté de plus de 152 % en 2015, contribue au ralentissement économique à travers une baisse de la commande publique, notamment pour les investissements structurants tels que les équipements d'accès à l'eau potable, les infrastructures de transport ou de santé. Le plan d'urgence « eau » lancé par le ministère des outre-mer en février 2017, qui prévoit la mobilisation d'un fonds exceptionnel d'investissement de 5,5 millions d'euros, devrait permettre d'améliorer l'accès à l'eau potable de la population tout en relançant la commande publique sur le territoire. Au total, sur la période 2017-2021, les investissements dans ce domaine devraient légèrement excéder les 42 millions d'euros. Ce plan prévoit notamment la construction d'une usine de désalinisation et le renforcement de la digue de Combani. Enfin, le nouveau plan pour Mayotte présenté par le Gouvernement le 15 mai dernier prévoit un investissement pluriannuel « pour les infrastructures et les réseaux d'assainissement de l'eau et la gestion des déchets » pour 2018-2020 dont le montant s'élève à 150 millions d'euros.

La maximisation de l'impact du levier de la commande publique dans les outre-mer nécessitait d'en aménager les mécanismes afin qu'il profite effectivement aux entreprises locales. Ainsi la loi de programmation relative à l'égalité réelle dans les outre-mer du 28 février 2017 a-t-elle instauré un dispositif dénommé SBA ( Small Business Act ou stratégie du bon achat), tendant à réserver aux entreprises locales, pour l'essentiel des TPE-PME, jusqu'à un tiers du montant des marchés publics, et à favoriser la sous-traitance en direction des PME locales. Il s'agit d'un dispositif expérimental pour une durée de cinq ans qui bénéficie aux cinq collectivités régies par l'article 73 de la Constitution, la Guadeloupe, la Guyane, la Martinique, La Réunion et Mayotte, ainsi qu'à trois des collectivités relevant de l'article 74, Saint-Pierre-et-Miquelon, Saint-Barthélemy et Saint-Martin. En Nouvelle-Calédonie, en Polynésie française et dans les îles Wallis et Futuna, le dispositif ne s'applique qu'aux marchés passés par les services et les établissements publics de l'État. Le décret d'application est entré en vigueur le 1 er avril 2018 et je laisse le soin à nos intervenants de faire le point sur sa mise en oeuvre.

Je rappellerai simplement que ce dispositif avait été introduit en commission des lois à l'Assemblée nationale, puis supprimé par la commission des lois du Sénat au motif d'une contradiction avec les règles de l'Union européenne - la commission s'étant cependant déclarée favorable à l'esprit de la disposition - avant d'être rétablie définitivement en séance publique et enrichi en ce qui concerne la sous-traitance par l'adoption de plusieurs amendements convergents.

La seconde séquence de notre table ronde sera l'occasion de présenter l'étude « Réelle » comme « Ré-Enraciner l'Économie LocaLE ». Cette étude a été menée pour l'île de La Réunion : elle met en évidence les possibilités de relocalisation économique et le développement en mode local de nouvelles activités, avec à la clé une plus grande diversification et donc une moindre vulnérabilité de l'équilibre économique territorial. Elle permet de cibler les secteurs où la demande n'est pas satisfaite par une réponse locale et, dès lors, d'en stimuler le développement pour gagner en autonomie. Sans doute y aurait-il avantage à décliner cette démarche dans chaque territoire car une analyse fine des situations locales est un préalable à la définition et au pilotage efficace de stratégies de développement. Au nom de la reproduction des bonnes pratiques, nous serons très attentifs à sa présentation.

Je vous remercie.

PREMIÈRE SÉQUENCE - FOCUS SUR LE SMALL BUSINESS ACT (SBA)
Érik POLLIEN, Délégué général de l'Association des moyennes et petites industries de la Guyane et administrateur de la Fédération des entreprises d'outre-mer (FEDOM)

Mon propos vise à apporter un cadre historique au Small Business Act (SBA).

Le SBA a été voté par le congrès des États-Unis en 1953. Il s'est accompagné de la création de la Small Business Administration . Cette institution est chargée de la défense des petites entreprises, de la formation, du conseil, de l'assistance technique et de l'accès aux marchés publics. Aujourd'hui, elle est en charge de toutes les aides fédérales aux petites entreprises, qu'il s'agisse du financement en fonds propres ou en prêts, du conseil, de la formation et du lobbying en faveur des PME. Elle participe aussi au dispositif d'aide à l'exportation pour les petites entreprises américaines. Le dispositif s'inscrit dans un cadre intégré au niveau fédéral.

L'institution propose de nombreux programmes : l'accès à l'information, le conseil et la formation, le prêt, l'assistance financière, l'assistance à la recherche et développement, l'accompagnement de femmes cheffes d'entreprises, le développement des minorités ethniques et des Indiens d'Amérique chefs d'entreprise, l'accès aux marchés publics du gouvernement et l'assistance contre les désastres naturels. L'institution intervient sur un large spectre.

Elle offre également des mesures d'insertion pour les PME. S'agissant de la réservation des marchés de fournitures ou de services dont le montant du marché est estimé entre 2 500 et 100 000 dollars, lorsque seules les grandes entreprises peuvent répondre à l'appel d'offres, une partie du marché est réservée aux PME. Les appels d'offres d'une valeur de plus de 500 000 dollars remportés par une grande entreprise doivent comporter un plan de sous-traitance. Ce montant a été fixé en 1953, alors qu'on le retrouve dans des mesures récentes de 2017 dans la loi française. Au total, sur les 200 milliards de dollars annuels de marchés publics de l'État américain, plus de 40 milliards, soit 20,8 %, sont attribués aux PME.

