CONCLUSION

La Serbie et le Monténégro sont deux pays européens qui ont accompli de très grands progrès qui les rapprochent incontestablement de l'Union. Le défi principal qui est devant nous est double : il convient de ne pas désespérer ces États dans leur marche vers l'adhésion et, dans le même temps, de s'assurer qu'un tel évènement se ferait véritablement selon un processus « gagnant-gagnant » pour toutes les parties.

La recherche de ces équilibres doit se faire selon des modalités propres à chacun de ces États, dans leur diversité, comme les situations au final assez différentes de la Serbie et du Monténégro l'illustrent.

Quant aux conditions et au calendrier précis de l'adhésion à l'Union européenne de ces pays, l'honnêteté intellectuelle nous commande de reconnaître que nul ne sait quelle sera la situation en 2025. De nombreuses incertitudes demeurent concernant en particulier :

- la situation de ces pays et la façon dont ils rempliront les conditions requises,

- le contexte géopolitique global et régional en particulier,

- et la situation au sein même de l'Union européenne 72 ( * ) et de ses opinions publiques.

In fine , ce qui importe est bien d'accompagner et d'encourager ces pays dans leurs progrès tout en continuant à oeuvrer pour la stabilisation de la région. De ce point de vue, il serait notamment souhaitable que l'Union européenne veille à être aussi exigeante vis-à-vis du Kosovo qu'elle l'est vis-à-vis de la Serbie dans la mise en oeuvre de l'accord de Bruxelles.

Une part de ce travail de dialogue nous revient aussi directement, au travers de notre coopération interparlementaire et au sein de la COSAC auxquelles ces pays participent.

Il est souvent moins aisé de faire des propositions que d'établir un diagnostic. Toutefois, il est permis de se demander si l'un des axes d'action de l'Union ne pourrait pas être de repenser le format des accords de stabilisation et d'association conclus avec ces pays, de façon à enrichir leur contenu . Telle est l'une des réflexions que nous soumettons au Sénat et à l'ensemble de nos partenaires.

EXAMEN EN COMMISSION

La commission des affaires européennes s'est réunie le jeudi 12 juillet 2018 pour l'examen du présent rapport. À l'issue de la présentation faite par MM. Jean Bizet, Claude Kern et Simon Sutour, le débat suivant s'est engagé :

M. Jean-Yves Leconte . - Je n'ai rien à ajouter sur le plan technique. Politiquement, nous devons tenir un équilibre. En revanche, j'estime que l'opinion publique ne veut en fait ni approfondissement, ni élargissement de l'Union. Notre responsabilité est de témoigner d'un idéal européen, et faire l'élargissement et l'approfondissement : l'un ne va pas sans l'autre. Ce n'est pas qu'une question de sécurité, mais aussi de conviction. Le projet européen doit être fondé sur des principes qui permettent à tous de progresser. L'opinion publique doute de tout, et pas seulement de l'Europe.

J'ai longtemps habité en Europe centrale. Dans les années 1990 s'est instauré un décalage entre la volonté d'adhérer rapidement à l'Union européenne et la réalité. L'Union a nourri la fatigue plutôt que de profiter de cet enthousiasme. Les pays ayant adhéré à l'Union ont été longtemps dans une situation transitoire, différente de celle des « vieux » pays de l'Union. Soyons très précis et volontaristes sur l'adhésion et très stricts sur les exigences minimales à atteindre. Comme nous ne voulons pas leur donner de date, nous faisons des reproches, et c'est contreproductif. Je veux tout de même rappeler que le Président Milo Djukanoviæ est au pouvoir depuis la création de l'État du Monténégro.

M. Simon Sutour , rapporteur . - Même avant !

M. Claude Kern , rapporteur . - Il était auparavant Premier ministre.

M. Jean-Yves Leconte . - Il n'est pas connu pour être un parangon de transparence. Le Monténégro a des responsabilités dans plusieurs trafics. Ce n'est pas parce qu'ils ont été corrects en 1999 qu'il faut taire ces sujets.

Pour ce qui concerne la Serbie, c'est un peu pareil. Le problème du Kosovo devra être résolu.

