B. DES CHOIX TECHNOLOGIQUES EN CONSÉQUENCE

1. Un porte-avions massif dont le coût doit être envisagé dans la durée

Conformément à la loi de programmation militaire 2019-2025 18 ( * ) , des études préalables ont été lancées et se sont achevées en février 2020.

Du résultat des études industrielles, nous ne pourrons pas dire beaucoup plus que ce qui est paru dans les médias 19 ( * ) . Les industriels sollicités n'ont, en effet, pas souhaité être entendus par nous avant la décision du Président de la République, attendue pour avril puis pour juin mais, semble-t-il, reportée en raison de la crise sanitaire.

a) Un porte-avions plus massif que le Charles de Gaulle

Quel que soit le mode de propulsion choisi, pour répondre à l'ensemble de ces exigences, notamment la mise en oeuvre du SCAF, un porte-avions beaucoup plus massif que l'actuel sera nécessaire.

Aucune décision n'a été prise à ce stade.

Des études d'une durée de 18 mois et d'un montant de 36 millions d'euros ont été réalisées pour préparer le lancement du programme PANG. Ces études traitent des besoins opérationnels et capacitaires, des caractéristiques techniques du futur porte-avions, de la prise en compte des menaces émergentes et d'une éventuelle permanence du groupe aéronaval. Le dossier est désormais entre les mains du Président de la République.

La définition du besoin militaire relève du ministère des armées. Une étude technico-opérationnelle a été confiée à un groupe d'industriels constitué de Naval Group, Thales, MBDA et Dassault Aviation. Des travaux d'esquisse ont été conduits par Naval Group, les Chantiers de l'Atlantique et Technicatome.

Les études ont envisagé des solutions multiples, y compris des solutions complètement nouvelles. Mais, à ce stade, le concept de PA à piste oblique, catapultes et brins d'arrêt a été retenu, avec deux grandes options selon le type de propulsion (conventionnelle ou nucléaire) .

L'ordre de grandeur envisagé serait de 70 000 tonnes pour un porte-avions de 280 à 300 m de long . Cette masse est très supérieure à celle du porte-avions actuel (42 000 tonnes pour 261 m) et un peu supérieure à la masse des porte-avions britanniques (65 000 tonnes). Mais cette masse reste nettement en-deçà du gabarit des nouveaux porte-avions de classe Ford des États-Unis (110 000 tonnes).

Compte tenu des dimensions du PANG, il devra être construit à Saint-Nazaire , comme l'a confirmé la Ministre des Armées lors de sa visite aux Chantiers de l'Atlantique le 18 mai 2020. Le dimensionnement des infrastructures à Toulon et à Brest est une autre contrainte forte à prendre en compte, de même que le coût des éventuels aménagements qui devront y être opérées pour l'accueil du nouveau porte-avions.

b) Un coût à rapporter à la durée du programme

« Quant aux montants que représenterait l'acquisition d'un nouveau porte-avions, il est clair qu'on ne dispose que d'une très large fourchette d'évaluation. Mais, aujourd'hui, l'ordre de grandeur s'élève à plusieurs milliards d'euros, au bas mot cinq milliards sans doute - et même davantage, si la propulsion nucléaire est retenue. Mais, bien sûr, si on en achète plusieurs, on en amortit les coûts de développement » 20 ( * ) .

La Direction générale de l'armement (DGA) a procédé à de premières évaluations de coût. Malgré nos demandes, nous n'avons toutefois pas pu obtenir de précisions, notamment sur les coûts respectifs de l'option nucléaire et de l'option conventionnelle, ni sur le coût de construction d'éventuels navires jumeaux (sisterships) .

Quel que soit ce coût, il doit être rapporté à la durée du programme : un coût annuel de 450 M€ représenterait 1,5 % du budget de défense et 0,02 % du PIB (pendant au moins 10 ans) .

