II. ENJEU BUDGÉTAIRE CONSÉQUENT, LE RECOUVREMENT DES AMENDES DE CIRCULATION ET DES FORFAITS DE STATIONNEMENT SE TROUVE CONFRONTÉ À DES DIFFICULTÉS LIÉES À LA NATURE MÊME DES PRODUITS RECOUVRÉS

A. TAUX DE RECOUVREMENT ET VOLUME À RECOUVRER : DES TRAJECTOIRES DIVERGENTES

1. Le recouvrement : des résultats décevants pour des coûts mal documentés

Les données fournies à vos rapporteurs spéciaux sur les taux de recouvrement des amendes de circulation et des forfaits de post-stationnement sont sans appel : ces dernières années, ces taux sont en baisse . Ils sont particulièrement faibles pour les amendes forfaitaires majorées (AFM) et les forfaits de post-stationnement majorés (FPSM), les deux produits pour lesquels la DGFiP enclenche des procédures de recouvrement forcé.

Taux de recouvrement des amendes forfaitaires majorées depuis 2010

Source : commission des finances du Sénat, à partir des données transmises par la DGFiP

Nombre de départements par fourchette de taux de recouvrement du FPSM
en 2018

Lecture : 15 départements présentent un taux de recouvrement des FPSM compris entre 20 % et 25 %.

Source : commission des finances du Sénat, à partir des données transmises par la DGFiP.

En parallèle, le volume et surtout le montant des amendes forfaitaires majorées ont augmenté.

Montant et volume des avis de paiement des amendes forfaitaires majorées
de circulation émis depuis 2010

Source : commission des finances du Sénat, d'après les données transmises par la DGFiP

Lorsqu'un débiteur reçoit un avis de paiement pour une amende forfaitaire majorée ou pour un forfait de post-stationnement majoré, il dispose d'un délai de 30 jours 3 ( * ) pour pouvoir bénéficier d'une diminution du montant de 20 % (exclusivement imputé sur le montant de la majoration pour les FPSM). Toutefois, vos rapporteurs spéciaux ont pu constater que seule une faible proportion des AFM et des FPSM était effectivement payée dans les 30 jours.

Part des AFM et des FPSM payés dans un délai de 30 jours en 2018

Source : commission des finances, d'après les données transmises par la DGFiP

De la faible utilisation de cette fonctionnalité, vos rapporteurs spéciaux en tirent un constat : en phase de recouvrement forcé, les débiteurs payent de toute façon peu. Le contraire s'observe pour les amendes de circulation « simples » : d'après les données transmises par l'Antai, pour les amendes payées (y compris pour le stationnement payant avant 2018), une grande majorité était payée dans un délai de 15 jours (paiement par chèque ou espèces) ou 30 jours (par télépaiement ou timbre dématérialisé), délai permettant de bénéficier d'un montant minoré.

Part des amendes forfaitaires payées avec ou sans minoration

2014

2015

2016

2017

2018

Volume notifié

100,0 %

100 %

100 %

100 %

100 %

Volume payé

51,9 %

50,7 %

50,5 %

51,6 %

67,2 %

dont payé avec minoration

71,6 %

70,6 %

71,8 %

73,0 %

71,3 %

dont payé sans minoration

28,4 %

15,2 %

28,2 %

13,7 %

28,7 %

Volume impayé

48,1 %

49,3 %

49,5 %

48,4 %

32,8 %

Source : commission des finances du Sénat, d'après les données transmises par l'ANTAI

Fait surprenant, si la DGFiP est en mesure de fournir les taux de recouvrement des amendes de circulation et des forfaits de stationnement, elle ne peut pas donner de manière détaillée les coûts et les effectifs affectés à cette mission . En effet, les seuls chiffres disponibles concernent la totalité des produits « amendes » (1 046 équivalents temps plein travaillé [ETPT] selon le rapport annuel de performance 2018). Vos rapporteurs spéciaux ne peuvent que regretter cette situation et rejoignent ici la Cour des comptes, qui recommande de mieux documenter le coût complet du recouvrement des amendes et des forfaits de post-stationnement .

