COMMISSION DES AFFAIRES EUROPÉENNES

En matière européenne, le Sénat peut faire valoir sa position de différentes manières. Il peut adopter des résolutions européennes sur le fondement de l'article 88-4 de la Constitution, au titre de l'examen des projets d'actes européens. Afin de s'assurer que l'Union européenne n'outrepasse pas les limites de ses compétences, il veille au respect du principe de subsidiarité et peut adopter un avis motivé sur le fondement de l'article 88-6 de la Constitution. Enfin, sa commission des affaires européennes entretient un dialogue politique avec la Commission européenne et peut adopter des avis politiques en réaction aux documents que celle-ci lui adresse.

Le suivi des positions européennes du Sénat s'inscrit dans le contexte plus large du bilan de l'application des lois et contribue au contrôle de la politique européenne du Gouvernement.

1. La situation statistique et les modalités de suivi

Entre le 1 er octobre 2018 et le 30 septembre 2019, le Sénat a adopté 15 résolutions européennes, contre 18 l'année précédente. La commission des affaires européennes a été saisie de 850 textes en 2019, contre 1 000 l'année précédente car l'année 2019 a été largement consacrée au renouvellement des institutions européennes.

Sur ces 15 résolutions, 12 sont issues d'une proposition de résolution de la commission des affaires européennes, 2 d'une initiative d'un ou plusieurs sénateurs et 1 du groupe de travail commun à la commission des affaires européennes et à celle des affaires économiques sur la politique agricole commune (PAC). 9 résolutions ont donné lieu à un rapport d'information de la commission des affaires européennes et 5 à un rapport d'une commission permanente. 14 ont également fait l'objet d'un avis politique adressé à la Commission et 2 ont même été l'occasion d'un débat en séance publique, l'appui de l'Union européenne à la mise en place d'un mécanisme de justice transitionnelle à dimension internationale en Irak et la réforme de la PAC. Quant aux avis motivés sur le respect du principe de subsidiarité, le Sénat en a adopté 30 depuis l'entrée en vigueur du traité de Lisbonne. Aucun n'a été adopté au cours de la période couverte par le rapport du fait de la moindre activité législative consécutive aux échéances électorales de 2019.

Pour ce qui concerne les avis politiques, la commission des affaires européennes en a adressé 19 à la Commission entre le 1 er octobre 2018 et le 30 septembre 2019, contre 13 l'année dernière. Le respect du délai de trois mois auquel la Commission s'est engagée à répondre s'est amélioré par rapport à l'année dernière, ce qui est appréciable, même si cette amélioration est insuffisante. Chacun des avis politiques a reçu une réponse, mais cette réponse n'est parvenue dans les trois mois que dans 47,4 % des cas, après 38,5 % l'année précédente. Il faudra être attentif aux pratiques de la nouvelle Commission en la matière. La qualité des réponses est globalement satisfaisante, même si l'exercice reste parfois sans doute trop formel. Le dialogue politique doit être poursuivi dès lors que les réponses obtenues sont incomplètes ou excessivement générales, comme cela a été fait l'année dernière sur la PAC. La qualité de la seconde réponse est d'ailleurs apparue bien supérieure à celle de la première.

Enfin, selon des chiffres de la Commission européenne elle-même, avec 24 avis qui lui ont été transmis sur l'année 2018, le Sénat français figure parmi les dix assemblées parlementaires de l'Union européenne, qui en compte 41 (39 depuis le Brexit), les plus actives. Au cours de la même année, les commissaires européens avaient participé à 140 visites et réunions avec les parlements nationaux, dont 24 en France (15 à l'Assemblée nationale et 9 au Sénat), soit le chiffre le plus élevé, devant la Pologne (12 visites et réunions).

2. Le sort réservé aux positions européennes du Sénat : des suites très favorables

Sur l'année parlementaire écoulée, dans 87 % des cas, les positions exprimées par le Sénat dans ses résolutions européennes ont été prises en compte au cours des négociations et influent donc directement sur le contenu des directives et règlements finalement adoptés.

