Rapport d'information n° 640 (2020-2021) de Mme Françoise GATEL , MM. Rémy POINTEREAU , Guy BENARROCHE , Jean-Pierre CORBISEZ , Philippe DALLIER , Bernard DELCROS , Mme Corinne FÉRET , MM. Charles GUENÉ , Éric KERROUCHE , Antoine LEFÈVRE , Pierre-Jean VERZELEN , François BONHOMME , Mme Agnès CANAYER et M. Franck MONTAUGÉ , fait au nom de la délégation aux collectivités territoriales, déposé le 26 mai 2021

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N° 640

SÉNAT

SESSION ORDINAIRE DE 2020-2021

Enregistré à la Présidence du Sénat le 26 mai 2021

RAPPORT D'INFORMATION

FAIT

au nom de la délégation aux collectivités territoriales et à la décentralisation (1) sur le projet de loi 4D : les attentes des élus locaux en matière d' efficacité de l' action publique ,

Par Mme Françoise GATEL, MM. Rémy POINTEREAU, Guy BENARROCHE, Jean-Pierre CORBISEZ, Philippe DALLIER, Bernard DELCROS,
Mme Corinne FÉRET, MM. Charles GUENÉ, Éric KERROUCHE,
Antoine LEFÈVRE, Pierre-Jean VERZELEN, François BONHOMME,
Mme Agnès CANAYER et M. Franck MONTAUGÉ,

Sénateurs

(1) Cette délégation est composée de : Mme Françoise Gatel , présidente ; MM. Rémy Pointereau, Guy Benarroche, Jean-Pierre Corbisez, Philippe Dallier, Bernard Delcros, Mmes Corinne Féret, Michelle Gréaume, MM. Charles Guené, Éric Kerrouche, Antoine Lefèvre, Mme Patricia Schillinger, M. Pierre-Jean Verzelen, vice-présidents ; M. François Bonhomme, Mme Agnès Canayer, M. Franck Montaugé , secrétaires ; Mmes Nadine Bellurot, Céline Brulin, M. Laurent Burgoa, Mme Catherine Di Folco, M. Jérôme Durain, Mme Dominique Estrosi Sassone, MM. Fabien Genet, Jean-Michel Houllegatte, Mmes Sonia de La Provôté, Anne-Catherine Loisier, MM. Pascal Martin, Hervé Maurey, Philippe Mouiller, Philippe Pemezec, Didier Rambaud, Mme Sylvie Robert, MM. Jean-Yves Roux, Lucien Stanzione, Cédric Vial, Jean Pierre Vogel.

AVANT-PROPOS

En février 2020, le président Gérard Larcher a engagé le Sénat et tous ses groupes politiques dans une réflexion approfondie sur l'avenir de notre pays. L'objectif était résolument ambitieux : améliorer significativement l'action publique et, pour ce faire, donner un nouvel élan à la décentralisation.

Quelques semaines seulement plus tard, notre pays affrontait la crise sanitaire que chacun connaît. Cette épreuve conforte une conviction partagée par tous les parlementaires de toutes les sensibilités politiques : notre pays ne peut se passer d'un échelon local solide et agile . Quand la France va mal, quand les difficultés de l'action publique s'amoncellent, quand la France est confinée, puis quand elle doit redémarrer, alors les regards se tournent vers les élus locaux, qui font preuve aussitôt d'une efficacité, d'une réactivité et d'un à-propos que l'État, lourd, ankylosé par trop de rigidités, peine à imiter.

Le combat que nous livrons contre le virus est un « accélérateur de l'Histoire » dans tous les domaines. Au plan institutionnel, la crise sanitaire doit nous conduire à un rééquilibrage profond entre l'État et les collectivités territoriales, avec pour seule boussole le renforcement de l'efficacité de l'action publique pour nos concitoyens .

Les dernières élections municipales ont révélé un niveau d'abstention inédit, que la situation sanitaire ne saurait, à elle seule, expliquer. Le mal est plus profond . C'est en réalité une crise du manque de résultats que nous vivons. Et c'est en remédiant à cette crise que les institutions politiques, retisseront les liens de la confiance .

Les pistes sont connues : moins de discours, moins de bureaucratie et moins de contraintes inutiles. Et, à l'inverse, plus de libertés, plus de proximité et plus de souplesse pour libérer les énergies de notre pays. Seule une véritable décentralisation peut répondre à cette aspiration et permettre à l'État, comme aux territoires de la nation, de retrouver cette autorité fondée sur la capacité à fixer un cap et à s'y tenir.

Le Sénat, fort de ce diagnostic, a formulé le 2 juillet 2020, 50 propositions pour le plein exercice des libertés locales . Ces propositions visent à préserver les choix de gestion des collectivités territoriales, protéger leurs ressources, renforcer leur liberté contractuelle, faciliter leurs coopérations, assouplir leurs conditions d'organisation interne, ou encore à adapter les normes et la répartition des compétences aux spécificités locales.

Les capacités d'initiative et la volonté d'agir de nos concitoyens et de leurs élus dans les territoires sont immenses. Encore faut-il leur permettre de s'exprimer. C'est d'autant plus important au moment où, après une difficile gestation, le Gouvernement dépose au Sénat un projet de loi 1 ( * ) qu'il annonce audacieux (I).

C'est pourquoi la délégation aux collectivités territoriales, dont l'une des vocations est d'aller au contact pour percevoir les aspirations du terrain, s'est mobilisée pour appréhender les attentes actuelles des élus locaux. À cet effet, outre la rencontre de toutes les associations d'élus locaux, elle a commandité un sondage et a lancé, via internet, une consultation nationale des élus locaux sur les pistes d'une amélioration de l'action publique qui, du reste, tient compte des enseignements de la crise sanitaire actuelle.

Le présent rapport a pour but de présenter ces attentes, qui seront à mettre en regard du contenu du texte déposé sur le Bureau du Sénat le 12 mai 2021 (II).

* *

*

PREMIÈRE PARTIE : LA DIFFICILE GESTATION
D'UNE NOUVELLE LOI DE DÉCENTRALISATION

I. UN DÉBUT DE MANDAT MARQUÉ PAR DES RELATIONS ÉTAT-COLLECTIVITÉS CONFLICTUELLES

Dès avant son élection, le futur chef de l'État avait, en mars 2017, devant l'Assemblée des Départements de France (ADF), proposé aux collectivités territoriales un « pacte de solidarité girondin » reposant sur « l'intelligence des territoires [...] Les cinq années à venir doivent être structurées par un pacte qui se négocie au début du quinquennat et dans lequel on définit à la fois les objectifs, les modalités et les équilibres. ». Toutefois, une inquiétude existait déjà parmi les élus face à la promesse de campagne tendant à exonérer de la taxe d'habitation tous les Français des classes moyennes et populaires (soit 80% des ménages) 2 ( * ) . Le risque était grand, en effet, que cette mesure ne vienne bouleverser l'ensemble du fragile édifice de la fiscalité locale et se traduise par une moindre autonomie fiscale des collectivités, en particulier celles du bloc communal.

Une fois élu, le chef de l'État s'était très tôt engagé à retisser les liens de la confiance avec les territoires. Dans son discours au Congrès du 3 juillet 2017, il esquissait deux volets de cette action : déconcentrer et décentraliser.

Déconcentrer : « Je veux [...] une administration plus déconcentrée, qui conseille plus qu'elle ne sanctionne, qui innove et expérimente plus qu'elle ne contraigne. Tel est le cercle vertueux de l'efficacité. C'est cette administration qui doit redonner à tous les territoires les moyens d'agir et de réussir. »

Décentraliser : « Ne redoutons pas de nouer avec les territoires des accords de confiance. Nous savons tous combien notre France est diverse, combien est importante l'intimité des décideurs publics avec le terrain de leur action. La centralisation jacobine traduit trop souvent la peur élémentaire de perdre une part de son pouvoir. Conjurons-là. Osons expérimenter, déconcentrer, c'est indispensable pour les territoires ruraux comme pour les quartiers difficiles ; osons conclure avec nos territoires et nos élus de vrais pactes girondins fondés sur la confiance et sur la responsabilité. »

Dans le même discours, Emmanuel Macron annonçait également la création d'une « Conférence des territoires », conduite par le Premier ministre, avec pour objet « de trouver ensemble les moyens d'adapter nos politiques aux réalités locales [...] ».

Au cours de la première édition de cette Conférence nationale des territoires, qui se déroula au Sénat, le 17 juillet 2017, le président de la République réaffirma sa volonté de déconcentrer et de rénover les relations État-Collectivités pour aboutir à un « pacte de confiance », « un pacte girondin [...] , qui, sans briser l'unité nationale, redonnera aux territoires les moyens d'agir dans une responsabilité partagée . ». Mais, dès lors, l'ambition transformatrice avait paru menaçante pour les collectivités. Car le pacte annoncé semblait surtout receler des contraintes financières nouvelles, illustrées par les fameux « contrats de Cahors ». Symboliquement, la mécanique de la confiance avait été altérée, les élus locaux étant confrontés d'une part, à une vision implicitement dépréciative de leur action et, d'autre part, à une contractualisation asymétrique et imposée.

Par ailleurs, une série de mesures avait rapidement provoqué le mécontentement des élus locaux : l'effort financier demandé aux collectivités territoriales, annoncé à l'ouverture de la conférence des territoires, passant de 10 à 13 milliards d'euros, un surgel des dotations de 300 millions d'euros, la suppression de la réserve parlementaire - importante source de financement pour les projets locaux et le tissu associatif -, la brusque diminution des emplois aidés des collectivités...

La suite sera une longue série d'attentes déçues, les élus, leurs associations, le Sénat ne cessant de plaider pour davantage de confiance, de souplesse et de dialogue, mais le Gouvernement ne parvenant pas à tracer une voie nouvelle pour l'action publique locale.

II. LA RÉOUVERTURE DU DOSSIER DE LA DÉCENTRALISATION À LA SUITE DE LA CRISE DES « GILETS JAUNES »

Dans une « Lettre ouverte aux Français » rendue publique le 13 janvier 2019 pour tenter de clore la protestation des « Gilets jaunes », le chef de l'État avait rouvert, parmi d'autres, le dossier de l'organisation locale en posant cinq questions destinées à nourrir le « Grand débat national » :

1) Y a-t-il trop d'échelons administratifs ou de niveaux de collectivités locales ?

2)  Faut-il renforcer la décentralisation et donner plus de pouvoir de décision et d'action au plus près des citoyens ? À quels niveaux et pour quels services ?

3)  Comment voudriez-vous que l'État soit organisé et comment peut-il améliorer son action ?

4)  Faut-il revoir le fonctionnement de l'administration et comment ?

5) Comment l'État et les collectivités locales peuvent-ils s'améliorer pour mieux répondre aux défis de nos territoires les plus en difficulté, et que proposez-vous ?

De son côté, le Sénat, par la voix du président Larcher, avec l'Association des maires de France (AMF), l'Assemblée des départements de France (ADF) et Régions de France - rassemblées au sein de l'association Territoires Unis -, avait, dès janvier 2019, appelé l'exécutif à lancer une nouvelle étape de la décentralisation qui serait une « réponse majeure » à la « fatigue démocratique » perceptible et illustrée par la crise. Pour le président du Sénat, « Cette nouvelle génération de la décentralisation ne peut être une énième "architecture" nouvelle, mais d'abord un acte de confiance entre État, Parlement, garants de l'unité et de l'égalité, et les élus des collectivités territoriales ».

Recevant les présidents des conseils départementaux à l'Élysée, le 21 février 2019, la réponse de l'exécutif avait paru ambivalente en conjuguant une critique à peine voilée de la demande de décentralisation, et un appel à propositions sous forme de banco : « Je dis oui pour la décentralisation mais alors il faut le faire vraiment [...] . J'entends beaucoup d'appels aux compétences mais beaucoup moins aux responsabilités. Mais cela ne peut pas être la perpétuation d'une forme de culture de l'irresponsabilité, où on dit je prends les compétences mais c'est l'État qui reste le payeur [...] Si Territoires Unis fait une proposition véritable, je suis prêt à l'examiner » ». Dans la foulée, Territoires Unis avait proposé quelques grands principes pour un Acte III de la décentralisation :

- réformer les principes organisant les relations entre l'État et les collectivités locales pour garantir la libre administration des collectivités en confiant à ces dernières un pouvoir réglementaire renforcé dans leurs domaines de compétences, en remplaçant la subsidiarité « descendante » par la subsidiarité « ascendante » qui consiste à ne confier à l'échelon étatique que les compétences qui ne peuvent être exercées au niveau local et en inscrivant un principe de différenciation dans la Constitution ;

- assurer réellement l'autonomie financière et fiscale des collectivités territoriales notamment en consolidant le socle de ressources propres dont peuvent disposer les collectivités, au sens de la Constitution ;

- mettre la commune au centre de la démocratie de proximité , en revenant à une conception de l'intercommunalité au service des communes membres ;

- renforcer le rôle des collectivités dans les politiques publiques assurant la cohésion sociale et territoriale de la Nation : solidarité sociale, mobilités, développement économique, emploi, éducation et formation, transition écologique, solidarité des territoires ;

- établir une nouvelle répartition des compétences concernant certaines politiques publiques de proximité : politique du logement et de rénovation urbaine, politique du sport pour tous, politique culturelle, politique territoriale de la santé, politique de la cohésion des territoires.

Néanmoins, comme en témoigne l'entretien donné par la ministre de la Cohésion des territoires au journal Le Monde , le 4 avril 2019, le Gouvernement semblait alors frileux et peu désireux de s'engager dans la voie proposée par les élus, paraissant privilégier la déconcentration, au détriment de la décentralisation. La ministre affirmait en effet : « Ce que je constate, c'est que, dans les réunions du Grand débat, peu de personnes nous parlent de décentralisation [...] Si nous commençons, à la sortie du grand débat, par raisonner en termes de partage de pouvoirs entre les uns et les autres, nous serons à côté de la plaque [...] Derrière le mot proximité, les gens demandent aussi la proximité de l'État. »

En définitive, et en guise de conclusion au « Grand débat national », le 25 avril 2019, le président de la République avait annoncé une série de mesures pour répondre à la crise des « Gilets jaunes ». S'agissant de la décentralisation, le propos était net : « Je souhaite ouvrir un nouvel acte de décentralisation, adapté à chaque territoire, qui doit porter sur le logement, le transport, la transition écologique. ». Le président de la République ajoutait : « [...] je souhaite qu'il puisse y avoir un geste de décentralisation extrêmement clair et avec celui-ci un principe : la différenciation territoriale. [...] Cette réforme, cet acte de décentralisation devra aboutir pour le premier trimestre 2020 . ».

Pour mettre en oeuvre ces annonces, le 29 avril 2019, le Gouvernement déposait un nouveau texte de révision constitutionnelle 3 ( * ) qui autorisait notamment, sous certaines conditions, une différenciation territoriale, mais ne faisait que reprendre, sur ce point, le texte proposé par le précédent projet de l'exécutif 4 ( * ) . En mai 2019 était par ailleurs annoncé un projet de décentralisation qui devait être porté début 2020 par Sébastien Lecornu, alors ministre chargé des Collectivités territoriales. À la mi-juin, le projet gouvernemental était précisé et comportait maintenant deux volets : d'une part, un projet de loi dit « engagement et proximité », porté par Sébastien Lecornu, davantage centré sur le statut des élus et inspiré notamment par les propositions de la délégation aux collectivités relatives au statut de l'élu local 5 ( * ) , et, d'autre part, un « nouvel acte de la décentralisation », que certains appelleraient rapidement « 3D » (pour décentralisation, différenciation, déconcentration) qui devait être proposé par Jacqueline Gourault, ministre de la Cohésion des territoires et des Relations avec les collectivités territoriales, à la fin du premier semestre 2020.

Si le premier texte devait être déposé au Sénat dès le 17 juillet 2019 et adopté par les deux chambres le 19 décembre 2019, le second, portant sur des mesures structurelles de gouvernance, d'organisation et de compétences, sembla d'emblée difficile à boucler.