Ce manque de précision affecte également la part majorée du FPSM. Alors que cette part doit revenir à l'État, le forfait de post-stationnement revenant lui à la collectivité territoriale concernée, il est impossible de savoir combien l'État a perçu au titre des FPSM . Sur Chorus, la prise en charge de la majoration du FPS est en effet inscrite sur le même compte que pour les autres amendes ou condamnations pécuniaires revenant au budget de l'État. L'administration ne dispose donc que d'une estimation. Ainsi, selon l'infocentre Amendes, l'État aurait perçu environ 16 millions d'euros à la fin de l'année 2018 au titre du FPSM. Vos rapporteurs spéciaux ne peuvent que souscrire aux propos de leur collègue Antoine Lefèvre, qui, dans son rapport sur les amendes pénales, avait critiqué cet « enjeu mal documenté » 4 ( * ) .

Seule l'Antai est en mesure de fournir un coût détaillé, effectifs compris, de ses missions . Stables de 2012 à 2015, avec un plafond d'emploi fixé à 26 ETPT, les effectifs de l'Antai ont connu une forte hausse entre 2016 et 2018, le nouveau plafond étant fixé à 41 ETPT. Cette augmentation de près de 60 % s'explique par la nécessité pour l'Agence de renforcer ses capacités de pilotage au moment du renouvellement de ses marchés et de l'élargissement de ses missions, avec la forfaitisation de nouveaux délits routiers. Pour faire face à l'entrée en vigueur de la réforme du stationnement payant, cinq ETPT supplémentaires ont été créés, financés sur ressources propres 5 ( * ) . Ces ressources propres proviennent en majeure partie de la refacturation du coût du traitement des avis de paiement des forfaits de post-stationnement aux collectivités territoriales .

Les recettes et les dépenses de l'Antai en 2018

En 2018, l'Antai a bénéficié de deux subventions de l'État, l'une en provenance du programme 751 « Structures et dispositifs de sécurité routière » (76 millions d'euros) et l'autre en provenance du programme 753 « Contrôle et modernisation de la politique de la circulation et du stationnement routiers » (26,2 millions d'euros).

Ses dépenses de personnel se sont élevées à 3,14 millions d'euros, dont 0,33 million pour les cinq ETPT en charge du stationnement payant. Ce niveau de dépenses de personnel reste bas pour un opérateur.

Les dépenses de fonctionnement consomment la majeure partie de son budget (85 %), du fait notamment des frais d'éditique (le premier poste de dépense) et d'exploitation informatique.

Source : rapport annuel de performance 2018 du compte d'affectation spéciale « Contrôle de la circulation et du stationnement routiers »

Au total, le coût complet de gestion des amendes par l'Antai a connu une baisse marquée entre 2012 et 2017 , passant ainsi de 4,7 à 2,7 euros. Ce coût a certes connu une légère hausse en 2018 (3,1 euros) mais vos rapporteurs spéciaux estiment qu'il n'y a pas là motif à s'inquiéter, cette hausse étant avant tout liée à des circonstances très particulières : la dégradation des radars au second semestre de l'année 2018 a entrainé une baisse de la volumétrie, tandis que les coûts stagnaient.

Coût unitaire du traitement des amendes par l'ANTAI

(en euros)

Source : commission des finances du Sénat, à partir des données transmises par l'ANTAI

Recommandation n°4 : améliorer la qualité des informations budgétaires et mieux documenter le coût du recouvrement des amendes de circulation et des forfaits de post-stationnement.

2. L'écart entre la volumétrie et les effectifs : la nécessité de faire face à un contentieux de masse

En 2018, l'Antai a envoyé 14,1 millions d'avis de contravention au titre du contrôle automatisé (en baisse de 17,4 % par rapport à 2017) et 12 millions d'avis au titre du procès-verbal électronique [PVe] (en baisse de 1,4 % par rapport à 2017). Au titre du stationnement payant, elle a envoyé 7,8 millions d'avis de paiement pour des forfaits de post-stationnement et 1,9 million de FPS majorés . Les chiffres relatifs au stationnement payant ont connu une hausse progressive en 2018, le temps que les collectivités se saisissent pleinement de la réforme entrée en vigueur le 1 er janvier de la même année.

Vos rapporteurs spéciaux soulignent que la baisse des avis de contravention envoyés par l'Antai , que ce soit pour le contrôle automatisé ou pour le procès-verbal électronique, s'explique par des facteurs purement conjoncturels. En effet, en parallèle du mouvement des gilets jaunes, de nombreux radars ont été dégradés ou mis hors service, tandis que les effectifs de la police et de la gendarmerie ont davantage été mobilisés sur des tâches de maintien de l'ordre que sur le contrôle de la circulation et du stationnement. Toutefois, vos rapporteurs spéciaux relèvent aussi que cette baisse du volume a eu un impact, à la baisse, sur les recettes perçues par les collectivités. En effet, le comité des finances locales a montré que la valeur du point, à partir de laquelle est calculé le montant de la dotation versée aux collectivités selon les infractions constatées sur leur territoire, avait baissé, après une hausse ces dix dernières années. Cette baisse est notamment due à la diminution du nombre d'amendes de circulation infligées en 2018, mais aussi à la dépénalisation du stationnement.

