B. L'ÉROSION DU TRAIT DE CÔTE : UN RISQUE À RETARDEMENT

1. Les outre-mer, des littoraux à enjeux

Comme le souligne le ministère des outre-mer, les littoraux des territoires d'outre-mer recouvrent différents enjeux. D'une part, les littoraux sont un espace de forte concentration des activités humaines importantes largement artificialisé, avec des taux d'artificialisation atteignant 17 % en Guadeloupe et en Martinique. D'autre, part, ces zones sont confrontées à des risques cumulatifs sur des espaces limités. Le ministère estime qu'il y a « urgence à mener des actions face aux nombreuses habitations menacées sur des zones littorales en érosion ». Aussi, il alerte sur la menace qui pèse sur les écosystèmes « tampons » du fait de la surpopulation ou de la surutilisation de ces espaces, comme c'est le cas des mangroves.

2. Des actions de suivi : un phénomène sous surveillance

Les ministères des outre-mer et de la transition écologique et solidaire rappellent qu'une stratégie nationale de gestion intégrée du trait de côte (SNGITC) a été mise en place en 2012 pour mieux anticiper les évolutions du littoral et faciliter l'adaptation des territoires à ces changements. Celle-ci entend accompagner les territoires littoraux dans leur recomposition spatiale, en développant les outils nécessaires, en renforçant la connaissance et en facilitant l'information et la mobilisation de tous.

Un indicateur national de l'érosion côtière a ainsi été produit , permettant d'avoir un premier aperçu national et quantifié des phénomènes d'érosion sur une période de plusieurs dizaines d'années. Cet indicateur concerne l'hexagone ainsi que les cinq territoires de l'article 73 .

Dans le cadre des programmes d'actions 2012-2015 puis 2017-2019 de cette stratégie nationale et compte tenu de l'enjeu de la recomposition de ces territoires, le ministère fait état de différentes actions dans les territoires ultramarins 153 ( * ) .

Ainsi, en Guadeloupe , une étude du BRGM portant sur l'évolution du trait de côte de l'archipel guadeloupéen entre 1956 et 2004 a été réalisée. Il apparaît que 62 % des 630 km de côtes sont stables ou en équilibre, 25 % sont en érosion et 12 % en accrétion (dont 6 % d'origine anthropique). À la suite de ces constatations, une liste de 43 sites considérés comme sensibles a été dressée en fonction des tendances mises en évidence. Sept d'entre eux présentent de forts enjeux que ce soit humains, environnementaux ou sociaux-économiques.

Dans le cadre du projet « morphodynamique du littoral guadeloupéen », un partenariat a été mis en place entre le BRGM, la DEAL Guadeloupe et la région Guadeloupe.

Aussi, la phase 1 du projet « définition et mise en place d'un observatoire du trait de côte guadeloupéen » a été réalisée sur une durée de deux ans, de 2014 à 2016, et représente la première étape d'un projet de mise en réseau du suivi du littoral qui se veut pérenne dans le temps et dans les collaborations. Le ministère indique qu'il permettra de consolider le partenariat avec l'ensemble des acteurs du littoral guadeloupéen et de mettre en place, de façon concertée et durable, la deuxième phase du programme de suivi du trait de côte guadeloupéen. Enfin, la commune de Petit-Bourg participe actuellement à l'appel à projets lancé en 2013 par le ministère de la transition écologique visant à expérimenter la relocalisation des biens et services sur les territoires soumis à des risques littoraux importants.

En Martinique , la problématique « érosion » est intégrée à la politique de prévention des risques et est abordée par une approche de terrain. Une étude réalisée en 2013 par le BRGM en partenariat avec la DEAL a mesuré l'évolution du trait de côte et a pu établir « un état zéro du littoral » . Aujourd'hui, elle permet d'identifier les facteurs de l'érosion en vue d'améliorer l'évaluation des risques et facilite la définition du risque « recul du trait de côte » lors de l'élaboration ou de la révision des documents d'urbanisme.

Une analyse des photographies aériennes de 1951 et 2010 a permis d'identifier les principales tendances d'évolution de la position du trait de côte martiniquais sur ces soixante dernières années. Ainsi, sur le linéaire côtier qui représente 452 km, 49 km sont identifiés en érosion, 95 km en accrétion et le reste en stabilité relative durant les 50 dernières années . Les secteurs de plus forte érosion sont le littoral de falaise du Nord de l'île, où le recul peut atteindre les valeurs maximales de 100 m, et également certaines côtes basses sableuses, notamment au Sud, où le recul atteint entre 20 et 30 m. Cette étude met également en évidence des secteurs qui présentent une relative stabilité. En effet, les amplitudes constatées inférieures à 15 m en 60 ans, ne permettent pas de se prononcer sur le type de mobilité. Sur ces secteurs, il reste à préciser si, malgré leur mobilité apparente, il ne s'agirait pas de côtes soumises à une mobilité à très court terme, pouvant être cyclique (annuelle par exemple) autour d'une valeur d'équilibre sous l'influence de fortes houles ou de cyclones. Ces résultats confirment les constats historiques ponctuels relevés dans la littérature et les complètent par une information quantitative disponible sur tout le linéaire de côte martiniquais. L'étude a notamment permis de quantifier les reculs de certaines côtes rocheuses, jusque-là peu étudiées contrairement aux plages sableuses.