Le rapport d'information de la commission des affaires économiques du Sénat de juin 1997 aboutissait à trois conclusions : il n'y a pas d'aide dont l'objectif direct soit la création d'entreprises en France ; les aides sont concentrées sur un très petit nombre d'entreprises ; les créations de très petites entreprises sont très peu soutenues. Déjà, le constat français face à un dispositif né il y a 44 ans aux États-Unis était édifiant.

En août 2007, le Président de la République Nicolas Sarkozy missionne Lionel Stoléru pour apporter des solutions aux problèmes de développement des PME. Son rapport présentait des conclusions incisives :

- il préconisait de se détacher du modèle du SBA américain car le combat semblait inutile et perdu d'avance. Pour ce faire, il aurait fallu demander les mêmes dérogations que les États-Unis auprès de l'Organisation mondiale du commerce (OMC) ou de l'AMP (Accord sur les marchés publics). Mais ce n'était compatible ni avec les directives communautaires, ni sur le plan constitutionnel français, et cela représentait surtout une perte de temps compte tenu de l'urgence à réformer. En d'autres termes, la déclinaison juridique du SBA des États-Unis ne s'accordait pas avec le cadre juridique européen. De plus, aux États-Unis, en valeur, le SBA réservait entre 20 % et 23 % des marchés aux PME alors qu'en France, la moyenne des marchés accordés aux PME atteignait déjà 35 % ;

- il recommandait la préparation d'un SBA européen. Il s'agissait d'améliorer l'accompagnement des PME en profitant des expériences conduites par les 27 États membres ; conduire les jeunes vers l'entrepreneuriat ; mettre en phase les réformes nationales dans la lignée d'un SBA européen ;

- il suggérait la création d'une Small Business Administration française destinée à réformer en profondeur le système français, notamment le code des marchés publics et les comportements des acheteurs publics, et destinée à prendre en compte les attentes des PME.

Ces recommandations datent de 20 ans.

En 2008, le Small Business Act européen naît. Le 25 juin 2008, l'Union européenne se dote d'un cadre stratégique pour renforcer la compétitivité des PME. En France, à cette époque, le point le plus urgent à traiter demeure le changement d'approche de la culture de l'entreprise. Le SBA européen repose sur les principes suivants : créer un environnement dans lequel les entreprises peuvent prospérer et où l'esprit d'entreprise est récompensé ; définir les règles selon le principe « Think Small First » ; assurer la réactivité des administrations publiques aux besoins des PME ; faciliter la participation des PME aux marchés publics ; faciliter l'accès des PME au financement ; promouvoir le renforcement des qualifications au sein des PME ; permettre aux PME de transformer les défis environnementaux en opportunités ; encourager les PME à tirer parti de la croissance des marchés. Ces thématiques sont toujours d'actualité.

En 2011, le SBA européen est réexaminé. Ses retombées mitigées conduisent la Commission Européenne à intégrer le SBA dans les objectifs de la stratégie UE 2020. Ce plan stratégique se donne comme objectif la promotion du principe « une fois seulement », traduit en France par le « dites-le nous une fois », l'amélioration de l'accès au financement grâce à des garanties de prêts qui aident les PME à répondre aux défis de la mondialisation et l'accompagnement des entreprises pour accéder au marché unique.

En 2014, des avancées notables dans les pays de l'Union se font sentir, mais le SBA doit être ajusté en raison de difficultés persistantes. En effet, les charges administratives et légales restent la principale préoccupation des entreprises. De plus, l'accès au financement demeure difficile, malgré les mesures prises. Enfin, l'accès aux marchés n'est pas toujours fluide.

Le 9 juin 2015, le Premier ministre Manuel Valls dévoilait un projet de mesures, repris par les médias comme le Small Business Act à la française. Ce projet prévoyait 10 mesures pour l'emploi. Il proposait également de faciliter l'accès à la commande publique et de développer l'entrepreneuriat. Mais la création d'une administration dédiée à la mise en oeuvre et la déclinaison de ces mesures n'était pas prévue.

En 2016, la première déclinaison du SBA apparaît à La Réunion. L'association de type loi 1901 « Stratégie du bon achat » est créée par des professionnels pour organiser l'achat public. Elle vise à favoriser la rencontre entre la demande émanant des acheteurs publics et l'offre du tissu économique local. Pour l'instant, cette initiative départementale est unique en France.

En 2017, la loi relative à l'égalité réelle outre-mer (EROM) est votée. L'innovation de l'article 73 vient de l'utilisation du terme « local », qui symbolise à lui seul l'esprit et la volonté du législateur. Ce terme, auparavant interdit dans le jargon communautaire, apparaît pour la première fois. L'objectif consiste à fluidifier la relation entre les opérateurs économiques ultramarins et les donneurs d'ordres publics. La commande publique représente en effet, dans le secteur du BTP, la grande majorité du chiffre d'affaires de la filière. De plus, les TPE représentent plus de 90 % du tissu économique ultramarin. Des initiatives ultramarines et des remontées d'expérience telles que la « stratégie du bon achat » ont permis, pour la première fois, d'utiliser l'expression « entreprises locales » dans la loi. Enfin, la loi constitue une véritable innovation en matière de discrimination, alors qu'elle était impensable dans l'Accord sur les marchés publics surveillé de près par l'OMC, l'Europe et la jurisprudence française.

En conclusion, en prenant en compte, en plus de la loi EROM, l'arrêt de 2007 « Tropic Travaux » du Conseil d'État, issu d'un contentieux public avec une entreprise de signalisation routière guadeloupéenne, qui a profondément modifié le droit des contentieux dans les marchés publics, nous pouvons affirmer que les outre-mer participent à l'évolution du droit français dans la commande publique.

