V. AUDITION DE M. JEAN-RENÉ CAZENEUVE, PRÉSIDENT DE LA DÉLÉGATION AUX COLLECTIVITÉS TERRITORIALES DE L'ASSEMBLÉE NATIONALE, SUR SA MISSION RELATIVE À L'IMPACT FINANCIER DE L'ÉPIDÉMIE DE COVID-19 SUR LES COLLECTIVITÉS TERRITORIALES (20 MAI 2020)

M. Jean-Marie Bockel, président . - Je remercie mon homologue de l'Assemblée nationale d'avoir répondu favorablement à notre invitation, qui correspondait également à un souhait de sa part de nous rencontrer, ainsi que nous en avions discuté tous les deux quand il lui a été confié cette mission.

En effet, comme vous le savez, Jean-René Cazeneuve a été chargé d'une mission importante relative à l'impact de la crise actuelle sur les finances locales, dans le cadre de la lettre de mission que lui a confiée le Premier ministre le 4 mai dernier. La ministre Jacqueline Gourault évoquait d'ailleurs cette mission en réponse à une question d'actualité cet après-midi au Sénat.

Compte tenu de l'urgence, il lui a été demandé, dans un délai de huit semaines, d'évaluer si les pertes de recettes et les hausses de dépenses constatées durant l'état d'urgence sanitaire conduisent certaines collectivités à connaître des problèmes immédiats de trésorerie et/ou des difficultés à assurer leur équilibre financier cette année et dans les années à venir. Il devra proposer des mesures qui pourraient être mises en oeuvre en 2020 ou en 2021.

Même si les finances ne constituent pas notre coeur de métier, nous n'hésitons pas, à chaque fois que cela est possible, d'une manière ou d'une autre, à aborder cette question qui concerne nos territoires. Cela est d'autant plus vrai aujourd'hui au vu de l'ampleur du séisme financier qui touche nos collectivités. Le coût a été estimé par le Gouvernement à 14 milliards d'euros pour 2020 et 2021. Mais cette estimation ne tient pas compte notamment des répercussions à plus long terme.

L'urgence et le caractère exceptionnel de cette crise du Covid-19 a balayé certaines idées reçues sur l'efficience de notre modèle centralisé d'action publique. Les collectivités territoriales ont dû faire face immédiatement à de nombreuses demandes de leurs administrés qui ne relevaient pas de leurs compétences et dépassaient leurs moyens financiers pour maintenir les services publics essentiels et participer plus activement, récemment, au déconfinement.

Pour préparer cette réunion et nourrir votre mission, j'ai demandé à notre collègue Charles Guené, rapporteur spécial de la mission « Relations avec les collectivités territoriales » et qui vient de publier dans La Gazette des Communes un article intitulé « Le Covid-19, accélérateur de la loi 3D et de la réforme de la fiscalité locale », d'identifier certaines pistes de réflexion et de les partager avec nos collègues.

En vous invitant, nous inversons la configuration habituelle. Vous souhaitez en effet plutôt nous auditionner que l'inverse - et j'imagine que vous réserverez la primeur de vos propositions au Premier ministre, mais ce temps n'est pas encore arrivé. J'espère toutefois que nos échanges vous seront utiles et que vous pourrez nous dévoiler votre état d'esprit, vos pistes de travail et vos premiers éléments de réflexion.

Je précise enfin que cette audition est ouverte à la presse et je salue les journalistes qui y assistent.

M. Jean-René Cazeneuve, président de la délégation aux collectivités territoriales de l'Assemblée nationale . - Cette audition est en effet avant tout un échange, et je vous remercie en avance de vos retours. Comme vous l'avez fait remarquer, cette mission m'a été confiée par le Premier ministre il y a quinze jours à peine. Elle va durer huit semaines et je suis donc très loin de pouvoir formuler des conclusions.

