II. LA GOUVERNANCE DES EPCI : COMMENT ASSOCIER PLUS ÉTROITEMENT LES COMMUNES AU FONCTIONNEMENT DE L'INTERCOMMUNALITÉ

Alors que les démissions se succèdent au sein des équipes municipales, il serait malvenu de se voiler la face : pour beaucoup de maires et de conseillers municipaux, l'intercommunalité est devenue une « machine technocratique » au sein de laquelle leur voix ne porte plus . C'est notamment le cas dans les très grandes intercommunalités à fiscalité propre issues de la loi « NOTRe », dites intercommunalités « XXL », qui regroupent parfois plus de cent communes et plusieurs centaines de milliers d'habitants. Le fonctionnement peu collégial de l'assemblée communautaire, mais aussi la mainmise de l'administration de l'EPCI sur l'action de celui-ci sont régulièrement dénoncés.

Certes, il faut se garder de généraliser . De nombreux EPCI à fiscalité propre ont mis en place des structures destinées à mieux associer les maires et les élus municipaux à leur fonctionnement, comme on le verra. Les présidents d'EPCI, pour beaucoup, ne ménagent pas leurs efforts : lors de la constitution de la communauté d'agglomération Mont-Saint-Michel Normandie, issue de la fusion de cinq communautés de communes manchoises, le nouveau président s'est déplacé dans toutes les communes membres afin d'en présenter les objectifs et le fonctionnement et de renforcer le sentiment d'adhésion des élus.

Tout cela est louable, mais ne suffit pas. Pour mettre fin au sentiment de dépossession de nombreux élus et démocratiser le fonctionnement de l'intercommunalité, les propositions qui suivent ont trait à la composition de l'organe délibérant de l'EPCI, à l'association des maires et conseillers municipaux aux décisions de l'établissement et à la présence territoriale de celui-ci.

A. LA COMPOSITION DE L'ORGANE DÉLIBÉRANT

L'organe délibérant des EPCI est composé, comme il se doit, de conseillers municipaux, délégués par les communes au sein de cet établissement public. Le comité d'un syndicat de communes est composé, en principe, de deux délégués par commune, désignés par le conseil municipal. Il en va différemment de l'organe délibérant d'un EPCI à fiscalité propre
- conseil communautaire ou, dans les métropoles, conseil métropolitain - tant en ce qui concerne les modalités de désignation des délégués que relativement à la répartition des sièges entre les communes.

1. Les modalités de désignation des délégués intercommunaux

Depuis la loi n° 2013-403 du 17 mai 2013 82 ( * ) , les délégués des communes de 1 000 habitants et plus au conseil communautaire ou métropolitain sont élus au suffrage universel direct, en même temps que les conseillers municipaux. Un système assez souple de « fléchage » garantit que tous les délégués soient aussi conseillers municipaux de leur commune. Dans les communes de moins de 1 000 habitants, dont les conseillers municipaux sont élus au scrutin majoritaire et non pas au scrutin de liste, les délégués communautaires sont désignés dans l'ordre du tableau du conseil municipal.

L'élection des conseillers communautaires par « fléchage »
(article L. 273-9 du code électoral)

Dans les communes de 1 000 habitants et plus, la liste de candidats au conseil communautaire (ou métropolitain) figure de manière distincte sur le même bulletin de vote que la liste de candidats au conseil municipal. Elle doit répondre à plusieurs exigences :

a) le nombre de candidats au conseil communautaire doit être égal au nombre de sièges à pourvoir, augmenté d'un candidat supplémentaire si ce nombre est inférieur à cinq et de deux candidats dans le cas contraire ;

b) les candidats au conseil communautaire doivent être également candidats au conseil municipal, et ils doivent figurer dans le même ordre de présentation que sur l'autre liste. Comme le précise le ministère de l'intérieur, « le principe général est de partir de la liste des conseillers municipaux tout en permettant de faire des "sauts" dans cette liste, c'est-à-dire de ne pas retenir certaines personnes de cette liste, tout en respectant l'ordre de la liste des candidats au conseil municipal. Pour autant, il est tout à fait possible de présenter une liste des candidats au conseil reprenant les premiers de la liste des candidats au conseil municipal sans sauter aucun nom 83 ( * ) » ;

c) la liste doit être composée alternativement de candidats de chaque sexe ;

d) elle doit respecter la règle des « têtes de liste » : les candidats qui figurent dans le premier quart de la liste des candidats au conseil communautaire doivent figurer, « de la même manière et dans le même ordre », en tête de la liste des candidats au conseil municipal. Cette règle a pour but d'assurer, pour la clarté du débat électoral, une certaine cohérence entre les deux listes ;

e) elle doit enfin respecter la règle des « trois cinquièmes » : les candidats au conseil communautaire doivent figurer dans les trois premiers cinquièmes de la liste de candidats au conseil municipal. Sans cela, de nombreux candidats pourraient être élus au conseil communautaire sans l'être au conseil municipal, ce qu'interdit l'article L. 273-5 du code électoral.