La ministre avait annoncé le 20 septembre 2019 que les négociations autour de ce projet commenceraient « d'ici fin octobre ». Pourtant, en novembre encore, devant le 102 e congrès de l'AMF, l'exécutif semblait hésiter, dessinant toujours une stratégie davantage fondée sur la déconcentration que sur la décentralisation. Une décentralisation en tout cas présentée par le président de la République comme un risque pour des élus qui auraient tendance à fuir leurs responsabilités : « on ne peut pas dire : je prends les compétences mais quand il y a un problème... Vous le savez, vous, quand il y a un problème on vient vous voir. Bon, quand ce n'est pas vous, c'est moi, si je puis dire, quand même bien souvent. C'est trop souvent le cas. On dit : j'ai les compétences. [...] Quand il y a un gros coup de grisou, on dit que c'est l'État, comme si on avait oublié qu'on avait décentralisé les compétences. Je veux bien. On a décentralisé imparfaitement certaines compétences de mobilité ou de développement économique, dès qu'il y a un problème, on dit : c'est l'État. Quand une entreprise ferme, je n'ai jamais entendu une région dire : « c'est ma responsabilité, je vais le faire. » On dit : « l'État ne nous aide pas assez. » [...] Donc les gens veulent prendre des compétences et pas les responsabilités. On ne peut pas avancer comme ça. ».

Il fallut attendre le 6 janvier 2020 pour que soit lancée, à Arras, la concertation avec les élus locaux sur le projet de loi désormais dit « 3D », concertation néanmoins vite rattrapée et interrompue par la crise sanitaire.

Ces atermoiements et autres hésitations témoignent vraisemblablement d'un enthousiasme modéré, au sein des plus hautes autorités de l'État, pour la décentralisation. Sans doute illustrent-ils aussi des divergences au sein de l'administration de l'État.

Il aurait pourtant suffi à l'exécutif de consulter les élus pour constater qu'ils étaient prêts à de nouvelles avancées dans l'exercice de responsabilités, l'enjeu n'étant pas de savoir si l'on veut plus ou moins de décentralisation, mais comment améliorer l'efficacité de l'action publique au service de nos concitoyens. Au-delà de clichés démagogiques, cette efficacité est bien l'obsession des élus locaux, qui doivent prendre en compte les exigences croissantes de nos concitoyens, mais aussi leurs marges réduites par la contrainte budgétaire, ainsi que le corset normatif qui leur est imposé.

III. LE SÉNAT, EN POINTE POUR LA RÉNOVATION DE L'ACTION PUBLIQUE LOCALE

Face aux hésitations gouvernementales, le président du Sénat lançait, en février 2020, un groupe de travail consacré à la décentralisation, associant tous les groupes politiques du Sénat et animé par les présidents de la commission des Lois et de la délégation aux collectivités territoriales.

En juillet 2020, ses travaux ont abouti aux 50 propositions du Sénat pour le plein exercice des libertés locales , s'articulant autour de quatre objectifs :

- conforter l'autonomie des collectivités territoriales ;

- donner toute sa mesure au principe de subsidiarité ;

- amplifier la différenciation dans le respect de l'unité nationale afin d'adapter l'action publique aux spécificités locales ;

- renforcer le contrôle du Parlement pour garantir les libertés locales .

De ce rapport seraient ensuite tirées trois propositions de loi, constitutionnelle, organique et ordinaire 6 ( * ) , les deux premières étant adoptées par le Sénat le 20 octobre 2020.

Parallèlement, le groupe Socialiste et Républicain déposait une proposition de résolution pour une nouvelle ère de la décentralisation 7 ( * ) . Ce texte, adopté par le Sénat le 20 juin 2020, proposait notamment d'énoncer de façon limitative dans la Constitution les compétences de l'État, celles des collectivités locales devenant la règle pour les autres sujets ;

- de créer un cadre financier pluriannuel pour les collectivités, avec, en particulier, la création d'une loi de financement des collectivités territoriales, ou la redéfinition du ratio d'autonomie financière ;

- de réaffirmer une spécialisation fonctionnelle des collectivités, sauf en ce qui concerne la commune, qui devait garder une compétence générale ;

- de mettre en valeur la notion d'« inter-territorialité » afin de renforcer la coopération entre les différents échelons locaux ;

- d'approfondir la démocratie locale.

Pendant toute cette période, conformément à sa vocation, la délégation aux collectivités territoriales n'a cessé d'interroger les élus et de solliciter leurs avis. Pour ce faire, elle a naturellement sollicité ses membres, qui représentent constitutionnellement les élus des territoires.

Par ailleurs, la délégation a renforcé ses liens avec les différentes associations d'élus. Ainsi a-t-elle, pour n'évoquer que les plus récentes initiatives, organisé deux tables rondes, en novembre 2020 et en janvier 2021, réunissant François Baroin, président de l'Association des Maires de France (AMF) ; Dominique Bussereau, président de l'Assemblée des Départements de France (ADF) ; Renaud Muselier, président de Régions de France (RF) ; Sébastien Martin, président de l'Assemblée des Communautés de France (AdCF) ; Christophe Bouillon, président, et Loïc Hervé, président délégué, de l'Association des Petites Villes de France (APVF) ; Caroline Cayeux, présidente de Villes de France (VF) ; et Michel Fournier, président de l'Association des Maires ruraux de France (AMRF).

La délégation a mobilisé des moyens modernes permettant de « prendre le pouls » des élus locaux : d'une part en faisant réaliser par une société spécialisée un sondage 8 ( * ) représentatif auprès des élus, d'autre part en organisant une consultation nationale, via la plateforme internet du Sénat.

Ainsi, au moment où le Gouvernement, en le déposant au Sénat, lance le processus en vue de l'adoption de son projet de loi devenu « 4D » (pour décentralisation, différenciation, déconcentration et décomplexification), puis intitulé « projet de loi relatif à la différenciation, la décentralisation, la déconcentration et portant diverses mesures de simplification de l'action publique locale », le Sénat est en mesure d'exposer les attentes des élus locaux.

DEUXIÈME PARTIE : LES QUESTIONNEMENTS
ET ATTENTES DES ÉLUS

Il résulte des différentes remontées issues du sondage CSA commandé par la délégation et de la consultation nationale des élus qu'elle a organisée sur internet que les élus sont critiques vis-à-vis de l'organisation territoriale actuelle ainsi que de la répartition des rôles et des compétences entre l'État et les collectivités (I).

On constate aussi de leur part le souhait d'une évolution des modalités de l'action publique locale vers plus de clarté, de simplicité et de souplesse (II).

Les élus sont par ailleurs prêts, sous réserve du respect de certains principes, à des transferts de compétences (III).

I. DES ÉLUS LOCAUX CRITIQUES VIS-À-VIS DE L'ORGANISATION TERRITORIALE ET DE LA RÉPARTITION DES RÔLES ET DES COMPÉTENCES ENTRE L'ÉTAT ET LES COLLECTIVITÉS

Les élus locaux marquent une nette volonté d'améliorer la répartition des missions entre les collectivités et avec l'État, leur préoccupation face à une autonomie financière massivement jugée insuffisante, leur conviction de la nécessité de renforcer la cohésion territoriale, considérée comme un enjeu prioritaire.

Ils font valoir par ailleurs l'urgence de tirer les leçons de la crise sanitaire en matière d'organisation territoriale.

A. UNE LISIBILITÉ À AMÉLIORER DE LA RÉPARTITION DES MISSIONS ENTRE LES COLLECTIVITÉS ET AVEC L'ÉTAT

La première attente forte des élus est celle d'une meilleure lisibilité de l'organisation territoriale et de la répartition des missions entre les collectivités et avec l'État. Plus de 44% des répondants estiment que la répartition des rôles et des compétences entre l'État et les différentes collectivités territoriales n'est pas claire, une proportion considérable pour des « spécialistes » très engagés au sein de leurs collectivités. À l'inverse, seuls 7% jugent que cette répartition est très claire.

La répartition des rôles et des compétences entre l'État et les différentes collectivités territoriales au niveau local vous semble-t-elle...

Source : Sondage CSA auprès des élus locaux pour la délégation aux collectivités territoriales, novembre 2020

De façon contrintuitive mais assez significative, la proportion d'élus estimant que cette répartition est claire décroît sensiblement avec leur ancienneté dans la fonction exercée. On peut notamment y voir un effet de lassitude face aux contraintes pesant sur leurs fonctions, une fois passé l'enthousiasme des premiers temps.

Ancienneté dans la fonction pour les répondants estimant « claire »
la répartition des rôles et des compétences entre l'État et les différentes collectivités territoriales au niveau local

Source : Sondage CSA auprès des élus locaux pour la délégation aux collectivités territoriales, novembre 2020

Le manque de lisibilité est particulièrement ressenti par les élus des petites communes : 45% des élus des communes de moins de 3 500 habitants jugent la répartition actuelle peu claire, contre 40% pour les élus des communes de 20 000 habitants et plus.

Ce manque de clarté est très fortement perçu par les habitants des petites communes puisque 76% des habitants des communes de moins de 2 000 habitants estiment insuffisamment claire la répartition des rôles et des compétences entre l'État et les différentes collectivités territoriales 9 ( * ) .

La répartition des rôles et des compétences entre l'État et les différentes collectivités territoriales au niveau local (régions, départements, communes, intercommunalités : métropoles, communautés d'agglomération, communautés de communes...) vous semble-t-elle...

Élus municipaux (communes
de moins de 3 500 habitants)

Élus municipaux (communes
de 3 500 à 19 999 habitants)

Élus municipaux (communes de 20 000 habitants
et plus)

Total Claire

54%

63%

60%

Très claire

7%

8%

1%

Plutôt claire

48%

55%

59%

Total Pas claire

45%

35%

40%

Plutôt pas claire

39%

30%

28%

Pas claire du tout

6%

5%

13%

Source : Sondage CSA auprès des élus locaux pour la délégation aux collectivités territoriales, novembre 2020

B. UNE AUTONOMIE FINANCIÈRE MASSIVEMENT JUGÉE INSUFFISANTE

Un autre point fort consiste en la perception par les élus d'une autonomie fiscale altérée et insuffisante. Sur ce point, le constat est sans appel.

Selon vous, les collectivités territoriales bénéficient-elles
d'une autonomie financière...

Source : Sondage CSA auprès des élus locaux pour la délégation aux collectivités territoriales, novembre 2020

Ce sentiment de carence d'autonomie financière est important dans toutes les catégories d'élus. Elle l'est particulièrement pour les élus des conseils départements et régionaux. Parmi les élus municipaux, ce sont ceux des petites et moyennes communes qui y sont les plus sensibles.

Selon vous, les collectivités territoriales bénéficient-elles d'une autonomie financière...

Élus

municipaux

Élus départementaux

Élus

régionaux

Suffisante

15%

8%

7%

Insuffisante

83%

92%

88%

Sans opinion

2%

-

5%

Source : Sondage CSA auprès des élus locaux pour la délégation aux collectivités territoriales, novembre 2020

Élus municipaux (communes
de moins de
3 500 habitants)

Élus municipaux (communes
de 3 500 à
19 999 habitants)

Élus municipaux (communes
de 20 000 habitants et plus)

Suffisante

15%

14%

20%

Insuffisante

83%

85%

77%

Sans opinion

2%

1%

3%

Source : Sondage CSA auprès des élus locaux pour la délégation aux collectivités territoriales, novembre 2020

C. LA COHÉSION TERRITORIALE, ENJEU PRIORITAIRE

Les élus interrogés considèrent, dans leur immense majorité, que la réduction des inégalités entre les territoires est une priorité dont les pouvoirs publics doivent se saisir.

On relèvera que cette perception est beaucoup plus sensible parmi les élus que pour l'ensemble des Français : 62% des élus considèrent la réduction des inégalités entre les territoires comme un enjeu prioritaire, soit +23 points par rapport au grand public 10 ( * ) .

Selon vous, la réduction des inégalités entre les territoires en France
devrait-elle constituer pour les pouvoirs publics un enjeu...

Source : Sondage CSA auprès des élus locaux pour la délégation aux collectivités territoriales, novembre 2020

Ce sentiment est si partagé qu'il transcende toutes les catégories d'élus, selon l'âge, l'ancienneté, l'échelon, la préférence partisane...

D. DES LEÇONS À TIRER DE LA CRISE SANITAIRE

La crise sanitaire ne pouvait laisser les élus indifférents, d'autant qu'elle a révélé beaucoup d'éléments sur les faiblesses et les forces de nos institutions. Déjà en juillet 2020, la délégation avait tiré les premières leçons de cette crise 11 ( * ). Elle avait montré les hésitations de la part des autorités centrales, contrebalancées par la claire volonté des collectivités de jouer pleinement leur rôle, voire de suppléer à ce qui a souvent été perçu localement comme des insuffisances de certains services de l'État. Elle avait souligné que si une coopération entre collectivités territoriales, plutôt « instinctive » et naturelle, avait pu être appréciée, la coordination avec l'État et ses services déconcentrés était souvent apparue plus chaotique.

La délégation avait, par ailleurs, considéré que cette crise avait pu apparaître comme une expérimentation majeure des capacités d'action et de résilience de notre organisation territoriale, non seulement des collectivités mais aussi de ce qu'il est désormais convenu d'appeler « l'État territorial » et, en particulier, qu'il était nécessaire de s'interroger sur les voies et moyens d'une meilleure coordination territoriale pour le système de santé de demain.

Après bien des atermoiements, certains observateurs avaient considéré que la relations État-collectivités était sortie renforcée de la crise avec, notamment, la montée en puissance de ce qu'il est convenu d'appeler le couple « maire-préfet ». L'appréciation des élus semble en fait plus mitigée.

Certaines personnes considèrent que la crise sanitaire liée à l'épidémie de
Covid-19 a amélioré les relations entre les collectivités territoriales et les services de l'État au niveau local. Dans quelle mesure êtes-vous d'accord ou non avec cette affirmation ?

Source : Sondage CSA auprès des élus locaux pour la délégation aux collectivités territoriales, novembre 2020

Si les réponses apparaissent très partagées parmi les élus municipaux, on note qu'elles sont plus positives pour les élus départementaux, ce qui illustre sans doute la place retrouvée de l'échelon départemental et de son préfet. À l'inverse, cette perception est beaucoup moins positive pour les élus régionaux, ce qui peut témoigner du rééquilibrage institutionnel entre la région et le département mais aussi exprimer des insatisfactions liées aux modalités de fonctionnement des agences régionales de santé (ARS).

Ensemble

Catégorie d'élus locaux

Élus municipaux

Élus départementaux

Élus régionaux

Total D'accord

48%

48%

52%

36%

Tout à fait d'accord

9%

9%

15%

7%

Plutôt d'accord

39%

39%

37%

29%

Total Pas d'accord

48%

48%

46%

64%

Pas vraiment d'accord

35%

35%

33%

45%

Pas du tout d'accord

13%

13%

13%

19%

Sans opinion

4%

4%

2%

-

Source : Sondage CSA auprès des élus locaux pour la délégation aux collectivités territoriales, novembre 2020

Il n'en reste pas moins que, devant la délégation, les associations d'élus ont unanimement salué l'action menée par les préfets en situation de crise. Caroline Cayeux, présidente de Villes de France, a ainsi relevé que : « Sur le terrain, le couple maire-préfet a été salué pour son efficacité et son dynamisme. Je me souviens avoir travaillé presque quotidiennement avec le directeur de l'hôpital de Beauvais et le préfet de l'Oise. Quant aux ARS, elles ont été fondées dans le cadre de régions plus raisonnables en taille et l'on constate, quand l'une d'elles couvre un espace allant de Chantilly à Lille, que cela crée de la distance, alors que les élus veulent de la proximité . » 12 ( * ) . Sébastien Martin, président de l'Assemblée des communautés de France, souligne que : « Cette crise a montré que l'État avait plus que jamais besoin des collectivités. C'est le couple élu-préfet qui a tout particulièrement montré son efficacité. Je suis élu départemental et j'ai constaté à quel point l'ARS avait besoin des départements dès lors qu'il s'agissait d'intervenir dans les établissements médico-sociaux [...] ». 13 ( * )

Afin de tirer les leçons de la crise sanitaire, les 50 propositions du Sénat pour le plein exercice des libertés locales ainsi que les conclusions de la commission d'enquête sénatoriale sur l'épidémie de Covid-19 ont recommandé de confier à un élu la présidence du conseil de surveillance des agences régionales de santé et de rééquilibrer la composition de cette instance en faveur des représentants des territoires. Les élus consultés via la plateforme internet du Sénat sont très majoritairement favorables à cette évolution, avec 86% de réponses positives contre 10% d'oppositions.

Renforcer le pouvoir des élus sur les ARS

Source : Consultation nationale des élus via la plateforme internet du Sénat, mars 2021

II. FAIRE ÉVOLUER L'ACTION PUBLIQUE LOCALE

Ces éléments de perception étant posés, la délégation a souhaité interroger les élus sur leurs attentes et sur les propositions du Sénat.