Je peux néanmoins dresser certains constats. L'intention du Premier ministre était que la mission soit à la fois confiée à l'Assemblée nationale et au Sénat, mais celui-ci a refusé de participer. L'objet de la mission est d'être le plus objectif possible s'agissant de l'impact du Covid-19 sur les finances des collectivités territoriales mais aussi, dans un second temps, de formuler un certain nombre de recommandations.

Les finances locales sont un sujet éminemment complexe, et personne ne sait à quelle vitesse nous allons sortir de cette crise à la fois sanitaire et également économique et sociale. Les projections constituent donc un exercice particulièrement périlleux. Si je prends comme unique référence la Cotisation sur la valeur ajoutée des entreprises (CVAE), celle-ci représente environ 18 milliards d'euros et la fourchette de pertes de recettes évolue de 8 à 40% ce qui correspond à un différentiel estimé de 5 milliards d'euros.

Les impacts financiers vont avoir lieu très rapidement concernant les principales ressources des collectivités territoriales, et vont se concrétiser beaucoup plus tard pour d'autres, dans un an, voire deux. Beaucoup d'estimations portent sur les recettes fiscales. Or, pour le bloc communal, l'impact pourrait être équivalent pour les recettes non fiscales. Il est néanmoins très complexe de prendre ces recettes en compte selon les organisations choisies par les diverses collectivités : en régie, en délégation, en syndicat,... Cela ne se traduit donc pas de la même manière en fonction des différentes collectivités.

J'ambitionne d'effectuer un constat le plus objectif possible : cette crise a aussi généré des dépenses moindres pour certaines collectivités et pas uniquement une perte de recettes ou une hausse de dépenses.

Je compte également formuler deux types de recommandations. Les premières seront à très court terme dans le cadre d'un troisième Projet de loi de finances rectificative (PLFR) qui pourrait être annoncé en juin et qui devrait inclure un certain nombre de mesures pour les collectivités, absentes des deux précédents PLFR. Les autres, à plus long terme, auraient vocation à s'insérer dans le prochain budget pour 2021.

Dans les communes, qui demeurent les collectivités territoriales les plus touchées, plusieurs cas spécifiques existent, notamment celui des communes touristiques en période de festivals. Dans les autres collectivités particulièrement en difficulté, il convient de mentionner les collectivités d'outre-mer, avec la question de l'octroi de mer, qui représente 30% de leurs ressources, mais aussi les départements, dont la situation inquiète, entre la baisse des Droits de mutation à titre onéreux (DMTO), d'une part, et l'augmentation à venir du nombre de bénéficiaires du Revenu de solidarité active (RSA), d'autre part.

Je pense aussi aux autorités organisatrices de mobilité. Le versement transport a chuté de manière considérable durant le confinement et cela n'est pas sans poser un certain nombre de problèmes pour ces autorités mais aussi pour les régions.

On fait souvent un parallèle entre la situation actuelle et la crise de 2008. Je souhaiterais cependant préciser que cette crise était une crise purement financière, ayant certes eu un impact très important sur le niveau global d'investissement. La crise actuelle est très différente : l'économie s'est arrêtée pendant deux mois et la reprise est lente. Il est toutefois tentant de se pencher à nouveau sur la crise de 2008, dont les impacts sur les collectivités territoriales ont perduré jusqu'à 2010.

Je rappelle que rien n'a été fait pour les collectivités territoriales suite à la crise de 2008. Certains disent aujourd'hui qu'il faudrait rembourser à l'euro près l'impact du Covid sur les collectivités. Mais en 2008, à part le Fonds de compensation pour la TVA (FCTVA), qui constitue une avance de trésorerie, les mesures étaient presque inexistantes, alors même que les DMTO avaient chuté de 30% par exemple. Le FCTVA avait été en outre très contesté par la Cour des Comptes. Les collectivités avaient alors dû augmenter la pression fiscale sur les citoyens et cela s'est traduit en parallèle, au niveau de l'État, par un gel puis une diminution de la Dotation globale de fonctionnement (DGF). À cette époque, les collectivités possédaient toujours des emprunts toxiques, qui ont par ailleurs fragilisé leur trésorerie par rapport à leur niveau actuel.