L'hypothèse d'une modification du mode de désignation des conseillers communautaires et métropolitains ressurgit régulièrement . Certains estimeraient « plus démocratique » que ces conseillers soient élus lors d'un scrutin distinct des élections municipales. Par abus de langage, ils appellent à ce que les conseils des EPCI à fiscalité propre, notamment des métropoles, soient élus « au suffrage universel direct ». C'est ainsi que, par la volonté des députés de la majorité précédente, l'article 54 de la loi n° 2014-58 du 27 janvier 2014 de modernisation de l'action publique territoriale et d'affirmation des métropoles , dite loi « MAPTAM », dispose que « le renouvellement général des conseils des métropoles (...) à l'occasion du renouvellement général des conseils municipaux suivant leur mise en place, est effectué au suffrage universel direct suivant des modalités particulières fixées par la loi avant le 1 er janvier 2019 ». Lors de l'examen de la loi « NOTRe », l'Assemblée nationale avait voulu étendre cette disposition à l'ensemble des EPCI à fiscalité propre, mais s'était heurtée à l'opposition du Sénat.

Aux yeux de votre rapporteur, une telle velléité repose sur une profonde erreur d'analyse .

Tout d'abord, il faut le répéter, les conseillers communautaires et métropolitains des communes de 1 000 habitants et plus sont d'ores et déjà élus au suffrage universel direct , même si c'est en même temps que les conseillers municipaux et sur des listes composées à partir des listes aux élections municipales 84 ( * ) .

Ensuite, il serait aberrant que les élections au conseil communautaire ou métropolitain soient déconnectées des élections municipales :

- pour des raisons de principe , en premier lieu : un EPCI est, comme son nom l'indique, un établissement public et non une collectivité territoriale. Cet établissement a des membres, les communes, qui se regroupent pour exercer des compétences communales. Il tombe sous le sens que ces membres doivent être représentés au sein des organes chargés d'administrer l'établissement. À la rigueur, on pourrait estimer qu'une telle représentation serait assurée par l'institution de circonscriptions ou de sections électorales correspondant aux limites territoriales des communes ; avec tout autre mode d'élection, il pourrait se produire fréquemment qu'aucun résident d'une ou plusieurs communes ne siège au conseil communautaire ou métropolitain ;

- pour des raisons pratiques , en second lieu : une bonne administration locale requiert une coordination étroite entre l'EPCI à fiscalité propre et ses communes membres. De nombreux projets nécessitent que les communes et leurs groupements exercent leurs compétences concurremment et en bonne intelligence, par exemple lorsqu'il s'agit pour l'EPCI de créer un équipement pour lequel le maire doit délivrer un permis de construire. Le développement même de l'intercommunalité exige de maintenir cet esprit de coopération, puisque les transferts facultatifs de compétences sont décidés par délibérations concordantes de l'EPCI à fiscalité propre et d'une majorité qualifiée de communes membres. Or, en dissociant les deux types d'élections, on éloignerait encore l'administration de l'EPCI de celle des communes. Un maire, même s'il le souhaitait, ne serait plus assuré d'être membre du conseil communautaire ou métropolitain. Les seuls représentants de la commune au sein de l'organe délibérant de l'EPCI pourraient même être des membres de l'opposition municipale ! On imagine aisément les dysfonctionnements qui s'ensuivraient.

Proposition n° 21 :  Abroger l'article 54 de la loi « MAPTAM » et réaffirmer la légitimité de l'élection au suffrage universel direct des conseillers communautaires et métropolitains par « fléchage ».

2. La répartition des sièges au conseil communautaire ou métropolitain

Les sièges au sein de l'organe délibérant d'un EPCI à fiscalité propre sont, en principe, répartis entre les communes en fonction de la population, à la représentation proportionnelle à la plus forte moyenne, moyennant trois aménagements :

- chaque commune doit disposer d'au moins un siège ;

- aucune commune ne doit détenir plus de la moitié des sièges, car elle exercerait dans le cas contraire une forme de tutelle sur les autres communes ;

- si une commune se voit attribuer, par la règle de la représentation proportionnelle, plus de sièges qu'elle ne compte de conseillers municipaux, son nombre de sièges est réduit à due concurrence.