Jean-Marc PEYRICAL, Président de l'Association pour l'achat dans les services publics (APASP)

Merci Monsieur le président. Bonjour à tous. Le titre de mon intervention, « Le SBA est-il une révolution ou un leurre ? », est provocateur à dessein.

La loi du 28 février 2017 relative à l'outre-mer et son décret d'application du 2 février 2018 sont révolutionnaires. En effet, les acheteurs publics ultramarins peuvent réserver jusqu'à un tiers de leurs marchés publics à des PME locales. Une telle expérimentation est fondamentalement contraire aux principes d'égalité de traitement des entreprises candidates et de liberté d'accès au marché qui gouvernent la commande publique. Il est exceptionnel de favoriser le localisme dans la commande publique. De plus, la loi ne me paraît pas respecter entièrement le droit européen, bien que la Commission Européenne ne se soit pas encore prononcée.

Je parle de leurre en raison des retours des acheteurs publics et des entreprises que j'ai pu rassembler. Certains acheteurs n'étaient pas au courant de cette loi. Lors d'un récent sondage que j'ai réalisé en Guyane, sur 100 personnes, seulement 20 connaissaient ce texte et 80 n'en avaient pas connaissance. La loi est certes récente, mais il y a des défaillances d'information. Trois réserves ont également été exprimées par les acheteurs et les entreprises.

D'abord, la limite de 15 % par an du montant des marchés passés dans le secteur concerné au cours des trois dernières années n'est pas comprise.

Ensuite, la notion de « local » a alimenté la confusion. Or, le décret du 2 février 2018 a confirmé que le local s'entendait au sens du territoire tout entier. Ainsi, les entreprises dites locales peuvent opérer sur tout le territoire, alors que certains maires souhaitent favoriser les entreprises de leur commune ou de leur agglomération.

Enfin, le fait de favoriser des PME n'a pas de sens. Une PME est définie en France par un chiffre d'affaires maximal de 50 millions d'euros et par un nombre de salariés de moins de 250 personnes. Or, toutes les entreprises en outre-mer sont des PME. Quant aux filiales de grands groupes, d'après le droit européen, elles sont considérées comme des PME si elles ne sont pas détenues à plus de 25 % par une entreprise. Ainsi, une filiale de Suez localisée en Guyane et détenue à hauteur de 35 % par le groupe ne sera pas considérée comme une PME dans le droit européen. L'intérêt de réserver le marché aux PME alors que les territoires sont composés uniquement de PME semble paradoxal.

Ainsi, passer par un texte pour permettre aux PME locales d'accéder à la commande publique ne semble pas indispensable. Michel Crozier avait publié, dans les années 1980, un livre intitulé On ne change pas la société par décret . Je crois que favoriser les PME repose sur la diffusion de bonnes pratiques, sur la volonté des acheteurs, la formation et la compétence, le sourcing et la rencontre entre acheteurs et prestataires, en résumé sur des éléments humains plutôt que sur un texte. Je vous remercie.

Dominique VIENNE, Président de la Confédération des petites et moyennes entreprises (CPME) de La Réunion et de l'association Stratégie du bon achat de La Réunion

Merci Monsieur le président.

Je préfère croire que le droit est au service d'acteurs intelligents. Entre la Technique, l'Organisation et le Comportement (TOC) ou la Technique, l'Insensibilité et le Contractuel (TIC), je choisis la première option.

Je suis entrepreneur dans le bâtiment. En 2009, les entrepreneurs de cette filière étaient mécontents de constater que certains chantiers étaient réalisés par de grandes entreprises extérieures. En particulier, un terminal céréalier commandé par la chambre de commerce et d'industrie avait été conçu par un architecte métropolitain à partir d'une technique de lamellé-collé. Cette technique excluait de fait les entreprises locales. J'ai alors réfléchi à un moyen d'organiser la commande publique, à partir de critères de confiance et d'équité garantissant à chacun de pouvoir accéder à la commande publique. Ainsi est née la volonté de créer la rencontre entre des mondes travaillant ensemble mais qui ne se connaissent pas. Le politique et l'économique souhaitent tous deux bâtir une société qui fonctionne.

L'association Stratégie du bon achat (SBA) n'est pas un article de loi. Elle vise à assurer le sentiment d'équité d'accès à la commande publique. À La Réunion, le chômage est important. Envisager de maximiser les retombées locales ne relève pas du nombrilisme mais d'un devoir sociétal. La commande publique ne doit pas être une dépense mais un investissement pour le bon développement de nos territoires. Le cadre juridique qui assure l'existence de l'association est composé de la loi NOTRe, de l'article 73 de la loi EROM, du plan national d'action pour les achats publics durables et de la feuille de route de l'économie circulaire.

L'association se donne pour mission de rendre visible et intelligible la commande publique pour tous les opérateurs économiques. Certes, nos territoires sont petits, mais la taille d'un acteur économique ultramarin n'est pas importante. Nous entretenons une relation intime et profonde avec le territoire, car nous sommes liés à lui d'un point de vue économique et humain. Notre destin dépend du dynamisme du territoire. L'objectif de l'association consiste à rapprocher l'offre et la demande et à modifier les conditions de rédaction des cahiers des charges pour les rendre inclusives.

Dans la stratégie du bon achat, les conditions pour former les acheteurs publics sont créées. Des modules de formation ont été mis en place avec le CNFPT. Dans les chambres consulaires, nous avons formé les chefs d'entreprise à mieux accéder à la commande publique. Il ne s'agit pas de discrimination, mais d'émancipation et de fierté.