La santé financière des collectivités est bien meilleure à l'orée de cette crise qu'elle l'était il y a trois ans ou à l'entrée de la crise de 2008. Cette santé financière s'explique d'abord par une excellente gestion de la part de nos élus, dont on ne peut que se féliciter. Les recettes de fonctionnement sont supérieures aux dépenses de fonctionnement. Le soutien de l'État a de plus aidé les comptes des collectivités. Enfin, la fiscalité locale a été particulièrement dynamique ces derniers temps du fait de l'activité économique. Tous ces éléments font que, fin 2019, l'épargne brute des collectivités territoriales était de 39 milliards d'euros contre 28 milliards en 2007. L'endettement demeure assez raisonnable, à hauteur de 4,5%. L'investissement public a augmenté de 12,3% sur la seule année dernière et la trésorerie au 1 er janvier 2020 est de 44 milliards d'euros. Les finances sont donc extrêmement saines et peuvent permettre à plusieurs collectivités d'encaisser une partie du choc.

Dans les recommandations que j'ai déjà pu formuler, en phase avec les associations d'élus que j'ai toutes rencontrées, j'ai déjà insisté sur la nécessité de mettre en place une méthodologie très précise pour que tout le monde se mette d'accord sur un plan d'action.

Deux scénarios extrêmes se dégagent. Le premier serait de ne rien faire comme en 2008. Cela aurait un impact sur les capacités d'autofinancement des collectivités territoriales à la fin de la crise et cela ne semble pas possible, alors que nous aurons besoin des collectivités pour investir. L'État se doit en outre d'apporter son soutien aux collectivités les plus touchées par cette crise. L'autre scénario est celui de la compensation intégrale, qui ne me paraît pas raisonnable au vu du niveau d'endettement de l'État, alors que les collectivités disposent encore d'une capacité de trésorerie et d'épargne importante. Une telle solution entrerait au demeurant en contradiction avec le principe de libre administration des collectivités territoriales et avec les souhaits d'autonomie financière et fiscale de plusieurs collectivités. Par ailleurs, comme l'a souligné le ministre Sébastien Lecornu, on ne peut pas d'un côté mutualiser les pertes et, de l'autre, individualiser les gains.

Une réponse différente devra être apportée selon l'échelon concerné. Trois niveaux de réponses sont nécessaires pour les communes, les départements et les régions. En effet, l'impact de la crise et le profil des recettes de ces collectivités sont très différents. Pour le bloc communal, l'impact risque d'être plus important en 2020. Les départements connaissent un « effet ciseaux » et leur problème principal risque d'être lié à une explosion des dépenses en matière de protection sociale. Le sujet majeur pour les régions résidera dans l'investissement.

M. Jean-Marie Bockel, président . - Nous sommes aujourd'hui face à un tsunami. En 2008, les difficultés étaient plus ou moins importantes mais elles ont pu être surmontées. Il est certes intéressant de s'en souvenir mais il me semble que nous connaissons actuellement une toute autre histoire.

M. Charles Guené . - En 2008, la crise financière n'a effectivement pas eu le même impact sur les collectivités locales, et le Gouvernement a d'ailleurs pu leur prélever 12 à 14 milliards d'euros, alors qu'aujourd'hui la crise pourrait générer une perte équivalente.

Je tiens à rappeler que si les collectivités sont pour la plupart en bonne santé financière, elles ont toutefois mis un mandat pour retrouver leur niveau d'investissement. Simultanément, un contrôle très sévère de la dépense a été instauré. Je pense que les collectivités vont avoir du mal à aller plus loin dans cette voie.

Nous raisonnons à l'échelle de grandes masses en oubliant l'hétérogénéité de notre pays. Certaines collectivités vont être extrêmement touchées, et d'autres vont devoir prendre en charge des dépenses supplémentaires dues à cette crise. Mon inquiétude réside dans le fait que ce sont avant tout les collectivités avec un dynamisme fort qui vont souffrir le plus, alors que ce sont celles qui assurent également la péréquation horizontale. Je me demande si ces contributeurs à la péréquation vont pouvoir continuer ainsi.

