III. POUR UNE NOUVELLE DONNE ÉDUCATIVE ASSOCIANT PLEINEMENT LES ÉLUS LOCAUX

A. UN PARTENARIAT AVEC LES ÉLUS À REFONDER

1. Une relation marquée par des tensions récurrentes
a) Une défiance persistante entre les élus et l'éducation nationale

Les associations d'élus rencontrées par la mission se sont fait l'écho d'une défiance persistante entre l'éducation nationale et les élus, ces derniers dénonçant un manque de considération et de concertation, une relation vécue comme encore trop unilatérale et descendante.

Ce constat rappelle celui qu'effectuait en 2011 notre ancien collègue Jean-Claude Carle dans son rapport d'information sur le système scolaire : les élus interrogés déploraient alors « le défaut de dialogue et l'absence d'une pérennité et prévisibilité suffisantes des décisions académiques » 64 ( * ) .

Les évolutions survenues depuis n'ont pas contribué à une amélioration de ces relations , dans un contexte marqué par la baisse des dotations de l'État, la constitution d'EPCI de grande taille et des transferts de compétences mal acceptés par les élus. En matière éducative, la réforme des rythmes scolaires de 2013 a constitué un épisode vécu comme douloureux par les élus locaux. Le retour à la semaine de quatre jours ne s'est pas accompagné d'une amélioration notable, comme en témoignent la poursuite des controverses annuelles sur l'évolution de la carte scolaire et, plus récemment, les débats autour de l'article 6 quater du projet de loi pour une école de confiance ou l'annonce du petit-déjeuner gratuit et du déjeuner « à un euro » à la cantine scolaire.

Les témoignages recueillis directement par la mission dans le cadre de sa consultation des élus confortent ce constat : si les élus font état d'excellentes relations avec les directeurs d'école, celles entretenues avec les inspecteurs de l'éducation nationale ou les inspecteurs d'académie - directeurs académiques des services de l'éducation nationale (IA-DASEN) sont souvent décrites comme plus distantes et conflictuelles. Les témoignages recueillis par la mission lors de la consultation à destination des élus locaux qu'elle a lancée dans le cadre de ses travaux sont éloquants : un élu indique ainsi que « depuis le changement de l'inspecteur d'académie, nous n'avons pas de relationnel avec sa remplaçante », un autre déclare « ne pas savoir quand a eu lieu la dernière concertation, et s'il y en avait une ». D'autres encore souhaiteraient « l'organisation de réunions de secteur » permettant un dialogue avec l'éducation nationale, plutôt que « des mails ou des courriers ».

Une demande forte de la part des élus :
davantage de concertation et d'information

Dans le cadre de ses travaux, la mission d'information a réalisé une consultation des élus locaux via le site internet du Sénat, dont les résultats sont présentés en annexe de ce rapport.

38,5 % des répondants, soit plus d'un tiers se disent insatisfaits des modalités de concertation avec les services de l'éducation nationale.

Interrogés sur la manière de les améliorer, une majorité de répondants déplore un manque de concertation et d'anticipation sur les évolutions demandées.

S'ils sont nombreux à saluer les échanges quotidiens et les bonnes relations et qu'ils entretiennent avec les directeurs d'école, ils demandent notamment des échanges plus réguliers avec l'inspecteur d'académie (IA-DASEN), une visite une fois par an est souvent considérée comme un minimum pour un dialogue satisfaisant.

De nombreux participants estiment par ailleurs qu'il est nécessaire d'intégrer davantage les maires et les élus locaux aux concertations, notamment en vue de l'établissement de la carte scolaire.

De plus, ils relèvent que les communes sont informées tardivement des réformes et demandent à ce que ces informations soient transmises en amont pour permettre aux collectivités de s'adapter.

À titre d'illustration, l'un des répondants déclare souhaiter « plus d'informations pertinentes en direct. Apprendre les décisions des services de l'éducation nationale par la presse et presque après coup est impossible à gérer ! ». Un autre plaide pour l'institution de « réunions d'étape par territoire (fin d'année scolaire, mi-année, instauration de nouvelles réformes, ...) pour permettre aux différents acteurs de communiquer, y compris les représentants de parents » .

b) Un attachement au maintien du lien entre la commune et l'école

Dans leur grande majorité, les élus font état de leur attachement au lien - parfois décrit comme « consubstantiel » - entre l'école et sa commune .