L'association Stratégie du bon achat se compose d'un collège de 14 représentants d'entreprise parmi lesquels le BTP, les services, les professions libérales, les artisans et les commerçants. Un second collège se compose des collectivités. 14 d'entre elles sur 25 existantes à La Réunion on rejoint l'association : nous comptons des bailleurs sociaux, le conseil régional, le conseil général et les intercommunalités de La Réunion. Nous organisons des réunions mensuelles pour réfléchir ensemble sur le dynamisme du territoire et le pilotage d'une commande publique responsable qui bénéficie à nos entreprises. Pendant nos réunions, nous anticipons les besoins d'investissement et de formation que requièrent les projets publics. L'article 73 bis de la loi EROM ne vise donc pas à nous accorder un droit de tirage en raison de notre localisation géographique.

L'association a pour ambition de transformer les achats de la commande publique en actes stratégiques de développement territorial. Autrement dit, il s'agit de s'assurer que les conditions pour maximiser les retombées locales ont été réunies. Ces conditions reposent sur des contrats gagnant-gagnant, autrement dit sur des prix de vente acceptables pour les acheteurs publics et suffisamment élevés pour les entreprises afin qu'elles puissent trouver un équilibre entre leurs recettes et leurs charges. L'objectif est, grâce à ce modèle équilibré, que les entreprises puissent projeter leur volume en diversifiant ou densifiant leur activité. Nous devons maintenir un dialogue économique dans lequel les deux parties trouvent un intérêt qui converge pour participer au développement du territoire. La stratégie du bon achat encourage le croisement de compétences et soutient ainsi la diversification territoriale.

Le circuit d'économie circulaire vertueux que nous défendons débute par l'acheteur public. En achetant sur le territoire, il développe les investissements et les emplois locaux. L'emploi soutient la consommation locale qui, elle-même, se traduit par des recettes fiscales. Je vous propose de visionner le témoignage d'Éricka Bareigts, ministre des outre-mer à l'époque. Grâce à elle et à vous, Monsieur le président, les conditions que défend la stratégie du bon achat ont pu exister.

La stratégie du bon achat repose sur un triptyque : l'anticipation de la commande publique, son adaptation selon des critères d'équité pour favoriser l'accès des entreprises, et l'ancrage territorial. Ce triptyque se traduit par une convention signée entre l'acheteur public et l'entreprise qui engage juridiquement les signataires. La convention court sur une durée de 3 ans. Elle prévoit l'organisation d'une journée du territoire chaque année, pendant laquelle les acheteurs publics présentent leurs besoins. Cette rencontre permet de créer un climat de confiance. Par exemple, la journée du territoire de la Communauté intercommunale du nord de La Réunion (CINOR) a été tenue le mois dernier. Elle a mobilisé plusieurs services publics, dont un CHU et un bailleur social.

La convention prévoit également la mise en place d'un comité expert au travers duquel les acheteurs vérifient les conditions légitimes et légales de leurs commandes. Ainsi, pour alimenter les cantines scolaires, l'acheteur peut adresser sa commande sur un marché de fournitures et de services qui prévoit la visite de vergers et d'usines par les petites classes. En fin d'année, le dispositif est évalué afin de vérifier que chaque partie a été gagnante. L'évaluation est réalisée à partir d'une matrice.

La loi NOTRe oblige les collectivités à mettre en ligne leurs données publiques. Avec une start-up réunionnaise, nous avons créé un portail baptisé EVAMAP permettant l'accès aux données d'attribution des marchés signataires. Ainsi, 143 appels marchés ont été attribués en 2015.

En conclusion, la stratégie du bon achat recommande 10 points-clés aux collectivités :

- nommer un référent en interne ;

- définir ses besoins annuels d'achat ;

- organiser une journée du territoire ;

- préparer des comités experts pour créer les conditions de localisation de la commande ;

- adapter ses procédures d'achat ;

- bonifier les conditions de trésorerie des entreprises, en payant un acompte, par exemple ;

- dimensionner ses marchés pour créer des conditions d'équité ;

- soutenir l'innovation locale ;

- passer des commandes publiques ; soutenir l'insertion et l'emploi ;

- favoriser l'ancrage territorial.

L'achat public peut être un puissant levier de développement économique de nos territoires et l'association SBA se fera un plaisir de dupliquer son expérience sur d'autres territoires. Merci de votre écoute.

Joëlle PRÉVOT-MADÈRE, Présidente de la Confédération des petites et moyennes entreprises (CPME) de Guyane

Je vous remercie. La stratégie du bon achat et ses exemples m'ont inspiré confiance. Elle devrait être appliquée en outre-mer, en prenant cependant en compte la réalité de chaque territoire.

En Guyane, la démographie galopante engendre des besoins importants. Une forte démographie peut être comprise comme l'existence de besoins supplémentaires auxquels il faut répondre en termes de création d'emplois ou d'augmentation de la commande publique. Cependant, d'après le dernier rapport d'évaluation de l'inspection générale des affaires sociales (IGAS), la pression démographique est liée à un taux de fécondité élevé, et surtout à une pression migratoire, plus illégale que légale, de plus en plus forte sur un laps de temps de plus en plus court.

Cette forte pression migratoire augmente les besoins en logement, et donc en foncier aménagé. De plus, l'accès aux soins est plus difficile en raison des déficits en termes de structures hospitalières, de moyens humains et de matériel. Le système éducatif est également mis sous tension. En effet, le nombre d'élèves a augmenté de plus de 1 000 par an entre 2010 et 2015. Selon les projections, le nombre d'élèves devrait s'accroître de 45 % en école élémentaire, de 35 % en collège et de 116 % en lycée.

