IV. ACCROÎTRE LES EXIGENCES DE TRANSPARENCE FINANCIÈRE ET RECONNAÎTRE L'AUTONOMIE FINANCIÈRE DU MOUVEMENT SPORTIF

A. RENFORCER LA TRANSPARENCE FINANCIÈRE

1. Préciser le règlement financier des fédérations
a) Des exigences aujourd'hui limitées en matière de règles financières

Les fédérations sportives qui sollicitent l'agrément prévu à l'article L. 131-8 du code du sport doivent notamment avoir adopté « des statuts comportant des dispositions qui garantissent leur fonctionnement démocratique, la transparence de leur gestion et l'égal accès des femmes et des hommes à leurs instances dirigeantes, et qui comprennent les dispositions obligatoires prévues à l'annexe I-5 . » 43 ( * )

Parmi les dispositions obligatoires mentionnées à l'annexe I-5 du code du sport, figure une seule disposition relative à la transparence financière (2.1.2.1.5). Pour être agréées, les fédérations sportives doivent ainsi adopter un règlement financier. Par ailleurs, il est précisé que l'Assemblée générale examine chaque année le rapport moral et financier, qu'elle vote le budget et approuve les comptes de l'exercice clos.

De fait, le règlement financier est conçu comme un instrument de transparence et d'aide à la gestion comptable et financière de la fédération, adopté par son assemblée générale et communiqué au ministère en charge des sports. Si son adoption est obligatoire, il n'existe toutefois aucune définition précise de son contenu. C'est pourquoi les pratiques sont susceptibles de varier d'une fédération à l'autre.

Un examen des règlements financiers de plusieurs fédérations révèle que ceux-ci présentent souvent une organisation et un contenu similaires : objet du règlement financier, organisation comptable, élaboration du budget, tenue de la comptabilité, délégation, gestion du matériel, contrôle ... Des différences substantielles sont toutefois relevées, tant dans leur contenu que dans leur actualisation et leur présentation. De ce point de vue, les règlements financiers adoptés par la Fédération française de badminton ainsi que la Fédération française de judo, jujitsu, kendo et disciplines associées se distinguent par leur contenu détaillé.

b) Un nécessaire renforcement des exigences

Les fédérations demeurent donc aujourd'hui très libres quant au contenu des informations et des règles inscrites dans leur règlement financier. Ces seules exigences, limitées, ne paraissent pas suffisantes pour garantir la transparence de la gestion des fédérations.

Des propositions visant à renforcer les règles applicables ont dès lors été avancées, notamment dans le sens d'une plus grande formalisation du règlement financier.

Le rapport de l'inspection générale de la jeunesse et des sports sur le modèle sportif français de 2017 estime ainsi que « dans le domaine de la gestion financière, le règlement financier doit être complété de procédures financières précises et un comité d'audit indépendant doit pouvoir être mis en place au sein des fédérations pour vérifier leur application et formuler des propositions visant à renforcer la transparence financière de la gestion des fédérations. La réalisation d'un rapport spécial du commissaire aux comptes concernant l'utilisation des fonds provenant de la convention d'objectifs conclue avec le ministère pourrait également être prévue pour renforcer la transparence à cet égard » 44 ( * ) .

La mission fait sienne cette proposition et estime que les dispositions obligatoires des statuts des fédérations agréées pourraient être complétées en ce sens. Sur la base du volontariat, les fonctions d'audit pourraient être mutualisées entre plusieurs fédérations.

Proposition 19 : Préciser le contenu du règlement financier des fédérations et compléter les procédures financières.

2. Intégrer les grands principes de la commande publique
a) Une incertitude quant à l'application du code de la commande publique

Personnes morales de droit privé, les fédérations sportives exercent leur activité « en toute indépendance » 45 ( * ) . Pour autant, elles sont placées sous la tutelle du ministère chargé des sports, peuvent être chargées d'une mission de service public et perçoivent des financements publics qui peuvent constituer une part majoritaire de leurs ressources.