Il en ressort que les élus locaux souhaitent faire évoluer l'action publique pour plus d'efficacité avec davantage de décentralisation, un nouvel effort de simplification des normes, la réduction des doublons de compétences entre collectivités et État, l'assouplissement de la répartition des compétences entre les différents niveaux de collectivités, des possibilités de différenciation en ce qui concerne les modalités d'application des textes en fonction des territoires, le renforcement de la présence de l'État auprès des collectivités territoriales dans le cadre d'un mouvement de déconcentration.

A. PLUS DE DÉCENTRALISATION

On constate qu'une très grande majorité des élus, 86%, appellent de leurs voeux une évolution de l'organisation territoriale. Seuls 13% y sont opposés. Le souhait des élus municipaux consiste plutôt en une évolution douce et progressive. Moins d'un quart d'entre eux (entre 21 et 25%, selon les strates démographiques) veulent une réforme en profondeur, un nouveau « big bang territorial ». Les élus départementaux (31%), et surtout régionaux (55%), sont cependant, en la matière, nettement plus radicaux.

À propos des collectivités territoriales en France (régions, départements, communes, intercommunalités et autres EPCI), faut-il selon vous plutôt... ?

Source : Sondage CSA auprès des élus locaux pour la délégation aux collectivités territoriales, novembre 2020

Dans ce cadre, une nouvelle avancée vers plus de décentralisation est plébiscitée par 70% des répondants. Cette demande de décentralisation est très nette pour toutes les catégories de répondants, même si elle est tout particulièrement portée par les élus régionaux et départementaux et par les jeunes élus, comme si une nouvelle génération d'élus avait pris acte des nécessités de faire évoluer le dispositif territorial.

De manière générale, par rapport à la décentralisation,
diriez-vous qu'il faut...

Source : Sondage CSA auprès des élus locaux pour la délégation aux collectivités territoriales, novembre 2020

Reste qu'il doit s'agir d'une véritable décentralisation, or de nombreux élus ont le sentiment que celle-ci est inachevée. Christophe Bouillon, président de l'APVF, notait ainsi devant la délégation : « Plutôt que "décentralisation" et "déconcentration", nous disons "décentralisation jusqu'au bout" ». En effet, le sentiment nous pèse depuis des années que la décentralisation n'est jamais terminée, et qu'on n'en finit jamais. Au-delà de cette impression d'inachevé, cela conduit surtout à un constat d'instabilité, car nous passons notre temps à changer les règles du jeu de l'organisation territoriale de notre pays. Il faut aujourd'hui aller au bout de la décentralisation. » 14 ( * )

B. PLUS DE SIMPLIFICATION

Dans le cadre du sondage CSA, la délégation a interrogé les élus sur leurs priorités. Pour les élus municipaux, la simplification des normes applicables aux collectivités apparaît nettement en première place, en particulier pour les élus des communes de moins de 3 500 habitants et pour les plus expérimentés.

La simplification apparaît également à la première place pour les élus départementaux, et à la seconde pour les élus régionaux.

Les priorités pour les élus

Source : Sondage CSA auprès des élus locaux pour la délégation aux collectivités territoriales, novembre 2020

Les priorités selon les catégories d'élus

Source : Sondage CSA auprès des élus locaux pour la délégation aux collectivités territoriales, novembre 2020

L'importance de ce thème de la simplification des normes, conjuguée au fait que la délégation a été chargée par le président et le Bureau du Sénat de traquer les normes inutiles, l'a conduit à compléter son analyse dans le cadre de la consultation nationale des élus locaux via la plateforme internet du Sénat. Il s'est agi pour la délégation d'apprécier l'avis des élus locaux à propos de quelques propositions systémiques de simplifications.

Force est de constater que ces propositions de simplification recueillent plus de 90% de réponses positives , comme cela est illustré par les graphiques suivants.

La proposition d'intégrer aux programmes de formation des élèves fonctionnaires (ENA...) des modules en matière de simplification législative, réglementaire et administrative recueille ainsi 93% de réponses positives et seulement 2% de réponses négatives. Cette proposition fait suite aux travaux de la délégation qui, dès juin 2016, dans son rapport Droit de l'urbanisme et de la construction : l'urgence de simplifier 15 ( * ) , recommandait d'enseigner la simplification - sa méthodologie et ses procédures - dans les écoles de la fonction publique (ENA, INET, IRA, ENSP...) et de l'intégrer aux cours de formation continue des agents des trois fonctions publiques, idée reprise par la proposition n° 6 du Conseil d'État dans son étude de juillet 2016 sur la simplification 16 ( * ) , ainsi libellée : « Former spécifiquement les producteurs de normes à la simplification et à la qualité du droit. Enseigner le principe suivant lequel la prise en charge de la complexité revient à l'administration et non à l'usager (vecteurs : programmes de formation initiale et épreuves spécifiques aux concours des écoles de fonctionnaires ; modules de formation continue des agents des trois fonctions publiques) » .

Cette question de la formation est essentielle, car il serait vain de vouloir toujours courir après la norme pour la simplifier. Il faut, au contraire, l'empêcher d'advenir lorsqu'elle n'est pas utile, ce qui exige une profonde évolution de notre culture administrative. Pleinement conscient de cet enjeu, le CNEN plaide pour « une évolution structurelle de de la culture normative » et préconise notamment la création d'un « réseau de simplification » 17 ( * ) . Le 26 novembre 2020, il a organisé un colloque intitulé « Changer la culture normative » et dont le premier volet était précisément : « Former et informer ». Pour reprendre les propos du président Lambert à cette occasion : « Le CNEN plaide pour un renforcement massif de formation pour les rédacteurs de normes afin qu'ils maîtrisent mieux les préceptes et outils inclus dans les guides, qu'ils proposent d'eux-mêmes des alternatives à la norme. » 18 ( * ) . Lors de ce colloque, Patrick Gérard, directeur de l'ENA, relevait par ailleurs : « Simplifier et améliorer la qualité du droit comporte une dimension culturelle manifeste qu'on ne peut permettre d'ignorer. « Changer de culture normative », pour reprendre le titre du colloque, implique donc d'agir sur la culture administrative elle-même, et c'est bien là que réside l'importance de la formation en tant que transmission de savoirs, et apprentissage de techniques, savoir-faire et savoir agir dans une logique de professionnalisation. Simplifier, c'est enclencher un processus de changement, de transformation, remettre en cause des modes de fonctionnement acquis, auxquels "on" s'est habitué, et qui renvoient à des principes ou valeurs auxquels "on" est partiellement ou complétement attaché pour différentes raisons. Cela revient à bouleverser des jeux d'acteurs et des relations de pouvoir. » 19 ( * )

Intégrer aux programmes de formation des élèves fonctionnaires
des modules en matière de simplification

Source : Consultation nationale des élus via la plateforme internet du Sénat, mars 2021

La proposition visant à mettre en ligne une base de données complète et régulièrement actualisée de l'état du droit et des procédures applicables dans les domaines concernés par les projets locaux (urbanisme, commande publique, protection du patrimoine, archéologie, environnement...) recueille 96% de réponses positives et seulement 2% de réponses négatives. Cette proposition correspond à la recommandation n° 20 du rapport de la délégation de juin 2016, Droit de l'urbanisme et de la construction : l'urgence de simplifier.

Mettre en ligne une base de données de l'état du droit et des procédures applicables dans les domaines concernés par les projets locaux

Source : Consultation nationale des élus via la plateforme internet du Sénat, mars 2021

La proposition tendant à l'instauration auprès du préfet de département d'une instance de concertation, composée de représentants des services de l'État et des collectivités locales recueille, enfin, 91% de réponses positives et seulement 4% de réponses négatives. Cette instance aurait notamment vocation à être saisie de tout différend sur l'interprétation d'une norme, et d'exprimer une position unique de l'État sur des projets complexes (urbanisme...) pour éviter aux élus d'être confrontés à une multitude de services différents aux positions parfois incompatibles et permettre une conciliation éventuelle.

Dès 2013, dans leur rapport sur la lutte contre l'inflation normative 20 ( * ) , Alain Lambert et Jean-Claude Boulard avaient recommandé l'instauration auprès du préfet d'une instance composée de représentants de collectivités locales pouvant être saisie de tout différend sur l'interprétation d'une norme. Cette proposition avait été étoffée et précisée dans le cadre du rapport de la délégation de juin 2016, Droit de l'urbanisme et de la construction : l'urgence de simplifier. Au travers de la consultation des élus qu'ils avaient organisée, les rapporteurs avaient en effet constaté la très forte défiance des élus locaux à l'égard de services de l'État, jugés peu disponibles et plus répressifs que facilitateurs. De nombreux élus et professionnels regrettaient régulièrement un déficit de dialogue entre services de l'État, porteurs de projets et collectivités territoriales. Était également critiquée la trop fréquente incapacité des services de l'État à se coordonner et à donner rapidement aux porteurs de projets un avis global. L'instance projetée avait donc pour objet d'améliorer la qualité du dialogue entre État et collectivités sur la mise en oeuvre des normes applicables aux collectivités territoriales. Il s'agissait aussi de faciliter la tâche du préfet quant à l'expression d'un point de vue unique de l'État. La création de cette instance avait été intégrée à l'article 7 de la proposition de loi portant accélération des procédures et stabilisation du droit de l'urbanisme, de la construction et de l'aménagement, adoptée par le Sénat à l'unanimité le 2 novembre 2016.

L'institution d'une instance de concertation auprès du préfet, à nouveau recommandée par le rapport Réduire le poids des normes en aval de leur production : interprétation facilitatrice et pouvoir de dérogation aux normes 21 ( * ) , signé de Jean-Marie Bockel et Mathieu Darnaud, en juin 2019, a ensuite fait l'objet d'un amendement au projet de loi engagement et proximité, déposé par Jean-Marie Bockel au nom de la délégation. Il a été adopté en commission des Lois, puis par le Sénat en séance publique le 22 octobre 2019.

Cette disposition a été supprimée par l'Assemblée nationale, mais au seul motif que : « Les dispositions relèvent davantage du projet de loi décentralisation, différenciation, déconcentration, dit "3D", qui devrait être présenté en Conseil des ministres à la fin du printemps 2021 et qui traitera en particulier des relations entre les collectivités territoriales et l'État » 22 ( * ) .

Les élus consultés favorables à plus de 90% à la proposition de création
d'une instance de dialogue auprès du préfet

Source : Consultation nationale des élus via la plateforme internet du Sénat, mars 2021

Toujours dans le domaine de la simplification des normes, la délégation a souhaité présenter aux élus la proposition visant à renforcer les pouvoirs du CNEN issue des 50 propositions du Sénat pour le plein exercice des libertés locales . Actuellement, conformément à l'article L. 1212-2 du code général des collectivités territoriales, lorsque le Conseil national émet un avis défavorable sur tout ou partie d'un projet de texte règlementaire, le Gouvernement est tenu de lui transmettre un projet modifié ou des informations complémentaires en vue d'une seconde délibération. Il est proposé d'en faire de même avec les projets de loi. Les élus interrogés souscrivent massivement à cette idée (79%), avec 9% de réponses négatives.

Les élus favorables au renforcement des pouvoirs du CNEN

Source : Consultation nationale des élus via la plateforme internet du Sénat, mars 2021

Il convient enfin de noter que certains élus, notamment dans les communes rurales, sont assez désabusés à l'égard des grandes annonces relatives à la simplification.

S'exprimant sur le projet de loi 4D, Michel Fournier, président de l'AMRF, faisait ainsi valoir devant la délégation : « S'agissant du quatrième D, la « décomplexification », je peux témoigner, pour être maire depuis plus de trente ans, qu'à chaque fois qu'on nous a annoncé qu'on allait simplifier, cela s'est traduit par davantage de complexité, avec création de véritables "usines à gaz" pour prouver le bien-fondé de la simplification recherchée. » 23 ( * ) .

C. MOINS DE DOUBLONS DE COMPÉTENCES

Comme de nombreux rapports l'ont déjà souligné, notamment celui de Yves Krattinger et Jacqueline Gourault 24 ( * ) en 2009, le mouvement de décentralisation a laissé perdurer des doublons de compétences conduisant à un enchevêtrement des responsabilités entre l'État et les collectivités territoriales, d'autant que les administrations centrales, nonobstant les évolutions législatives, ont souvent tenté de préserver leur pré carré 25 ( * ) .

Cet enchevêtrement de compétences est à l'origine de surcoûts pour les finances publiques et d'une dilution des responsabilités qui est préjudiciable à la perception de l'action publique par les citoyens. Ainsi, le CNEN relève dans son dernier rapport : « La répartition actuelle des compétences peut conduire à une dilution des responsabilités résultant de l'incertitude sur l'identité de la collectivité publique en charge d'une compétence ou d'un projet, les citoyens et les acteurs économiques ne sachant plus qui prend réellement les décisions. Une clarification des compétences entre l'État et les collectivités permettrait de fluidifier la mise en oeuvre des politiques publiques et de limiter les impacts techniques et financiers pour les administrations publiques » 26 ( * ) .

De fait, après la simplification des normes, la suppression des doublons est la deuxième priorité avancée par les élus municipaux et départementaux, et la première pour les élus régionaux . Elle est particulièrement importante pour les plus jeunes élus (de 25 à 34 ans).

La suppression des doublons de compétences parmi les priorités des élus

Ensemble

Catégorie d'élus locaux

Taille de commune pour les élus municipaux

Élus municipaux

Élus départementaux

Élus régionaux

Moins de 3 500 habitants

De 3 500
à 19 999 habitants

20 000 habitants
et plus

Supprimer des doublons entre l'État et les collectivités territoriales

24%

24%

19%

33%

25%

21%

29%

Source : Sondage CSA auprès des élus locaux pour la délégation aux collectivités territoriales, novembre 2020

Ensemble

Âge

Ancienneté dans la fonction exercée

25 à 34 ans

35 à 49 ans

Moins de 50 ans

50 ans et plus

50 à 64 ans

65 ans et plus

Moins d'un an

Entre 1 et 6 ans

Entre 7 et 12 ans

Plus de

12 ans

Supprimer des doublons entre l'État et les collectivités territoriales

24%

58%

18%

22%

25%

21%

29%

26%

20%

30%

19%

Source : Sondage CSA auprès des élus locaux pour la délégation aux collectivités territoriales, novembre 2020

Exemple d'enchevêtrement des compétences : la double tutelle des établissements d'hébergement des personnes âgées dépendantes (EHPAD), qui relèvent des ARS, dépendant elles-mêmes de l'État et du département, double tutelle dont plusieurs rapports ont montré les faiblesses à l'occasion de la crise sanitaire.

Parmi les 50 propositions du Sénat pour le plein exercice des libertés locales figure la recommandation visant à élargir les compétences du département en tant que responsable des solidarités sociales, médico-sociales et territoriales (proposition n° 23). Dans ce cadre, la délégation a interrogé les élus sur la pertinence d'un transfert du pilotage des EHPAD, ainsi que celui de la médecine scolaire, aux seuls départements. Ici encore, la réponse est très nette : 74% des élus y sont favorables et seulement 21% défavorables.

Transférer aux seuls départements le pilotage des EHPAD
et de la médecine scolaire

Source : Consultation nationale des élus via la plateforme internet du Sénat, mars 2021

Une part de l'enchevêtrement des compétences provient du fait que « le pouvoir général d'application des lois exercé par le Premier ministre conduit [...], en pratique, à sur-encadrer l'exercice par les collectivités de leur pouvoir normatif dans des domaines où, pourtant, la loi leur confie l'exercice d'une compétence. » 27 ( * ) , d'où la première des 50 propositions du Sénat pour le plein exercice des libertés locales , consistant à ne permettre l'intervention du pouvoir réglementaire national dans les domaines de compétence des collectivités territoriales que sur habilitation expresse du Parlement. Les élus y sont très favorables puisque cette proposition recueille 75% d'opinions positives .

Limiter l'intervention du pouvoir réglementaire national dans les domaines
de compétence des collectivités territoriales aux cas d'habilitation expresse
par le Parlement

Source : Consultation nationale des élus via la plateforme internet du Sénat, mars 2021

Il y a lieu de relever que cette proposition comprend deux branches :

- pour l'avenir, l'encadrement du pouvoir règlementaire national exige une modification de la Constitution. La proposition de loi constitutionnelle pour le plein exercice des libertés locales, présentée notamment par Philippe Bas et Jean-Marie Bockel et adoptée par le Sénat le 20 octobre 2020, propose ainsi, dans ses articles 2 et 3, de limiter les possibilités d'intervention du pouvoir réglementaire national dans les domaines de compétences des collectivités territoriales. Le Premier ministre ne pourrait intervenir que s'il y a été expressément habilité par le législateur ;

- pour le passé, il conviendrait de passer en revue les législations sectorielles relatives aux compétences locales pour supprimer certains renvois à un décret et mieux encadrer l'exercice du pouvoir réglementaire national.