La Guyane est le seul territoire ultramarin dans lequel sont parlées 17 langues vernaculaires. Ainsi, le taux d'échec est élevé et les chercheurs n'ont pas à ce jour trouvé de solutions totalement efficaces. Nous expérimentons depuis quelques années l'accompagnement d'enfants par des assistants en langue maternelle pour faciliter la scolarisation.

En raison de ce fort taux d'échec, le chômage se maintient à un niveau élevé, l'insécurité augmente et des activités illégales se développent. Surtout, l'ampleur de l'économie informelle pénalise l'activité légale. Enfin, la paupérisation s'accroît.

La décomposition du produit intérieur brut (PIB) révèle un secteur marchand atrophié, malgré la nécessité de favoriser la croissance économique pour absorber le choc démographique. Le PIB par habitant en Guyane stagne à 50 % du PIB national médian. Dans le même temps, le PIB par habitant en Martinique et en Guadeloupe s'accroît et se rapproche du PIB par habitant de certains départements français.

Ainsi, la collectivité locale en Guyane est fortement pénalisée et ses besoins en commandes publiques sont forts. Elle cherche à conclure des commandes au prix le plus faible possible. Pour l'instant, la stratégie du bon achat ne peut être appliquée de façon optimale en Guyane.

Compte tenu de l'importance de la commande publique dans le PIB en Guyane pour les vingt prochaines années, et dans l'attente d'un meilleur équilibre entre commande publique et économie privée, les entreprises devraient être payées en temps et en heure lorsqu'elles concluent un marché avec les collectivités ou l'État.

D'après un rapport sénatorial du 26 octobre, « la délégation a particulièrement été' frappée par trois faits saillants qui illustrent la situation remarquablement difficile des entreprises en Guyane : le premier est que ces entreprises subissent de la part du secteur public local (collectivité' territoriale de Guyane, cantine scolaire ou hôpital notamment) des délais de paiement pouvant aller jusqu'à` plusieurs mois voire même plusieurs années, ce qui n'est pas tenable pour la trésorerie des entreprises et les met gravement en péril ».

Ainsi, les retards de délai de paiement demeurent un problème important en Guyane, malgré le décret du 29 mars 2013 relatif à la lutte contre les retards de paiement dans les contrats de la commande publique. Nous nous sommes attachés à convaincre les services sociaux, telles la sécurité sociale, les caisses de retraite ou le régime social des indépendants (RSI), et les services de l'État de mettre en place un dispositif de nantissement des créances publiques.

Je vais vous présenter ce dispositif élaboré par Madame Harang, directrice de la sécurité sociale en Guyane. Dans un contexte socio-économique complexe, il s'agit de déployer localement une offre de « nantissement » au bénéfice des cotisants du secteur privé confrontés à des difficultés de trésorerie du fait de la défaillance de paiement dans les délais de donneurs d'ordre publics. Ce constat reconnaît les difficultés rencontrées par les chefs d'entreprise en Guyane.

Juridiquement, le dispositif se fonde sur le code des marchés publics et la circulaire du 14 février 2012, l'instruction de 2007 et la circulaire interministérielle du 25 juin 2013 dont l'objet consiste en la résorption de la dette sociale dans les départements d'outre-mer dans son volet 2, chapitre B libellé « Possibilité de nantissement des marchés des collectivités publiques ». La CPME nationale souhaite étendre ce dispositif à l'ensemble des entreprises françaises.

Les cotisants éligibles à ce dispositif doivent accumuler une dette d'au moins 10 000 euros. Le montant d'éligibilité devait initialement se porter à 20 000 euros, mais nous avons réussi à abaisser le montant pour que de très petites entreprises (TPE) puissent en bénéficier. Ils doivent également détenir un marché' public en phase d'exécution ou exécuté et non payé totalement ou partiellement, en paiement direct, et dont la somme a minima couvre une fraction non négligeable de la dette sociale portant sur la part ouvrière, ne faisant pas l'objet d'une liquidation ou d'un redressement judiciaire et n'ayant pas fait l'objet de redressement pour travail dissimulé.

Les dossiers seront analysés par une structure collégiale sur le modèle de la commission des chefs des services financiers (CCSF) ou du comité départemental d'examen des problèmes de financement des entreprises (CODEFI), par exemple. Elle sera composée de représentants des services publics ou organismes sociaux concernés, à savoir l'État (CRD), la direction régionale des finances publiques (DRFIP), la caisse générale de sécurité sociale (CGSS), l'institution guyanaise de retraites complémentaires (IGRC) et pilotée par le commissaire au développement productif. Elle se réunira en cas de besoin et sa saisine est à` l'initiative du cotisant lui-même, spontanément ou conseillé par l'un de ses créanciers, ayant pouvoir de décision et élaborant la convention de nantissement. Un modèle de convention de nantissement nous a été transmis.

Les dossiers doivent se composer de la production d'une copie de l'exemplaire unique du marché', du détail des différentes tranches du marché, qu'il soit entièrement réalisé ou non, de la vérification de l'absence de liquidation et de la vérification de l'existence de prise de garantie.

La sécurité sociale est même allée plus loin. Une entreprise en difficultés financières souhaitant missionner un marché est autorisée à utiliser l'argent qu'elle gagnera grâce à ce marché pour nantir ses dettes.

Le dispositif de nantissement a été présenté en 2015 et il a été mis en application en 2016. Jusqu'à mars 2017, 50 entreprises ont déposé un dossier de nantissement. Nous participons, avec l'accompagnement d'un représentant de la sécurité sociale, à la diffusion de l'existence de ce dispositif auprès des entreprises guyanaises qui ne le connaîtraient pas.

Voici le dispositif que nous proposons, Monsieur le président, afin que les entreprises guyanaises demeurent pérennes et structurées.