La carte de la mobilité du trait de côte depuis 1951 présente des tronçons de linéaire côtier classés selon leur mode d'évolution. Par ailleurs, un état de référence commun du trait de côte est mis à disposition de la communauté scientifique et donne une référence commune pour les suivis à venir. Cette définition du trait de côte étant différente de la limite officielle définie par le service hydrographique et océanographique de la marine (2011), elle ne s'y substitue pas, mais permet en revanche de répondre aux objectifs de suivi de l'évolution du littoral.

À partir de ces résultats, le ministère considère que plusieurs perspectives se dessinent :

- intégrer ces constats historiques à la politique de gestion du risque et s'en servir pour préciser le zonage réglementaire ;

- affiner le protocole en s'intéressant à une position du trait de côte intermédiaire, pour préciser la dynamique côtière sur les secteurs dont la mobilité ne peut être mise en évidence à cette échelle d'observation. Ceci permet notamment de distinguer des tronçons en évolution rapide à court terme mais en équilibre à moyen terme, des tronçons peu mobiles, pour lesquels les mesures d'adaptation sont tout à fait différentes ;

- identifier les secteurs les plus vulnérables afin de mettre en place un dispositif de surveillance pour anticiper les évolutions et adapter les solutions.

Un programme d'expérimentation de recomposition spatiale est mené actuellement sur la commune du Prêcheur avec l'appui du Plan d'urbanisme construction architecture (PUCA).

Pour ce qui est de la Guyane, le BRGM co-pilote depuis 2014, avec la DEAL Guyane, l'observatoire de la dynamique côtière de Guyane (ODyC), outil pérenne d'acquisition, de capitalisation, de compréhension et de valorisation de la donnée sur la dynamique côtière, ainsi que d'appui aux politiques publiques de gestion du littoral. Le BRGM participe à la réalisation des documents de prévention (notamment les PPR, études de vulnérabilité, sensibilisation) et d'actions de gestion de crise.

Depuis 2017, le BRGM travaille avec la commune de Kourou, particulièrement touchée par des épisodes d'érosion et de submersion, à l'élaboration d'une stratégie de gestion du littoral de Kourou. Il pilote, en partenariat avec le CNRS, le CEREMA et les universitaires un projet de recherche sur la morphodynamique côtière dans l'estuaire du Maroni et les impacts sur les écosystèmes.

À La Réunion , dans un contexte de pression anthropique croissante et d'augmentation des risques d'érosion côtière, le BRGM conduit depuis 2004 des études sur la morphodynamique des littoraux de La Réunion afin de mieux appréhender et suivre le phénomène d'érosion du littoral de l'île et de formuler des recommandations en matière de remédiation des sites sensibles. La préfecture 154 ( * ) souligne que le projet OBSCOT (observation et gestion de l'érosion côtière à La Réunion) assure le suivi de 23 sites répartis sur l'ensemble du littoral réunionnais, et représentatifs des différents faciès (cordons de galets, falaises, plages coralliennes et volcaniques).

Sur la base des connaissances acquises et des recommandations de gestion formulées pour remédier à l'érosion sur les sites sensibles, un guide de gestion du littoral de La Réunion a été élaboré.

La DEAL Réunion et la région financent actuellement des programmes scientifiques d'observation du littoral avec le BRGM ainsi que l'université de La Réunion comme opérateurs de terrain. D'autres programmes sont en cours de montage pour tenter de mieux comprendre et mesurer les processus et les quantités de matériaux en jeu dans les phénomènes d'érosion du littoral. Par exemple, un travail important mené par les services de l'État sur la plage de l'Hermitage est en cours pour démolir plusieurs restaurants de plage afin de mener à bien un projet de valorisation adapté aux évolutions de ce territoire très exposé à l'érosion.

Enfin, dans le cas de Mayotte , le littoral mahorais est exposé aux risques littoraux, comme l'a rappelé le cyclone Hellen en 2014, et présente une vulnérabilité certaine face aux phénomènes côtiers. La présence d'enjeux à proximité du littoral ainsi que la forte pression démographique contribuent à inciter les pouvoirs publics à prendre en compte ces phénomènes afin d'éviter d'accroître ces risques sur le territoire mahorais.

Dans ce contexte, la DEAL Mayotte a sollicité en 2017 le BRGM afin de caractériser et ca rtographier l'aléa « recul du trait de côte » en vue de l'élaboration du PPRL des communes du territoire de Mayotte . Ce travail a été réalisé en conformité avec le cadre méthodologique national tout en prenant en compte les spécificités tropicales de Mayotte (cyclones, récifs coralliens, mangroves, etc.).

