Rapport d'information n° 324 (2018-2019) de Mme Muriel JOURDA et M. Jean-Pierre SUEUR , fait au nom de la commission des lois, déposé le 20 février 2019

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N° 324

SÉNAT

SESSION ORDINAIRE DE 2018-2019

Enregistré à la Présidence du Sénat le 20 février 2019

RAPPORT D'INFORMATION

FAIT

au nom de la commission des lois constitutionnelles, de législation, du suffrage universel, du Règlement et d'administration générale (1) sur la mission d'information sur les conditions dans lesquelles des personnes n'appartenant pas aux forces de sécurité intérieure ont pu ou peuvent être associées à l' exercice de leurs missions de maintien de l' ordre et de protection de hautes personnalités et le régime des sanctions applicables en cas de manquements ,

Par Mme Muriel JOURDA et M. Jean-Pierre SUEUR,

Sénateurs

Tome 1 : Rapport

(1) Cette commission est composée de : M. Philippe Bas , président ; MM. François Pillet, Jean-Pierre Sueur, François-Noël Buffet, Jacques Bigot, Mmes Catherine Di Folco, Sophie Joissains, M. Arnaud de Belenet, Mme Nathalie Delattre, MM. Pierre-Yves Collombat, Alain Marc , vice-présidents ; M. Christophe-André Frassa, Mme Laurence Harribey, MM. Loïc Hervé, André Reichardt , secrétaires ; Mme Esther Benbassa, MM. François Bonhomme, Philippe Bonnecarrère, Mmes Agnès Canayer, Maryse Carrère, MM. Mathieu Darnaud, Marc-Philippe Daubresse, Mme Jacky Deromedi, MM. Yves Détraigne, Jérôme Durain, Mme Jacqueline Eustache-Brinio, MM. Jean-Luc Fichet, Pierre Frogier, Mmes Françoise Gatel, Marie-Pierre de la Gontrie, M. François Grosdidier, Mme Muriel Jourda, MM. Patrick Kanner, Éric Kerrouche, Jean-Yves Leconte, Henri Leroy, Mme Brigitte Lherbier, MM. Didier Marie, Hervé Marseille, Jean Louis Masson, Mme Marie Mercier, MM. Jacques Mézard, Thani Mohamed Soilihi, Alain Richard, Vincent Segouin, Simon Sutour, Mmes Lana Tetuanui, Catherine Troendlé, M. Dany Wattebled .

AVANT-PROPOS DE M. PHILIPPE BAS, PRÉSIDENT DE LA COMMISSION DES LOIS

La fonction de contrôle est au coeur des missions de la représentation nationale. Elle prend racine dans la Déclaration des Droits de l'Homme et du Citoyen et son article 15 : « La société a le droit de demander compte à tout agent public de son administration ». Ce droit est exercé par le Parlement au nom des Français. Il va de pair avec le consentement à l'impôt et avec l'exigence de la séparation des pouvoirs, dont l'article 16 de la Déclaration proclame que toute société dans laquelle celle-ci n'est pas assurée « n'a point de Constitution » . Il s'agit rien moins pour le Parlement que de veiller au bon emploi des deniers publics par le Gouvernement, de s'assurer du bon fonctionnement des institutions et de s'opposer à tout abus de pouvoir afin de défendre en toute circonstance les libertés et les droits des citoyens.

La commission des lois du Sénat, guidée dans ses travaux par ses deux rapporteurs, Jean-Pierre Sueur et Muriel Jourda, s'est ainsi attachée à faire sereinement la lumière sur les dysfonctionnements qu'a fait apparaître la place tout à fait excessive prise par un collaborateur du Président de la République, de rang pourtant modeste et dénué d'expérience de l'État, dans la mise en oeuvre de la sécurité du chef de l'État.

Au fur et à mesure que se développaient ses travaux, de nouvelles informations sont apparues, qui ont entraîné des investigations et des auditions complémentaires. Celles-ci ont notamment porté sur les passeports diplomatiques ou de service conservés par M. Benalla et sur les activités privées de celui-ci avant et après la fin de ses fonctions à l'Élysée.

Rien ne permet d'exclure de nouveaux rebondissements après la publication de ce rapport. Mais les pouvoirs d'enquête de la commission ont expiré le 23 janvier 2019 au soir et le moment est venu pour elle de remettre ses conclusions.

Notre commission a considéré qu'elle devait accomplir sa tâche en prenant soin d'entendre toutes les autorités et les responsables publics susceptibles de l'éclairer, ainsi que M. Alexandre Benalla lui-même. Elle a aussi recherché toutes informations utiles par de nombreuses demandes écrites adressées à la présidence de la République, aux ministres et aux autorités responsables - certaines réponses ayant nécessité jusqu'à trois relances. Puis elle a consacré à l'examen attentif de l'abondante matière ainsi recueillie le temps nécessaire à un travail approfondi. Malgré de nombreuses sollicitations, elle s'est astreinte à une stricte réserve sur le contenu de ses réflexions jusqu'à la publication de son rapport. Elle s'est ainsi gardée d'avancer prématurément des conclusions qui n'auraient été ni arrêtées ni discutées.

Elle a naturellement veillé à ne pas interférer avec la mission de la Justice, qui seule peut établir l'existence d'infractions et les réprimer. Elle a ainsi estimé n'avoir pas à porter d'appréciation sur les faits survenus place de la Contrescarpe à Paris le 1 er mai 2018, tandis que plusieurs responsables de l'Exécutif s'employaient à en relativiser la gravité alors même qu'une enquête judiciaire était en cours. Elle a agi de même s'agissant de la récupération de vidéos de la préfecture de police ou de l'usage de passeports diplomatiques après la fin des fonctions de l'intéressé. Il appartiendra à la Justice, et à elle seule, de décider de la qualification de ces faits et, s'il y a lieu, de les sanctionner. Cette « affaire Benalla », ou plutôt ces « affaires Benalla », n'étaient pas notre affaire.

La commission des lois s'est également interdit toute investigation sur les incidents qui auraient émaillé le déroulement d'une perquisition ordonnée au domicile de M. Benalla. Quelle que soit la gravité des faits rapportés à cet égard, elle considère qu'il revient à la Justice, et à elle seule, de procéder aux investigations et de prendre les décisions qu'elle jugera le cas échéant utiles.

L'action pénale à l'encontre des auteurs de faits délictueux n'a ni le même objet ni les mêmes conséquences que le contrôle exercé par le Parlement sur le fonctionnement des services publics. Une enquête judiciaire vise à établir la matérialité de délits ou de crimes. Une enquête parlementaire a pour objet de faire la lumière sur le fonctionnement de services de l'État. La fonction judiciaire et la mission de contrôle parlementaire ne sont pas du même ordre ni de même nature et elles n'ont ni la même portée ni les mêmes conséquences. Elles reposent toutes deux sur des exigences constitutionnelles essentielles au bon fonctionnement de la démocratie. Elles peuvent et doivent s'accomplir simultanément, de manière complémentaire, sans qu'il soit besoin de privilégier l'une par rapport à l'autre, en étant attentifs à ne pas les confondre et en respectant leur indépendance réciproque.

L'objet principal de l'enquête de la commission des lois du Sénat, ce n'était donc pas les voies de fait commises en marge des manifestations du 1 er mai 2018, à la différence du mandat qu'avait reçu la commission des lois de l'Assemblée nationale, c'était les possibles dysfonctionnements ou faiblesses susceptibles d'affecter des services chargés de la sécurité du Président de la République, composés exclusivement de gendarmes et de policiers d'élite mis à la disposition du chef de l'État par le ministère de l'intérieur, dédiés à cette tâche et rigoureusement sélectionnés, formés et entraînés pour la remplir. C'était aussi d'examiner les sanctions administratives prononcées et leur correcte application dans toutes leurs implications, y compris le retrait des passeports et téléphones cryptés de M. Benalla.

La question de la sécurité du chef de l'État est évidemment essentielle. Rappelons en effet ce que nul ne peut ignorer : dans notre pays, la fonction présidentielle est prééminente. En France, cinquième puissance du monde, le Président de la République exerce des pouvoirs encore plus importants pour la vie de la Nation que le Chancelier allemand, le Premier ministre anglais ou le Président des États-Unis dans leur propre pays. C'est la conséquence de nos institutions, si particulières parmi les grandes démocraties. Pour la puissance exécutive, nos institutions cumulent ainsi les avantages du régime présidentiel et ceux du régime parlementaire : une autorité sans partage exercée par le Président de la République sur l'appareil d'État et, simultanément, la possibilité d'obtenir du Parlement le vote des lois et des réformes que lui-même et son Gouvernement préconisent tant qu'existe à l'Assemblée nationale une majorité pour soutenir son action. Rares sont les chefs d'exécutif qui peuvent se prévaloir de capacités d'action aussi étendues. C'est ce qui permet d'assurer la stabilité de notre pays alors qu'à l'instar de la plupart des autres démocraties européennes, notre système politique, durablement fondé sur l'alternance entre deux grandes forces de gouvernement, a évolué.

Cette prépondérance présidentielle s'exerce en outre dans des conditions spécifiques qui sont liées au rôle mondial de la France : puissance nucléaire, membre permanent du Conseil de sécurité des Nations-Unies, présente sur tous les continents à travers ses collectivités d'outre-mer, dotée d'un fort soutien international que lui valent sa place au coeur de la francophonie et sa diplomatie indépendante, appelée à intervenir pour contribuer à la paix sur de nombreux théâtres d'opération, la France occupe en effet dans le monde et en Europe une place à part.

Le Président de la République française a donc des responsabilités particulières. Il peut engager de lui-même la force armée. La dissuasion nucléaire repose sur lui.

Dans un monde où la compétition entre les nations s'accélère et où le terrorisme peut à tout instant se manifester par de nouvelles actions criminelles, la sécurité du Président français n'est donc pas seulement importante pour sa personne, sa famille et ses proches, elle est vitale pour la continuité de la Nation et pour la défense de nos idéaux et de nos intérêts dans le monde. Elle concerne la République tout entière. Elle ne peut donc être traitée comme étant l'affaire du seul chef de l'État.

Ainsi, l'appréciation que le Parlement, à travers la commission des lois du Sénat, est aujourd'hui amené à porter sur cette question essentielle qui a trait au fonctionnement de l'État et à sa continuité doit être comprise comme nécessaire à la vie de nos institutions.

Chacun appréciera la réalité de l'ensemble des faits à partir des éléments réunis par la commission et jugera de l'importance qu'il convient de leur accorder. Pour sa part, la commission a estimé que la sécurité du Président de la République au cours de la première année du mandat du Président Emmanuel Macron a été gravement affectée par les ingérences d'un chargé de mission du cabinet qui ne disposait pas des qualifications nécessaires à l'exercice précoce de telles responsabilités et qui ne s'est pas révélé digne de la confiance qui lui était faite dans le contexte national et international qui vient d'être évoqué.

Comme on le lira en prenant connaissance de ce rapport, il est en effet hautement vraisemblable que M. Benalla, dans le prolongement de la fonction qu'il avait occupée lors de la campagne présidentielle, a joué un rôle essentiel dans la sécurité du Président de la République, rôle obstinément nié au cours des auditions auxquelles la commission des lois a procédé. Il disposait pour cela d'importants moyens, au premier rang desquels - fait sans précédent à l'Élysée - un permis de port d'arme obtenu dans des conditions contestables. Il apparaît ainsi qu'il a non seulement participé en situation d'autorité de fait à l'organisation de la sécurité des déplacements présidentiels, tant dans une fonction mal définie de coordination interne que dans l'interface avec les responsables préfectoraux et ceux des services de sécurité des départements visités, mais qu'il a aussi pris part personnellement à la protection rapprochée du chef de l'État. Il est également possible qu'il ait exercé un rôle, dont l'importance est difficile à cerner, dans la réflexion sur la réforme des services de sécurité de la présidence de la République.

Les efforts des plus hauts responsables de la présidence de la République pour présenter les missions de l'intéressé comme limitées à des tâches d'organisation sont cependant restés peu crédibles. Ceux-ci n'ont en effet pas été en mesure de proposer avec toutes les précisions nécessaires une version unique et non évolutive de la mission de M. Benalla, étayée par des faits objectifs, ni d'apporter des explications plausibles à la délivrance par le préfet de police de son permis de port d'arme.

C'est à la lumière des fonctions réellement exercées par M. Benalla qu'il faut évaluer la gravité extrême des informations plus récentes faisant état du rôle central qu'il aurait joué dans la conclusion et la mise en oeuvre à partir de juin 2018 d'un contrat de sécurité privée au profit d'un oligarque russe. De telles relations d'affaires ont pu faire de MM. Benalla et Crase les maillons faibles de la sécurité du chef de l'État en les plaçant sous la dépendance d'intérêts étrangers.

Notre enquête a mis en lumière les risques encourus par l'État du fait de l'absence de précautions prises par la présidence de la République pour s'assurer que les intérêts privés de certains de ses collaborateurs n'interfèrent pas avec l'exercice de leurs fonctions et ne compromettent pas leur indépendance, que ce soit pendant l'exercice de leurs fonctions ou après la fin de leur collaboration. Qu'un collaborateur du chef de l'État, M. Benalla, le responsable de l'encadrement des gendarmes réservistes affectés à l'Élysée, par ailleurs en charge de la sécurité du siège du parti « La République en Marche », M. Vincent Crase et un militaire officiant dans les forces spéciales présenté comme le compagnon de la responsable du groupe de sécurité du Premier ministre, M. Chokri Wakrim, aient pu collaborer à l'insu de leur hiérarchie à un contrat de sécurité de plusieurs centaines de milliers d'euros au bénéfice du dirigeant d'un très grand groupe russe, soulève de toute évidence la question de leur dépendance financière à l'égard d'intérêts étroitement liés à une puissance étrangère. Cette dépendance ne pouvait manquer d'affecter la sécurité nationale. Si elle n'a pu procéder à des demandes d'informations supplémentaires sur ces points dans les délais impartis à l'exercice des pouvoirs d'investigation consentis par le Sénat le 23 juillet 2018, la commission des lois a marqué une très vive préoccupation devant l'absence de mesures prises pour prévenir ce genre de situation pendant et après l'exercice de ses fonctions par un collaborateur du chef de l'État : enquêtes préalables au recrutement à la présidence de la République pour des fonctions sensibles, retour au respect des obligations légales en matière de déclarations d'intérêts pendant l'exercice de ces fonctions, initiatives appropriées pour qu'un ancien collaborateur de l'Élysée soumette systématiquement ses projets d'activité professionnelle à la commission de déontologie de la fonction publique, conformément à la loi, etc.

Par ailleurs, la commission des lois a souligné la nécessité de rappeler que les collaborateurs des autorités politiques ne doivent pas interférer avec le bon fonctionnement des administrations, qui ne sont pas placées sous leur autorité mais sous celle du Gouvernement et des directeurs d'administration centrale. L'autorité de fait qu'aurait exercée M. Benalla sur les agents de services de police ou de gendarmerie, mise en lumière par les regrettables évènements du 1 er mai 2018, relève d'une confusion préjudiciable à la bonne marche des services de l'État, et qui peut même provoquer de graves perturbations. C'est pourquoi, quel que soit le domaine d'action des conseillers et chargés de mission de la présidence de la République, une instruction présidentielle devrait établir avec fermeté les règles déontologiques applicables aux collaborateurs du chef de l'État et les comportements à observer dans leurs relations avec les administrations placées sous la responsabilité du Gouvernement. En effet, à chaque fois qu'une consigne d'un collaborateur de l'Élysée est donnée directement à un agent public, le bon fonctionnement des services en est affecté, les ministres et les fonctionnaires d'autorité sont court-circuités, le désordre et la confusion progressent dans l'État, comme on l'a constaté dans cette déplorable affaire. Les collaborateurs du chef de l'État ne doivent donc en aucun cas se placer en position hiérarchique directe vis-à-vis des responsables d'administration. Leur mission consiste strictement à assister le Président de la République dans la préparation de ses décisions et dans leur exécution, qui s'effectue sous l'autorité du Premier ministre, des ministres et de leurs directeurs de cabinet, à travers les services dirigés par les directeurs d'administration, les préfets et les ambassadeurs.

De la même façon, le Premier ministre devrait rappeler aux membres de son cabinet, ainsi qu'aux conseillers des ministres, leurs obligations déontologiques. Il est insupportable que, dans notre République, on puisse estimer naturel et non blâmable, comme cela a été fait à plusieurs reprises à l'occasion de cette enquête, qu'un fonctionnaire de rang modeste doive s'incliner devant les exigences du collaborateur d'une autorité politique
- collaborateur qui n'est pourtant investi d'aucune responsabilité hiérarchique. L'État ne peut fonctionner ainsi.

Enfin, il n'est pas conforme à l'esprit de la Constitution que des collaborateurs du Premier ministre soient simultanément collaborateurs du Président de la République. Certes, ces deux pouvoirs publics constitutionnels articulés entre eux mais distincts relèvent l'un et l'autre de l'Exécutif. Mais la mission constitutionnelle du Gouvernement, responsable devant le Parlement, n'est pas la même que celle du chef de l'État, dont la responsabilité ne peut être engagée que pour manquement grave aux devoirs de sa charge. Le Premier ministre est le chef de la majorité parlementaire ; le Président de la République a en charge les intérêts fondamentaux de la Nation, bien au-delà des clivages politiques entre la majorité et les oppositions. En somme, le Premier ministre, qui n'est pas le subordonné du Président de la République, ne devrait pas davantage être considéré comme un secrétaire d'État vis-à-vis de son ministre de tutelle.

*

* *

Tout au long de leurs travaux, pendant les six mois au cours desquels la commission des lois a exercé les pouvoirs d'une commission d'enquête, les auteurs de ce rapport, Muriel Jourda et Jean-Pierre Sueur, et avec eux l'ensemble des membres de la commission des lois qui en ont débattu, ont poursuivi trois objectifs.

1°) Ils ont d'abord souhaité que nos concitoyens soient pleinement informés afin qu'ils puissent se former leur propre opinion. C'est pourquoi la commission a décidé que toutes ses auditions seraient entièrement publiques. Elles ont été suivies par plusieurs centaines de milliers de Françaises et de Français. La démocratie a tout à gagner à ce que la représentation nationale, dans le cadre des pouvoirs d'enquête du Parlement, mette publiquement en lumière les défaillances et les manques qui peuvent affecter la bonne marche des institutions et de l'État pour pouvoir les corriger. C'est la garantie d'un contrôle démocratique effectif, qui est de nature à faire progresser l'État de droit pour mieux protéger la société contre les abus de pouvoir. N'atteindrait-il que ce résultat que notre travail en serait déjà pleinement justifié. C'est en effet le moyen de contribuer à l'oeuvre de vérité dans une grande démocratie parlementaire. En imposant cette exigence de transparence, la commission des lois a rempli le plus important de ses devoirs : faire en sorte que le fonctionnement de l'Exécutif soit placé sous le regard direct des Français grâce au contrôle parlementaire, pour que l'opinion publique pèse en faveur d'une plus grande efficacité de la gestion publique.

2°) La commission a également eu à coeur d'élaborer méticuleusement des propositions concrètes destinées à améliorer le fonctionnement de l'État et à prévenir le renouvellement des désordres constatés. Ces propositions visent à garantir un haut niveau de sécurité au Président de la République et au Premier ministre, à mettre de l'ordre dans les relations entre les collaborateurs des autorités politiques et les administrations de l'État, à faire respecter les règles déontologiques nécessaires pour assurer l'indépendance et l'impartialité des collaborateurs de la présidence de la République et des cabinets ministériels, et enfin à mieux encadrer les recrutements et les promotions au sein de la réserve opérationnelle de la gendarmerie nationale. Elles ont aussi pour objet de clarifier et de renforcer les pouvoirs de contrôle du Parlement, essentiels à un meilleur équilibre des pouvoirs.

3°) Enfin, le président et les rapporteurs de la commission des lois devaient se prononcer sur la saisine du procureur de la République de Paris au cas où ils estimeraient que des personnes entendues sous serment auraient menti. Ayant minutieusement examiné les déclarations de M. Benalla, sans même qu'il soit nécessaire de s'interroger par ailleurs sur l'infraction qu'il a pu commettre aussi en refusant de répondre à des questions qui lui étaient posées, ils ont estimé que celui-ci avait fait sous serment des réponses mensongères sur plusieurs points : les motifs de sa demande de permis de port d'arme à la préfecture de police, la restitution des passeports diplomatiques qui lui avaient été attribués et sa participation à un contrat de protection conclu entre la société Mars et les représentants d'un chef d'entreprise russe, sans préjudice d'autres mensonges susceptibles d'être mis en évidence par une enquête judiciaire. Ils ont donc décidé de demander au Bureau du Sénat de saisir le procureur de la République de Paris pour que des poursuites puissent être engagées à l'encontre de M. Benalla, mais aussi de M. Crase, en raison des contradictions apparues entre les dépositions sous serment et les informations crédibles publiées au cours des dernières semaines des travaux de la commission par plusieurs médias.

Par ailleurs, ils ont estimé que si les plus proches collaborateurs du chef de l'État, et en particulier M. Strzoda, directeur de cabinet, ont utilement contribué à la recherche de la vérité sur de nombreux points, la présentation qu'ils ont faite des missions exercées par M. Benalla était contredite par les éléments de fait réunis au cours des travaux de la commission, qui témoignent d'une implication réelle de l'intéressé dans la mise en oeuvre de la sécurité du Président de la République. Le procureur de la République de Paris devrait donc se prononcer sur ce point.

INTRODUCTION

Mesdames, Messieurs,

Le 23 juillet dernier, votre commission des lois a décidé de créer en son sein une mission d'information sur « les conditions dans lesquelles des personnes n'appartenant pas aux forces de sécurité intérieure ont pu ou peuvent être associées à l'exercice de leurs missions de maintien de l'ordre et de protection de hautes personnalités et le régime des sanctions applicables en cas de manquements ».

Dans le souci constant de pluralisme et d'équilibre qui caractérise ses travaux de contrôle de l'action du Gouvernement et d'évaluation des politiques publiques, elle a désigné deux rapporteurs issus respectivement des principaux groupes de la majorité et de l'opposition sénatoriales.

Pour mener à bien cette mission et conformément à l'article 5 ter de l'ordonnance n° 58-1100 du 17 novembre 1958 relative au fonctionnement des assemblées parlementaires, elle a obtenu du Sénat qu'il lui confère, le même jour et pour une durée de six mois, les prérogatives attribuées aux commissions d'enquête, parmi lesquelles la possibilité d'entendre sous serment toute personne dont elle jugerait l'audition utile et d'obtenir communication de tous renseignements et documents de service, sous peine de sanctions pénales pouvant atteindre deux ans d'emprisonnement et 7 500 euros d'amende.

Ces décisions faisaient suite aux révélations de plusieurs médias, et d'abord du journal Le Monde , sur la participation d'Alexandre Benalla, chargé de mission à la présidence de la République et ancien responsable de la sécurité de la campagne d'Emmanuel Macron en vue de l'élection présidentielle, à des opérations de maintien de l'ordre lors des manifestations du 1 er mai 2018 à Paris et sur le rôle qu'il pouvait jouer dans la sécurité du Président de la République.

Conformément à l'article 51-2 de la Constitution et à l'article 6 de l'ordonnance du 17 novembre 1958 relative au fonctionnement des assemblées parlementaires précitée, les investigations de votre commission ont porté sur l'organisation et le fonctionnement de services de l'État dépendant du ministère de l'intérieur.

Durant un peu plus de quatre mois, elle a procédé à 34 auditions et entendu sous serment plus de 40 personnes, tandis que son président et ses rapporteurs adressaient une trentaine de demandes d'informations complémentaires, à la présidence de la République, ainsi qu'à plusieurs ministres et responsables d'administration.

Tout au long de ses travaux, votre commission a veillé à faire preuve de pondération et d'objectivité, à respecter le principe constitutionnel de la séparation des pouvoirs - s'interdisant d'enquêter sur les faits qui faisaient l'objet de poursuites judiciaires - et à préserver les droits et libertés individuels - s'attachant à éviter que les personnes mises en examen qu'elle a entendues, comme elle en avait le droit, puissent être conduites à s'auto-incriminer.

Vos rapporteurs sont constamment restés indifférents aux pressions qui ont pu être exercées sur eux. Les polémiques sur le respect des prérogatives de l'autorité judiciaire ou sur l'engagement de la responsabilité pénale du Président de la République étaient à l'évidence dénuées de tout fondement. Leurs auteurs y ont d'ailleurs rapidement renoncé et elles ne se sont pas reproduites.

Non seulement votre commission n'a pas empiété sur les prérogatives de l'autorité judiciaire mais, bien au contraire, quand cette dernière a été saisie d'une demande de communication du dossier de permis de port d'arme d'Alexandre Benalla qu'elle avait saisi, elle a admis la compatibilité de cette demande avec une instruction en cours en levant les scellés, afin de permettre à vos rapporteurs d'obtenir la copie que le Gouvernement refusait de leur adresser.

Quant à la mise en jeu de la responsabilité du Président de la République, faut-il rappeler les termes de l'article 68 de la Constitution, en vertu desquels celle-ci ne peut être déclenchée que par le Parlement constitué en Haute Cour et seulement en cas de manquement du chef de l'État à ses devoirs manifestement incompatible avec l'exercice de son mandat ? Quiconque aura suivi avec attention les travaux de votre commission aura pu aisément constater qu'ils n'avaient rien à voir avec cette procédure ; le chef de l'État n'a d'ailleurs à aucun moment été personnellement mis en cause à l'occasion des investigations de la commission, qui se sont conformées à une stricte application du principe de séparation des pouvoirs. Pour autant la protection constitutionnelle accordée au Président de la République ne s'étend pas à la gestion administrative de l'Élysée, qui doit pouvoir faire l'objet de contrôles de l'autorité judiciaire, de la Cour des comptes mais également de la représentation nationale.

Les travaux de votre commission l'ont ainsi conduite à mettre en lumière des dysfonctionnements qui ont affecté les services de l'État chargés d'assurer les opérations de maintien de l'ordre et la sécurité du Président de la République et à formuler treize propositions pour y remédier.

I. LA PARTICIPATION IRRÉGULIÈRE DE DEUX COLLABORATEURS DE L'ÉLYSÉE À DES OPÉRATIONS DE MAINTIEN DE L'ORDRE, UN RÉVÉLATEUR DE DYSFONCTIONNEMENTS AU SEIN DE L'ÉTAT

A. DES CONDITIONS INADÉQUATES DE PARTICIPATION AUX OPÉRATIONS DE MAINTIEN DE L'ORDRE DU 1ER MAI 2018 QUI ONT AMENÉ À RÉVISER LE STATUT DES OBSERVATEURS

Les conditions dans lesquelles Alexandre Benalla et Vincent Crase ont été intégrés au dispositif de maintien de l'ordre prévu lors de la manifestation du 1 er mai 2018 ont pu être retracées par votre commission grâce aux témoignages des hauts gradés de la hiérarchie policière et aux informations du rapport 1 ( * ) de l'inspection générale de la police nationale (IGPN) dont elle a demandé et obtenu communication avant qu'il soit rendu public.

Votre commission a ainsi pu se faire confirmer que ni les conditions dans lesquelles Alexandre Benalla et Vincent Crase ont été amenés à assister comme observateurs au dispositif policier, ni les modalités de leur encadrement sur le terrain n'ont été appropriées .

Ces irrégularités - non-respect des procédures usuelles d'autorisation, autonomie et absence d'encadrement adéquat sur le terrain, non signalement hiérarchique de leurs graves et inadmissibles manquements - s'expliquent pour l'essentiel par la proximité entretenue par Alexandre Benalla dans l'exercice de sa fonction d'adjoint au chef de cabinet du Président de la République avec les personnels de la préfecture de police de Paris, et par l'ascendant dont il disposait du fait de son grade dans la réserve de la gendarmerie nationale (lieutenant-colonel) comme de ses fonctions à l'Élysée (dans la proximité du Président de la République), face à des policiers de rang comparativement plus modeste.

L'accueil d'observateurs par les services en charge du maintien de l'ordre :
une pratique courante, utile et ancienne, mais juridiquement peu encadrée

L'ensemble des hauts gradés de la police nationale, de la préfecture de police et de la gendarmerie nationale entendus par la commission se sont accordés pour souligner l' utilité et le caractère habituel de l'accueil de personnes extérieures à leurs services. À titre d'illustration, le service d'information et de communication de la police nationale (SICoP) est destinataire chaque année d'environ 3 500 demandes de journalistes, et la préfecture de police de Paris a accueilli 700 collégiens, lycéens et étudiants au premier semestre 2018.

L'éventail des publics et des motifs de demande du statut d'observateur qui ont été décrits à votre commission apparaît très divers (formation scolaire, universitaire ou professionnelle, accueil de collègues étrangers, de journalistes, d'élus, de magistrats, de préfets, d'agents d'autres administrations ou de personnels associatifs).

De même, les activités observées peuvent être d'intensité variable, de la découverte au sein des locaux policiers à la présence sur la voie publique lors de missions opérationnelles, et les services sollicités par les observateurs sont variés (police aux frontières, services de maintien de l'ordre, police judiciaire...).

Jusqu'à la révélation des évènements du 1 er mai 2018, il n'existait pas de circulaire fixant formellement les conditions de délivrance des autorisations et la façon dont doivent être accueillis et encadrés les observateurs. Néanmoins, en pratique, tous les services avaient été amenés à définir une « doctrine » et des « principes de bon sens » :

- Concernant le niveau de l'autorisation à obtenir, elle pouvait émaner, pour la police, du chef de service, voire du préfet territorialement compétent si l'observateur était une personnalité d'un certain rang (les demandes de presse faisant l'objet d'un traitement à part par le SICoP).

Dans le cas particulier de la préfecture de police de Paris, l'autorisation des observateurs devait, selon le préfet, « être donnée au niveau pertinent », la validation appartenant toujours au moins à un directeur, avec information du cabinet, le cas échéant, en cas de profil particulier (les demandes de la presse restant gérées par le cabinet et accordées par le préfet - ou son directeur de cabinet - et les conventions de formation étant gérées par la direction des ressources humaines) ;

- Concernant l' encadrement des observateurs au sein du service d'accueil, il était généralement confié à un référent ou tuteur, ceux-ci étant exclus de droit de la participation à certaines activités (actes d'enquête judiciaire, accès aux informations classifiées).

Dans le cas de la préfecture de police de Paris, et en particulier pour les observateurs au sein de la direction de l'ordre public et de la circulation ( DOPC) , il était d'usage que le chef d'état-major désignât l'un des quinze commissaires de police de la direction comme tuteur .

1. Un statut d'observateur obtenu en dehors des procédures habituelles et sans autorisation adéquate

Les premières défaillances concernent, en amont, la façon dont les intéressés ont été autorisés à assister aux opérations du 1 er mai 2018 comme observateurs.

Comme l'a rappelé Michel Delpuech, préfet de police de Paris, rien ne s'opposait, par principe, à la participation en tant qu'observateurs de deux personnes travaillant pour l'Élysée.

Néanmoins, cette participation n'a fait l'objet d'aucune autorisation au niveau hiérarchique adéquat : négociée directement entre agents ayant noué une grande proximité professionnelle et appelés à se côtoyer régulièrement, elle s'est faite au mépris des procédures en vigueur à la préfecture de police qui auraient dû s'appliquer quand bien même Alexandre Benalla se serait prévalu de ses fonctions à l'Élysée et de l'appui du directeur de cabinet du Président de la République .

Les fonctionnaires de la direction de l'ordre public et de la circulation (DOPC) de la préfecture de police sont étroitement associés à la sécurité extérieure du palais de l'Élysée et au suivi des déplacements officiels du Président de la République dans l'agglomération parisienne (à l'exception des déplacements privés). À ce titre, comme le relève le rapport de l'IGPN, « M. Benalla, qui depuis la dernière élection présidentielle est présent à toutes les réunions préparatoires à l'organisation des déplacements du Président de la République dans le ressort de la préfecture de police, et également présent sur le terrain lors des grands évènements auxquels participe le Président, côtoie professionnellement un grand nombre de policiers de la capitale affectés à ces missions. Il a manifestement noué avec certains d'entre eux des liens de proximité, facilités par le tutoiement qu'il pratique volontiers ».

C'est ainsi le chef adjoint de l'état-major à la DOPC, Laurent Simonin, qui aurait organisé 2 ( * ) directement la présence d'Alexandre Benalla à l'opération de maintien de l'ordre du 1 er mai. Il l'aurait fait sans en avertir ses supérieurs , ayant reçu d'Alexandre Benalla l'assurance qu'il disposait de toutes les autorisations nécessaires. Il n'en aurait donc pas référé au responsable hiérarchique de sa direction, Alain Gibelin, directeur de l'ordre public et de la circulation.

Si Alain Gibelin a reconnu devant la commission des lois de l'Assemblée nationale avoir été informé du souhait d'Alexandre Benalla d'assister un jour à un service d'ordre, il a affirmé lui avoir rappelé la procédure à suivre et la nécessité d'une autorisation du préfet de police ; il n'avait en rien, selon ses déclarations, donné son accord formel et explicite pour que le chargé de mission assistât spécifiquement à la manifestation du 1 er mai 3 ( * ) .

En tout état de cause, s'agissant de Vincent Crase, sa participation n'a jamais été évoquée , à aucun stade préparatoire. Les fonctionnaires de la préfecture de police ont été mis devant le fait accompli par Alexandre Benalla qui, le 1 er mai, s'est présenté avec un accompagnateur dont ils ne connaissaient pas l'identité et qu'il leur aurait présenté comme son collaborateur. C'est là encore l'ascendant qu'Alexandre Benalla tirait de ses fonctions à l'Élysée représentant affiché, et reconnu comme tel par sa hiérarchie, de la présidence de la République » selon l'IGPN) qui a permis une démarche aussi inhabituelle et l'absence d'opposition ou de protestation de ses interlocuteurs face à ces entorses aux procédures les plus élémentaires.

Dans ces conditions, vos rapporteurs estiment qu'il ne s'agit pas tant de simples « copinages malsains » - selon les termes du préfet de police, ce qui supposerait des relations entre égaux, amicales et réciproques, mais bien plutôt d'une dérive qui a vu certains gradés de l'institution policière se soumettre à l'ascendant du représentant de l'Élysée.

Il est enfin gravement préjudiciable que les services de l'Élysée aient eux-mêmes entretenu une confusion quant à l'autorisation dont pouvaient se prévaloir Alexandre Benalla et Vincent Crase : le porte-parole du Président de la République, Bruno-Roger Petit, a ainsi déclaré lors d'une conférence de presse le 19 juillet 2018, qu'« Alexandre Benalla , qui est chargé de mission auprès du chef de cabinet de la présidence de la République, a demandé l'autorisation d'observer les opérations de maintien de l'ordre prévues pour le 1 er mai. Cette autorisation lui a été donnée puisqu'il agissait dans le cadre d'un de ses jours de congé et qu'il ne devait avoir qu'un rôle d'observateur ». Il a précisé en outre qu'« il était accompagné ce jour-là et dans les mêmes conditions de M. Vincent Crase ».

Par cette déclaration, le représentant de la présidence de la République jouait sur une ambiguïté pour défendre le caractère régulier de la procédure ayant permis l'intégration le 1 er mai des deux observateurs au dispositif géré par la préfecture de police. Il est en effet établi qu'Alexandre Benalla avait uniquement informé sa propre hiérarchie quelques jours auparavant, mais n'était pas autorisé par les autorités préfectorales compétentes (ni par le préfet de police, ni par un directeur).

Par ailleurs, l'affirmation du représentant de la présidence de la République est fausse concernant Vincent Crase. Ce dernier n'avait, lui, jamais sollicité ni obtenu l'autorisation de quiconque : ni de la préfecture, ni de l'Élysée (il n'était chargé d'aucune mission comme réserviste du commandement militaire du palais, selon le Général Éric Bio Farina), ni du parti politique La République en Marche dont il était salarié (il agissait en dehors de ses heures de travail, hors de toute information de sa hiérarchie, à laquelle il n'avait pas rendu compte, selon Christophe Castaner, délégué général de La République en Marche).

2. Une participation anormale à une opération de maintien de l'ordre : insuffisance d'encadrement sur le terrain et interférences avec la police

L'absence d'autorisation donnée à un niveau adéquat et d'information de l'autorité préfectorale a eu pour conséquence directe un encadrement inadapté et d'un rang hiérarchique insuffisant , l'accompagnateur de la préfecture ne disposant pas de l'autorité nécessaire pour faire respecter les règles élémentaires habituellement imposées aux observateurs par ceux qu'il considérait comme des « représentants de l'Élysée ».

Rappelant les pratiques usuelles de la préfecture de police en temps normal, Maxence Creusat, commissaire de police à la direction de l'ordre public et de la circulation (DOPC), a ainsi relevé que, pour accompagner et conseiller les observateurs pris en charge par la DOPC, le chef d'état-major directeur-adjoint désigne normalement l'un des quinze commissaires de police de la direction comme tuteur.

C'est pourtant un major de police , Philippe Mizerski, sous-officier attaché à l'état-major de la DOPC, au lieu d'un officier, que Laurent Simonin a désigné comme référent pour accompagner sur la voie publique Alexandre Benalla et Vincent Crase lors de la journée du 1 er mai.

Comme l'a résumé devant les députés la cheffe de l'IGPN, Marie-France Monéger-Guyomarc'h, « l'accompagnant était statutairement deux corps et sept grades en dessous du contrôleur général Simonin qui lui donnait des ordres, et il est à un monde de M. Benalla. (...) Ils ne sont pas sur la même planète : l'un est major de police, l'autre travaille au "Château" ». Dès lors, selon le rapport de l'IGPN, « bien qu'embarrassé par la tournure que prenaient les choses , [le major] ne concevait pas, compte tenu de son grade, faire la moindre observation à [Alexandre Benalla] qui était, à ses yeux, un personnage de première importance, recommandé par le chef-adjoint d'état-major de la DOPC » .