Gérald MAILLOT, Président de la Communauté intercommunale du nord de La Réunion (CINOR)

Merci Monsieur le président. Bonsoir à toutes et à tous. Nous utilisons le droit mis au service du territoire et nous nous considérons comme des entrepreneurs, que nous soyons issus du secteur public ou du secteur privé. La CINOR est une intercommunalité de 200 000 habitants. Elle compte 80 000 emplois, soit un tiers des emplois de La Réunion, et 16 000 entreprises, dont 70 % relèvent de l'auto-entrepreneuriat. 60 % des entreprises ont moins de 5 ans. En 2016, nos marchés publics s'élevaient à 36 millions d'euros, dont 83 % ont été attribués aux TPE et MPE.

Le développement de notre territoire repose sur 12 projets qui seront, pour la plupart d'entre eux, livrés avant 2020. Malgré la baisse des dotations de l'État, la CINOR est capable de dépenser de l'argent pour soutenir le développement économique. Ainsi, nous allons renouveler nos infrastructures et l'organisation de la collecte des déchets. Nous souhaitons être propriétaires des poubelles, dont la fabrication et l'entretien seraient réalisés par des petites ou moyennes entreprises. Sur les marchés publics d'un montant élevé, il serait souhaitable que les grands groupes prévoient la participation de petites entreprises.

La CINOR construit actuellement une pépinière d'entreprises et de start-up , appelée le Cube. Le bâtiment, innovant, s'élèvera sur 2 ou 3 étages bâtis en construction modulaire. Les façades seront à double face, pour éviter le crépissage et la peinture. La FABTP et les syndicats du bâtiment ont exprimé leurs positions à ce sujet. La construction modulaire n'est pas répandue à La Réunion. La CINOR compte ainsi acheter les droits intellectuels pour maîtriser cette technique de construction à La Réunion.

A priori , une entreprise métropolitaine sera choisie pour réaliser les travaux, sauf si les petites et moyennes entreprises réunionnaises se regroupent sur ce marché pour y répondre. Dans ce cas, elles pourraient faire le lien entre la CINOR et l'entreprise métropolitaine.

La CINOR souhaite également édifier un téléphérique. Sa construction débutera en octobre 2018. Il prévoit 3,7 kilomètres de câbles, 40 cabines et 5 stations, pour un montant de 43 millions d'euros, dont 2,4 millions d'euros dédiés à l'exploitation et la maintenance par des entreprises réunionnaises.

Nous faisons partie de la stratégie du bon achat et je ne conçois pas de programme politique sans échanger avec les chefs d'entreprise qui prennent des risques. Un certain nombre de situations de mise en application des principes de l'association se présente à nous. La CINOR a un rôle de facilitateur.

Pour l'instant, nous sommes satisfaits de notre mandat qui a débuté en juillet 2014. Nous espérons développer le tourisme, les start-up , le bâtiment et l'économie bleue pour créer de la richesse sur notre territoire. Merci Monsieur le président.

SECONDE SÉQUENCE - ÉVALUER POUR MIEUX PILOTER, L'ÉTUDE RÉELLE
Arnaud FLORENTIN, Économiste, directeur associé du cabinet Utopies

Bonsoir Mesdames et Messieurs. L'étude RÉELLE a été initiée et pilotée par la CPME de La Réunion, par Dominique Vienne et par Santhi Véloupoulé. Des économistes et des acteurs du développement économique ont été mobilisés.

Aujourd'hui, toutes les entreprises parlent de « made in local » et d'ancrage local, tous les territoires souhaitent réenraciner leur économie via les circuits courts ou l'économie alimentaire par exemple. Cependant, ce concept est ébranlé par les pro-mondialistes d'un côté, qui dénoncent l'autarcie de ce concept, et par les acteurs à l'approche très patriotique et localiste de l'autre. Il faut sortir du débat manichéen autour du « made in local ». Nous pensons que ce n'est pas une option, mais une nécessité.

Le développement économique aujourd'hui est dominé par le paradigme de captation de richesses extérieures issues de l'exportation, du tourisme, des capitaux, des habitants et des transferts publics. Mais la circulation de richesses sur le territoire est mise de côté. Or, nous avons cherché à évaluer l'effet multiplicateur local de circulation de richesses sur un territoire. Cet effet multiplicateur résume la capacité d'un territoire à faire circuler son argent et les richesses qu'il capte. Il évalue par exemple la capacité à faire circuler l'argent dans la chaîne de fournisseurs avec ses effets induits : les salariés gagnent un revenu qui est redépensé, des impôts et taxes collectés puis redépensées et l'ensemble de ces dépenses accroissent la richesse du territoire. Ainsi, l'effet multiplicateur évalue l'accroissement de richesses.

Si, par analogie, nous pensons l'économie locale comme un seau, alors tout ce qui entre dans le seau peut potentiellement circuler. Or, l'effet multiplicateur sera d'autant plus faible que les fuites sont importantes. En d'autres termes, effectuer un achat à l'extérieur du territoire occasionne une fuite d'argent. L'ensemble de ces fuites réduit significativement l'effet multiplicateur. Il est plausible de penser qu'à niveau de richesse égal, un territoire présentant un effet multiplicateur élevé sera plus prospère qu'un territoire présentant un effet multiplicateur faible.

À partir d'études réalisées sur 300 zones d'emploi en France et sur certains comtés aux États-Unis, nous avons cherché à déterminer les facteurs de prospérité d'un territoire. Nous avons tenté d'expliquer le revenu médian, plus intéressant que le PIB, à partir de trois variables : la capacité à exporter, dont le tourisme qui constitue une exportation au niveau macroéconomique ; l'effet résidentiel, c'est-à-dire la capacité à attirer des revenus de personnes ne travaillant pas sur le territoire ; et l'effet multiplicateur local. Nous sommes arrivés à la conclusion que l'effet multiplicateur local pèse pour plus d'un tiers dans la prospérité des territoires, tous territoires confondus.

