B. L A GOUVERNANCE DES PORTS ET L'ORGANISATION DU SYSTÈME PORTUAIRE FRANÇAIS À L'AUBE DE NOUVELLES ÉVOLUTIONS ?

1. Une mise en oeuvre progressive de la réforme de 2008, récemment confortée par la loi pour l'économie bleue de 2016

Ainsi que vos rapporteurs le rappelaient en introduction, la loi de réforme portuaire de 2008 a entraîné des mutations importantes dans la gouvernance des ports . Pourtant, cette réforme n'a pas encore eu l'ensemble des effets escomptés.

Aussi, dès 2014, dans son rapport précité Enjeux et perspectives de la décentralisation portuaire , notre ancienne collègue Odette Herviaux évoquait la nécessité de mieux adapter la gouvernance portuaire en fonction des territoires et de favoriser les logiques de complémentarité entre les ports.

Face à ce constat, la loi du 20 juin 2016 pour l'économie bleue, dont notre collègue Didier Mandelli était rapporteur au nom de la commission de l'aménagement du territoire et du développement durable, a apporté plusieurs évolutions sur ce sujet, s'inspirant du rapport susmentionné, que ce soit en matière de coordination interportuaire ou de fonctionnement du conseil portuaire 36 ( * ) .

Dans son rapport précité de 2017, la Cour des comptes, qui n'était pas en mesure à l'époque d'étudier les effets de la loi pour l'économie bleue, tirait un bilan en demi-teinte de la mise en oeuvre de ces réformes : « la réforme de la gouvernance et l'établissement de projets stratégiques ont fait l'objet d'une mise en oeuvre assez complète. Il convient d'en conserver les acquis : instance de décision resserrée, bénéficiant d'une expertise financière indépendante, limitation des conflits d'intérêts, élaboration concertée des projets stratégiques. Cependant, les avancées auraient pu être plus importantes ».

Elle relevait en particulier que « la composition des directoires [n'était] pas toujours respectée. Des périodes de vacance de longue durée ont ainsi été constatées, à Rouen (quatre ans) et à Marseille (absence d'installation depuis 2014) pour les plus notables. Elles sont parfois volontaires. La voix du président du directoire étant prépondérante, de telles situations reviennent à un pilotage par le seul président du directoire et non par une direction collégiale . La situation actuelle n'est donc pas satisfaisante et l'État doit veiller à réduire les délais de nomination.

En dernier lieu, le renouvellement des conseils de développement a été tardif , en 2014, à Nantes-Saint-Nazaire et à Marseille. Leur implication est variable et les échanges ne sont pas équivalents d'un port à l'autre. Ils sont nombreux et riches dans les ports de l'axe Seine (Le Havre et Rouen), plus variables à Dunkerque et réduits à Nantes-Saint-Nazaire et surtout à Bordeaux. Le conseil de développement du Havre est par ailleurs le seul à avoir créé des commissions spécialisées » 37 ( * ) .

Vos rapporteurs ont déjà eu l'occasion d'appréhender ces enjeux sur le terrain. À cet égard, ils soulignent la nécessité pour l'ensemble des acteurs de la place portuaire d' approfondir leur dialogue , souvent insuffisant, afin de construire un projet économique global, intégrant l'ensemble des activités portuaires et centré sur la création de valeur, le développement du trafic et la création d'emplois.

À ce stade, le Gouvernement n'a pas fait part de sa volonté de modifier le fonctionnement et la composition des instances de pilotage stratégique et opérationnel des grands ports maritimes. Les débats actuels portent davantage sur la gouvernance d'ensemble et l'organisation du système portuaire français.

Vos rapporteurs rappellent que, dans la perspective d'associer plus étroitement les différents ports français, trois conseils de coordination interportuaires ont été créés . Le premier concerne l'axe Seine et intègre les ports du Havre, de Rouen et de Paris. Le deuxième vise la façade atlantique et comprend les ports de Nantes Saint-Nazaire, La Rochelle et Bordeaux. Enfin, le troisième axe, soit le conseil de coordination interportuaire Antilles-Guyane, se situe en outre-mer et regroupe les ports de la Martinique, de la Guadeloupe et de la Guyane. Aussi, lors de la table ronde, Nicolas Trift a rappelé que ce mode de gouvernance « par façade » fut impulsé en juillet 2016 par quatre missions parlementaires .

Selon la Cour des comptes, l'instauration des conseils de coordination interportuaire s'est faite d'une manière inégale , à l'instar du dynamisme relatif de la façade Atlantique alors qu'un groupement d'intérêt économique (HAROPA) s'est constitué sur l'axe Seine 38 ( * ) . En 2018, HAROPA a obtenu un bilan positif dans les trafics de marchandises maritimes (+ 2 %) et fluviales (+ 4.5 %) 39 ( * ) . Le groupement a connu des augmentations dans les secteurs de la céréale (+ 37 %, soit la meilleure performance depuis 15 ans qui en fait le premier port céréalier d'Europe de l'Ouest) et du BTP (+ 34 % sur le maritime pour les transports de granulats). Seul le secteur des conteneurs affiche des résultats stables.

La Cour relevait néanmoins que de « telles coopérations autour d'ensemble portuaires avec des potentialités de trafics, de débouchés, de chaînes logistiques pourraient permettre de créer de la compétitivité. Une réflexion en ce sens se dessine et il convient de la poursuivre ».

