SECONDE PARTIE

LE DÉVELOPPEMENT DES NOUVELLES TECHNOLOGIES
NE PEUT FAIRE L'ÉCONOMIE D'UNE RÉFLEXION
SUR LES RESSOURCES HUMAINES ET SUR L'ORGANISATION DU CONTRÔLE FISCAL

Comment améliorer les résultats du contrôle fiscal ? Comment s'assurer que les ressources, humaines et technologiques, du contrôle fiscal soient allouées de manière optimale ? Le développement des outils technologiques est indispensable pour permettre aux services, administrations et directions de traiter l'ensemble des données qu'ils reçoivent et de détecter les fraudes les plus complexes. Pourtant, ces instruments ne pourront atteindre leur plein potentiel qu'au bénéfice d'une véritable réflexion sur l'environnement global du contrôle fiscal. Les rapporteurs spéciaux proposent trois axes de réflexion : l'amélioration des logiciels de détection de la fraude, l'effort indispensable à mener sur la formation et le recrutement des agents et l'organisation du contrôle fiscal, caractérisé par le manque de coordination et l'absence de stratégie claire . Ni les effectifs seuls, ni les investissements technologiques seuls ne pourront permettre d'améliorer fortement et durablement les résultats du contrôle fiscal.

I. LE DÉVELOPPEMENT DE NOUVEAUX OUTILS TECHNOLOGIQUES AU SERVICE DU CONTRÔLE FISCAL DOIT ÊTRE SOUTENU, MÊME S'IL N'EST PAS EXEMPT DE CRITIQUES

A. CONTRÔLE FISCAL ET NOUVELLES TECHNOLOGIES : DE QUOI PARLE-T-ON ?

1. Le parc informatique et les investissements réalisés par la DGFiP démontrent la place importante occupée par le système d'information du contrôle fiscal

Plusieurs applications informatiques existantes sont dédiées au contrôle fiscal au sein de la DGFiP . Il s'agit notamment de :

- AAI2 (Assistance administrative internationale), qui enregistre les demandes en provenance des services de contrôle fiscal de la DGFiP ou d'administrations étrangères ;

- ALPAGE (Aide logicielle à la programmation, à l'analyse et à la gestion du contrôle fiscal), utilisé par les directions opérationnelles et composé de trois modules dédiés au contrôle fiscal externe, au contrôle sur pièce et à la recherche ;

- ALTO2, qui permet la lecture de la comptabilité des entreprises sous format dématérialisé, pour les vérifications de comptabilité depuis le bureau.

Pour traiter les données et développer les techniques d'apprentissage automatique, la DGFiP a plus fortement investi, dès la fin de l'année 2017, dans le projet « ciblage de la fraude et valorisation des requêtes » (CFVR). Ce projet n'a toutefois pas été intégralement financé à partir des crédits informatiques de la DGFiP, mais avec l'appui du Fonds pour la transformation de l'action publique (FTAP), programme 349 de la mission « Action et transformation publiques », créée dans le cadre du projet de loi de finances pour 2018. L'objectif, selon les informations obtenues par les rapporteurs spéciaux, est de créer un service national d'analyse de données dont les travaux seraient à l'origine d'environ 60 % des opérations de contrôle fiscal d'ici 2022 .

Le Fonds pour la transformation de l'action publique

Le Fonds pour la transformation de l'action publique (FTAP) est porté par le programme 349 de la mission « Action et transformation publiques » . Doté de 700 millions d'euros sur cinq ans , il vise à financer des projets dont le retour sur investissement attendu est d'au moins un euro économisé pour un euro investi au bout de trois ans. Les porteurs de projets doivent signer des contrats de transformation, avec des objectifs de performance pour les services bénéficiaires.

Les projets soutenus par ce fonds doivent participer à la transformation de l'État, générer des économies, améliorer la qualité du service rendu aux usagers et les conditions de travail des agents. Les principaux lauréats du fonds sont donc en grande majorité des projets informatiques ou de réorganisation. Le FTAP n'apporte pas la totalité des financements nécessaires : les projets, sélectionnés par appel à projets, doivent être cofinancés par les porteurs du projet .

La Direction interministérielle du numérique (Dinum) est chargée d'analyser et d'apprécier la composante « système d'information » des dossiers déposés dans le cadre du FTAP . Cela permet ainsi d'unifier la gouvernance des grands projets informatiques de l'État .

Source : rapport général n° 140 (2019-2020) de M. Albéric de Montgolfier, fait au nom de la commission des finances, sur le projet de loi de finances pour 2020, déposé le 21 novembre 2019. Annexe n° 15 de MM. Claude Nougein et Thierry Carcenac sur la mission « Action et transformation publiques

Les investissements opérés par la DGFiP visent à la fois à développer les équipements informatiques ( hardware ), avec l'acquisition de matériels pour accroître la puissance de calcul des logiciels face aux données de plus en plus nombreuses, à développer des solutions logicielles ( software ), pour accélérer la mise en oeuvre des travaux (ordonnancement de tâches, intégrateurs de données, outil d'analyse sémantique) et, enfin, à acquérir de nouvelles bases de données , auprès d'entreprises privées.

