C. LE GRAND BAL MASQUÉ DE LA DÉMOCRATIE LIBÉRALE

1. La politique comme spectacle

Comme dans les numéros d'illusionnistes, l'essentiel pour la réussite du tour, c'est que le spectateur-électeur, avant, pendant et après les élections, regarde ailleurs que là où il risquerait de trouver les questions qui pourraient fâcher.

Telle est la fonction des médias, pour les uns dirigés par des amis du pouvoir exécutif et, pour les autres, propriété d'une poignée d'oligarques.

L'âge du (de la) futur(e) capitaine, son « look », ses moeurs conjugales dans certains pays, etc., sont évidemment des sujets d'intérêt de premier ordre, bien plus en tous cas que la réforme du système financier ou comment il (elle) entend faire pour éviter un nouveau krach.

Il est significatif que pratiquement jamais, même depuis 2008, ces questions n'aient été abordées durant une quelconque campagne électorale sauf par quelques voix minoritaires, étouffées sous le flux médiatique.

Le quotidien de l'information, distillée par les exécutifs est de s'occuper de l'accessoire pour mieux éviter l'essentiel.

Comme disait déjà, irrévérencieusement, Fontenelle au Roi-Soleil : « Vous vous flattez des succès journaliers, qui ne décident rien, et vous n'envisagez point d'une vue générale le gros des affaires. » C'est que le gros des affaires ne saurait intéresser le peuple ignorant même de ses propres intérêts supérieurs. L'élection n'étant plus le lieu des débats politiques essentiels, elle se transforma alors - c'est particulièrement le cas en régime présidentiel - en cérémonie magique de conjuration et de résurrection :

« Réduction de la fracture sociale », « Travailler plus pour gagner plus », « Le changement, c'est maintenant » , « La France doit être une chance pour tous »...

Même si elles jouent leur rôle dans la présidentielle, l'élection se fait non pas sur des promesses précises significatives, mais sur l'espoir que l'on a réussi à faire naître.

« Le changement, c'est maintenant », c'est pour l'électeur « le changement pour moi », non pas la énième réforme structurelle de ceci ou de cela, non pas la réforme pour rassurer Bruxelles, Berlin, le CAC 40 ou les marchés, que sais-je.

La désillusion naîtra largement de ce décalage de plus en plus grand entre la politique et la communication qui en tient lieu.

2. Sélectionner les candidats qui compteront

« La sélection des plus aptes est la sélection des plus aptes à se faire sélectionner. »

Cornélius Castoriadis

La première condition pour éviter les dérapages, c'est de bien choisir les candidats que l'on entend faire élire, tout particulièrement ceux qui exerceront les responsabilités les plus importantes.

On doit s'assurer qu'ils ne changeront rien d'important au système en place.

Dans ce jeu d'influences, les sondages, chargés d'animer le spectacle, occupent désormais un rôle central.

Ce n'est pas un hasard si lors des dernières présidentielles aux USA, les Démocrates, ont préféré comme candidate l'épouse de Bill Clinton qui supprima ce qui restait du Dodd-Steagall Act et soutenue par Wall Street, à Bernie Sanders, militant du retour au New-Deal. Pas un hasard non plus si les Républicains ont choisi pour porter leurs couleurs, sans contestation possible, un milliardaire affairiste bien vu de Wall Street qui d'ailleurs ne manqua pas de soutenir ses intérêts une fois élu. Lorsque le système partisan est en pleine déliquescence, comme en France, le problème est plus délicat.

Les candidats des partis de gouvernement, brevetés libéraux (Républicains et Socialistes) ayant peu de chance de voir leur candidat élu aux dernières élections présidentielles, la seule solution était d'assurer par des dons substantiels, un appui médiatique sans faille à un jeune et brillant énarque, ancien banquier et déjà vieux routier de la politique, tout en assurant la promotion d'une adversaire n'ayant aucune chance d'être élue au tour décisif, le second.

Une opération à risque qui fut brillamment menée.