Selon un maire de l'Hérault, « l'organisation telle qu'elle est aujourd'hui, et pour ce qui regarde les communes, outre les objectifs éducatifs, permet une interaction avec tous les acteurs de la commune, facteur de vie sociale et d'ouverture pour les enfants. Si la dimension éducative est primordiale, et regarde l'éducation nationale, la question de la socialisation et de la citoyenneté concerne aussi la commune. Pour la plupart des maires ruraux comme moi, l'école est au centre de nos préoccupations car elle est un maillon extrêmement important de notre vie sociale. Elle est très souvent le poste le plus important de notre budget de fonctionnement, bien souvent très au-delà de ce que nous autorise la stricte application des textes 65 ( * ) . »

Les témoignages d'élus traduisent de manière récurrente le soupçon d'une préférence de l'éducation nationale pour l'intercommunalisation de la compétence scolaire , qui serait le corollaire du développement des RPI en milieu rural.

Certains IA-DASEN rencontrent des refus fermes d'associations d'élus, lors des travaux prospectifs entrepris dans le cadre des conventions ruralité, d'aborder les questions scolaires à l'échelle de l'intercommunalité, craignant qu'il ne s'agisse d'un premier pas vers un transfert total ou partiel de l'exercice de la compétence scolaire.

Outre une opposition de principe, les représentants des associations de collectivité avancent que l'exercice de la compétence scolaire par les EPCI à fiscalité propre se traduit souvent par des coûts supplémentaires, les économies d'échelle étant rares, une organisation plus complexe et des temps de transport plus élevés pour les enfants. Ces arguments sont partagés par certains responsables académiques : un IA-DASEN faisait le constat qu'en matière de restauration scolaire, des petites communes font parfois « beaucoup mieux et moins cher » que des villes ou des EPCI.

La compétence scolaire :
une notion qui recouvre plusieurs compétences autonomes

La notion de « compétence scolaire » ou de « compétence éducative » recouvre quatre compétences autonomes :

- la construction, l'entretien et le fonctionnement des équipements préélementaires et élémentaires ;

- le service des écoles, qui recouvre l'acquisition du mobilier et des fournitures, le recrutement et la gestion du personnel ;

- les activités périscolaires ;

- les activités extrascolaires.

Ces compétences sont des compétences facultatives ou optionnelles au sens du code général des collectivités territoriales : leur exercice relève du libre choix des EPCI.

À l'opposé, la mission a eu connaissance de nombreuses expériences réussies d'exercice par un EPCI à fiscalité propre de la compétence scolaire. M. Renaud Averly, président de la communauté de communes du pays rethelois, a présenté comme un « enjeu de sauvegarde de l'école » dans son territoire l'exercice de la compétence scolaire par la communauté de communes : sortant d'une logique annuelle, la carte scolaire a ainsi pu être négociée avec l'éducation nationale à un horizon d'une quinzaine d'années 66 ( * ) .

Outre l'optimisation des financements et des infrastructures, l'intercommunalisation a permis une gestion plus efficace et la professionnalisation du personnel, permettant la multiplication des contrats à temps plein, ainsi que le développement des services périscolaires, mais aussi culturels et sportifs - domaines dans lesquels les EPCI sont largement compétents.

Un exemple d'intercommunalisation réussie : le cas de la communauté
de communes du Haut-Clocher dans la Somme

Les vingt communes concernées ont tout d'abord transféré leur compétence scolaire à la communauté qui gère le fonctionnement de l'école, la restauration scolaire, l'accueil périscolaire et les personnels d'intervention (agents territoriaux spécialisés des écoles maternelle (ATSEM), accompagnateurs de car, agents périscolaire et d'entretien). Les élus ont fait le constat que les treize écoles de leur territoire comptaient peu de classes et peu d'élèves, les bâtiments étaient vétustes et mal équipés, et les transports scolaires difficiles à organiser. Chaque année, la préparation de la rentrée et les décisions de l'inspecteur d'académie étaient accueillies avec appréhension. La passivité n'était plus une solution viable. Au terme d'une large concertation au sein de la communauté de communes sur plusieurs années pour prendre le temps de convaincre l'ensemble des maires, de poser un diagnostic fin, de proposer une solution au rectorat et de trouver les financements adéquats, il a été décidé de fermer toutes les écoles dispersées existantes et de constituer trois regroupements pédagogiques concentrés.

Trois nouveaux bâtiments de haute qualité environnementale et adaptés à la pédagogique numérique ont été construits regroupant de 8 à 12 classes pour 192 à 285 élèves par structure. Le projet s'est progressivement mis en place depuis 2003 pour être entièrement finalisé en septembre 2010. L'investissement total s'est élevé à 10 millions d'euros, 3 millions à la charge de la communauté dont la moitié sur emprunt et 7 millions relevant de subventions de l'État, de l'Union européenne, de la région, du département, de la caisse des allocations familiales et de l'agence de l'environnement et de la maîtrise de l'énergie (ADEME). C'est désormais très légitimement que les élus de la communauté peuvent demander à l'éducation nationale de leur fournir un suivi des résultats des élèves, afin qu'ils puissent mesurer l'impact sur les apprentissages de la réorganisation et des investissements massifs qu'ils ont consentis.