Datamining et protection des données personnelles

Comme tous les traitements informatiques et d'analyse des données, le projet « ciblage de la fraude et valorisation des enquêtes » (CFVR) a été soumis à l'avis de la Commission nationale de l'informatique et des libertés (CNIL) , que ce soit lors de la création du traitement ou lors de ses extensions progressives. Deux arrêtés ont ainsi été pris par la CNIL lors de l'extension du CFVR aux fraudes commises par les associés et dirigeants d'entreprises, puis à celles commises par des particuliers.

Conformément à l'article 90 de la loi du 6 janvier 1978 34 ( * ) , la DGFiP a également établi, en 2019, une analyse d'impact relative à la protection des données à caractère personnel (AIPD) . Ce document présente les finalités du traitement, les données nécessaires et utilisées, les conditions matérielles de mise en oeuvre du traitement, les modalités de transmission et d'utilisation des productions, ainsi que les règles de sécurité mises en place.

Lors de l'examen du projet de loi de finances pour 2020, dont l'article 154 autorise à titre expérimental la DGFiP et la DGDDI à collecter et à analyser les contenus rendus publics sur les réseaux sociaux, la commission des finances du Sénat avait rappelé son attachement à la protection des données personnelles . Cette expérimentation devra aussi faire l'objet d'une AIPD, dont les résultats seront transmis à la CNIL.

Source : réponses au questionnaire des rapporteurs spéciaux et commentaire de l'article 57 du projet de loi de finances pour 2020 (Rapport général n° 140 (2019-2020) de M. Albéric de MONTGOLFIER, fait au nom de la commission des finances, déposé le 21 novembre 2019)

Les rapporteurs spéciaux soulignent, et ce constat vaut plus globalement pour la DGFiP, que le système d'information du contrôle fiscal est vieillissant et nécessite un budget informatique capable de maintenir en bon état de fonctionnement les logiciels existants et d'investir dans de nouveaux projets pour répondre aux besoins des services et s'adapter à l'évolution des enjeux du contrôle fiscal . Le cloisonnement des applications au sein d'un même système d'information, en l'occurrence celui du contrôle fiscal, et l'existence de ruptures applicatives est un véritable problème, puisqu' il empêche tout pilotage global et toute visibilité sur l'ensemble de la chaîne « contrôle fiscal », de la détection au recouvrement, en passant par la phase contentieuse . Ces ruptures applicatives avaient déjà été relevées par les rapporteurs spéciaux, dans le cadre de leur rapport relatif au recouvrement des amendes de circulation et des forfaits de post-stationnement 35 ( * ) .

2. L'extension du parc informatique par la création ou par la poursuite du développement de nouvelles applications

Deux projets du service du contrôle fiscal sont aujourd'hui cofinancés par le FTAP :

- le projet CFVR a bénéficié, en 2018, d'un financement d'un million d'euros par le secrétariat général des ministères économiques et financiers. Ce financement sera complété par des versements en provenance du FATP entre 2019 et 2022, pour un montant total cumulé de 5,2 millions d'euros . Selon les données transmises aux rapporteurs spéciaux, l'avancement du projet est conforme au calendrier et aux informations présentées dans le cadre de l'appel à projets du FTAP, que ce soit en termes de recrutement, de composition de l'équipe et d'investissements ;

- le projet Pilat (Pilotage et analyse du contrôle, soit la refonte du système d'information du contrôle fiscal) est financé par le FTAP à hauteur de 13,36 millions d'euros . La DGFiP prend quant à elle en charge toutes les dépenses relatives au titre 2, soit 11 millions d'euros (42 % du coût total). Constitué d'applications nombreuses, cloisonnées et souvent obsolètes, le système d'information du contrôle fiscal n'est plus adapté ni au volume des données à traiter, ni aux techniques d'analyse des données mises en oeuvre : il doit donc être modifié. Selon les informations transmises aux rapporteurs spéciaux, le projet Pilat doit répondre à trois objectifs : (1) tirer profit des travaux d'analyse de données engagés depuis 2013 ; (2) améliorer la productivité du contrôle fiscal par le développement d'un environnement numérique intégré ; (3) améliorer le pilotage de l'action en matière de contrôle fiscal , en donnant aux acteurs impliqués une vision de bout en bout de l'état d'avancement des dossiers.

La « mission requêtes et valorisation » (MRV) comptait au début de l'année 2020 26 ETP , contre 18 en 2018 et trois à sa création en 2013. D'ici la fin de l'année 2020, elle devrait atteindre son plafond d'emplois, avec 30 ETP . Il est probable que la DGFiP devra, ces prochaines années, entamer une réflexion sur le dimensionnement de la MRV et de son équipe de data-scientists , d'autant plus si les usages et les techniques mis en place par la MRV sont susceptibles d'être reproduits dans d'autres sphères que celle du contrôle fiscal.