D. ASSOUPLIR LA RÉPARTITION DES COMPÉTENCES ENTRE LES DIFFÉRENTS NIVEAUX DE COLLECTIVITÉS

Les 50 propositions du Sénat pour le plein exercice des libertés locales ont suggéré de permettre l'adaptation de la répartition des compétences au sein du bloc communal en fonction des réalités locales (proposition n° 21).

De fait, le Sénat s'est préoccupé depuis plusieurs années de cette question de la territorialisation de l'action publique au sein des intercommunalités. Ainsi la commission des Lois avait-elle pu, en 2016, examiner une proposition de loi permettant un exercice territorialisé de compétences au sein des établissements publics de coopération intercommunale à fiscalité propre de cinquante communes au moins 28 ( * ) .

Il s'agissait notamment de faire face à la constitution de très grandes intercommunalités rurales. De même, dans leur deuxième rapport d'étape 29 ( * ) , les rapporteurs de la mission de contrôle et d'information de la commission des Lois sur la mise en oeuvre des dernières lois de réforme territoriale, Mathieu Darnaud, René Vandierendonck, Pierre-Yves Collombat et Michel Mercier, avaient établi un diagnostic comparable, recommandant une réflexion sur la mise en oeuvre des compétences dans le cadre des nouveaux périmètres intercommunaux : « a diversité et la superficie de leur circonscription d'exercice, mêlant agglomérations et communes rurales, appellent des modes de gestion différenciés. C'est une des conditions du maintien du niveau de service aux administrés, d'un développement équilibré du territoire intercommunal ... ».

La répartition actuelle est en effet très rigide en ce qu'elle ne permet pas la prise en compte des nécessités du terrain, des spécificités des intercommunalités et des communes membres. C'est vrai dans les intercommunalités rurales, comme le notait Michel Fournier, président de l'AMRF : « En matière de différenciation, nous attendons qu'un regard spécifique soit porté sur certains territoires ruraux et certaines collectivités de petite taille, par exemple dans le domaine de l'habitat. Or le projet de loi 4D fait la part belle à l'intercommunalité. On a l'impression, et nous ne l'avons pas caché à Jacqueline Gourault, que tout doit passer par l'intercommunalité. Il est inconcevable d'en faire un passage obligé, voire un censeur. En tant que communes rurales, nous souhaitons une différenciation entre les actions de cadre intercommunal et les actions de cadre communal. Il faut laisser aux communes la possibilité d'initier des politiques de développement autonomes . » 30 ( * ) .

C'est aussi vrai dans les intercommunalités urbaines, notamment dans les métropoles. Comme le rappelait Patrick Le Lidec 31 ( * ) , lors du colloque sur l'adaptation locale de l'organisation territoriale organisé par la délégation en mars 2018 : il ne faut pas confondre territorialisation des compétences avec certaines modalités de territorialisation que l'on pourrait appeler d' exécution , de représentation ou de consultation :

- dans le premier cas, la territorialisation d'exécution , seuls des services sont territorialisés sans que cela ne change le contenu et la mise en oeuvre de la politique publique concernée ;

- dans le deuxième cas, la territorialisation de représentation , des élus sont chargés, au sein d'un ensemble, de représenter ce dernier sur certaines portions de son territoire ;

- la troisième modalité, la territorialisation de consultation , consiste à permettre la consultation des instances politiques territorialisées (par exemple les maires) sur certaines politiques publiques.

Le point commun de ces formes de territorialisation et leur différence de fond avec la territorialisation des compétences est que le pouvoir de décision et d'adaptation de la politique publique demeure centralisé.

Déjà, dans le sondage CSA commandé par la délégation, les élus locaux plaçaient l'assouplissement de la répartition des compétences entre les différents niveaux de collectivités sur le podium des priorités, avec la simplification des normes et la suppression des doublons entre l'État et les collectivités. La réponse était particulièrement nette pour les élus municipaux (14% des réponses données en premier et 44% en deuxième) et départementaux (21% des réponses données en premier, 41% en deuxième).

La consultation nationale confirme leurs attentes en la matière, puisque 94% des élus sont favorables à une adaptation de la répartition des compétences entre communes et intercommunalités en fonction des réalités locales, seuls 6% y étant défavorables.

Seriez-vous favorable à ce que les élus locaux puissent adapter la répartition
des compétences communes-intercommunalités en fonction des réalités locales ?

Source : Consultation nationale des élus via la plateforme internet du Sénat, mars 2021

E. DIFFÉRENCIER LES MODALITÉS D'APPLICATION DES TEXTES EN FONCTION DES TERRITOIRES

Depuis plusieurs années, la délégation, comme d'autres instances du Sénat, plaide pour une certaine capacité de différenciation entre les territoires. Derrière ce terme, se présente simplement une faculté qui devrait être évidente : celle d'adapter le droit à la diversité des territoires, bien exprimée par Michel Fournier, président de l'AMRF : « En matière de différenciation, nous attendons qu'un regard spécifique soit porté sur certains territoires ruraux et certaines collectivités de petite taille, par exemple dans le domaine de l'habitat » 32 ( * ) .

Ce regard spécifique doit pouvoir être porté sur tous les territoires, de telle sorte que leurs caractéristiques puissent être prises en compte.

Caroline Cayeux, présidente de Villes de France, ainsi pu affirmer avec force : « Nous appelons à une véritable différenciation territoriale, car toutes les collectivités n'ont pas les mêmes besoins et n'avancent pas toutes à la même vitesse. Cela se constate en matière de politique de logement, où la carte des grands zonages nationaux mérite d'être revue à l'aune de chaque situation locale, comme c'est le cas dans le cadre de l'expérimentation du Pinel breton, qui commence à faire ses preuves et mériterait d'être généralisé. » 33 ( * )

Nous n'ignorons pas que la notion même de « différenciation » inquiète, dans un pays pétri d'égalitarisme et qui s'interroge sur son identité et sa cohésion. Pourtant, cette différenciation ne saurait être le droit de faire n'importe quoi n'importe où, et n'a rien à voir avec un démantèlement de l'unité de la Nation.

La délégation peut ainsi faire siens les propos de Christophe Bouillon, président de l'APVF : « Je vous rejoins pour souhaiter une différenciation encadrée, car nous sommes attachés comme à la prunelle de nos yeux à une République une et indivisible. Nous plaidons sur ce sujet pour une expérimentation renforcée, car les règles qui s'y attachent empêchent actuellement qu'elle soit bien vécue . » 34 ( * )

La délégation a souhaité vérifier l'attachement des élus à cette souplesse d'organisation et d'action. À l'occasion du sondage CSA, les deux questions suivantes ont ainsi été posées aux élus :

1) Seriez-vous favorable à ce que l'État puisse confier des compétences différentes à des collectivités territoriales de même catégorie dans le cadre d'une expérimentation ? Exemple : la loi pourrait confier à un département l'ensemble de la gestion du réseau routier, qu'il soit national ou départemental, ou à une région la gestion des lycées et collèges, ou encore la compétence de l'enseignement supérieur ;

2) Seriez-vous favorable à ce que les lois nationales puissent être adaptées aux spécificités des territoires ? Exemple 1 : les départements pourraient décider de modifier les limitations de vitesse sur l'ensemble du réseau routier de leur territoire. Exemple 2 : les régions pourraient conduire une politique universitaire, notamment en fixant les droits d'inscription à l'université sur leur territoire.

À la première question, sur l'attribution de compétences différentes pour des collectivités territoriales de même catégorie , il a été répondu très favorablement puisqu'on dénombre 74% de réponses positives . Parmi les élus municipaux, ce sont ceux des communes moyennes et grandes qui y sont le plus attachés. Par ailleurs, l'approbation des élus augmente avec leur jeunesse et leur nouveauté dans leurs fonctions.

Des compétences différentes pour des collectivités territoriales de même catégorie

Source : Sondage CSA auprès des élus locaux pour la délégation aux collectivités territoriales, novembre 2020

Des compétences différentes pour des collectivités territoriales de même catégorie

Élus municipaux

Élus départementaux

Élus régionaux

Total Élus municipaux

Élus municipaux (communes de moins
de 3 500 habitants)

Élus municipaux (communes de 3 500 à
19 999 habitants)

Élus municipaux (communes de 20 000 habitants
et plus)

Total Favorable

74%

81%

83%

74%

73%

86%

78%

Tout à fait favorable

24%

33%

43%

24%

22%

41%

31%

Plutôt favorable

50%

48%

40%

50%

51%

45%

47%

Total Pas favorable

25%

19%

17%

25%

26%

14%

19%

Pas vraiment favorable

17%

13%

5%

17%

17%

11%

14%

Pas du tout favorable

8%

6%

12%

8%

9%

3%

5%

Sans opinion

1%

-

-

1%

1%

< 1%

3%

Source : Sondage CSA auprès des élus locaux pour la délégation aux collectivités territoriales, novembre 2020

Des compétences différentes pour des collectivités territoriales de même catégorie

Âge

Ancienneté dans
la fonction exercée

25 à 34 ans*

35 à 49 ans

Moins de 50 ans

50 ans et plus

50 à
64 ans

65 ans et plus

Moins d'un an

Entre 1 et 6 ans

Entre 7 et 12 ans

Plus de 12 ans

Total Favorable

99%

86%

87%

72%

71%

73%

78%

73%

68%

71%

Tout à fait favorable

14%

34%

32%

23%

20%

26%

22%

22%

30%

28%

Plutôt favorable

85%

51%

55%

49%

51%

47%

56%

51%

37%

44%

Total Pas favorable

1%

12%

11%

27%

29%

26%

22%

26%

32%

26%

Pas vraiment favorable

1%

8%

7%

18%

20%

16%

13%

20%

22%

19%

Pas du tout favorable

1%

4%

3%

9%

9%

9%

9%

7%

10%

7%

Sans opinion

-

3%

2%

1%

< 1%

1%

1%

< 1%

-

3%

Source : Sondage CSA auprès des élus locaux pour la délégation aux collectivités territoriales, novembre 2020

S'agissant de la seconde question, sur l'adaptation des lois nationales aux spécificités des territoires, l'approbation est là aussi largement majoritaire, avec 77% de réponses positives . Les élus départementaux y sont particulièrement favorables, à 88%, et, parmi les élus municipaux, ceux des communes petites et moyennes (77 et 79%). On observe que les plus nombreux à approuver la proposition sont les plus de 35 ans ainsi que les élus nouveaux (moins d'un an d'exercice : 80%) ou anciens (plus de 12 ans d'exercice : 80%).

Adapter les lois nationales aux spécificités des territoires

Source : Sondage CSA auprès des élus locaux pour la délégation aux collectivités territoriales, novembre 2020

Source : Sondage CSA auprès des élus locaux pour la délégation aux collectivités territoriales, novembre 2020

Adapter les lois nationales aux spécificités des territoires

Élus municipaux

Élus départementaux

Élus régionaux

Élus municipaux (communes de moins de 3 500 habitants)

Élus municipaux (communes de 3 500
à 19 999 habitants)

Élus municipaux (communes de 20 000 habitants
et plus)

Total Favorable

77%

88%

69%

77%

79%

66%

Tout à fait favorable

42%

44%

36%

43%

42%

37%

Plutôt favorable

34%

44%

33%

34%

38%

30%

Total Pas favorable

23%

12%

29%

23%

20%

34%

Pas vraiment favorable

12%

8%

10%

12%

11%

22%

Pas du tout favorable

11%

4%

19%

12%

9%

11%

Sans opinion

< 1%

-

2%

-

< 1%

-

Source : Sondage CSA auprès des élus locaux pour la délégation aux collectivités territoriales, novembre 2020

Adapter les lois nationales aux spécificités des territoires

Âge

Ancienneté dans
la fonction exercée

25 à 34 ans

35 à 49 ans

Moins de 50 ans

50 ans et plus

50 à
64 ans

65 ans et plus

Moins d'un an

Entre 1 et
6 ans

Entre 7 et
12 ans

Plus de 12 ans

Total Favorable

57%

79%

76%

77%

77%

77%

80%

71%

70%

80%

Tout à fait favorable

25%

41%

39%

43%

42%

45%

45%

43%

35%

43%

Plutôt favorable

33%

38%

37%

34%

35%

33%

35%

29%

35%

37%

Total Pas favorable

43%

21%

24%

23%

23%

23%

20%

29%

29%

20%

Pas vraiment favorable

5%

10%

9%

12%

13%

11%

8%

13%

16%

17%

Pas du tout favorable

38%

12%

14%

11%

11%

11%

12%

16%

13%

3%

Sans opinion

-

-

-

< 1%

< 1%

< 1%

-

< 1%

< 1%

-

Source : Sondage CSA auprès des élus locaux pour la délégation aux collectivités territoriales, novembre 2020

Les mêmes questions ont été posées dans le cadre de la consultation nationale des élus locaux de mars 2021. Les réponses convergent puisque l'attribution de compétences différentes pour des collectivités territoriales de même catégorie recueille 70% d'avis favorables et l'adaptation des lois nationales aux spécificités des territoires 72%.

Attribution de compétences différentes pour des collectivités de même catégorie

Source : Consultation nationale des élus via la plateforme internet du Sénat, mars 2021

Adaptation des lois nationales aux spécificités des territoires

Source : Consultation nationale des élus via la plateforme internet du Sénat, mars 2021

F. RENFORCER LA PRÉSENCE DE L'ÉTAT AUPRÈS DES COLLECTIVITÉS TERRITORIALES ET PLUS DE DÉCONCENTRATION

Le sondage CSA montre clairement une volonté de déconcentration puisque 79% des élus interrogés sont favorables au transfert de compétences de l'État central vers l'État territorial.

Source : sondage CSA auprès des élus locaux pour la délégation aux collectivités territoriales, novembre 2020

Au sein de l'État territorial, les préfectures de départements sont plébiscitées (55%), loin devant les sous-préfectures (31%) et les préfectures de régions (12%).

La préfecture de département est particulièrement appréciée par les jeunes et les récents élus, ce qui peut illustrer le récent retour de cet échelon au coeur de la politique de l'État. On notera, sans surprise, que la préfecture de région n'est un échelon pertinent de dialogue que pour les élus régionaux.

Au niveau départemental, si les sous-préfectures restent dans le champ d'un nombre non négligeable d'élus municipaux (31%) et départementaux (23%), elles touchent moins les jeunes et les récents élus. Quant aux directions départementales interministérielles, elles ne sont clairement pas perçues comme des échelons de dialogue/décision.

Source : Sondage CSA auprès des élus locaux pour la délégation aux collectivités territoriales, novembre 2020

Quel échelon privilégier pour les services déconcentrés de l'État ?

Catégorie d'élus locaux

Élus municipaux

Élus départementaux

Élus régionaux

Élus municipaux (communes de moins
de 3 500 habitants)

Élus municipaux (communes de 3 500
à 19 999 habitants)

Élus municipaux (communes de 20 000 habitants
et plus)

La préfecture de département

55%

62%

33%

56%

51%

56%

Les sous-préfectures d'arrondissement

31%

23%

12%

32%

28%

18%

La préfecture de région

12%

12%

45%

11%

18%

13%

Les directions départementales interministérielles

1%

-

5%

1%

2%

10%

Sans opinion

1%

4%

5%

1%

1%

3%

Source : sondage CSA auprès des élus locaux pour la délégation aux collectivités territoriales, novembre 2020

Quel échelon privilégier pour les services déconcentrés de l'État ?

Âge

Ancienneté dans la fonction exercée

25 à
34 ans

35 à
49 ans

Moins de 50 ans

50 ans et plus

50 à
64 ans

65 ans et plus

Moins d'un an

Entre 1 et 6 ans

Entre
7 et
12 ans

Plus de 12 ans

La préfecture
de département

65%

53%

54%

56%

57%

54%

60%

52%

54%

47%

Les sous-préfectures d'arrondissement

26%

31%

31%

31%

30%

33%

27%

38%

29%

36%

La préfecture
de région

6%

14%

13%

12%

11%

12%

11%

8%

14%

16%

Les directions départementales interministérielles

2%

1%

1%

1%

1%

< 1%

1%

1%

< 1%

-

Sans opinion

1%

1%

1%

1%

1%

1%

1%

< 1%

3%

-

Source : sondage CSA auprès des élus locaux pour la délégation aux collectivités territoriales, novembre 2020

Ces résultats rejoignent les positions des associations d'élus. Entendue par la délégation, Caroline Cayeux, présidente de Villes de France, notait à ce propos : « En matière de déconcentration, nous croyons beaucoup au couple maire-préfet, car il s'agit d'un circuit court, opérationnel et décisionnel, étant entendu que c'est au plus près du terrain que les meilleures décisions sont prises, à l'écoute de nos concitoyens. C'est aussi un moyen de lutter contre une bureaucratie qui devient de plus en plus pesante. » 35 ( * ) . Christophe Bouillon, président de l'APVF, affirmait quant à lui : « Si la décentralisation ne s'accompagne pas d'une déconcentration, l'exercice sera vain. Dans le domaine sanitaire, on constate, comme vous l'avez dit, Madame la présidente, une verticalité qui donne le vertige, alors que l'horizontalité pourrait donner de l'oxygène. » 36 ( * ) .