Tous les témoins entendus par votre commission s'accordent dès lors pour condamner ou regretter le caractère inhabituel et inadapté de cet encadrement : tant le préfet de police, qui affirme que s'il avait été mis au courant il « aurai[t] placé auprès de M. Benalla un responsable hiérarchique d'un autre niveau, ce qui aurait changé la relation » , que le directeur général de la police nationale, Éric Morvan, pour qui « si l'autorisation avait été accordée selon les voies normales, l'accompagnateur désigné n'aurait pas été un major de police, mais un membre du corps de conception et de direction ».

La qualification pénale de l'usage de la force par Alexandre Benalla et Vincent Crase à l'encontre de plusieurs personnes au cours des manifestations du 1 er mai relève du juge judiciaire. Cependant, il est plus que probable qu'un tel comportement n'aurait pas été toléré par un accompagnateur plus haut gradé.

Selon le rapport de l'IGPN, l'encadrement défaillant et l'autonomie des deux « observateurs » sur le terrain leur a permis - sans que rien ne les distingue des fonctionnaires de police - de participer à l'opération de maintien de l'ordre avec les forces de l'ordre, notamment les compagnies républicaines de sécurité (CRS), voire de leur donner de véritables instructions. Alexandre Benalla a ainsi pu s'adresser au commissaire Maxence Creusat pour « désigne[r] un individu ayant jeté des projectiles sur les forces de l'ordre en suggérant qu'il soit interpellé » , injonction à laquelle il a été fait droit par des personnels de CRS, avant que finalement le chargé de mission de l'Élysée ne décide d'intervenir de sa propre initiative pour procéder à une interpellation.

Comme leurs organisations syndicales entendues au Sénat l'ont expliqué, les personnels de CRS n'étaient pas en mesure de comprendre à ce stade qu'Alexandre Benalla et Vincent Crase n'étaient pas policiers puisque, d'une part, ces deux personnes intervenaient de façon largement autonome faute d'encadrement adéquat et, d'autre part, elles étaient dotées d'équipements « police » (casque, brassard, radio) obtenus grâce aux fonctionnaires de la préfecture dans des conditions administratives incertaines - et dont l'attribution et le port font l'objet d'une enquête judiciaire 4 ( * ) .

La formalisation récente des règles relatives à l'accueil et l'encadrement
des observateurs dans les trois principales directions du ministère de l'intérieur

Le ministre de l'intérieur a, le 2 août 2018, adressé aux directeurs généraux de la police nationale et de la gendarmerie nationale ainsi qu'au préfet de police de Paris une instruction 5 ( * ) - fondée sur les préconisations formulées par l'inspection générale de la police nationale - qui demande à chacun d'eux de formaliser, dans une note écrite 6 ( * ) , les modalités d'accueil des observateurs auprès de ses services en respectant plusieurs principes :

- maintien d'un régime d' autorisation préalable obtenu à un niveau hiérarchique adéquat et en réponse à une demande motivée ;

- élaboration d'une charte commune précisant les droits et les devoirs des observateurs (régime de responsabilité, interdiction de participation aux activités de police) ;

- signature d'une convention , notamment pour les stagiaires ;

- désignation d'un référent (accompagnateur d'un niveau hiérarchique adapté à la qualité de l'observateur) ;

- élaboration d'un insigne distinctif dont le port par les observateurs doit éviter toute confusion avec les forces de sécurité.

B. DE SÉRIEUSES INSUFFISANCES DANS LA REMONTÉE D'INFORMATIONS AU SEIN DE L'INSTITUTION POLICIÈRE ET DE L'EXÉCUTIF

Les travaux menés par votre commission ont mis au jour un dysfonctionnement patent de la chaîne de remontée d'informations de l'institution policière - en particulier à la préfecture de police - et plus généralement au sein de l'Exécutif.

1. Une source élyséenne et un cercle restreint de services informés en l'absence de remontée policière par la voie hiérarchique

Alors même qu'Alexandre Benalla et Vincent Crase avaient manifestement et gravement outrepassé leur statut d'observateur le 1 er mai, prenant une part active aux opérations de maintien de l'ordre en faisant usage de la force sous les yeux de fonctionnaires de police restés sans réaction, il apparaît qu' aucune alerte n'a été donnée ce jour-là à aucun échelon de la hiérarchie policière ou administrative .

En effet, selon les déclarations recueillies, aucun des agents de la DOPC - pas même le major chargé d'encadrer Alexandre Benalla et Vincent Crase - ni aucun des deux intéressés n'aurait fait remonter le moindre incident à ses supérieurs, de sorte que parmi toutes les personnes entendues sous serment par votre commission, personne ni à la préfecture de police, ni au cabinet du ministre de l'intérieur, ni même à l'Élysée, n'aurait été mis au courant le 1 er mai par la voie hiérarchique des agissements répréhensibles de deux personnes travaillant pour l'Élysée. Si elles sont conformes à la vérité, ces déclarations révèlent à l'évidence d'inadmissibles manquements.

Le préfet de police et le cabinet du ministre de l'intérieur n'auraient été avertis de ces faits que le lendemain, 2 mai, et uniquement par le truchement de l'Élysée ; le cabinet du Président de la République aurait lui-même découvert les faits indirectement, en repérant sur les réseaux sociaux la diffusion de vidéos dévoilant les images d'Alexandre Benalla et Vincent Crase en train d'intervenir place de la Contrescarpe.

Cette version des faits présentée sous serment devant votre commission est cependant incompatible avec des propos prêtés à Alexandre Benalla et dont la presse s'est largement fait l'écho.

En effet, alors que, d'un côté, le secrétaire général de la présidence de la République, Alexis Kohler, a déclaré sous serment qu'il avait passé l'après-midi du 1 er mai à son bureau, que les événements de la place de la Contrescarpe n'avaient à aucun moment été mentionnés, et que c'est le lendemain qu'il avait été informé de la diffusion des vidéos, d'un autre côté, le quotidien Le Monde retrace une tout autre chronologie. Selon les informations recueillies par ses journalistes : « [M. Benalla] assure au contraire que, dès le 1 er mai au soir, l'Élysée avait été prévenu. Il a déclaré avoir informé M. Kohler après dîner, par messagerie cryptée, que, "malheureusement, une vidéo tournait sur les réseaux sociaux" sur laquelle il apparaissait. Il ajoute étrangement qu'il n'a plus le téléphone avec lequel il a envoyé ce message, mais qu'il en a "conservé les données sur une clé USB". Toutefois, il ne souhaite pas - "pour l'instant"- "dire où elle se trouve" » 7 ( * ) .

Chronologie de la diffusion de l'information sur l'« affaire Benalla »
au sein de l'Exécutif : un ruissellement depuis l'Élysée

Selon les témoignages recueillis par votre commission et les déclarations faites devant la commission des lois de l'Assemblée nationale, le chargé de mission « réseaux sociaux » à la présidence de la République, Vincent Caure, serait le premier à avoir - dans la nuit
du 1 er au 2 mai - identifié l'un de ses collègues sur une vidéo des incidents survenus place de la Contrescarpe à Paris et impliquant Alexandre Benalla et Vincent Crase, diffusée sur Internet.

Auraient ensuite été successivement informés (dans cet ordre chronologique) :

2 mai

- le chef de cabinet du ministre de l'intérieur , Jean-Marie Girier, prévenu à 8 h 02 par un SMS de Vincent Caure (avec un lien vers une vidéo) ;

- le directeur de cabinet du ministre de l'intérieur , Stéphane Frattaci, prévenu à 8 h 12 par son chef de cabinet, qui lui transmet le message qu'il venait lui-même de recevoir (tous deux visionnent ensemble la vidéo vers 10 heures après une réunion d'état-major au ministère de l'intérieur) ;

- le directeur de cabinet du Président de la République , Patrick Strzoda, prévenu vers 9 h 30 par le même Vincent Caure, qui est l'un de ses chargés de mission ; Patrick Strzoda convoque Alexandre Benalla et se fait confirmer les faits par le principal intéressé ; il est également appelé après 10 heures par le directeur de cabinet du ministre de l'intérieur qui vient aux nouvelles ;

- le secrétaire général de la présidence de la République , Alexis Kohler, informé par le directeur de cabinet du Président de la République ; il en informera le Président de la République, lors de leur point quotidien ;

- le préfet de police de Paris , Michel Delpuech, prévenu entre 10 heures et 10 h 15 (après plusieurs points presse et une réunion d'état-major au ministère de l'intérieur) par un appel téléphonique d'un conseiller de l'Élysée, Laurent Hottiaux ; il contacte le cabinet du ministre de l'intérieur, qui a déjà été mis au courant ;

- le ministre d'État, ministre de l'intérieur , Gérard Collomb, prévenu seulement vers 15 heures par ses chef et directeur de cabinet ;

- le délégué général du Mouvement La République en Marche , Christophe Castaner, prévenu à 18 heures ; il convoque Vincent Crase pour entendre ses explications.

3 mai

- le chef de cabinet du Président de la République , François-Xavier Lauch, prévenu à son arrivée en Nouvelle-Calédonie.

Juillet

- le directeur général de la police nationale , Éric Morvan, informé à la lecture du journal Le Monde le 18 juillet ;

- la cheffe de l'inspection générale de la police nationale , Marie-France Monéger-Guyomarc'h, saisie à partir du 19 juillet de trois enquêtes et études ;

- le directeur général de la gendarmerie nationale , le Général Richard Lizurey, qui n'a découvert les images de la Contrescarpe, et reconnu Alexandre Benalla et Vincent Crase, que lors de leur publication dans la presse cette même semaine.

La trame des SMS et des appels qui auraient été échangés au sein de l'Exécutif reconstituée grâce aux divers témoignages recueillis fait apparaître une succession d'incohérences et de contradictions .

D'abord, eu égard à la gravité des faits mettant en cause une opération de maintien de l'ordre dans la capitale, il est pour le moins étonnant que ce soit l'Élysée qui donne à chaque fois les premières informations tant au ministre de l'intérieur qu'au préfet de police de Paris.

Ensuite, un chargé de mission au cabinet de l'Élysée prévient d'abord le cabinet du ministère de l'intérieur une heure et demie avant même d'en référer à son propre supérieur, le directeur de cabinet du Président de la République.

En outre, le préfet de police de Paris n'est lui-même prévenu que vers 10 heures, par l'Élysée et non par sa hiérarchie au ministère de l'intérieur - au point que Michel Delpuech s'en étonne d'ailleurs 8 ( * ) - et ce alors même qu'il a assisté plus tôt dans la matinée à une réunion d'état-major avec des membres du cabinet du ministre qui étaient, eux, déjà au courant des faits et ne l'avaient pas informé.

Enfin, le ministre d'État, ministre de l'intérieur n'est pas, sur ce sujet, « l'homme le mieux informé de France », lui qui doit attendre l'après-midi, à 15 heures, pour apprendre ce que ses services savent pourtant depuis tôt le matin.

Ces dysfonctionnements dans la circulation de l'information au sein des différentes hiérarchies témoignent au minimum d'une forme de fébrilité face au risque politique que représentait la diffusion de cette vidéo sur Internet - bien loin du traitement hiérarchique normal, rapide et rigoureux qu'aurait mérité un événement impliquant un agent de ce niveau. Ils donnent aussi le sentiment que l'Élysée, autorité d'emploi, a souhaité se réserver le traitement du problème , impression renforcée par l'ignorance dans laquelle ont été maintenus plusieurs services dont l'intervention aurait pu perturber le règlement discret de l'affaire.

2. Plusieurs services clés du ministère de l'intérieur maintenus dans l'ignorance de l'« affaire Benalla » jusqu'en juillet 2018

Alors que le ministre d'État, ministre de l'intérieur, le préfet de police de Paris, le directeur de cabinet du Président de la République et le délégué général du Mouvement La République en Marche ont été mis au courant dès le 2 mai de l'« affaire Benalla » (l'expression est utilisée dès le 2 mai par le conseiller de l'Élysée ayant prévenu le préfet de police de Paris), l'information n'a étrangement pas trouvé le chemin de certains services du ministère de l'intérieur qui, de leur côté, auraient pu initier les premières enquêtes administratives à l'encontre d'Alexandre Benalla et Vincent Crase et prendre ou recommander les sanctions administratives qui s'imposaient.

Ainsi ni la direction générale de la police nationale (DGPN) - ni l'IGPN (qui dépend d'elle) - ni la direction générale de la gendarmerie nationale (DGGN) n'ont été avisées avant le mois de juillet 2018. Les hauts fonctionnaires placés à la tête de ces administrations n'ont appris, selon leurs dires, les évènements que par la presse, lorsque des journalistes ont dévoilé au public les agissements reprochés à Alexandre Benalla et Vincent Crase le 1 er mai.

Selon Éric Morvan, directeur général de la police nationale : « Au terme des événements du 1 er mai, aucun signalement de ce type n'a été porté à ma connaissance, aucun incident dans la conduite des opérations ne m'a été rapporté. Je n'ai été informé des agissements répréhensibles de M. Benalla que lors de la publication de l'article du journal Le Monde , daté du 18 juillet » . Que ni le ministre - informé des faits le lendemain après-midi - ni le préfet de police n'en aient dit un mot durant près de 80 jours au directeur général de la police nationale est proprement incompréhensible et ne témoigne pas d'une circulation fluide de l'information entre les principaux responsables de la police nationale...

Les conséquences de l'ignorance dans laquelle ont été maintenues ces autorités sont particulièrement graves .

L'IGPN, pourtant saisie dès le 3 mai d'images de l'intervention d'Alexandre Benalla et Vincent Crase place de la Contrescarpe (par un internaute anonyme via sa plateforme de signalement en ligne), n'a retenu a priori aucun manquement et, après analyse, n'a pas estimé devoir enquêter plus loin : elle affirme avoir cru qu'il s'agissait de policiers se livrant à un usage maladroit mais proportionné et légitime de la force, et avoir ainsi ignoré l'information décisive dont disposait pourtant depuis la veille le cabinet du ministère de l'intérieur, à savoir que les auteurs des faits n'appartenaient pas aux forces de l'ordre mais étaient de simples observateurs.

À cet égard, comme l'a résumé à la commission la cheffe de l'IGPN, « si nous l'avions su [que les auteurs des faits étaient des observateurs], nous aurions démarré une enquête judiciaire, après avoir rendu compte au parquet, enquête judiciaire que nous aurions doublée d'une enquête administrative, sachant que l'IGPN n'est compétente que pour les fonctionnaires de police ».

De même, la DGGN n'a pas disposé avant juillet des informations sur les agissements d'Alexandre Benalla et Vincent Crase qui lui auraient été nécessaires pour en tirer les conséquences s'agissant du statut de réserviste accordé aux deux intéressés. Selon les déclarations du Général Éric Bio Farina, commandant militaire du palais de l'Élysée, Vincent Crase a pourtant été suspendu de convocation - et donc de missions comme réserviste - au commandement militaire du palais de l'Élysée à compter du 4 mai, sans que personne ne juge utile d'en informer le gestionnaire des réservistes à la DGGN.

C. UNE RÉACTION DÉFAILLANTE DES AUTORITÉS FONCTIONNELLES ET HIÉRARCHIQUES

Interrogées par votre commission, les autorités concernées au cabinet du Président de la République, au ministère de l'intérieur et, en particulier, à la préfecture de police de Paris, ont chacune jugé que la réponse qu'elles avaient apportée aux faits commis par Alexandre Benalla et Vincent Crase ainsi que les sanctions qui leur avaient été infligées avaient été appropriées. Plusieurs défaillances ont pourtant été mises au jour dans la réaction des autorités fonctionnelles et hiérarchiques des intéressés.

1. L'absence de signalement au parquet : une chaîne d'irresponsabilités

Aux termes du second alinéa de l' article 40 du code de de procédure pénale : « Toute autorité constituée, tout officier public ou fonctionnaire qui, dans l'exercice de ses fonctions, acquiert la connaissance d'un crime ou d'un délit est tenu d'en donner avis sans délai au procureur de la République et de transmettre à ce magistrat tous les renseignements, procès-verbaux et actes qui y sont relatifs . »

L'article 40 du code de procédure pénale :
l'obligation de signalement au parquet

Une exigence juridique ancienne et constante

En raison de leur rôle particulier au sein de l'État et des pouvoirs dont ils peuvent disposer au nom de l'intérêt général, un principe pénal ancien 9 ( * ) charge les agents publics d'alerter l'autorité judiciaire sur les violations graves du droit dont ils sont témoins.

Aujourd'hui encore, le second alinéa de l'article 40 du code de procédure pénale leur fait ainsi obligation juridique de dénoncer (« donner avis sans délai » ) au ministère public la commission des infractions particulièrement graves (« crime » ou « délit ») dont ils acquièrent la connaissance dans l'exercice de leurs fonctions.

Un large éventail de personnes soumises à l'obligation de signalement

Le champ de l'obligation de signalement a été défini de façon large par le législateur ( « toute autorité constituée, tout officier public ou fonctionnaire ») et étendu par la jurisprudence :

- Y sont ainsi soumis non seulement « les fonctionnaires » au sens strict (les personnes nommées à un emploi permanent au sein des cadres d'un service public), mais plus généralement tous les agents de droit public quel que soit leur statut (titulaires ou contractuels de droit public 10 ( * ) ), à l'exception des agents dans une situation de pur droit privé 11 ( * ) (agents des services publics industriels et commerciaux, collaborateurs bénévoles, fournisseurs, entrepreneurs de travaux et concessionnaires de l'administration...) ;

- Par « ? autorité constituée », on entend toute autorité, élue ou nommée, nationale ou locale, détentrice d'une parcelle de l'autorité publique ce qui inclut les ministres, les représentants locaux de l'État - préfets et sous-préfets -, les exécutifs locaux et notamment le maire, les assemblées électives ainsi que les autorités administratives indépendantes.

Un champ centré sur les infractions graves

L'article 40 impose le signalement de certaines infractions (« un crime ou [un] délit ») et dans certaines circonstances (lorsque la connaissance est acquise « dans l'exercice [des] fonctions ») :

- Les infractions ne sont pas limitées à une catégorie particulière de crime (toute infraction punie d'une peine de réclusion criminelle supérieure à 10 ans) ni de délit , (peine d'emprisonnement de 10 ans maximum), mais les contraventions sont a contrario exclues du champ d'application (même les plus graves, dites de 5 e classe).

À cet égard, les violences ayant entraîné une incapacité totale de travail (ITT) pendant plus de 8 jours constituent un délit 12 ( * ) ; celles ayant entraîné une ITT égale ou moindre - ou n'ayant entrainé aucune lésion ou blessure - constituent une simple contravention (respectivement de 5 e ou de 4 e classe). Mais en présence de certaines circonstances aggravantes, même ces dernières constituent des délits (violences par une personne dépositaire de l'autorité publique ou chargée d'une mission de service public dans l'exercice ou à l'occasion de l'exercice de ses fonctions ou de sa mission ; par plusieurs personnes agissant en qualité d'auteur ou de complice, etc .) Constituent en tout état de cause des délits : l'usurpation de fonctions 13 ( * ) , l'usurpation de signes réservés à l'autorité publique 14 ( * ) et le port d'arme prohibé ;

- L'obligation de dénonciation n'est pas limitée aux seuls cas dans lesquels l'agent a acquis la certitude de l'exactitude des faits délictuels ou criminels. Il suffit que ces faits présentent un « degré suffisant de vraisemblance » 15 ( * ) ou encore « paraissent suffisamment établis » et « portent une atteinte suffisamment caractérisée aux dispositions dont [l'agent ou l'autorité] a pour mission d'assurer l'application ».

- Doivent être dénoncés les crimes et délits que l'agent ou l'autorité découvre « dans l'exercice » de ses fonctions, mais plus largement même ceux dont il peut être amené à avoir connaissance « fortuitement » 16 ( * ) , à l'occasion ou dans le cadre de l'exercice de ses fonctions, et même s'ils concernent un membre de sa hiérarchie.

Les modalités du signalement

La dénonciation doit être opérée « sans délai », elle n'est soumise à aucune condition de forme 17 ( * ) particulière et peut être réalisée par simple lettre ou déclaration orale.

Elle peut être faite directement , car l'autorisation du supérieur hiérarchique de l'agent n'est pas nécessaire 18 ( * ) .

Le chef de service est compétent pour indiquer les modalités pratiques qu'il estime les mieux adaptées, compte tenu de la nature du service en cause, à la transmission des informations 19 ( * ) .

La dénonciation peut tout aussi valablement être adressée par l'entremise de l'autorité hiérarchique 20 ( * ) , l'agent ne se libérant toutefois de l'obligation personnelle de signalement en transmettant son avis à son supérieur que si ce dernier y donne la suite appropriée.

Les conséquences du défaut de signalement : disciplinaires et non pénales

La loi ne prévoit pas de sanction pénale en cas de non-dénonciation 21 ( * ) . Des sanctions pénales spécifiques restent possibles en cas de complicité (sur le fondement de l'article 121-7 du code pénal) ou de non-dénonciation de crimes (sur le fondement de l'article 434-1 du même code).

En tout état de cause, un manquement à l'obligation de dénoncer - une abstention fautive - peut justifier une sanction disciplinaire 22 ( * ) .

Revêtus d'insignes de police, selon l'IGPN, et peut-être armé sur la voie publique pour l'un d'eux, Alexandre Benalla et Vincent Crase ont ouvertement, le 1 er mai 2018, fait usage de la force à l'encontre de manifestants, agissements dont la qualification pénale appartient aujourd'hui à la Justice, mais qui présentaient déjà pour les autorités et fonctionnaires informés tous les indices permettant d'envisager la commission d'un délit. Il leur appartenait, en toute hypothèse, de soumettre la qualification de ces faits au parquet.

Pourtant, aucune des autorités ni aucun des fonctionnaires au courant de ces agissements et entendus par votre commission ne les a signalés au procureur de Paris .

En effet, selon leurs témoignages, et au prix d'une lecture de l'article 40 du code de procédure pénale très contestable :

- soit ils ont estimé pouvoir se défausser de la responsabilité du signalement sur d'autres services ,

- soit ils ont interprété l'obligation de signalement au parquet comme une simple faculté uniquement soumise à l'appréciation en opportunité du supérieur hiérarchique, au même titre que l'exercice de son pouvoir disciplinaire .

D'autres, enfin, ont déclaré n'avoir pas été tenus au courant de ces agissements - DGPN - ou ne pas disposer, avant le mois de juillet, de toutes les informations leur permettant d'apprécier la gravité des faits commis - IGPN (voir supra ).

Votre commission a pu constater lors de ses auditions un spectaculaire renvoi circulaire des autorités les unes aux autres , personne ne s'estimant in fine responsable d'effectuer un signalement au parquet :

- le ministre d'État, ministre de l'intérieur , a ainsi renvoyé à la préfecture de police de Paris ou à la présidence de la République (« Le préfet de police et le directeur de cabinet du Président de la République avaient été informés. Il ne m'appartenait pas, à moi qui ne connaissais pas les circonstances exactes, d'effectuer ce signalement ») ;

- le préfet de police de Paris a renvoyé lui à la présidence de la République (« Le palais de l'Élysée m'a immédiatement indiqué qu'il prenait en compte le dossier, comme autorité responsable hiérarchique. Pour moi, c'est à ce niveau que cela devait se dérouler. Quant à l'appréciation sur les suites à donner, c'est l'autorité compétente qui décide ») ;

- à l' Élysée , inversement, le directeur de cabinet du Président de la République a souligné que le responsable de l'absence de signalement était plutôt à chercher du côté du préfet de police de Paris, voire de l'IGPN 23 ( * ) ni le préfet de police - autorité sous laquelle était placé le dispositif auquel s'est joint M. Benalla le 1 er mai -, ni l'IGPN qui a eu connaissance de la vidéo le 3 mai n'ont suggéré d'enquête administrative ou judiciaire ») et le secrétaire général de la présidence de la République a regretté très généralement que personne ne lui ait suggéré d'effectuer un signalement au parquet (« je ne disposais pas d'éléments me permettant de penser qu'une saisine au titre de l'article 40 du code de procédure pénale serait justifiée. Pour être plus explicite, à ma connaissance, aucune autorité ayant eu à connaître de ces faits n'a même suggéré l'opportunité d'une telle saisine au titre de cet article . »)

Vos rapporteurs notent que, par contraste, dès le lendemain de la publication dans le journal Le Monde d'un article relatant ces faits, le procureur de la République de Paris ouvrait le 19 juillet une enquête préliminaire : l'hypothèse de la commission d'un délit par Alexandre Benalla et Vincent Crase était donc bien sérieuse, et l'absence de toute invocation de l'article 40 du code de procédure pénale par l'une des autorités informées de ces agissements depuis le 2 mai était elle-même fautive.

2. Des doutes sur l'effectivité réelle des sanctions infligées

Lors de la conférence de presse donnée à l'Élysée le 19 juillet 2018 pour répondre aux révélations publiées dans la presse sur les agissements d'Alexandre Benalla et Vincent Crase le 1 er mai, le porte-parole du Président de la République, Bruno-Roger Petit, a déclaré que, dès le 3 mai, « [Alexandre Benalla] a été immédiatement convoqué par le directeur de cabinet du Président qui lui a notifié une sanction disciplinaire . Il a été mis à pied pendant 15 jours avec suspension de salaire. Il a été démis de ses fonctions en matière d'organisation de la sécurité des déplacements du Président . Cette sanction vient punir un comportement inacceptable et lui a été notifiée comme un dernier avertissement avant licenciement . Cette sanction est la plus grave jamais prononcée contre un chargé de mission travaillant à l'Élysée. »

Les informations recueillies au cours des auditions conduites par votre commission contredisent plusieurs de ces affirmations et remettent en cause la portée réelle des sanctions prononcées à l'encontre d'Alexandre Benalla.

Concernant, la « mise à pied » ainsi annoncée, une incertitude s'est d'abord élevée sur son caractère réellement punitif : comment la considérer comme une véritable sanction puisqu'elle ne s'est traduite par aucune conséquence financière immédiate pour l'intéressé ? En effet, contrairement aux déclarations du porte-parole de l'Élysée, le directeur de cabinet du Président de la République, Patrick Strzoda, a reconnu sous serment devant votre commission qu'Alexandre Benalla avait perçu l'intégralité de sa rémunération pour les mois de mai et de juin 2018. Alexandre Benalla a d'ailleurs déclaré à la presse avoir utilisé ces quinze jours pour prendre en famille des congés en Bretagne.

De manière analogue, et en dépit des affirmations inverses du porte-parole de l'Élysée le 19 juillet, Vincent Crase a fait l'objet d'une mise à pied mais toujours sans retenue de salaire , comme l'a déclaré sous serment devant votre commission, Christophe Castaner, délégué général du Mouvement La République en Marche.

À cet égard, il est regrettable que, dans la description très précise des points de son emploi du temps consacré à « l'affaire Benalla » le 2 mai qu'il a livrée à votre commission lors de son audition, Patrick Strzoda ait omis de préciser que l'Élysée et le parti politique La République en Marche s'étaient concertés afin d'appliquer des sanctions analogues à Alexandre Benalla et Vincent Crase. Seule l'audition de Christophe Castaner a permis de révéler l'existence d'échanges à cette fin entre le directeur de cabinet du Président de la République et le délégué général du parti politique La République en Marche.

La « mise à pied » de 15 jours d'Alexandre Benalla :
des explications contradictoires et une procédure juridiquement fragile

Le droit de la fonction publique distingue les sanctions disciplinaires (qui répriment une faute de l'agent) et les mesures conservatoires (qui ont un caractère provisoire pour l'agent, dans l'intérêt du service et dans l'attente de l'établissement des faits et des responsabilités).

Le décret n° 86-83 du 17 janvier 1986 relatif aux dispositions générales applicables aux agents contractuels de l'État, auquel le directeur de cabinet du Président de la République a déclaré s'être référé dans cette procédure 24 ( * ) , prévoit ainsi :

- d'un côté, des sanctions disciplinaires, et notamment l' exclusion temporaire des fonctions , avec retenue de rémunération (3° de l'article 43-2) ;

- et, d'un autre côté, une mesure purement conservatoire, la suspension , avec droit au maintien intégral de la rémunération (article 43).

Sanction ou simple mesure conservatoire ?

Selon les déclarations faites devant votre commission par les supérieurs hiérarchiques d'Alexandre Benalla à l'Élysée, la « mise à pied » qui lui a été infligée pendant 15 jours aurait été prise au titre de sanction 25 ( * ) .

Pourtant, dans une note du 19 mai 2018 à l'attention du directeur de cabinet du Président de la République, le chef de cabinet évoque « la mesure conservatoire (...) prise et notifiée le 3 mai 2018 à l'encontre de M. Alexandre Benalla ». De son côté, dans sa réponse aux questions écrites de vos rapporteurs, le directeur de cabinet du Président de la République se réfère lui-même à « la mesure administrative prévue par l'article 43 [du décret] » , c'est-à-dire une mesure de suspension conservatoire. Au surplus, aucune des formalités préalables au prononcé d'une sanction n'a été accomplie (information de l'agent de son droit à obtenir communication de son dossier individuel et de son droit à se faire assister par le défenseur de son choix).

Suspension de la rémunération ou congés payés ?

Toujours selon sa hiérarchie, des « difficultés de gestion administrative » ont rendu impossible l'application d'une retenue immédiate sur la rémunération d'Alexandre Benalla, qui a donc continué à être payé pendant sa « mise à pied ». Ce n'est qu'à son retour que, par une note manuscrite du directeur de cabinet, instruction aurait été donnée de prévoir une retenue sur les droits à congés qu'il avait acquis au titre de 2017 et qui avaient été reportés en 2018.

Pourtant, le décret du 17 janvier 1986, auquel le directeur de cabinet continue à se référer, dispose, d'une part, que les congés non pris ne donnent pas lieu à indemnité 26 ( * ) et, d'autre part, que l e licenciement pour faute n'ouvre pas droit à une indemnité compensatrice pour congé non pris 27 ( * ) .

Alexandre Benalla ayant fait l'objet d'un licenciement disciplinaire en juillet, vos rapporteurs peinent à comprendre comment l'Élysée a pu réaliser une quelconque retenue sur une indemnité à laquelle ce dernier n'avait pas droit.

Les auditions conduites n'ont pas non plus permis de lever les doutes sur l'effectivité de la « rétrogradation » dont Alexandre Benalla est censé avoir fait l'objet, au vu des missions qui concrètement lui restaient confiées.

Lors de leurs auditions, ses supérieurs à l'Élysée ont insisté sur la décision de lui retirer, à titre de sanction, ses compétences en matière de préparation et d'organisation des déplacements officiels du Président de la République, et de concentrer ainsi ses missions sur l'organisation des événements au palais de l'Élysée.

Présentée comme un recentrement ou une diminution des tâches du chargé de mission, la mesure pouvait finalement tout autant s'analyser comme une volonté de ménager son exposition médiatique à l'extérieur dans ce contexte délicat en se contentant d'un transfert de compétences . Alexandre Benalla a d'ailleurs reconnu lors de sa première audition avoir reçu à son retour de nouvelles tâches compensant celles retirées (« en fait, on m'a enlevé des missions pour m'en rajouter d'autres »), ce que sa hiérarchie avait omis de préciser à votre commission.

En outre, ce qui est présenté comme une rétrogradation devait seulement avoir un caractère provisoire , une opportune clause de revoyure étant prévue quatre mois plus tard, en septembre.

Sur le fond, en dépit de la gravité des faits reprochés, Alexandre Benalla a continué à participer régulièrement - par exception à la rétrogradation dont il faisait en principe l'objet - à plusieurs déplacements à l'extérieur du palais de l'Élysée : les déplacements privés du Président de la République, mais aussi certains déplacements publics et certaines cérémonies, sa présence étant expliquée notamment par des considérations de sous-effectifs ou tenant à la préparation de longue date du déplacement). Il conservait ainsi, même après son retour de « suspension » le 22 mai, une proximité visible avec le chef de l'État lors d'événements symboliques et exposés (« panthéonisation » de Simone Veil le 1 er juillet, cérémonie du 14 juillet, retour de l'équipe de France de football le 16 juillet (voir infra). Il conservait enfin officiellement une mission sensible et d'importance, marque d'une particulière confiance : la participation aux groupes de travail internes relatif à la mise en place de la future direction de la sécurité de la présidence de la République - DSPR (sous l'autorité du préfigurateur et du directeur de cabinet) au titre d'une mission qu'il avait conservée de coordination en matière de sécurité 28 ( * ) .

Vos rapporteurs ne comprennent pas comment sa hiérarchie a pu accepter de garder dans l'équipe de l'Élysée un collaborateur qui avait ainsi manqué à ses devoirs, de l'avis de toutes les personnes entendues. Ce qui les frappe, ce n'est pas la sanction infligée en mai, c'est la confiance maintenue jusqu'en juillet.

II. UN FLOU PERSISTANT ET ENTRETENU SUR LE RÔLE D'ALEXANDRE BENALLA À L'ÉLYSÉE

Évènement déclencheur de la création de la mission d'information, la participation d'Alexandre Benalla aux opérations de maintien de l'ordre du 1 er mai 2018 illustre les dysfonctionnements d'une organisation qui n'a pas su enrayer les débordements d'un chargé de mission aux fonctions mal définies et aux prérogatives étendues.

À l'opposé de la description faite devant votre commission d'une dérive ponctuelle et personnelle d'un membre de la chefferie de cabinet de la présidence de la République dont les missions n'auraient été que traditionnelles, s'est en effet dégagé, au fil des travaux de la commission, le constat d'un dispositif dans lequel un chargé de mission adjoint au chef de cabinet a pu exercer de fait une fonction essentielle pour l'organisation et la gestion de la sécurité du Président de la République, au risque d'en perturber le fonctionnement normal.

A. LES OUBLIS ET LES INCOHÉRENCES DES TÉMOIGNAGES DÉCRIVANT LES MISSIONS CONFIÉES À ALEXANDRE BENALLA A L'ÉLYSÉE

Les déclarations des proches collaborateurs du Président de la République ont, tout au long des travaux de la commission, témoigné du flou entretenu sur le périmètre des missions qui étaient réellement confiées à Alexandre Benalla.

Force est en effet de constater que la description de ces missions de même que leur nombre ont très largement fluctué au fil des auditions .

Entendus les premiers sur les fonctions du chargé de mission, le directeur de cabinet du Président de la République, Patrick Strzoda, le secrétaire général de la présidence de la République, Alexis Kohler, et le chef du groupe de sécurité de la présidence de la République, le Général Lionel Lavergne, ont déclaré qu'Alexandre Benalla n'avait la charge, au même titre que les autres membres de la chefferie de cabinet, que de trois missions .

Lors de son audition devant votre commission le 25 juillet 2018, Patrick Strzoda a ainsi déclaré : « les missions d'Alexandre Benalla font l'objet d'une note de service. Il participait, sous l'autorité du chef de cabinet, à la préparation et l'organisation des déplacements publics du chef de l'État ; il organisait les déplacements privés ; il gérait le programme d'accueil des invités du Président de la République pour le défilé du 14 juillet ». Le 26 juillet, le secrétaire général de la présidence de la République, Alexis Kohler, a confirmé les propos tenus, la veille, par le directeur de cabinet du chef de l'État, sans toutefois établir la liste détaillée des missions exercées par Alexandre Benalla.

Le Général Lionel Lavergne, alors Colonel, entendu par votre commission le 30 juillet, a indiqué de la même manière : « jusqu'au 1 er mai 2018, les missions de M. Benalla étaient triples. La plus importante était de participer, sous l'autorité du chef de cabinet, à l'organisation des déplacements officiels du Président de la République. À ce titre, il assurait la coordination des services qui concourent à l'organisation d'un déplacement, conformément aux programmes arrêtés par le chef de cabinet. [...] Le deuxième volet des prérogatives de M. Benalla était l'organisation des déplacements non officiels du Président de la République. Le troisième volet n'était pas en lien direct avec les missions du GSPR. [...] Il s'agissait de gérer les invitations pour le 14 juillet ».

Ultérieurement, lors de son audition devant votre commission, le 12 septembre 2018, François-Xavier Lauch, chef de cabinet du Président de la République et responsable hiérarchique d'Alexandre Benalla, a fait état d'une mission supplémentaire, qui avait jusqu'alors été tue : celle de coordonner les services de sécurité de la présidence de la République .

L'existence de cette quatrième mission a été confirmée par l'intéressé, lors de son audition devant votre commission, le 19 septembre 2018, ainsi que par la note de service , décrivant l'organisation de la chefferie de cabinet du Président de la République, datée du 5 juillet 2017.

Cette dernière, dont vos rapporteurs se sont vu refuser la communication jusqu'au début du mois d'octobre, au nom du principe de séparation des pouvoirs, leur a finalement été transmise, après relance, le 10 octobre 2018, soit peu de temps après l'audition du chef de cabinet du Président de la République. Outre l'organisation générale de la chefferie de cabinet, elle indique qu'Alexandre Benalla assurait officiellement cinq missions à la présidence de la République, énumérées dans l'ordre suivant :

- la coordination des services en charge de la sécurité du Président de la République ;

- la coordination et l'assistance au directeur de cabinet de Mme Brigitte Macron pour la préparation et le suivi des déplacements privés 29 ( * ) ;

- les déplacements en France ;

- les déplacements à l'étranger ;

- la préparation des évènements au palais de l'Élysée.

L'organisation de la « chefferie » de cabinet de la présidence de la République

Entre mai 2017 et juillet 2018, la chefferie de cabinet de la présidence de la République était composée de quatre personnes :

- François-Xavier Lauch, chef de cabinet et chargé de la direction du service ;

- un chef de cabinet adjoint, chargé de seconder le chef de cabinet et d'assurer, le cas échéant, son intérim ;

- deux chargés de mission placés auprès du chef de cabinet, dont Alexandre Benalla, chargés d'assister le chef de cabinet et son adjoint sur certaines missions (organisation des déplacements, préparation des évènements à l'Élysée ...) et disposant de missions plus spécifiques.