D'une façon quelque peu schématique, il est possible de classer les résolutions européennes du Sénat en trois catégories quant aux suites qu'elles ont reçues :

a) Dans près de la moitié des cas, les résolutions ont été prises totalement ou très largement en compte.

- la responsabilisation partielle des hébergeurs de contenus numériques : les positions portées par les autorités françaises dans les négociations sont très proches de celle du Sénat, en particulier sur la mise en place d'une régulation ciblée sur les plateformes structurantes, qui doit permettre de définir des obligations ex ante renforcées pour ces acteurs, parfois plus adéquates que la seule sanction ex post de pratiques anticoncurrentielles. Le Gouvernement français partage aussi le souhait du Sénat de promouvoir la concurrence et l'innovation en stimulant le développement d'acteurs émergents et compétitifs, et de concevoir une réglementation proportionnée et souple afin de ne pas entraver l'innovation ;

- le suivi des conclusions de la commission d'enquête du Sénat sur l'espace Schengen : les points d'attention du Sénat ont prospéré. Il en est ainsi pour l'adoption de l'interopérabilité des systèmes d'information européens, qui facilitera l'harmonisation des contrôles aux frontières et les contrôles d'identité et contribuera à la prévention et à la détection de certaines infractions graves comme le terrorisme. C'est aussi le cas pour la révision du code communautaire des visas, qui facilite, simplifie et sécurise les procédures de demandes de visa et érige la politique de visas en un outil d'amélioration de la coopération en matière de réadmission. Enfin, il faut également citer le renforcement du mandat de Frontex, avec d'importants recrutements qui préfigurent une véritable police des frontières européenne, ou encore l'annonce par la Commission pour mars 2020 d'un nouveau Pacte sur l'immigration et l'asile, qui devra respecter les principes de responsabilité (réforme de Dublin ou politique de retour efficace grâce à des accords de réadmission) et de solidarité (soutien à la réinstallation et réponse en cas de crise aigüe s'exerçant sur un État membre) ;

- le nouveau programme d'investissement pour l'Europe ( InvestEU ) : ce dispositif doit prendre le relais du plan Juncker, dont la France a été le premier bénéficiaire en volume en Europe. À ce sujet, le Sénat a obtenu satisfaction sur la diversification des objectifs sectoriels et l'accent porté sur l'innovation et les PME ;

- les corridors de transport dans l'Union européenne dans le contexte du Brexit : les négociations ont permis de mettre en oeuvre plusieurs préconisations du Sénat telles que l'intégration des ports français de la Manche (Calais, Dunkerque, Le Havre) au tracé du corridor Mer du Nord - Méditerranée, la possibilité de faire financer des aménagements liés au rétablissement des contrôles aux frontières de l'Union, l'ajustement du tracé des corridors visant à s'adapter aux évolutions éventuelles dans la classification des ports ou encore le renforcement des autoroutes de la mer dans le futur règlement sur le Mécanisme pour l'interconnexion en Europe pour la période 2021-2027, avec un accent mis sur les liaisons transfrontalières ;

- les investissements dans l'intelligence artificielle en Europe : les positions du Sénat ont été suivies pour ce qui concerne la nécessité de faire émerger un ou plusieurs leaders européens de l'intelligence artificielle, la mutualisation des données entre acteurs publics et privés pour faire face à la rareté des ressources pour les acteurs européens, la formation et la rétention de talents en matière d'intelligence artificielle comme enjeux clefs pour assurer l'indépendance technologique de l'Europe à l'égard des acteurs extra-européens et, enfin, la nécessité d'assurer la confiance dans les algorithmes d'intelligence artificielle ou encore la prise en compte de principes éthiques dans la conception et l'usage de l'intelligence artificielle ;