Des mesures immédiates pour les exercices 2020 et 2021 sont en effet très attendues, mais avez-vous déjà identifié certaines mesures du plan de relance de l'investissement local, si tant est que celui-ci appartienne au champ de votre mission ? Avez-vous l'intention de proposer des mesures prospectives sur les finances et la fiscalité locale ? Si oui, dans quelles directions et à quelle échéance ?

On nous promet une réforme fiscale à l'horizon 2026 mais pouvons-nous réellement attendre aussi longtemps ?

Connaissez-vous dans votre mission des difficultés relatives à la simultanéité des mesures prises au fil de l'eau par le Gouvernement, dans le cadre des relations entre collectivités et État ? Je pense, par exemple, au rapport réalisé par Christophe Jerretie et Charles de Courson en même temps que votre mission. Cela complexifie-t-il votre tâche ou au contraire la simplifie ?

M. Hervé Gillé . - Quels seraient les avantages et inconvénients à laisser filer la dette des collectivités locales et territoriales, bien sûr dans certaines limites ? Peut-on alors réfléchir à des mécanismes d'accompagnement sur le contingentement qui pourraient nous permettre de développer une stratégie en direction des capacités d'investissement des collectivités, tout en s'assurant de résorber cette augmentation de dette de manière raisonnable ?

M. Raymond Vall . - Je me félicite que le Gouvernement vous ait choisi pour mener cette mission. Avez-vous pu chiffrer l'impact des pertes de recettes tarifaires comparées aux recettes fiscales pour le bloc communal ? On sait en effet que certaines communes assument un nombre important de services publics qui rayonnent sur l'ensemble du territoire, et ces communes sont extrêmement plus dépendantes des recettes tarifaires que des recettes fiscales.

Comment trouver un mécanisme qui permette de compenser les pertes de toutes les communes et non pas seulement des communes très dépendantes de la taxe de séjour ?

M. Pascal Savoldelli . - Que pensez-vous de la création d'une dotation spéciale de fonctionnement Covid-19 à intégrer dans le budget de l'État à destination des collectivités afin de débloquer des fonds d'urgence pour 2020 ? La prise en charge à 50% par tous les élus de mon département des commandes de masques, quelle que soit leur sensibilité politique, pose notamment cette question : pensez-vous que la prise en charge des masques à seulement 50% par l'État, pour les seules commandes passées à partir du 13 avril et sur un prix de référence bien souvent dépassé contre le gré des élus locaux, est suffisante et envisagez-vous de proposer à l'État d'améliorer cette mesure ?

Pour la CVAE perçue par les collectivités à n+1, envisagez-vous de proposer un seuil en dessous duquel elle ne pourra descendre et garanti par l'État ?

Enfin, ne pensez-vous pas qu'il nous faut inventer un modèle pour la charge financière de la dette des collectivités territoriales, pour les protéger entre autres d'un éventuel basculement du niveau bancaire ?

M. Antoine Lefèvre . - Plutôt qu'une question, je souhaiterais vous faire part d'une préoccupation. Elle concerne la situation des syndicats intercommunaux à vocations multiples (SIVOM), en particulier à compétence scolaire en milieu rural. Dans mon département de l'Aisne, qui compte 800 communes pour à peine 530 000 habitants, ces SIVOM ont vu d'une part leurs ressources se tarir, sans pouvoir par ailleurs avoir accès au chômage partiel pour leurs employés, et connu, d'autre part, des dépenses supplémentaires. Avez-vous déjà été alerté de ces difficultés ?

M. Bernard Delcros . - Vous avez fait part dans votre propos introductif des collectivités et territoires qui étaient parmi les plus touchés par la crise, en mettant notamment en exergue les communes touristiques. Je partage votre constat mais je tiens à rappeler qu'il ne s'agit pas seulement des communes officiellement labellisées « communes touristiques » mais bien des communes situées dans des territoires touristiques.