Les techniques d'analyse de données qu'elle utilise sont sans cesse étendues . En plus du datamining et du recours à l'intelligence artificielle, la mission développe le textmining , soit le traitement de données non structurées 36 ( * ) . En parallèle, une expérimentation est menée dans plusieurs départements afin de croiser les déclarations des contribuables, les vues aériennes et les plans cadastraux pour traquer les erreurs, intentionnelles ou non, de déclaration des contribuables. Pour ce faire, la DGFiP s'appuie sur un logiciel développé par la société Accenture, dont le coût est estimé à près de 20 millions d'euros.

Le parc informatique de la DGFiP en matière de contrôle fiscal compte également d'autres projets actifs , pour moderniser le système d'information du contrôle fiscal ou répondre à la règlementation européenne :

- ALPAGE-CFIR (conséquences financières) : projet développé pour moderniser le langage informatique utilisé par l'application, l'intégrer dans le portail métier DGFiP et créer une passerelle vers l'application MEDOC, qui gère les créances en restes à recouvrer, pour les mises en recouvrement des impôts auto-liquidés ;

- DAC 6 : projet développé pour permettre la bonne application de la directive dite « DAC 6 » relative aux montages fiscaux (cf. supra ), qui prévoit que les intermédiaires qui mettent en place des montages fiscaux et les personnes qui les utilisent les déclarent à l'administration fiscale ;

- FICOBA 3 : modernisation de l'application FICOBA 2 (fichier national des comptes bancaires et assimilés).

L'ensemble des projets informatiques de la DGFiP font l'objet d'un suivi régulier par la mission de contrôle de gestion des systèmes d'information (MCGSI) de la DGFiP. Des comités sont en outre régulièrement réunis sur plusieurs projets spécifiques, à l'instar de Pilat.

Au regard des enjeux supportés par les systèmes d'information de la DGFiP , que ce soit en matière de recouvrement des recettes, de paiement des dépenses publiques ou de contrôle fiscal, les rapporteurs spéciaux estiment que l'effort d'investissement en matière informatique doit être soutenu et sanctuarisé . Comme ils l'ont souligné dans le cadre de l'examen du projet de loi de règlement du budget et d'approbation des comptes de 2019 37 ( * ) , le budget informatique de la mission « Gestion des finances publiques et des ressources humaines » a connu une forte progression en 2019, où il s'est élevé à 411,9 millions d'euros, un montant record.

Le programme 156, qui correspond au périmètre de la DGFiP, a bénéficié d'un peu moins de la moitié de ce budget (198,9 millions d'euros), ses dépenses informatiques retrouvant un niveau légèrement inférieur à celui constaté lors du point haut de 2014 (208 millions d'euros). Selon le Gouvernement, les services fiscaux vont investir près de 40 millions d'euros pour la modernisation de leurs systèmes d'information : les rapporteurs spéciaux jugent ce montant satisfaisant mais souhaitent que ces investissements soient précisément décrits dans les rapports budgétaires . Cette observation rejoint la recommandation n° 3 : nous ne disposons pas toujours de données précises et détaillées sur l'ensemble des moyens attribués au contrôle fiscal.

Dans son rapport annuel sur les systèmes fiscaux des États membres 38 ( * ) , la Commission européenne avait rappelé que, pour renforcer la lutte contre la fraude et l'évasion fiscales, la numérisation des systèmes et le renforcement des outils transfrontaliers (échanges automatiques d'information, partage des analyses de données) étaient essentiels. Les rapporteurs spéciaux ne peuvent que partager ces recommandations, qui soutiennent le principe d'une sanctuarisation des crédits - fonctionnement et investissement - alloués au budget informatique des services du contrôle fiscal.

Recommandation 4 (les moyens humains et technologiques) : sanctuariser le budget informatique octroyé à la direction générale des finances publiques, sans retenir dans son mode de calcul les financements apportés par le Fonds pour la transformation de l'action publique. Affiner, dans les rapports budgétaires, la répartition entre dépenses de fonctionnement et dépenses d'investissement en matière informatique.


* 34 Loi n° 78-17 du 6 janvier 1978 relative à l'informatique, aux fichiers et aux libertés.

* 35 Le recouvrement des amendes de circulation et des forfaits de post-stationnement : un système grippé ? Rapport d'information de MM. Thierry CARCENAC et Claude NOUGEIN, fait au nom de la commission des finances, n° 651 (2018-2019) - 10 juillet 2019.

* 36 Il s'agit des données correspondant aux informations qui ne sont pas structurées dans des tables ou référencées. Il s'agit principalement de textes ou d'images.

* 37 Rapport n° 528 (2019-2020) de M. Albéric de MONTGOLFIER, rapporteur général, fait au nom de la commission des finances, déposé le 17 juin 2020. Contributions des rapporteurs spéciaux : mission « Gestion des finances publiques et des ressources humaines », MM. Thierry Carcenac et Claude Nougein, rapporteurs spéciaux.

* 38 European Commission, Tax Policies in the European Union, 2018 Survey.

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