Aussi se pose la question de la soumission des fédérations sportives aux règles de la commande publique.

La difficile question de la soumission des fédérations sportives
aux règles de la commande publique

Aux termes de l'article L. 1211-1 du code de la commande publique, qui transpose l'article 1 er (paragraphe 1.4) de la directive du 26 février 2014 46 ( * ) , les pouvoirs adjudicateurs soumis aux règles de la commande publique sont notamment « les personnes morales de droit privé qui ont été créées pour satisfaire spécifiquement des besoins d'intérêt général ayant un caractère autre qu'industriel ou commercial » et dont « soit l'activité est financée majoritairement par un pouvoir adjudicateur, soit la gestion est soumise à un contrôle par un pouvoir adjudicateur, soit l'organe d'administration, de direction ou de surveillance est composé de membres dont plus de la moitié sont désignés par un pouvoir adjudicateur ».

S'agissant du premier critère, la Cour de justice de l'Union européenne (CJUE) fait une interprétation extensive de la notion de « besoins d'intérêt général ». Au demeurant, il suffit qu'une part minime de ses activités corresponde à cette définition pour que l'organisme soit soumis aux règles de la commande publique pour l'ensemble de ses activités. Les fédérations sportives agréées, dès lors qu'elles exercent une mission d'intérêt général, remplissent donc ce critère.

S'agissant du second critère, si aucune fédération sportive n'est dotée d'instances dirigeantes dont la moitié des membres sont désignées par les pouvoirs publics, certaines n'ont que peu de ressources propres et sont donc majoritairement financées par des subventions publiques.

S'agissant du troisième critère, lié au contrôle exercé par un pouvoir adjudicateur, la question est plus délicate à apprécier. La CJUE considère qu'un contrôle de légalité exercé a posteriori par une autorité de tutelle ne s'apparente pas à un contrôle de gestion 47 ( * ) , à moins que ce contrôle ne crée une « dépendance de l'organisme concerné à l'égard des pouvoirs publics, équivalente » à celle qui existe lorsque celui-ci est majoritairement financé par les pouvoirs publics ou dirigé par des instances au sein desquelles siègent majoritairement des représentants des pouvoirs publics.

Il existe une incertitude juridique quant à la question de savoir si la tutelle exercée par l'État sur les fédérations agréées dont les ressources ne sont pas majoritairement publiques s'assimile à un contrôle de gestion au sens de l'article L. 1211-1 du code de la commande publique et du droit de l'Union européenne.

Il n'existe à ce sujet aucune jurisprudence administrative.

Source : mission d'information

Dans ces conditions, si les fédérations dont la majorité des ressources est constituée de subventions sont, sans qu'il soit possible d'en douter, soumises aux règles de la commande publique, la situation est plus ambiguë pour les fédérations qui disposent d'importantes ressources propres. Comme l'a relevé Frédéric Pacoud, rapporteur général adjoint de la section du rapport et des études du Conseil d'État, lors de son audition par la mission le 26 juin dernier, « on ne peut formuler de conclusion générale sur cette question [de soumission des fédérations sportives au droit de la commande publique] ; la qualification de pouvoir adjudicateur résulte nécessairement d'une analyse au cas par cas ».

b) Des pratiques variables

En pratique, le respect par les fédérations sportives des règles de la commande publique semble varier d'une fédération à une autre.

Certaines d'entre elles se placent explicitement dans le cadre des règles de la commande publique. C'est par exemple le cas de la Fédération française de badminton, dont le règlement financier adopté le 23 avril 2016 prévoit que « les marchés passés par la fédération le sont dans le respect de l'ordonnance 2005-649 du 6 juin 2005 relative aux marchés passés par certaines personnes publiques ou privées non soumises au code des marchés publics, ainsi que du décret 2005-1742 pris en application de l'ordonnance précitée » 48 ( * ) .