Les présidents des grandes associations nationales, AMF, ADF, Régions de France, s'exprimant devant la délégation, sont unanimes sur ce point : « Je crois qu'il faut remettre les préfets au centre du dispositif et se rapprocher des territoires . » 37 ( * ) (Renaud Muselier, président de Régions de France), « Les choses s'améliorent cependant, les relations avec les préfets sont beaucoup plus fluides [...], c'est avec les préfets que nous avons l'habitude de travailler. Ce sont eux qui représentent le ministère de l'Intérieur en cas de crise et ils sont les professionnels de cette gestion de crise » 38 ( * ) (François Baroin, président de l'AMF).

Pour approfondir le sujet, la question a été posée, dans le cadre de la consultation nationale des élus via la plateforme internet du Sénat, de savoir si les élus souhaitaient que le préfet de département soit la seule autorité de décision, pour l'État, dans le département, y compris sur les agences (ADEME, ANAH...).

Cette proposition, qui s'inscrit dans le cadre des 50 propositions du Sénat 39 ( * ) , a trouvé une résonance forte avec la crise sanitaire. En effet, de nombreux élus ont eu, à cette occasion, besoin d'informations et de consignes claires. C'est généralement vers la préfecture de département qu'ils ont pu se tourner.

Entendue par la délégation lors du premier confinement, Brigitte Klinkert, présidente du conseil départemental du Haut-Rhin s'est fait l'écho de cette situation : « Il me semble indispensable que le préfet de département soit le pilote de l'ensemble des services déconcentrés de l'État sur le territoire, avec a minima une task force à sa disposition, à laquelle les élus locaux seraient associés. Le nouveau périmètre issu de la création des grandes régions ne devait pas entraîner d'alignement systématique des services de l'État ; or nous avons assisté à une harmonisation concernant le rectorat et l'administration sanitaire. Lorsque des patients de réanimation ont été transférés de Mulhouse ou de Colmar vers d'autres régions françaises ou d'autres pays, les décisions ont été prises à l'échelle zonale - et donc à Nancy. Cela a posé de terribles problèmes. Je plaide pour une organisation au niveau local, car le système actuel est inopérant. » 40 ( * ) .

En outre, le Gouvernement a commencé à réorienter les services de l'État en ce sens, comme l'expliquait devant la délégation le ministre de l'Intérieur, Christophe Castaner : « Les derniers mois ont montré au grand jour la complémentarité de nos actions et la pertinence du couple préfet-maire pour répondre au plus près du terrain à la situation d'urgence, étant rappelé qu'aux termes de l'article 72 de notre Constitution, le préfet représente l'État et les membres du Gouvernement auprès des collectivités territoriales de la République. C'est le premier enseignement que nous pouvons tirer de la gestion de la crise et, dès la première rencontre avec les associations d'élus, la principale revendication portée par leurs représentants a été de conforter ce couple préfet-maire [...] , pour beaucoup de politiques, il fallait remettre l'église au coeur du département, si vous me permettez cette expression, et donc renforcer le rôle du préfet de département. Nous avons ainsi revu l'équilibre entre préfet de région et préfet de département, et renforcé le rôle du préfet en tant que coordonnateur en matière d'interministérialité, afin qu'il puisse répondre à toutes les demandes des élus. » 41 ( * )

En tout état de cause, les élus consultés plébiscitent le renforcement de l'autorité du préfet de département sur l'ensemble des services de l'État dans le département, puisqu'il recueille 69% de réponses favorables.

Renforcer l'autorité du préfet de département sur l'ensemble des services de l'État

Source : Consultation nationale des élus via la plateforme internet du Sénat, mars 2021

III. QUELS TRANSFERTS DE COMPÉTENCES AUX COLLECTIVITÉS TERRITORIALES ?

La délégation a d'abord souhaité connaître le cadre dans lequel les élus locaux pouvaient envisager de nouveaux transferts de compétences. L'expérience montre en effet que l'essentiel n'est pas la possibilité de transferts, mais leurs modalités, de telle sorte que l'action publique, telle que perçue par les citoyens, en sorte renforcée.

A. PRINCIPES : CAPACITÉ DE DÉCISION, SUBSIDIARITÉ, FINANCEMENT

• Des transferts de compétences qui soient accompagnés du transfert du pouvoir de décision

Le sondage commandé par la délégation a d'abord mis en lumière une volonté claire de la part des élus d'en finir avec une fausse décentralisation caractérisée par des transferts de gestion aux collectivités territoriales qui ne seraient pas accompagnés d'un transfert du pouvoir de décision sur la conception de la politique publique correspondante, comme le montrent les graphiques suivants.

Ainsi, les élus sont très favorables, à plus de 83%, à de véritables transferts de la capacité de décision .

Seriez-vous favorable à des transferts de capacités de décision aux collectivités ? La collectivité décide du contenu de la politique publique et la met en oeuvre, dans des domaines comme l'urbanisme ou l'environnement par exemple ?

Source : Sondage CSA auprès des élus locaux pour la délégation aux collectivités territoriales, novembre 2020

Source : Sondage CSA auprès des élus locaux pour la délégation aux collectivités territoriales, novembre 2020

Les élus sont beaucoup plus mitigés à l'égard de simples transferts de gestion sans pouvoir de décision, puisque 49% s'y opposent .

Seriez-vous favorable à des transferts de gestion aux collectivités ? La collectivité gère la mise en oeuvre de la politique publique sur laquelle elle n'a pas de pouvoir de décision, exemple du RSA qui est géré par les départements ?

Source : Sondage CSA auprès des élus locaux pour la délégation aux collectivités territoriales, novembre 2020

• Une approbation claire du principe de subsidiarité

La délégation a souhaité interroger les élus locaux sur leur perception du principe de subsidiarité.

Il n'entre pas dans l'objet de ce rapport d'examiner dans les détails ce principe, qui a déjà fait l'objet d'analyses très approfondies 42 ( * ) et qui est l'un des axes forts des 50 propositions du Sénat pour le plein exercice des libertés locales . Précisons simplement qu'il consiste à confier une compétence à l'échelon territorial jugé le plus efficace pour cette compétence. En d'autres termes, si la commune est la plus efficace, c'est à elle que doit revenir la compétence qui, de ce fait, ne remonte ni au département, ni à la région, ni à l'État.

Perception du principe de « subsidiarité » par les élus locaux

Source : Sondage CSA auprès des élus locaux pour la délégation aux collectivités territoriales, novembre 2020

Source : Sondage CSA auprès des élus locaux pour la délégation aux collectivités territoriales, novembre 2020

• La question du financement

Nous avons vu plus haut qu'une très large majorité d'élus estimaient insuffisante l'autonomie financière des collectivités territoriales. D'éventuels transferts de compétences rendent ce sujet encore plus sensible. Comment les financer ? Pour une majorité d'élus interrogés, il convient plutôt de transférer aux collectivités des ressources fiscales nationales. La création de nouvelles dotations budgétaires arrive au deuxième rang, tandis que la création de nouveaux impôts locaux dont les collectivités voteraient les taux ne recueille que 5% d'avis positifs.

Quelles pistes pour de financer de nouveaux transferts de compétences ?

Source : Sondage CSA auprès des élus locaux pour la délégation aux collectivités territoriales, novembre 2020

B. QUELLES COMPÉTENCES TRANSFÉRER ?

Interrogés, les élus locaux plaident prioritairement pour un transfert de compétences en matière d'environnement, de logement, d'offre de soins, d'action sociale et médico-sociale et de sécurité.

Source : Sondage CSA auprès des élus locaux pour la délégation aux collectivités territoriales, novembre 2020

Les priorités des élus en matière de transferts de compétences
(total des réponses données)

Source : Sondage CSA auprès des élus locaux pour la délégation aux collectivités territoriales, novembre 2020

L'ordre des priorités varie légèrement si l'on s'intéresse aux réponses données en premier. Dans ce cas, les élus municipaux sont surtout intéressés par les transferts en matière de soins. Suivent l'environnement, le logement, l'action sociale et médico-sociale et la sécurité.

Autres éléments de variation : les élus départementaux et régionaux montrent une préférence marquée pour des transferts liés aux attributions pour lesquelles leur institution est déjà titulaire de nombreuses compétences, directes ou indirectes, respectivement : l'action sociale et médico-sociale (personnes âgées, handicap, santé scolaire...) et l'accompagnement et l'insertion des demandeurs d'emploi. Les élus municipaux des communes de moins de 3 500 habitants sont particulièrement sensibles aux compétences en matière de soins, ceux des communes moyennes le sont davantage en matière de logement, enfin ceux des communes de plus de 20 000 habitants privilégient l'offre de soins et la sécurité.

Les priorités des élus en matière de transferts (réponse donnée en premier)

Ensemble

Catégorie d'élus locaux

Taille de commune pour les élus municipaux

Élus municipaux

Élus départementaux

Élus régionaux

Total Élus municipaux

Moins
de 3 500 habitants

De 3 500
à 19 999 habitants

20 000
habitants
et plus

L'offre de soins

21%

21%

17%

24%

21%

22%

12%

20%

L'environnement

18%

18%

12%

14%

18%

19%

18%

14%

Les politiques de logement

15%

15%

8%

7%

15%

14%

26%

17%

La sécurité

15%

15%

6%

2%

15%

15%

16%

18%

L'action sociale et médico-sociale (personnes âgées, handicap, santé scolaire...)

14%

13%

42%

19%

13%

14%

9%

11%

L'accompagnement
et l'insertion des demandeurs d'emploi

9%

9%

10%

26%

9%

9%

15%

14%

L'enseignement supérieur

2%

2%

2%

2%

2%

1%

2%

5%

Autre domaine

1%

1%

2%

5%

1%

1%

-

-

Aucun

2%

2%

2%

-

2%

2%

3%

-

Sans opinion

2%

2%

-

-

2%

3%

-

-

Source : Sondage CSA auprès des élus locaux pour la délégation aux collectivités territoriales, novembre 2020

Les priorités des élus en matière de transferts (réponse donnée en premier)

Ensemble

Âge

Ancienneté dans la fonction exercée

25 à 34 ans

35 à 49 ans

Moins de
50 ans

50 ans et plus

50
à 64 ans

65 ans et plus

Moins d'un an

Entre 1 et
6 ans

Entre 7
et 12 ans

Plus de
12 ans

L'offre de soins

21%

5%

27%

25%

20%

20%

20%

19%

26%

22%

21%

L'environnement

18%

34%

22%

23%

18%

17%

18%

21%

17%

10%

18%

Les politiques de logement

15%

5%

25%

23%

14%

12%

16%

19%

10%

12%

12%

La sécurité

15%

11%

14%

13%

16%

15%

17%

15%

21%

11%

16%

L'action sociale et médico-sociale (personnes âgées, handicap, santé scolaire...)

14%

24%

5%

6%

15%

16%

14%

15%

11%

15%

12%

L'accompagnement et l'insertion des demandeurs d'emploi

9%

22%

7%

9%

9%

11%

7%

6%

7%

22%

9%

L'enseignement supérieur

2%

-

1%

1%

2%

2%

2%

1%

2%

3%

< 1%

Autre domaine

1%

-

-

-

1%

< 1%

3%

-

2%

-

4%

Aucun

2%

-

-

-

3%

4%

1%

3%

< 1%

1%

3%

Sans opinion

2%

-

-

-

3%

3%

2%

1%

3%

4%

4%

Source : Sondage CSA auprès des élus locaux pour la délégation aux collectivités territoriales, novembre 2020

S'agissant de la santé et de l'action sociale et médico-sociale, la délégation a interrogé les élus via la plateforme internet du Sénat pour connaitre leur point de vue sur deux propositions fortes du Sénat :

- confier à un élu la présidence du conseil de surveillance des ARS et rééquilibrer la composition de cette instance en faveur des représentants des territoires 43 ( * ) ;

- confier le pilotage des EHPAD et de la médecine scolaire aux seuls départements 44 ( * ) .

Ces deux propositions ont recueilli un large accord, 86% des élus approuvant la première proposition et 74% la seconde .

Confier à un élu la présidence du conseil de surveillance des ARS et rééquilibrer la composition de cette instance en faveur des représentants des territoires

Source : Consultation nationale des élus via la plateforme internet du Sénat, mars 2021

Confier le pilotage des EHPAD et de la médecine scolaire aux seuls départements

Source : Consultation nationale des élus via la plateforme internet du Sénat, mars 2021

EXAMEN EN DÉLÉGATION (JEUDI 6 MAI 2021)

Mme Françoise Gatel, présidente . - Je suis très heureuse de présenter les résultats de la consultation nationale en avant-première à la délégation. Par ailleurs, mercredi prochain, sera examiné au Conseil des ministres le texte « 4D », qui devrait être soumis au Sénat le 5 juillet 2021.

La crise sanitaire a mis en évidence l'enjeu d'un échelon local solide et réactif par rapport à un État dont nul ne peut contester l'importance et le caractère essentiel, mais parfois un peu pataud et ankylosé. Le bloc local doit être performant pour que l'action publique soit efficace.

Je vous rappelle que le Président Larcher avait constitué un groupe de travail avec l'ensemble des groupes politiques du Sénat pour répondre à la demande du président de la République. Il s'agissait de réfléchir à l'action publique dans l'après-Covid. Il en est résulté cinquante propositions qui ont été présentées le 2 juillet 2020. En préambule à nos travaux, il nous a semblé important de lancer un sondage, réalisé par l'institut CSA, et une consultation nationale, via la plateforme internet du Sénat. Les attentes des élus se rangent selon six priorités.

1) Aller plus loin dans la décentralisation, sans big bang territorial

Nous devrons nous montrer vigilants, car nous risquons d'être accusés de provoquer un big bang territorial et de susciter la lassitude des élus. Au Sénat, nous n'aurons pas la prétention d'inventer un modèle unique, mais une évolution est nécessaire. Entre 64 et 70% des élus veulent faire évoluer l'organisation territoriale et même aller plus loin dans la décentralisation.

2) Adapter les politiques publiques aux réalités territoriales, pour une meilleure articulation des compétences entre communes et intercommunalités et une différenciation territoriale

Pour certains, la différenciation est synonyme d'inégalité et de compétition injuste. Nous devons donc convaincre qu'il ne s'agit pas d'opérer une révolution, mais de s'inspirer de la différenciation déjà à l'oeuvre pour les territoires d'outre-mer (TOM) et les communes de montagne.

Au vu des chiffres, nos propositions ne peuvent être ni contestées ni accusées d'être hors sol : 70% des élus souhaitent aller plus loin dans la décentralisation et 94% sont favorables à l'adaptation de la répartition des compétences entre communes et intercommunalités.

Nous avons souvent débattu d'engagement et de proximité, nous avons voté la territorialisation des compétences. Le gouvernement ne l'accepte pas, l'Assemblée non plus.

La métropole, qui peut sembler constituer un concept unique et uniforme, recouvre des expressions différentes : la métropole d'Orléans ne peut pas être comparée à celle de Lyon, par exemple. Nous devons mettre en oeuvre des répartitions différenciées de compétences entre les communes et les intercommunalités.

L'État peut confier à titre expérimental des compétences différentes à des collectivités de même catégorie. Il ne s'agit pas d'une rupture d'égalité. D'ailleurs, 70% des élus sont favorables à l'attribution de compétences différentes à des collectivités de même catégorie, sur la base du volontariat.

Nous avons voté, dans le cadre du projet de loi dit « Sécurité Globale », des facultés d'extension des compétences des polices municipales. C'est la loi qui en délimite le cadre, sur la base du volontariat. Ce point est très important et renvoie à la responsabilité des élus et à la confiance, avec un seul objectif : l'efficacité de l'action publique.

Nous pourrons vous fournir les éléments d'information par catégorie de collectivités et par taille. En termes de différenciation, les conseils régionaux ou les conseils départementaux font preuve d'une aspiration plus forte.

