III. DES ENJEUX DE GOUVERNANCE : CLARIFIER LES RÔLES DES ACTEURS ET ORGANISER LEUR COOPÉRATION

A. RENFORCER LE RÔLE D'ACCOMPAGNEMENT DU NIVEAU CENTRAL

1. Mettre à disposition des acteurs une « boîte à outils » de l'adaptation

Les politiques d'adaptation, au niveau central, n'ont pas pour objectif de livrer aux acteurs de terrain des solutions adaptatives prêtes à l'emploi, mais plutôt à leur fournir des outils et des méthodes leur permettant de diagnostiquer par eux-mêmes leurs vulnérabilités et d'élaborer des réponses pertinentes à leur échelle. Cela veut dire que l'État a pour mission en premier lieu de :

- mettre en place un cadre législatif et règlementaire qui rende possible les actions locales d'adaptation ;

- outiller correctement les collectivités en assurant leur accès à l'expertise scientifique et technique de pointe que possèdent certains services et opérateurs spécialisés de l'État (BRGM, Météo-France, Cerema, Ademe, etc.) ;

- soutenir l'expérimentation de projets d'adaptation innovants et faciliter la remontée et le partage des expériences qui ont fait la preuve de leur pertinence ;

- soutenir la montée en gamme de la capacité d'ingénierie des collectivités et des autres acteurs de l'adaptation par un travail de conseil et de formation.

Ce soutien de l'État doit par ailleurs comprendre également un volet « financement », sur lequel nous reviendrons plus loin dans une partie spécifiquement consacrée à ce sujet.

2. Une boite à outils déjà bien fournie

Le bilan de l'État au sens large (services et établissements publics) dans le domaine des politiques d'adaptation est jusqu'à présent assez satisfaisant et parfois même remarquable. Le 1 er Plan d'adaptation et les enseignements tirés des catastrophes climatiques des vingt dernières années ont en effet permis de poser plusieurs des fondements règlementaires et scientifiques nécessaires à l'approfondissement ultérieur des politiques d'adaptation aux dérèglements climatiques.

Sans aucunement prétendre à l'exhaustivité d'un tel bilan, on peut signaler les réalisations suivantes :

- dans le domaine de la connaissance , les opérateurs scientifiques de l'État ont développé des capacités d'expertise de pointe au niveau mondial permettant de mieux connaître les manifestations du changement climatique et de mieux cerner quelques-uns de ses impacts sur les risques naturels, sur l'agriculture, sur les ressources en eau, sur la santé, etc. Il faut saluer le travail remarquable accompli par les équipes de Météo-France, du BRGM ou encore de l'INRA - la liste n'est pas exhaustive ;

- un effort a été réalisé pour améliorer la diffusion, la vulgarisation et la mise à disposition , pour les acteurs de terrain et les décideurs, de l'expertise scientifique indispensable à la construction des politiques d'adaptation. La première partie du présent rapport exploite quelques-uns des travaux produits par les grands centres scientifiques français. De nombreux rapports remarquables sont accessibles gratuitement en ligne. En particulier, la série des rapports coordonnés par Jean Jouzel sur le climat de la France au XXI e siècle, ainsi que les projections de Météo-France ou de l'IPSL (portails DRIAS-Les futurs du climat et Climat HD). Toutefois, nous y reviendrons un peu plus loin, il faut maintenant franchir une nouvelle étape pour faciliter la diffusion des données climatiques nécessaires à l'élaboration des politiques d'adaptation des territoires et des secteurs économiques .

