CONCLUSION

Au fil des auditions et de l'avancement de sa réflexion, comme on l'a peut-être constaté, la problématique du rapporteur a changé.

Selon la problématique initiale, il s'agissait de mesurer dans quelle mesure les migrations excessives de la haute fonction publique et l'absence d'un traitement suffisant des conflits d'intérêts qui en résultaient pouvaient contribuer à l'affaiblissement de notre système démocratique et de la confiance que les citoyens ont en lui, malaise qui se lit dans les urnes.

Ces interrogations gardent leur pertinence. Cependant, en même temps que cause partielle du phénomène, les formes nouvelles du pantouflage sont aussi la conséquence de mutations structurelles qui le dépassent. Certes, la fraction de la haute administration déjà en position de force dans les grands corps, les sommets de l'État ou liée au monde des affaires a fortement poussé à la roue, se rendant nécessaire à l'accouchement de l'ordre nouveau puis à son fonctionnement, mais ces mutations résultent d'abord d'autres décisions, politiques celles-là. Contrairement à ce que colporte la vulgate, l'ordre néolibéral, en effet, n'est pas un produit naturel par essence éternel, mais une construction politique fragile.

Effaçant la distinction entre intérêts privés et intérêt général, rien d'étonnant à ce que l'ordre nouveau soit un ordre collusif, de moins en moins démocratique et de moins en moins susceptible de répondre aux problèmes économiques, écologiques, sociaux et politiques qu'il a, au contraire, exacerbés.

Rien d'étonnant non plus qu'un système qui augmente les inégalités sur fond de purgatoire budgétaire et de langueur économique éternels, qui confisque le pouvoir politique au profit d'un consul et d'une oligarchie privilégiée, qui se place sous la tutelle des intérêts privés, qui favorise le trafic d'influence et s'accommode à ce point des scandales qui en résultent, soit de plus en plus contesté. Si cette contestation prend de plus en plus les formes inusitées de la sécession civique des citoyens, d'émeutes électorales (pour l'instant en tous cas), c'est que le système est tellement verrouillé qu'il en est devenu incapable de se réformer de lui-même.

Non seulement la forme prise par l'élection législative, son mode de scrutin fabriquent des assemblées en béton avec des majorités relatives étriquées, non seulement, comme on l'a vu après le référendum constitutionnel européen de 2005, la voie parlementaire permet de contourner les avis populaires les plus clairs, mais l'oligarchie administrative étouffe dans l'oeuf, la réforme la plus anodine qui lui déplait.

Nous en avons rapporté quelques exemples (Voir l'encadré « Les guerres picrocholines de la haute administration » dans la deuxième partie). En voilà un autre, dans un domaine autre que celui de la réforme de la fonction publique : « Lorsque j'étais secrétaire d'État aux PME, TPE et l'artisanat , rapporte Marylise Lebranchu lors de son audition, je me souviens d'avoir demandé la levée de la garantie sur la résidence principale pour les artisans et les TPE. On a mis 20 ans à le faire, 20 ans entre la proposition que j'avais déposée et ce qui s'est fait il y a maintenant quelques mois. Curieusement, secrétaire d'État, je reçois un ordre du directeur de cabinet du ministre qui me dit que je dois recevoir M. Bouton, responsable de la Société Générale, qui va m'expliquer pourquoi, en fait, il ne faut pas lever cette garantie. J'ai dit mais attendez, il n'est pas haut fonctionnaire, il est président de l'AFB ! Mais voilà, on travaille ensemble, on fait de la macroéconomie, donc on pense aussi bien comprendre les enjeux pour les PME. »

Rien d'étonnant enfin qu'un système collusif aussi complexe, sans moyen de dégager, encore moins d'imposer un quelconque intérêt général, qui ne peut, par son mode de construction que favoriser des intérêts privés qui se neutralisent, ne soit pas capable de faire autre chose que de maintenir les équilibres précaires existants ?

On souhaiterait, bien sûr, qu'un rééquilibrage démocratique du système s'opère par le fonctionnement régulier des institutions républicaines démocratiques, d'où s'agissant de l'encadrement des migrations de la haute fonction publique l'ensemble des préconisations présentées. Sans trop d'illusions cependant !

Mais, si comme dit Marx « l'humanité ne se pose jamais que des problèmes qu'elle peut résoudre » 93 ( * ) , l'espoir est permis, les résultats des urnes en France et ailleurs donnent à penser que le maintien du statu quo commence à poser problème.


* 93 Préface à la « Critique de l'économie politique »

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