Cette note de service est d'autant plus éclairante qu'elle précise les fonctions dont Alexandre Benalla était chargé à titre principal, en tant que chef de file ou en responsabilité, et celles sur lesquelles il intervenait en soutien ou en appui. Vos rapporteurs notent qu'à aucun moment il n'a été fait état devant la commission de cette distinction, pourtant nécessaire à la compréhension du rôle qu'exerçait Alexandre Benalla au sein des services de la présidence de la République. Ils constatent par ailleurs que le contenu de ce document contredit les déclarations faites par Patrick Strzoda et Alexis Kohler.

Ainsi, s'il participait, en collaboration avec les trois autres membres de la chefferie de cabinet et sous l'autorité du chef de cabinet, à l'organisation des déplacements publics du Président de la République en France et à l'étranger et des évènements se déroulant au palais de l'Élysée, Alexandre Benalla disposait également de missions propres. Il était chargé de la « coordination des services en charge de la sécurité du Président de la République » et de la « coordination et [de l'] assistance au directeur de cabinet de Mme Macron pour la préparation et le suivi des déplacements privés », missions qu'il exerçait seul, contrairement à ses autres fonctions, et qui témoignent de la confiance qui lui était accordée.

Alors même que votre commission a obtenu du Sénat les prérogatives d'une commission d'enquête, vos rapporteurs s'étonnent et déplorent vivement les imprécisions, les divergences et les oublis dans les témoignages de proches collaborateurs du chef de l'État qui, associés à un premier refus de transmission de la note précitée, les conduisent à penser que certains d'entre eux ont retenu une part significative de la vérité sur le périmètre des missions dont Alexandre Benalla avait réellement la charge .

B. UN RÔLE QUI NE SE CANTONNAIT MANIFESTEMENT PAS À DES MISSIONS LOGISTIQUES

En dépit de ces imprécisions, divergences et oublis, tous les principaux collaborateurs du Président de la République entendus par votre commission ont déclaré, de manière concordante , que le rôle d'Alexandre Benalla s'apparentait, comme celui de tout membre de la « chefferie » de cabinet, à celui d'un « chef d'orchestre » , d'un « facilitateur » dans l'organisation des déplacements du Président de la République et des évènements accueillis à l'Élysée.

Tous, sans exception, ont réfuté son implication dans le dispositif de sécurité ou de protection rapprochée du chef de l'État . Recruté pour ses compétences organisationnelles et logistiques, dont il aurait témoigné au cours de la campagne d'Emmanuel Macron pour l'élection présidentielle, Alexandre Benalla n'aurait exercé qu'une fonction de coordination technique des services de la présidence de la République, notamment dans le cadre des déplacements du chef de l'État, sans être placé en situation d'autorité sur ces services.

Le 26 juillet 2018, lors de son audition devant votre commission, Alexis Kohler a ainsi indiqué : « M. Alexandre Benalla n'exerçait pas une mission de sécurité mais une mission de coordination et d'organisation des déplacements du Président de la République ». Le 30 juillet, le Général Lionel Lavergne a quant à lui déclaré : « M. Benalla n'était pas officier de sécurité, il ne dirigeait pas le GSPR, il était chargé de mission adjoint auprès du chef de cabinet, et avait à ce titre un rôle de facilitateur entre les différents services - j'ai employé tout à l'heure le mot de chef d'orchestre - au même titre que les autres membres de la chefferie de cabinet ».

En pratique, pourtant, nombreux sont les éléments qui contredisent la thèse selon laquelle Alexandre Benalla aurait été cantonné à des fonctions logistiques.

1. Une mission spécifique de coordination des services de sécurité de l'Élysée aux contours obscurs

Portée tardivement à la connaissance de votre commission, la mission de « coordination des services de sécurité de la présidence de la République » conduit à l'évidence, en premier lieu, à s'interroger sur l'influence qu'Alexandre Benalla exerçait, directement ou indirectement, sur le dispositif de sécurité du chef de l'État.

Le doute paraît d'autant plus légitime que, comme le révèle la note de service susmentionnée, Alexandre Benalla exerçait cette mission seul, contrairement à la plupart des autres missions qui lui étaient confiées, qui plus est sous l'autorité non pas de son supérieur hiérarchique, le chef de cabinet, mais du directeur de cabinet, ce qui ajoute à la singularité de la mission.

Les déclarations divergentes des personnes entendues n'ont pas permis de faire la lumière sur ce que recouvrait précisément cette mission et ont entretenu une certaine confusion sur les fonctions qui étaient, dans la pratique, celles de l'ancien chargé de mission.

Alors que son responsable hiérarchique, François-Xavier Lauch, a déclaré que cette mission consistait à assurer, sur le plan administratif et logistique, une meilleure coordination et une plus grande synergie entre le groupe de sécurité de la présidence de la République (GSPR) et le commandement militaire du palais 30 ( * ) , le Général Éric Bio Farina a fourni une explication différente, présentant le rôle d'Alexandre Benalla comme celui d'une interface, à l'occasion des déplacements présidentiels, entre l'intérieur et l'extérieur de l'Élysée : « Son rôle se limitait à transmettre des renseignements sur l'ambiance et le contexte des destinations de déplacement du Président de la République, à charge, pour le GSPR et le commandement militaire, d'intégrer ces éléments dans leurs plans de sécurité ».

Lors de son audition devant votre commission le 19 septembre 2018, Alexandre Benalla a quant à lui décrit de manière vague les fonctions qu'il exerçait au titre de cette mission de coordination des services de sécurité, évoquant aussi bien la conduite de réunions et de réflexions que la tâche d'apporter un appui politique aux services de sécurité, par exemple pour des demandes d'équipements ou de matériels adressées au ministère de l'intérieur.

Outre la confusion qui ressort de ces déclarations, la thèse d'une mission purement administrative et logistique apparaît d'autant moins vraisemblable qu'aucune des personnes entendues par votre commission n'a fait état de difficultés de coordination entre les deux services de sécurité de l'Élysée. Ainsi, ni Michel Besnard, ni Sophie Hatt, entendus au titre des fonctions qu'ils avaient exercées à la tête du GSPR, n'ont indiqué avoir constaté de difficultés relationnelles entre les deux branches de la sécurité de la présidence de la République ni ressenti le besoin de renforcer leur coordination.

Qui plus est, il apparaît à l'évidence que la coordination entre les deux services de sécurité, si elle peut constituer un enjeu marginal de mutualisation de certains moyens matériels, ne constitue pas un enjeu de sécurité, chacun d'eux se distinguant nettement de l'autre par la nature même de ses missions (l'un étant chargé de la protection du Palais de l'Élysée, l'autre de la sécurité des déplacements du chef de l'État hors du Palais).

Sans qu'il ait été possible à vos rapporteurs d'identifier avec plus de précision ce que recouvrait cette mission de coordination, il leur est apparu, au regard des témoignages recueillis et des documents qui leur ont été transmis, qu' Alexandre Benalla s'était attribué un rôle actif dans l'organisation et la gestion de la sécurité de la présidence de la République sans que sa hiérarchie y ait fait obstacle.

Il a ainsi été rapporté à votre commission qu'une partie des tâches qui paraissent avoir été assurées par Alexandre Benalla relevaient jusqu'alors des officiers de sécurité du GSPR. Selon Michel Besnard, lorsqu'il en assurait le commandement, « le GSPR était [...] chargé de l'organisation générale des déplacements du Président, ce qui implique la responsabilité des véhicules du cortège, de l'hébergement et de la gestion des bagages de la délégation du Président, en particulier à l'étranger, et de la discipline de la presse à proximité du Président ».

Alexandre Benalla avait, au contraire, une vision plus restrictive du rôle du GSPR, le limitant à une mission de sécurité pure. Dans son interview au journal Le Monde , publiée le 26 juillet dernier, il indiquait ainsi, s'agissant des déplacements privés du chef de l'État : « le GSPR, ils ne sont pas du tout dans l'organisation. Eux ne prennent en compte que la sécurité. Par exemple, si le président va au théâtre, moi je vais tenir compte de la tranquillité du couple présidentiel, de l'image du président, etc . » .

Il semble par ailleurs, à la lumière de plusieurs témoignages recueillis, qu'Alexandre Benalla se soit à plusieurs reprises immiscé dans le fonctionnement des services de sécurité.

Lors de son audition devant votre commission, Alexandre Benalla a ainsi reconnu avoir participé directement à certaines décisions relevant de la gestion et de l'organisation du dispositif de sécurité . Il a ainsi non seulement été directement à l'origine de la mise en oeuvre d'une cellule de réservistes au sein du commandement militaire du palais de l'Élysée, mais également du recrutement de Vincent Crase pour en assurer l'encadrement . Il a en effet déclaré : « au fil de mes discussions avec le général Bio Farina, il m'est apparu incroyable, à moi qui ai servi au sein de la réserve, que le commandement militaire, composé essentiellement de gendarmes, ne soit pas plus ouvert sur l'extérieur. [...] Ouvrir le commandement militaire à des réservistes de la gendarmerie permettait de libérer un certain volume de temps de travail, et l'Élysée était le dernier palais national « fermé » aux réservistes. J'en ai discuté à plusieurs reprises avec le général Bio Farina. Il a considéré que c'était une bonne idée d'ouvrir ces fonctions à des profils différents. [...] J'ai conseillé le recrutement de Vincent Crase, que je connais bien, puisqu'il m'a recruté comme réserviste dans l'Eure, lorsque j'avais dix-sept ans et demi » .

Les représentants syndicaux de la police nationale entendus par votre commission ont, par ailleurs, affirmé avoir été informés des relations « exécrables » que le chargé de mission aurait entretenues, dès son arrivée, avec les agents du GSPR et du commandement militaire, en interne, ainsi qu'avec les agents de police et de gendarmerie, lors des déplacements du chef de l'État, en raison de son immixtion permanente dans l'organisation de la sécurité. Les représentants de la fédération policière CFDT ont ainsi indiqué, lors de leur audition devant votre commission : « sur les relations de la police nationale avec M. Benalla, nous avons eu des remontées du terrain, et pas seulement d'agents de police. Les interférences et les interventions se produisaient y compris en présence des hauts responsables de la police nationale, ce qui est d'autant plus gênant ».

Votre commission n'a pas été en mesure de vérifier ces déclarations. L'ensemble des hauts responsables de sécurité entendus, à l'Élysée comme en dehors, ont en effet certifié ne pas avoir été informés de l'existence de désaccords liés au comportement d'Alexandre Benalla.

Celui-ci aurait pourtant, à plusieurs reprises, été à l'origine de décisions imposées par voie d'autorité aux responsables de la sécurité. Dans son interview au journal Le Monde , au mois de juillet, l'ancien chargé de mission reconnaissait lui-même l'existence de « frictions » avec les membres du GSPR, indiquant : « Moi, j'ai toujours fait les choses, non pas pour ma personne, mais dans l'intérêt du président. Mais il y a des gens qui sont formatés d'une autre façon. On fait le sale boulot. Et on s'expose forcément. Et quand on s'expose face à ce type de personnes, elles vous disent « oui » avec un sourire, mais elles n'oublient pas... Je ne fais pas partie du club. Je le ressens mais je dois en faire abstraction, car la seule chose qui compte c'est que le président soit bien ».

Selon les propos rapportés par le Journal du dimanche , Alexandre Benalla aurait également reconnu avoir eu une altercation avec un haut gradé de la gendarmerie nationale à l'aéroport de Roissy, lors du retour de l'équipe de France de football à Paris le 16 juillet 2018. Celui-ci aurait en effet déclaré : « J'ai du respect pour les autres, je ne suis pas celui qu'on décrit. Au contraire, j'ai souvent vu des officiers ou des hauts fonctionnaires ne pas supporter qu'un jeune rebeu leur fasse des recommandations. C'est ce qui s'est passé à Roissy, quand on attendait l'avion des Bleus. J'ai fait remarquer au colonel de gendarmerie que ses hommes étaient trop près de la piste - ils voulaient prendre des photos ! -, c'était le bordel. Il m'a dit qu'il n'avait pas à m'obéir. C'est lui qui m'a pris de haut. Le résultat, c'est que c'est à cause de ça que les joueurs ont pris du retard... ». Traduction de l'étonnement d'Alexandre Benalla face à un haut gradé de la gendarmerie nationale qui refuse de déférer à ses ordres, ces propos reflètent le rôle que celui-ci pouvait s'arroger dans l'organisation et la gestion des dispositifs de sécurité .

Enfin, lors de son audition devant votre commission le 17 septembre 2018, Alexandre Benalla n'a pas nié les difficultés qu'avaient pu soulever, notamment vis-à-vis du GSPR, la mise en place d'un système radio dédié à l'organisation des déplacements du Président de la République et le choix de membres de la « chefferie » de cabinet de la présidence de la République de se positionner à proximité immédiate du chef de l'État lors de ses déplacements.

À l'aune des témoignages recueillis, il est probable que, fort de la confiance et de la liberté d'action qui lui étaient accordées, y compris par le chef de l'État, et dans l'ambivalence des missions officielles qui lui étaient confiées, Alexandre Benalla ait exercé un rôle central dans l'organisation de la sécurité des déplacements présidentiels, prenant un ascendant sur les responsables opérationnels de la sécurité et s'imposant comme un interlocuteur privilégié des autorités de sécurité publique. Les propos de Vincent Crase, rapportés par l'hebdomadaire Charlie Hebdo du 30 janvier 2019, confirment d'ailleurs que, loin de n'avoir exercé qu'une fonction de coordination logistique, l'ancien chargé de mission de la présidence de la République occupait, dans les faits, une position centrale dans le dispositif de sécurité : « Nous avons été victimes d'un règlement de comptes de policiers et de gendarmes qui étaient d'une jalousie inouïe à l'encontre d'Alexandre. Ils ne supportaient pas qu'un gamin de 26 ans puisse diriger le service de sécurité de l'Elysée, comme s'il en était le patron. Certains d'entre eux en ont profité pour faire fuiter les faits dans la presse. À travers nous, c'est Emmanuel Macron qu'ils voulaient atteindre ! ».

Qu'elles résultent d'une volonté expresse de ses supérieurs ou d'une vision extensive par l'intéressé des missions qui lui étaient confiées, il ne fait en tout état de cause nul doute que les immixtions d'un individu peu expérimenté et soucieux d'affirmer son autorité dans une hiérarchie de professionnels aguerris, sélectionnés et formés, aient pu constituer une source de dysfonctionnements, et même un facteur de fragilisation du dispositif de sécurité du Président de la République.

2. Un rôle dans la réforme du dispositif de sécurité de la présidence de la République minimisé par l'Élysée

À la suite de la publication par la Cour des comptes d'un rapport appelant à une rationalisation des moyens alloués à la sécurité de la présidence de la République, cette dernière a lancé, au début de l'année 2018, une réflexion en vue de réformer son dispositif de sécurité. Était notamment à l'étude la réunion du GSPR et du commandement militaire au sein d'une unique direction de la sécurité de la présidence de la République (DSPR).

Si nul n'a fait secret, au cours des auditions de votre commission, de la participation d'Alexandre Benalla aux travaux engagés, des divergences sont en revanche apparues sur le degré d'implication de l'ancien chargé de mission dans cette réforme.

Selon la version livrée par les collaborateurs du Président de la République, Alexandre Benalla n'y aurait joué qu'un rôle mineur. Ni initiateur, ni pilote de la réforme, il n'aurait ainsi participé qu'à certains groupes de travail. Le projet aurait été conduit par le Général Éric Bio Farina, en collaboration avec le Général Lionel Lavergne, sous l'autorité du directeur de cabinet du Président de la République et du secrétaire général de la présidence de la République.

Lors de son audition devant votre commission le 12 septembre 2018, le Général Éric Bio Farina a ainsi indiqué : « un comité de pilotage de conception, composé d'un nombre restreint de personnes, a été installé pour valider les lignes directrices du concept. Puis des groupes de travail interservices ont été mis en place sur différentes thématiques, notamment les questions de mutualisation et de convergence des moyens, au sein de l'Élysée. [...] M. Benalla participait, pour sa part, à certains des groupes de travail susmentionnés en tant que représentant de la chefferie de cabinet de la présidence de la République ».

Le 30 juillet 2018, le Général Lionel Lavergne, a, de la même manière, déclaré au Sénat : « M. Benalla ne pilotait pas plus cette réforme qu'il ne dirigeait la sécurité de l'Élysée, comme on a pu le dire il y a une dizaine de jours. Compte tenu de sa position à la chefferie de cabinet, il a participé en tant que de besoin aux groupes de travail que nous avons constitués pour faire adhérer le personnel à la réforme, dans une logique de conduite du changement » .

Confirmant ces propos, le directeur de cabinet du chef de l'État, Patrick Strzoda, qui avait refusé de s'exprimer sur la réforme des services de sécurité de la présidence de la République à l'occasion de sa première audition, a indiqué devant votre commission, le 16 janvier 2019 : « Concernant la question qu'avait posée le rapporteur tout à l'heure sur la mission qu'aurait eue M. Benalla en matière de réorganisation du dispositif de sécurité de l'Élysée, beaucoup de choses qui ont été dites relèvent du fantasme. M. Benalla n'était pas en charge de cette réorganisation. Cette mission échoit au directeur du cabinet du Président de la République : c'est mon affaire, mon dossier. [...] M. Benalla n'avait aucun rôle dans l'organisation de ces services ; c'était mon affaire. Il est vrai que, pour mettre en oeuvre ce rapprochement, nous avons créé des groupes de travail composés de policiers, de gendarmes et de collaborateurs de l'Élysée, donc, notamment, de cadres de la chefferie, ce qui n'avait rien d'anormal ».

Pourtant, à l'occasion de ses diverses déclarations, Alexandre Benalla a lui-même contribué à affaiblir, voire démentir, cette thèse officielle en faisant état de son rôle actif dans le lancement et l'animation de ce projet de réforme .

Dans son interview au Journal du Dimanche du 29 juillet 2018 comme lors de son audition au Sénat, le 19 septembre, il a en effet déclaré qu'un comité de pilotage avait été mis en place, qui réunissait, outre lui-même, le Général Éric Bio Farina et le Général Lionel Lavergne, afin de dessiner les grandes lignes de cette réforme : « Nous avons débuté par un groupe de travail à trois, qui réunissait le général Bio Farina, concerné au premier chef comme préfigurateur de ce que nous avions appelé la « DSPR », la direction de la sécurité de la présidence de la République, et le général Lavergne, pour le GSPR » 31 ( * ) . Plusieurs groupes de travail thématiques auraient par la suite été mis en place, auxquels il aurait activement participé, à raison, selon ses propres déclarations, de ses connaissances et de son appétence pour les sujets de sécurité et de son expérience auprès d'Emmanuel Macron.

Plus qu'une simple contribution aux travaux préfigurateurs de la réforme annoncée, c'est un rôle moteur qu'Alexandre Benalla paraît revendiquer , faisant même état de sa propre appréciation sur l'organisation du dispositif de sécurité et sur la nécessité de la réforme. Le Journal du Dimanche , dans l'article précité, rapportait ainsi les propos tenus par l'ancien chargé de mission : « il exerçait une mission de coordination des différents services concourant à la protection d'Emmanuel Macron. Il dit sans hésiter avoir perçu des incohérences dans le système qu'il fallait corriger . Lui défend l'idée d'une sécurité présidentielle autonome, affranchie de la tutelle du ministère de l'Intérieur, sur le modèle américain ». Lors de son audition devant votre commission le 19 septembre 2018, Alexandre Benalla a également déclaré : « Il s'agissait donc de réfléchir à des synergies, pour réduire les coûts, et les doublons. [...] Il faut un seul service, une seule tête, un seul état-major, un seul budget et des moyens mis en commun pour rationaliser tout ça ».

Quand bien même Alexandre Benalla ne s'était pas vu confier un rôle particulier dans cette réforme, il semble s'être comporté comme si tel était le cas , s'arrogeant, sur cette question également, un rôle moteur.

3. Une position ambiguë à proximité du Président de la République, facteur de fragilisation du dispositif de sécurité

Sur de nombreuses images prises à l'occasion de déplacements, officiels ou privés, du Président de la République, Alexandre Benalla apparaît à sa proximité immédiate, dans une position similaire à celle des membres du GSPR assurant la protection rapprochée du chef de l'État, qui plus est avec une oreillette de même type que celles portées par les officiers de sécurité.

Selon les collaborateurs du Président de la République et les responsables de sa sécurité entendus par votre commission, cette position ne révèlerait pas l'exercice d'une fonction de sécurité ou de protection rapprochée . François-Xavier Lauch a soutenu lors de son audition qu'Alexandre Benalla, au même titre que les autres membres de la « chefferie » de cabinet, se devait, lors d'un déplacement du chef de l'État, de se trouver à proximité de lui, pour le guider et pour se faire le relais, à chaque instant, de ses consignes et de ses souhaits. Il aurait agi ainsi en tant que « chef d'orchestre », sans pour autant interférer avec le dispositif du GSPR, qui, comme l'a rappelé le Général Lionel Lavergne, était seul responsable de la sécurité du Président de la République.

Alexandre Benalla a également, lors de son audition devant votre commission le 19 septembre 2018, réfuté avoir assuré une fonction de garde du corps ou de protection rapprochée, indiquant : « Si l'on avait fait, pour une raison ou une autre, le même focus sur François-Xavier Lauch, on se serait rendu compte que sa position auprès du Président de la République était exactement la même que la mienne. Quand on est adjoint ou chef de cabinet lors d'un déplacement du Président de la République, il faut être à sa proximité immédiate, pour lui passer des messages. Parce qu'aussi le Président de la République va au contact des Français qu'il rencontre, le rôle du chef de cabinet est d'être le maître des horloges. [...] J'ai vu hier soir des images du salon de l'agriculture : si j'ai été “l'épaule droite”, alors M. François-Xavier Lauch aura été “l'épaule gauche” ».

S'agissant de l'oreillette portée par Alexandre Benalla, visible sur plusieurs images, il a été indiqué à votre commission qu'à l'initiative du chef de cabinet, François-Xavier Lauch, les membres de la « chefferie » de cabinet ainsi que du service de presse de la présidence de la République avaient été dotés, dans le cadre des déplacements du chef de l'État, d'équipements radio destinés à faciliter la communication. Selon l'ancien chargé de mission et le Général Lionel Lavergne, aucun de ces équipements ne permettait toutefois d'écouter le réseau du GSPR, totalement séparé du canal créé pour les besoins de l'organisation des déplacements.

Plusieurs témoignages tempèrent pourtant ces déclarations.

Si les anciens responsables du GSPR entendus par votre commission, Michel Besnard et Sophie Hatt, n'ont pas pris position sur l'attitude et le comportement adoptés par Alexandre Benalla, plusieurs experts 32 ( * ) , dont un ancien agent du service de la protection, ont en revanche affirmé dans les médias qu'Alexandre Benalla adoptait, dans le cadre des déplacements du chef de l'État, une position caractéristique d'une action de protection rapprochée et paraissait complètement intégré au premier cercle de sécurité entourant le Président de la République.

Consulté par le président de votre commission et vos rapporteurs, Jean-Pierre Diot, vice-président de la fédération française de sécurité rapprochée et ancien agent du service de protection des hautes personnalités du ministère de l'intérieur, leur a écrit : « je confirme mes propos tenus sur BFMTV quant à la position de M. Benalla autour du Président de la République ; son positionnement sur les points fixes ainsi que sur les déplacements pédestres ne laisse aucun doute sur son rôle d'agent de protection physique des personnes (A3P). D'après les images produites et consultées, il apparaît que sa position “d'épaule”, élément chargé d'évacuer le Président dans des situations extrêmes, ne laisse aucun doute sur sa mission » .

Interrogé sur le déplacement privé effectué à Marseille par le Président de la République en septembre 2017, le préfet de police des Bouches-du-Rhône, Olivier de Mazières, a quant à lui déclaré devant votre commission avoir constaté la présence d'Alexandre Benalla « en protection face à la foule » , à l'occasion d'une visite sur le vieux port.

La déclaration d'Alexandre Benalla, dans son interview à l'hebdomadaire Valeurs actuelles du 18 octobre 2018, au sujet de la photo du chef de l'État prise à Saint-Martin en septembre 2018, ne manque pas d'ailleurs d'interroger sur la mission qui lui était confiée : « avec moi, la photo n'aurait jamais pu être prise. Les mecs n'auraient pas pu toucher le Président et le selfie, je l'aurais évité. Il s'est fait avoir comme un lapin de six semaines ».

Il peut en outre être relevé que les images récentes des déplacements du Président de la République, postérieures au licenciement d'Alexandre Benalla, semblent contredire les déclarations de l'ancien chargé de mission, qui affirmait adopter une position identique à tous les autres membres de la « chefferie » de cabinet. À titre d'exemple, sur les photographies prises lors du déplacement du chef de l'État à Charleville-Mézières, le 7 novembre 2018, François-Xavier Lauch se situe certes à proximité du Président de la République, mais en arrière, et non à son épaule, comme Alexandre Benalla.

L'adoption par l'ancien chargé de mission d'une posture de protection n'aurait d'ailleurs rien d'étonnant, celui-ci ayant été recruté initialement en tant que directeur de la sûreté et de la sécurité au sein du mouvement En Marche ! puis, à l'Élysée, au titre de son parcours en matière de sécurité et de son expérience professionnelle comme agent de protection rapprochée. Lui-même indiquait, à cet égard, devant votre commission : « Moi, j'ai été recruté pour l'organisation, la logistique et la sécurité - on ne va pas le nier, parce que c'est ce que j'ai fait pendant neuf ans ».

Alexandre Benalla : un parcours orienté vers les métiers de la sécurité

Le parcours universitaire et professionnel d'Alexandre Benalla, précédemment à son recrutement à l'Élysée en mai 2017, a été exclusivement orienté vers les métiers de la sécurité.

Titulaire d'un master 1 en droit, spécialité sécurité publique, Alexandre Benalla a également été auditeur de la session jeune de l'Institut national des hautes études de la sécurité et de la justice (INHESJ) et de l'Institut des hautes études de la défense nationale (IHEDN).

Engagé dans la réserve opérationnelle de la gendarmerie nationale à compter de 2009, à l'âge de 18 ans, il a, dans ce cadre, suivi un cycle de préparation militaire ainsi que plusieurs stages au maniement des armes et autres équipements militaires.

Détenteur, à compter de 2011, d'un agrément pour la profession d'agent de sécurité pour la protection physique des personnes, délivré par le Conseil national des activités de sécurité privée (CNAPS), il a, selon ses déclarations devant votre commission, occupé, à compter de cette même année, plusieurs postes liés à l'organisation des dispositifs de sécurité ou à la protection rapprochée de hautes personnalités :

- auprès du service d'ordre du parti socialiste, tout d'abord en tant que garde du corps de la première secrétaire, puis, lors de la campagne pour l'élection présidentielle de 2012, en tant qu'adjoint au responsable du service d'ordre national ;

- auprès d'Arnaud Montebourg, alors ministre de l'économie, du redressement productif et du numérique, au sein de son cabinet où il exerçait notamment les fonctions de chauffeur ;

- auprès d'une société de conseil et de sûreté, dénommée Velours International, en tant que conseiller du président ;

- au sein de l'Office européen des brevets, où il était chargé de la sûreté et de la sécurité et où il assurait la protection rapprochée du président ;

- au sein du mouvement En Marche !, en tant que bénévole puis salarié, en qualité de directeur de la sûreté et de la sécurité.

Qu'il se soit agi ou non d'une posture de protection, la position de proximité adoptée par Alexandre Benalla auprès du chef de l'État constituait, en tout état de cause, une source de fragilité pour le dispositif de sécurité présidentielle .

Michel Besnard, ancien chef du GSPR, a ainsi confirmé à votre commission que la présence constante d'un collaborateur du Président de la République à son épaule droite ou gauche pouvait constituer une gêne pour le dispositif de sécurité . Il a indiqué que, bien qu'il ne soit pas dans la tradition du GSPR d'isoler le chef de l'État du monde extérieur et de ses collaborateurs, une telle présence impliquait nécessairement de repenser les dispositifs et les procédures.

Le caractère inhabituel et potentiellement perturbateur de cette position de proximité n'a d'ailleurs pas été nié par Alexandre Benalla, qui, lors de son audition devant votre commission le 19 septembre 2018, a déclaré : « Peut-être sommes-nous plus jeunes, plus dynamiques, plus au contact que les équipes qui nous ont précédés, mais le GSPR s'y est adapté. Cela a pu les gêner un moment, je ne vous le cache pas, il a pu y avoir des explications entre le chef de cabinet et le chef du GSPR sur notre proximité physique avec le Président, mais quand ils ont compris notre rôle de facilitateurs dans cette position au plus proche du Président, ils se sont adaptés, parce qu'ils savent faire ».

Vos rapporteurs notent que de telles déclarations infirment la position qui nie toute interaction d'Alexandre Benalla avec les dispositifs opérationnels de sécurité. Au-delà de la nature de ses fonctions , sa présence et les choix d'organisation qu'il a imposés paraissent en effet, à eux seuls, avoir constitué une interférence avec les services de sécurité, au risque de dégrader la sécurité du chef de l'État , soit parce qu'il ne présentait pas les qualifications nécessaires pour assumer la fonction de protection rapprochée du Président de la République, soit parce que sa présence de proximité pouvait gêner ceux qui en avaient la responsabilité.

C. UN PORT D'ARME DIFFICILEMENT JUSTIFIABLE AUTREMENT QUE PAR DES MISSIONS OPÉRATIONNELLES DE SÉCURITÉ

Alexandre Benalla disposait, dans le cadre de ses fonctions à l'Élysée, d'un permis de port d'arme délivré par la préfecture de police de Paris. Il s'agit là d'un élément crucial qui affaiblit considérablement la thèse selon laquelle Alexandre Benalla était un chargé de mission n'assurant que des fonctions organisationnelles et logistiques.

Les conditions inédites et dérogatoires au droit commun dans lesquelles a été délivré le permis de port d'arme, de même que les contradictions des collaborateurs du Président de la République quand il s'est agi de justifier la demande devant votre commission, ne manquent pas, en effet, d'interroger sur le rôle qu'exerçait l'ancien chargé de mission dans le dispositif opérationnel de sécurité du Président de la République. Elles reflètent également la confiance et la liberté qui étaient accordées à Alexandre Benalla, en dépit de certains de ses comportements qui auraient dû à l'évidence alerter la présidence de la République sur la place qu'il tentait de s'y arroger.

1. Les conditions juridiquement douteuses de délivrance d'un permis de port d'arme à Alexandre Benalla : la marque de l'intervention de l'Élysée

Le permis de port d'arme attribué à Alexandre Benalla, par un arrêté du préfet de police de Paris en date du 13 octobre 2017, revêt un caractère pour le moins exceptionnel, tant en raison du contexte de la demande que du circuit hors norme et des acrobaties juridiques qui ont présidé à sa délivrance.

Les conditions dans lesquelles a été formulée la demande sont, en premier lieu, révélatrices du caractère inédit et dérogatoire au droit commun de la procédure engagée .

D'après les déclarations des proches collaborateurs du Président de la République et du préfet de police, la demande de permis de port d'arme aurait fait l'objet d'une requête officielle et régulière de l'Élysée . Celle-ci aurait été formulée le 10 octobre 2017, par le directeur de cabinet du Président de la République et adressée, par courriel, au cabinet du préfet de police, sans autre mention qu'une invitation à examiner le dossier « dans le respect de la réglementation en vigueur » . L'ensemble des pièces constitutives réglementairement requises - licence de tir, carnet de tirs justifiant des trois tirs de contrôle annuels, certificat médical - aurait, en parallèle, été envoyé directement par l'intéressé à la direction de la police générale de la préfecture de police, compétente pour l'examen de la demande.

Votre commission regrette de ne pas avoir pu disposer dès le début de ses investigations, en dépit de ses demandes réitérées, de l'ensemble des éléments lui permettant de vérifier la véracité de ces propos. Bien qu'elle ait obtenu communication de la copie du courriel adressé à la préfecture de police par le directeur de cabinet du chef de l'État, elle s'est en effet vu refuser la transmission du dossier d'examen de la demande de permis de port d'arme, en raison de sa saisine par l'autorité judiciaire, ce qui lui est apparu être un argument plus que contestable.

Il doit être tout particulièrement noté que, sollicité par vos rapporteurs et le président de votre commission, le vice-président chargé de l'instruction dans cette affaire leur a autorisé, le 30 novembre 2018, l'accès aux documents demandés, estimant qu'« après avoir pris connaissance de l'intégralité des documents saisis, il [me] semble qu'une restitution de l'original de ces pièces au service de la préfecture peut s'envisager », de manière à permettre à la commission de « solliciter une nouvelle transmission directement à ce service, sans que cela pose de difficultés au regard du secret de l'instruction ».

Sur la base tant des déclarations recueillies que des documents dont elle a, en définitive, obtenu la transmission, votre commission a pu constater que la demande de permis de port d'arme, loin d'avoir emprunté le circuit habituel, résultait en réalité d'une initiative d'Alexandre Benalla entérinée a posteriori par sa hiérarchie .

Il ressort en effet du témoignage de Yann Drouet, ancien chef de cabinet du préfet de police, ainsi que des pièces contenues dans le dossier d'instruction de la demande de permis de port d'arme, que la saisine officielle de Patrick Strzoda n'est intervenue que dans un second temps, après qu'Alexandre Benalla s'est adressé directement, le 5 octobre 2017, aux services de la préfecture de police en vue de solliciter la délivrance d'un permis de port d'arme au titre des fonctions qu'il exerçait à l'Élysée. La validation du directeur de cabinet du Président de la République n'est ainsi intervenue que le 10 octobre, en réponse à l'invitation de la préfecture de police, interpellée par la singularité de la démarche et par son origine, en vue de régulariser la demande individuelle de son chargé de mission.

Ce déroulement des faits, que les proches collaborateurs du chef de l'État ont omis d'indiquer à votre commission, est, de l'avis de vos rapporteurs, révélateur des prérogatives que tentait de s'arroger l'ancien chef de mission et du comportement déplacé qu'il pouvait avoir à l'égard de membres de l'administration, comme il l'avait d'ailleurs fait par le passé, y compris dans le cadre de précédentes fonctions.

À plusieurs reprises, Alexandre Benalla a en effet tenté d'obtenir un permis de port d'arme, faisant parfois fi des règles qui lui étaient applicables. Selon les informations communiquées à vos rapporteurs par le secrétariat général du ministère de l'économie et des finances, il se serait ainsi, en 2012, lorsqu'il occupait les fonctions de chauffeur personnel d'Arnaud Montebourg, alors ministre de l'économie, du redressement productif et du numérique, prévalu d'un soutien de celui-ci pour une demande de permis de port d'arme auprès des services du ministère de l'intérieur, sans que le ministre en ait été préalablement informé. Cette démarche a d'ailleurs été l'un des motifs de son licenciement, sa hiérarchie ayant considéré qu'elle démontrait « son incapacité à occuper les fonctions de chauffeur du Ministre, qui nécessitent à la fois discrétion, responsabilité et transparence » 33 ( * ) .

Par la suite, l'ancien chargé de mission de la présidence de la République a essuyé deux refus de délivrance d'un permis de port d'arme par les services du ministère de l'intérieur -- le premier en janvier 2017, au cours de la campagne pour l'élection présidentielle, le second en juin 2017, alors qu'il était déjà en poste à l'Élysée --, au motif qu'il ne remplissait pas les critères justifiant de l'attribution d'un permis de port d'arme pour « risques exceptionnels d'atteinte à sa vie ». C'est à l'issue de ces deux refus qu'il se serait tourné vers les services de la préfecture de police pour tenter d'obtenir un permis de port d'arme sur un autre fondement juridique.

Par ailleurs, si, selon l'Élysée, rien ne visait dans la demande adressée à la préfecture de police à contourner le cadre juridique applicable aux ports d'armes, le contexte et les conditions dans lesquels elle a été formulée dénotent toutefois une volonté d'obtenir la délivrance d'un permis de port d'arme au prix d'une interprétation extensive des règles en vigueur.

Communiquée à votre commission, une note d'Alexandre Benalla en date du 9 octobre 2017, adressée à Patrick Strzoda et intitulée « Demande d'autorisation de port d'armes » paraît en effet confirmer la recherche, par l'Élysée, d'une base juridique permettant de donner satisfaction à la demande de son chargé de mission . Dans ce document, Alexandre Benalla formule, à l'intention de sa hiérarchie, plusieurs options juridiques qui lui permettraient d'obtenir un permis de port d'arme, en dépit du refus dont il a fait l'objet, en juin 2017, par les services du ministère de l'intérieur. Outre la référence aux deux régimes d'attribution d'un port d'arme individuel (voir encadré), est évoquée la possibilité, pour le moins originale, de prendre un arrêté confidentiel du Président de la République qui « constituerait une autorisation de port d'arme à titre exceptionnel » . Cette note a été transmise à la préfecture de police de Paris à l'appui de la demande de permis de port d'arme.

Le cadre juridique du permis de port d'arme

En l'état du droit, le permis d'acquérir et de porter une arme de poing de catégorie B peut être attribué sur deux fondements juridiques distincts .

Il peut, en premier lieu, être délivré par le ministre de l'intérieur « à toute personne exposée à des risques exceptionnels d'atteinte à sa vie, sur sa demande » ( article R. 315-5 du code de la sécurité intérieure ).

Un second régime, prévu par l'article L. 315-1 du même code , confie à l'autorité préfectorale la possibilité d'autoriser le port et le transport d'une arme à tout fonctionnaire ou agent d'une administration publique exposé dans le cadre de ses fonctions à des risques d'agression. En application de l'article R. 312-24, sont visés par cette disposition les fonctionnaires et agents des administrations publiques chargés d'une mission de police ou exposés, par leurs fonctions, à des risques d'agression . Sont également concernés les officiers d'active, les officiers généraux du cadre de réserve, les officiers de réserve et les sous-officiers d'active. La liste des services ou catégories de services pouvant désigner ou accueillir des fonctionnaires ou agents autorisés à porter une arme est fixée par un arrêté du ministre de l'intérieur et des ministres intéressés. La présidence de la République n'y figure pas.