Il semble aujourd'hui que l'argent destiné au développement économique est essentiellement orienté vers la captation de ressources extérieures plutôt que vers l'alimentation de l'effet multiplicateur. Or, l'effet multiplicateur local alimente le développement économique local. C'est dans ce contexte que nous avons réalisé l'étude RÉELLE, qui cherche à comprendre le métabolisme économique d'une île, à sensibiliser les acteurs locaux, et à animer, prioriser et mobiliser les acteurs économiques. L'étude s'inscrit ainsi dans une démarche de réenracinement.

Nous avons utilisé l'outil Local Shift développé par Utopies. Il s'agit d'un simulateur d'économie locale à partir des flux entrants, sortants et circulants, afin d'analyser l'état de santé d'une île. Nous avons ainsi analysé l'économie réunionnaise à partir des échanges sur le territoire secteur par secteur, des importations et des exportations. La demande locale, qui émane des ménages, des entreprises et des administrations est souvent sous-estimée. À La Réunion, elle s'élève à 25 milliards d'euros. 20,6 milliards d'euros circulent sur le territoire. Les importations de biens et de services atteignent 4,4 milliards d'euros et les exportations, y compris le tourisme, 700 millions d'euros. La balance commerciale est significativement déficitaire. Il ne s'agit pas d'équilibrer la balance commerciale, mais plutôt de considérer les importations comme des fuites économiques importantes. Ainsi, réenraciner 10 % des flux qui partent à l'extérieur équivaut à créer 6 500 emplois locaux.

Les fuites économiques posent aussi la question de la résilience de l'île. Les importations traduisent une certaine dépendance aux matériaux et matières qui ont été nécessaires pour extraire, produire et transporter les produits sur l'île. Les secteurs prioritaires de l'île concernent les machines, les équipements, l'énergie et l'agroalimentaire.

Il semble aujourd'hui peu envisageable de pouvoir remplacer des fuites par une offre locale sans développer des modèles économiques plus circulaires, plus petits, plus collaboratifs et plus inclusifs. Ces modèles permettent d'apporter plus facilement une réponse à des marchés et des niches locaux. Dans le secteur agroalimentaire et dans d'autres, nous avons évalué le potentiel de création d'emplois et de production locale. 10 % d'autonomie supplémentaire permet la création de dizaines d'emplois sur le territoire, à condition d'innover.

Dans l'agroalimentaire, il s'agit par exemple de foodlabs , de gestion des invendus, de micro-abattoirs. En matière d'agriculture urbaine, il est possible de générer un mouvement d'idéation en se fondant sur l'exemple de l'hydroponie aux États-Unis. Il s'agit de fermes périurbaines, plutôt verticales qu'horizontales et peu coûteuses foncièrement. Dans l'énergie, la méthanisation recèle un important potentiel. Les machines et les équipements, qui représentent le premier poste d'importations, sont la priorité absolue. Il peut sembler peu imaginable de produire sur l'île les machines et équipements. Pourtant, aux États-Unis, l'entreprise Local Motors produit les bus dans la ville dans laquelle ils vont circuler. Certaines micro-usines parviennent également à produire des équipements, du verre ou des biens en plastique. L'économie de la fonctionnalité peut également être développée, en favorisant l'usage et la location, ainsi que la réparation, plutôt que la production. Il est également possible d'aménager une déchetterie inversée dans laquelle des matériaux seraient déposés et d'autres matériaux recyclés seraient récupérés.

L'étude RÉELLE est une démarche qui a vocation à se développer sur d'autres territoires à forte résilience comme les économies montagneuses, les îles ou les petites villes en souffrance. Le modèle économique de cette démarche amène un nouveau souffle et réunit développement économique et développement durable. Nous sommes convaincus que, sans ce lien, le développement est impossible sur les îles. Je vous remercie.

Michel MAGRAS, président de la Délégation sénatoriale aux outre-mer

Merci infiniment. Je trouve remarquable l'idée de ne rien perdre. Réenraciner les flux rend l'économie plus économe et plus intelligente. Je me demande si ce modèle est applicable quelle que soit l'échelle.

Arnaud FLORENTIN

Les flux sont moins importants mais la demande est également moins importante. Nous essayons d'éduquer sur la macroéconomie des territoires qui accompagne cette démarche.

Guillaume BRANLAT, Président du directoire de Aéroport de La Réunion Roland-Garros

Merci Monsieur le président. Je remercie également la CPME Réunion. L'aéroport se donne pour mission première de relier les mondes et les hommes. Je vais vous faire voyager par cette vidéo de l'île de La Réunion.

L'aéroport reçoit 2,3 millions de passagers par an. Il est le 12 e aéroport français, le 2 e aéroport des DOM et le 16 e aéroport d'Afrique. Notre trafic passager vers l'Afrique et l'Asie représente seulement 4 % des personnes passant par l'aéroport. Nous sommes le 6 e aéroport français et le 1 er aéroport des DOM en matière de fret, dont le volume s'élève à 27 000 tonnes.

Source : Hervé Douris pour la SA Aéroport de La Réunion Roland-Garros

La société aéroportuaire emploie 275 salariés répartis sur 57 métiers différents. La plateforme aéroportuaire est exploitée par 80 entreprises qui offrent en tout 2 000 emplois. La connectivité et la croissance du trafic passager mesurent l'influence économique des aéroports. L'augmentation de 10 % de la connectivité accroît de 0,5 % le PIB. Lorsque le trafic passager reçoit 100 000 passagers supplémentaires, 100 emplois directs et 400 emplois indirects sont créés. En 2017, grâce à une hausse du trafic passager de 150 000 personnes, nous avons créé 150 emplois directs et 600 emplois indirects.