154 millions d'euros sont déjà programmés, dans le cadre de l'actuelle LPM (2019-2025), pour le développement du programme de porte-avions de nouvelle génération. Ce programme devra être abondé lors de l'actualisation de la LPM. Mais l'enjeu, en termes de crédits budgétaires, risque d'être surtout significatif sur la prochaine LPM (post-2025).

Source : Jean-Sylvestre Mongrenier, « La France a-t-elle besoin d'un deuxième porte-avions ? », Institut Thomas More (mars 2018).

2. Catapultage et appontage : des choix de continuité

Comme précédemment évoqué, le futur PA devra pouvoir mettre en oeuvre des moyens très divers : très lourds (le Next generation fighter du SCAF) ou beaucoup plus légers (drones). Le système de catapultes électromagnétiques EMALS 21 ( * ) américain paraît particulièrement adapté , en offrant une flexibilité et une fiabilité beaucoup plus élevées que les actuelles catapultes à vapeur et en préservant le matériel puisque la réduction de l'effort subi allonge la durée de vie des aéronefs.

Ce système aurait de plus l'avantage de nous rendre immédiatement interopérables avec les Américains, comme c'est le cas aujourd'hui avec le porte-avions Charles de Gaulle .

Tandis que les catapultes des porte-avions Foch et Clemenceau étaient britanniques, les systèmes de catapultage et d'appontage du Charles de Gaulle sont d'origine américaine, nécessitant la présence d'un officier américain à bord, ce qui est l'un des éléments de la coopération étroite entre la France et les États-Unis en matière de porte-avions.

D'après nos différents interlocuteurs, cette coopération ne s'est jamais heurtée à aucune difficulté , même en période de différend diplomatique entre la France et les États-Unis (2003).

Les États-Unis sont très sensibles au fait que nous soyons avec eux la seule puissance à disposer d'un porte-avions nucléaire à catapultes et brins d'arrêt, interopérable avec les leurs. La coopération franco-américaine dans ce domaine remonte à l'après Seconde guerre mondiale. En outre, les États-Unis sont aussi soucieux des intérêts de leur industrie ; il leur serait très préjudiciable de ne pas demeurer un partenaire fiable.

Le système EMALS semble aujourd'hui faire ses preuves malgré des difficultés de départ réelles, au point que le Président Donald Trump a, un moment, encouragé la Marine américaine à revenir au catapultage à la vapeur. Un rapport du General Accounting Office (GAO) a mis en cause la fiabilité de ce système et sa capacité à permettre un déploiement rapide de l'aviation embarquée.

Les médias américains ont récemment rapporté un incident qui se serait produit le 2 juin 2020 sur le porte-avions Ford au cours d'un test en mer du système EMALS, incident qui aurait causé l'échec du tir mais dont la cause resterait inconnue.

Près de 3500 lancements ont toutefois été réussis à ce jour avec le système EMALS. 167 catapultages ont été réalisés en une journée, ce qui est un record. Nos interlocuteurs ont tous estimé que le système était en train de faire ses preuves. Les délais de réalisation du successeur du Charles de Gaulle devraient nous permettre de bénéficier d'un système largement éprouvé .

Les porte-avions américains de classe Nimitz continueront à fonctionner avec des catapultes à vapeur mais cette technologie disparaîtra probablement d'ici à une vingtaine d'années. Pour continuer à bénéficier de cette technologie, ou pour produire de façon autonome des catapultes électromagnétiques, il faudrait que la France mette en place sa propre filière industrielle. Le besoin ne permettrait toutefois pas d'atteindre la masse critique nécessaire à la mise en place de cette filière.

Les catapultes passeront de 75 m (actuellement) à 90 m. Deux catapultes apparaissent, en tout état de cause, nécessaires (pour permettre une redondance).

Un enjeu sera de permettre des opérations de catapultage et d'appontage simultanées , ce que le Charles de Gaulle ne permet pas.