Au demeurant, selon les déclarations d'Alexandre Benalla devant votre commission, l'envoi officiel de la demande de permis de port d'arme à la préfecture de police aurait été précédé d'un appel téléphonique de Patrick Strzoda au préfet de police de Paris, Michel Delpuech, « pour exposer la situation, et savoir si l'autorisation était possible et entrait dans les clous ».

Loin de la version délivrée par les proches collaborateurs du chef de l'État, ces éléments reflètent, de manière particulièrement explicite, le souci de l'Élysée d'identifier une base juridique acceptable pour une demande de permis de port d'arme singulière au bénéfice d'un chargé de mission de l'Élysée censé n'avoir que des missions d'organisation. Ils traduisent également la cécité et l'imprudence d'une administration qui aurait dû constater les comportements pour le moins déplacés d'un adjoint au chef de cabinet de la présidence de la République et en tirer toutes les conséquences. Enfin, ils témoignent de l'influence, bien que non expresse, exercée sur les services de la préfecture de police de Paris par une demande formulée au plus haut niveau de l'État, dont ils n'ont évidemment pas pu faire abstraction dans le cadre de l'examen du dossier.

Tout autant que le contexte de sa formulation, ce sont également les modalités d'instruction de la demande par la préfecture de police de Paris qui reflètent le caractère dérogatoire au droit commun de l'autorisation de port d'arme attribuée à Alexandre Benalla et conduisent à s'interroger sur sa régularité.

Officiellement, l'examen de la demande adressée par l'Élysée aurait suivi le circuit habituel. Au même titre que toute autre demande, l'ensemble des pièces du dossier d'Alexandre Benalla auraient été vérifiées afin de s'assurer que sa situation était conforme au cadre réglementaire. Yann Drouet indiquait ainsi, lors de son audition devant votre commission : « nous avons lancé l'instruction du dossier en veillant à réunir l'ensemble des pièces nécessaires : le carnet de tir, la formation continue, le certificat médical, l'enquête de moralité, etc . Après un examen approfondi, il est apparu que le dossier était complet et que les missions de M. Benalla entraient dans le cadre fixé par le législateur ». De la même manière, le préfet de police de Paris a affirmé avoir « donné l'autorisation [...] après l'instruction habituelle et en recueillant le casier B2 et tous les éléments nécessaires ».

Plusieurs éléments fragilisent pourtant ces déclarations et révèlent que la demande, parce qu'elle venait du plus haut niveau de l'État, a, dans les faits, été examinée selon un circuit et des critères hors normes.

Lors de son audition devant votre commission, le préfet de police de Paris, Michel Delpuech, a ainsi reconnu avoir personnellement autorisé l'attribution d'un permis de port d'arme, eu égard aux fonctions exercées par Alexandre Benalla à la présidence de la République, en dépit d'une forte incertitude juridique , liée à l'absence de mention de l'Élysée dans la liste des catégories de services autorisés, par arrêté, à accueillir des agents armés. Lors de son audition devant la commission des lois de l'Assemblée nationale, le 23 juillet 2018, il déclarait ainsi : « Tout cela a été fait dans le respect des textes et de la procédure après, entre autres, vérification du casier judiciaire, et ce à un détail près, je dois l'admettre : les articles réglementaires qui déclinent le cadre législatif général, c'est-à-dire les conditions d'octroi de ports d'arme dans l'exercice de fonctions liées à la sécurité, renvoient à un arrêté ministériel le soin de déterminer les services ou catégories de services auxquels doit appartenir l'agent. Ce n'était évidemment pas le cas en l'espèce mais, dès lors cependant que l'Élysée avait relayé auprès de moi cette demande sans faire pression et en me laissant le soin d'apprécier seul le bien-fondé de cette autorisation, j'en assume personnellement la responsabilité ».

N'étant juridiquement pas conforme au cadre réglementaire et revêtant un caractère exceptionnel, la demande adressée par l'Élysée n'a pas suivi la procédure habituelle, mais fait l'objet d'une instruction « à l'envers » . Bien que l'ancien chef de cabinet du préfet de police, Yann Drouet, ait défendu, contre toute vraisemblance, la régularité de la procédure d'examen préalable à la délivrance du permis, il apparaît en effet que les services de la préfecture n'ont en réalité fait qu'assurer l'habillage juridique d'une décision validée politiquement à un niveau hiérarchique supérieur .

Plusieurs pièces figurant dans le dossier d'instruction de la demande de permis de port d'arme témoignent en effet d'un processus de décision inversé, ayant consisté, comme l'admettait Alexandre Benalla lui-même devant votre commission, le 19 septembre 2018, à essayer « de faire entrer [son] cas, qui n'est pas un cas conforme, dans les clous » .

Par un courriel en date du 9 octobre 2017, soit la veille de la demande officielle adressée par Patrick Strzoda et avant que les services de la préfecture aient pu instruire le dossier, Yann Drouet informait la direction de la police générale de la préfecture de police de l'« avis favorable » du préfet de police à la demande de permis de port d'arme d'Alexandre Benalla, mentionnant la volonté exprimée par le préfet de la « signer personnellement ».

Les échanges de courriels entre les services de la préfecture de police qui se sont ensuivis révèlent que ceux-ci ont, à la suite de cette instruction, alerté le cabinet du préfet de police sur la fragilité juridique de la délivrance d'un permis de port d'arme à Alexandre Benalla et lui ont recommandé, en conséquence, de solliciter « une attestation de l'Élysée pour border un peu l'exercice » et de « s'entourer de quelques précautions », en exigeant, a minima , la production des pièces prévues par le cadre réglementaire (licence de tir sportif, carnet de tirs, certificats médicaux). L'ensemble de ces pièces a, conformément à cette recommandation, été demandé à l'Élysée et transmis aux services de la préfecture de police dans la journée du 10 octobre. Il apparaît toutefois que ces pièces ont été requises de manière à conférer un habillage juridique au dossier plutôt que pour permettre une instruction de la demande selon la procédure en vigueur.

Qui plus est, il ressort de ces mêmes échanges internes à la préfecture de police des interrogations quant aux missions réellement exercées par Alexandre Benalla . L'un des courriels envoyés à Yann Drouet le 10 octobre par la direction de la police générale, en charge de l'instruction de la demande, indique ainsi : « si j'ai bien compris, il [Alexandre Benalla] ne fera pas des missions de gardiennage mais accompagnera (coordonnera ? selon ses dires) le GSPR ». Alors même que le chef de cabinet de la préfecture de police a déclaré devant votre commission que la situation d'Alexandre Benalla était conforme au cadre réglementaire, ces interrogations révèlent que le permis de port d'arme aurait, dans la pratique, été délivré sans aucune certitude quant à la nature des missions exercées par l'ancien chargé de mission à la présidence de la République.

Ces approximations et tâtonnements dans l'instruction de la demande se reflètent, d'ailleurs, dans la fragilité des motivations de l'arrêté pris par le préfet de police et dans les grandes difficultés de Yann Drouet à s'en expliquer devant votre commission.

L'arrêté concerné autorise, certes, le port d'arme d'Alexandre Benalla sur les deux fondements prévus par le cadre réglementaire 34 ( * ) , à savoir :

- d'une part, la « mission de police » dont était chargé l'intéressé, « dans le cadre de son action de coordination de la sécurité de la présidence de la République avec les forces militaires et le GSPR » ;

- d'autre part, le « haut niveau de menace terroriste », la « sensibilité du domaine d'exercice de sa mission » et les risques d'agression auxquels il est exposé « dans l'exercice de cette mission de police ».

Aucun de ces deux motifs n'apparaît toutefois suffisamment étayé. S'agissant du premier motif, force est ainsi de constater que Yann Drouet, interrogé par votre commission, n'a pas été en mesure de préciser les raisons ayant conduit la préfecture de police à considérer qu'Alexandre Benalla était chargé, à l'Élysée, d'une « mission de police ». Notons que cette référence à une mission de police est contradictoire avec les déclarations faites par Alexis Kohler, Patrick Strzoda et François-Xavier Lauch devant votre commission sur les missions qu'exerçait Alexandre Benalla.

Sur le second motif, aucun élément concret n'a, de la même manière, pu être apporté à votre commission pour étayer les risques d'agression auxquels était exposé Alexandre Benalla et qui justifiaient, plus que pour tout autre agent placé auprès d'une haute personnalité, l'attribution d'un permis de port d'arme.

Vos rapporteurs notent que la procédure ayant conduit à la délivrance du permis de port d'arme apparaît d'autant plus dérogatoire et fragile sur le plan juridique que, comme le révèle le dossier d'instruction, le cabinet du préfet de police était informé , contrairement aux déclarations de Yann Drouet devant votre commission :

- d'une part, de l'un au moins des précédents refus du ministère de l'intérieur ;

- d'autre part, de l'avis réservé formulé par les services de police dans le cadre d'une enquête de moralité conduite à l'occasion d'une demande de permis de port d'arme formulée par Alexandre Benalla pour sa mission de protection des locaux de La République en Marche ! 35 ( * )

Enfin, la rapidité d'examen de la demande, validée seulement 72 heures après l'envoi de la requête officielle, confirme le circuit hors norme mis en place pour satisfaire une requête formulée au plus haut niveau de l'État.

2. Les justifications contradictoires et peu convaincantes d'un permis de port d'arme inédit à la « chefferie » de cabinet de l'Élysée

L'attribution d'un permis de port d'arme à un proche du Président de la République revêt, dans l'histoire de notre République, un caractère inédit .

Interrogé par vos rapporteurs et le président de votre commission, le ministère de l'intérieur a indiqué n'avoir identifié aucune autre personne ayant travaillé ou travaillant à l'Élysée et qui aurait disposé d'un permis de port d'arme dans le cadre de ses missions, exception faite des agents du GSPR et du commandement militaire du palais, ainsi que de deux anciens fonctionnaires de police du service des hautes personnalités ayant été maintenus en poste au sein du GSPR, sous la présidence de Jacques Chirac, au-delà de la limite d'âge 36 ( * ) .

Les propos tenus, à cet égard, par Alexandre Benalla qui a assuré, devant votre commission, ne pas être le premier collaborateur élyséen à bénéficier d'un permis de port d'arme, citant, à titre d'exemple, le cas de Michel Charasse, ont été démentis. Dans un courrier adressé au président de votre commission, notre ancien collègue et ancien collaborateur de François Mitterrand à la présidence de la République reconnaît ainsi avoir disposé, à compter de mai 1995, d'un permis de port d'arme en raison des menaces auxquelles il était, ainsi que son épouse, personnellement exposé, mais indique n'avoir jamais disposé d'un permis de port d'arme lorsqu'il était collaborateur du chef de l'État, sa protection étant alors assurée par le GSPR.

Dans ce contexte, l'attribution d'un permis de port d'arme à Alexandre Benalla ne manque pas de soulever des interrogations sur la spécificité des missions qu'il exerçait auprès du Président de la République et qui auraient nécessité qu'il fût doté d'une arme.

Or, à cet égard, des explications contradictoires ont été apportées à votre commission par les personnes qu'elle a entendues.

Auteur de la demande officielle adressée à la préfecture de police, Patrick Strzoda a affirmé avoir jugé « utile qu'en plus du GSPR, une personne puisse porter une arme » , refusant, par souci de confidentialité, d'en détailler les raisons.

C'est d'ailleurs cette justification qui a été apportée à la préfecture de police de Paris à l'appui de la demande de permis de port d'arme. Bien que, comme évoqué précédemment, les services de la préfecture de police paraissent n'avoir obtenu que peu d'informations sur la nature des missions exercées par Alexandre Benalla, il est en effet établi que le permis de port d'arme a explicitement été délivré pour l'exercice de ses missions. Lors de son audition, Michel Delpuech indiquait ainsi avoir autorisé l'intéressé à porter une arme au regard des missions qu'il exerçait « au côté » du Président de la République. Les motivations de l'arrêté d'autorisation de port d'arme se réfèrent, de la même manière, aux fonctions exercées à Élysée par Alexandre Benalla ainsi qu'aux risques d'agression auxquels il était exposé dans le cadre de ses fonctions.

Les déclarations d'Alexandre Benalla s'inscrivent en opposition complète avec ces premières justifications. Lors de son audition, ce dernier a en effet affirmé avoir fait une demande non au titre de ses fonctions à l'Élysée, mais à titre personnel, pour des motifs de défense et de sécurité personnelle , indiquant : « Quand vous exercez des fonctions à la présidence de la République ou pendant la campagne présidentielle, vous êtes vous-même exposé, vous passez dans les médias, vous êtes identifié quand vous habitez au même endroit depuis huit ans, il peut vous arriver quelque chose... J'ai donc fait une demande pour ma sécurité personnelle » .

Outre le fait qu'elles reflètent l'imbroglio ayant entouré la demande d'un permis de port d'arme, aucune de ces explications n'apparaît convaincante pour justifier qu'Alexandre Benalla ait été doté d'une arme.

En effet, l'explication fournie par l'intéressé ne résiste pas à l'analyse.

Elle remet tout d'abord en cause la régularité de l'arrêté d'autorisation de port d'arme pris par le préfet de police de Paris. En effet, si la demande de permis de port d'arme se justifiait par une exposition personnelle, dénuée de tout lien avec ses missions, à un risque exceptionnel d'agression, le port d'arme n'aurait pas dû être attribué sur le fondement de l'article L. 315-1 du code de la sécurité intérieure, mais plutôt sur celui prévu par l'article R. 315-5 du même code autorisant un port d'arme « à toute personne exposée à des risques exceptionnels d'atteinte à sa vie, sur sa demande » . Comme l'a indiqué le préfet de police de Paris, Michel Delpuech, lors de son audition devant la commission des lois de l'Assemblée nationale, « le port d'arme est lié à l'exercice des fonctions de M. Benalla. Je l'ai indiqué tout à l'heure : en charge de la coordination de la sécurité avec les forces militaires et le GSPR, il est autorisé à porter une arme dans l'exercice de ses missions. Je dis bien que cette autorisation vaut strictement dans l'exercice de ses missions » .

Il est, au demeurant, douteux qu'Alexandre Benalla se soit vu attribuer un permis de port d'arme sur ce fondement . À deux reprises en effet, les services du ministère de l'intérieur lui ont refusé l'attribution d'un permis de port d'arme pour exposition à des risques exceptionnels d'atteinte à la vie, considérant que sa situation et son degré d'exposition ne le justifiaient pas.

Enfin, l'argument de la défense personnelle n'apparaît pas légitime au regard des règles habituellement observées à l'Élysée . D'après les témoignages des anciens responsables du GSPR, il revient en effet, en toute situation, aux officiers du GSPR d'assurer la sécurité de tout proche du Président de la République exposé à une menace. Comme l'indiquait Michel Besnard, lors de son audition, « la détention d'arme ne peut être le fait que des forces de sécurité intérieure. [...]. La solution la plus adaptée au problème de menace pesant sur un membre du cabinet du Président de la République est la mise en place d'une sécurité rapprochée, et non de lui donner une arme ».

La version défendue par l'Élysée n'apparaît pas plus satisfaisante, notamment en raison de sa profonde incohérence . Il apparaît en effet pour le moins surprenant qu'un chargé de mission adjoint au chef de cabinet n'exerçant, officiellement, que des missions logistiques puisse se révéler une aide utile aux membres du GSPR, à moins qu'il ne se soit vu confier, dans les faits et de manière officieuse, un rôle plus actif en matière de protection rapprochée. La référence explicite, dans l'arrêté du préfet de police autorisant le port d'arme, à la mission de sécurité dont aurait été chargé Alexandre Benalla contribue d'ailleurs à étayer cette dernière hypothèse.

De l'avis de vos rapporteurs, de telles contradictions ôtent toute crédibilité à la thèse selon laquelle le rôle d'Alexandre Benalla se serait cantonné à des missions organisationnelles et logistiques et qu'il n'aurait été, ni dans un cadre officiel, ni dans un cadre privé, chargé d'une fonction de sécurité ou de protection rapprochée.

3. Un port d'arme « clandestin » : une mise en danger du Président de la République ?

Une grande confusion est également apparue, au fil des auditions, sur les conditions dans lesquelles Alexandre Benalla portait l'arme pour laquelle il s'était vu attribuer un permis par la préfecture de police de Paris.

Dans le cadre de propos rapportés par la presse comme lors de son audition devant votre commission le 19 septembre 2018, Alexandre Benalla a indiqué, conformément d'ailleurs aux raisons qui, selon lui, avaient justifié sa demande de permis, avoir principalement porté son arme dans le cadre de ses déplacements personnels, entre son lieu de travail et son domicile.

Interrogé par votre commission, il a toutefois reconnu avoir, « à trois reprises peut-être en un an » , porté une arme lors des déplacements publics du chef de l'État , principalement lorsqu'il partait, quelques jours avant l'arrivée du Président de la République, en mission préparatoire sur le lieu du déplacement. Selon ses propos, il a pu également arriver qu'il ait une arme sur lui à l'occasion de déplacements privés du Président de la République.

Pourtant, les collaborateurs du Président de la République et les responsables de la sécurité présidentielle entendus par votre commission ont , pour la plupart d'entre eux, assuré qu'Alexandre Benalla ne portait pas son arme dans le cadre de ses fonctions , à l'extérieur comme à l'intérieur du palais.

Ainsi, selon les déclarations convergentes de Patrick Strzoda et du Général Lionel Lavergne, Alexandre Benalla n'aurait jamais été armé à l'occasion des déplacements du Président de la République, seul le GSPR étant compétent pour assurer la sécurité du chef de l'État en dehors du palais de l'Élysée, à l'occasion des déplacements officiels comme des déplacements privés.

À l'intérieur du palais de l'Élysée, l'ancien chargé de mission n'aurait également été que très rarement vu portant une arme. Le Général Éric Bio Farina, commandant militaire du palais, a ainsi indiqué n'avoir vu Alexandre Benalla porter une arme qu'à une ou deux reprises, alors qu'il revenait de séances d'entraînement au tir organisés par le GSPR.

Alors même que, selon la thèse officielle de l'Élysée, Alexandre Benalla se serait vu attribuer un permis de port d'arme au titre des missions qui lui étaient confiées, il est étonnant que sa hiérarchie réfute qu'il ait porté une arme dans le cadre de ses fonctions, au sein comme en dehors du palais. Ces incohérences ébranlent, ici encore, la thèse officielle de l'Élysée sur le statut et les fonctions d'Alexandre Benalla à la présidence de la République .

Au demeurant, il est surprenant qu'aucun des membres de la sécurité présidentielle, qu'il s'agisse du chef du GSPR ou du commandant militaire du palais, ne se soit aperçu qu'Alexandre Benalla portait parfois une arme dans le cadre de ses fonctions. Comme l'a en effet indiqué Sophie Hatt, ancien chef du GSPR, lors de son audition par votre commission « le port d'une arme n'est en rien discret, surtout aux yeux de professionnels. En observant la démarche d'une personne, même furtivement, on peut savoir si elle est armée ou pas ».

En tout état de cause, le fait qu'Alexandre Benalla ait pu, à l'occasion de déplacements, porter une arme à proximité du chef de l'État sans que les officiers du GSPR en aient été préalablement informés était constitutif, sans aucun doute, d'un risque d'interférence avec le dispositif de protection rapprochée, susceptible de dégrader la sécurité même du Président de la République . Comme l'a indiqué le chef du service de la protection du ministère de l'intérieur, Frédéric Auréal, « le ministère dont je dépends a émis un avis négatif sur la demande de port d'arme de M. Benalla. J'étais extrêmement défavorable au fait qu'une personne privée n'appartenant pas à la police puisse être armée en présence d'un dispositif de protection constitué de professionnels aguerris » .

III. PASSEPORTS, GRADE, ÉQUIPEMENT : DES PRÉROGATIVES ATYPIQUES ET UN MANQUE DE DILIGENCES DANS LE SUIVI ET LE RETRAIT DES MOYENS ALLOUÉS

A. UNE NOMINATION ATYPIQUE COMME LIEUTENANT-COLONEL PAR « SAUT DE GRADES » ENTRE DEUX COMPOSANTES DE LA RÉSERVE OPÉRATIONNELLE DE LA GENDARMERIE NATIONALE

Nombre de représentants des forces de l'ordre ont été choqués d'apprendre qu' Alexandre Benalla pouvait se prévaloir, à 27 ans, d'un grade de lieutenant-colonel de réserve de la gendarmerie nationale . Votre commission s'est attachée à rechercher les conditions exactes et les motifs de cette nomination.

Après l'audition sous serment du Général Richard Lizurey, directeur général de la gendarmerie nationale (DGGN), le président de votre commission et vos rapporteurs ont obtenu communication de l'intégralité des dossiers administratifs de réserviste d'Alexandre Benalla et Vincent Crase puis adressé plusieurs questions écrites complémentaires à la DGGN.

Les positions statutaires d'Alexandre Benalla au sein de la gendarmerie nationale :
un « saut de grades » entre composantes de la réserve militaire

La réserve militaire a pour objet de renforcer les capacités des forces armées, dont elle constitue une composante essentielle. Elle comprend une réserve citoyenne (qui vise à entretenir l'esprit de défense et à maintenir le lien entre la nation et ses forces armées) et une réserve opérationnelle « de niveau 1 » (qui permet à la gendarmerie de renforcer l'action quotidienne de ses unités).

La réserve opérationnelle de niveau 1 se subdivise elle-même entre les réservistes de « sécurité publique » (environ 30 000) et les réservistes « spécialistes » (au nombre de 87 en octobre 2018). Conformément à l'article L. 4221-3 du code de la défense, ces spécialistes sont recrutés pour exercer des fonctions déterminées correspondant à une expérience ou qualification professionnelle civile, sans formation militaire spécifique.

Le grade du réserviste spécialiste est temporaire (il dure le temps de la mission correspondante) et n'emporte aucune prérogative de puissance publique, ni de commandement, ni - pour la gendarmerie nationale - le port d'insignes ou de tenue.

Alexandre Benalla a intégré la réserve opérationnelle « de sécurité publique » à l'issue d'une préparation militaire gendarmerie (PMG), le 25 juin 2009 , dans le département de l'Eure, où il a effectué pendant six ans comme gendarme-adjoint, au gré de ses convocations, un travail de sécurité publique générale. Entre 2009 et 2015, il a ainsi servi au total pendant 194 jours. Ayant donné satisfaction, il a été promu brigadier le 1 er décembre 2015.

Il a été radié à sa demande en novembre 2017, ayant intégré sous un autre statut, cette fois comme « spécialiste », la seconde branche de la réserve opérationnelle de la gendarmerie nationale. Il a obtenu cette intégration le 20 octobre 2017 au grade de lieutenant-colonel, à l'initiative du directeur général de la gendarmerie nationale 37 ( * ) , alors que les services instructeurs avaient, eux, envisagé un grade, inférieur, de commandant.

Son changement de grade en 2017 ne constitue ainsi pas, juridiquement, un « avancement » depuis sa position de brigadier, mais il consacre un nouveau statut dans une autre branche de la réserve opérationnelle.

L'utilité d'une telle nomination a été défendue par la gendarmerie nationale et par l'intéressé avec des justifications variables et qui demeurent peu convaincantes.

Selon les premiers éléments fournis par le Général Richard Lizurey, Alexandre Benalla aurait en effet été avant tout recruté pour ses qualités (« au titre de son expertise dans la sécurité des installations et des personnes ») et son profil atypique, dans l'optique de participer à un groupe de travail et de réflexion sur l'amélioration de la sécurité des emprises militaires de la gendarmerie.

Le Général Richard Lizurey a néanmoins également admis devant votre commission qu'un tel recrutement se justifiait en réalité moins pour des raisons de fond que pour des raisons d'affichage : l'octroi d'un grade militaire élevé était simplement le moyen de faire accepter un jeune chargé de mission de l'Élysée de 27 ans à la table des haut gradés qu'il allait être amené à fréquenter. Ainsi, selon lui : « [...] dans le monde militaire quand on discute avec des gens, souvent le premier réflexe c'est de regarder le code-barres. On regarde le code-barres, on regarde ce qu'il y a sur les épaulettes. [...] Il me paraissait donc important, pour que cette réflexion soit intelligente, que je le positionne à un niveau où les gens l'écouteraient ».

Vos rapporteurs apprécient la franchise des explications du directeur général de la gendarmerie nationale qui assume, sans se défausser, une décision personnelle tant dans le choix de la nomination d'Alexandre Benalla que dans celui du grade attribué. Ils prennent aussi note des déclarations d'Alexandre Benalla, qui demeure persuadé que ses diplômes (Master 1), son parcours (dans les métiers de la sécurité) et son poste (à l'Élysée) le qualifiaient pleinement pour ce grade d'officier supérieur.

Néanmoins, vos rapporteurs ne sont pas convaincus de la pertinence de cette nomination comme spécialiste à un grade aussi élevé au regard de la jeunesse d'Alexandre Benalla (benjamin, à 27 ans, des officiers supérieurs), de la nature et du niveau de ses titres universitaires et, surtout, de sa courte expérience professionnelle.

Cette nomination souffre ainsi particulièrement de la comparaison avec les profils habituellement intégrés comme officiers supérieurs à la réserve opérationnelle en tant que spécialistes. Selon les informations transmises par la DGGN, le vivier de la réserve opérationnelle des « spécialistes » de la gendarmerie nationale est particulièrement resserré : on ne compte actuellement que 87 personnes sous contrat à ce titre (17 au grade de commandant ou chef d'escadron et seulement 10 au grade de lieutenant-colonel). Les profils recherchés sont titulaires de compétences techniques rares ou pointues ou de diplômes universitaires ou d'études supérieures - juristes, psychologues, experts en sécurité, en intelligence économique, en hautes technologies, ingénieurs en informatique, en travaux cartographiques...

En outre, concernant la procédure de nomination, votre commission note que, sollicité par le Général Richard Lizurey pour mener une étude statutaire préalable en vue de l'intégration d'Alexandre Benalla comme spécialiste, le commandement des réserves de la gendarmerie nationale relevait que ce dernier n'aurait normalement pas atteint le grade de capitaine avant 2025 au plus tôt, dans la réserve « de sécurité publique » ; ce même service n'envisageait pour sa part l'éventualité d'une nomination comme spécialiste qu'au grade, inférieur, de commandant . C'est le Général Richard Lizurey en personne, comme il l'a indiqué devant votre commission, qui a souhaité « aller encore au-delà » de ce grade, considérant en effet que seul le grade de lieutenant-colonel « permettait [à Alexandre Benalla] d'être vu comme un pair par les membres de ce groupe de travail de haut niveau. »

Il est enfin à noter qu'Alexandre Benalla a admis lui-même n'avoir finalement quasiment jamais participé aux travaux du groupe de réflexion pour lesquels il était si important de le doter du grade de lieutenant-colonel...

Hiérarchie simplifiée des

grades de la gendarmerie nationale

Année d'intégration
ou de promotion au grade
d'Alexandre Benalla

Officiers supérieurs

Colonel

Lieutenant-colonel

2017

Chef d'escadron / commandant

?

Officiers subalternes

Capitaine

Lieutenant

Sous-lieutenant

Aspirant

Sous-officiers supérieurs

Major

Adjudant-chef

Adjudant

Sous-officiers subalternes

Maréchal des logis-chef

Gendarme

Militaires du rang

Maréchal des logis

Brigadier-chef

Brigadier

2015

Gendarme adjoint

2009

Pour qu'une telle anomalie ne se reproduise plus, vos rapporteurs estiment nécessaire que la gendarmerie nationale renforce la transparence de ses recrutements et la rigueur des règles de sélection dans la composante « spécialiste » de sa réserve (référentiel de compétences techniques ou théoriques recherchées, niveau élevé de formations ou d'expériences professionnelles nécessaires pour postuler, vérification et appréciation préalable par un jury pour préparer et appuyer la décision du directeur général).

B. DES MOYENS INÉGALEMENT JUSTIFIÉS PAR LES FONCTIONS D'ALEXANDRE BENALLA À L'ÉLYSÉE

De nombreux articles de presse s'étant intéressés, à partir du mois de juillet 2018, à l'activité d'Alexandre Benalla à l'Élysée, beaucoup ont été surpris de découvrir l'ampleur des moyens matériels et des prérogatives dont disposait le chargé de mission de la présidence de la République (salaire, appartement et véhicule de fonctions, port d'insignes, habilitation secret-défense, téléphone sécurisé Teorem, passeports diplomatiques et de service, accès privilégié à l'Assemblée nationale...) .

Votre commission s'est attachée à examiner l'inventaire des moyens mis à la disposition d'Alexandre Benalla pour tenter de faire sereinement le partage entre les rumeurs infondées, les outils légitimes dans le cadre des missions à la « chefferie » de cabinet et les privilèges qui auraient pu être injustifiés.

Elle n'a malheureusement pas été pleinement et immédiatement aidée par l'Exécutif, l'Élysée ayant refusé dans un premier temps de communiquer à vos rapporteurs certaines informations essentielles pour répondre à des questions pourtant parfaitement légitimes.

L'absence d'explications de l'Élysée pendant de longs jours a d'ailleurs vraisemblablement facilité la circulation de « fausses nouvelles » , que les travaux des commissions parlementaires ont utilement permis de corriger ou d'infirmer.

Concernant, par exemple, un éventuel port d'insignes réservés au GSPR , le Général Lionel Lavergne a précisé que ceux portés au revers de leur veste par Alexandre Benalla et par les membres de la chefferie de cabinet étaient bien distincts de ceux réservés aux gendarmes ou policiers chargés de la protection du Président de la République. C'est également ce qu'a indiqué Alexandre Benalla lors de son audition devant votre commission le 21 janvier 2019.

Concernant, de même, la rumeur de facilités accordées à Alexandre Benalla en vue d'une future désignation à un poste de sous-préfet , le ministre d'État, ministre de l'intérieur, a affirmé aux députés n'avoir jamais reçu une telle candidature et le secrétaire général de la présidence de la République a confirmé à votre commission que cette dernière n'avait jamais été envisagée.

En revanche, il a été établi par votre commission qu'Alexandre Benalla disposait bien, pour l'accomplissement de ses missions, de prérogatives et de moyens importants , que ses supérieurs à l'Élysée se sont attachés à justifier de façon inégalement convaincante lors des auditions :

- Alexandre Benalla était ainsi doté d' un véhicule spécialement équipé par le garage de l'Élysée - entité placée sous l'autorité du commandement militaire du Palais - avec gyrophares ou feux de pénétration, avertisseurs sonores, pare-soleil siglé « police » ; dans un souci de banalisation, ces équipements ont été, de manière surprenante, présentés comme tout à fait standards pour les collaborateurs de la « chefferie » de cabinet, et ils auraient été justifiés par la nécessité de pouvoir se déplacer plus rapidement et, au besoin, de s'intégrer aux cortèges présidentiels - ce qui reste à démontrer dès lors que les cortèges présidentiels sont composés de véhicules spécifiques permettant de transporter les collaborateurs appelés à accompagner le chef de l'État ;

- un appartement de fonctions , situé au Palais de l'Alma et d'une superficie de 84,32 m 2 , a été mis à la disposition d'Alexandre Benalla pour « nécessité absolue de service » à compter du 1 er juillet 2018 par une décision du 11 juin 2018, postérieure à la mesure de suspension dont il a été l'objet au mois de mai. L'appartement a été juridiquement restitué dès le 23 juillet 2018 (jour de l'entretien préalable au licenciement prononcé le lendemain avec effet le 1 er août) sans avoir, en fait, été jamais occupé ; on se demande cependant quelle « nécessité absolue de service » pouvait bien justifier le logement à proximité du palais de l'Élysée d'un chargé de mission affecté à de simples tâches d'organisation ;

- confirmant l' habilitation secret-défense d'Alexandre Benalla, le directeur de cabinet du Président de la République a indiqué qu'elle se justifiait par le fait que les membres de la « chefferie » de cabinet ont à connaître de documents classifiés dans les dossiers de préparation de rencontres ou de déplacements et qu'ils peuvent être amenés à circuler dans des lieux relevant du secret défense ;

- avait enfin été affecté à Alexandre Benalla un téléphone hautement sécurisé, appelé Teorem , qui lui permettait notamment, selon le directeur de cabinet du Président de la République, d'échanger avec diverses autorités, à l'occasion des déplacements du chef de l'État, en vue « d'adapter le dispositif lors des changements de programme au dernier moment » 38 ( * ) .

L'ensemble de ces moyens a été présenté comme habituel pour le personnel de la « chefferie » de cabinet à ce niveau de responsabilités. Vos rapporteurs notent toutefois qu'aucun des autres membres de la « chefferie » de cabinet, pourtant censés assurer des fonctions similaires à celles qu'exerçait Alexandre Benalla, n'a jugé nécessaire de disposer, ni avant ni après le licenciement de l'ancien chargé de mission, d'un téléphone Teorem 39 ( * ) . Il n'a pas non plus été jugé nécessaire par les responsables du cabinet du Président de la République que les autres membres de la « chefferie » de cabinet en soient dotés.

L'attribution d'un badge d'accès à l'Assemblée nationale :
des divergences caricaturales

L'attribution à Alexandre Benalla d'un badge donnant des droits d'accès très étendu aux locaux de l'Assemblée nationale - il permettait de circuler jusqu'aux abords immédiats de l'hémicycle - a été confirmée. Elle a cependant été justifiée de façon totalement contradictoire devant votre commission :

- pour le directeur de cabinet du Président de la République, il s'agissait uniquement de permettre au chargé de mission de préparer au mieux l'organisation des déplacements dont il était chargé, (« Il ne s'agit aucunement d'un avantage ! Dans le cas de M. Benalla, la procédure habituelle a été appliquée [...] M. Benalla était, je vous le rappelle, chargé d'organiser les déplacements du Président de la République, notamment avec les élus. Or, il est parfois plus facile de nouer contact à Paris. » ) ;

- mais pour le principal intéressé, cet accès n'avait absolument rien à voir avec son activité professionnelle (« Je reconnais que ma demande était un caprice personnel, car je souhaitais accéder à la salle de sport, à la bibliothèque »).

Votre commission regrette une telle contradiction, qui serait dérisoire si les deux personnes ainsi citées ne témoignaient pas sous serment devant la représentation nationale.

Comme l'ont relevé plusieurs de nos collègues lors des auditions, il reste par ailleurs surprenant que l'implication d'Alexandre Benalla dans les incidents du 1 er mai et la sanction disciplinaire dont il a été l'objet n'aient eu aucune influence sur les moyens - véhicule, téléphone Teorem - qui ont continué à lui être accordés (alors même que ses missions avaient été officiellement recentrées sur des activités essentiellement au Palais).

Enfin, alors même qu'il s'agissait d'un moyen présenté comme nécessaire à l'exercice des missions de la « chefferie » de cabinet, qui plus est hautement sécurisé, il est à la fois étonnant et très inconséquent que la présidence de la République ne se soit aperçue de la non-restitution (révélée par Le Canard enchaîné le 16 janvier 2019), par Alexandre Benalla, du terminal Teorem que plusieurs mois après la date effective de son licenciement . Lors de son audition, Patrick Strzoda a en effet précisé qu'en dépit de l'inventaire réalisé dans le bureau de l'ancien chargé de mission, le 2 août, les services de la présidence de la République n'avaient constaté la disparition du combiné affecté à Alexandre Benalla que le 4 octobre, à l'occasion d'un inventaire général de ces matériels, soit plus de deux mois après son départ de l'Élysée. Ce n'est également qu'à compter de cette date qu'il a pu être procédé à la désactivation, à distance, de l'appareil, afin de le rendre inutilisable.

Selon les informations communiquées à votre commission par le directeur de cabinet du chef de l'État, il a pu être vérifié, par les services techniques de la présidence de la République, que le combiné Teorem n'avait pas été utilisé par son détenteur entre le 1 er août et le 4 octobre. Vos rapporteurs constatent toutefois que, sur cet aspect également, les diligences minimales nécessaires pour garantir la pleine application de la sanction de licenciement d'Alexandre Benalla, qui auraient dû notamment consister à s'assurer de la restitution des moyens dont il disposait pour l'exercice de ses fonctions, n'ont pas été accomplies par la présidence de la République. Y compris après que la disparition du terminal Teorem a été découverte, le 4 octobre, aucune demande de restitution de l'équipement, certes désactivé, n'a en effet été adressée à l'ancien chargé de mission, alors même qu'il s'agit d'une technologie relativement coûteuse et hautement sécurisée 40 ( * ) . Il aura fallu attendre le mois de janvier 2019 pour que le combiné Teorem soit, en définitive, restitué à l'Élysée sur recommandation du conseil d'Alexandre Benalla.

C. L'ATTRIBUTION, L'INVALIDATION ET LA RESTITUTION DES PASSEPORTS DE SERVICE ET DIPLOMATIQUES D'ALEXANDRE BENALLA : UN MANQUE DE DILIGENCES ET UNE SÉRIE DE DYSFONCTIONNEMENTS DES SERVICES DE L'ÉTAT

Dès le mois de juillet 2018, vos rapporteurs et le président de votre commission avaient soumis une série de questions écrites au ministère de l'Europe et des affaires étrangères afin de se faire communiquer le dossier d'instruction des deux passeports diplomatiques détenus par Alexandre Benalla et de savoir si ceux-ci avaient bien été restitués à l'issue de la collaboration de ce dernier avec l'Élysée.

Informée par Jean-Yves Le Drian, ministre de l'Europe et des affaires étrangères, de l'absence de restitution de ces documents à la date du 2 août 41 ( * ) , et du fait que le Quai d'Orsay s'employait toujours à les obtenir, votre commission avait tenu à s'en assurer en interrogeant Alexandre Benalla sur ce point lors de son audition. Répondant ainsi à une question précise de notre collègue Jacqueline Eustache-Brinio À ce jour, avez-vous restitué ces deux passeports ? »), Alexandre Benalla avait affirmé sous serment le 19 septembre 2018 que ces titres de voyage étaient restés dans le bureau qu'il occupait à l'Élysée .