- les normes sociales européennes applicables au secteur des transports : dans le secteur du transport routier international de marchandises, les négociations ont permis une avancée importante pour une concurrence plus équitable et une meilleure protection des chauffeurs routiers qui disposeront désormais du droit de retourner chez eux toutes les trois ou quatre semaines et qui pourront également se prévaloir de l'interdiction expresse du repos hebdomadaire en cabine. En outre, les règles de détachement s'appliqueront dès le premier jour d'une opération internationale. Dans le secteur aérien, la priorité est donnée à la lutte contre les conditions de travail précaires et à la défense des droits des salariés grâce à l'introduction dans la législation européenne de la notion de base d'exploitation, de façon à éviter les fraudes au détachement fictif, au travail dissimulé et aux obligations fiscales et sociales des employeurs ;

- la politique spatiale de l'Union européenne : il faut citer ici le soutien du lancement de nouveaux programmes en matière de surveillance de l'espace et de communications sécurisées, la révision de la gouvernance, la préférence européenne pour le secteur spatial et le soutien à Kourou comme port spatial européen, ainsi que l'opposition aux propositions de coupes budgétaires dans le programme spatial ;

b) Dans 40 % des cas, les positions du Sénat ont été partiellement suivies.

- l'extraterritorialité des sanctions américaines : les autorités françaises ont certes défendu les mesures financières de blocage ou de neutralisation des sanctions extraterritoriales proposées dans la résolution, mais plusieurs des recommandations du Sénat n'ont pas été prises en compte, en particulier sur le renforcement du rôle international de l'euro ;

- l'équité et la transparence pour les entreprises utilisatrices des services d'intermédiation en ligne : l'inclusion des moteurs de recherche dans son champ d'application est une avancée, mais le texte reste en deçà des préconisations du Sénat car, en raison du recours à l'argument du secret des affaires, il est peu contraignant pour les plateformes et ne permet pas un rééquilibrage effectif de leurs relations avec les entreprises. En outre, la protection des données des consommateurs est un sujet insuffisamment traité ;

- la réforme de l'Autorité européenne de sécurité des aliments : les positions du Sénat sur la gestion des conflits d'intérêts, par la création d'un comité de déontologie, composé d'experts et de représentants de la société civile, ou par l'harmonisation entre les agences des règles relatives aux conflits d'intérêt n'ont pas prospéré, même si le Gouvernement les a défendues lors des négociations ;

- le futur programme-cadre pour la recherche et l'innovation « Horizon Europe » : ici aussi, en dépit de certaines avancées, plusieurs des préconisations du Sénat n'ont pas été retenues, par exemple le caractère non limitatif de la liste des missions du programme, l'ajout d'un pôle dédié à l'espace ou encore le maintien d'un programme spécifique à l'éducation à la science ;

- l'appui de l'Union européenne à la mise en place d'un mécanisme de justice transitionnelle à dimension internationale en Irak : la prise en compte de cette résolution est rendue difficile dans le contexte très dégradé que connaît l'Irak, du fait de tensions politiques intérieures avec de vastes manifestations fortement réprimées et tensions régionales accentuées par les relations États-Unis/Iran depuis l'attaque qui a coûté la vie au général Soleimani ;

- la coopération judiciaire en matière pénale et la mise en oeuvre du Parquet européen : aucune information sur le renforcement de la coopération judiciaire à l'échelon européen n'a été obtenue, pas plus que sur une éventuelle extension du champ de compétence du Parquet européen aux infractions terroristes transfrontières ;

c) Enfin, dans deux cas seulement, la résolution européenne du Sénat n'a pas, jusqu'à présent, reçu de suite effective

Le taux réduit de TVA pour la filière équine et la réforme de la PAC .

Ce bilan est très largement positif, même si sur un sujet majeur comme la PAC, le Sénat n'a pas été entendu. Ce bilan global constitue un encouragement à poursuivre l'action de la commission des affaires européennes.

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