3) Le principe de subsidiarité

L'objectif d'efficacité de l'action publique et de construction de l'organisation territoriale et nationale doit être poursuivi à partir du principe de subsidiarité. L'adhésion est extrêmement large sur ce principe.

Les compétences s'exercent différemment selon les catégories de collectivités. Par exemple, la compétence « voirie » dans les métropoles est obligatoire, ce qui relève du bon sens car la métropole exerce aussi la compétence « mobilité ». Dès lors qu'il s'agit de transport, la voirie doit être maîtrisée. Mais dans les métropoles, des communes, parfois plus petites et éloignées, ont une partie de voirie ne relevant pas de cet intérêt métropolitain supérieur. Par exemple, il peut arriver qu'une commune comprenne une rue constituant une impasse avec des maisons d'habitation. Les riverains sont les seuls à passer, avec parfois le camion d'ordures ménagères. Quand un incident de voirie se produit, l'efficacité de l'action publique ne vient pas de la métropole. L'efficacité vient de la proximité. Ce principe de subsidiarité constitue le fil qui devrait, pour les élus, dessiner l'organisation de l'action publique.

4) Simplifier les normes applicables aux collectives territoriales

Les normes sont une obsession, dans la mesure où leur simplification doit être réfléchie en fonction du besoin de sécurité juridique et où cette simplification nécessaire sert l'action publique. Les élus locaux sont 70% à estimer que la simplification des normes est prioritaire.

Un autre chiffre intéressant porte sur les doublons entre l'État et les collectivités territoriales. C'est un vrai sujet de réflexion alors que la frugalité budgétaire devra être de mise. Nous devons optimiser les organisations. L'assouplissement des compétences entre les différents niveaux de collectivité fait ressortir les scores d'adhésion prioritaires suivants :

- différencier les modalités d'application des textes en fonction des territoires : 30% ;

- renforcer la présence de l'État auprès des collectivités territoriales : 29% ;

- créer de nouveaux transferts de compétences de l'État vers les collectivités territoriales : l'attente est très mesurée, car elle est de 19%. Cette affirmation est plus marquée de la part des élus régionaux que des élus départementaux.

Or, le coeur du projet « 4D » semble moins la décentralisation, la différenciation, ou la « décomplexification » que la déconcentration.

5) Donner plus de pouvoirs aux collectivités, notamment en matière de santé

La crise sanitaire a montré la difficulté de fonctionnement des agences régionales de santé (ARS) qui, indépendamment de la qualité des personnes, avaient vocation à répondre à tout autre chose qu'à la résolution d'une crise. Dans les cinquante propositions formulées par le Sénat, certaines concernaient la gouvernance des ARS. Si la santé est une compétence régalienne, l'organisation jusqu'au dernier kilomètre et la nécessité de garantir l'égalité du droit d'accès aux soins suppose une révision de l'organisation des ARS, qui sont des agences autonomes ne rendant pas compte au préfet mais au ministre.

La proposition de confier la présidence du conseil de surveillance de l'ARS à un élu local, avec une co-présidence possible entre le préfet et le président de la région, rééquilibrerait la relation en faveur des représentants des territoires. Le taux d'adhésion à cette idée est fort. Nous aurons l'occasion d'en reparler, car le projet « 4D » prévoit simplement un conseil de surveillance, alors que nous sommes prêts à un conseil d'administration.

Enfin, à l'occasion de la crise sanitaire, nous avons mis en évidence la difficulté engendrée par la double tutelle des ARS et des départements sur les EHPAD. Nous souhaitons donc que le pilotage des EHPAD soit confié aux seuls départements pour une meilleure visibilité et une identification de l'autorité.

Il en va de même pour la médecine scolaire. Pourquoi propose-t-on que la médecine scolaire soit rattachée aux départements ? Le coeur de compétences des départements justifie ce choix. Ceux-ci ont dans leurs missions essentielles la compétence sociale, la prévention et la petite enfance. Nous savons qu'en matière de prévention et de détection de difficultés sanitaires, physiques, psychologiques, personnelles ou familiales, il est nécessaire de pouvoir repérer les enfants que les familles ne conduisent pas chez le médecin. La médecine scolaire est en lien avec la prise en charge sociale de l'enfant. L'efficacité de l'action publique en matière de prévention et de petite enfance doit être articulée autour des départements. Nous reprendrons vraisemblablement cette proposition dans le projet « 4D ».

Mme Catherine Di Folco . - La médecine professionnelle scolaire constitue une autre difficulté de la médecine en milieu scolaire. En effet, aucune visite médicale n'est organisée pour le personnel de l'Éducation nationale. Ce problème n'a jamais été résolu. Mon mari, directeur d'école, n'a passé que deux radios pulmonaires durant toute sa carrière. La médecine professionnelle n'existe pas dans le milieu scolaire.

M. Laurent Burgoa . -Nous ne parlons plus ici de médecine scolaire, mais de médecine du travail. Effectivement, la médecine du travail est absente des établissements scolaires. Cependant, une loi se prépare sur la médecine du travail.

Mme Michelle Gréaume . - Les élus locaux plaident pour des transferts de compétence en matière d'environnement et de logement, notamment. Mais les transferts ne sont pas suffisamment délimités. Par exemple, le logement recouvre des compétences vastes et diverses. Il est compréhensible que la création de logements sociaux soit gérée globalement sur chaque territoire, mais les maires peuvent se sentir dépossédés s'agissant des commissions d'attribution de ces logements. Les limites dans les transferts de compétence devraient donc être précisées.

Mme Françoise Gatel, présidente . - Absolument. Pour répondre à cette remarque, je précise que nous présentons ici une synthèse. Il est difficile de concevoir un questionnaire exhaustif. Concernant le logement, le sujet a été évoqué dans notre groupe de travail Métropole. Un travail est également en cours au niveau de la commission des Affaires économiques.

Je pense que, sur chaque thématique, une compétence peut être affectée à la métropole ou à l'intercommunalité, mais après avoir défini l'intérêt métropolitain. C'est exactement l'exemple de la voirie. Pour le logement, il y a un niveau de compétence de l'intercommunalité et un niveau de compétence qui doit rester en proximité.

Mme Dominique Estrosi Sassone . - Au nom de la commission des Affaires économiques, j'ai été chargée, avec notre collègue Valérie Létard, d'une mission d'évaluation de la loi SRU vingt ans après sa création et de propositions de réformes. Nous nous sommes également appuyées sur une consultation via le site du Sénat. Elle a été menée auprès de l'ensemble des maires concernés par la mise en oeuvre de l'article 55 de la loi SRU. Nous avons pu constater que certains maires atteignent les objectifs, mais que d'autres communes sont déficitaires ou carencées. Il serait intéressant de recouper ces résultats avec ceux de la consultation qui nous est présentée aujourd'hui.

Mme Françoise Gatel, présidente . - Au travers de toutes ces missions, nous aurons la capacité d'apprécier la situation et de formuler des propositions. L'esprit qui anime le Sénat à la veille du projet « 4D » se situe dans la continuité des observations formulées au Sénat lors de l'examen des lois territoriales : la loi fixe un cadre apportant une sécurité juridique, à l'intérieur duquel les élus peuvent trouver les meilleures réponses pour le besoin de l'action publique sur leur territoire. La loi fixera ce cadre, mais pas son application différenciée selon chaque territoire. Si un cadre précis est nécessaire, il s'applique sans verticalité. La loi constitue un champ de possibles plutôt qu'un champ d'obligations. Même au Sénat, des confrontations et des débats auront lieu, avec des opinions extrêmement différentes.

La crise sanitaire que nous traversons a montré l'enjeu d'un pacte de confiance entre l'État et les collectivités, et la capacité des collectivités à relever ce défi. Elles doivent aussi prendre leurs responsabilités. Le meilleur exemple est celui de ce dimanche de juin où le président de la République explique devant des millions de Français, à 18 heures, que les élèves doivent retourner dans leurs établissements le lundi suivant. À 18 heures 15, alors que le Président rentre à l'Élysée, les maires se demandent comment appliquer cette décision. L'État doit donc affirmer la stratégie et les collectivités la mettre en oeuvre, mais il est impossible de demander aux collectivités d'exécuter sans les avoir associées. La différenciation n'a rien à voir avec une volonté d'autonomie.

6) Renforcer l'État territorial, en particulier au niveau du département

Pendant la crise sanitaire, nous avons constaté que l'espace départemental était pertinent face au développement de la maladie. L'ensemble des collectivités, de la commune au département, jusqu'à la région, était mobilisé à cet échelon. Cela a constitué un très bon échelon d'efficacité de l'État. Cette crise sanitaire ne fait que souligner le souhait des élus de prendre en compte la nécessité des transferts de compétences de l'État central vers l'État territorial. Comment peut-on admettre que l'État territorial, c'est-à-dire le préfet, n'a pas sous son autorité le recteur ou l'ARS ? Cette situation est comparable à celle où un Premier ministre n'aurait pas sous son autorité le ministre des Finances ou de l'Éducation nationale. La crise a souligné l'urgence des décisions : il n'est pas concevable de dépendre de décisions prises à un niveau national, alors que ce niveau est très souvent dépassé par les solutions trouvées plus vite au niveau local. Nous voyons ici l'effet de la création des très grandes régions : l'éloignement de la décision a pour conséquence un renforcement du département.

Les collectivités doivent avoir un interlocuteur unique. Quand, dans un département, le préfet souhaite élaborer un schéma de la ruralité, tout est organisé et défini, une convention est signée entre le préfet, le président du département et le président de l'AMF. Trois jours plus tard pourtant, une trésorerie ferme. L'explication réside dans le fait que le directeur régional des finances publiques (DRFIP) n'est pas obligé de solliciter le préfet avant de prendre sa décision. Un problème de décrédibilisation de la parole de l'État se pose donc. Certains voient émerger, à bas bruit, un nouveau centralisme au niveau régional quand les régions sont très grandes. C'est pourquoi nous défendons l'idée d'une instance de dialogue auprès du préfet associant les collectivités territoriales.

Concernant les réponses sur le renforcement des préfectures de départements ou des sous-préfectures, on observe que, dans certains territoires, les sous-préfets sont à l'écoute, dans un esprit facilitateur, et jouent un rôle d'ensemblier très intéressant. Dans certains territoires ruraux, une proximité existe avec l'État grâce aux sous-préfets, contrairement à ce qu'on constate en zone urbaine.

Mme Catherine Di Folco . - Je souhaite souligner le rôle du Sénat au moment de l'examen de la loi portant nouvelle organisation territoriale de la République (NOTRe), qui prévoyait l'extinction du niveau départemental. Nous nous rendons compte qu'heureusement, le Sénat a joué un rôle de porte-parole des territoires. Les maires attendent un renforcement de l'échelon départemental.

Mme Dominique Estrosi Sassone . - Pendant la crise sanitaire, nous avons noté l'importance du couple maire-préfet. Cela ressort dans l'analyse de cette consultation, mais également dans celle concernant l'article 55 de la loi SRU. Avec notre collègue Laurent Burgoa, nous avons procédé à l'audition des maires du Gard. De nombreux élus demandent une meilleure prise en compte des spécificités territoriales dans l'adaptation et la mise en oeuvre de la loi SRU, sans vouloir s'exonérer des objectifs à atteindre. Cela pose les questions du renforcement du couple maire-préfet et de l'importance du dialogue entre les maires, qui expliquent les difficultés et les freins qu'ils rencontrent, et le préfet, qui les prend en considération car il connaît bien les territoires. Celui-ci peut alors adapter l'application des normes, notamment l'article 55 de la loi SRU, en tenant compte de ces spécificités. Les élus sont très favorables à ce renforcement de l'État territorial et demandent un renforcement des pouvoirs du préfet localement. Dans ce cadre, l'État devient accompagnateur, facilitateur et non pas facteur de contraintes.

M. Laurent Burgoa . - Nous constatons, à travers les rencontres avec les préfets dans le cadre de la crise sanitaire, que malheureusement si certains préfets ont eu de la latitude lors du premier confinement, lors des deux autres, ils en étaient réduits à n'être que des courroies de transmission entre une information nationale et des souhaits locaux. L'État devrait renforcer leurs prérogatives. Par exemple, dans le Gard, notre ancien préfet, très proche des élus, a dû prendre un arrêté préfectoral pour imposer le port du masque sur l'ensemble du département du Gard, y compris dans le cirque de Navacelles dans les Cévennes, qui compte un habitant par kilomètre carré. Cela constituait une aberration. Le préfet le reconnaissait, mais il ne pouvait pas faire autrement. Un peu de bon sens permettrait d'éviter ce type de situations.

Mme Françoise Gatel, présidente . - L'espace départemental est idéal pour la déconcentration des services de l'État. Dans les très grandes régions, la collectivité départementale s'affirme, avec des compétences qui sont différentes. Certains territoires plus petits et culturellement uniformes souhaitent, en matière de différenciation, pouvoir s'organiser différemment à l'échelle d'une région, sous la forme d'une assemblée unique, tout en conservant la proximité d'un espace départemental. Dans la différenciation que nous allons proposer, nous devons mentionner qu'il s'agit d'une volonté affirmée des territoires. Nous laissons les territoires s'organiser comme ils le souhaitent, à l'initiative des élus, dans un cadre législatif défini.

Concernant les pouvoirs dérogatoires des préfets, le Sénat a adopté une résolution visant à encourager le Gouvernement à étendre les facultés de dérogations aux normes des préfets dans des champs bien définis. Nous avons interrogé, le 20 novembre 2020, M. le Premier ministre sur ce qu'était devenue cette possibilité, assez intéressante en termes d'appréciation des situations concrètes. Nous n'avons, pour le moment, pas reçu de réponse.

Ce qui est évoqué pour le masque est très juste. En montagne ou en bord de mer, quand il n'y a personne, doit-on porter un masque ? Le préfet pourrait déroger à la norme pendant la crise sanitaire, à l'instar du gouvernement, qui a lui aussi territorialisé sa gestion.

Nous avons vraiment de la matière, qui croise les champs d'exploration des uns et des autres. J'ai expliqué à Mme la ministre que les élus étaient tout à fait avec nous. Si elle a lu les cinquante propositions du Sénat, elle sait dans quelle direction le texte « 4D » doit avancer. Nous serons sans surprise.

Je vous propose de transformer cette communication en rapport d'information. Donnez-vous votre accord ?

La délégation donne son accord.

ANNEXE 1 :
LES RÉPONDANTS À LA CONSULTATION NATIONALE DES ÉLUS SUR LEURS ATTENTES EN MATIÈRE D'ÉFFICACITÉ PUBLIQUE ET DE DÉCENTRALISATION

Quel mandat détenez-vous ?


Si vous êtes élu municipal
, quelle est la population de votre collectivité ?


Si vous êtes élu intercommunal , quelle est la population de votre EPCI ?

ANNEXE 2 :
COMPTE RENDU DE LA TABLE RONDE SUR L'ACTUALITÉ DES COLLECTIVITÉS TERRITORIALES DU JEUDI 28 JANVIER 2021

Mme Françoise Gatel, présidente . - Bonjour et bienvenue à tous. Je suis très heureuse, au nom de la délégation aux collectivités territoriales, de vous accueillir.

Je salue particulièrement (par ordre alphabétique) : Christophe Bouillon, président de l'Association des Petites Villes de France (APVF), qu'accompagne Loïc Hervé, notre collègue et président délégué de cette association ; Caroline Cayeux, présidente de l'association Villes de France (AVF) et de la nouvelle Agence nationale de la cohésion des territoires (ANCT), pour laquelle le Sénat a décidé de mettre en place une filature, qui ne relève pas de la méfiance mais d'une forte exigence ; Michel Fournier, qui a été élu très récemment président de l'Association des Maires ruraux de France (AMRF) après en avoir été vice-président.

Le président de la République a sollicité le Sénat, en janvier 2020, pour contribuer à la réflexion sur l'évolution nécessaire de l'organisation territoriale. Nous nous y attelons depuis lors, dans le prolongement des travaux qu'a présidés avec beaucoup d'engagement Jean-Marie Bockel.

En cette période de crise sanitaire, nous avons à coeur de prendre régulièrement le pouls des élus locaux, puisque la Constitution nous confie le rôle de représentants des collectivités territoriales. Or la pandémie a prouvé leur capacité d'initiative et d'action à tous ceux qui pouvaient en douter ou n'en avaient pas pleine conscience.