Pourtant, à la fin du mois de décembre 2018, plusieurs organes de presse 42 ( * ) se sont fait l'écho d'informations selon lesquelles l'intéressé aurait fait usage après son licenciement de passeports diplomatiques qui lui avaient été délivrés dans le cadre de ses missions à l'Élysée. D'autres informations faisaient également état de la conservation par l'intéressé de deux passeports de service.

Au vu de ces éléments nouveaux, vos rapporteurs et le président de votre commission ont adressé, le vendredi 28 décembre 2018, des demandes d'explications écrites au ministre de l'Europe et des Affaires étrangères, au ministre de l'intérieur, ainsi qu'à la présidence de la République, et votre commission a organisé de nouvelles auditions publiques.

Ces auditions complémentaires ont notamment permis d'apprendre qu'Alexandre Benalla aurait eu recours à ses passeports diplomatiques une vingtaine de fois (23 fois selon les dires de l'intéresssé) après son licenciement, entre le 1 er août et le 31 décembre 2018.

Elles ont permis de confirmer des contradictions entre certaines déclarations pourtant faites sous serment devant votre commission . Plus généralement, elles ont mis en lumière d'importants dysfonctionnements dans les conditions de délivrance, de renouvellement, de retrait et d'invalidation des différents passeports dont bénéficiait Alexandre Benalla.

Les passeports diplomatiques : délivrance, avantages et bénéficiaires

Les passeports diplomatiques sont des titres de voyage délivrés par le ministère de l'Europe et des affaires étrangères. Ils certifient l'identité et la nationalité française de leurs titulaires et sont destinés à faciliter leurs déplacements dans le cadre de leurs fonctions et missions officielles.

Selon les informations fournies à vos rapporteurs et au président de votre commission par le Quai d'Orsay, leurs conditions de délivrance et de validité ainsi que la liste des bénéficiaires résultent certes de textes réglementaires 43 ( * ) mais elles relèvent également pour une part importante d'usages administratifs multiples et anciens.

La délivrance : par la voie hiérarchique et pour les besoins du service

Les passeports diplomatiques ont une durée de validité maximale de dix ans et sont généralement délivrés pour une durée comprise entre un et cinq ans. La demande se fait normalement par le supérieur hiérarchique direct, en particulier pour les demandes initiales de passeport.

Ils sont délivrés par le bureau des visas et passeports diplomatiques du ministère de l'Europe et des affaires étrangères, sous couvert du cabinet du ministre, en cas de besoin de validation.

Afin de pouvoir procéder à la délivrance d'un passeport diplomatique, le bureau des visas et des passeports diplomatiques requiert du demandeur un formulaire de demande (accompagné d'une manière générale d'une note de service précisant les motifs de la demande), un document d'identité, et un engagement de restitution du nouveau passeport diplomatique faisant l'objet de la demande de renouvellement ou d'établissement. Il doit être procédé à la restitution de l'ancien passeport diplomatique avant la délivrance du nouveau.

Les passeports diplomatiques ne peuvent être utilisés qu'aux fins pour lesquelles ils sont délivrés. II doivent être restitués au ministère de l'Europe et des affaires étrangères à l'expiration de leur validité ou dès lors que leur utilisation n'est plus justifiée.

Les bénéfices : aucune immunité en droit mais des facilités d'usage lors du passage des frontières de nombreux pays

Par elle-même, la détention d'un passeport diplomatique ne confère en droit aucun privilège ou immunité sur le territoire français ni à l'étranger 44 ( * ) .

Cependant, le passeport diplomatique peut donner lieu à un traitement de courtoisie, notamment pour le passage à la frontière (guichet dédié ; dispense de recueil des empreintes digitales ; absence de fouille des bagages à l'arrivée) dans de nombreux pays, mais de façon variable.

Le document contient la mention suivante : « Nous, Ministre des Affaires Étrangères, requérons les Autorités civiles et militaires de la République Française et prions les Autorités des pays amis et alliés, de laisser passer librement le titulaire du présent passeport et de lui donner aide et protection. »

Les titulaires de passeports diplomatiques peuvent, par ailleurs, être exemptés de visa pour de courts séjours, lorsque des accords bilatéraux ont été conclus à cet effet, ou lorsque le droit de l'État concerné le permet. À défaut, les détenteurs des passeports diplomatiques bénéficient de visas diplomatiques délivrés par les ambassades étrangères sur production d'une note verbale et qui attestent le caractère diplomatique de la mission.

Les détenteurs : au-delà des agents diplomatiques et hautes autorités de l'État, de nombreux personnels administratifs en mission

Le passeport diplomatique bénéficie normalement de droit aux agents diplomatiques et consulaires en fonctions (ainsi qu'à leur conjoint et enfants mineurs). Il peut également être délivré aux hautes autorités de l'État (Président de la République, Premier ministre, présidents des assemblées, membres du Gouvernement) ainsi qu'à certains conseillers de mission diplomatique et courriers de cabinet.

Un tel titre peut également être délivré « à titre exceptionnel aux titulaires d'une mission gouvernementale diplomatique lorsque l'importance de cette mission est jugée suffisante par le ministre des affaires étrangères ». Ce motif, utilisé de façon extensive, permet à de nombreux hauts fonctionnaires, membres d'autorités administratives, etc . d'en bénéficier.

C'est sur ce fondement que, par tradition, des passeports diplomatiques peuvent notamment être attribués aux membres des cabinets ministériels et aux collaborateurs du Président de la République qui n'auraient pas la qualité d'agent diplomatique ou consulaire, dès lors que l'exercice de leur fonction peut les conduire à effectuer des missions à l'étranger. C'est le cas, notamment, des membres de l'équipe diplomatique détachée à la Présidence, ainsi que de la chefferie de cabinet de la présidence de la République.

Début 2019, 36 collaborateurs de la présidence de la République étaient en possession d'un ou de plusieurs passeports diplomatiques (66 passeports diplomatiques au total). Au sein des cabinets ministériels, 28 membres de cabinet étaient en possession d'un ou plusieurs passeports diplomatiques (49 passeports diplomatiques au total).

1. La délivrance de multiples documents de voyage à Alexandre Benalla : des conditions d'attribution parfois anormales et un contrôle insuffisant de sa hiérarchie

Lorsqu'il était en fonction à l'Élysée, Alexandre Benalla disposait à titre professionnel de quatre passeports, deux passeports diplomatiques et deux passeports de service :

- un premier passeport diplomatique lui a été délivré le 2 juin 2017 , date de la signature de son contrat comme chargé de mission 45 ( * ) et avec une durée de validité d'un an (du 2 juin 2017 au 1 er juin 2018) ; la demande a été faite pour Alexandre Benalla (et pour son supérieur direct, François-Xavier Lauch, chef de cabinet du Président de la République) par le service du protocole de l'Élysée le 30 mai 2017 à l'attention du ministère de l'Europe et des Affaires étrangères (bureau des visas et passeports diplomatiques) ; le passeport a été adressé à la cellule du protocole et remis à l'intéressé ;

- un second passeport diplomatique a été émis le 20 septembre 2017 ; il a été demandé, par le même canal, le 18 septembre 2017 et émis au vu du contrat de travail produit par l'intéressé - pour une durée qui coïncidait avec celle du mandat du Président de la République - soit une durée de validité de cinq ans (du 20 septembre 2017 au 19 septembre 2022) ; un courriel a été adressé à la cellule du protocole en vue de la remise du passeport, avec copie à Alexandre Benalla qui l'a fait retirer directement ;

- un nouveau passeport diplomatique lui a été délivré le 24 mai 2018 , en remplacement du premier ; la demande n'a pas transité par la voie hiérarchique mais a été présentée directement par Alexandre Benalla auprès du bureau des visas et des passeports diplomatiques du ministère de l'Europe et des affaires étrangères, en excipant du fait que son premier passeport émis en juin 2017 et valable un an arrivait à échéance ; ce titre a été émis, en échange du premier passeport, pour une durée correspondant à la date d'échéance du second passeport en sa possession (soit du 24 mai 2018 au 19 septembre 2022) ;

- un premier passeport de service avait été délivré à Alexandre Benalla le 29 août 2016 en sa qualité de chef de cabinet au sein de la délégation interministérielle pour l'égalité des chances des Français d'outre-mer, et jamais restitué par l'intéressé depuis 46 ( * ) ;

- un second passeport de service a été délivré à la demande d'Alexandre Benalla le 28 juin 2018 , lorsqu'il était en fonction à la présidence de la République ; selon les informations de Patrick Strzoda, directeur de cabinet du Président de la République, et de Christophe Castaner, pour obtenir ce passeport, Alexandre Benalla s'est d'abord directement adressé au bureau compétent du ministère de l'Intérieur ; se voyant opposer un refus faute de demande régulière présentée par son autorité hiérarchique, il aurait alors fait parvenir quelques jours après aux mêmes services une note dactylographiée à en-tête de son chef de cabinet, François-Xavier Lauch - qui n'en serait pourtant pas l'auteur - sans signature manuscrite et présentée comme une ampliation comportant la formule « original signé » (type de lettre régulièrement utilisé par facilité dans les transmissions administratives, mais qui suppose qu'il existe bien un tel original).

La longue liste des documents de voyage officiels dont disposait Alexandre Benalla à l'Élysée et les conditions dans certains cas atypiques de leur délivrance révèlent ainsi plusieurs dysfonctionnements des services de l'État :

- La délivrance de quatre passeports professionnels ne semble, d'abord, ni courante, ni justifiée à ce niveau de responsabilités. Le recours aux passeports de service est, en effet, précisément destiné à faciliter les déplacements des agents qui ne peuvent prétendre à l'attribution d'un passeport diplomatique, et non à se cumuler avec ces derniers.

Si la possession de deux passeports de service ou bien de deux passeports diplomatiques est certes usuelle (s'agissant d'agents appelées à effectuer des déplacements fréquents à l'étranger, elle vise, notamment, à s'assurer que ces personnes peuvent disposer en permanence d'au moins un passeport, y compris lorsque l'autre est transmis à une ambassade étrangère aux fins de l'obtention d'un visa), l'intéressé n'a pas été capable de justifier concrètement, lors de son audition devant votre commission le 21 janvier 2019, de la nécessité du cumul de quatre passeports, rejetant la responsabilité sur les différents ministères qui avaient accepté de lui délivrer tous ces titres successifs ;

- Les motifs de délivrance du premier passeport de service, comme chef de cabinet à la délégation interministérielle pour l'égalité des chances des Français d'outre-mer, paraissent avoir été constitués artificiellement pour les besoins de la cause. Vos rapporteurs, qui ont interrogé le délégué interministériel sur les motifs de délivrance de ce titre à l'époque, restent ainsi étonnés d'apprendre que ce document a été réclamé en vue d'un seul déplacement , qui plus est en Allemagne (pays pour lequel un tel titre n'est pas utile pour le franchissement de ses frontières), aux seules fins de « faciliter les formalités à l'aéroport » et pour répondre à l'invitation du président de l'Office Européen des Brevets ( organisme d'emploi d'Alexandre Benalla qui avait accepté son détachement auprès de la délégation interministérielle). Vos rapporteurs prennent note qu'aucun agent de la délégation interministérielle avant Alexandre Benalla ne possédait un tel titre de voyage, et qu'aucun n'en a eu depuis ;

- Le renouvellement du premier passeport diplomatique, au moment même du retour d'Alexandre Benalla de sa suspension au mois de mai 2018, nourrit les doutes de vos rapporteurs sur l'effectivité des sanctions prononcées contre lui et témoigne, en tout état de cause, de l'absence de contrôle efficace de sa hiérarchie à son égard.

La demande de renouvellement du premier passeport diplomatique intervient le 24 mai 2018, soit précisément à son retour de la suspension de fonction de 15 jours décidée par sa hiérarchie à son égard pour sanctionner les faits du 1 er mai. Or, à compter de son retour, sa sanction prévoyait officiellement une rétrogradation de fonctions, et il n'aurait normalement dû conserver aucun rôle en matière d'organisation des déplacements internationaux du Président de la République.

En outre, selon Patrick Strzoda, la demande est présentée par Alexandre Benalla « sans passer par le service du protocole ni l'échelon hiérarchique supérieur (...). Il s'agit d'une initiative personnelle de l'intéressé (...) un comportement fautif d'un individu qui a profité de failles du système ; mais si la hiérarchie avait eu connaissance de cette demande, bien évidemment qu'elle s'y serait opposée ». Vos rapporteurs notent pourtant que lors de son audition, le ministre de l'Europe et des affaires étrangères a précisé que le Quai d'Orsay avait « envoyé copie de l'information au service du protocole ». Dès lors, soit ce service ignorait que l'intéressé avait été déchargé de l'organisation des déplacements - et il y aurait là dissimulation ou manque de circulation de l'information au sein de l'Élysée - soit ce service en était informé et ce serait sciemment que personne ne serait intervenu.

En tout état de cause, vos rapporteurs s'étonnent de l'incapacité des supérieurs d'Alexandre Benalla à contrôler ses agissements et des nombreuses critiques qu'ils lui adressent désormais, alors que ce dernier avait pourtant été présenté comme un agent exemplaire lors des précédentes auditions devant votre commission, au mois d'août 2018 ;

- Concernant l'utilisation alléguée d'un faux pour l'obtention du second passeport de service , s'il n'appartient qu'à la Justice de se prononcer sur la responsabilité pénale d'Alexandre Benalla 47 ( * ) , vos rapporteurs regrettent que la présidence de la République semble, encore une fois, ne s'être décidée à respecter son obligation de signalement au parquet que sous la pression médiatique des révélations de la presse . Ainsi, selon les déclarations de Patrick Strzoda, alors même que la suspicion du recours à un faux en écriture publique avait été décelée « au cours de l'automne » par l'Élysée, ces faits n'ont cependant fait l'objet d'un signalement au parquet (au titre de l'article 40 du code de procédure pénale) que le 16 janvier 2019, soit le matin même de l'audition du directeur de cabinet du Président de la République par votre commission 48 ( * ) !

Le faux témoignage devant une commission d'enquête

La possibilité pour les assemblées de créer des commissions d'enquête parlementaire a été consacrée à l'article 51-2 de la Constitution 49 ( * ) par la révision constitutionnelle du 23 juillet 2008 et rattachée à leur mission de contrôle de l'action du Gouvernement et d'évaluation des politiques publiques.

La faculté de faire déposer sous serment les personnes qu'elles souhaitent entendre leur est reconnue par une tradition parlementaire ancienne 50 ( * ) et constante 51 ( * ) .

Les sanctions pénales qui peuvent être prononcées à l'occasion des travaux d'une commission d'enquête parlementaire sont prévues par l' ordonnance n° 58-1100 du 17 novembre 1958 relative au fonctionnement des assemblées parlementaires 52 ( * ) . Ces contraintes, justifiées par la recherche de la vérité, permettent de renforcer l'efficacité et la solennité les travaux des commissions d'enquête parlementaires.

L'obligation de comparaître, de déposer et de prêter serment

Les personnes entendues par une commission d'enquête doivent comparaître, déposer et prêter serment (à l'exception des mineurs de 16 ans). La personne qui refuse est passible d'un emprisonnement de deux ans et d'une amende de 7 500 euros.

Lorsqu'ils déposent à cette occasion devant les parlementaires, les ministres et les secrétaires d'État, dont la responsabilité politique est aussi engagée, ne sont pas dispensés du serment.

La sanction du faux témoignage

Les sanctions pénales relatives au témoignage lui-même sont prévues par un renvoi de l'ordonnance de 1958 aux dispositions du code pénal relatives au témoignage devant une juridiction. Les peines d'amende et d'emprisonnement applicables sont ainsi de :

- Cinq ans d'emprisonnement et 75 000 euros d'amende pour le témoignage mensonger sous serment ;

- Sept ans d'emprisonnement et 100 000 euros d'amende pour le faux témoignage aggravé (provoqué par la remise d'un don ou d'une récompense) ;

- Trois ans d'emprisonnement et 45 000 euros d'amende pour la subornation de témoin .

L'engagement des poursuites pour faux témoignage

Les poursuites sont exercées à la requête du président de la commission d'enquête ou, lorsque le rapport de la commission a été publié, à la requête du Bureau de l'assemblée intéressée (III de l'article 6 de l'ordonnance du 17 novembre 1958 précitée).

2. La restitution tardive des passeports : un manque de diligences et d'efficacité de certaines administrations et des contradictions manifestes entre les déclarations sous serment d'Alexandre Benalla et celles de sa hiérarchie

Alors qu'Alexandre Benalla a été licencié pour faute à compter du 1 er août 2018, vos rapporteurs constatent d'abord que les différentes administrations ont été incapables pendant plus de cinq mois d'obtenir de lui la restitution effective et définitive de ses titres de voyage . Ainsi n'est-ce que le 9 janvier 2019 que ses deux passeports diplomatiques ont été remis (et ils l'ont été à la Justice). Le second passeport de service a été rendu au ministère de l'intérieur le 11 janvier seulement ; quant au premier passeport de service, il aurait - selon des informations de presse - été déclaré perdu par l'intéressé le 23 janvier.

Vos rapporteurs constatent également que les démarches accomplies par les différentes administrations pour obtenir la restitution des passeports d'Alexandre Benalla après la cessation de ses fonctions à l'Élysée se sont limitées d'abord à des lettres de relance non suivies d'effet , et que seules les révélations de presse ont conduit l'administration à envisager - bien plus tardivement - des poursuites pénales :

- Les deux passeports diplomatiques ont fait l'objet d'une demande de restitution par le Quai d'Orsay le 26 juillet 2018, restée sans suite ni conséquence ; un courrier de relance du 10 septembre n'a même pas été retiré par l'intéressé ;

- Les deux passeports de service ont été réclamés par un courrier du chef de cabinet du Président de la République le 21 août 2018 qui n'a obtenu aucune réponse ; l'Élysée n'a ensuite saisi le ministère de l'intérieur que le 10 octobre afin de lui demander de poursuivre « toutes les démarches » pour récupérer ces passeports.

Vos rapporteurs constatent en outre de nettes contradictions concernant la chronologie précise de la restitution des passeports professionnels d'Alexandre Benalla après son licenciement :

- Interrogé lors de sa première audition devant votre commission sur la restitution de ses passeports diplomatiques après son licenciement (notifié le 24 juillet 2018, avec effet au 1 er août), ce dernier a déclaré le 19 septembre : « les titres dont il s'agit sont restés dans le bureau que j'occupais à l'Élysée ».

Au contraire, grâce à plusieurs informations de presse confirmées par le ministre de l'Europe et des Affaires étrangères lors de son audition, il a été établi qu' Alexandre Benalla avait continué à utiliser ses passeports diplomatiques après son licenciement, notamment entre le 1 er et le 7 août (puis en octobre, novembre et décembre 2018, soit en tout à une vingtaine de reprises) ;

- En outre, lors de sa seconde audition par votre commission, le 21 janvier 2019, l'ancien chargé de mission a maintenu qu'il aurait restitué ses passeports à l'Élysée dans le courant de l'été, après le 7 août, mais qu'ils lui auraient été à nouveau rendus, en octobre, par un collaborateur de la présidence de la République ; il a toutefois refusé d'étayer ses déclarations d'éléments précis (dates et lieux de remise des passeports diplomatiques, personnes les ayant remis).

En tout état de cause, ces allégations ont été fermement démenties par le directeur de cabinet du Président de la République, Patrick Strzoda, lors de sa seconde audition par la commission, le 16 janvier 2019. Selon lui, lesdits passeports ne figurant pas dans l'inventaire contradictoire du bureau d'Alexandre Benalla réalisé le 2 août, et l'ancien chargé de mission n'ayant jamais ni répondu à la demande de venir récupérer ses objets personnels, ni même eu accès à son bureau depuis son interdiction de paraître à l'Élysée (entre le 20 juillet 2018 et le 15 septembre, date de la réattribution du bureau à un nouvel occupant), « les mesures qui ont été prises [...] permettent d'affirmer que les passeports n'étaient pas à l'Élysée ».

3. La laborieuse invalidation des passeports diplomatiques : un problème inédit d'interface informatique entre ministères opportunément résolu dès la révélation des faits par la presse

Alors que l'invalidation des deux passeports de service d'Alexandre Benalla par le ministère de l'intérieur est intervenue dès le 30 juillet 2018 (soit peu après la décision du 24 juillet le licenciant pour motif disciplinaire), vos rapporteurs constatent enfin que des délais très importants se sont écoulés avant que des diligences similaires soient effectuées pour empêcher l'utilisation des passeports diplomatiques.

Après de nombreux échanges de nature technique et générale, ce n'est que le 8 novembre que la première demande d'invalidation contenant les références des passeports diplomatiques d'Alexandre Benalla est transmise par le Quai d'Orsay au ministère de l'intérieur, demande qui, après de nouveaux et longs échanges, se verra tout d'abord opposer une fin de non-recevoir le 26 décembre.

Pourtant, après que la presse a dévoilé le 27 décembre qu'Alexandre Benalla avait pu conserver et utiliser jusqu'à ce jour des passeports diplomatiques, la direction centrale de la police judiciaire (DCPJ) relevait, selon les informations fournies par le ministère de l'intérieur, avoir « opéré manuellement en base l'invalidation des deux passeports diplomatiques de M. Benalla le 28 décembre 2018 ».

Ce manque initial de réactivité des services puis leur problème de coordination a ainsi permis à Alexandre Benalla de continuer à utiliser ces titres de voyage à une vingtaine de reprises, entre le 1 er août et le 31 décembre pour se rendre notamment au Tchad et en Israël ainsi que, possiblement, au Maroc et aux Bahamas (selon les informations recoupées après interrogation des postes diplomatiques à l'initiative du Quai d'Orsay).

Interrogés sur les causes exactes de ce retard, les différents ministres concernés se sont retranchés de façon non convaincante derrière des impossibilités techniques et des problèmes informatiques, l'invalidation d'un passeport diplomatique présentant un caractère inédit à ce jour. Selon les déclarations du ministre de l'intérieur devant votre commission « à défaut de réquisition judiciaire, le ministère de l'intérieur n'est donc pas en mesure d'interdire leur utilisation » 53 ( * ) .

Vos rapporteurs notent pourtant que ces difficultés techniques ou juridiques qui avaient si longtemps fait obstacle à l'invalidation des passeports diplomatiques ont rapidement et opportunément pu être levées dès la révélation des faits par la presse.

Indépendamment de cette procédure d'invalidation, il est étonnant qu'aucune instruction individuelle n'ait pu être donnée à la police aux frontières pour empêcher l'utilisation illicite par Alexandre Benalla de l'un de ses passeports diplomatiques lors de ses sorties du territoire et pour procéder à sa saisie.

Chronologie des principales étapes ayant conduit à l'invalidation
des différents passeports de fonction d'Alexandre Benalla en 2018

24 juillet : licenciement pour motif disciplinaire d'Alexandre Benalla, avec prise d'effet au 1 er août.

30 juillet : invalidation des deux passeports de service d'Alexandre Benalla par le ministère de l'intérieur.

1 er - 7 août (puis octobre, novembre et décembre) : utilisation par Alexandre Benalla de ses passeports diplomatiques pour voyager.

9 octobre : saisine du Quai d'Orsay par l'Élysée pour que les passeports diplomatiques fassent l'objet d'une annulation.

15 octobre : début des discussions entre le Quai d'Orsay et le ministère de l'intérieur pour faire annuler les passeports diplomatiques d'Alexandre Benalla.

8 novembre : première demande explicite d'invalidation des passeports diplomatiques d'Alexandre Benalla adressée par le Quai d'Orsay à l'officier de liaison en poste au sein de la mission de délivrance des titres sécurisés du ministère de l'intérieur (sans signalement spécifique du caractère sensible de la requête, via une liste de 25 passeports diplomatiques, dont deux au nom de M. Benalla, les autres étant des passeports diplomatiques perdus ou volés).

19 décembre : nouvelle demande d'invalidation adressée par le Quai d'Orsay, à la DGPN, concernant 24 passeports diplomatiques déclarés perdus, 7 volés et 2 à invalider (ceux d'Alexandre Benalla), afin de porter le signalement sur les fichiers européens de manière à invalider le déplacement des personnes présentant ces passeports à la police aux frontières.

26 décembre : fin de non-recevoir opposée par le ministère de l'intérieur (DGPN), excipant de ce que, s'agissant des pertes et des vols, il existe bien un dispositif permettant d'intervenir, mais que tel n'est pas le cas pour les passeports qui perdent leur cause d'émission, et qu'il est donc impossible d'accéder à la demande du ministère des affaires étrangères.

27 décembre : révélations par la presse du fait qu'Alexandre Benalla voyage avec un passeport diplomatique qu'il a conservé malgré son licenciement.

28 décembre : intervention manuelle du ministère de l'intérieur (DCPJ) pour procéder à l'invalidation dans ses bases de données des deux passeports diplomatiques d'Alexandre Benalla.

IV. L'ORGANISATION, LE FONCTIONNEMENT ET LE CONTRÔLE DES SERVICES DE L'ÉLYSÉE : UN NÉCESSAIRE SURSAUT

A. « CONTRATS RUSSES », CONFLITS D'INTÉRÊTS, MANQUE DE TRANSPARENCE : LES SYMPTÔMES D'UN CONTRÔLE INSUFFISANT DES CONSEILLERS DE L'EXÉCUTIF

1. L'« affaire des contrats russes » : de graves soupçons de faux témoignages et de conflits d'intérêts

Alors que votre commission n'avait pas achevé ses travaux, la presse s'est fait l'écho, au cours des dernières semaines, de l'implication d'Alexandre Benalla dans la négociation et la conclusion de contrats de sécurité privée, avant et après son départ de l'Élysée.

Selon les informations publiées depuis le 28 décembre dernier par le journal Mediapart , l'ancien chargé de mission de la présidence de la République aurait, en effet, « personnellement négocié de bout en bout un contrat de sécurité » 54 ( * ) conclu par la société Mars , dont l'unique actionnaire est Vincent Crase, pour le compte d'un oligarque russe, Iskander Makhmudov.

Ce contrat, qui avait pour objet la réalisation de prestations de sécurité et de protection au bénéfice de la famille de M. Makhmudov et de certains de ses biens, en France, aurait été négocié dès le début de l'année 2018, par Alexandre Benalla et Vincent Crase alors qu'ils étaient encore en poste à l'Élysée . Les premières attaches avec la société Velours en vue de l'exécution de ce contrat auraient été prises, à l'initiative de l'ancien chargé de mission de l'Élysée, à la mi-mars 2018.

Comme Vincent Crase ne disposait pas de l'agrément de dirigeant de société de sécurité privée, l'exécution des prestations aurait été sous-traitée à la société de sécurité privée Velours , ancien employeur d'Alexandre Benalla. La société de Vincent Crase aurait, pour l'exécution de ce contrat, été rémunérée le 28 juin 2018 à hauteur de 294 000 euros, dont 172 000 euros auraient été reversés à la société Velours .

Débuté au mois de juin 2018, le contrat se serait achevé à la fin du mois de septembre 2018, à l'initiative de son sous-traitant Velours , qui aurait dénoncé le contrat à la suite des révélations du journal Le Monde sur les faits du 1 er mai.

Depuis son licenciement, le 24 juillet 2018, Alexandre Benalla animerait « en sous-main une société baptisée France Close Protection, qui a récupéré en octobre dernier le contrat de l'oligarque russe Iskander Makhmudov ». Créée le 2 octobre 2018 et domiciliée à la même adresse que la société de Vincent Crase Mars , cette société serait dirigée par Yoann Petit, l'un des hommes embauchés par la société Velours au service d'Iskander Makhmudov. Alexandre Benalla aurait reçu, en novembre et décembre 2018, des versements de plusieurs milliers d'euros de cette société.

Enfin, toujours selon les informations révélées par Mediapart , l'ancien chargé de mission de la présidence de la République aurait également négocié, pour le compte de France Close Protection , la conclusion d'un second contrat de sécurité avec un autre oligarque russe, Farkahd Akhmedov. Signé le 2 décembre 2018, ce contrat aurait, comme le premier, pour objet d'assurer la protection de l'homme d'affaires et de ses enfants lors de ses séjours dans divers pays européens, pour un montant total de 980 000 euros.

Interrogés par votre commission lors de leurs auditions du 21 janvier 2019, Alexandre Benalla et Vincent Crase ont démenti les premières informations déjà révélées par la presse .

Ainsi, si Vincent Crase a confirmé avoir conclu un contrat avec M. Makhmudov en vue de l'exécution d'activités de protection rapprochée 55 ( * ) , il a, sous serment, déclaré que les négociations de ce contrat n'auraient débuté que postérieurement à son départ de l'Élysée, le 4 mai 2018.

Il a également réfuté toute implication de son ami et ancien chargé de mission à la présidence de la République dans la négociation, la conclusion ou l'exécution de contrat, indiquant : « M. Benalla n'est jamais intervenu lors des négociations de ce contrat, pas plus que dans sa signature ou son application, et il ne figure pas dans les statuts de ma société ».

Enfin, il a démenti tout lien avec la société France Close Protection , indiquant : « le contrat, pour moi et ma société Mars, se termine le 30 septembre. Après, je ne sais pas, je n'ai plus de contacts avec qui que ce soit dans ce milieu et je me refuse à en avoir : je tourne la page. [...] J'ai d'ailleurs trouvé très étrange que cette société [France Close Protection] soit située dans la boîte de domiciliation de la rue de Penthièvre ».

Le même jour, Alexandre Benalla a, quant à lui, démenti devant votre commission toute participation à la conclusion du contrat conclu par la société Mars avec M. Makhmudov, déclarant : « je peux vous affirmer que je n'ai jamais contribué à une quelconque négociation, conclusion, et que je n'ai jamais été intéressé au moindre contrat que M. Crase a pu passer avec qui que ce soit, et encore moins avec cette personne ».

Plusieurs éléments rendus publics postérieurement à ces auditions viennent contredire ces déclarations.

D'abord, les informations publiées par Mediapart le 31 janvier 2019 paraissent de nature à établir que l'ancien chargé de mission de la présidence de la République se serait personnellement impliqué dans la conclusion du contrat avec M. Iskander Makhmudov , et ce alors même qu'il était encore en fonction à la présidence de la République. Elles témoignent aussi de l'implication de Vincent Crase, contrairement à ses déclarations, dans la recherche d'un nouveau montage financier pour prendre le relai de sa société Mars dans l'exécution du contrat avec M. Iskander Makhmudov.

Par ailleurs, les déclarations le 11 février 2019 56 ( * ) de M. Jean-Maurice Bernard, président de la société Velours , sous-traitante de la société Mars pour l'exécution de ce contrat, viennent étayer la thèse selon laquelle Alexandre Benalla aurait activement participé au montage du contrat exécuté pour le compte de M. Makhmudov : « Ce que je peux vous dire et répéter, c'est qu'Alexandre Benalla a assisté à deux ou trois rendez-vous sur ce contrat avec M. Crase et nous-mêmes, que M. Benalla connaissait les noms des cinq personnes qui nous ont été imposées par Vincent Crase et qu'ensuite ils nous ont demandé, après la rupture du contrat, de le poursuivre. Ce sont les faits ».

Ces déclarations confirment en outre, contrairement à celles de Vincent Crase, que les premières prises de contact en vue de la conclusion de ce contrat se seraient déroulées dès le mois de mars 2018, à l'initiative d'Alexandre Benalla et en présence de l'ancien réserviste du commandement militaire du palais de l'Élysée.

S'ils méritent, bien entendu, d'être confirmés, ces éléments paraissent, de l'avis de vos rapporteurs, établir qu' Alexandre Benalla et Vincent Crase se seraient rendus coupables, devant votre commission, de faux témoignages.

Surtout, au-delà de la caractérisation des faux témoignages, ces révélations tendent à établir l'existence de conflits d'intérêts majeurs et graves. Si elle était confirmée 57 ( * ) , l'implication directe d'Alexandre Benalla et de Vincent Crase dans la négociation et la conclusion d'activités de nature privée, qui plus pour le compte d'intérêts étrangers puissants , constituerait non seulement une faute déontologique majeure pour les intéressés, mais également un risque pour la présidence de la République et, à travers elle, pour l'État.

Il ne fait en effet nul doute que les relations entretenues avec un oligarque russe par un collaborateur de l'Élysée directement impliqué dans la sécurité de la présidence de la République et d'un réserviste du commandement militaire du palais de l'Élysée exerçant une responsabilité d'encadrement seraient de nature, en raison de la dépendance financière qu'elles impliquent, à affecter la sécurité du chef de l'État et, au-delà, les intérêts de notre pays.

Les ramifications de cette « affaire des contrats russes » jusqu'à Matignon et au sein de l'armée française à travers un autre de ses protagonistes, Chokri Wakrim, présenté comme le compagnon de la responsable du groupe de sécurité du Premier ministre, Marie-Elodie Poitout (qui a depuis lors démissionné de ses fonctions), et par ailleurs sous-officier affecté au commandement des opérations spéciales, ne manquent pas, au demeurant, d'inquiéter vos rapporteurs quant aux risques de vulnérabilité que ces activités commerciales ont fait courir aux plus hautes institutions de l'État .

Matignon gagné par l'« affaire des contrats russes »

Plusieurs informations révélées par la presse laissent à penser que la responsable du groupe de sécurité du Premier ministre (GSPM), Mme Marie-Elodie Poitout, ainsi que M. Chokri Wakrim, présenté comme son compagnon et par ailleurs militaire officiant dans les forces spéciales, pourraient être impliqués dans l'organisation de la rencontre entre Alexandre Benalla et Vincent Crase le 26 juillet 2018, en violation de leur contrôle judiciaire.

Ils sont notamment soupçonnés d'avoir facilité cette rencontre, en accueillant ces deux personnes dans l'appartement de Mme Poitout.

Selon plusieurs organes de presse, Chokri Wakrim serait en effet directement impliqué dans l'exécution du contrat conclu pour le compte d'Iskander Makhmudov : il s'agirait de l'un des cinq agents recrutés par la société Velours à la demande de Vincent Crase en vue de la réalisation des prestations dudit contrat. À l'issue de ces révélations et de l'ouverture d'une enquête préliminaire par le parquet national financier, il a été suspendu de ses fonctions dans l'armée.

Marie-Elodie Poitout aurait quant à elle été entendue sur cette affaire par sa hiérarchie ainsi que par les services de police, au début du mois de février. Dans un communiqué adressé à l'Agence France Presse, elle a toutefois démenti « avoir vu MM. Benalla et Crase ensemble ni à [son] domicile ni ailleurs, et confirme n'avoir aucun lien avec les enregistrements dont parle la presse ». Elle a démissionné de ses fonctions de chef du GSPM le 7 février 2019, afin, selon ses dires, d'écarter toute polémique et de ne pas porter atteinte au Premier ministre.

2. Un renforcement nécessaire des obligations de transparence et de lutte contre les conflits d'intérêts

Alors que l'« affaire des contrats russes » met en lumière des dysfonctionnements au plus haut niveau de l'État, il est patent que la présidence de la République a pêché par manque de précaution en ne prenant pas toutes les mesures qui paraissaient nécessaires pour s'assurer que les intérêts privés de certains de ses collaborateurs n'interfèreraient pas avec l'exercice de leurs fonctions et ne compromettraient pas leur indépendance.

À côté des « conseillers » 58 ( * ) collaborateurs du Président de la République, dont la nomination par le Président est publiée au Journal officiel 59 ( * ) et dont les fonctions sont connues, votre commission a en effet constaté dès le mois de juillet 2018 que subsistaient un certain nombre d'agents nommés comme « chargés de mission » à l'Élysée qui échappent à toute transparence , alors même qu'ils peuvent pourtant exercer des missions importantes ainsi qu'une influence sur la réflexion, les décisions du chef de l'État et la transmission de ses instructions.

Selon les déclarations du directeur de cabinet du Président de la République, Patrick Stzroda, huit chargés de mission - outre Alexandre Benalla - auraient ainsi été employés au sein du cabinet (à la date de sa première audition) sans que la liste de leurs noms ait été rendue publique.

Plus regrettable, votre commission a eu la confirmation qu' aucun de ces chargés de mission n'avait rempli et déposé de déclaration d'intérêts ni de déclaration de situation patrimoniale . Pourtant, comme l'a confirmé à vos rapporteurs et au président de votre commission le président de la Haute Autorité pour la transparence de la vie publique (HATVP), la transmission de telles déclarations à la HATVP comme à l'autorité hiérarchique est obligatoire, en application de l'article 11 de la loi n° 2013-907 du 11 octobre 2013 relative à transparence de la vie publique, pour tous les « collaborateurs du Président de la République », y compris lorsque leur hiérarchie a omis de mentionner leur existence au Journal officiel 60 ( * ) .

Le champ des obligations de déclaration au titre de la prévention des conflits d'intérêts et pour la transparence dans la vie publique

Aux termes du I de l'article 11 de la loi n° 2013-907 du 11 octobre 2013 relative à la transparence de la vie publique : « Adressent également au président de la Haute Autorité pour la transparence de la vie publique [HATVP] une déclaration de situation patrimoniale et une déclaration d'intérêts [...] dans les deux mois qui suivent leur entrée en fonctions : [...] 4° Les membres des cabinets ministériels et les collaborateurs du Président de la République ; [...] Les déclarations d'intérêts des personnes mentionnées aux 4° à 8° sont également adressées [...] à l'autorité hiérarchique. » Une déclaration de situation patrimoniale doit en outre être effectuée dans les deux mois qui suivent la fin des fonctions.