3. Placer les représentants sous tutelle

Une fois élus, les candidats, bien conseillés, doivent oublier les engagements mettant en cause le système libéral tel qu'il est, s'ils ont eu la légèreté d'en prendre durant la campagne, comme François Hollande et son : « mon adversaire c'est la finance ».

Ils se focaliseront donc sur les engagements répondant aux attentes du système. Dans le cas de la France : réformes institutionnelles réduisant les maigres pouvoirs du Parlement, modification du code du travail réduisant la capacité de négociation des syndicats de travailleurs, réformes fiscales, pour l'essentiel favorables aux plus riches, réforme des retraites au nom de l'égalité etc.

L'élection acquise, l'important devient d'assurer le cap en limitant les marges de manoeuvre des responsables politiques au cas où, n'ayant pas totalement oublié qu'ils ont été élus, ils risqueraient d`être un peu trop sensibles aux problèmes, aux revendications, aux souhaits, et aux intérêts de leurs mandants.

Au niveau des exécutifs, freiner les ardeurs des enthousiastes, faire échouer sans bruit leurs initiatives intempestives, tel est le rôle de la haute bureaucratie.

Une haute bureaucratie qui, désormais en France, va et vient entre son lieu naturel, l'administration et les cabinets ministériels ou présidentiel quand elle n'assure pas elle-même, les rôles de ministre ou de président de la République.

C'est de moins en moins l'élection qui fait le responsable politique et de plus en plus le choix d'appareils pour qui la fiabilité, pour ne pas dire la fidélité, est plus importante que la créativité et le courage politique de s'attaquer à ce qui mine la démocratie de l'intérieur.

S'agissant du législateur, une organisation hiérarchisée des responsabilités et des moyens d'expression en fonction des effectifs partisans, permet - au nom de l'équité - d'éviter tout risque de contagion des idées hétérodoxes.

La Constitution peut bien prévoir que « tout mandat impératif est nul » (Article 27 alinéa 1) signifiant par là qu'un parlementaire ne peut s'exprimer et n'agir qu'en son nom, la réalité - à laquelle le Conseil constitutionnel n'a jamais rien trouvé à redire - c'est que dans la discussion générale qui ouvre l'examen de tout texte parlementaire, les temps de parole étant attribués aux groupes, il s'exprime essentiellement au nom de ceux-ci ou avec leur accord.

Accessoirement, les temps de parole étant répartis en fonction des effectifs des groupes, cela signifie que les débats n'ont pas lieu à armes égales et surtout qu'ils sont remplacés par des discours parallèles forcément répétitifs.

Ainsi se trouvent justifiées les restrictions récurrentes - au nom de la modernisation des institutions parlementaires - des temps de parole consentis aux représentants du souverain, transformant le Parlement en chambre de muets ou de bavards.

Un règlement pointilleux, démocratiquement voté, sous surveillance du Conseil constitutionnel donne un semblant de légitimité à cette neutralisation du Parlement, l'administration omniprésente des chambres et plus encore la routine sécurisante faisant le reste.

Si on continue à parler de « débats parlementaires », c'est par habitude ; il n'y a plus de débat, seulement des discours parallèles sans intention même de convaincre.

Le véritable interlocuteur, comme au théâtre n'est pas sur la scène mais à l'extérieur de l'hémicycle.

On ne débat plus, on communique.

Autant dire que pour les metteurs en scène qui savent les jeux faits d'avance, on perd son temps.

Le buste de Clemenceau qui trône toujours au Sénat, doit se demander ce qu'on appelle aujourd'hui en France, République :

« Ces discussions qui vous étonnent, c'est notre honneur à tous. Elles prouvent seulement notre ardeur à défendre les idées que nous croyons justes et fécondes. Ces discussions ont leurs inconvénients, le silence en a davantage. Oui ! Gloire au pays où l'on parle, Honte au pays où l'on se tait. Si c'est le régime de discussions que vous croyez flétrir sous le nom de parlementarisme, sachez-le, c'est le régime représentatif lui-même, c'est la République sur qui vous osez porter la main » 264 ( * ) .