Les IDE, qui désignent les investissements directs extérieurs, sont renforcés et captés par la connectivité. En effet, la connectivité est un flux. Elle permet d'être connecté et relié aux mondes qui nous entourent. La connectivité permet également d'améliorer l'internationalisation des entreprises insulaires.

Nous prévoyons de recevoir 2,5 millions de passagers par an en 2020 et 3 millions en 2025. En d'autres termes, 500 emplois directs et 2 000 emplois indirects seront créés d'ici à 2025. Nous comptons relier 22 destinations en 2025, contre 16 aujourd'hui. La connectivité serait améliorée de 40 % et le PIB augmenterait de 2 %. Nous avons pour ambition de raccorder l'Afrique et l'Asie, car ce sont deux continents connaissant un fort développement.

Je vous dévoile en avant-première le nouveau terminal de l'aéroport, dédié aux arrivées, dont le coût d'investissement s'élève à 180 millions d'euros. Entre 30 millions et 40 millions d'euros relèveraient de la commande publique. Nous souhaitons que ce nouveau terminal constitue une vitrine pour le territoire et lui permette de se développer. Dans cet investissement, la stratégie du bon achat rend la commande publique vertueuse. Aujourd'hui, certains de nos appels d'offres restent sans réponse car l'aéroport n'est pas toujours accessible pour les entreprises. La stratégie du bon achat améliorera l'attractivité d'un maître d'ouvrage ou d'un acheteur public et donnera envie aux opérateurs économiques locaux de postuler.

Les aéroports se définissaient comme des infrastructures de transport. Aujourd'hui, ce sont des infrastructures intégrées qui s'inscrivent dans la chaîne de création de valeur sur le territoire. L'aéroport exploite l'infrastructure de transport. Il doit également développer des services permettant aux compagnies aériennes d'améliorer leur compétitivité, en optimisant le temps d'immobilisation de l'avion.

Nous souhaitons développer des activités à forte valeur ajoutée comme la maintenance aéronautique, dont nous avons fortement besoin. En effet, les techniciens d'équipements aéroportuaires sont localisés en Europe. Il s'agit également de stimuler l'innovation.

L'étude RÉELLE me permet de mesurer et d'objectiver les choix stratégiques que je dois faire en tant que chef d'entreprise, en m'aidant à établir des objectifs et un plan d'actions. L'étude RÉELLE mesure l'empreinte territoriale de l'activité aéroportuaire.

La dynamique de l'étude RÉELLE alimente la mise en place d'une dynamique de co-construction avec l'ensemble des acteurs du territoire, en stimulant un espace d'initiative et d'intelligence territoriales. Nous avons besoin de mieux travailler ensemble, mieux définir le projet commun et mieux collaborer.

La dynamique de co-construction se traduira par la mise en place d'un pôle aéronautique régional reposant sur trois piliers : la maintenance, les compétences et les métiers, et le transfert de technologies. La structuration de la filière aéronautique se manifeste par le lycée qui forme aux métiers aéronautiques. Cependant, une entreprise d'hélicoptères m'a récemment fait part de la pénurie de mécaniciens à laquelle elle fait face. Le pôle aéronautique servira à structurer la filière.

En conclusion, les Assises des outre-mer et celles du transport aérien seront bientôt rendues publiques. Nous avons fortement besoin du Fonds européen de développement régional (FEDER) pour nous développer. Le président de la Commission européenne, Monsieur Jean-Claude Juncker, a formulé des propositions intéressantes pour les outre-mer. Je crois qu'elles doivent être saisies pour qu'elles deviennent des décisions, afin d'améliorer nos infrastructures et notre accessibilité. En outre-mer, il nous importe d'être compétitifs et attractifs. Merci de votre attention.

CLÔTURE

Michel MAGRAS, Président de la Délégation sénatoriale aux outre-mer

Chers amis,

Nous parvenons au terme d'un après-midi très dense au cours duquel, dans une belle harmonie, chaque intervenant a enrichi la partition.

Nous avons ainsi entendu s'élever des voix de tous les océans, des voix fortes et dynamiques qui appellent à développer des stratégies économiques territoriales s'appuyant sur des critères d'excellence, en matière de respect environnemental notamment, et qui expriment la volonté de transformer les contraintes en atouts. Les énergies et la créativité sont là pour faire fructifier les potentiels des territoires !

Il faut maintenant domestiquer les outils disponibles et capitaliser les expérimentations réussies en les érigeant en modèles. Je suis heureux que notre colloque d'aujourd'hui puisse y contribuer.

L'approche territoriale, nous l'avons vérifié tout au long de l'après-midi, est d'autant plus pertinente pour nos outre-mer eu égard à la singularité de chaque situation. Les traits communs et l'éloignement, parfois d'une certaine forme d'isolement, majorent les enjeux et le besoin d'autonomie.

Définir des stratégies, tracer des perspectives fédératrices sont indispensables pour stimuler les énergies et la créativité, pour rapprocher sphère publique et sphère privée dans un même élan, pour construire un environnement propice à l'épanouissement des activités où se développe la confiance. J'ajouterai qu'une taille modeste, à échelle humaine, devient alors un véritable atout territorial !

En ce jour de fête de la musique, je ne voudrais pas clore mon propos sans remercier chaleureusement l'ensemble des « musiciens de l'orchestre » qui nous ont offert un après-midi passionnant.

PROGRAMME DU COLLOQUE

Les thèmes associés à ce dossier

Page mise à jour le

Partager cette page