Dans ce contexte, Jean-Marc Roué a rappelé que « nos ports sont très diversifiés. Aussi, l'idée d'instaurer un régulateur par façade est bonne : les armateurs ont parfois l'impression que nos ports se font concurrence entre eux, alors que nous n'avons pas besoin d'un service équivalent en tout point de chaque façade. Les annonces du Premier ministre sont donc bienvenues : il faut organiser le commerce ».

2. L'organisation du système portuaire français : un renforcement progressif de la coordination interportuaire, des débats persistants sur la décentralisation des GPM

Dans son discours précité du CIMer 2018, le Premier ministre a exprimé son intention de « renforcer les systèmes portuaires de l'axe Nord, de l'axe Seine et de l'axe Méditerranée-Rhône-Saône ». Il a particulièrement ciblé le système portuaire des Hauts-de-France, premier point de passage européen entre l'Europe continentale et le Royaume-Uni « où la coopération entre les ports est la plus nécessaire et la plus perfectible ». Plusieurs préfigurateurs ont été nommés pour conduire ces travaux.

S'agissant du système portuaire Méditerranée-Rhône-Saône, le Premier ministre a fait part de sa volonté d' « unifier le front portuaire de la façade méditerranéenne et d'y associer dans toute la mesure du possible le port de Lyon ». Un groupement d'intérêt économique (GIE) devrait être mis en place pour mettre en oeuvre ce projet.

Concernant la vallée de la Seine (Le Havre, Rouen, Paris), système le plus intégré à l'heure actuelle selon le Premier ministre, l'objectif du Gouvernement est de passer à une « intégration plus poussée » tout en conservant trois implantations territoriales . Ce projet suscite, à ce stade, des doutes voire une résistance de la part des organisations syndicales représentatives des ouvriers dockers. Le Premier ministre vise une mise en service opérationnelle du nouvel établissement au 1 er janvier 2021 et a nommé, le 7 février dernier, Catherine Rivoallon, préfiguratrice de cette intégration.

Au-delà, les débats ont été marqués par le sujet de la décentralisation de la gestion de certains grands ports maritimes .

La loi du 13 août 2004 relative aux libertés et responsabilités locales a donné lieu au transfert des ports non autonomes aux collectivités territoriales ou à leurs groupements dans le ressort géographique desquels sont situées ces infrastructures 40 ( * ) .

En outre, la loi du 7 août 2015 portant nouvelle organisation territoriale de la République (NOTRe) a prévu la possibilité d'un transfert de la compétence portuaire du département vers les autres collectivités territoriales ou leurs groupements au plus tard le 1 er janvier 2017 41 ( * ) .

Récemment, le débat relatif à la décentralisation des grands ports maritimes a été relancé et le Premier ministre, dans son discours au CIMer 2018, a indiqué que, s'agissant des ports de la façade atlantique « le Gouvernement examinerait de manière favorable les demandes des collectivités qui souhaiteraient en reprendre la gestion ».

À l'heure actuelle, 54 ports font l'objet d'une gestion décentralisée sur les 66 ports de commerce français 42 ( * ) .

Vos rapporteurs rappellent à cet égard que notre collègue, Charles Revet, dans son rapport d'information de 2011 précité Les ports français : de la réforme à la relance , avait déjà pu avancer l'idée d'une prise en compte accrue des collectivités territoriales dans la gestion portuaire 43 ( * ) . À ce titre, deux propositions étaient faites :

- modifier au cas par cas le statut des grands ports maritimes pour donner plus de poids aux collectivités territoriales concernées par le développement portuaire ;

- encourager les investissements portuaires grâce à la participation des collectivités territoriales concernées et promouvoir les sociétés de développement local , pour que les collectivités profitent financièrement de leurs investissements .

Vos rapporteurs resteront attentifs à cette question. Ils relèvent cependant que l'idée de décentraliser la gestion des grands ports maritimes ne fait pas consensus , que ce soit parmi les élus nationaux, locaux et chez les acteurs de l'économie portuaire. Aussi, il conviendra nécessairement d'adopter une approche spécifique pour chaque grand port maritime et d'évaluer précisément les bénéfices attendus d'un tel transfert en matière de développement économique durable des territoires et de compétitivité de nos places portuaires.


* 36 Voir le rapport n° 430 (2015-2016) de Didier Mandelli, fait au nom de la commission de l'aménagement du territoire et du développement durable, déposé le 2 mars 2016 et en particulier les articles 20 à 28 de la loi n° 2016-816 du 20 juin 2016 pour l'économie bleue.

* 37 Cour des comptes, rapport précité p. 239-240.

* 38 Ibid, rapport précité p. 248.

* 39 L'usine nouvelle, Les ports du GIE Haropa dopés aux céréales et au BTP, 22 janvier 2019.

* 40 Voir l'article 30 de la loi n° 2004-809 du 13 août 2004.

* 41 Voir l'article 22 de la loi n° 2015-991 du 7 août 2015.

* 42 Les 11 grands ports maritimes ainsi que le port de Saint-Pierre et Miquelon relèvent de la compétente étatique.

* 43 Rapport d'information « Les ports français : de la réforme à la relance » n° 728 (2010-2011) de M. Charles Revet, fait au nom de la commission de l'économie, du développement durable et de l'aménagement du territoire, déposé le 6 juillet 2011.

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