Évolution de la valeur du point depuis 2010

(en euros)

Source : commission des finances du Sénat, à partir des données transmises par le Groupement des autorités responsables de transport (GART)

Alors que le volume des amendes de circulation et des forfaits de post-stationnement est considérable, atteignant pratiquement 34 millions de titres en 2018 , année pourtant marquée par une baisse, chaque agent de la DGFiP en charge du recouvrement suit en moyenne 20 000 titres impayés . Ce recouvrement de masse rend impossible un suivi individualisé de chacun des dossiers et nécessite, pour son bon fonctionnement, que les citoyens respectent leurs obligations de paiement. Or, vos rapporteurs spéciaux l'ont souligné, les taux de recouvrement stagnent, ce qui augmente mécaniquement la charge de la mission recouvrement forcé. La Trésorerie Amendes 2 ème division de Paris essaye néanmoins de suivre de manière plus personnalisée les dossiers les plus importants, les « grands comptes », ceux qui peuvent rassembler jusqu'à 200 amendes et près de 30 000 euros d'impayés.

Ce volume, qui s'est traduit, selon la DGFiP, par une augmentation de l'activité de près de 25 % en moyenne dans ses trésoreries , ne devrait pas connaitre de reflux . En effet, de nouveaux produits ne cessent de s'ajouter à la mission du recouvrement forcé des amendes : instauration de l'amende pour non-désignation du conducteur responsable à l'encontre des personnes morales ; création d'amendes forfaitaires délictuelles en cas, par exemple, de défaut de présentation du permis de conduire ou du certificat d'assurance. Le paiement de ces amendes forfaitaires permet d'éteindre l'action publique mais ne peut ni bénéficier aux mineurs ni aux personnes en situation de récidive légale 6 ( * ) . Le projet de loi d'orientation des mobilités pourrait ajouter de nouveaux produits , pour sanctionner les poids lourds en surcharge, l'utilisation à mauvais escient des voies réservées ou encore le non-respect des règles de circulation en cas de pic de pollution.

La réforme du stationnement payant a, elle aussi, modifié les conditions de travail des trésoreries amendes , pour la simple raison que les FPS sont rattachés au lieu de résidence du contribuable , tandis que les amendes de stationnement étaient rattachées à la trésorerie du lieu de l'infraction. Les trésoreries de Paris ont ainsi connu, du fait du poids démographique de la capitale, une augmentation de leur activité . La trésorerie 2 ème division traite environ deux millions de titres par an, tous produits confondus. Alors qu'elle disposait d'un effectif de 65,4 ETPT en 2015, ils ne sont plus que 56,9 ETPT en 2018 (plafond d'emplois à 66 ETPT). Ce manque d'effectifs nuit non seulement à la mission recouvrement, mais également à la bonne information des redevables (cf. supra). La rotation des agents est en outre extrêmement forte, avec un renouvellement de près d'un tiers de la masse salariale par an. Ce sont des métiers difficiles, sur lesquels il n'est pas aisé d'attirer les meilleurs profils . Ce sont en outre souvent les agents les plus expérimentés qui partent (plan de départs volontaires de la DGFiP, départs en retraite, réussite du concours d'inspecteur...).

Recommandation n° 5 : alors que le Gouvernement et le ministère de l'action et des comptes publics ont entamé une réflexion sur le redéploiement des effectifs de la DGFiP en région et sur la réorganisation du réseau au sein de chaque département, il est absolument nécessaire de clarifier la façon dont les effectifs de la DGFiP seront répartis et de prendre en compte les futurs départs en retraite, afin de donner plus de visibilité à chaque département. Vos rapporteurs spéciaux recommandent en outre de réfléchir à la possibilité de mieux répartir l'instruction des dossiers relatifs aux forfaits de post-stationnement.