L'une des tutelles les plus difficiles à combattre, parce qu'apparemment incontestable, est celle du droit, des juges et cours administratives, de la Commission, des traités et du « droit » européens ( voir partie V).

En France, en sont chargés le Conseil d'État, la Cour des comptes, le Conseil constitutionnel interprétant la loi et la Constitution à leur convenance et assurant progressivement la domination du « droit » européen - essentiellement d'origine bureaucratique - sur le fonctionnement des institutions nationales 265 ( * ) .

On en est venu au point où cette tutelle européenne fait douter du caractère démocratique des institutions politiques nationales.

Quel crédit, en effet, accorder à une démocratie qui, comme la France, contourne une décision référendaire aussi claire et aussi importante que la création de la monnaie unique ?

Quelle conception de la démocratie peut bien avoir une UE dont le président de l'exécutif, Jean-Claude Juncker déclare à propos de la Grèce, qu'il ne peut « y avoir aucun choix contre les traités européens », dont ce même exécutif rejette le budget 2019 de l'Italie après avoir débarqué en novembre 2011 un président du Conseil italien, fut-il Silvio Berlusconi ? 266 ( * )

Faut-il après, s'étonner que l'Europe, cheval de Troie du néolibéralisme sur le vieux continent, que le fonctionnement de ses institutions, que les décisions de sa bureaucratie soient au coeur de la vague de contestation politique qui ne cesse de grossir.

4. Disposer et au besoin créer des ennemis utiles

Disposer de repoussoirs les plus horribles possible, réels ou illusoires est, comme on le sait, l'une des conditions de la réussite politique. Inutile d'y insister.

En l'espèce, c'est le rôle joué par l'extrême droite puis, plus généralement, par le populisme quel qu'il soit, pour assurer en France, dans un premier temps la suprématie du centrisme libéral de gauche sur le centrisme libéral de droite et les choses se gâtant, dans un second temps, la survie de la démocratie centriste libérale, soumise à une contestation de plus en plus difficile à contrôler.

Comme pour la plupart des mutations politiques de ces quarante dernières années, une part essentielle de l'initiative en revient à François Mitterrand.

a) La stratégie électorale de François Mitterrand

La stratégie de conquête du pouvoir de François Mitterrand reposait sur une double conviction :

- Premièrement qu'il existait un « peuple de Gauche », sociologiquement majoritaire mais politiquement impuissant ;

- Deuxièmement que cette impuissance venait, non de sa division mais de l'hégémonie de sa composante communiste. Comme il l'exprime à Vienne en juin 1972 devant l'Internationale Socialiste, un peu inquiète de l'alliance autour d'un « programme commun de gouvernement » du PS d'Epinay avec le PCF : « Notre objectif fondamental est de refaire un grand Parti Socialiste sur le terrain occupé par le Parti Communiste lui-même, afin de faire la démonstration que sur les 5 millions d'électeurs communistes, 3 millions peuvent voter socialiste ! C'est la raison de cet accord. »

Ce sera la constante essentielle de sa stratégie, amener le PC à renoncer à sa stratégie « à l'italienne » 267 ( * ) d'un regroupement de la Gauche autour de lui et à accepter que le pôle dominant soit le PS : « Pour que la Gauche pût l'emporter en France il fallait que le Parti Socialiste devint d'abord majoritaire à gauche. » (« Ici et maintenant » 1980).

Le pouvoir conquis et l'élan de 1981 remplacé par les délices de son exercice, la morosité pour le peuple de Gauche, plus l'abandon de la politique sur laquelle François Mitterrand avait été élu, il devint nécessaire de compléter le dispositif. Il le fit sur le modèle de la Droite qui, en frappant le Parti communiste d'indignité, a privé la Gauche de majorité jusque là.

L'apparition dans le champ politique d'un parti d'extrême droite électoralement significatif lui permettait à la fois de couper le bout de l'omelette de Droite et de rassembler l'extrême gauche contre lui sur le thème de l'antifascisme et de l'antiracisme, sous le contrôle du parti socialiste.