- au-delà des outils de connaissance, les outils de planification ont également beaucoup progressé . Un volet « adaptation » a été intégré à de nombreux documents stratégique : les SRADDET, les PCAET, les SDAGE ou encore les schémas de massifs montagneux ;

- u ne stratégie nationale de gestion intégrée du trait de côte a été initiée en 2012, afin de permettre de développer la connaissance sur l'évolution du trait de côte, d'intégrer cette problématique dans la planification urbanistique - notamment au travers des SCOT littoraux - ou encore de développer les démarches expérimentales en vue de la recomposition spatiale du littoral et, le cas échéant, du repli des activités ;

- dans le domaine du risque d'inondation , les outils de prévention et de gestion des crises ont également profondément évolué. La stratégie nationale de gestion des risques d'inondations (SNGRI) intègre désormais pleinement le risque « submersion » au sein des plans de prévention des risques littoraux (PPRL). Après la tempête Xynthia et les crues du Var de 2010, une politique de prévention des risques de submersions rapides a été développée dans le cadre du Plan Submersions Rapides (PSR) . Le PSR a permis notamment l'amélioration des dispositifs de vigilance, avec la création d'un dispositif de vigilance spécifique « vagues submersions » sur l'ensemble du littoral de métropole, la mise en place d'un dispositif de surveillance du risque de crue sur le réseau fluvial (VIGICRUES) ou encore la création de la compétence de gestion des milieux aquatiques et de prévention des inondations (dite GEMAPI).

3. Un objectif prioritaire : accentuer le soutien à la recherche, à l'expertise et aux travaux de prospective

Dans toutes les auditions que vos rapporteurs ont effectuées auprès des organismes de recherche et d'expertise scientifique, un même cri d'alarme a été lancé : non seulement les crédits ne sont pas au rendez-vous ni à la hauteur des enjeux climatiques, mais l'étranglement financier menace.

Hervé Le Treut a donné un exemple qui illustre le découragement du monde de la recherche aujourd'hui, celui du programme « Gestion et impacts du changement climatique » (GICC). Depuis 2016 l'activité du GICC a été très réduite. Le PNACC 2018 prévoyait un financement de recherche pour le GICC, mais finalement aucun crédit ne lui a été affecté. En l'absence de perspectives, le conseil scientifique du GICC a présenté sa démission en décembre 2018, avec beaucoup d'amertume. Il n'existe donc aujourd'hui pas d'action de recherche nationale destinée à créer l'expertise nécessaire pour affronter la crise des territoires face au réchauffement climatique.

Les organismes français de recherche et d'expertise scientifiques réalisent pourtant des travaux remarquables, mondialement reconnus, avec bien peu de moyens. Ils n'ont pas besoin de sommes considérables pour continuer à travailler. Mais le financement de la recherche constitue aujourd'hui un goulet d'étranglement pour la mise en place de politiques d'adaptation plus ambitieuses.

Les arbitrages du Gouvernement dans le domaine du financement de la recherche liée à la transition climatique doivent donc être profondément réorientés .

Les domaines de connaissance qui doivent être soutenus pour appuyer l'essor des politiques d'adaptation sont :

- les sciences du climat proprement dites ;

- l'ensemble des travaux scientifiques fondamentaux ou appliqués qui permettent de mesurer les impacts des dérèglements climatiques sur l'environnement et de mesurer l'impact des différentes mesures d'adaptation envisageables . Sans ces outils de connaissance qui permettent de construire des diagnostics et des études d'impacts locales, les politiques d'adaptation sont condamnées à avancer en aveugle - et donc à ne pas avancer. On inclut ici le soutien à l'expertise de haut niveau détenue par des opérateurs de l'État tels que l'Ademe ou le Cerema, qui sont des relais indispensables entre le monde de la recherche et le domaine de l'action publique ;

- les travaux de recueil d'observations conduits par les différents observatoires du changement climatique (observatoires du littoral, de la montagne, de l'agriculture, de la biodiversité, des outre-mer, etc.). Ils sont l'outil indispensable pour suivre la transformation des territoires sous l'effet du changement climatique ;

- les travaux de recherche relevant des sciences économiques et sociales qui permettent d'appréhender et d'anticiper la transformation des organisations et des activités humaines sous l'effet des transformations du climat et de l'environnement. Ce chaînon de la connaissance est indispensable pour faire le lien entre les impacts physiques et les impacts économiques du changement climatique, notamment à l'occasion d'exercices territoriaux de prospective. Il est également indispensable pour comprendre comment l'organisation économique et sociale peut intégrer (ou bloquer) les adaptations nécessaires.