D'autres fédérations, sans faire explicitement référence au cadre de la commande publique, énoncent dans leur règlement financier des règles relatives à des procédures de mise en concurrence plus ou moins éloignées des règles publiques. C'est par exemple le cas de la Fédération française de judo, ou encore de la Fédération française d'athlétisme.

Enfin, le règlement financier de certaines fédérations ne contient aucune référence à un quelconque principe issu des règles de la commande publique. Par exemple, celui de la Fédération française de course d'orientation, datant de 2018, prévoit seulement une autorisation du comité directeur et, pour les contrats portant sur un montant supérieur à 6 000 euros, une information de l'assemblée générale à sa réunion suivante.

c) Une clarification souhaitable

C'est pourquoi la mission estime qu'une clarification est souhaitable.

Il ressort d'ailleurs de plusieurs rapports la nécessité de clarifier la question de la soumission des fédérations sportives aux règles de la commande publique, dans un souci de transparence et de meilleure gestion.

Le rapport de l'IGJS de 2017 souligne ainsi la nécessité de clarifier et de généraliser les règles de mise en concurrence et de passation de marchés par les fédérations sportives, « pour renforcer la transparence mais aussi faciliter leur mise en oeuvre qui reste, encore aujourd'hui, trop souvent sujette à interprétation » 49 ( * ) .

Dans l'insertion au rapport public annuel de 2018 50 ( * ) , la Cour des comptes préconise elle aussi que l'État précise les règles applicables afin de lever l'équivoque. Au cours de son audition, André Barbé, président de section à la troisième chambre, a d'ailleurs souligné que c'est à la suite d'un contrôle effectué en 2010 par la Cour que le CNOSF a choisi de se placer en ce qui le concerne dans le cadre de la commande publique.

À défaut d'application du code de la commande publique, la Cour des comptes recommande en tout état de cause une intégration par les fédérations des grands principes de la commande publique (liberté d'accès à la commande, égalité de traitement des candidats, transparence des procédures) dans leur règlement financier.

La mission partage l'analyse de la Cour des comptes et considère qu'il convient de mettre un terme à l'incertitude juridique qui entoure l'applicabilité des règles de la commande publique aux fédérations sportives agréées. Si le code de la commande publique ne devait pas leur être applicable, il conviendrait néanmoins que des règles minimales de mise en concurrence soient prévues dans le règlement financier des fédérations sportives agréées.

Par ailleurs, à défaut d'une clarification juridique, le ministère chargé des sports pourrait exiger des fédérations dont il assure la tutelle qu'elles lui transmettent chaque année un rapport sur leur politique contractuelle justifiant le cas échéant la non-application des règles de la commande publique.

Proposition 20 : Inviter les fédérations sportives à intégrer dans leurs règlements financiers les grands principes de la commande publique .


* 43 Article R. 131-3 du code du sport.

* 44 IGJS , « Mission relative au modèle sportif français : État des lieux des relations entre l'État et le mouvement sportif », décembre 2017, p. 57.

* 45 Article L. 131-1 du code du sport.

* 46 Directive 2014/24/UE du Parlement européen et du Conseil du 26 février 2014 sur la passation des marchés publics et abrogeant la directive 2004/18/CE.

* 47 CJUE, 12 septembre 2013, IVD GmbH et Co. KG, C-526/11 .

* 48 Cette référence n'est toutefois plus à jour depuis la recodification des dispositions encadrant la commande publique au sein du nouveau code de la commande publique, entré en vigueur le 1 er avril 2019.

* 49 IGJS , « Mission relative au modèle sportif français : État des lieux des relations entre l'État et le mouvement sportif », décembre 2017, p. 57.

* 50 Rapport public de la Cour des comptes pour 2018, tome II : « L'État et le mouvement sportif : mieux garantir l'intérêt général » .

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