PARTIE I - LA FABRICATION D'UN NOUVEAU KRACH FINANCIER

« Ce régime absurde et insensé de l'économie libérée qui est la négation même de l'économie libérale »

Jacques Rueff

L'un des objets initiaux de cette étude qui fait suite à « Une crise en quête de fin. Quand l'Histoire bégaie » ( Rapport de la Délégation à la prospective n° 393, 2016-2017 ), présenté en février 2017, était d'évaluer si les réformes du système financier qui se sont succédé depuis 2008, et maintenant « presque achevées » 35 ( * ) , avaient porté leurs fruits.

Autrement dit, si la perspective d'une réédition d'un krach financier de magnitude équivalente à celui de 2007-2008 restait d'actualité au terme de dix ans de réforme.

On se doute que toute réponse catégorique, dans un sens ou un autre ne serait pas sérieuse, d'autant moins que l'actualité peut prendre son temps et que tout krach financier ne se transforme pas forcément en crise générale comme celles de 1929-1930 et 2007-2008.

De plus, tout autant que l'aspect financier de telles crises, compte leur contexte, l'ensemble du système géopolitique, économique, social, politique dont elles sont le produit et qu'en retour elles modifieront profondément

Et puis, l'air du temps compte pour beaucoup dans ce type de pronostic.

En 2007, à part quelques originaux tels Minsky et une poignée d'économistes, ou de quelques spéculateurs avisés, personne n'a vu venir la crise.

Le 26 septembre 2008, le ministre du budget français d'alors, Éric Woerth, pouvait encore dire « La crise est venue d'une manière extrêmement violente mais la reprise peut être extrêmement forte. ».

Pour lui, comme pour tous les libéraux, une crise est seulement le prix à payer pour la régénération du capitalisme, celui d'une nouvelle jeunesse.

Aujourd'hui, c'est plutôt l'inverse, la détection de bulles spéculatives et l'annonce d'un krach prochain sont devenus un genre journalistique.

Au point où nous en sommes, la seule démarche raisonnable c'est d'évaluer comment a évolué l'instabilité du système financier, tout en gardant à l'esprit que, pour reprendre l'expression d'Henri Sterdyniak 36 ( * ) , ce qui caractérise la situation depuis quelques années c'est d'être « une instabilité stable qui n'a aucune rationalité. Elle est insoutenable et, paradoxalement, le système tient bon. » .

En gardant aussi à l'esprit qu'en retour, les effets collatéraux - économiques, sociaux et politiques - d'un krach comme ceux de 1929 et 2008 peuvent, en cas de crise, entraîner des modifications en profondeur du système financier.

Mais, pour commencer, quelques considérations sur la monnaie, sa création et ses fonctions ne sont pas inutiles.

I. LA MONNAIE, SA CRÉATION ET SES FONCTIONS

« Dans son essence, la création monétaire ex nihilo actuelle par le système bancaire est identique, [...], à la création de monnaie par des faux-monnayeurs, si justement condamnée par la loi. Concrètement elle aboutit aux mêmes résultats. La seule différence est que ceux qui en profitent sont différents ».

Maurice Allais 37 ( * )

A. DEUX CONCEPTIONS DE LA MONNAIE

On peut distinguer deux grandes conceptions de la monnaie.

La plus ancienne renvoie à l'époque où dominait l'économie agricole et où le rôle de la monnaie se limitait largement à celui de facilitateur des échanges entre des produits dont la valeur - hors situation de pénurie - dépendait essentiellement du temps de travail nécessaire pour les obtenir.

En ce temps-là, quand on retranche une quantité de blé à la production pour l'affecter à la récolte suivante on retranche une part non consommée (l'épargne) qui sera affectée à l'investissement.

Cette conception conforme au sens commun, toujours bien vivante, fait partie du crédo des adorateurs de la rigueur pour qui, pour pouvoir dépenser (demain) il faut se priver (aujourd'hui).

On la retrouve dans le célèbre Théorème d'Helmut Schmidt, passé en proverbe : « Les profits d'aujourd'hui (sous-entendu non consommés) sont les investissements de demain et les emplois d'après-demain ».

La seconde, qui renvoie à l'économie monétaire de production actuelle, voit le financement de l'investissement par le crédit comme une solution normale.

La création monétaire se justifie par l'anticipation de création de richesses et de profit.

En quelque sorte, la société crée ses propres moyens pour assurer son expansion.

Plus on crée de la monnaie par le crédit plus on dispose de moyens et plus on anticipe ainsi un avenir en expansion.

La monnaie est le moyen de l'expansion. Si les anticipations se révèlent justes, une fois la monnaie créée (les crédits accordés) et après remboursement des emprunts, qui sont autant de destruction de monnaie, il doit rester un solde positif.

Ce solde positif peut être réinvesti en tout ou partie mais pas obligatoirement, les taux d'intérêt devenant une des clefs de l'arbitrage 38 ( * ) .

On aura compris qu'un fonctionnement sans à-coup du système suppose des anticipations suffisamment réalistes des besoins en monnaie.

Ce qui pose la question du pouvoir de création monétaire, de ses motivations et de son contrôle.


* 35 L'expression est celle de la BCE, elle-même, dans son rapport 2018, qui conclut évidemment positivement : « Dix ans après le début de la crise financière mondiale, les principales réformes réglementaires qui ont contribué à rendre le secteur financier plus résilient sont presque achevées ».

* 36 Henri Sterdyniak est conseiller scientifique à l'OFCE, Audition du 4 février 2016 dans le cadre du rapport Une crise en quête de fin .

* 37 Maurice Allais (1911-2010) a été le premier et pendant longtemps le seul lauréat français du « prix de la Banque de Suède en mémoire d'Alfred Nobel », connu sous le nom de « prix Nobel d'économie »

* 38 Jean Gabriel Bliek, économiste, entretien avec l'auteur

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