J'imagine que nombre de vos interlocuteurs vous ont demandé de ne pas prendre en otage la négociation d'adhésion en utilisant le thème du Kosovo. C'est le cas des membres de la majorité parce qu'ils veulent parler d'autre chose, ou font semblant de le vouloir. C'est vrai aussi pour les élus d'opposition parce qu'ils savent que tant que l'on parle du Kosovo, on n'évoque pas les choses qui fâchent.

Lorsque l'on demande au président serbe, qui vient d'un parti nationaliste, de faire des efforts sur le Kosovo, on se dit que s'il fait des concessions, cela devrait stabiliser la situation. Mais au vu du matraquage qui a eu lieu lors de la dernière élection présidentielle, on constate que la démocratie est loin d'être absolue dans ce pays...

Lorsque l'on demande au gouvernement serbe d'avancer sur le Kosovo, on ne lui demande pas - hélas - de faire des progrès sur d'autres sujets. Aujourd'hui, en effet, il agit dans un sens contraire aux principes de l'Union européenne. Nous devons donc être précis dans nos exigences adressées à la Serbie.

Pour le projet « Belgrade sur l'eau », et d'autres de même nature, la Serbie n'hésite pas à s'ouvrir aux investissements étrangers, par exemple venant d'Abu Dhabi, et à signer des accords qui posent le principe d'extraterritorialité des lois étrangères. Je ne suis pas certain que cela soit conforme aux règles européennes. La négociatrice de la Serbie m'a dit que l'Union n'avait jamais évoqué ce problème. Or il arrive que des pays prennent pied dans cette zone en utilisant des méthodes qui risquent de poser ultérieurement des problèmes au sein de l'Union, notamment en termes de protection de l'investissement.

Par ailleurs, je ne pense pas que l'on puisse dire que Daech a été créé en Bosnie,...

M. Jean Bizet , président . - Il y aurait émergé...

M. Jean-Yves Leconte . - ... même si, comme en Afghanistan, un certain nombre de musulmans ont convergé dans cette zone.

Enfin, si l'on observe depuis quelques années une consolidation économique, la Serbie doit aussi faire face à un exode des compétences.

M. Jean Bizet , président . - Nos interlocuteurs en étaient effectivement très inquiets !

M. Jean-Yves Leconte . - On peut aussi constater qu'Aleksandar Vuèiæ n'a pas tout à fait changé : lorsqu'il parle d'échange de territoires, il s'inscrit dans une logique de purification ethnique. Accepter ce type de principe, c'est accepter l'idée d'États ethniques. Je suis inquiet à cet égard.

Quelle que soit la demande faite par l'Union européenne à la Serbie à propos du Kosovo, la blessure est toujours vive, et il ne suffira pas de la recouvrir avec du papier peint...

M. Pierre Cuypers . - Oui, il ne faut pas désespérer ces pays sur la question de leur adhésion à l'Union européenne.

J'aurai toutefois une question : le contexte budgétaire européen permet-il cette adhésion ? Si oui, dans quelles conditions  et avec quelles conséquences pour nous ?

M. Simon Sutour , rapporteur . - Le Monténégro ne compte que 600 000 habitants et la Serbie 7 millions. La question ne se pose donc pas en termes budgétaires, même si ces pays ne seront pas des contributeurs nets à l'Union européenne.

Si l'Union veut être crédible, elle doit tenir ses engagements. Rappelons-nous de l'Irlande du Nord, qui était à feu et à sang voilà quarante ans. L'entrée dans l'Union a joué un rôle dans le processus de paix.

Le même processus a commencé pour la Slovénie et la Croatie, et doit se poursuivre avec la Serbie et le Monténégro.

Nous ferions une erreur en désespérant ces pays, car ils pourraient choisir d'autres options, lesquelles existent bel et bien. En France, nous pensons que nous sommes au centre de tout et que nous décidons non seulement pour l'Europe mais aussi pour le monde.

Or le monde compte 7 milliards d'habitants et l'Union européenne 500 millions, Grande-Bretagne comprise. La Fédération de Russie, l'Inde, la Chine, de grands pays émergents comme le Brésil ou le Nigéria : les alternatives à l'Europe sont nombreuses !

Nous nous prenons pour une aristocratie. L'un de nos collègues avait dit, à propos des accords d'association avec l'Union, que « beaucoup frappaient à la porte ». C'est réciproque ! Un processus d'adhésion ne se limite pas à des personnes qui frappent à la porte et à d'autres qui l'ouvrent...