Quelques coups de pouces pour faciliter l'accès du Front national aux médias télévisuels, des gestes symboliques comme le rituel dépôt annuel d'une gerbe sur la tombe de Philippe Pétain, l'amnistie des généraux putschistes aideront celui-ci à sortir du placard électoral où l'a confiné l'histoire. L'opération « SOS racisme » sera le volet militant, « jeuniste » et intégrateur de l'électorat des oubliés de la République, du dispositif.

La tentation d'instrumentaliser le FN (et inversement) n'est pas une spécialité de François Mitterrand. Lors de la campagne présidentielle de 2002, Jean-Marie Le Pen a révélé avoir rencontré deux fois Jacques Chirac à la recherche de voix pour assurer le deuxième tour lors des élections de 1995.

Il semble aussi qu'après avoir voulu empêcher Jean Marie Le Pen de recueillir les cinq cents parrainages sans lesquels il ne pouvait se présenter à la Présidence de la République, au dernier moment l'Élysée ait donné le coup de pouce nécessaire au leader du FN.

Le risque c'était que la division extrême de la Gauche et une trop forte poussée du Front rendent possible la non-qualification de Lionel Jospin pour le deuxième tour. Par contre un duel Chirac-Le Pen c'était la victoire assurée pour le premier alors qu'affronter Jospin au second tour était beaucoup plus risqué.

Selon l'interprétation de Jean-Marie Le Pen, l'absence de la candidature de Charles Pasqua aux présidentielles, sous la pression chiraquienne, procéderait de la volonté du Président sortant à la fois de capter directement une partie de ses voix et de faire progresser le score du FN.

Et l'incroyable s'est produit : un second tour Chirac-Le Pen.

Ce qu'aucun « expert », sondeur, communicant, politologue, aucun « journal de référence » n'avait pu imaginer, à la différence de ceux qui depuis des lustres tiraient la sonnette d'alarme devant la montée apparemment irrésistible du désintérêt des électeurs pour la chose publique et devant la crise civique et morale sous-jacente, qui ont été un peu moins étonnés.

Contrairement à ses promesses 268 ( * ) , Jacques Chirac ne fera rien de son triomphe à la tête du « front républicain » qui s'était regroupé derrière lui.

À l'exception du refus courageux de participer à l'aventure irakienne, la politique libérale européiste plan-plan continua, comme si rien ne s'était passé.

On en vient à se demander si, en fait de machiavélisme et de production de ruines politiques, Jacques Chirac n'a pas dépassé son impressionnant prédécesseur.

b) Une stratégie qui a trop bien réussi

Cette stratégie, jusqu'aux élections présidentielles de 2002, s'est révélée d'une grande efficacité. Non seulement François Mitterrand a accompli son dessein personnel mais il a atteint son objectif politique, sortir la Gauche du purgatoire électoral où le gaullisme l'avait confinée, créer les conditions durables de l'alternance gouvernementale et en rendre le PS premier bénéficiaire.

Elle a même tellement bien réussi qu'elle a créé les conditions qui l'on rendue intenable comme l'ont montré les élections présidentielles de 2017 qui rééditent en pire celles de 2002 : la présence du candidat FN au second tour et l'élimination de la Gauche social-démocrate.

En pire puisque la progression régulière du score du FN au premier tour depuis les élections de 2007 se confirme et que Marine Le Pen avec 10,639 millions de voix, en 2017, double le score déjà considérable de son père en 2002.

Elle aura rassemblé, au second tour 22,36 % des inscrits soit plus de la moitié des suffrages d'Emmanuel Macron (43,61 %).

Car, le second grand enseignement de ces élections, comme on l'a vu, c'est l'importance de l'abstention et des votes blancs ou nuls, représentant respectivement 25 % et 9 % des inscrits (11,5 % des votants).