3. La propulsion nucléaire, un atout et un savoir-faire à préserver

Sur le Charles de Gaulle , l'énergie nucléaire fournit la puissance nécessaire tant pour la propulsion du navire, que pour le lancement et la récupération des avions.

Le grand avantage de l'énergie nucléaire, c'est l'autonomie qu'elle confère au porte-avions. Alors que les PA Foch et Clemenceau devaient être ravitaillés tous les 3-4 jours, le Charles de Gaulle n'a besoin d'un ravitaillement que tous les 10 jours. Les avions étant de plus en plus consommateurs de carburant, l'écart tend toutefois à se réduire. Diminuer la fréquence et les temps de ravitaillements, optimiser les flux sont des enjeux du PANG.

L'énergie nucléaire permet également un gain de place . Elle accroît la fiabilité du fait des multiples systèmes redondants existants, notamment pour des raisons de sûreté nucléaire. Le bâtiment est ainsi « une véritable horloge, ce qui est très précieux pour l'équipage, mais aussi pour le commandement, qui peut ainsi se concentrer sur les aspects opérationnels et humains » 22 ( * ) .

La propulsion nucléaire produit aujourd'hui aussi l'énergie nécessaire au fonctionnement des catapultes à vapeur. Pour propulser demain l'avion du SCAF à pleine charge, en alternance avec des drones beaucoup plus légers, il faudra pouvoir faire varier la puissance sur une gamme très large, ce que permet l'utilisation de l'énergie nucléaire.

Pour la Marine, le porte-avions n'est que l'un des éléments d'une compétence nucléaire d'ensemble . Il permet d'atteindre une taille critique, en termes de projets à conduire et de ressources humaines. Cette taille critique, qui assure un certain niveau d'activité aux bureaux d'études et aux ateliers, est nécessaire au maintien des compétences et donc au bon fonctionnement de la filière. Or le parc français est réduit (12 réacteurs embarqués) et la charge de travail tend à diminuer du fait de la réduction du nombre d'arrêts techniques sur les sous-marins de nouvelle génération (notamment le SNA Barracuda ).

Le principal inconvénient de la propulsion nucléaire est la nécessité d'un arrêt technique majeur (ATM) d'une durée de 18 mois tous les 10 ans pour le rechargement du combustible. La disponibilité de ce type de bâtiment comporte donc des limites intrinsèques. Le navire met ensuite encore six mois à remonter pleinement en puissance. L'ATM a toutefois d'autres fonctions puisqu'il permet aussi une modernisation en profondeur des équipements du porte-avions, qui serait aussi nécessaire sur un bâtiment à propulsion conventionnelle.

Si l'on s'oriente vers une propulsion nucléaire, la solution retiendrait deux chaufferies d'un type qui dérivera des choix effectués pour les SNA Barracuda et les SNLE 3G.


* 18 « Les études seront en outre initiées pour définir, au cours de cette LPM, les modalités de réalisation d'un nouveau porte-avions. Elles permettront de définir en priorité le système de propulsion de ce bâtiment et les contraintes d'intégration de nouvelles technologies notamment dans le domaine des catapultes. Elles devront fournir les éléments de décision relatifs à une éventuelle anticipation du lancement de sa réalisation et au format de cette composante pour garantir sa permanence » (rapport annexé à la LPM 2019-2025).

* 19 « Futurs porte-avions : quelles options ? », Mer et Marine, 8 juillet 2019 et « Futur porte-avions : les industriels finalisent leur copie », Mer et Marine, 14 janvier 2020.

* 20 Audition de l'amiral Jean-Philippe Rolland, commandant de la force d'action navale, à l'Assemblée nationale le 12 mars 2019.

* 21 Electromagnetic Aircraft Launch System (EMALS).

* 22 Audition de l'amiral Jean-Philippe Rolland, commandant de la force d'action navale, à l'Assemblée nationale le 12 mars 2019.

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