Source : De la pyramide aux réseaux : une nouvelle architecture pour l'école, rapport d'information n° 649 (2010-2011) de M. Jean Claude Carle

La mission d'information considère que ces choix sont le reflet de situations différentes 67 ( * ) ; il convient en l'espèce de faire confiance à l'intelligence des territoires. L'éducation nationale doit conserver une stricte neutralité sur ce sujet, tout en se tenant prête à accompagner les évolutions souhaitées par les élus.

Ils notent que l'idée d'un transfert obligatoire de la compétence scolaire du premier degré aux EPCI à fiscalité propre semble désormais écartée. Si les inspections générales considèrent que « le périmètre intercommunal constitue un cadre à privilégier pour mener études et travaux prospectifs en lien avec les autres services de l'État et les collectivités territoriales » et « est également un cadre opportun de concertation avec les communes », l'hypothèse de l'exercice systématique de la compétence scolaire est écartée : « compte tenu de l'élargissement conséquent des périmètres intercommunaux, cette échelle n'est pas nécessairement adaptée à la gestion quotidienne et à l'organisation des réseaux d'écoles devant associer au plus près les communautés éducatives » 68 ( * ) .

En effet, l'élargissement du périmètre des EPCI, qui s'est traduit parfois par la constitution d'intercommunalités dites « XXL », tend à remettre en cause l'exercice de la compétence scolaire, qui nécessite une gestion de proximité.

La Cour des comptes observe ainsi qu' « en raison de leur taille, ces nouvelles communautés de communes ont souvent été amenées à abandonner des compétences précédemment exercées par les anciens EPCI. Ces compétences délaissées ont été restituées aux communes concernées et constituent une source de conflits lorsque ces dernières ne disposent plus de ressources suffisantes pour les exercer.

Il peut en être ainsi pour la compétence scolaire. Au 1 er janvier 2018, seulement 395 des 1 263 EPCI disposaient de la compétence scolaire et 572 de la compétence périscolaire. Outre l'attachement des communes à la compétence scolaire, cette situation s'explique pour des raisons pratiques : les emplois du temps des écoles peuvent varier selon les communes ; les territoires étendus issus de la refonte de la carte des EPCI peuvent entraîner une charge budgétaire importante. Dans un nombre significatif de cas, il a fallu recréer des SIVU pour recueillir la compétence scolaire d'une ancienne communauté de communes fusionnée » 69 ( * ) .

Il arrive également que la coopération communale en matière scolaire se fasse en dehors du cadre des EPCI ; subsistent ainsi des RPI à cheval sur plusieurs EPCI à fiscalité propre.

c) L'absence d'appétence pour une évolution de la répartition des compétences

Plus largement, la mission constate que les élus, dans leur grande majorité, ne souhaitent pas d'évolution de la répartition des compétences entre les différentes collectivités territoriales ou entre celles-ci et l'État. Au contraire, la stabilité et la continuité sont au coeur de leurs demandes.

Selon Mme Agnès Le Brun, maire de Morlaix et vice-présidente de l'Association des maires de France (AMF), « ce ne sont pas les compétences qu'il faut revoir mais les modalités du partenariat. Il faut renforcer les liens afin de travailler en articulation les uns avec les autres » 70 ( * ) .

2. Le souhait d'un dialogue renforcé avec l'État
a) Des instances de concertation locales jugées inefficaces

Le souhait d'un véritable dialogue avec les services de l'éducation nationale et d'une plus grande considération est une revendication quasi-unanime des élus locaux.

Comme l'a souligné Mme Le Brun lors de son audition, les maires demandent « davantage de concertation et de visibilité sur l'organisation de l'école sur le territoire », ce qui exige de « repenser les modes de concertation entre l'Etat et les collectivités territoriales, dans un esprit d'égal à égal » 71 ( * ) .

Il convient en effet de rappeler que les collectivités territoriales constituent, après l'État, les premiers financeurs de la dépense d'éducation . En 2017, les collectivités territoriales ont participé à hauteur de 36,15 milliards d'euros à la dépense intérieure d'éducation, soit près d'un quart (23,4 %) 72 ( * ) . Dans le premier degré, la part des collectivités territoriales dans la dépense d'enseignement s'élève à près d'un tiers (32,9 %) 73 ( * ) .