Selon l'interprétation qu'en a livré le président de la HATVP dans sa réponse aux questions écrites du président de votre commission et de vos rapporteurs : « Pour l'application des dispositions de la loi du 11 octobre 2013 relative à la transparence de la vie publique, la Haute Autorité s'appuie sur les travaux parlementaires qui démontrent clairement l'intention du législateur de ne pas limiter les obligations déclaratives aux seuls conseillers nommés par arrêté publié au Journal officiel, mais de les appliquer à l'ensemble des membres du cabinet (fonctions de direction, conseillers, chargés de mission ,...) à l'exception de ceux exerçant des « fonctions support » (secrétariats et chauffeurs notamment). »

Interrogé par notre collègue François Pillet sur l'absence de déclaration des chargés de mission lors de son audition par votre commission, le directeur de cabinet du Président de la République, Patrick Stzroda, a déclaré avoir « demandé ce jour au Secrétariat général du Gouvernement (SGG) d'expertiser cette disposition » ; relancé le lendemain, le secrétaire général de la présidence de la République, Alexis Kohler, a indiqué lors de son audition qu' une régularisation de la situation des intéressés leur serait demandée au plus vite : « il serait logique d'inclure les chargés de mission dans le champ de ces obligations déclaratives. J'ai donc demandé à nos services d'adresser un message aux intéressés pour qu'ils régularisent leur situation. Il existe aujourd'hui huit chargés de missions à la présidence de la République, dont deux affectés au sein des services - nous n'avons pas encore éclairci le point de savoir si les obligations déclaratives s'imposent aussi à ces derniers ».

Vos rapporteurs en prennent bonne note. Ils recommandent qu'il soit mis fin à la pratique des collaborateurs « officieux » du Président de la République et souhaitent que la HATVP soit attentive à faire respecter leurs obligations déclaratives à tous les chargés de mission de l'Élysée.

Cette exigence de déclaration, sur laquelle votre commission a insisté dès le début de ses travaux, apparaît encore plus essentielle à la lumière de la probable implication d'Alexandre Benalla dans la conclusion du contrat russe. Certes, il est loin d'être évident que celui-ci aurait fait état d'intérêts contractés en violation de ses obligations de non-cumul d'activités. Néanmoins, le fait qu'il n'ait été soumis à aucune exigence de déclaration a privé l'Élysée de la possibilité de bénéficier des prérogatives de la HATVP pour enquêter sur d'éventuels conflits d'intérêts et permettre, en cas de déclaration mensongère ou incomplète, l'application de sanctions. L'article 26 de la loi n° 2013-907 du 11 octobre 2013 relative à la transparence de la vie publique punit en effet de trois ans d'emprisonnement et de 45 000 euros d'amende le fait, pour une personne soumise à une obligation de déclarer d'intérêts et de patrimoine, de ne pas déposer l'une de ses déclarations, d'omettre de déclarer une partie substantielle de son patrimoine ou de ses intérêts ou de fournir une évaluation mensongère de son patrimoine.

Au-delà des obligations déclaratives au titre de la prévention des conflits d'intérêts, il est également apparu regrettable à votre commission que le recrutement des collaborateurs du Président de la République ne soit pas soumis réglementairement, comme l'est déjà celui de certains fonctionnaires ou agents publics participant à l'exercice des missions de souveraineté de l'État, à la conduite d'une enquête administrative préalable .

Les collaborateurs du Président de la République, tant en raison de la nature des fonctions exercées que de la position qu'ils occupent au sein de l'État, doivent en effet être tenus, plus encore que tout autre fonctionnaire ou agent public, à un devoir d'exemplarité. Les informations révélées par notre commission dans le cadre de cette affaire dite « Benalla » montrent, si besoin en était, qu'il doit y avoir, sur ce point, une exigence particulière de transparence et de déontologie.

C'est pourquoi votre commission estime essentiel que la présidence de la République s'assure, préalablement à la nomination des futurs collaborateurs du chef de l'État, du fait que le comportement des personnes pressenties n'est pas incompatible avec l'exercice des fonctions ou des missions susceptibles de leur être confiées.

Il ne fait aucun doute que cela aurait permis de porter à la connaissance des services de la présidence de la République certains éléments connus de plusieurs administrations sur le comportement passé d'Alexandre Benalla, avant qu'il ne soit recruté. Ainsi en est-il notamment des conditions de son licenciement de son poste de chauffeur auprès de l'ancien ministre Arnaud Montebourg ou encore de l'avis réservé émis à son égard par les services de la préfecture de police dans le cadre d'une demande de permis de port d'arme qu'il avait formulée au cours de la campagne présidentielle de 2017.

Les enquêtes administratives
de l'article L. 114-1 du code de la sécurité intérieure

En vertu de l'article L. 114-1 du code de la sécurité intérieure, les décisions de recrutement, d'affectation ou de titularisation pour certains emplois publics participant à l'exercice de missions de souveraineté de l'État ou relevant du domaine de la sécurité ou de la défense 61 ( * ) peuvent être précédées de la conduite d'« enquêtes administratives destinées à vérifier que le comportement des personnes physiques ou morales intéressées n'est pas incompatible avec l'exercice des fonctions ou des missions envisagées ».

De telles enquêtes peuvent également être renouvelées, en cours d'emploi, à la demande de l'autorité d'emploi, en vue de s'assurer que le comportement de la personne concernée n'est pas, à la suite de son embauche, devenu incompatible avec les fonctions exercées.

Les postes et les emplois concernés par la réalisation de telles enquêtes sont listés par décret. Y figurent par exemple les postes de préfet, d'ambassadeur ou encore de certains postes de directeur d'administration centrale. En revanche, les personnels de la présidence de la République, qu'ils soient ou non rattachés au cabinet du chef de l'État, de même que les membres des cabinets ministériels, ne sont pas mentionnés.

Les enquêtes administratives sont réalisées par un bureau spécifique, rattaché au ministre de l'intérieur, appelé le service national des enquêtes administratives de sécurité.

Elles consistent en une enquête de moralité , généralement confiée aux services de sécurité publique, ainsi qu'à la consultation des principaux fichiers de justice et de police (traitement des antécédents judiciaires, fichier des personnes recherchées, etc .).

Aussi votre commission suggère-t-elle que le cadre réglementaire 62 ( * ) énumérant les emplois et fonctions concernés par la conduite d'une enquête administrative soit étendu aux collaborateurs du secrétariat général de la présidence de la République . De manière à éviter toute atteinte au principe de séparation des fonctions présidentielles et gouvernementales, il conviendrait de prévoir que les enquêtes administratives soient réalisées à la demande expresse du Président de la République et que leurs résultats ne soient communiqués qu'à lui seul. Au demeurant, aucune décision automatique en termes de recrutement ne pourrait lui être imposée sur la base des résultats de ces enquêtes, dont il lui appartiendrait, en définitive, de tirer les conséquences.

Pour la bonne information du public et du Parlement, vos rapporteurs suggèrent enfin que le rapport annuel déposé lors de l'examen du budget ( annexe budgétaire « jaune ») consacré aux personnels affectés dans les cabinets ministériels soit enrichi d'un volet supplémentaire permettant de dresser un tableau présentant le nombre, les missions et les rémunérations des personnels affecté à la présidence de la République .

3. La nécessité de mieux contrôler le respect des obligations déontologiques applicables aux collaborateurs du Président de la République après la cessation de leurs fonctions

En vertu de la loi du 13 juillet 1983 portant droits et obligations des fonctionnaires, tout agent public, qu'il soit fonctionnaire ou contractuel de droit public, est tenu, lorsqu'il est mis fin à ses fonctions, de saisir la commission de déontologie de la fonction publique préalablement à l'exercice de toute activité à caractère privé . La commission de déontologie identifie les éventuels conflits d'intérêts : elle peut interdire à l'agent d'exercer certaines activités dans le secteur privé ou définir les conditions dans lesquelles ces activités peuvent être exercées.

Des dispositions réglementaires 63 ( * ) précisent la portée de cette obligation et le déroulement de cette procédure en ce qui concerne les collaborateurs du Président de la République. Ainsi :

- d'une part, le collaborateur quittant ses fonctions et qui envisage d'exercer une activité privée est tenu d' en informer par écrit l'autorité dont il relève trois mois au moins avant le début de cette activité ;

- d'autre part, tout nouveau changement d'activité pendant un délai de trois ans à compter de la cessation de fonctions doit faire l'objet de la même démarche.

La commission de déontologie de la fonction publique doit alors être saisie par l'autorité dont relève l'agent 64 ( * ) dans les 15 jours suivant la date à laquelle cette dernière a été informée du projet de l'agent.

Alors que la presse s'est fait l'écho, au cours des dernières semaines, de l'implication d'Alexandre Benalla dans la négociation et la conclusion de contrats de sécurité privée, avant et après son départ de l'Élysée, Patrick Strzoda a informé votre commission le 16 janvier 2019 que la présidence de la République n'avait été rendue destinataire d'aucune déclaration à ce titre . Tout en renvoyant sur Alexandre Benalla la responsabilité de déclarer à la présidence toute nouvelle activité privée, le directeur de cabinet du Président de la République a indiqué avoir écrit à Alexandre Benalla le 11 janvier - ce qui est bien tard ! - pour lui rappeler ses obligations en la matière - obligations qui figuraient d'ailleurs expressément dans son contrat de travail.

Lors de son audition devant votre commission le 21 janvier 2019, Alexandre Benalla a refusé de révéler la nature des activités privées qu'il menait désormais. Il a confirmé qu'il n'avait pas saisi la commission de déontologie de la fonction publique à cette date, indiqué qu'il en envisageait la possibilité avec son conseil, et a cru pouvoir se justifier en avançant qu'il était loin d'être le seul ancien collaborateur du Président de la République à s'être soustrait à cette obligation de saisine.

Vos rapporteurs estiment dès lors indispensable de mieux contrôler le respect des obligations déontologiques applicables aux collaborateurs du Président de la République après la cessation de leurs fonctions. Ces dernières mériteraient d'abord de faire l'objet d'un rappel systématique à la fin des contrats de ces collaborateurs . Les manquements à ces obligations pourraient également donner lieu à des sanctions pénales dissuasives , actuellement absentes, sur le modèle de ce qui est prévu pour garantir le respect des déclarations d'intérêts et de patrimoine auprès de la Haute autorité pour la transparence de la vie publique.

4. Des membres de cabinet qui ne doivent pas interférer avec le fonctionnement de l'administration

Qu'il s'agisse de l'ascendant d'Alexandre Benalla sur des officiers et fonctionnaires de police de la préfecture de police de Paris, ou du rôle joué par Vincent Caure dans la veille et la diffusion de l'information au cabinet du ministre d'État, ministre de l'intérieur, le poids tout particulier de chargés de mission de l'Élysée dans le déroulement des événements de l'« affaire Benalla » en mai et en juillet 2018, amène à s'interroger sur le périmètre des interventions des collaborateurs de la présidence de la République au sein de l'Exécutif - vis-à-vis tant des membres des cabinets ministériels que des responsables d'administration placés sous la seule autorité du Premier ministre et des membres du Gouvernement en vertu de l'article 20 de la Constitution.

Le renforcement actuel de la présidence de la République résulte d'un effet de « ciseau » combinant, d'une part, la faiblesse relative des cabinets ministériels - dont l'effectif est désormais strictement limité en principe 65 ( * ) - et, d'autre part, l' influence croissante des conseillers de l'Élysée - dont plusieurs sont « communs » ou « conjoints » au cabinet du Premier ministre.

Cette pratique originale a été formellement inaugurée dès le début du quinquennat, la circulaire du 24 mai 2017 relative à une méthode de travail gouvernemental exemplaire, collégiale et efficace 66 ( * ) , annonçant que « pour être pleinement efficace la méthode de travail gouvernementale s'appuiera également sur une nouvelle gouvernance entre les cabinets du Président de la République et du Premier ministre avec la nomination de conseillers conjoints. »

Ainsi une dizaine de conseillers sont actuellement « conjoints » 67 ( * )
- c'est-à-dire qu'ils figurent à la fois sur la liste des conseillers membres de cabinet arrêtée par le Président de la République , et sur celle de même nature arrêtée par le Premier ministre .

Cette situation pose des questions en termes de répartition des rôles et des pouvoirs au sein d'un exécutif composé d'un Président de la République et d'un Gouvernement aux responsabilités constitutionnelles articulées mais distinctes. Elle a également des implications en ce qui concerne le contrôle parlementaire de l'Exécutif , seul le Gouvernement étant responsable devant le Parlement.

Disposant de l'administration et de la force armée, le Gouvernement exerce à travers les ministres une autorité politique exclusive sur les directeurs d'administration centrale. Le Premier ministre, le cas échéant à travers son cabinet, prend des décisions et garantit l'unité de l'action gouvernementale. Les arbitrages qui sont donnés directement par lui ou en son nom par ses conseillers figurent dans les relevés de conclusion des réunions interministérielles qui forment la position du Gouvernement (et que l'on appelle communément dans l'administration « les bleus »).

Cette position engage la responsabilité politique du Gouvernement, qui peut être contrôlée, voire mise en cause, par le Parlement.

Mais si, désormais, un conseiller du Président de la République est également conseiller du Premier ministre, un doute peut naître sur le point de savoir si les positions ainsi adoptées restent bien celles du Gouvernement ou s'il ne s'agit pas en réalité de décisions engageant le Président de la République dont la volonté s'exprime à travers l'un de ses collaborateurs.

Or, le Président de la République, par son statut constitutionnel, n'est responsable, ni devant le Parlement, ni sur le plan pénal, pendant la durée de ses fonctions et pour les décisions qu'il prend en vertu de ses compétences constitutionnelles. C'est ce qui le différencie du Gouvernement, la Constitution de 1958 distinguant clairement le titre traitant des responsabilités du Gouvernement de celui relatif à la responsabilité du Président de la République.

Dans ces conditions, pour respecter la distinction constitutionnelle des fonctions présidentielle et gouvernementale, et pour préserver la plénitude du contrôle parlementaire, vos rapporteurs estiment qu'il conviendrait de supprimer le risque de confusion qu'introduit la pratique des conseillers communs aux deux pouvoirs publics constitutionnels que sont le Président de la République et le Premier ministre, et de revenir sur ce point au fonctionnement normal de nos institutions, conformément à notre tradition républicaine.

B. LA SÉCURITÉ DU PRÉSIDENT DE LA RÉPUBLIQUE : UNE MISSION ESSENTIELLE POUR LA CONTINUITÉ DE L'ÉTAT

Les interférences constatées d'un simple chargé de mission n'appartenant pas aux forces de sécurité intérieure dans l'organisation et la mise en oeuvre du dispositif de sécurité de la présidence de la République imposent d'en clarifier et d'en formaliser les règles de fonctionnement, de manière à éviter, à l'avenir, tout nouveau débordement.

La réforme du groupe de sécurité de la présidence de la République et du commandement militaire du palais de l'Élysée récemment initiée peut offrir l'occasion d'y procéder.

1. Réaffirmer la compétence exclusive des forces de sécurité intérieure dans l'organisation et la gestion de la sécurité du Président de la République

La sécurité du Président de la République est assurée par deux entités, aux missions et aux périmètres d'action clairement identifiés.

Le groupe de sécurité de la présidence de la République (GSPR) assure la sécurité du chef de l'État à l'extérieur du palais de l'Élysée, dans le cadre de ses déplacements officiels comme de ses déplacements privés. Le commandement militaire est quant à lui chargé de la sécurisation du palais de l'Élysée et de ses annexes, ainsi que de la sécurité rapprochée du Président de la République et de ses proches à l'intérieur des résidences présidentielles.

Composé d'environ 250 gendarmes de la compagnie républicaine de sécurité de la présidence de la République, mise à disposition par le premier régiment d'infanterie de la garde républicaine, le commandement militaire conserve une organisation stable.

En revanche, le format du GSPR a historiquement varié de manière significative, au gré des changements de Président de la République. En fonction des besoins du président en exercice, il a ainsi été composé, alternativement, de policiers ou de gendarmes, voire, comme cela est le cas depuis 2012, d'équipes mixtes réunissant des représentants des deux forces.

Le nombre d'agents composant le GSPR a également fluctué de manière conséquente, passant par exemple d'une centaine sous Nicolas Sarkozy à 72 aujourd'hui. Le nombre de fonctionnaires du GSPR est en effet adapté, d'une part, au niveau de la menace, d'autre part, à la situation personnelle du chef de l'État et au nombre de personnes à protéger dans son entourage. Comme l'indiquait Michel Besnard, ancien chef du GSPR, lors de son audition devant votre commission, « le Président de la République pour lequel j'ai travaillé avait une famille plus nombreuse, un plus grand nombre d'enfants, que les autres chefs d'État, ce qui a nécessité davantage de fonctionnaires. [...] J'avais pour ma part évalué que pour être bien accomplie, la mission du GSPR exigeait de 90 à 100 fonctionnaires, mais ce nombre a varié car la mission elle-même a varié ».

Si le dispositif de sécurité peut, légitimement, être adapté aux souhaits du chef de l'État, son organisation et son fonctionnement sont censés relever, selon les informations communiquées à votre commission, uniquement de fonctionnaires appartenant aux forces de sécurité intérieure, dûment sélectionnés et formés à cet effet.

Un arrêté du 12 août 2013 relatif aux missions et à l'organisation du service de la protection du ministère de l'intérieur précise que le GSPR est rattaché au service de la protection, qui appartient lui-même à la direction générale de la police nationale.

En vertu de cet arrêté, « les fonctionnaires actifs de la police nationale composant le groupe de sécurité de la présidence de la République [...] sont désignés par le chef de service de la protection parmi les fonctionnaires de la sous-direction de la protection des personnes » 68 ( * ) . Seuls des policiers ayant réussi une épreuve de sélection et ayant satisfait à l'ensemble des obligations de formation spécialisée prévues pour devenir officier de sécurité peuvent donc être nommés au sein du GSPR, qui est un service d'élite auquel seuls les meilleurs agents peuvent avoir accès.

Par ailleurs, bien qu'aucun texte ne le prévoie, il a été précisé à votre commission que seuls des gendarmes détachés du groupe d'intervention de la gendarmerie nationale (GIGN), et donc spécialement formés et sélectionnés pour exercer des missions d'officier de sécurité, peuvent être nommés au sein du GSPR.

Ces règles ne paraissent pourtant pas avoir suffi, en pratique, à faire obstacle à plusieurs interférences d'Alexandre Benalla .

À l'occasion de leur audition devant votre commission, les représentants de la fédération de policiers Force ouvrière ont déclaré : « Il semblerait selon certains qu'un groupe de personnes privées, des civils hors de toute hiérarchie policière ou militaire, agisse au sein du GSPR. Il s'agirait de véritables barbouzes agissant sans habilitation, des vigiles employés par M. Benalla ! ». Votre commission n'a toutefois pas été en mesure de vérifier l'exactitude de ces informations, aucun élément factuel ne lui ayant, malgré sa demande, été apporté.

En revanche, plusieurs témoignages indiquent qu'Alexandre Benalla aurait influé sur certains recrutements au sein des dispositifs de sécurité de la présidence de la République.

Il paraît tout d'abord établi que l'ancien chargé de mission de la présidence de la République a joué un rôle central dans le recrutement de son ancien camarade et ami Vincent Crase à la tête de la cellule de réserviste créée au sein du commandement militaire du palais de l'Élysée. Interrogé par votre commission, le Général Bio Farina indiquait ainsi, lors de son audition le 12 septembre 2018 : « Lorsque j'ai évoqué ce projet avec M. Benalla, il m'a suggéré le profil de Vincent Crase, qu'il connaissait et dont le parcours dans la réserve opérationnelle de la gendarmerie apparaissait exemplaire. Fort de ces garanties, j'ai recruté M. Crase, dont les fonctions, comme officier supérieur de gendarmerie, consistaient à gérer l'équipe de réservistes en cours de constitution, soit, concrètement, à planifier les convocations - tâche délicate considérant qu'il convient d'articuler lesdites convocations avec les contraintes professionnelles des réservistes - et à assurer la surveillance et le contrôle de la cellule ».

Par ailleurs, alors même que le recrutement des agents du GSPR ne relève, en théorie, que du chef du GSPR, au moins un agent aurait été recruté au sein du GSPR après avoir été recommandé par Alexandre Benalla . Lors de son audition devant votre commission le 19 septembre 2018, ce dernier, interrogé sur l'influence qu'il aurait pu avoir sur les recrutements internes à l'Élysée, indiquait ainsi : « Sans émettre, à proprement parler, un avis, j'ai pu dire le bien que je pensais d'une personne, en soulignant qu'il s'agissait d'un grand professionnel et qu'il serait bon qu'il rejoigne les rangs du GSPR. Ce policier a été soumis aux tests, au processus de sélection normal ; il disposait de toutes les compétences requises, et il a été recruté ».

Il a également été indiqué à votre commission qu'en sus des quinze officiers de sécurité mis à disposition d'Emmanuel Macron par le service de la protection au cours de la campagne présidentielle, une personne ayant appartenu au dispositif de sécurité du mouvement En Marche !, alors dirigé par Alexandre Benalla, aurait également été recrutée au sein du GSPR.

Votre commission n'a pu établir si l'emploi de cette personne au sein du GSPR a été ou non consécutif à une recommandation de l'ancien chargé de mission du Président de la République.

Force est néanmoins de constater que ce recrutement n'a pas été fait dans le respect des règles habituellement applicables au GSPR . Lors de son audition au Sénat, le Général Lionel Lavergne a précisé qu'il s'agissait d'un ancien agent du GIGN, qui avait fait valoir ses droits à la retraite et s'était reconverti dans la sécurité privée. Ayant dépassé la limite d'âge pour servir dans le GIGN, et donc être affecté par la voie normale au GSPR, il aurait été engagé en tant que sous-officier commissionné, c'est-à-dire sous contrat.

Vos rapporteurs ne remettent pas en cause les compétences de ce professionnel, ancien militaire de la gendarmerie nationale et formé, par le passé, à la protection des hautes personnalités. Ils constatent toutefois que le seul fait qu'il ait pu être intégré au sein du dispositif de sécurité du Président de la République révèle les limites du cadre réglementaire applicable à l'organisation et à la composition du GSPR, qui ne paraît pas garantir que seuls des policiers et gendarmes d'active dûment formés et sélectionnés puissent y être nommés.

Force est en effet de constater qu'en l'état du droit, aucun texte ne régit, de manière globale, la composition et le fonctionnement du GSPR et n'impose, malgré la pratique constante, que celui-ci ne soit composé que de fonctionnaires de police et de militaires de la gendarmerie. L'arrêté du 12 août 2013 précité ne précisant que les règles de sélection applicables aux fonctionnaires de police et aucun texte ne fixant les règles applicables à la gendarmerie, rien ne s'opposerait donc, réglementairement, à ce que des personnels venus d'autres horizons soient recrutés au sein du GSPR.

De l'avis de votre commission, l'adoption d'un cadre juridique spécifique et unique précisant les règles de composition et de fonctionnement du GSPR ainsi que les modalités de recrutement des officiers de sécurité qui y sont affectés permettrait d'éviter que puissent, à l'avenir, être nommés au sein du GSPR, sur simple recommandation, des agents n'appartenant pas aux forces de sécurité intérieure ou ne remplissant pas les conditions de formation et d'entraînement requises.

Au demeurant, bien que le GSPR constitue, en vertu de l'arrêté précité, une entité du service de la protection, le chef de ce même service ne dispose pas d'une connaissance complète de l'ensemble de ses membres.

Dans une note adressée à votre commission le 28 septembre 2018, l'inspecteur général Frédéric Auréal, chef du service de la protection (SDLP) au ministère de l'intérieur, a indiqué : « S'il est décidé que le GSPR est uniquement composé de policiers, le lien organique et le mode de sélection parmi les officiers de sécurité de la sous-direction de la protection des personnes permettent au chef du SDLP de disposer d'une connaissance complète des profils et des modes de gestion administrative des membres du groupe. S'il est décidé que le groupe est composé à parité de policiers et de gendarmes, le chef du SDLP n'a connaissance que de la partie policière du dispositif. [...] Enfin, s'il est décidé que le GSPR est composé uniquement de militaires ou de personnels d'autres horizons, le chef du SDLP n'a aucune vision d'ensemble ». Ainsi, le chef du service de la protection ne dispose d'un droit de regard que sur la partie policière du dispositif, la partie militaire relevant de la seule direction générale de la gendarmerie nationale.

De manière à garantir le respect des règles de recrutement au sein des dispositifs de sécurité de la présidence de la République, votre commission recommande que le chef du SDLP soit destinataire de la liste complète des membres composant le GSPR, y compris lorsqu'il s'agit de gendarmes.

La transmission d'une telle information constituerait un garde-fou contre toute tentative de contournement du cadre réglementaire , mais n'emporterait aucune conséquence en termes de gestion administrative des personnels militaires, qui demeurerait de la compétence de la direction générale de la gendarmerie nationale.

Outre la clarification des règles de recrutement au sein des dispositifs de sécurité de la présidence de la République, vos rapporteurs estiment enfin nécessaire qu'une plus grande attention soit portée par la présidence de la République et le ministère de l'intérieur aux affectations de réservistes opérationnels de la gendarmerie nationale au sein du commandement militaire du palais de l'Élysée.

Comme indiqué précédemment, les informations révélées par la presse et les déclarations du président de la société Velours laissent à penser que Vincent Crase aurait, contrairement à ses déclarations devant votre commission le 21 janvier, été impliqué dans la négociation du contrat de protection conclu pour le compte de l'oligarque russe Iskander Makhmudov dès le mois de mars 2018, alors qu'il était encore régulièrement mobilisé, en tant que réserviste, au sein du commandement militaire du palais de l'Élysée.

Il n'appartient pas à votre commission de faire la lumière sur les conditions de conclusion de ce contrat, sur lequel une enquête préliminaire a été ouverte. Pour autant, il apparaît particulièrement regrettable que la présidence de la République, en particulier le chef du commandement militaire du Palais, ne se soit, à aucun moment, assuré que les réservistes recrutés au sein du commandement militaire pour assurer des missions de sécurité ne se trouvaient pas dans une situation potentielle de conflit d'intérêts. Selon Vincent Crase, ni le ministère de l'intérieur, ni l'Élysée ne se sont en effet informés des éventuelles activités de sécurité qu'il exerçait en dehors de ses mobilisations au sein du commandement militaire. Or, il ne fait aucun doute que l'exécution de prestations de sécurité privée pour le compte d'un oligarque russe est incompatible avec les exigences de sécurité du chef de l'État.

Si l'engagement dans la réserve opérationnelle de la gendarmerie nationale n'est, par principe, pas incompatible avec l'exercice d'activités privées 69 ( * ) , il n'en demeure pas moins nécessaire, de l'avis de vos rapporteurs, qu'eu égard à la sensibilité des postes occupés par les réservistes au sein du commandement militaire du palais de l'Élysée (gestion des accès), la présidence de la République requiert systématiquement, préalablement à leur affectation, la liste des activités professionnelles qu'ils exercent.

2. Réformer le dispositif de sécurité du Président de la République sans rompre le lien avec le ministère de l'intérieur

La présidence de la République a lancé, au début de l'année 2018, un projet de réforme de ses services de sécurité destiné, selon les personnels de l'Élysée entendus par votre commission, à pallier les difficultés organisationnelles et budgétaires soulevées par la Cour des comptes à l'occasion de ses derniers rapports sur les comptes et la gestion des services de la présidence de la République.

Le contrôle de la Cour des comptes
sur les comptes et la gestion des services de l'Élysée

Depuis 2009, la Cour des comptes procède au contrôle annuel des comptes et de la gestion des services de la présidence de la République.

À l'occasion de ses derniers rapports, elle a souligné les limites de l'organisation actuelle des services de la présidence de la République, parmi lesquels les services de sécurité, en termes de gouvernance, de management, de systèmes et d'outils de gestion. Ont notamment été relevés l'éclatement et le cloisonnement des services ainsi qu'une articulation perfectible entre le cabinet du chef de l'État et les services de la présidence.

La Cour a, par ailleurs, regretté le manque de transparence dans la présentation des dépenses liées au dispositif de sécurité de la présidence de la République, dont le budget n'intègre pas l'ensemble des coûts de la sécurité, une partie demeurant financée par le ministère de l'intérieur.

Sur la base de ces constats, la présidence de la République a engagé, sous l'impulsion d'Emmanuel Macron, un projet de réorganisation de ses services . Comme l'indique le rapport de la Cour des comptes sur l'exercice 2017, la structuration des services intervenant dans les champs de la sécurité a été définie comme un axe prioritaire.

Est notamment envisagée, dans ce cadre, la création d'une direction de la sécurité de la présidence de la République qui réunirait, au sein d'un même service, le GSPR et le commandement militaire du palais.

Comme le résumait le Général Lionel Lavergne devant votre commission, « cette réflexion a pour but de rapprocher les deux services qui assurent la sécurité de la présidence à l'extérieur - le GSPR - et à l'intérieur - le commandement militaire. [...] Il s'agit non de fusionner la sécurité intérieure avec la sécurité extérieure mais de créer une synergie entre ces deux composantes. [...] Voilà des années en effet que la Cour des comptes reproche à l'Élysée son manque de clarté dans l'imputation budgétaire des actions de sécurité : il est temps de se doter d'une organisation permettant de dire le coût de chacune d'entre elles » .

De la même manière, le directeur de cabinet du chef de l'État, Patrick Strzoda, a précisé devant votre commission que le projet de création d'une direction unique aurait pour principal objectif d'« améliorer les convergences opérationnelles et mutualiser certains coûts » entre le GSPR et le commandement militaire.

Lors de leur audition au Sénat, plusieurs représentants syndicaux ont indiqué que l'Élysée envisagerait, par le biais de cette réforme, de procéder à une autonomisation de ses dispositifs de sécurité du ministère de l'intérieur.

Selon le secrétaire général du syndicat indépendant des commissaires de police, « ce projet a été présenté voilà quelques mois à l'ensemble des organisations syndicales comme un fait accompli. Comme souvent avec les projets présidentiels, c'était non négociable. La direction générale de la police nationale expliquait que le cordon serait coupé avec le service de la protection (SDLP), pour prévoir plus de souplesse dans les recrutements. La fusion avec les autorités militaires de l'Élysée aurait aussi pour but de diversifier les profils : il était question de contractuels, d'anciens militaires, voire d'anciens agents de la DGSE, afin d'avoir un panel de qualités complémentaires, au motif que les policiers et gendarmes ne suffiraient pas pour accomplir les missions actuelles ».

Lors du lancement, au printemps 2018, du projet de réforme, soit bien avant que n'éclate l'« affaire Benalla», plusieurs médias ont publié des informations sur la perspective d'autonomisation du pôle de sécurité de la présidence de la République. Dans un article en date du 17 avril 2018 intitulé « L'Élysée réforme sa sécurité » , Le Point indiquait ainsi que le GSPR serait « désormais officiellement détaché du service de la protection (SDLP) dirigé depuis la place Beauvau pour être sous la direction du nouveau pôle de sécurité de l'Élysée », ajoutant que « la principale innovation [...] sera un recrutement plus ouvert pour les policiers qui souhaitent postuler au GSPR. Les candidats feront l'objet de tests supervisés directement par la sécurité de l'Élysée et ne seront plus choisis par l'actuel patron du SDLP, Frédéric Auréal ».

Certaines déclarations d'Alexandre Benalla ne manquent pas, à cet égard, de questionner les intentions réelles de ce projet de réforme . Selon les propos rapportés par le journal du dimanche , Alexandre Benalla aurait ainsi défendu « l'idée d'une sécurité présidentielle autonome, affranchie de la tutelle du ministère de l'intérieur, sur le modèle américain » et aurait indiqué : « On a formé des groupes de travail, avec des membres du GSPR, des militaires et des experts de l'extérieur pour évoquer la formation, le budget, l'équipement... Mais il y a eu une opposition nette au ministère de l'intérieur. Dès qu'il a fallu discuter avec eux, tout s'est bloqué ».

L'ancien chargé de mission aurait, de la même manière, affirmé, à l'occasion de son entretien au Journal Le Monde à la fin du mois de juillet : « Deux entités concourent à la même mission : le commandement militaire, la gendarmerie, et de l'autre, le GSPR. Le GSPR, c'est l'enfant terrible de l'Élysée. Il y a des incohérences qui, pour moi, sont complètement incroyables. Si demain il y a une cohabitation, vous avez la sécurité qui est sous la main du ministre de l'intérieur » .

Cette dernière assertion surprend car la présidence de la République est la seule autorité d'emploi du GSPR, le ministère de l'intérieur et celui de la défense se bornant à mettre à sa disposition les moyens humains et matériels nécessaires. Jamais aucune entorse à ce mode de fonctionnement qui garantit pleinement la sécurité, l'autonomie et, s'il y a lieu, la confidentialité des déplacements présidentiels n'a été relevée pendant les neuf années de cohabitation traversées par la V ème République depuis 1986.

À l'opposé de ces déclarations, les collaborateurs du Président de la République entendus par votre commission ont, quant à eux, fermement démenti toute intention de remettre en cause les principes de la sécurité présidentielle . La réforme ne poursuivrait, selon eux, qu'une logique de rationalisation administrative et budgétaire, mais n'aurait en aucun cas pour objectif de couper le cordon avec le ministère de l'intérieur ni bien sûr de mettre en place une « milice privée », à la seule main de l'Élysée. Lors de son audition, le directeur de cabinet du chef de l'État a ainsi assuré, sous serment, que « cette entité serait exclusivement constituée de fonctionnaires de police et de gendarmerie. Nous sommes loin des accusations de milice privée ! ».

Le 16 janvier 2019, il a réitéré sa position devant votre commission en indiquant : « Lorsque le projet a été présenté, certains ont dû se dire que leur position dans l'institution serait peut-être remise en cause ; un procès nous a été intenté, nous accusant de vouloir couper le lien avec le ministère de l'intérieur, alors que les personnes qui assurent la sécurité du Président de la République sont et resteront des policiers et des gendarmes. Deuxième procès d'intention : nous aurions voulu créer une garde prétorienne, une milice barbouzarde, autour du Président de la République. Évidemment, nous avons immédiatement démenti ».

Les mêmes informations ont d'ailleurs été communiquées à votre commission dans le cadre de l'examen du projet de loi de finances pour 2019. Parmi les réponses au questionnaire budgétaire relatif à la mission « Pouvoirs publics », il lui a en effet été indiqué que les effectifs de la future direction de la sécurité de la présidence de la République « seront composés de policiers et de gendarmes qui relèvent pour leur gestion administrative du ministère de l'intérieur ».

Le projet de création
d'une direction de la sécurité de la présidence de la République

La création d'une direction de la sécurité de la présidence de la République (DSPR) s'inscrit dans le cadre d'une réforme plus large des services de l'Élysée, qui devait aboutir au 1 er janvier 2019.

Selon les informations dont dispose votre commission, elle poursuivrait quatre objectifs principaux :

- renforcer le niveau de sécurité en créant une continuité dans l'espace et dans le temps et une continuité de commandement ;

- rationaliser l'organisation de la sécurité en regroupant tout ce qui concerne la sécurité du Président de la République au sein d'un seul service ;

- optimiser les moyens en créant des synergies et en mutualisant ;

- améliorer la sincérité budgétaire des comptes de l'Élysée, en affichant l'ensemble des coûts de la sécurité de la présidence de la République.

La DSPR est désormais composée de trois entités , pilotées par un état-major unifié . Deux d'entre elles correspondent au commandement militaire et au groupe de sécurité de la présidence de la République (GSPR). Un troisième serait chargé de la gestion des moyens logistiques sécurisés.

Il a été indiqué à votre commission que la création de la DSPR s'accompagnerait d'une remise à niveau des moyens capacitaires , qui concernerait aussi bien les hommes, leur formation et leurs équipements (parc automobile, armement, outils de communication).

Votre commission n'a pas été en mesure, sur la base des informations qu'elle a recueillies, de clarifier le contenu de projet initial et de savoir si l'Élysée a envisagé ou non de procéder à une autonomisation des dispositifs de sécurité à la présidence de la République.

En tout état de cause, que cette hypothèse ait été ou non envisagée, il ne fait aucun doute qu' une telle évolution, si elle avait dû être mise en oeuvre, aurait risqué de déséquilibrer profondément l'organisation de la sécurité du Président de la République .

Bien que, au moment où votre commission a conduit ses auditions, il n'ait pas été consulté officiellement sur le projet de réforme, la phase des négociations interministérielles ne devant, selon les informations communiquées par le Général Éric Bio Farina, intervenir que dans un second temps, le ministère de l'intérieur s'est, devant votre commission, fermement opposé à ce que tout lien soit coupé entre l'Élysée et lui pour l'organisation de la sécurité présidentielle .

Lors de son audition devant votre commission, Gérard Collomb, alors ministre d'État, ministre de l'intérieur, a ainsi déclaré : « Nous savions qu'il existait un projet de réforme ; ma principale recommandation au Président et à son cabinet portait sur la nécessité de maintenir un lien organique entre la nouvelle structure et le ministère de l'intérieur - les recrutements et la gestion du personnel devaient rester au ministère, afin d'éviter d'aboutir à une sécurité de la présidence déconnectée du reste de l'État ».

Deux arguments principaux militent, selon les représentants du ministère de l'intérieur entendus par votre commission, en faveur du maintien d'un lien entre les entités assurant la sécurité du chef de l'État et le ministère de l'intérieur .

Ce rattachement apparaît, d'une part, nécessaire afin de garantir que soient recrutés au sein du GSPR comme du commandement militaire et, à terme, au sein de la nouvelle direction de la sécurité de la présidence de la République, des fonctionnaires appartenant aux forces de sécurité intérieure et ayant suivi une formation et une préparation adéquates, comme l'ensemble des policiers et gendarmes affectés à la protection rapprochée des hautes personnalités.

D'autre part, comme l'a indiqué Stéphane Fratacci, directeur de cabinet de Gérard Collomb lorsqu'il était ministre d'État, ministre de l'intérieur, il est indispensable que « la protection du Président de la République lors de ses déplacements soit toujours parfaitement interopérable avec les autres forces de sécurité intérieure, comme les commandements de gendarmerie, ou quand d'autres unités du service de la protection (SDLP) ou de CRS sont requises pour compléter des dispositifs lorsque le Président de la République visite ou reçoit d'autres chefs d'État ».