Vous avez également évoqué, à juste titre, la bonne santé financière globale des collectivités. Évidemment, il existe dans ce bloc en bonne santé de très grandes disparités financières, et certaines collectivités, y compris à l'intérieur du même niveau de collectivité, sont parfois très fragiles les unes par rapport aux autres.

Comment comptez-vous prendre en compte les incidences de la crise sur les collectivités ? En effet, celles-ci sont doublement pénalisées : comme toutes les collectivités, elles perdent des recettes et voient leurs dépenses augmenter mais elles risquent, en plus, de voir la péréquation dont elles bénéficient se réduire si les collectivités plus riches qui la financent ont des difficultés financières. Le département du Cantal a pu, l'an passé, retrouver un peu d'oxygène justement grâce à la péréquation sur les DMTO. Je tiens donc à insister sur la nécessité d'anticiper l'effet induit de la crise sur ce mécanisme.

M. Franck Montaugé . - Avec la commande publique, il en va de l'avenir de nos artisans, de nos PME, de nos TPE et, naturellement, de la vitalité de nos territoires. Si l'on veut que les collectivités locales jouent un rôle actif dans la relance de l'activité économique de notre pays, cela passera par un soutien immédiat, notamment un apport de crédits de l'État vers les collectivités, en priorité vers celles les plus en difficulté.

La confiance joue un rôle essentiel en matière d'économie. Par rapport aux mesures qui seront proposées, il convient de raisonner à horizon pluriannuel pour que les exécutifs disposent d'une vision suffisamment longue, leur permettant de prendre des mesures en matière d'investissement dès le début de leur mandat.

Ne faudrait-il pas envisager dans les critères d'attribution et de répartition, de la Dotation d'équipement des territoires ruraux (DETR) en particulier, de prendre en compte l'épargne de gestion nette de chaque collectivité ? Cela permettrait d'aider de manière ciblée les collectivités qui sont le plus en difficulté au regard de ce critère essentiel d'investissement.

J'avais introduit un amendement dans la loi relative à la transition énergétique pour la croissance verte une disposition visant à bonifier les investissements ayant un impact positif sur le climat. Ce dispositif ne pourrait-il pas aujourd'hui être exhumé ?

Mme Sonia de la Provôté . - Quels sont les besoins réels en termes de plan de relance pour les collectivités locales ? Il ne s'agit pas uniquement de compensation des pertes, en réalité, mais plutôt d'un accompagnement dans le cadre de la relance. On connaît l'effet multiplicateur des collectivités en la matière. Ne serait-ce pas plus utile finalement de leur donner les voies et moyens pour que cet effet levier agisse, plutôt que de compenser la moindre perte à l'euro près ? La relance pourrait en outre permettre d'enclencher un cercle vertueux qui pourrait à terme compenser les pertes de recettes. Cette dimension a-t-elle été évaluée financièrement ? Est-elle prioritaire dans certaines de vos mesures ?

M. Jean-Marie Bockel, président . - Daniel Chasseing et Françoise Gatel n'ayant pas réussi à se connecter, je vais poser les questions qu'ils m'ont transmises.

Daniel Chasseing rappelle ainsi que de nombreuses communes rurales ont financé des villages de vacances souvent gérés par des associations (comme par exemple VVL). En 2020, beaucoup de locataires vont être en difficulté pour payer les loyers aux communes du fait de l'absence ou du faible nombre d'estivants. Les communes vont-elles pouvoir reporter l'annuité d'emprunt d'un an ?