Une évolution, qui est pratiquement une révolution culturelle pour notre pays, doit être soutenue et encouragée : la différenciation, c'est-à-dire la capacité donnée aux territoires d'inventer leur organisation à partir d'un cadre législatif qui ne fracture pas la République et n'est donc pas contraire au principe de son unité. La différenciation prend en compte la diversité des situations et l'adaptation des moyens pour atteindre les mêmes objectifs en matière de droits et de libertés. Elle affirme la confiance dans les élus locaux, qui sont capables d'inventer en toute responsabilité la meilleure organisation, en s'appuyant sur un État extrêmement fort et réellement puissant davantage que volontariste, qui gère bien ce qui relève de sa compétence régalienne et qui assure l'équité, la solidarité et la péréquation.

Nous pensons que la liberté donnée aux territoires ne va pas conduire à l'instauration d'une forme de « Far West » où le plus fort gagnerait et le plus fort serait oublié. Elle permet au contraire d'atteindre le seul objectif que nous avons en tête, qu'il s'agisse de l'État ou des élus locaux : l'efficacité de l'action publique.

Confrontés à une crise lourde et très longue, après avoir consacré l'an dernier l'essentiel de nos préoccupations aux enjeux sanitaires, nous assistons à la montée en puissance des questions économiques et sociales. Nous savons que notre pays entre certainement, et cela même si le virus disparaît un jour - que nous espérons prochain -, dans une ère de turbulences mais aussi de reconstruction, au sens positif.

Bien que nous soyons au Sénat les meilleurs avocats du projet de loi 4D, cela ne signifie pas que nous sommes totalement en phase avec ce que propose le Gouvernement. Ainsi, quand Jacqueline Gourault, ministre de la Cohésion des territoires et des Relations avec les collectivités territoriales, est venue au Sénat nous présenter le projet de loi relatif à la simplification des expérimentations, je me suis permis de lui dire, avec amitié et respect, que c'était un texte à souffle court. Le projet de loi 4D (décentralisation, déconcentration, différenciation et décomplexification) nous paraît plutôt relever, à ce stade, d'une sorte de décentralisation-différenciation verticale. Alors que le Gouvernement envisage seulement d'autoriser des aménagements locaux, nous pensons qu'il doit aussi y avoir une décentralisation « bottom up », c'est-à-dire ascendante. Plus que de la décentralisation, il nous faut de la déconcentration et de la différenciation. Nous sommes curieux de connaître votre avis de représentants d'élus locaux sur ce sujet.

Quel avis portez-vous aussi sur le groupe de travail initié par Jacqueline Gourault sur le financement du bloc communal ? Pour avoir récemment auditionné sur le sujet Olivier Dussopt, ministre délégué auprès du ministre de l'Économie, des Finances et de la Relance, chargé des Comptes publics, nous considérons que c'est une excellente initiative.

Enfin, que pensez-vous de la mise en oeuvre de l'» Agenda rural » et de l'efficacité des mesures prises dans ce cadre ?

M. Christophe Bouillon, président de l'Association des Petites Villes de France (APVF) . - Je suis très heureux d'être avec vous au Sénat, cette grande maison des collectivités territoriales, et particulièrement à la délégation aux collectivités territoriales, dont nous apprécions à l'APVF les réflexions, le travail et les contributions. Je vous rappelle que notre association fédère 1 300 des 4 000 communes ayant entre 2 500 et 20 000 habitants. Notre ADN consiste à ne se positionner ni comme complaisants ni comme opposants, mais comme proposants. Comme vous, au sein de la délégation, nous aimons venir avec des propositions, des contributions et des « Livres blancs ». Nous avons procédé ainsi lors du « Grand débat national », au moment du « Ségur de la Santé », sur des sujets cruciaux tels la transition écologique ou la désertification médicale, et nous le faisons actuellement sur les conditions d'une bonne relance, qui doit, pour profiter au pays, passer par les territoires. Nous voulons « élargir les gammes », pour dépasser les sujets habituels - et essentiels - des finances et des statuts.

La question qui nous occupe aujourd'hui est celle de la crise sanitaire. Cumulée avec une crise économique et une crise sociale, elle nous rappelle combien les collectivités sociales sont indispensables pour faire en sorte que les politiques publiques diffusent jusqu'au « dernier kilomètre », celui qui permet d'aller jusqu'à l'habitant, au citoyen, et à l'administré. Nous avons vu les déficiences qu'entraîne le fait de ne pas mettre les communes dans la boucle sur la question des masques, sur la question des tests et sur la question de la stratégie vaccinale.

Comme nous l'avons affirmé depuis le début de la pandémie, nous sommes là pour accompagner toutes les actions destinées à accroître la résilience de notre pays aux crises sanitaire, économique et sociale auxquelles il est confronté. Les collectivités que nous représentons ont fait preuve d'une grande agilité et d'une grande efficacité, avec ce point de départ qu'est la proximité. Notre capacité à organiser l'ensemble des dispositifs à la maille la plus fine s'est illustrée lorsqu'il a fallu fournir des masques en un temps record, lors du déconfinement, à l'occasion duquel nous avons plaidé pour un équilibre du couple maire-préfet, puis pour l'organisation des tests viraux et, à présent, dans le cadre de la campagne vaccinale.

S'agissant de la mise en oeuvre de la stratégie vaccinale, qui est essentielle pour sortir de la crise sanitaire et amorcer une relance, nous avons fait savoir au Gouvernement dès l'automne, comme d'autres associations d'élus, que nous étions prêts à mettre à disposition des locaux et des personnels. Grande a été notre surprise de ne pas y avoir été associés et d'apprendre, souvent par la presse ou par le biais des différentes préfectures, le dispositif qui a été déployé. C'est dommage, car lorsque nous disons que nous sommes prêts, nous le sommes, et il ne faut pas décevoir l'attente des élus et savoir jouer la carte de la confiance. Le fait que les maires soient incapables de répondre à leurs administrés, qui les sollicitent en permanence pour être informés des dispositifs qui vont être mis en place, participe d'une forme de lassitude, voire de colère sourde. Alors que les élus et les maires des petites villes sont en première ligne, ils ne trouvent souvent personne au bout de la ligne lorsqu'ils se tournent vers les services de l'État, qu'il s'agisse des services déconcentrés ou des services du Gouvernement.

Contrairement à ce que pensent certains, le fait d'avoir 34 000 communes en France est une chance, car cela signifie qu'il y a un représentant de l'État partout en France. C'est précieux en cas d'accident industriel ou de catastrophe naturelle et il est regrettable qu'on l'oublie trop souvent à l'occasion d'une telle épidémie.

Le quatrième D de loi 4D correspond à la « décomplexification » et je ne vous cache pas que le seul fait de prononcer ce mot fait peur. Le terme de « simplification » eut sans doute été préférable. En outre, on peut craindre qu'il y ait un cinquième D, celui de « disparition », et il nous faut veiller à ce que ce texte ne soit pas renvoyé à plus tard, car il est essentiel et parce que l'ensemble des associations d'élus y ont apporté leur contribution, comme elles l'avaient fait lors de la présentation du texte « Engagement et proximité », dont nous attendons que les lacunes soient palliées par la loi 4D.

Plutôt que « décentralisation » et « déconcentration », nous disons : « décentralisation jusqu'au bout ». En effet, le sentiment nous pèse depuis des années que la décentralisation n'est jamais terminée, et qu'on n'en finit jamais. Au-delà de cette impression d'inachevé, cela conduit surtout à un constat d'instabilité, car nous passons notre temps à changer les règles du jeu de l'organisation territoriale de notre pays. Il faut aujourd'hui aller au bout de la décentralisation.

Si la décentralisation ne s'accompagne pas d'une déconcentration, l'exercice sera vain. Dans le domaine sanitaire, on constate, comme vous l'avez dit, Madame la présidente, une verticalité qui donne le vertige, alors que l'horizontalité pourrait donner de l'oxygène. Quand on voit le grand nombre d'organismes au niveau étatique qui ont en charge la stratégie vaccinale, qui sont pléthore, on pense que sa mise en oeuvre à la maille la plus fine, c'est-à-dire au niveau départemental, serait susceptible de changer grandement la donne. C'est également vrai sur les questions de logement, de transition écologique, mais aussi sur les questions de mobilité.

Je vous rejoins pour souhaiter une différenciation encadrée, car nous sommes attachés comme à la prunelle de nos yeux à une République une et indivisible. Nous plaidons sur ce sujet pour une expérimentation renforcée, car les règles qui s'y attachent empêchent actuellement qu'elle soit bien vécue.

S'agissant enfin de la « décomplexification », je vous rappelle que ce n'est pas la première fois que l'on s'essaie, tant au Parlement qu'au niveau du Gouvernement, à un exercice de simplification. Là encore, cette démarche nécessite de s'appuyer sur l'expertise des élus locaux. La loi a institué à cette fin des lieux de coordination de l'action publique : qu'on leur donne un contenu et des missions, dont celle consistant à identifier les leviers de simplification qui sont nécessaires. Loïc Hervé vous présentera ultérieurement nos propositions en ce qui concerne les évolutions que nous souhaitons sur la Décile.

Mme Françoise Gatel, présidente . - Tout comme vous, nous sommes attachés, au Sénat, à la réussite de l'action publique. Le Gouvernement a, à juste titre, engagé un traitement des irritants, qui sont parfois des bloquants, issus des lois territoriales qui ont parfois conduit à l'impuissance parce qu'elles étaient trop formatées. On ne peut aujourd'hui, a fortiori en période de crise, prétendre préparer l'avenir en faisant abstraction de toutes les failles que la pandémie a révélées, à commencer par la verticalité de la décision. Or on entend au sujet de la différenciation une petite musique autour de la crainte d'un « cambriolage par effraction de la République » associé à la fracture de son unité. Pourtant, les dispositions législatives spéciales relatives aux territoires d'outre-mer ou aux territoires de la montagne se sont imposées naturellement pour réaliser l'objectif d'unité. Il faut donc oser avancer sans avoir peur. Je vous donne acte que le mot de « décomplexification » est difficile à prononcer, à l'image de la difficulté que nous avons à lancer nos travaux pour lui donner du contenu.

Mme Caroline Cayeux, présidente de l'association Villes de France (AVF) . - Je tiens à saluer mes anciens collègues sénateurs que j'ai quittés pour redevenir maire de Beauvais et présidente de son agglomération. Je vous rappelle que l'Association Villes de France représente 600 villes de 20 000 à 100 000 habitants qui rassemblent environ 20 millions de Français.

La situation sanitaire préoccupe évidemment au plus haut point mes collègues maires, qui se demandent si, après un couvre-feu à 20 heures, puis à 18 heures en raison de la propagation du virus, l'apparition de variants du coronavirus encore plus contagieux va amener le Gouvernement à décider un troisième confinement. Comme mes collègues présidents d'associations d'élus locaux, nous allons participer à la visioconférence que le Premier ministre va animer ce soir et je forme le voeu qu'il saura nous écouter. L'absence de perspectives est devenue très anxiogène pour nos concitoyens. Elle inquiète les décideurs économiques, les décideurs publics, mais aussi, au plus haut point, le monde de la culture et de la restauration. Nous avons besoin de voir le bout du tunnel.

Sur ce volet, nous sommes des relais de confiance auprès de nos concitoyens. Si l'État et ses administrations essaient de rassurer les maires en travaillant avec eux, c'est à nous de rassurer nos administrés. Nous avons été constamment en première ligne avec eux depuis le mois de mars dernier. Comme je suis élue de l'Oise, la crise s'est même déclarée le 15 février 2020 avec la détection d'un cluster et les premiers plans d'actions. C'est dire si le temps est long pour les habitants de ce département.

Sur le terrain, le couple maire-préfet a été salué pour son efficacité et son dynamisme. Je me souviens avoir travaillé presque quotidiennement avec le directeur de l'hôpital de Beauvais et le préfet de l'Oise. Quant aux agences régionales de santé (ARS), elles ont été fondées dans le cadre de régions plus raisonnables en taille et l'on constate, quand l'une d'elles couvre un espace allant de Chantilly à Lille, que cela crée de la distance, alors que les élus veulent de la proximité.

À chaque étape de la crise sanitaire, Villes de France a soumis au Gouvernement et aux parlementaires un certain nombre de propositions, comme pour le « Ségur de la Santé », le plan de relance ou, plus récemment, sur la réouverture des commerces dits « non essentiels » ou sur la distinction entre les commerces de proximité et les grandes surfaces.

La vaccination est actuellement notre seule option pour en finir avec l'épidémie. Curieusement, au moment où il y a eu un déclic positif dans l'esprit de la population pour se faire vacciner, on réalise que nous n'aurons pas de doses de vaccins en nombre suffisant. À titre d'exemple, la maire de Saint-Quentin, dans l'Aisne, a reçu hier un appel de son ARS lui signifiant de ne plus prendre aucun rendez-vous de vaccination pour le mois de février...

Il s'avère aussi que tous les départements et territoires ne sont pas logés à la même enseigne. Certains voient leur campagne de vaccination mise à l'arrêt et les maires concernés, qui ont fait l'effort d'ouvrir des salles de vaccination, doivent à présent expliquer et faire accepter la situation à leurs administrés. De plus, ils ignorent si les charges afférentes à la mise à disposition de ces locaux seront assumées par l'État. Dans certains départements, l'ARS a pris la décision de supprimer des plateformes de réservation en ligne du fait de l'absence de vision sur l'approvisionnement des doses. Ces aléas cristallisent l'inquiétude de nos concitoyens et suscitent chez les élus de terrain sinon de la désespérance, au moins une lassitude. Dans un tel contexte, nous souhaitons de la lisibilité, de la cohérence et de la clarté, et à tout le moins de la transparence dans les informations.

Alors que la crise sanitaire a mis à mal le moral de nos concitoyens et notre économie, le plan de relance de 100 milliards d'euros initié par le Gouvernement avait trouvé un écho très favorable parmi les maires et les présidents d'intercommunalité. Nous sommes donc très attentifs à sa concrétisation territoriale. Les villes moyennes pourraient jouer un rôle important, encore faudrait-il que leurs élus soient plus associés en amont au processus de pilotage.

La relance va passer, pour les villes moyennes, par le programme « Coeur de ville », comme il passera pour les petites villes par le programme « Petites villes de demain ». Ce sont des outils importants mais, après une première phase d'études et d'ingénierie, nous devons pouvoir mobiliser des fonds lors de la phase de mise en oeuvre du plan de relance, afin d'être en mesure d'en bénéficier. Or nos capacités d'action sur le plan financier ne sont pas à la hauteur de ce que nous espérions, d'autant que nous avons été financièrement mis à mal lors de la crise sanitaire par la perte de nombreuses recettes de fonctionnement qui ne sont pas prises en compte dans l'indemnisation Covid prévue par l'État. C'est regrettable, car nous portons près de 70 % de l'investissement public local, dont dépendent de nombreuses entreprises de travaux publics. En outre, les critères d'éligibilité du filet de sécurité sont trop exigeants pour que les villes moyennes puissent en bénéficier.

Enfin, nous n'attendons pas du projet 4D le « grand soir », et nous l'avons dit à Jacqueline Gourault. Il est vrai que le volet de « décomplexification » est aussi difficile à prononcer qu'à mettre en oeuvre. Nous avons cependant fait des propositions de simplification à ce titre lors de plusieurs auditions. En matière de décentralisation, nous avons affirmé le principe d'une compétence déléguée sur un pouvoir de police dédiée. En matière d'urbanisme, nous avons proposé que les intercommunalités puissent prendre la compétence du plan local d'urbanisme (PLU) sans aborder un plan local d'urbanisme intercommunal (PLUi) global. Sur le volet santé, nous aimerions avoir un rôle plus décisionnel en tant que présidents du conseil de surveillance des hôpitaux. En matière de déconcentration, nous croyons beaucoup au couple maire-préfet, car il s'agit d'un circuit court, opérationnel et décisionnel, étant entendu que c'est au plus près du terrain que les meilleures décisions sont prises, à l'écoute de nos concitoyens. C'est aussi un moyen de lutter contre une bureaucratie qui devient de plus en plus pesante.

Nous appelons à une véritable différenciation territoriale, car toutes les collectivités n'ont pas les mêmes besoins et n'avancent pas toutes à la même vitesse. Cela se constate en matière de politique de logement, où la carte des grands zonages nationaux mérite d'être revue à l'aune de chaque situation locale, comme c'est le cas dans le cadre de l'expérimentation du Pinel breton, qui commence à faire ses preuves et mériterait d'être généralisé.