Si la réunion des deux services assurant la sécurité du chef de l'État au sein d'une même direction ne soulève, en soi, pas de difficulté majeure et pourrait même se révéler source d'économies et d'efficacité, son rattachement organique au service de la protection du ministère de l'intérieur et son encadrement par des personnes appartenant aux forces de sécurité intérieure sont indispensables et mériteront d'être clairement réaffirmés à l'occasion de la réforme. Il ne faudrait pas en venir, comme le laissaient entendre les propos tenus par Alexandre Benalla, à mettre en place pour la sécurité du Président de la République, et donc aussi des autres pouvoirs constitutionnels, Gouvernement et assemblées parlementaires, des dispositifs qui ne seraient pas intégralement composés de fonctionnaires civils et militaires de l'État appartenant à la police et à la gendarmerie, soumis aux exigences de l'État de droit républicain, sélectionnés, formés, entraînés, encadrés et évalués dans le strict respect des règles applicables à leur corps, sous la responsabilité des administrations qui en ont la charge. L'organisation héritée de la tradition républicaine assure la double garantie d'une sécurité de haut niveau et du respect du cadre républicain. Cette double garantie ne saurait provenir de la création d'une garde présidentielle.

Vos rapporteurs notent d'ailleurs que, loin d'être spécifique à la France, ce modèle prévaut dans nombre de démocraties. À l'exception des États-Unis qui, eu égard à la spécificité de leur régime politique, ont créé un service relativement autonome pour assurer la sécurité de leur Président, la sécurité du chef d'État et/ou du Gouvernement est généralement assurée, dans les démocraties parlementaires européennes, par des services de protection rattachés au ministère de l'intérieur et composés exclusivement de membres des forces de sécurité intérieure.

La protection rapprochée du chef de l'État ou de gouvernement à l'étranger

Les dispositifs assurant la protection rapprochée des hautes personnalités de l'État varient d'un pays à l'autre et présentent des caractéristiques propres à l'histoire de chacun d'entre eux.

Dans quatre cas étudiés par votre commission à l'aide des informations fournies par le ministère de l'Europe et des affaires étrangères - les États-Unis, le Royaume-Uni, l'Italie et l'Allemagne -, il existe pourtant, à l'exception du modèle américain, qui présente des spécificités, deux principaux points de convergence , au-delà des différences d'organisation et de structures :

- en premier lieu, la protection du chef de l'État et/ou du chef du Gouvernement est assurée par des services systématiquement rattachés au ministère en charge de la sécurité intérieure , avec un degré d'autonomie plus ou moins important selon les cas.

Au Royaume-Uni, la protection de la famille royale comme du Premier ministre est assurée par un service spécifique du Metropolitan Police Service , force de police ayant compétence générale sur l'agglomération de Londres et qui dépend du Home Office .

En Italie, la sécurité du Président de la République dépend, selon les textes législatifs et réglementaires qui la régissent, du ministre de l'intérieur, même si, comme en France, une entité dédiée à la sécurité est intégrée au sein des services de la présidence. Il en est de même pour la protection du Président du Conseil et des autres membres du Gouvernement.

En Allemagne, le dispositif de protection de la Chancelière et des membres du Gouvernement est, de la même manière, piloté uniquement par l'office fédéral de la police criminelle ( Bundeskriminalamt) ;

- en second lieu, dans ces trois pays, la protection du chef de l'État et/ou du chef du Gouvernement est assurée exclusivement par des membres des forces de sécurité intérieure , dûment recrutés et formés à cet effet.

Au Royaume-Uni, la protection de la famille royale comme celle du Premier ministre sont assurées par des agents de police affectés à des missions de protection de hautes personnalités qui sont nommés à l'issue d'un processus de sélection spécifique et suivent des formations internes et adaptées aux missions qui leur sont confiées.

En Italie, la protection rapprochée du chef de l'État et des membres du Gouvernement est assurée exclusivement par des fonctionnaires de police et des militaires de l'arme des carabiniers.

Enfin, en Allemagne, seuls des agents recrutés et formés par l'office fédéral de la police criminelle peuvent être affectés à la sécurité rapprochée des hautes personnalités politique.

Les États-Unis disposent quant à eux, du fait de la particularité de leur régime présidentiel, d'un modèle plus spécifique. La protection rapprochée du Président est en effet confiée à une agence fédérale, le United States Secret Service, entièrement dédiée à la protection rapprochée du Président, de sa famille ainsi que des anciens présidents. Bien que rattachée au Département of Homeland Security , cette agence dispose d'une autonomie plus large.

Le United States Secret Service n'est pas composé d'agents des forces de sécurité intérieure à proprement parler, mais d'agents fédéraux spécifiquement recrutés et formés à cet effet. Il n'a, en tout état de cause, pas recours à des agences ou compagnies privées pour la protection rapprochée du Président, sauf lors de déplacements dans des pays présentant un risque sécuritaire élevé, au sein desquels des contrats ont été conclus avec des agences de sécurité privée, qui apportent généralement un support logistique.

C. QUEL CONTRÔLE PARLEMENTAIRE AU REGARD DU PRINCIPE DE LA SÉPARATION DES POUVOIRS ?

Les travaux menés par votre commission, dotée de pouvoirs d'une commission d'enquête, ont suscité de vives réactions à l'Élysée comme au sein du Gouvernement au motif qu'ils auraient porté atteinte au principe constitutionnel de séparation des pouvoirs.

Au-delà des débats doctrinaux, ces réactions ont fait ressortir la nécessité de réaffirmer l'étendue du contrôle parlementaire qui trouve son fondement dans la Déclaration des droits de l'homme et du citoyen et sa traduction dans la Constitution.

1. Des travaux dont le déroulement a donné lieu à une interprétation erronée du principe de la séparation des pouvoirs

Dès le mois de juillet, votre commission, malgré les pouvoirs d'enquête dont elle avait été dotée, a été confrontée à de réelles difficultés pour organiser ses travaux et obtenir les informations nécessaires à la poursuite de sa mission.

Bien qu'ils aient, comme ils en avaient l'obligation, déféré à la convocation qui leur avait été adressée, les fonctionnaire civils et militaires de la présidence de la République entendus par votre commission ont tous rappelé à l'occasion de leur audition, d'une part, que leur présence ne se justifiait que parce qu'elle avait été autorisée par le Président de la République lui-même, d'autre part, que le principe de séparation des pouvoirs leur interdirait de répondre à toute question portant sur l'organisation interne de la présidence de la République.

Au nom de l'indépendance de l'administration de la présidence de la République, plusieurs documents dont votre commission avait demandé la communication lui ont par ailleurs été refusés dans un premier temps, parmi lesquels les bulletins de paie d'Alexandre Benalla, le montant de sa rémunération, qui apparaissait pourtant dans les médias, ainsi que les notes de service portant fiche de poste 70 ( * ) . Dans un courrier daté du 1 er août 2018, le secrétaire général de la présidence de la République, Alexis Kohler, justifiait ainsi ce refus :

« L'article 51-2 de notre Constitution relatif aux commissions d'enquête prévoit que des commissions d'enquête peuvent être créées « pour l'exercice des missions de contrôle et d'évaluation définies au premier alinéa de l'article 24 ». Ce premier alinéa de l'article 24 dispose que « le Parlement vote la loi. Il contrôle l'action du Gouvernement. Il évalue les politiques publiques ». Ainsi notre Constitution prévoit que les commissions d'enquête permettent au Parlement d'exercer son contrôle sur l'action du Gouvernement. Dans le même temps, le principe de la séparation des pouvoirs ne permet pas à l'une des deux assemblées d'exercer ces pouvoirs à l'égard du Président de la République par ailleurs soumis au titre IX de la Constitution. Ainsi que l'a jugé le Conseil constitutionnel, son autonomie financière, comme pour tout pouvoir public constitutionnel, garantit cette séparation des pouvoirs.

« Dès lors que les documents dont vous demandez la communication ne sont pas relatifs à « l'action du Gouvernement », rien n'impose, en application de la Constitution, leur transmission à votre commission ».

Si votre commission a, à force de persévérance, obtenu en définitive la communication de la plupart des documents demandés, cette position, qui n'a pas manqué de compliquer ses travaux, n'était, de l'avis de vos rapporteurs, pas justifiée sur le plan constitutionnel.

Il convient, en premier lieu, de rappeler que le champ des investigations de la commission ne portait pas sur l'organisation interne de la présidence de la République, mais bien sur le fonctionnement et les moyens de services dépendant du Gouvernement.

Les missions de maintien de l'ordre ainsi que les missions de protection du chef de l'État, sur lesquelles votre commission a concentré ses travaux, incombent en effet à des services qui relèvent tous du Gouvernement, et qui entraient, dès lors, pleinement dans le champ de contrôle du Parlement. Les entités composant le dispositif de sécurité de la présidence de la République, qu'il s'agisse du GSPR comme du commandement militaire, sont en effet organiquement rattachées au ministère de l'intérieur et seulement mis à disposition de la présidence de la République, autorité d'emploi.

Dès lors, en requérant des informations, y compris sur les missions réelles exercées par Alexandre Benalla, dans le but de contrôler l'organisation et le fonctionnement du dispositif de sécurité de la présidence de la République, votre commission a agi conformément aux dispositions de l'article 24 de la Constitution et n'a, à aucun moment, méconnu le principe de la séparation des pouvoirs.

En second lieu, rien ne s'oppose juridiquement, contrairement aux propos tenus par les proches collaborateurs du Président de la République, à ce qu'un collaborateur du chef de l'État soit entendu par une commission parlementaire, qu'elle soit ou non dotée de pouvoirs d'enquête.

En effet, aux termes de l'article 6 de l'ordonnance n° 58-1100 du 17 novembre 1958 relative au fonctionnement des assemblées parlementaires, « toute personne dont une commission d'enquête a jugé l'audition utile est tenue de déférer à la convocation qui lui est délivrée, si besoin est, par un huissier ou un agent de la force publique, à la requête du président de la commission ».

L'article 5 bis de la même ordonnance dispose qu'« une commission spéciale ou permanente peut convoquer toute personne dont elle estime l'audition nécessaire, réserve faite, d'une part, des sujets de caractère secret et concernant la défense nationale, les affaires étrangères, la sécurité intérieure ou extérieure de l'État, d'autre part, du respect du principe de la séparation de l'autorité judiciaire et des autres pouvoirs ».

La responsabilité du chef de l'État n'étant susceptible d'être mise en cause par le Parlement que selon la procédure prévue par l'article 68 de la Constitution et « en cas de manquement à ses devoirs manifestement incompatible avec l'exercice de son mandat », il est admis que le chef de l'État en exercice et les anciens présidents de la République ne puissent être convoqués par une commission parlementaire.

Leurs collaborateurs et anciens collaborateurs peuvent en revanche être entendus dès lors que ces auditions apparaissent nécessaires pour exercer le contrôle de services dépendant du Gouvernement et s'assurer du respect des prérogatives constitutionnelles du Gouvernement.

Avant les travaux menés par votre commission, un certain nombre de collaborateurs de précédents présidents de la République avaient d'ailleurs été entendus par des commissions parlementaires.

Exemples d'auditions de collaborateurs et anciens collaborateurs de l'Élysée
par des commissions parlementaires

L'audition de collaborateurs et anciens collaborateurs de l'Élysée par une commission parlementaire a, lorsque les premiers cas se sont présentés, fait l'objet de quelques hésitations.

Ainsi, Michel Jobert, secrétaire général de l'Élysée, avait refusé, en 1972, d'être entendu par la commission d'enquête sur le fonctionnement de sociétés civiles de placement immobilier et leurs rapports avec le pouvoir politique.

En 1992, Georgina Dufoix, chargée de mission, et Pierre Mutin, conseiller technique, à la présidence de la République avaient accepté mais Gilles Ménage, directeur de cabinet du Président de la République, avait refusé d'être entendus par la commission d'enquête sur les conditions dans lesquelles il a été décidé d'admettre sur le territoire français M. George Habache, dirigeant du Front populaire de libération de la Palestine.

En dépit de ces interrogations initiales, les collaborateurs du chef de l'État ont, par la suite, selon une jurisprudence constante et établie, répondu aux convocations des commissions parlementaires.

Le 13 décembre 2007, Claude Guéant, secrétaire général de la présidence de la République, et Boris Boillon, conseiller technique pour l'Afrique du Nord, le Proche et le Moyen-Orient au cabinet du Président de la République, ont été entendus par la commission d'enquête de l'Assemblée nationale sur les conditions de libération des infirmières et du médecin bulgares détenus en Libye et sur les récents accords franco-libyens.

En 2009, le directeur de cabinet du Président de la République a été entendu par la commission des finances de l'Assemblée nationale sur les études commandées par la Présidence de la République même si le Bureau de l'Assemblée nationale, sur proposition de sa commission des lois et suivant l'avis du garde des sceaux, avait pris la décision, contestée par l'opposition et la doctrine, de déclarer irrecevable une proposition de résolution tendant à la création d'une commission d'enquête sur des études commandées et financées par la présidence de la République, en raison du risque de mise en cause de la responsabilité politique du chef de l'État.

Le 18 juin 2013, Alain Zabulon, directeur de cabinet adjoint du Président de la République, a été entendu par la commission d'enquête de l'Assemblée nationale relative aux éventuels dysfonctionnements dans l'action du Gouvernement et des services de l'État, entre le 4 décembre 2012 et le 2 avril 2013, dans la gestion d'une affaire qui a conduit à la démission d'un membre du Gouvernement (« affaire Cahuzac »).

Au regard des débats et des difficultés soulevés lors de ses travaux, votre commission estime nécessaire de clarifier l'étendue des pouvoirs de contrôle du Parlement sur l'Exécutif dans ses deux composantes.

Les services de la présidence de la République sont d'ores et déjà, et ce en dépit du principe d'irresponsabilité du chef de l'État, soumis à des contrôles, ce qui est sain du point de vue de notre démocratie. La séparation des pouvoirs ne doit pas interdire le contrôle, qui n'induit aucune confusion dans le partage des responsabilités publiques, bien au contraire.

Depuis 2009, la Cour des comptes procède ainsi au contrôle annuel des comptes et de la gestion des services de la présidence de la République , dans le cadre des dispositions des articles L. 111-2 71 ( * ) et L. 111-3 72 ( * ) du code des juridictions financières. À ce titre, elle a accès à un grand nombre de documents, comme par exemple les effectifs, l'organigramme et les rémunérations des personnels employés à la présidence de la République.

Le Parlement assure lui aussi un contrôle budgétaire des services de la présidence de la République. Ainsi, les commissions des finances des deux assemblées de même que les commissions des lois, saisies pour avis, adressent chaque année, dans le cadre de l'examen de la mission « Pouvoirs publics » de la loi de finances, un questionnaire écrit et procèdent à des auditions concernant la gestion des services de la présidence de la République.

Il convient, au demeurant, de préciser que, selon les informations recueillies par votre commission auprès de la Commission d'accès aux documents administratifs (CADA), les documents administratifs produits par les services de l'Élysée ne sont pas soumis à un régime juridique dérogatoire, mais bien susceptibles de constituer des documents administratifs communicables à toute personne au titre du droit d'accès aux documents dont chaque citoyen peut se prévaloir.

Sur le plan judiciaire également , l'irresponsabilité juridictionnelle ainsi que l'inviolabilité reconnue au chef de l'État par l'article 67 de la Constitution ne s'étend pas à ses collaborateurs, sauf pour les actes effectués au nom et sur les ordres du Président de la République. Dans un arrêt du 19 décembre 2012, la Cour de cassation a ainsi considéré que « la protection [...] du chef de l'État ne peut pas s'étendre à l'ensemble des actes et faits commis par les services et personnels de la présidence de la République » 73 ( * ) .

L'irresponsabilité reconnue au chef de l'État ne bénéficie ainsi ni à ses collaborateurs, ni aux services de la présidence de la République.

De la même manière, la consécration d'un contrôle parlementaire des services de la présidence de la République n'impliquerait pas de remettre en cause les principes de la responsabilité du Président de la République tels qu'ils découlent de l'article 68 de la Constitution. Les actes pris par le chef de l'État en vertu de ses pouvoirs constitutionnels demeureraient en effet exclus de tout contrôle, sauf, bien entendu, à ce que soit mise en oeuvre la procédure de destitution devant la Haute Cour « en cas de manquement à ses devoirs manifestement incompatible avec l'exercice de son mandat ».

En revanche, rien ne semble s'opposer à ce que les actes relevant de la gestion administrative de l'Élysée, qu'il s'agisse de la gestion des personnels, de l'organisation des services ou encore de la passation de marchés publics, fassent l'objet d'un contrôle par la représentation nationale, au même titre que tout autre service administratif. Eu égard à la spécificité de l'administration élyséenne, des modalités particulières d'exercice de ce contrôle pourraient, bien entendu, être mises en oeuvre.

De l'avis de vos rapporteurs, les anomalies constatées, dans le cadre de l'« affaire Benalla », en matière de gestion des emplois contractuels comme d'organisation des dispositifs de sécurité ne font d'ailleurs que confirmer l'intérêt d'une telle reconnaissance.

En outre, sur le plan des principes, on se demanderait en vertu de quel raisonnement un contrôle de l'autorité judiciaire, un contrôle de la Cour des comptes et un contrôle d'une autorité administrative indépendante seraient admis tandis qu'un contrôle parlementaire devrait être exclu, alors même que la représentation nationale agit au nom du peuple français pour permettre à la société, comme le prévoit l'article 15 de la Déclaration des Droits de l'Homme et du Citoyen, de « demander compte à tout agent public de son administration ». Les prérogatives des commissions d'enquête parlementaires sont clairement énoncées aux articles 24 et 51-2 de la Constitution : le contrôle de l'action du Gouvernement et l'évaluation des politiques publiques. Il est patent que la protection et la sécurité du chef de l'État et des hautes personnalités sont des politiques publiques.

2. Des travaux respectueux du principe d'indépendance de l'autorité judiciaire

Lors de ses travaux, votre commission s'est attachée à ne pas déborder sur les instructions en cours relatives aux faits commis le 1 er mai et à l'utilisation par Alexandre Benalla de ses passeports diplomatiques après son licenciement, entre août et décembre 2018, et à respecter scrupuleusement l'indépendance de l'autorité judiciaire.

L'audition d'Alexandre Benalla et de Vincent Crase le 19 septembre 2018 a pourtant soulevé des réactions de la part de certains membres du Gouvernement. Plusieurs ministres se sont ainsi publiquement déclarés opposés à la convocation, devant une commission parlementaire dotée de pouvoirs d'enquête, de personnes mises en examen, en raison de l'atteinte qu'elle aurait porté selon eux au principe de la séparation des pouvoirs.

Ont également été refusés à votre commission, par le ministère de l'intérieur 74 ( * ) , la transmission de la décision par laquelle le préfet de police de Paris a accordé un permis de port d'arme à Alexandre Benalla, le dossier d'instruction et les avis recueillis à cette occasion ainsi que la note rédigée par les services de la préfecture à destination du préfet de police relative à la présence d'Alexandre Benalla lors de la manifestation du 1 er mai, au motif que ces documents auraient été préalablement saisis par l'autorité judiciaire et présenteraient un lien direct avec le périmètre de l'information judiciaire.

Si le directeur de cabinet du Président de la République s'est, le 16 janvier 2019, largement exprimé sur les conditions de délivrance et d'usage par Alexandre Benalla de ses passeports diplomatiques, il avait opposé, quelques jours avant, un premier refus à votre commission qui l'avait sollicité sur ces questions, en raison de l'ouverture d'une enquête préliminaire par le parquet de Paris.

Dès le stade de la création de sa mission, votre commission a pourtant veillé à respecter scrupuleusement le principe d'indépendance de l'autorité judiciaire , dans le cadre de ses auditions comme des demandes d'informations qu'elle a formulées par écrit.

Conformément à l'article 6 de l'ordonnance n° 58-1100 du 17 novembre 1958 relative au fonctionnement des assemblées parlementaires, le champ de ses investigations ne portait pas sur des faits faisant l'objet de poursuites judiciaires, mais sur le fonctionnement des services de l'État, à savoir « les conditions dans lesquelles des personnes n'appartenant pas aux forces de sécurité intérieure ont pu ou peuvent être associées à l'exercice de leurs missions de maintien de l'ordre et de protection de hautes personnalités et le régime des sanctions applicables en cas de manquements ».

À cet égard, il est singulier que les travaux de la commission des lois de l'Assemblée nationale, elle aussi dotée des pouvoirs d'une commission d'enquête, n'aient pas suscité l'opposition publique des mêmes membres du Gouvernement qui ont critiqué à tort les travaux de votre commission. En effet, les investigations de la commission des lois de l'Assemblée nationale avaient quant à elles pour seul objet de « faire la lumière sur les évènements survenus à l'occasion de la manifestation parisienne du 1 er mai 2018 » et portaient donc exclusivement sur les faits ayant donné lieu à l'ouverture d'une information judiciaire, comme l'a d'ailleurs écrit la garde des sceaux au Président de l'Assemblée nationale dès le 23 juillet dernier, cette lettre étant d'ailleurs restée sans effet.

Le champ légal d'investigation des commissions d'enquête parlementaire

Aux termes de l'article 6 de l'ordonnance n° 58-1100 du 17 novembre 1958 relative au fonctionnement des assemblées parlementaires :

« Les commissions d'enquête sont formées pour recueillir des éléments d'information soit sur des faits déterminés, soit sur la gestion des services publics ou des entreprises nationales, en vue de soumettre leurs conclusions à l'assemblée qui les a créées .

« Il ne peut être créé de commission d'enquête sur des faits ayant donné lieu à des poursuites judiciaires et aussi longtemps que ces poursuites sont en cours. Si une commission a déjà été créée, sa mission prend fin dès l'ouverture d'une information judiciaire relative aux faits sur lesquels elle est chargée d'enquêter. »

Par ailleurs, l'article 5 bis de l'ordonnance du 17 novembre 1958 dispose qu'« une commission spéciale ou permanente peut convoquer toute personne dont elle estime l'audition nécessaire, réserve faite, d'une part, des sujets de caractère secret et concernant la défense nationale, les affaires étrangères, la sécurité intérieure ou extérieure de l'État, d'autre part, du respect du principe de la séparation de l'autorité judiciaire et des autres pouvoirs. »

Rien ne s'opposait par ailleurs, juridiquement, à ce que la commission entende Alexandre Benalla et Vincent Crase, malgré leur mise en examen.

Les auditions par des commissions d'enquête parlementaires de personnes
faisant l'objet de poursuites judiciaires

Conformément au cadre légal, plusieurs personnes ont, par le passé, été entendues par des commissions d'enquête parlementaires, alors qu'elles faisaient l'objet de poursuites judiciaires.

À titre d'exemple, en juin 2013, Jérôme Cahuzac a été entendu par la commission d'enquête de l'Assemblée nationale relative aux éventuels dysfonctionnements dans l'action du Gouvernement et des services de l'État, notamment ceux des ministères de l'économie et des finances, de l'intérieur et de la justice, entre le 4 décembre 2012 et le 2 avril 2013, dans la gestion d'une affaire qui a conduit à la démission d'un membre du Gouvernement.

De même, en 1999, la commission d'enquête du Sénat sur la conduite de la politique de sécurité menée par l'État en Corse avait entendu le préfet Bernard Bonnet et le colonel Henri Mazères.

En vertu de l'article 6 de l'ordonnance du 17 novembre 1958 précitée, toute personne dont une commission parlementaire investie des prérogatives d'une commission d'enquête a jugé l'audition utile, même une personne mise en examen, est en effet tenue de déférer à la convocation qui lui est délivrée, d'être entendue sous serment et de déposer, sous peine de deux ans d'emprisonnement et de 7 500 euros d'amende.

C'est à la commission, et à son président, qu'il appartient de veiller, en cas d'audition sous serment d'une personne mise en examen, à ce qu'elle n'ait naturellement à répondre à aucune question qui porterait sur des faits faisant l'objet d'une information judiciaire ou qui serait susceptible de méconnaître le principe selon lequel nul n'est tenu de s'accuser. Lors des auditions qu'elle a menées, votre commission a ainsi été particulièrement attentive à ce que ni Alexandre Benalla, ni Vincent Crase ne soient interrogés sur des faits pour lesquels ils étaient poursuivis.

Aussi regrette-t-elle vivement qu'en dépit des précautions prises, Alexandre Benalla ait refusé, au cours de sa seconde audition devant votre commission le 21 janvier 2019, de répondre à de nombreuses questions qui lui étaient posées, au motif que celles-ci entraient dans le champ de l'enquête judiciaire dont il fait l'objet. Elle observe en effet que l'argumentaire avancé par Alexandre Benalla à l'appui de son refus manquait de cohérence. Alors que celui-ci a fait, de lui-même, des déclarations relatives aux évènements du 1 er mai et à l'usage de ses passeports après son licenciement, qui se situent pourtant au coeur des enquêtes judiciaires, il a, dans le même temps, refusé de répondre à des questions qui ne le conduisaient, en aucun cas, à s'auto-incriminer. Ainsi en est-il par exemple de ses refus de préciser la nature des activités privées qu'il a exercées après son licenciement, d'expliquer l'utilité qu'il avait à disposer d'un passeport de service en sus de ses passeports diplomatiques ou encore de préciser les fonctions des personnels de l'Élysée qu'il aurait informés de ses déplacements effectués à l'automne.

Au demeurant, contrairement aux arguments avancés par Alexandre Benalla, votre commission considère que le seul fait qu'un juge d'instruction ait posé, dans le cadre d'une enquête judiciaire, un certain nombre de questions afin de comprendre le contexte ne constitue pas, dès lors que cela ne conduit pas la personne auditionnée par une commission parlementaire à faire des déclarations qui pourraient lui être reprochées par la Justice, un argument suffisant pour limiter le périmètre d'une commission disposant de pouvoirs d'enquête.

Au vu de l'ensemble de ces éléments, votre commission considère avoir été particulièrement attentive, en droit et dans les faits, au principe de la séparation des pouvoirs .

Elle observe néanmoins, à l'instar du groupe de travail du Sénat sur la révision constitutionnelle, que l'exclusion des faits faisant l'objet d'une enquête judiciaire du champ d'investigation des commissions d'enquête complexifie, dans la pratique, la définition des sujets d'enquête de même que la conduite de leurs travaux et nuit au plein exercice, par le Parlement, de sa mission constitutionnelle .

Il serait pourtant parfaitement concevable que l'autorité judiciaire enquêtât sur des faits pour déterminer l'existence de délits ou de crimes tandis que de son côté le Parlement examinerait les mêmes faits dans une toute autre dimension, celles des politiques publiques ou du fonctionnement de services publics. L'exercice des prérogatives de l'autorité judiciaire n'est nullement incompatible avec l'exercice du contrôle parlementaire, qui est prévu par la Constitution. Le contexte parlementaire et les poursuites pénales sont en effet deux missions constitutionnelles distinctes, complémentaires et non concurrentes, qui, même quand elles portent sur des faits connexes, ne sont pas de même nature et n'ont pas le même objet : d'un côté, la recherche et la sanction d'infractions pénales, de l'autre, le contrôle du fonctionnement de l'État.

Vos rapporteurs notent d'ailleurs, à cet égard, qu'en répondant favorablement à leur demande de pouvoir accéder au dossier de demande d'un permis de port d'arme d'Alexandre Benalla, qui avait été saisi par la Justice et dont la transmission à votre commission avait été refusée à ce titre, l'autorité judiciaire a elle-même considéré qu'en l'espèce les travaux de votre commission ne posaient pas de difficultés au regard du secret de l'instruction et qu'aucun obstacle constitutionnel ne s'opposait à ce que le Parlement accède aux mêmes informations, dès lors que sa mission est de nature différente.

Conformément au principe de la séparation des pouvoirs, le Parlement et l'autorité judiciaire ont en effet constitutionnellement des missions et des prérogatives distinctes et complémentaires.

L'autorité judiciaire, gardienne de la liberté individuelle selon les termes de l'article 66 de la Constitution, est chargée, au nom du peuple souverain, de régler les litiges de nature civile et de sanctionner les auteurs d'infractions de nature pénale. Elle bénéficie, aux fins de la manifestation de la vérité, de prérogatives larges, d'ailleurs progressivement renforcées par le législateur.

Il revient au Parlement, en application de l'article 24 de la Constitution, de contrôler l'action du Gouvernement et d'évaluer les politiques publiques. Il s'agit là d'une exigence démocratique fondamentale, qui trouve son origine dans l'article 15 de la Déclaration des droits de l'homme et du citoyen, en vertu duquel « la société a le droit de demander compte à tout agent public de son administration ». Pour l'exercice de cette mission, chacune des deux assemblées dispose d'une palette d'outils et de mesures de contrôle, parmi lesquels figure la possibilité de créer, en vertu de l'article 51-2 de la Constitution, des commissions d'enquête.

Dans ce contexte, l'élargissement du champ d'investigation des commissions d'enquête parlementaires, y compris à des faits faisant l'objet d'une enquête judiciaire, ne saurait être conçu comme un empiètement sur les prérogatives de l'autorité judiciaire, dès lors que les missions, loin d'être concurrentes, seraient exercées de manière complémentaire, sur des fondements démocratiques distincts. Telle est la raison pour laquelle le groupe de travail créé par le Président du Sénat, Gérard Larcher, et dont le rapporteur était notre collègue François Pillet, a proposé de « lever l'interdiction faite aux assemblées parlementaires de créer des commissions d'enquête sur des faits faisant l'objet de poursuites judiciaires » , dans le respect du principe de la séparation des pouvoirs et du secret de l'instruction.

La même proposition a été faite par les groupes de travail créés par François de Rugy, alors Président de l'Assemblée nationale, qui estiment, dans leur premier rapport publié en décembre 2017, que « l'existence de poursuites judiciaires ne doit plus constituer une limite aux investigations des commissions d'enquête » , précisant qu' » il ne s'agit pas de permettre au Parlement d'interférer dans une procédure judiciaire et encore moins de se substituer à l'autorité judiciaire, mais bien de l'autoriser, et à travers lui les citoyens, à s'informer sur des faits qui auraient suscité une grande émotion dans l'opinion publique » 75 ( * ) .

* *

*

CONCLUSION

La mission d'information de la commission des lois a développé ses investigations dans trois directions.

Nous avons d'abord enquêté sur la manière dont les dérapages constatés en marge des manifestations du 1 er mai 2018 ont été traités par l'Exécutif. De nombreuses anomalies ont pu être mises en évidence au fil de nos travaux : pas d'autorisation donnée à l'échelle appropriée pour l'intégration d'Alexandre Benalla et Vincent Crase en qualité d'observateurs au sein du dispositif de sécurité du 1 er mai 2018 ; pas d'encadrement de niveau suffisant de ces deux observateurs ; pas de déferrement à la Justice d'Alexandre Benalla et Vincent Crase ; symétriquement, pas d'interpellation immédiate et de déferrement des personnes sur lesquelles les intéressés avaient exercé des voies de fait, alors que ces personnes auraient jeté des projectiles sur les forces de l'ordre et qu'il a été procédé à de nombreuses interpellations pour des faits analogues le même jour ; pas de remontée des informations relatives aux agissements des deux intéressés par la voie hiérarchique au sein de la préfecture de police et du ministère de l'intérieur ; absence de saisine par le ministre de l'intérieur de l'inspection générale de la police nationale dès le mois de mai, alors même que des dysfonctionnements dans l'accueil des observateurs avaient été mis en évidence ; pas de licenciement pour faute d'Alexandre Benalla par la présidence de la République le 2 mai 2018 ; au contraire, une sanction administrative légère qui n'a été que partiellement appliquée.

Nous avons ensuite cherché à identifier avec précision le contenu réel de la fonction exercée par Alexandre Benalla à la présidence de la République. Cette fonction ne nous a été dévoilée que partiellement, progressivement et toujours approximativement, au prix de rétentions d'information que nous regrettons. Il en résulte le maintien d'un certain flou en dépit des efforts de la mission d'information. Il est cependant devenu hautement probable au fil des révélations entendues et des contradictions constatées que la fonction d'Alexandre Benalla comportait une forte dimension de sécurité, que celle-ci est apparue indissolublement liée à la mission de préparation et d'accompagnement des déplacements présidentiels, et qu'elle a comporté une action de protection rapprochée et une participation à la mise en oeuvre de la sécurité des sorties présidentielles qui, dans certains cas, semble avoir relevé d'une ingérence dans le fonctionnement des services qui en sont chargés. L'élément matériel le plus probant pour caractériser l'existence de cette mission de sécurité reste l'autorisation de port d'arme délivrée par le préfet de police à la suite de la demande expresse de l'Élysée, au prix d'une irrégularité.

Enfin, la mission s'est attachée à faire des recommandations, étant entendu que ces recommandations visent pour l'essentiel non à modifier en profondeur les règles de fonctionnement de l'État mais à rappeler des principes fondamentaux issus de notre tradition républicaine pour éviter que les dysfonctionnements constatés ne se reproduisent, que ce soit dans le cadre de la politique de sécurité ou dans d'autres domaines de l'action de l'État. Car il faut insister sur un point : il aurait suffi que les règles du fonctionnement normal de notre état de droit républicain soient respectées pour que les dysfonctionnements constatés soient évités.

Aux termes de six mois d'investigations, après avoir procédé à 34 auditions, entendu plus de 40 personnes et adressé une trentaine de demandes de compléments d'information à la présidence de la République ainsi qu'à plusieurs ministres et responsables d'administrations, la mission d'information de la commission des lois du Sénat est parvenue à des conclusions simples.

Alexandre Benalla a acquis la confiance d'Emmanuel Macron, ancien ministre puis candidat à la présidence de la République, en assumant la responsabilité de sa sécurité et de l'organisation des services d'ordre de sa campagne après sa démission du ministère de l'économie. Il aurait alors fait ses preuves et, dès l'installation du nouveau président, il a rejoint son cabinet pour y exercer des missions en rapport avec les compétences qu'il avait démontrées : pour résumer, sécurité et organisation des déplacements publics et privés du chef de l'État, en veillant à l'image du Président et, le cas échéant, de l'épouse de celui-ci.

La définition formelle de la fonction de l'intéressé à la présidence de la République, fournie à votre commission tardivement, ne recouvrait que partiellement la réalité ou n'a été qu'un point de départ. Se dégage la conviction qu'Alexandre Benalla, fort de la confiance du Président de la République et d'une expérience rapidement acquise, a très vite pris un certain ascendant sur les responsables opérationnels de la sécurité présidentielle et s'est imposé comme interlocuteur des autorités de sécurité publique placées sous la responsabilité du ministre de l'intérieur lors de la préparation et du déroulement des déplacements présidentiels.

Sans évincer les fonctionnaires civils et militaires en charge de la protection rapprochée du Président de la République, il apparaît qu'il a en outre assumé directement, au coeur du dispositif de sécurité, une action de protection rapprochée à l'épaule du Président de la République, s'ajoutant sans s'y substituer à la protection assurée par les membres du groupe de sécurité de la présidence de la République, mais pouvant aussi compliquer celle-ci en raison de la position physique qu'il occupait systématiquement à proximité du chef de l'État.

Seule la nature de la fonction réellement exercée par Alexandre Benalla paraît expliquer le permis de port d'arme obtenu du préfet de police, avec l'appui du directeur du cabinet du Président de la République, ainsi que les moyens qu'il a été décidé de lui attribuer (notamment un appartement à proximité du palais et une voiture de fonction dotée d'équipements de police) afin de lui permettre d'être constamment à la disposition du chef de l'État, à la différence de la totalité de ses prédécesseurs comme de ses propres collègues de niveau hiérarchique équivalent. Pour que ces éléments de statut n'aient été ni des privilèges ni des avantages, il fallait bien qu'ils fussent entièrement justifiés par les nécessités absolues de la fonction d'Alexandre Benalla, ce qui ne peut s'expliquer autrement que par les impératifs de la sécurité du Président de la République, de son épouse et des membres de leur famille qui peuvent évoluer jour après jour au gré des besoins des personnes protégées et exigeant donc une disponibilité permanente.

Il nous est ainsi apparu relativement aisé d'écarter la thèse selon laquelle Alexandre Benalla n'aurait rempli au cabinet du chef de l'État qu'une fonction de pure organisation administrative et logistique. L'aveu n'a toutefois jamais été officiellement fait qu'il exerçait une responsabilité de sécurité allant au-delà d'une simple « coordination » de la sécurité présidentielle, coordination présentée comme d'ordre technique et dépourvue de toute attribution d'autorité. La mission d'information a cependant établi l'existence de contradictions telles qu'il faudrait beaucoup de naïveté pour penser que la version invraisemblable du collaborateur constamment positionné à l'épaule du Président de la République pendant ses déplacements, autorisé à porter une arme, mais qui aurait néanmoins été dépourvu de toute fonction opérationnelle en matière de sécurité est plus proche de la réalité que la version du chargé de mission supervisant au moins de fait une partie importante de la sécurité présidentielle et exerçant simultanément la fonction de garde du corps du chef de l'État.

Le plus incompréhensible est que de telles évidences aient pu être escamotées, au prix d'explications d'ailleurs changeantes qui ne postulaient ni l'intelligence ni même le bon sens de ceux auxquels elles étaient destinées, et qui ne s'embarrassaient pas toujours de la moindre vraisemblance. Il est d'ailleurs possible d'y voir la conscience tardivement prise au sommet de l'État de l'incongruité qui pouvait s'attacher à ce qu'un rôle majeur soit dévolu à un membre subalterne du cabinet présidentiel, quelles que soient les qualités professionnelles de l'intéressé, dans la sécurité du Président de la cinquième puissance du monde, qui a la mission constitutionnelle d'assurer la continuité de l'État. À une époque où le terrorisme est constamment à l'affût, la sécurité du chef de l'État ne peut souffrir d'aucune défaillance et doit être assurée par des fonctionnaires particulièrement qualifiés et expérimentés. Cette conscience rétrospective d'une prise de risque inutile et grave aurait certainement dû s'accompagner du regret d'avoir laissé un collaborateur du cabinet abuser régulièrement de sa position en interférant avec les hiérarchies de la police et de la gendarmerie placées sous l'autorité des préfets et du Gouvernement.