Il est cependant possible, dans les communautés de communes et d'agglomération, de répartir différemment les sièges par un « accord local » conclu dans les conditions de majorité habituelle en matière intercommunale 85 ( * ) .

Comme on sait, les règles relatives à l'accord local ont été rendues beaucoup plus strictes à la suite de la décision du 20 juin 2014 du Conseil constitutionnel Commune de Salbris 86 ( * ) . Les EPCI exerçant des compétences en lieu et place des communes membres, le Conseil constitutionnel a jugé que « leurs organes délibérants doivent être élus sur des bases essentiellement démographiques », même si d'autres considérations d'intérêt général peuvent également être prises en compte.

En l'état actuel du droit, un accord local de répartition des sièges doit respecter les règles suivantes :

- le nombre total de sièges répartis ne peut excéder de plus de 25 % celui qui serait attribué en application du droit commun ;

- les sièges sont répartis en fonction de la population de chaque commune ;

- chaque commune dispose d'au moins un siège ;

- aucune commune ne peut disposer de plus de la moitié des sièges ;

- sans préjudice de ces deux dernières règles, la part des sièges attribués à une commune ne peut s'écarter de plus de 20 % de la part de sa population dans la population totale de l'EPCI, sauf si la répartition de droit commun aboutissait à un écart de plus de 20 % que l'accord local maintient ou réduit, ou s'il s'agit d'attribuer un second siège à une commune qui n'en aurait eu qu'un selon le droit commun.

Les très petites communes bénéficiant en tout état de cause de la garantie d'obtenir au moins un siège, l'accord local a pour principal intérêt de rééquilibrer la composition du conseil communautaire au bénéfice des communes de taille moyenne. Or, comme on le voit, il n'est désormais plus possible en ce qui les concerne de s'écarter sensiblement de la représentation proportionnelle démographique. Bien plus, les conditions de l'accord local peuvent s'avérer impossibles à remplir , en raison de la configuration de l'EPCI et de la population respective de ses communes membres.

Prenons l'exemple de la communauté de communes de Granville Terre et Mer, dans le département de la Manche, qui regroupe 32 communes membres et quelque 44 000 habitants. Alors que le droit commun aboutit à une sous-représentation importante des communes de taille moyenne, aucun accord local ne peut être trouvé qui respecte l'ensemble des exigences légales 87 ( * ) .

Granville Terre et Mer, une communauté de communes où l'accord local est impossible

Commune

Population

Nombre de sièges
(droit commun)

Écart par rapport à la représentation proportionnelle démographique

Granville

13 350

17

- 5,3%

Saint-Pair sur Mer

4 005

5

- 7,2%

Bréhal

3 187

4

- 6,7%

Donville

3 181

4

- 6,5%

Jullouville

2 329

2

- 36,1%

Cérences

1 868

2

- 20,4%

Saint-Jean des Champs

1 375

1

- 45,9%

La Haye Pesnel

1 366

1

- 45,6%

Saint-Planchers

1 353

1

- 45,0%

Bricqueville

1 184

1

- 37,2%

Folligny

1 070

1

- 30,5%

Yquelon

1 048

1

- 29,0%

Hudimesnil

867

1

- 14,2%

La Lucerne d'Outremer

867

1

- 14,2%

Coudeville

859

1

- 13,4%

Bréville

788

1

- 5,6%

Carolles

771

1

- 3,5%

Longueville

619

1

+ 20,1%

Saint-Pierre Langers

546

1

+ 36,2%

Anctoville sur Boscq

473

1

+ 57,2%

Muneville sur mer

456

1

+ 63,1%

Saint Aubin des Préaux

427

1

+ 74,2%

Beauchamps

382

1

+ 94,7%

Champeaux

356

1

+ 108,9%

Chanteloup

351

1

+ 111,9%

Saint-Sauveur la Pommeraye

331

1

+ 124,7%

Le Loreur

270

1

+ 175,4%

La Mouche

234

1

+ 217,8%

Hocquigny

188

1

+ 295,6%

Equilly

186

1

+ 299,8%

Le Mesnil Aubert

170

1

+ 337,5%

La Meurdraquière

164

1

+ 353,5%

TOTAL

44 621

60

La jurisprudence du Conseil constitutionnel relative au principe d'égalité devant le suffrage témoigne de son attachement à ce que l'écart de représentation au sein des assemblées délibérantes des collectivités territoriales et de leurs groupements n'excède pas 20 % par rapport à la proportionnelle démographique 88 ( * ) .