L'étude a permis d' évaluer qu'environ 37 % du linéaire côtier est caractérisé par une dynamique de recul du trait de côte , le reste du littoral affichant plutôt une relative stabilité dynamique. Elle a aussi permis de réaliser trois cartographies :

- une carte de synthèse de l'évolution historique du trait de côte au 1/10 000 précisant les différents indicateurs du trait de côte historique, la position des profils, les types d'ouvrages, ainsi que les classes de vitesses de recul associées ;

- une carte de zonage de l'aléa « recul du trait de côte » au 1/5 000 intégrant le trait de côte de référence (2012) ainsi que la limite informative de l'aléa avec prise en compte du changement climatique ;

- une carte des morphotypes du littoral de Mayotte.

Le ministère rappelle enfin que, à l'instar des départements métropolitains, les efforts des départements et régions d'outre-mer pour démarrer des projets de recomposition spatiale rencontrent certains freins juridiques et financiers qui ont fait l'objet d'une récente mission d'inspection interministérielle (IGF/IGA/CGEDD).

Si le suivi n'est pas opéré par les mêmes programmes d'actions dans les autres territoires, cette problématique est bien commune à l'ensemble des collectivités.

La Polynésie française indique ainsi 155 ( * ) que des études nationales sont en cours de réalisation ou ont été réalisées ( RESCCUE , STORISK , INSeaPTION ) dont l'analyse des résultats permettra de cibler le champ d'action à mener.

3. Une vigilance à renforcer

Les rapporteurs appellent à poursuivre la démarche d'observation de l'évolution du trait de côte, préalable à toute politique publique d'aménagement des zones littorales sur le long terme .

Le ministère de la transition écologique indique qu'une démarche participative « Dynamique(s) littoral » , réunissant des acteurs multiples, y compris des représentants des outre-mer, s'est tenue en 2018 sous son égide, permettant d'alimenter la réflexion sur le sujet de l'évolution du trait de côte.

Aussi, il conviendra de suivre les travaux spécifiques à cette question, menés par le député Stéphane Buchou, auquel le Gouvernement a confié en avril une mission parlementaire sur l'adaptation des territoires littoraux à l'évolution du trait de côte dont les conclusions devraient être rendues prochainement.

Le ministère estime enfin que, « face à l'urgence de certaines situations liées aux risques côtiers, l'innovation s'impose ». Aussi, il insiste sur la nécessité de s'appuyer notamment sur le rôle que peuvent jouer les écosystèmes dans la prévention de ces risques. Un nouvel appel à projets « des solutions fondées sur la nature pour des territoires littoraux résilients » a ainsi été publié à l'occasion du premier anniversaire du plan biodiversité.

L'enjeu est également selon le ministère de développer des processus de co-construction de projets , comme c'est le cas au Prêcheur mais aussi sur d'autres communes de Martinique avec l'appui d'étudiants de DSA d'architecte et d'urbaniste de Marne-la-Vallée, permettant une plus grande acceptabilité. Ces études, volontairement exploratoires, permettent cependant difficilement de passer à l'opérationnel sans engager d'études complémentaires, notamment pour traiter, aux bonnes échelles d'analyses, de stratégies combinées entre défense et recomposition, à court, moyen et long termes.

Des crédits du fonds de concours en provenance de l'Agence de financement des infrastructures de transport de France (AFITF) sont alloués chaque année aux services déconcentrés pour financer des opérations d'étude, d'aménagement du littoral et de gestion de l'érosion côtière portées par les collectivités et des opérateurs . Pour l'année 2019, sur la base des besoins identifiés par la Guadeloupe, la Guyane, la Martinique, Mayotte et La Réunion, ce sont environ 800 000 euros qui leur ont été attribués en complément de leur dotation budgétaire sur le programme 113 au titre de la gestion du domaine public maritime naturel.

Il convient d'insister, concernant cette thématique, sur les conséquences majeures que peut avoir l'évolution du trait de côte pour l'aménagement et la configuration même des installations humaines dans les territoires ultramarins où la question d'un « repli stratégique » est souvent évoquée.

Enfin, les rapporteurs soutiennent l'analyse portée à l'échelle hexagonale par la mission sénatoriale sur les risques climatiques et les propositions formulées par Nicole Bonnefoy tant sur la nécessité de documents d'aménagement intégrant cette problématique que sur le besoin d'outils financiers pérennes et solidaires afin de répondre à cet enjeu territorial majeur .

Recommandation n° 20 : Assurer un suivi régulier de l'évolution du trait de côte par le biais des observatoires et prévoir des ajustements réguliers des PPRN suivant l'évolution du trait de côte. Intégrer les outre-mer à la réflexion nationale de financement des aménagements et réaménagements rendus nécessaires par le recul constaté.


* 153 Les éléments de cette partie sont issus des réponses des ministères de la transition écologique et solidaire et des outre-mer au questionnaire des rapporteurs.

* 154 Réponses de la préfecture de La Réunion au questionnaire des rapporteurs.

* 155 Réponses du gouvernement de la Polynésie française au questionnaire des rapporteurs.

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