C'est le plus fort taux d'abstention depuis l'élection de 1969, qui avait opposé Georges Pompidou à Alain Poher, la Gauche, dominée par le PC, ne voyant guère d'intérêt à départager les candidats « blanc bonnet et bonnet blanc », comme le dira Jacques Duclos, candidat de gauche arrivé troisième au premier tour et rassemblant 4,8 millions de voix, soit 21,5 % des suffrages exprimés.

Rappelons qu'Emmanuel Macron, au final, aura été élu par seulement 43,6 % des électeurs inscrits, le total de l'abstention et des votes blancs et nuls atteignant 34 % et que le vote pour Marine Le Pen aura progressé de près de 3 millions de voix par rapport au premier tour.

Preuve s'il en était besoin que la méthode de l'épouvantail a beaucoup perdu de son efficacité.

c) Démagogie, populisme chic et surenchère démocratique

Une autre façon de cacher cette incapacité à faire fonctionner la seule forme de démocratie qui ait jusque-là existé dans les grands pays modernes - la démocratie représentative - reste encore de faire la morale, de désigner les coupables de ces dysfonctionnements et de faire de la surenchère démocratique au nom d'une super démocratie consultative et participative. Exemple de cette démagogie, la cascade de lois de moralisation et de transparence de la vie publique de ces dernières années dont l'avantage est de faire oublier que si des comportements individuels scandaleux renforcent le malaise démocratique actuel, leur origine se trouve dans le caractère structurellement collusif du système (voir partie V).

Autre manière de faire oublier l'origine du malaise, jouer à la démocratie directe.

Ce n'est pas parce qu'on ne peut pas le moins - faire fonctionner correctement la démocratie représentative - qu'on ne peut pas rêver une « démocratie plus ».

Ainsi lors des élections législatives de 2017, le tout nouveau Président de la République se mit-il en quête de candidats représentatifs du peuple, plus « authentiques » que ceux des autres partis politiques, puisqu'issus d'une mystérieuse « société civile », autrement plus légitime qu'un corps électoral travaillé par des politiciens sans moralité.

Ces « vrais représentants du peuple », sont censés « régénérer » l'Assemblée nationale et le Gouvernement, apporter une vision nouvelle aux organismes d'État où ils seront chargés de mission diverses.

Comme dit Michel Crinetz : « La société civile a l'avantage qu'on peut la représenter non plus par des élus plus ou moins incompétents, mais par divers experts se cooptant les uns les autres et qui combinent à leur manière les divers intérêts particuliers pour en déduire une représentation de l'intérêt général. » 269 ( * )

La démocratie participative, les consultations plus ou moins grandes, citoyennes, territoriales, de ceci ou de cela, sont un autre moyen d'apaiser le citoyen sans rien lui céder et même de faire valider directement par le peuple des choix antérieurs.

Dernier exemple en date, le « Grand débat » destiné à occuper les Français inquiets de la tournure prise par la révolte des « Gilets jaunes ». « Surprise : le Grand débat valide les choix de Macron » titre ironiquement Médiapart rapportant l'analyse de la synthèse des propositions faites par le Premier Ministre 270 ( * ) .

Celui-ci retient de cette consultation de grande ampleur que les Français souhaitent payer moins d'impôts et que très raisonnablement ils espèrent en contrepartie une baisse des dépenses publiques. Proposition un peu étrange si elle vient de « Gilets jaunes » dont l'une des revendications principale est le renforcement des services publics.

Parmi les autres propositions : bâtir une démocratie participative au niveau national, sur le modèle local.

Quand on sait que la démocratie participative c'est parler plus pour décider moins, on n'est pas surpris que cette proposition ait séduit le Premier ministre qui n'a cependant rien dit de la suite qu'il comptait lui donner.

Le fin du fin cependant, c'est de jouer au populiste, un populisme chic évidemment.