Au-delà de la production des connaissances, il faut également faciliter leur diffusion. Il est ainsi proposé de garantir un accès gratuit des usagers, et notamment des collectivités territoriales, à toutes les données climatiques nécessaires à l'élaboration des politiques d'adaptation. Cela concerne en particulier l'accès au détail des scénarios climatiques régionalisés de Météo-France . La mise à disposition payante de ces données constitue aujourd'hui un frein important au déploiement des politiques d'adaptation et conduit à une situation collectivement sous-optimale. Bien entendu, une telle mesure, qui remet en cause le modèle économique actuel de Météo-France en le transformant en un véritable service public du climat, implique que l'État prenne ses responsabilités et assure par ailleurs le financement de son opérateur.

Sortir de l'état de carence de l'outil statistique du tourisme

L'outil statistique permettant de suivre l'activité du secteur du tourisme est aujourd'hui lacunaire. On ne sait pas précisément d'où viennent les touristes, comment ils se déplacent en France, comment ils se logent, où ils vont, ce qu'ils font ni (jusqu'à une date récente) combien ils dépensent. Or, on ne peut pas anticiper les évolutions de moyen ou long terme du secteur du tourisme si l'on ne sait même pas précisément ce qui se passe aujourd'hui.

Un exemple confinant à l'absurde illustrera les insuffisances de nos outils de connaissance dans ce domaine. Le 30 janvier 2018, la Banque de France a annoncé avoir procédé à une révision de sa méthodologie de mesure des recettes touristiques, révision qui a conduit à une réévaluation d'environ 10 Md€ par an des recettes nettes issues du tourisme international ! À la suite de la correction de cette erreur de mesure, les recettes de tourisme ont ainsi instantanément bondi de 26 %, passant de 38 à 48 Md€ par an. Seulement quelques jours plus tôt, le Premier ministre, réunissant le 2 e Conseil interministériel du tourisme, réaffirmait pourtant l'objectif « ambitieux » de réaliser 50 Md€ de recettes touristiques, objectif qui était donc en fait déjà quasiment atteint sans même qu'on le sache...

Sur le fondement d'un outil statistique enfin à la hauteur de ce que représente le tourisme dans l'économie nationale, il sera possible ensuite de procéder à des exercices de prospective sectorielle susceptibles d'anticiper sérieusement les effets du changement climatique sur le tourisme et d'imaginer les réponses adaptatives permettant de limiter les impacts négatifs ou, pour certains territoires, de profiter d'opportunités nouvelles de développement.

4. Améliorer la coordination et la visibilité des actions conduites par les services et les opérateurs de l'État

L'État conduit ses politiques d'adaptation au changement climatique à travers de nombreux dispositifs et de multiples services et opérateurs plus ou moins autonomes : opérateurs de la recherche et de l'expertise scientifique (Météo-France, BRGM, INRA...), opérateurs sectoriels (Cerema, Ademe, AFB, ONF..). Le constat de cette complexité administrative n'est pas en soi une critique si l'on considère que les politiques d'adaptation sont par nature transversales et complexes.

Ceci étant, pour les acteurs de terrain, notamment pour les collectivités, qui ont besoin de l'accompagnement de l'État pour construire leurs propres politiques d'adaptation, la complexité de l'organisation interne de l'État doit rester invisible. L'État s'organise comme il l'entend en back office , mais, en front office dans ses relations avec les usagers, il doit être un, être clairement visible et offrir un ensemble de services lisibles - ce qui n'est pas encore complètement le cas en matière d'adaptation au changement climatique. Si l'État a déjà produit de très nombreux et précieux outils de diagnostic et d'accompagnement mobilisables par les collectivités et les acteurs économiques, cette information reste dispersée.