Si les taux de recours sont plutôt faibles, rapportés au volume des amendes et des forfaits de post-stationnement, ils représentent un contentieux de masse . Ainsi, environ 1,5 % des avis de contravention sont contestés, soit 390 000 avis de paiement d'amendes (500 000 environ si on reprend la tendance observée en 2017). Ce taux est de 3 % pour les forfaits de post-stationnement, soit environ 240 000 recours administratifs préalables obligatoires (RAPO). Environ 45 % d'entre eux font l'objet d'un avis défavorable, ce qui peut conduire les débiteurs à poursuivre leur action devant la Commission du contentieux du stationnement payant (CCSP), qui reçoit aussi les requêtes dirigées contre les FPS majorés.

La CCSP s'est très vite retrouvée débordée par l'afflux de requêtes et ses effectifs ont dû rapidement monter en charge, tant du côté des magistrats que du côté du greffe . Ainsi, entre janvier 2018 et mai 2019, 111 agents et cinq magistrats supplémentaires ont été affectés à la CCSP. Au 15 mai 2019, la juridiction administrative compte ainsi 141 agents, dont 58 contractuels, et huit magistrats. Elle a demandé un relèvement de son plafond d'emplois de 39 ETPT pour l'année 2020, ce qui le porterait potentiellement de 120 à 159 ETPT.

Nombre de dossiers en flux et en stock de la Commission du contentieux du stationnement payant sur un an

Source : commission des finances du Sénat, à partir des données transmises par la commission du contentieux du stationnement payant

Deux raisons expliquent le faible nombre de requêtes reçues les premiers mois de l'année 2018, après l'entrée en vigueur de la réforme : le délai de trois mois laissé au règlement du forfait de post-stationnement et l'obligation pour le contestataire de déposer un recours administratif préalable obligatoire avant de pouvoir se tourner vers la CCSP. Le rythme annuel semble aujourd'hui se stabiliser autour de 130 000 à 140 000 requêtes . Vos rapporteurs spéciaux estiment que ce chiffre doit être considéré avec prudence . Il est en effet soumis à des évolutions incertaines et contradictoires : la procédure est de mieux en mieux connue, ce qui pourrait conduire à une hausse du nombre de requêtes et de requêtes recevables ; dans le même temps, l'élaboration par la CCSP de ses premières jurisprudences pourrait conduire les collectivités et les entités en charge du RAPO à modifier leurs comportements à l'égard des automobilistes, diminuant de fait le contentieux.

Paris et Marseille représentent aujourd'hui 43,82 % des affaires portées devant la CCSP , tandis que les 20 premières collectivités les plus fréquemment mises en cause devant la juridiction concentrent les deux tiers de l'ensemble des requêtes enregistrées . Un tel contentieux signifie que le moindre petit dysfonctionnement peut créer un retard considérable dans le traitement des requêtes . L'application informatique propre à la CCSP n'a été opérationnelle qu'au mois de mars 2018 , soit un retard de trois mois par rapport au cahier des charges. Elle a en outre connu de multiples problèmes qui l'ont ralentie et l'ont rendue quasiment inopérante jusqu'au mois de novembre.

L'amélioration significative de l'application informatique, la montée en compétence des agents du greffe, l'augmentation des effectifs et l'externalisation des tâches d'éditique et d'affranchissement devraient néanmoins permettre à la juridiction administrative de réduire le délai qui sépare l'entrée des plis de leur traitement . Aujourd'hui de deux mois et demi, ce délai devrait être de 15 jours à la fin de l'année 2019, avant d'être réduit à moins d'une semaine au premier trimestre de l'année 2020 . Dernier échelon de la chaîne de recouvrement des forfaits de post-stationnement, il est essentiel que la CCSP retrouve un fonctionnement plus fluide. Vos rapporteurs spéciaux relèvent que tant le ministère de l'intérieur que le Conseil d'État se sont montrés très réactifs aux demandes d'effectifs supplémentaires de la part de la Commission.


* 3 45 jours si l'automobiliste paie par internet ou par téléphone (ces 15 jours supplémentaires ne valent que pour les amendes forfaitaires majorées).

* 4 Amendes pénales, l'urgente modernisation du recouvrement , Rapport d'information de M. Antoine Lefèvre, fait au nom de la commission des finances (20 février 2019). Lien vers le rapport : https://www.senat.fr/notice-rapport/2018/r18-330-notice.html

* 5 Ils n'entrent par conséquent pas dans le plafond inscrit en loi de finances initiale.

* 6 Ce dispositif est prévu aux articles L. 495-17 et suivants du code de procédure pénale.

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