Dans la chronique qu'il a tenu un moment dans Libération au début de la campagne des présidentielles, Édouard Philippe, futur Premier ministre d'Emmanuel Macron, ce qu'il ignorait alors, décrit celui-ci comme un « tribun adepte d'un populisme désinvolte », « qui n'assume rien mais promet tout, avec la fougue d'un conquérant juvénile et le cynisme d'un vieux routier ». « Il marche sur l'eau en ce moment » (15 février), « il guérit les aveugles, il multiplie les pains, il répand la bonne parole. À la France paralysée, il ordonne “Lève-toi et en marche !” (...) Et tout ça tout seul, sans réel programme ni réelle équipe. Il suffit de croire en lui. D'avoir la foi. » Saint-Matthieu - par ailleurs saint patron des banquiers, ça ne s'invente pas - est aussi cité rapportant les paroles de Jésus : « Car il en viendra beaucoup sous mon nom qui diront : “C'est moi le Christ”, et ils abuseront bien des gens ».

Édouard Philippe constate, par ailleurs que, comme Marine Le Pen, Emmanuel Macron s'est « affranchi d'une règle simple consistant à dire à quel camp on appartient ».

Il n'est, en effet, ni de droite ni de gauche, capable de dénoncer les faux semblants du néolibéralisme, le danger mortel qu'il fait courir au monde devant l'OIT et « en même temps » - expression clef de voute de sa « pensée complexe » selon ses admirateurs - de prétendre révolutionner la France en se montrant réceptif aux demandes des « investisseurs » dans ses entretiens avec la presse anglo-saxonne.

Représentant s'il en fut de la haute bureaucratie qui lui sert de réservoir ministériel, Emmanuel Macron n'en dénonce pas moins cette caste dans « Révolution » (tout un programme !), son manifeste électoral présidentiel.

Pur produit du système il ne se revendique pas moins antisystème, ce qu'il est lorsqu'on le compare à son entourage. Mais seulement dans ce cas.

Rapporteur général adjoint de la commission Attali « pour la libération de la croissance française » réunie par Nicolas Sarkozy, membre trois ans du Parti Socialiste, soutien de François Hollande aux élections présidentielles, secrétaire général adjoint de son cabinet à l'Élysée, puis ministre, c'est un pur produit de la mécanique politicienne. Ce qui ne l'empêche pas de proclamer à Sud-Ouest.fr « Je ne fais pas partie de cette caste politique et je m'en félicite. Nos concitoyens sont las de cette caste ». (9 mai 2016)

Et puis, comme dans toute opération de communication, il y a les mots pour le dire.

Les mots qui font peuple, comme en Corrèze où il fustige « ceux qui foutent le bordel » ou comme dans l'incubateur de Neill « ceux qui ne foutent rien » et quelques heures avant son discours devant la Mutualité française « le pognon de dingue » consacré à l'aide sociale...

Les mots qui signalent le lettré et le poète comme cet « héautontimorouménos » qui a donné un supplément de densité au discours présidentiel de la « Conférence nationale des territoires ».

Un vrai populisme chic.

d) Leçons de morale et disqualification

Faute de pouvoir poser les problèmes en termes de choix politiques, sous peine de pulvériser la fiction selon laquelle il n'y a pas d'alternative au système en place, on le fera en termes moraux comme les démagogues qui se passent d'explications un peu compliquées.

Dénoncer le racisme, le machisme, la xénophobie, l'homophobie, l'europhobie, l'islamophobie, entre-autres phobies, dispense d'expliquer pourquoi ces comportements prospèrent quand triomphe le mode d'organisation sociale et politique le plus achevé, la démocratie libérale occidentale, et surtout dispense d'en faire cesser les causes.

« À la place de l'ancienne dichotomie gauche-droite, nous sommes désormais tenus de penser en termes de Bien et de Mal. » 271 ( * )

La première réponse aux questions que pose la montée des populismes faute de mieux, sera la condamnation morale assortie d'injures : ils ont tort parce qu'ils sont horribles.

On a rapporté un peu plus haut celle d'Hillary Clinton aux « pitoyables, racistes, sexistes, homophobes, xénophobes, islamophobes » partisans de Trump ainsi que celle de BHL au « peuple trumpisé » (partie IV).