Françoise Gatel pose les questions suivantes : quelles propositions pour les communes touristiques ou forestières, par exemple, qui ont subi de grosses pertes de recettes ? Quid des communes qui ont beaucoup de services en régie (écoles de musique, piscines, etc.). Elles ont connu une perte de recettes importante, alors que le niveau de charge est resté important avec un maintien des salaires des personnels ? Certaines collectivités, notamment les régions, ont soutenu l'économie en participant largement au plan de solidarité national et à des fonds spécifiques locaux (Fonds Covid Résistance, etc.). De fait, on loge de la dette supplémentaire dans les collectivités et non dans l'État, alors que celles-ci ont une obligation de comptes à l'équilibre. Cette surcharge de dette additionnée à des pertes fiscales contraindra très fortement leur capacité d'investissement et donc la relance économique, ce qui les empêchera de pouvoir investir pour les prochaines années. Quelles solutions préconisez-vous ? Et que pensez-vous d'une reprise de la dette Covid au niveau national pour tout ou partie ?

M. Jean-René Cazeneuve, président de la délégation aux collectivités territoriales de l'Assemblée nationale . - La situation des départements me paraît aujourd'hui intenable. Leurs recettes sont basées sur l'activité économique et leurs dépenses sont orientées vers le volet social. Quand l'économie se porte bien - c'était le cas ces dernières années - les recettes augmentent et les dépenses diminuent. Les départements font face aujourd'hui à la situation inverse : leurs recettes diminuent et leurs dépenses risquent fort d'augmenter. Les DMTO ont augmenté de 10% l'an dernier, et vont probablement baisser a minima de 20% cette année. Les mécanismes que nous pourrions envisager doivent être à la fois de plancher et de plafond, individuels ou collectifs. Les collectivités devraient-elles constituer des réserves ? Ne faudrait-il pas mettre en place un fonds commun ?

Je suis absolument d'accord sur la question de l'hétérogénéité. On ne peut pas réaliser 35 000 chèques. Il faut donc établir des règles communes à l'intention des collectivités territoriales en tenant compte de ces particularités. Le sujet de la péréquation est en effet identifié, à la fois pour les collectivités qui assurent la plupart des versements mais aussi pour celles qui en bénéficient.

Sur la question de la relance, je suis également totalement d'accord. Il s'agit d'un élément essentiel. D'ailleurs, la majorité des associations se concentrent avant tout sur la relance et non sur les dépenses supplémentaires. Néanmoins, plusieurs sujets sont corrélés à cette problématique de la relance, notamment celui du cycle électoral. Cette année a été marquée par des investissements massifs qui pourraient, si nous ne sommes pas vigilants, se répercuter l'année prochaine. Ces investissements risquent d'être en sous-consommation. Il faut vite sortir de ce cycle électoral et espérer que les élections aient lieu le plus vite possible, évidemment dans le respect des mesures sanitaires.

Il y a par ailleurs un sujet pluriannuel : il est primordial de donner le plus de visibilité possible aux collectivités, notamment en matière d'investissement. Si la compensation des impacts du Covid n'est pas suffisante, cela entraînera une diminution de la CAF et de la capacité des collectivités à emprunter.

Ce plan de relance doit partir à tout prix des territoires. Les territoires ont à la fois la meilleure connaissance des problèmes et sont les plus réactifs. Que le Gouvernement prenne des mesures au fil de l'eau me semble normal ; il doit gérer des urgences, notamment pour le tourisme. Dans le cadre de la délégation aux collectivités territoriales que je préside, nous avons lancé plusieurs groupes de travail simultanément pour tenter de mesurer l'ensemble des impacts et pas uniquement économiques.

Les collectivités aujourd'hui sont en effet faiblement endettées. On peut donc imaginer qu'elles puissent s'endetter plus. Si vous me permettez la formule, « c'est le moment ou jamais ». La relance est la responsabilité de tous. J'ai l'impression qu'aujourd'hui tout le monde est dans l'expectative ; chacun trouve des raisons, légitimes, pour ne pas agir. Mais relancer l'activité relève d'une démarche collective. Que les collectivités territoriales puissent s'endetter modérément me paraît donc une très bonne chose. Je ne pense pas qu'il faille inventer une règle d'or et définir un plafond mais laisser les collectivités se gérer.

Les pertes non fiscales peuvent être plus importantes que les pertes fiscales pour les communes comme pour les Établissements publics de coopération intercommunale (EPCI). Je crois donc à la nécessité d'une approche globale. Les recettes fiscales sont certes plus faciles à suivre que l'extrême complexité des recettes non fiscales, mais il est essentiel de les prendre en considération.