On ne comprend pas non plus qu'après avoir appris les fautes commises le 1 er mai 2018 par Alexandre Benalla, le Président de la République lui-même ait, comme il l'a dit publiquement, pris la décision de ne pas mettre fin à sa collaboration. Aux yeux de la mission d'information, l'indulgence témoignée à l'égard d'Alexandre Benalla, après qu'il s'est livré à un comportement pourtant qualifié d'« inapproprié et choquant » 76 ( * ) par sa hiérarchie, était encore plus préjudiciable au bon fonctionnement de l'État que les fautes commises par l'intéressé en marge de la fête du travail.

Sans contester la réalité du licenciement d'Alexandre Benalla fin juillet 2018, on ne peut que regretter le manque de diligences de la part de la présidence de la République dans l'application de cette sanction, en particulier s'agissant de la restitution, qui était obligatoire, de ses instruments de travail et des facilités qui lui avaient été accordées dans l'exercice de ses fonctions. C'est également dans la réaction tardive des autorités compétentes de l'État à la suite de la publication, dans les médias, de diverses informations relatives à l'exercice par Alexandre Benalla d'activités privées qui étaient susceptibles de constituer un point de vulnérabilité pour la présidence de la République, que se mesurent « l'indulgence », pour ne pas dire l'imprudence, dont a bénéficié l'ancien chargé de mission de la part de sa hiérarchie.

Cette regrettable affaire porte la marque d'une légèreté certaine vis-à-vis des règles de bon fonctionnement de l'État et aussi d'une certaine fébrilité. Sa gestion s'est révélée calamiteuse à toutes les étapes :

- des pouvoirs excessifs laissés à un collaborateur inexpérimenté dans un domaine - la sécurité du Président de la République -, pourtant essentiel à la continuité de l'État ;

- une confiance maintenue et une collaboration poursuivie après les graves dérapages commis par ce collaborateur le 1 er mai place de la Contrescarpe à Paris ;

- des faits dissimulés à la Justice pendant plusieurs mois du fait de l'absence de saisine du procureur de la République au titre de l'article 40 du code de procédure pénale ;

- la rétention d'informations utiles au travail de la mission d'information sous le prétexte fallacieux d'une séparation des pouvoirs à laquelle il n'a en définitive été porté atteinte que par la mauvaise volonté opposée à plusieurs reprises par des responsables de l'Exécutif à l'accomplissement de la mission de contrôle du Parlement ;

- de nombreuses incohérences constatées sur des points essentiels (permis de port d'arme et nature des fonctions réelles exercées par Alexandre Benalla) entre les personnes entendues, y compris entre les collaborateurs du Président de la République eux-mêmes.

La recherche de la vérité a de ce fait été rendue plus compliquée.

Nous nous sommes cependant efforcés de retranscrire loyalement tous les éléments recueillis, sans pouvoir toujours dégager une interprétation certaine. Ainsi, chacun pourra se faire une opinion à partir des éléments que nous avons rassemblés.

Il faut cependant rappeler que les pouvoirs d'investigation des commissions d'enquête parlementaire sont limités. Si nul n'a le droit de refuser son concours au Parlement agissant en vertu de ses pouvoirs de contrôle, si chacun est tenu de dire la vérité sous serment, le Parlement n'a pas d'autre moyen de contrainte en cas de doute que de demander à la Justice de se prononcer. Nous le ferons ici en demandant au bureau du Sénat qu'il saisisse le procureur de la République de Paris.

Mais au-delà de cet aspect de nos conclusions, nous avons aussi voulu énoncer plusieurs recommandations. Aucune n'est révolutionnaire puisqu'elles tendent toutes à assurer le bon fonctionnement de l'État dans le respect de la tradition républicaine :

- la sécurité du Président de la République doit être exclusivement prise en charge par des policiers et des gendarmes d'élite sélectionnés, entraînés, coordonnés et évalués sous le contrôle du ministre de l'intérieur, agissant en parfaite articulation avec les forces de sécurité intérieure lors des déplacements présidentiels ;

- les collaborateurs de cabinet n'ont ni légitimité politique ni responsabilité administrative, leur seule mission étant d'assister l'autorité politique ; ils n'exercent aucune autorité hiérarchique et ne reçoivent pas de délégation de pouvoir ; ils n'ont donc aucune instruction à donner aux fonctionnaires de l'État placés sous l'autorité des ministres, des préfets et des ambassadeurs. Il en va ainsi pour les collaborateurs du chef de l'État comme pour ceux, nécessairement distincts, du Premier ministre et pour ceux des ministres ;

- la composition des réserves de la gendarmerie nationale doit être mieux définie et les règles d'accès à celles-ci et de promotion en leur sein doivent être régies par des textes précis, en toute transparence.

Enfin, à la lumière des obstacles qu'elle a dû surmonter pour l'accomplissement de son mandat, la mission considère qu'une réflexion doit s'ouvrir sur le renforcement des pouvoirs de contrôle du Parlement, dans le respect du principe de la séparation des pouvoirs auquel elle est particulièrement attachée :

- le contrôle du Parlement sur les moyens des cabinets des autorités politiques doit être renforcé à l'occasion de l'examen du projet de loi de finances de l'année par la communication d'informations détaillées ;

- les pouvoirs de contrôle du Parlement sur le fonctionnement administratif de la présidence de la République doivent être précisés ;

- les enquêtes parlementaires et judiciaires doivent pouvoir se dérouler simultanément dans le respect des prérogatives et des missions respectives du Parlement et de l'autorité judiciaire, qui sont complémentaires et non antinomiques ;

- cette complémentarité doit être particulièrement approfondie sur deux points : tout d'abord, les conditions dans lesquelles les autorités publiques doivent appliquer l'article 40 du code de procédure pénale ; ensuite, le déclenchement d'une enquête du procureur de la République en cas de doute sur la sincérité de témoignages recueillis dans le cadre d'une enquête parlementaire.

LES TREIZE PROPOSITIONS DE LA MISSION

Garantir un haut niveau de sécurité au Président de la République

Proposition n° 1 : Réformer le cadre réglementaire relatif au groupe de sécurité de la présidence de la République (GSPR), afin d'une part de réaffirmer la compétence exclusive des membres des forces de sécurité intérieure pour assurer la sécurité du chef de l'État, d'autre part de formaliser les règles et procédures de recrutement.

Proposition n° 2 : Maintenir la responsabilité organique du ministère de l'intérieur sur le groupe de sécurité de la présidence de la République et prévoir l'avis du chef du service de la protection sur la composition de ce groupe.

Renforcer la transparence dans le fonctionnement de l'Exécutif

Proposition n° 3 : Rappeler par voie de circulaires les règles déontologiques devant régir les relations entre les collaborateurs de la présidence de la République, ceux des cabinets ministériels et les administrations centrales.

Proposition n° 4 : Mettre fin à l'expérience des collaborateurs « officieux » du Président de la République et faire respecter strictement leurs obligations déclaratives à tous les chargés de mission de l'Élysée.

Proposition n° 5 : Conditionner le recrutement des collaborateurs du Président de la République à la réalisation d'une enquête administrative préalable, afin de s'assurer de la compatibilité de leur comportement avec les fonctions ou les missions susceptibles de leur être confiées.

Proposition n° 6 : Prévoir par la loi des sanctions pénales en cas de manquement aux obligations de déclaration d'une nouvelle activité à la commission de déontologie de la fonction publique.

Proposition n° 7 : Mettre fin à la pratique des conseillers communs au Président de la République et au Premier ministre, pour respecter la distinction constitutionnelle des fonctions présidentielles et gouvernementales.

Proposition n° 8 : Enrichir le rapport déposé annuellement lors de l'examen du projet de loi de finances (annexe budgétaire « jaune ») consacré aux « personnels affectés dans les cabinets ministériels » d'un volet supplémentaire permettant de dresser un tableau du nombre, des missions et des rémunérations des personnels affectés à la présidence de la République.

Proposition n° 9 : Renforcer la transparence des recrutements dans les différentes réserves de la gendarmerie nationale et la rigueur des règles de sélection dans la composante « spécialiste » de sa réserve opérationnelle (référentiel de compétences techniques ou théoriques recherchées, niveau élevé de formations ou d'expériences professionnelles nécessaires pour postuler, vérification et appréciation préalable par un jury pour préparer et appuyer la décision du directeur général).

Proposition n° 10 : Rendre obligatoire l'établissement d'une liste des activités professionnelles exercées par les réservistes du commandement militaire du palais de l'Élysée.

Renforcer les pouvoirs de contrôle du Parlement

Proposition n° 11 : Conforter le pouvoir de contrôle du Parlement sur les services de la présidence de la République.

Proposition n° 12 : Établir et confirmer la plénitude des pouvoirs d'investigation des commissions d'enquête parlementaires, dans le respect du principe de la séparation des pouvoirs et du secret de l'instruction, y compris quand la Justice enquête de son côté sur des crimes et délits à propos des mêmes faits en exerçant le contrôle parlementaire sous l'angle exclusif du fonctionnement de l'État.

Clarifier l'obligation de signalement d'un crime ou d'un délit en application de l'article 40 du code de procédure pénale

Proposition n° 13 : Mieux définir la portée juridique des obligations de signalement au parquet découlant de l'article 40 du code de procédure pénale, et en informer largement l'ensemble des élus, responsables et agents publics.

ANNEXE 1
CHRONOLOGIE DE L'« AFFAIRE BENALLA »

Les origines

2009

Alexandre Benalla intègre la réserve de la gendarmerie nationale ; il rencontre Vincent Crase (le second est le formateur du premier dans le cadre de la « préparation militaire gendarmerie »)

Octobre 2009 - mai 2012

Alexandre Benalla rejoint le service d'ordre du parti socialiste

Mai 2012 - septembre 2012

Alexandre Benalla est conducteur au cabinet du ministre du redressement productif, Arnaud Montebourg

À partir d'octobre 2013

Alexandre Benalla travaille pour Velours International dans la protection rapprochée de diverses personnalités

Novembre 2015 - décembre 2016

Alexandre Benalla travaille pour l'Office Européen des Brevets (OEB), en charge de la protection rapprochée du Président

Juillet 2016 - décembre 2016

Alexandre Benalla est mis par l'OEB à la disposition de la Délégation interministérielle à l'égalité des chances des Français d'Outre-mer (comme « chef de cabinet »)

Août 2016

Emmanuel Macron démissionne de son poste de ministre de l'économie

Novembre 2016

Emmanuel Macron annonce sa candidature à l'élection présidentielle

Novembre 2016 - mai 2017

Alexandre Benalla, comme « directeur de la sûreté et de la sécurité », rejoint avec Vincent Crase l'équipe de sécurité de la campagne du candidat Emmanuel Macron

7 mai 2017

Emmanuel Macron est élu Président de la République

15 mai 2017

Alexandre Benalla est nommé chargé de mission, adjoint au chef de cabinet, à la présidence de la République

13 octobre 2017

Autorisation de port d'arme délivrée par la préfecture de police de Paris à Alexandre Benalla

Novembre 2017

Vincent Crase est recruté par le parti En Marche au service sécurité ; il est affecté comme réserviste au commandement militaire du palais de l'Élysée

L'« affaire Benalla »

2018

Événements / Justice / Presse

Sénat

1 er mai

Alexandre Benalla est filmé, en compagnie de Vincent Crase, exerçant une contrainte par force sur des participants aux manifestations du 1 er mai

2 mai

L'Élysée est informé des faits, le ministre de l'intérieur et le préfet de police sont mis au courant

Du 4 mai
au 19 mai

Alexandre Benalla est suspendu de ses fonctions à l'Élysée (en fait jusqu'à son retour le 22 mai) ; aucune publicité n'est donnée à cette décision

18 juillet

Le Monde identifie Alexandre Benalla et révèle son implication dans les violences du 1 er mai. L'« affaire Benalla » débute.

19 juillet

- Le parquet de Paris annonce l'ouverture d'une enquête préliminaire

- À l'Assemblée nationale, les débats sur la réforme constitutionnelle sont interrompus et la commission des lois obtient les pouvoirs de commission d'enquête

- Communication du porte-parole de la présidence de la République, Bruno Roger-Petit, révélant les mesures prises en mai (« mis à pied pendant 15 jours avec suspension de salaire » ; « démis de ses fonctions en matière d'organisation de la sécurité des déplacements du Président »)

Convocation par la commission des lois du Sénat du ministre d'État, ministre de l'intérieur, afin d'entendre ses explications sur les conditions et le cadre de la participation d'Alexandre Benalla aux événements du 1 er mai à Paris (audition du 24 juillet)

20 juillet

- Alexandre Benalla est placé en garde à vue

- L'Élysée engage la procédure de licenciement à l'encontre d'Alexandre Benalla (pour avoir détenu irrégulièrement des enregistrements vidéo de la manifestation du 1 er mai remis par des agents de la préfecture de police)

21 juillet

Trois policiers sont placés en garde à vue (transmission d'images de vidéosurveillance à Alexandre Benalla)

22 juillet

- Alexandre Benalla et Vincent Crase sont mis en examen

- À l'Assemblée nationale, la garde des Sceaux annonce la suspension de l'examen de la révision constitutionnelle

2018

Événements / Justice / Presse

Sénat

23 juillet

Entretien préalable au licenciement d'Alexandre Benalla

Création par la commission des lois d'une mission d'information

Obtention par la commission, pour mener cette mission, des prérogatives de commission d'enquête, pour six mois

24 juillet

- Licenciement d'Alexandre Benalla , avec effet au 1 er août

- Devant le Gouvernement et sa majorité parlementaire à la Maison de l'Amérique latine, le Président de la République déclare : « Le seul responsable de cette affaire, c'est moi et moi seul ! (...) Celui qui a fait confiance à Alexandre Benalla, c'est moi, le Président de la République. Celui qui a été au courant et a validé l'ordre, la sanction de mes subordonnés, c'est moi et personne d'autre ! (...) S'ils veulent un responsable, qu'ils viennent le chercher !»

Début des auditions

25 juillet

Suite des auditions

26 juillet

- Le Monde publie une interview d'Alexandre Benalla

- Le co-rapporteur de la commission des lois de l'Assemblée nationale suspend sa participation aux travaux en raison du refus de la commission d'entendre des collaborateurs du chef de l'État

Suite des auditions

27 juillet

Publication du rapport de l'Inspection générale de la police nationale (IGPN) sur les incidents du 1 er mai et le statut des observateurs

30 - 31 juillet

Suite des auditions

1 er août

- Le licenciement d'Alexandre Benalla prend effet

- À l'Assemblée nationale, la commission des lois interrompt ses travaux sans produire de rapport (seul est publié le compte rendu de ses réunions)

Annonce par la commission des lois qu'elle poursuivra ses travaux en septembre

12 septembre

Suite des auditions

19 septembre

Suite des auditions
(auditions d'Alexandre Benalla et de Vinent Crase notamment)

24 septembre

Mediapart dévoile un « selfie » d'Alexandre Benalla avec une arme, pris en avril 2017 en marge d'un meeting du candidat Emmanuel Macron

26 septembre

Suite des auditions

10 octobre

Suite des auditions

2018

Événements / Justice / Presse

Sénat

29 novembre

Nouvelle mise en examen d'Alexandre Benalla (pour des violences le 1 er mai au Jardin des Plantes)

17 décembre

Mediapart révèle l'existence d'un « contrat russe » au titre duquel la société de Vincent Crase aurait reçu près de 300 000 euros d'un oligarque

24 décembre

Le Monde , confirmant une information de La lettre du continent , révèle qu'Alexandre Benalla s'est rendu au Tchad début décembre pour rencontrer le Président tchadien et de hauts responsables du régime, quelques jours avant le voyage officiel du Président de la République

27 décembre

Mediapart, révèle qu'Alexandre Benalla voyage depuis plusieurs mois avec un passeport diplomatique

28 décembre

Demandes d'explications écrites adressées, par le président et les rapporteurs, à l'Élysée et au Gouvernement (passeports, activités privées)

2019

16 janvier

Le Canard enchaîné révèle qu'Alexandre Benalla est toujours en possession de son téléphone sécurisé Teorem

Reprise des auditions

17 janvier

Alexandre Benalla est à nouveau placé en garde à vue

18 janvier

Alexandre Benalla est une nouvelle fois mis en examen (pour les passeports)

21 janvier

Fin des auditions (secondes auditions d'Alexandre Benalla et de Vincent Crase)

23 janvier

Expiration des prérogatives de commission d'enquête dont bénéficiait la commission

31 janvier

Mediapart publie des extraits de ce qui serait un enregistrement clandestin d'une conversation entre Alexandre Benalla et Vincent Crase, en violation de leur contrôle judiciaire

7 février

Démission de la cheffe du groupe de sécurité du Premier ministre, en lien avec cet enregistrement

11 février

Mediapart révèle le rôle qu'aurait eu Alexandre Benalla dans la négociation et la conclusion de deux « contrats russes », avant et après son licenciement

20 février

Présentation du rapport de la mission d'information devant la commission, qui autorise sa publication

ANNEXE 2
SÉLECTION DE DOCUMENTS RECUEILLIS PAR LA MISSION

ANNEXE 3
COURRIER ADRESSÉ AU PRÉSIDENT DU SÉNAT EN VUE D'UNE SAISINE DU PROCUREUR DE LA RÉPUBLIQUE PAR LE BUREAU


* 1 L'accueil des observateurs extérieurs des activités de police , IGPN, 26 juillet 2018.

* 2 Sans que ce point soit décisif, il n'est toutefois pas clairement établi si la participation à cette opération d'Alexandre Benalla résulte de sa propre initiative (demande de sa part) ou si la proposition lui en a été faite par un fonctionnaire de la préfecture (invitation).

* 3 Lors de son audition tant à l'Assemblée nationale qu'au Sénat, le Général Éric Bio Farina, commandant militaire du palais de l'Élysée, a partiellement contredit Alain Gibelin, en indiquant que, dans son souvenir, ce dernier et Alexandre Benalla auraient échangé, lors d'un déjeuner organisé le 25 avril 2018, sur le point précis de la participation d'Alexandre Benalla à la manifestation du 1 er mai. Alain Gibelin a fermement maintenu sa version des faits, ce qui constitue une évidente contradiction.

* 4 Le port supposé d'une arme durant le déroulement du service d'ordre fait lui aussi l'objet de poursuites.

* 5 « Encadrement de l'accueil des observateurs extérieurs des activités de police », 2 août 2018, NOR : INTK1817616J.

* 6 Cette instruction a donné lieu à l'élaboration :

- pour la DGPN, d'une circulaire « relative à l'accueil des observateurs dans des services de police » (DPN-9.1 du 17 septembre 2018) ;

- pour la DGGN, d'une circulaire « relative à l'accueil d'observateurs extérieurs à l'occasion d'activités opérationnelles de la gendarmerie nationale » (n° 59920/GEND/DOE/SDSPSR/BSP du 13 août 2018) ;

- et pour la préfecture de police de Paris, d'une circulaire sur « l'accueil et l'encadrement des observateurs extérieurs des activités de police » (du 8 novembre 2018).

* 7 Source : Le Monde , 1 er août 2018.

* 8 « Je me suis un peu étonné auprès du cabinet du ministre de n'avoir pas été alerté par ses soins », a-t-il ainsi déclaré devant la commission des lois de l'Assemblée nationale.

* 9 Introduite en des termes assez proches de ceux d'aujourd'hui sous le Directoire à l'article 83 du code des délits et des peines du 3 Brumaire an IV ( 25 octobre 1795), l'obligation de signalement a été reprise à l'article 29 du code d'instruction criminelle napoléonien et inscrite, depuis 1957, au second alinéa de l'article 40 du code de procédure pénale.

* 10 La jurisprudence de la chambre criminelle fait indistinctement référence à la qualité de fonctionnaire ou d'agent public (Cass. crim. 6 juillet 1977, n° 76-92.990, Bull. crim. n° 255 et 14 décembre 2000, n° 00-86.595, Bull. crim. n° 380).

* 11 Le juge pénal ayant précisé que l'application de l'article 40, alinéa 2, « suppose l'exercice d'une fonction publique » (Cass. crim. 6 juillet 1977, précité).

* 12 Délit que l'article 222-11 du code pénal punit de trois ans d'emprisonnement et de 45 000 euros d'amende.

* 13 L'immixtion dans l'exercice d'une fonction publique en accomplissant l'un des actes réservés au titulaire de cette fonction, réprimée par l'article 433-12 du code pénal.

* 14 CE, sect., 27 oct. 1999, n° 196306, publié au recueil Lebon.

* 15 CAA Nancy, 3e ch., 30 nov. 2006, n° 05NC00618.

* 16 Cass. crim., 5 oct. 1992, n° 91-85.758, M. Alain X., Sté Ventes par correspondances et promotion.

* 17 Cass. crim., 28 janv. 1992, n° 90-84.940, Bull. crim. n° 34.

* 18 CE, 15 mars 1996, n° 146326, Guigon.

* 19 Il peut notamment inviter par instruction, les membres du personnel à faire l'usage de la forme écrite, si besoin par télécopie, pour aviser le procureur de la République des faits dont les intéressés auraient eu la connaissance directe. CE, 20 mars 2000, Consorts Hanse, n° 200387.

* 20 Cass. crim., 14 décembre 2000, précité. Sur ces questions, cf. Gérald Chalon, « L'article 40 du code de procédure pénale à l'épreuve du statut général de la fonction publique », AJFP 2004, et « Le droit d'alerte : signaler, traiter, protéger », Étude du Conseil d'État du 25 février 2016.

* 21 « Les prescriptions de l'article 40, alinéa 2, du code de procédure pénale ne sont assorties d'aucune sanction pénale » (Cass. crim., 13 oct. 1992, n° 91-82.456, Bull. crim., 1992 n° 320).

* 22 CAA Paris, 4 e ch., 30 juin 2004, n° 01PA00841.

* 23 Inspection qui ignorait pourtant en mai, contrairement au directeur de cabinet, l'identité d'Alexandre Benalla et Vincent Crase.

* 24 L'entière applicabilité du décret du 17 janvier 1986 aux contractuels de la présidence de la République reste, faute de jurisprudence décisive, encore contestée en doctrine : son champ d'application recouvre les personnes nommées « dans un emploi permanent » (notion délicate à appliquer à un chargé de mission de la chefferie de cabinet de la présidence de la République) des « administrations de l'État » (qualification à laquelle échappe traditionnellement l'Élysée puisque, constitutionnellement, l'administration est à la disposition du Gouvernement), et ne saurait remettre en cause le principe constitutionnel de séparation des pouvoirs (qui s'applique au sein de l'Exécutif à l'égard du Président de la République).

* 25 Selon Patrick Strzoda : « Je l'ai informé [Alexandre Benalla] que cette participation à une opération de maintien de l'ordre n'entrait pas dans ses missions d'observateur, et que ce comportement inacceptable serait sanctionné comme faute. » Et selon le Président de la République lui-même : « le lendemain, dès qu'ils l'ont su, mes collaborateurs à l'Élysée ont pris une sanction » (déclaration du 24 juillet 2018 à la Maison de l'Amérique Latine).

* 26 Le I de l'article 10 du décret du 17 janvier 1986 renvoie au décret n° 84-972 du 26 octobre 1984 relatif aux congés annuels des fonctionnaires de l'État. Aux termes du second alinéa de l'article 5 de ce dernier : « Un congé non pris ne donne lieu à aucune indemnité compensatrice. »

* 27 Le II de l'article 10 du décret du 17 janvier 1986 autorise une indemnité compensatrice pour congé non pris uniquement « en cas de licenciement n'intervenant pas à titre de sanction disciplinaire ».

Ce n'est, pour être exhaustif, que si les contractuels de l'Élysée disposaient d'un compte épargne temps, sur lequel Alexandre Benalla avait pu placer des jours, qu'une retenue aurait pu être effectuée lors de la monétisation finale de son compte - aucune disposition ne limitant ici leur versement en cas de licenciement.

* 28 Il est d'ailleurs douteux qu'il se fût agi d'une simple participation, Alexandre Benalla ayant prétendu publiquement lui-même jouer un rôle moteur dans la préparation de la réforme prévue à cet égard.

* 29 Vos rapporteurs notent que cette mission témoigne de la très grande confiance qui était accordée à Alexandre Benalla au sein de l'Élysée.

* 30 Le GSPR assure la sécurité du Président de la République au cours de ses déplacements, réalisés à titre officiel ou privé. Le commandement militaire est responsable de la sécurité du Palais de l'Élysée et de ses annexes.

* 31 Propos tenus devant la commission des lois du Sénat, le 19 septembre 2018.

* 32 Parmi les personnes les plus régulièrement citées figurent M. Frédéric Le Louette, président de l'association professionnelle nationale de militaires GendXXI, et M. Jean-Pierre Diot, ancien agent du service de protection des hautes personnalités.

* 33 Ces éléments sont issus d'une note adressée, le 9 juillet 2012, par le chef de cabinet du ministre de l'économie, du redressement productif et du numérique, M. Christophe Lantoine, au chef du bureau des cabinets, relative à l'engagement d'une procédure de licenciement à l'encontre d'Alexandre Benalla.

* 34 Art. R. 312-24 du code de la sécurité intérieure.

* 35 Dans le cadre de la campagne présidentielle, Alexandre Benalla ainsi que six autres personnes de La République en Marche !, ont sollicité au mois d'avril 2017 un permis de port d'arme, dans le cadre de leurs missions de sécurisation des locaux du mouvement.

* 36 L'un, ancien chef inspecteur divisionnaire au service des voyages officiels et de la protection des hautes personnalités, a continué à exercer ses fonctions de protection auprès de Jacques Chirac de 1995 à 1998. L'autre, fonctionnaire de police au GSPR, a, à la suite de sa retraite en 2003, continué d'exercer ses fonctions en tant qu'agent contractuel.

* 37 Le grade attaché à l'exercice de cette fonction de spécialiste dans la réserve opérationnelle est conféré par arrêté du ministre de l'intérieur pour les réservistes de la gendarmerie nationale (article L. 4221-3 du code de la défense), le directeur général de la gendarmerie nationale exerçant une délégation à cet effet.

* 38 Audition de Patrick Strzoda du 16 janvier 2019.

* 39 Lors de son audition devant votre commission des lois, le 16 janvier 2019, Patrick Strzoda a ainsi affirmé : « M. Benalla a été remplacé dans ses fonctions par un chargé de mission qui n'a pas souhaité disposer d'un Teorem. Le Teorem permet d'avoir des conversations sécurisées pour gérer un certain nombre de séquences dans l'agenda du Président. Son successeur considère que, pour exercer sa mission, il n'a pas besoin de cet outil ; il n'en a donc pas. »

* 40 Le 21 janvier 2019, devant votre commission, Alexandre Benalla a indiqué : « C'est lors de mon dernier déménagement, le 20 novembre 2018 pour être très précis, que l'on m'a demandé la restitution d'un certain nombre d'effets qui n'avaient pas été rendus à l'Élysée, dont la carte professionnelle, le pin's et un certain nombre d'autres documents. Le Teorem n'était pas mentionné. Avec ma femme, j'ai procédé à un inventaire complet des affaires qui n'étaient pas encore déballées, et nous sommes tombés sur le Teorem. J'ai alors appelé mon avocate, qui a effectué les démarches auprès de M. Strzoda pour savoir comment nous pouvions restituer ce téléphone. Depuis, il a été restitué à l'Élysée ». Ces propos confirment les déclarations de Patrick Strzoda qui, le 16 janvier, a indiqué que « le 11 janvier, le conseil de M. Benalla m'a informé que le poste Teorem avait été retrouvé dans les affaires de M. Benalla, qui vit à l'étranger. »

* 41 « Ces deux titres de voyage ont fait l'objet d'une demande de restitution (...) Soyez assuré que mes services veilleront à ce que ces documents soient dûment remis au bureau des visas et passeports diplomatiques par leur titulaire. »

* 42 Alexandre Benalla voyage avec un passeport diplomatique (Mediapart, 29 décembre 2018).

* 43 Décret n° 2008-543 du 9 juin 2008 relatif au passeport diplomatique et décret n° 2012-20 du 6 janvier 2012 relatif au passeport diplomatique et à l'authentification de son titulaire ; arrêté du 11 février 2009 relatif au passeport diplomatique.

* 44 S'agissant des agents diplomatiques et consulaires ainsi que des autres fonctionnaires en poste à l'étranger, ce n'est pas le passeport diplomatique mais l'inscription sur la liste diplomatique ou consulaire de l'État de résidence qui confère les privilèges et immunités prévus par les conventions de Vienne sur les relations diplomatiques et consulaires.

* 45 Signé le 2 juin 2017, son contrat à durée déterminée prenait effet à compter du 15 mai 2017 (et expirait de plein droit à la fin du mandat présidentiel en cours).

* 46 Selon la presse, l'intéressé en aurait déclaré la perte aux autorités à la fin du mois de janvier 2019.

* 47 Par un communiqué de presse du 29 décembre 2018, le procureur de la République de Paris a fait savoir qu'il avait ouvert une enquête préliminaire sur les chefs d'abus de confiance (article 314-1 du code pénal), usage sans droit d'un document justificatif d'une qualité professionnelle (2° de l'article 433-14 du code pénal) et exercice d'une activité dans des conditions de nature à créer dans l'esprit du public une confusion avec l'exercice d'une fonction publique ou d'une activité réservée aux officiers publics ou ministériels (article 433-13 du code pénal). Après qu'Alexandre Benalla eut été placé en garde à vue le 17 janvier 2019, une information judiciaire a été ouverte et - selon les déclarations de son conseil - il a été mis en examen pour usage public et sans droit d'un document justificatif d'une qualité professionnelle et placé sous le statut de témoin assisté pour les autres infractions.

* 48 À cet égard, vos rapporteurs restent plus qu'étonnés de la façon dont le directeur de cabinet du Président de la République justifie son abstention de dénoncer à la justice des faits pourtant susceptibles de recevoir une qualification criminelle de faux en écriture publique. Selon lui : « À ce moment-là [à l'automne], j'ai considéré que le problème était réglé puisque les passeports [de service] avaient été invalidés depuis le 30 juillet et toutes les démarches avaient été faites pour obtenir la restitution de ces documents. C'est récemment, à la vue de l'enquête préliminaire ouverte par le procureur de la République, sur la base d'abus de confiance et d'utilisation frauduleuse des titres, que j'ai souhaité qu'on verse cet élément supplémentaire au dossier ».

* 49 Article 51-2 : « Pour l'exercice des missions de contrôle et d'évaluation définies au premier alinéa de l'article 24, des commissions d'enquête peuvent être créées au sein de chaque assemblée pour recueillir, dans les conditions prévues par la loi, des éléments d'information.

La loi détermine leurs règles d'organisation et de fonctionnement. Leurs conditions de création sont fixées par le règlement de chaque assemblée. »

* 50 Faute de texte le prévoyant expressément, la prestation de serment résulte dès le XIXe siècle en France de la pratique des chambres : « Toutes les commissions d'enquête ont appelé des témoins devant elles ; en effet, il ne saurait y avoir d'investigation sérieuse en l'absence de dépositions orales. (...) au cours des enquêtes qui se sont déroulées depuis 1876, les témoins ont été presque toujours entendus sous la foi du serment. » (Traité de droit politique, électoral et parlementaire, Eugène Pierre, Paris, 5e éd., 1919, pp. 689-691).

* 51 La première loi sur les enquêtes parlementaires, dite loi « Rochette » du 23 mars 1914, impose la prestation de serment aux témoins. Les prérogatives des commissions d'enquête sous la IVe République sont réaffirmées par les règlements des assemblées et l'obligation de prestation de serment des témoins est retranscrite dans la loi n° 50-10 du 6 janvier 1950, portant modification et codification des textes relatifs aux pouvoirs publics, qui règle le fonctionnement des deux chambres

* 52 Article 6 de l'ordonnance n° 58-1100 du 17 novembre 1958 relative au fonctionnement des assemblées parlementaires.

* 53 Vos rapporteurs ont demandé au ministre de bien vouloir développer par écrit ses explications. Il en résulte que le ministère de l'intérieur gère l'application TES (Titres électroniques sécurisés), qui suit les demandes de passeports normaux et de service. Les passeports diplomatiques ne figurent pas dans ce traitement, ces demandes étant instruites et gérées de manière indépendante par le ministère des affaires étrangères (qui se fonde sur des dispositions réglementaires différentes et des outils de gestion distincts - systèmes PHILEAS et REVOL). Néanmoins, le ministère de l'intérieur ( via sa direction centrale de la police judiciaire - DCPJ) peut être amené à signaler des passeports diplomatiques dans certaines bases de données utilisées notamment dans le cadre de contrôle de documents par les forces de sécurité intérieure, sur demande de l'autorité ayant invalidé le document de voyage, notamment en cas de vol ou de perte justifiés, afin de prévenir une éventuelle utilisation frauduleuse.

* 54 Mediapart, « Les millions russes d'Alexandre Benalla », 11 février 2019.

* 55 Vincent Crase a notamment déclaré devant votre commission : « Il s'agissait de prestations de sécurité privée. M. Makhmudov souhaitait que ses trois enfants bénéficient d'un accompagnement journalier, et que lui-même dispose d'une équipe comprenant un chauffeur et deux personnes, durant ses villégiatures en France. [...] J'ai recouru à la sous-traitance, parce que je n'avais pas l'habilitation du Conseil national des activités privées de sécurité (Cnaps) m'autorisant à être dirigeant de société de sécurité. Comme j'aime faire les choses légalement, j'ai donc dû passer par un prestataire de services qui disposait de cette habilitation ».

* 56 Interview réalisée par BFMTV.

* 57 Le parquet national financier a ouvert une enquête préliminaire à la suite des révélations sur la conclusion du contrat avec M. Iskander Makhmudov, pour « corruption », selon les informations révélées par la presse. L'autorité judiciaire n'a toutefois pas confirmé les chefs d'inculpation retenus.

* 58 À savoir, le secrétaire général, le directeur de cabinet, le chef de cabinet - et leurs éventuels adjoints en titre - ainsi que les conseillers spéciaux, politiques ou thématiques dits conseillers techniques.

* 59 Voir par exemple, en dernier lieu, l'arrêté du 18 septembre 2017 relatif à la composition du cabinet du Président de la République (JORF n° 0219 du 19 septembre 2017).

* 60 Article 11 de la loi n° 2013-907 du 11 octobre 2013 relative à transparence de la vie publique. Le non-respect de ces obligations déclaratives constitue un délit passible de trois ans d'emprisonnement et 45 000 euros d'amende.

* 61 L'article L. 114-1 du code de la sécurité intérieure s'applique également à certaines décisions d'autorisation, d'agrément ou d'habilitation.

* 62 Art. R. 114-2 du code de la sécurité intérieure.

* 63 Le décret n° 2017-105 du 27 janvier 2017 relatif à l'exercice d'activités privées par des agents publics et certains agents contractuels de droit privé ayant cessé leurs fonctions, aux cumuls d'activités et à la commission de déontologie de la fonction publique est applicable aux collaborateurs du Président de la République (en application de son article 1 er ).

* 64 Elle peut aussi être directement saisie par l'agent lui-même (trois mois au moins avant la date à laquelle il souhaite exercer les fonctions pour lesquelles un avis est sollicité). La commission peut enfin être saisie par son propre président si elle ne l'a pas été préalablement à l'exercice de l'activité privée et que ce dernier estime que, par sa nature ou ses conditions d'exercice et eu égard aux fonctions précédemment exercées, la compatibilité de cette activité doive être soumise à la commission.

* 65 Pris par le Président de la République, le décret n° 2017-1063 du 18 mai 2017 relatif aux cabinets ministériels prévoit qu'un ministre ne puisse plus désormais disposer que de dix conseillers, un ministre délégué de huit, et un secrétaire d'État de cinq.

* 66 Cette circulaire peut être consultée à l'adresse suivante :

https://www.legifrance.gouv.fr/eli/circulaire/2017/5/24/PRMX1715510C/jo

* 67 Selon les informations fournies par l'Élysée dans le cadre de l'avis budgétaire sur la mission « Pouvoirs publics » du projet de loi de finances pour 2019, au 31 décembre 2017, le cabinet du Président de la République était composé de 52 membres dont 12 étaient également membres du cabinet du Premier ministre (8 de ces 12 conseillers étant rémunérés par Matignon).

* 68 Article 10.

* 69 Selon les informations communiquées à la commission par le ministre de l'intérieur, il n'existe aucune incompatibilité de principe entre les fonctions de réserviste opérationnel et les métiers de la sécurité privée. Le décret n° 2017-606 du 21 avril 2007 relatif aux conditions d'exercice des activités privées de sécurité prévoit en outre un régime d'équivalence dans la sécurité privée pour les réservistes de la gendarmerie nationale, la police nationale et des armées.

* 70 Cette dernière a toutefois été communiquée à votre commission au mois de septembre après relance.

* 71 « Par ses contrôles, la Cour des comptes vérifie sur pièces et sur place la régularité des recettes et des dépenses décrites dans les comptes et s'assure du bon emploi des crédits, fonds et valeurs gérés par les services et organismes relevant de sa compétence. »

* 72 « La Cour des comptes contrôle les services de l'État et les autres personnes morales de droit public, sous réserve de la compétence attribuée aux chambres régionales et territoriales des comptes et sous réserve des dispositions de l'article L. 131-3. »

* 73 Cour de cassation, chambre criminelle, 19 décembre 212, n° 12-81.043.

* 74 Ce refus a été signifié au président de votre commission ainsi qu'à ses deux rapporteurs par un courrier du ministre d'État, ministre de l'intérieur, daté du 2 août.

* 75 Ce rapport est disponible sur le site de l'Assemblée nationale, à l'adresse suivante : http://www2.assemblee-nationale.fr/static/reforme-an/contr%C3%B4le/Rapport-1-GT4-contr%C3%B4le.pdf

* 76 Audition du directeur de cabinet du Président de la République, Patrick Strzoda, le 25 juillet 2018.