Il est donc proposé de créer un portail national au service des politiques d'adaptation , c'est-à-dire un portail qui associe l'ensemble des services et opérateurs de l'État sur la problématique de l'adaptation et qui constitue le point d'entrée unique des collectivités et acteurs économiques vers les services et outils développés par l'État. Le PNACC 2 prévoit déjà la création d'un Centre de ressource pour l'adaptation au changement climatique (CRACC), mais plus qu'un simple centre de documentation en ligne, ce portail national doit tendre le plus possible vers un service public de l'accompagnement à l'adaptation climatique, offrant de vraies capacités d'échanges entre les usagers et les services de l'État compétents.

5. Mettre en place un pilotage gouvernemental des politiques d'adaptation plus inclusif
a) Mobiliser l'État au-delà du ministère de la transition écologique

Le portage des politiques d'adaptation reste encore extrêmement centré politiquement et administrativement sur le ministère de la transition écologique et solidaire, alors que l'adaptation est tout autant un enjeu économique, sanitaire ou éducatif qu'écologique. Il serait donc souhaitable que les politiques d'adaptation impliquent de manière plus équilibrée l'ensemble des domaines ministériels concernés.

Certes, comme toutes les politiques de l'État, les politiques d'adaptation aux changements climatiques font l'objet d'échanges et d'arbitrages interministériels, mais ces mécanismes de coordination entre services de l'État et ministères n'assurent pas nécessairement une véritable « interministérialité ». Les arbitrages peuvent en effet être le lieu de la confrontation entre des cultures et des intérêts ministériels différents, avec des « gagnants » et des « perdants », davantage qu'un lieu de construction d'une vision partagée des services de l'État sur un enjeu donné.

Or, il est absolument nécessaire de parvenir à construire une vision transversale et commune de l'État en matière d'adaptation au changement climatique - non pas pour satisfaire une sorte d'oecuménisme gouvernemental, mais parce que, comme on l'a souligné précédemment, une politique d'adaptation doit reposer sur une approche systémique. Si on construit une politique adaptative sans tenir compte de la forte corrélation des impacts du réchauffement et de l'interdépendance des réponses sectorielles, on crée un risque fort de mal adaptation.

On peut observer aujourd'hui au sein de la technostructure étatique des oppositions d'approches presque philosophiques entre les différents services sur des enjeux centraux d'adaptation - notamment sur la question de l'eau. Du côté des services « historiques » du ministère de l'écologie, l'objectif prioritaire de la politique de l'eau est la préservation des milieux aquatiques et de la biodiversité. Du côté du ministère de l'agriculture, la priorité est l'accès des agriculteurs à la ressource hydrique. On pourrait ajouter que, malgré son rattachement au ministère de la transition écologique, le secteur énergétique a ses propres priorités - puisque l'eau est nécessaire à l'hydroélectricité et aux centrales nucléaires. La confrontation de ces approches sectorielles risque de conduire à opposer les usages et à en sacrifier certains.

Faire émerger une vision partagée au sein même de l'État passe par une implication politique forte au plus haut niveau, capable de fixer clairement la doctrine et les arbitrages fondamentaux. Au niveau des services déconcentrés, il est indispensable d'encourager une implication forte des préfets sur les enjeux d'adaptation afin qu'ils mobilisent et coordonnent toutes les directions (pas seulement les DREAL 32 ( * ) ) dans les exercices de prospective et de construction de projets de territoires.

b) Renforcer le suivi par le CNTE

Il a pu être ponctuellement proposé, au cours des auditions, de réfléchir à une évolution du fonctionnement du CNTE afin de progresser vers davantage de co-construction des politiques climatiques et vers une association plus active des territoires.

Tout en rappelant que le CNTE présente déjà un caractère fortement inclusif dans sa composition actuelle, vos rapporteurs soulignent que sa commission spécialisée devra se montrer vigilante dans le suivi de la mise en oeuvre du PNACC 2 et dans son évaluation. En particulier, il conviendra d'être exigeant sur la fiabilité des indicateurs de moyens et de performances qui seront choisis pour le pilotage des différentes actions du plan. Pour bien assurer ce travail de suivi, un renforcement de son secrétariat est souhaitable.


* 32 Directions Régionales Environnement Aménagement Logement

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