Dans la réflexion que je mène, j'intègre naturellement la question des SIVOM en espérant trouver un mécanisme commun.

95% de la dette des collectivités territoriales est à taux fixe et leurs emprunts toxiques sont minimes. Il n'existe donc pas de risque de dérapage sur les taux. Évidemment, plus on emprunte et plus les charges sont importantes, ce qui réduit votre capacité d'autofinancement nette, mais nous sommes sereins sur ce point.

Je suis favorable à la solution du 50-50 concernant les masques. Je suis pour la responsabilisation des collectivités territoriales et le partage des charges m'apparaît ainsi être une bonne mesure de sagesse.

Je suis, comme vous, un grand défenseur des collectivités territoriales et de la décentralisation, mais il ne faut pas pour autant caricaturer l'action de l'État. La vision des Directions régionales des entreprises, de la concurrence, de la consommation, du travail et de l'emploi (DIRECCTE) d'il y a trois mois aurait été celle d'une administration centrale lourde et peu réactive. Néanmoins, qu'il s'agisse du fonds d'activité ou du chômage partiel, elles ont fait preuve d'une extrême réactivité et d'une grande efficacité. Cette politique centralisée a ainsi été performante. A contrario , la politique des régions sur le fonds de solidarité connaît une réussite inégale. Beaucoup d'EPCI ne savent toujours pas quel contrat ils vont pouvoir conclure avec leur région.

La question scolaire rentre dans le périmètre des collectivités territoriales. L'État a, à ce sujet, dégagé un fonds de soutien de 250 millions d'euros. Si le sujet de la péréquation horizontale alerte en effet, le niveau de la péréquation verticale est maintenu.

Bien que les collectivités ne soient pas en mesure d'investir à la fois rapidement et autant que précédemment, il convient de leur donner de la visibilité le plus tôt possible et sur une période la plus longue possible. Les exécutifs doivent donc être en place au plus vite , avec une visibilité précise de l'état de leurs finances.

Je n'imagine pas qu'on ne soit pas capable aujourd'hui de flécher une grande partie des investissements sur des priorités publiques, qu'elles concernent le troisième âge, la transition énergétique ou tout autre sujet.

Le plus important est le plan de relance, et il faut faire confiance aux territoires dans ce cadre. Il convient d'opérer une distinction entre les dépenses contraintes et les dépenses non contraintes. Lorsqu'une collectivité propose une dérogation, elle doit l'assumer. L'État ne peut pas être « en back up » et assurer toutes les décisions des collectivités, ou alors nous ne sommes plus dans une République décentralisée où l'autonomie des collectivités territoriales est la règle. L'État ne doit pas tout prendre en charge et compenser à l'euro près. Il faut faire attention à l'idée que la dette nationale constituerait une recette miraculeuse.

La capacité d'autofinancement brute des collectivités territoriales est de 39 milliards ; elles ont une force de frappe. Il faut que l'État permette d'amortir le choc du Covid mais les collectivités vont pouvoir encaisser une partie de ce choc. Certaines ressources vont en outre augmenter l'année prochaine : la taxe foncière, la taxe d'habitation ou son équivalent.

Il faut une certaine idée de partage de la charge ainsi qu'une responsabilité collective. Les élus ont répondu présent lors du confinement, ils ont assuré la sécurité et la solidarité. Nous devons donc travailler collectivement pour définir le plan de relance.

M. Jean-Marie Bockel, président . - Je vous remercie, cher Président, pour votre propos à la fois pragmatique et ancré dans le réel. Vous parlez d'or. On comprend que vous maîtrisez vos sujets, que vous avez cerné les tenants et aboutissements de votre mission tout en conservant des opinions fortes. J'espère qu'avec nos questions nous avons pu nourrir votre réflexion et nous restons à votre disposition. Nous continuerons naturellement à échanger avec vous.

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