Il faut faire preuve de lucidité quant aux difficultés de ces pays, mais tout est relatif. Nous donnons des leçons au Monténégro et à la Serbie sur la corruption ; dans le même temps, un grand pays de l'Union européenne, l'Espagne, vient de perdre son président du gouvernement, Mariano Rajoy, parce que son parti, le Parti populaire (PPE) a été reconnu coupable par la justice de faits de corruption importants, plusieurs responsables étant condamnés à de lourdes peines de prison. La famille royale espagnole n'est pas non plus épargnée. Il n'y a pas en Europe que des États parfaits et notre tradition démocratique étant plus longue, nos standards sont certes plus élevés. Mais à la lecture de la presse française, on pourrait aussi dire bien des choses. Notre parquet financier ne chôme pas !

Je pense que c'est une erreur de ne pas aller plus loin dans le processus d'adhésion de ces pays, mais je me plie à l'avis collectif. J'aurais aimé que l'on dépose une proposition de résolution ou un avis politique. Je me contenterai d'un courrier adressé au président de la Commission européenne et, si vous en êtes d'accord, monsieur le président, au Président de la République.

M. Claude Kern , rapporteur . - On sait que l'économie parallèle et, surtout, le trafic d'armes, existent au Monténégro. Nos interlocuteurs monténégrins ne l'ont pas nié. Il n'en reste pas moins que la population se sent en sécurité. Nous avons évoqué cette question avec eux au lendemain de l'affaire de Marseille. « Et chez vous ? », nous ont-ils répondu...

L'élargissement, selon moi, n'est pas une urgence, et nos interlocuteurs en étaient d'accord. Ce qu'ils nous demandent, c'est un accord de réel partenariat entre l'Union européenne et leurs pays ; à défaut, ils se tourneront vers d'autres cieux.

M. Jean Bizet , président . - La stabilisation des Balkans est essentielle ; il suffit pour s'en convaincre de considérer la situation à la veille de la Première Guerre mondiale. Je vous renvoie à la lecture du remarquable ouvrage de Christopher Clark, Les Somnambules , dont le Président de la République fait souvent état.

La Serbie est un État structuré, même s'il n'est pas parfait. Nos interlocuteurs, notamment la Première ministre, Ana Brnabiæ, et le président de la République, sont conscients du temps nécessaire pour parfaire leur évolution. Ils n'ont pas exercé de pression sur nous, même s'ils étaient quelque peu déçus des décisions prises à Sofia. Ils se sont montrés extrêmement habiles, structurés et raisonnables.

La prochaine adhésion devrait concerner la Serbie, qui est un pays pivot. Comme l'a dit Claude Kern , on ne peut pas agiter devant notre opinion publique le chiffon rouge d'une nouvelle adhésion ; c'est psychologiquement et politiquement invendable. Travaillons plutôt à approfondir les accords de stabilisation et d'association, et réfléchissons à la façon de les accompagner, de façon plus coercitive, pour qu'ils évoluent vers un État de droit.

Nous enverrons ce rapport au président de la République et à Jean-Claude Juncker.

M. Jean-Yves Leconte . - Notre pays, considéré comme un partenaire privilégié, a, compte tenu de notre longue relation, une responsabilité particulière à l'égard de la Serbie. Ce n'est pas la première blessure qu'on lui inflige, mais il lui est difficile d'accepter que la France soit à l'avant-garde des pays qui ont posé des conditions à l'élargissement lors du sommet de Sofia, alors même que la question de la Macédoine est réglée.

Un responsable politique ne doit pas suivre l'opinion publique, mais tenter de la forger.

M. Simon Sutour , rapporteur . - Non, de la convaincre !

M. Jean Bizet , président . - Comme disait le Général, vaste programme !

La commission va se prononcer sur la publication de ce rapport, et nous ferons aussi une note circonstanciée sur les accords de stabilisation et d'association.

*

À l'issue de ce débat, la commission autorise, à l'unanimité, la publication du rapport d'information.


* 72 L'inflexion constatée très récemment par la Commission européenne sur la fin de son mandat en faveur d'une accélération du processus d'adhésion sera-t-elle confirmée après 2019 ?

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