La même unanimité - au-delà même des seuls élus - se retrouve pour dénoncer le caractère purement formel des instances de concertation que sont le conseil départemental de l'éducation nationale (CDEN) et le conseil académique de l'éducation nationale (CAEN). Un maire témoigne ainsi que « le CDEN est une réunion de postures et est complètement inutile. Le sentiment qu'aucune négociation n'est possible, aucune innovation non plus ». Si l'article 55 de la loi du 26 juillet 2019 pour une école de la confiance habilite le Gouvernement à légiférer par ordonnance pour réformer ces instances, celle-ci ne devrait pas remettre en cause leur économie générale.

La question du dialogue entre élus et services de l'État ne doit pas se limiter aux seules instances. Le dialogue est une dynamique à entretenir , dont la qualité et la richesse dépendent de la fréquence des échanges, d'objectifs partagés comme des interlocuteurs et de leur bonne volonté. Il doit également s'inscrire dans un cadre permettant aux élus locaux d'infléchir les décisions proposées ou envisagées par l'État, au risque de n'être que le « pseudo-dialogue » soulevé par le rapport d'information de nos collègues François Grosdidier et Nelly Tocqueville sur l'association des collectivités territoriales aux décisions de l'État qui les concernent 74 ( * ) .

À cet égard, la formation des cadres de l'éducation nationale aux enjeux des collectivités territoriales et aux relations avec les élus locaux mériterait d'être renforcée.

b) La nécessaire mise en cohérence de l'organisation de l'éducation nationale avec les territoires

La multiplicité des interlocuteurs de l'État, aux périmètres de compétence et aux responsabilités divers , a été citée comme une source de difficulté pour les élus locaux.

Lors de leur audition, les représentants de France urbaine ont ainsi mis en avant qu'ils étaient confrontés à « trop d'interlocuteurs à chaque strate - directeur d'école, chef d'établissement, IEN de circonscription, IEN-ASH, etc. - tous n'ayant pas forcément de pouvoir de décision » et soulignaient la nécessité d'avoir des interlocuteurs, sinon unique, au moins en nombre suffisant 75 ( * ) .

Dans leur rapport sur la ruralité, l'IGAENR et l'IGEN faisaient le constat que « l'organisation infradépartementale de l'éducation nationale ne prend pleinement en compte ni les territoires vécus, lesquels se déploient généralement le long des axes de transports (et lient espaces ruraux et urbains), ni les territoires institutionnels locaux organisés en couple ou « bloc local » (communes et intercommunalités) » 76 ( * ) . En outre, la carte des circonscriptions du premier degré et celle de la sectorisation des collèges - qui relèvent de procédures différentes - ne coïncident que très rarement, ce qui constitue un frein non négligeable au développement de projets pédagogiques alliant écoles et collège.

La mission d'information considère a minima nécessaire l'adaptation des circonscriptions du premier degré aux périmètres communaux ou intercommunaux, sur lesquels les secteurs des collèges pourraient être progressivement alignés.

Proposition : Faire évoluer l'organisation des services déconcentrés de l'éducation nationale en cohérence avec l'organisation des collectivités territoriales.


* 64 De la pyramide aux réseaux : une nouvelle architecture pour l'école , rapport d'information n° 649 (2010-2011) de M. Jean-Claude Carle, fait au nom de la mission commune d'information sur le système scolaire du Sénat, juin 2011.

* 65 Témoignage recueilli par la mission sur la plate-forme de consultation en ligne des élus.

* 66 Audition du 20 mai 2019.

* 67 Les réponses à la consultation des élus locaux menée par la mission révèlent une division assez nette sur le sujet.

* 68 IGEN et IGAENR, Mission ruralité. Adapter l'organisation et le pilotage du système éducatif aux évolutions et défis des territoires ruraux . Rapport d'étape n° 2, rapport n° 2018-080, juillet 2018.

* 69 Cour des comptes , L'accès aux services publics dans les territoires ruraux , Enquête demandée par le Comité d'évaluation et de contrôle des politiques publiques de l'Assemblée nationale, mars 2019.

* 70 Audition du 20 mai 2019.

* 71 Idem.

* 72 MEN-DEPP, Repères et références statistiques 2019, septembre 2019, p. 327.

* 73 Idem.

* 74 Rapport d'information n° 642 (2015-2016) de M. François Grosdidier et Mme Nelly Tocqueville, fait au nom de la délégation aux collectivités territoriales, déposé le 26 mai 2016

* 75 Audition du 20 mai 2019.

* 76 IGEN et IGAENR, Mission ruralité. Adapter l'organisation et le pilotage du système éducatif aux évolutions et défis des territoires ruraux , op. cit.

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