Or la simple application du droit commun conduit, au sein des organes délibérants des EPCI à fiscalité propre, à des écarts de représentation considérables, qui vont bien au-delà du seuil de 20 %. Dans le cas de Granville Terre et Mer, certaines communes se trouvent sous-représentées de plus de 45 %.

Dès lors, il serait conforme à l'esprit de la jurisprudence du Conseil constitutionnel que la loi autorise les accords locaux qui réduisent globalement les écarts de représentation 89 ( * ) , même s'ils conduisent à attribuer à une ou plusieurs communes un nombre de sièges s'écartant de plus de 20 % de la proportionnelle démographique . Dans ce cas, il faudrait sans doute plafonner l'écart à 30 %.

Une solution plus sûre juridiquement serait de réviser la Constitution dans le sens proposé par les présidents Larcher et Bas dans leur proposition de loi constitutionnelle tendant à assurer la représentation équilibrée des territoires , qui vise notamment à relever de 20 % à un tiers l'écart maximal de représentation par rapport à la population au sein des assemblées délibérantes des collectivités territoriales et de leurs groupements.

Proposition n° 22 :  Assouplir les règles relatives à la composition du conseil communautaire :

- en autorisant les accords locaux qui réduisent globalement les écarts de représentation, même s'ils conduisent à attribuer à une commune un nombre de sièges s'écartant de plus de 20 % de la proportionnelle démographique (sans que cet écart puisse excéder 30 %) ;

- et/ou en révisant la Constitution afin de relever de 20 % à un tiers l'écart maximal de représentation par rapport à la population au sein des assemblées délibérantes des collectivités territoriales et de leurs groupements.


* 82 Loi n° 2013-403 du 17 mai 2013 relative à l'élection des conseillers départementaux, des conseillers municipaux et des conseillers communautaires, et modifiant le calendrier électoral .

* 83 « Élections municipales et communautaires de mars 2014, mémento à l'usage des candidats des communes de 1 000 habitants et plus », p. 18. Ce document est consultable à l'adresse suivante : https://www.interieur.gouv.fr/content/.../2014-memento-plus-de-1000-habitants.pdf .

* 84 On ne dispose pas de données consolidées sur le nombre de délégués intercommunaux élus en France selon le système de « fléchage ». Il y a fort à parier qu'ils sont très majoritaires, puisque les communes de moins de 1 000 habitants, certes au nombre de 25 782, ne regroupent qu'environ 9 millions d'habitants. S'agissant des seuls conseillers métropolitains, le ministère de l'intérieur avait indiqué à notre collègue rapporteur Agnès Canayer, lors de l'examen en début d'année de la proposition de loi n° 276 (2017-2018) relative à l'élection des conseillers métropolitains , que 95,5 % d'entre eux étaient élus par « fléchage ».

* 85 À savoir par accord des deux tiers des conseils municipaux représentant la moitié de la population ou de la moitié des conseils municipaux représentant les deux tiers de la population, cette majorité devant comprendre le conseil municipal de la commune la plus peuplée si sa population excède le quart de la population intercommunale.

* 86 Décision du Conseil constitutionnel n° 2014-405 QPC du 20 juin 2014.

* 87 Il ne serait possible, par exemple, de parvenir à une répartition des sièges dans laquelle aucune commune ne se trouve sous-représentée de plus de 20 %, hors dans les cas prévus par la loi, qu'en portant l'effectif du conseil communautaire à 79 membres, bien au-delà du maximum autorisé de 68 sièges (25 % de plus que l'effectif de droit commun de 55 sièges, auquel s'ajoute une majoration de 10 %, soit 5 sièges, en application du V de l'article L. 5211-6-1 du code général des collectivités territoriales). En outre, ce résultat ne serait obtenu qu'en portant la surreprésentation de certaines communes au-delà de 20 %, sans que les souplesses prévues par le droit en vigueur trouvent toujours à s'appliquer.

* 88 Voir les décisions du Conseil constitutionnel n os 2010-618 DC, loi de réforme des collectivités territoriales, et 2013-667 DC du 16 mai 2013, loi relative à l'élection des conseillers départementaux, des conseillers municipaux et des conseillers communautaires, et modifiant le calendrier électoral .

* 89 Serait ainsi prise en compte la réduction de l'écart moyen entre la part de sièges attribuée à chaque commune et la proportion de sa population dans la population globale.

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