Il en est, de la même veine, plus sophistiquées. Ainsi, les Décodeurs du Monde, repèrent derrière le mouvement des Gilets jaunes des réseaux de manipulateurs (« groupes colère » et « patriosphère » d'extrême droite). Conclusion : derrière la percée des Gilets jaunes il y a des réseaux pas si « spontanés » et « apolitiques ».

Ainsi pour l'historien et sociologue Marc Lazar, avec les mouvements populistes - considérés comme une entité homogène (on verra que ce n'est pas le cas) - la démocratie se transforme en « peuplecratie ».

Faut-il que la « démocratie » telle qu'elle se pratique aujourd'hui ait été dévitalisée pour que l'on puisse l'opposer à la « peuplecratie », autrement dit, le gouvernement du peuple !

Comme dit Jacques Rancière : sous ce terme de populisme, on veut « ranger toutes les formes de sécession par rapport au consensus dominant, qu'elles relèvent de l'affirmation démocratique ou des fanatismes raciaux ou religieux ». (La haine de la démocratie)


* 264 Clemenceau : discours à la Chambre - 4 juin 1888.

* 265 Ainsi, pour l'application de l'article 40 de la Constitution, la notion de « dépense publique » ne s'applique plus seulement à celles de l'État mais aux dépenses au sens de Maastricht - les traités prennent valeur constitutionnelle.

* 266 L'ancien secrétaire américain au Trésor Timothy Geithner écrit dans un livre publié en 2014 (« Stress Test: Reflections on Financial Crises »), qu'au cours de l'automne 2011 des responsables européens l'ont approché avec un projet conçu pour tenter de contraindre le président du Conseil italien Silvio Berlusconi à quitter le pouvoir : « ils nous demandaient de refuser de soutenir des prêts du FMI (Fonds monétaire international) à l'Italie jusqu'à ce qu'il soit parti », ajoutant : « Nous avons informé le président de cette surprenante sollicitation mais aussi utile que cela aurait pu être d'avoir de meilleurs dirigeants en Europe, nous ne pouvions pas participer à un tel projet. Nous ne pouvons pas avoir de son sang sur les mains » (Cité par l'Obs avec l'AFP le 14 mai 2014)

* 267 Stratégie qui, services secrets et brigades rouges, aidant échouera.

* 268 Discours de Jacques Chirac au soir du 2 e tour des élections de 2002 : « Mes chers compatriotes de métropole, d'outre-mer, de l'étranger, nous venons de vivre un temps de grande inquiétude pour la Nation, mais ce soir dans un grand élan, la France a réaffirmé son attachement aux valeurs de la République.

Ce soir, je veux dire aussi mon émotion, et le sentiment que j'ai de la responsabilité qui m'incombe. Votre choix aujourd'hui est un choix fondateur, un choix qui renouvelle notre pacte républicain. Ce choix m'oblige, comme il oblige chaque responsable de notre pays.

La confiance que vous venez de me témoigner, je veux y répondre en m'engageant dans l'action avec détermination. Président de tous les Français, je veux y répondre dans un esprit de rassemblement. Je veux mettre la République au service de tous, je veux que les valeurs de liberté, d'égalité, de fraternité, reprennent toute leur place dans la vie de chacune et de chacun d'entre vous. (...) Dans les prochains jours, je mettrai en place un gouvernement de mission, un gouvernement qui aura pour seule tâche de répondre à vos préoccupations et d'apporter des solutions à des problèmes qui ont été trop longtemps négligés (...) Mes chers compatriotes, le mandat que vous m'avez confié, je l'exercerai dans un esprit d'ouverture et de concorde, avec pour exigence l'unité de la République, la cohésion de la Nation et le respect de l'autorité de l'État (...) »

* 269 Blog 15 janvier 2017.

* 270 Article de Romaric Godin et Ellen Salvi, Médiapart - 8 avril 2019.

* 271 Article de Romaric Godin et Ellen Salvi Médiapart - 8 avril 2019.

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