Mme Françoise Gatel, présidente . - La décomplexification est un chantier titanesque auquel, personnellement, je ne crois pas. Je conviens pourtant que si nous quittions la République des silos pour un État unique dans les territoires, cela nous épargnerait les parcours d'obstacles qui nous sont imposés pour obtenir, par exemple, des autorisations d'urbanisme, avec parfois des injonctions contradictoires et des services qui interprètent la loi au point de transformer le point de vue du législateur. La création d'une autorité unique de coordination permettrait une interprétation intelligente de la norme. Parmi les nombreux travaux menés par le Sénat à ce sujet, je pense à ceux de Rémy Pointereau, notre premier vice-président en charge de la simplification des normes, sur la simplification de l'urbanisme. Nous allons entamer avec lui une série d'auditions sur la simplification. Nous recevrons ainsi le président Alain Lambert, qui est un hussard de la simplification faisant preuve dans cette discipline d'une volonté intrépide. Nous recevrons également, le 25 mars prochain, le vice-président du Conseil d'État et la secrétaire générale du Gouvernement en charge de la Simplification.

M. Michel Fournier . - Si je suis devenu président de l'Association des Maires Ruraux de France, c'est pour poursuivre l'action de mon prédécesseur Vanik Berbérian, qui consiste à adopter une posture de co-constructeurs, et non celle de contestataires, qui est bien souvent stérile.

En matière de vaccination, notre position face à la problématique de pénurie de vaccins ne consiste pas à revendiquer qu'il y ait un centre de vaccination dans chaque village. Nous regrettons toutefois, au vu de la carte présentée il y a quelques jours, que certains départements ne disposent que d'un ou deux de ces centres, car cela pose des difficultés de déplacement, à commencer pour nos aînés, qui sont prioritaires.

Pour l'anecdote, on nous a appris il y a quelques semaines, à l'occasion d'un point de situation hebdomadaire départemental en présence du préfet, de l'ARS et de différents services de l'État, qu'un début de vaccination serait initié dans les établissements d'hébergement pour personnes âgées dépendantes (EHPAD), mais sous le sceau du secret. Tous les aspects logistiques devaient être tenus secrets, y compris le choix des EHPAD, comme si l'on nous associait à contrecoeur au dispositif, parce que nous étions incontournables.

Afin qu'un maximum de personnes puissent être vaccinées, nous proposons d'aider à la mobilité des plus de 75 ans, prioritaires pour la vaccination, en profitant du fait qu'il est facile pour nous de les recenser, de les contacter et d'organiser leur transport. Malgré cette bonne volonté, je n'ai sur ce sujet aucune information tangible à communiquer à une personne qui viendrait à ma mairie me demander comment les choses vont se passer. Nous avons souhaité que les caisses locales de sécurité sociale fournissent cette information, mais on nous a répondu qu'il était préférable qu'elle provienne directement de l'État, et donc de Paris...

Les associations d'élus ont beaucoup travaillé à l'élaboration de la loi 4D, car elle est supposée apporter des compléments nécessaires à la loi « Engagement et proximité », notamment en matière de différenciation. S'agissant du quatrième D, la « décomplexification », je peux témoigner, pour être maire depuis plus de trente ans, qu'à chaque fois que l'on nous a annoncé qu'on allait simplifier, cela s'est traduit par davantage de complexité, avec création de véritables « usines à gaz » pour prouver le bien-fondé de la simplification recherchée.

En matière de différenciation, nous attendons qu'un regard spécifique soit porté sur certains territoires ruraux et certaines collectivités de petite taille, par exemple dans le domaine de l'habitat. Or le projet de loi 4D fait la part belle à l'intercommunalité. On a l'impression, et nous ne l'avons pas caché à Jacqueline Gourault, que tout doit passer par l'intercommunalité. Il est inconcevable d'en faire un passage obligé, voire un censeur. En tant que communes rurales, nous souhaitons une différenciation entre les actions de cadre intercommunal et les actions de cadre communal. Il faut laisser aux communes la possibilité d'initier des politiques de développement autonomes.

D'autre part, il est étonnant que l'on doive se prononcer sur la loi 4D alors que la décision de continuer à la porter va être prise par le Gouvernement au début du mois de février et que nous n'avons jamais eu qu'une connaissance très parcellaire du projet de texte lui-même. Il serait dommage d'y renoncer, car c'est un cadre potentiellement favorable pour nos collectivités.

Nous disposions au départ d'une feuille de route claire, sur laquelle nous avons beaucoup travaillé avec le Gouvernement et les associations d'élus, à savoir l'« Agenda rural ». Celui-ci a été mis en place très lentement : il nous a fallu un an pour obtenir une circulaire préfectorale...

En ce qui concerne le plan de relance, nous ne disposons pas, dans les départements, d'éléments de situation précis sur les projets qui seront privilégiés. Nous voyons se profiler dans certains départements, une fois encore, une approche exclusivement intercommunale, sans doute pour réduire le nombre d'interlocuteurs des préfets. Or le financement des petits projets communaux par le plan de relance présenterait l'avantage de faire travailler le tissu des artisans locaux qui en a vraiment besoin. Nous avons surtout besoin des services d'accompagnement de l'ANCT dans les petites communes, mais leur mise en place ne fait que commencer. La réunion de mise en place de l'ANCT dans mon département n'aura lieu que la semaine prochaine, alors que l'on évoque le plan de relance depuis plusieurs mois. Une accélération est indispensable.

Nous serons bien sûr présents ce soir avec le Premier ministre pour apporter un éclairage sur une éventuelle décision de confinement prise par le Gouvernement. À ce sujet, je préconise modestie et humilité : les choses ne sont pas simples et nul ne peut prétendre savoir quel sera le type de confinement adapté à la situation épidémique actuelle.

Mme Françoise Gatel, présidente . - Tout comme le vaccin contre la Covid nécessite deux injections, la vaccination de notre pays contre l'ankylose et l'asphyxie nécessitera deux doses : la première a été celle de la loi « Engagement et proximité », qui a apporté de l'oxygène sans créer le « grand soir », et la seconde sera la loi 4D, pour laquelle nous manquons encore de doses. Il reste que le Sénat a beaucoup oeuvré, tout comme les associations d'élus, avec insistance et exigence pour réparer les voies d'eau du bateau France. S'il est difficile, à l'heure où nous parlons, de positionner la loi 4D dans un calendrier, celui-ci relève cependant de l'urgence. Après le teasing opéré sur ce sujet par le Gouvernement, nous avons hâte que le texte promis voie le jour.

M. Philippe Dallier . - Il est à peu près acquis qu'il n'y aura pas de texte 4D pour des raisons de calendrier parlementaire. J'ai presque envie de dire « tant mieux », car nous étions partis pour réinventer l'eau tiède, en ne traitant qu'une partie des problèmes, sans solder les comptes entre l'État et les collectivités territoriales en matière d'organisation. L'avantage aussi c'est que cela nous donne, compte tenu du calendrier électoral, deux ans pour préparer un nouveau projet.

Pour ma part, j'appelle de mes voeux l'acte 3 de la décentralisation, en espérant que celui-ci fixera la répartition des compétences entre les collectivités territoriales et l'État pour une période de quinze ou vingt ans, avec le plus grand souci de la dépense publique. C'est d'autant plus important qu'en 2022 l'État sera confronté au mur de la dette publique, qui atteindra fin 2021 quelque 2 800 milliards d'euros, et qu'il ne manquera pas de se tourner vers tous les autres acteurs, comme il a su le faire pendant la période de forte décroissance des dotations puis dans le cadre des contrats de Cahors.

M. Bernard Delcros . - L'expérience de la crise sanitaire doit largement influencer la future loi 4D. À mon sens, le binôme préfet-maire doit être complété par le président de conseil départemental, notamment dans les départements ruraux. Je pense moi aussi qu'il ne peut pas y avoir de décentralisation réussie sans déconcentration. La question du rôle et de l'échelle des ARS devra aussi être traitée.

J'aimerais avoir votre vision sur l'avenir des ressources des collectivités locales. Après la période dotation globale de fonctionnement (DGF) et la contribution au redressement des finances publiques, on a assisté, tous gouvernements confondus, à une déstructuration complète des ressources fiscales des collectivités territoriales. Elle a été initiée par la réforme de la taxe professionnelle, qui a été un facteur de complexité et a pénalisé les collectivités par le biais du fonds national de garantie individuelle des ressources (FNGIR), avant de se prolonger par la réforme de la taxe d'habitation. À mon sens, cette dernière pénalise le moins les communes qui bénéficient en compensation du foncier bâti, bien que l'on mesure mal son incidence sur le potentiel fiscal des collectivités, et donc sur le dispositif de péréquation. Il est à noter que les critères du service public à caractère industriel et commercial (SPIC), qui est une mesure de péréquation nécessaire, n'ont pas évolué alors que la structuration des périmètres des intercommunalités a beaucoup évolué en 2017. Et je confirme les inquiétudes des élus locaux à la perspective de devoir contribuer, en sortie de crise, au remboursement de la dette publique.

Êtes-vous favorable à ce qu'un travail de fond soit mené sur la simplification des recettes des collectivités, après la période d'empilement des compensations dont on mesure aujourd'hui les limites ? Quel est votre point de vue sur la gestion de la Décile ?

Mme Céline Brulin . - Vous avez constaté des différences très marquées dans la gestion de la pénurie de doses vaccinales d'un département à un autre. Selon quels critères pensez-vous que l'État et les ARS répartissent ces doses ?

Pour ma part, je suis très choquée d'entendre des ministres reprocher aux élus locaux de vouloir implanter trop de centres de vaccination. C'est, à mes yeux, une nouvelle version de « # balancetonmaire », ce qui est inacceptable dans le contexte.

Je crois qu'on nous parle autant de la « territorialisation du plan de relance » qu'elle se traduit peu dans les faits, car les sommes dont disposent les préfets pour tenir compte des problématiques locales sont minimes. Ne pourrait-on faire en sorte qu'une part des projets élaborés sur les territoires s'intègre dans le plan de relance, bien qu'ils ne fassent pas partie des priorités déclinées par l'État ?

En ce qui concerne 4D, et spécifiquement la différenciation, je crains que celle-ci débouche sur une République à la carte, alors que l'enjeu est de réduire les inégalités et non de les accroître.

M. Christophe Bouillon . - Je partage les inquiétudes de Philippe Dallier au sujet de la dette publique, car nous avons vu les conséquences d'une crise comme celle de 2008 sur les finances des collectivités. Je note aussi que des « irritants » persistent en matière de compensation aux transferts de compétences opérés par l'État vers les collectivités territoriales.

Pour répondre à Céline Brulin, je constate plutôt une absence de critères dans la répartition des doses de vaccin. On a priorisé les plus de 75 ans sans même savoir où ils étaient. La problématique du transport vers les centres de vaccinations n'a pas non plus été toujours prise en compte dans le choix de leur implantation.

S'agissant des deux ans de réflexion supplémentaire dont se félicite Philippe Dallier au sujet de 4D, je considère qu'il sera difficile de porter des projets lors des prochaines élections régionales et départementales sans connaître le point d'atterrissage d'une réforme de l'organisation territoriale. Nous l'avons déjà connu lors des lois NOTRe et MAPTAM.

Mme Françoise Gatel, présidente . - Certes, mais la loi 4D n'a pas l'ambition d'un « grand soir », mais plutôt celle d'optimiser ce qui existe, en permettant aux collectivités territoriales de composer leur organisation à partir des territoires.

M. Loïc Hervé , président délégué de l'Association des Petites Villes de France (APVF) . - L'APVF a fait cinq propositions pour mettre un terme au mouvement de fond de démantèlement des finances des collectivités locales. Elles vont toutes dans le sens de l'association des élus pour l'attribution des subventions afin de simplifier le rapport entre l'État et les collectivités locales. Il s'agit de donner au préfet de département une plus grande capacité d'attribuer de la DSIL, et de laisser au préfet de région une part congrue de DSIL pour des projets dits structurants (la DSIL de 2020 est en pratique une super dotation d'équipement des territoires ruraux - DETR -, l'argent ayant été mis sur les projets mûrs). Il s'agit aussi de sécuriser les collectivités qui ne disposent pas d'une ingénierie importante en ne créant pas de critère supplémentaire afin de disposer d'un cadre national qui permette d'aller vite. Lae DSIL ayant, selon nous, une fonction péréquatrice, il faut qu'elle soit fléchée vers des territoires plus fragiles. Enfin, nous pensons que dans le milliard d'euros de décile supplémentaire, il devrait y avoir un fléchage vers le programme « Petites villes de demain », alors que le dispositif se borne pour l'instant à répartir de nouveau de l'argent déjà attribué.

Mme Caroline Cayeux . - Aucune ville ou intercommunalité de taille moyenne n'a bénéficié du filet de sécurité, parce que les pertes tarifaires n'ont pas été prises en compte. Le calcul a été biaisé. Or nos villes assument beaucoup plus de charges de centralité qu'auparavant, ce qui rend difficile le bouclage des budgets, alors que nous ne connaissons à ce jour ni l'évaluation de la compensation de la suppression de la taxe d'habitation, ni la dynamique prévisionnelle de la baisse des impôts de production. C'est pourtant dans nos villes moyennes qu'il y a encore des pépites industrielles, dont la perte des contributions va entraîner un appauvrissement très net de leurs finances. Ce sera aussi le cas pour les agglomérations qui vont subir des baisses de recettes malgré quelques avances remboursables pour les autorités organisatrices de la mobilité (AOM). Ce contexte n'a rien de rassurant.

Nous sommes aussi inquiets au sujet des délais très courts qui nous sont accordés pour soumettre des projets au préfet pour qu'il les finance dans le cadre du plan de relance, compte tenu du fait que les équipes municipales n'ont pris leurs fonctions qu'en juillet, dans un contexte financier marqué par des pertes de recettes et un autofinancement dégradé.

À propos de la DSIL, j'ai l'impression que les premiers qui auront déposé un dossier seront les premiers à être servis. À mon sens, il s'agit moins d'argent nouveau que de crédits déjà existants réaffectés à de nouveaux projets. Là encore, il sera très difficile d'en bénéficier si l'on n'est pas dans les temps.

Mme Françoise Gatel, présidente . - La proposition a déjà été faite au Sénat d'une gestion de la Décile identique à celle de la DETR, c'est-à-dire en fonction de thématiques nationales. Il me paraît pourtant important qu'une place soit faite aux élus sur une déclinaison locale.

M. Michel Fournier . - À la suite des propos de Caroline Cayeux, je confirme que le risque existe que l'on fasse passer dans le plan de relance des dossiers déjà prêts. Les grandes communes en ont toujours « sous le coude », mais ce n'est pas le cas des petites. Le manque d'ingénierie va beaucoup nous pénaliser, car, effectivement, les premiers demandeurs seront les premiers servis.

Pour ce qui est des finances de nos collectivités, l'accumulation des réformes successives nous a fait perdre de vue qu'il existe une inégalité profonde, depuis des dizaines d'années, entre les communes rurales et les communes de la ruralité. La sénatrice Sylviane Noël a proposé un amendement pour corriger cette situation, mais il ne sera pas retenu. À titre d'exemple, dans ma communauté d'agglomération, qui comprend 78 communes pour 116 000 habitants, les services auparavant portés par les villes-centres, dont les équipements sportifs, sont désormais financés par toutes les communes périphériques au prétexte des « frais de centralité ».

Nous sommes favorables au programme « Petites Villes de Demain », car il bénéficie aux anciens chefs-lieux de canton, avec un soutien en ingénierie, mais il faut se souvenir qu'il existe aussi en France des villages d'avenir qui méritent d'être développés. Mon village est un village d'avenir. J'en ai fait un village d'avenir !

Mme Françoise Gatel, présidente . - Président Fournier, nous sommes heureux de vous retrouver tel que vous êtes vraiment : plein de conviction et d'ardeur. Nous avons effectivement débattu au Sénat, lors de l'examen du projet de loi de finances, des écarts de dotation entre les villes selon leur profil plus ou moins urbain. Il a alors été procédé, lors de la réforme de la DGF, à des re-calculs de dotations afin de réduire les écarts entre les communautés de communes et les métropoles, mais cela a été jugé inacceptable, de sorte qu'il a fallu inventer des règles spécifiques pour les seules métropoles, en modifiant le critère de coefficient d'intégration fiscale, et cela au détriment du principe d'équité. Il y a là un vrai sujet.

M. Didier Rambaud - Le président Fournier semble nourrir un complexe par rapport au programme « Petites Villes de Demain », mais je m'autorise à lui rappeler que l'» Agenda rural », qui reste à mettre en oeuvre, est aussi assez dense. En revanche, après vingt années d'engagement dans la vie locale, je partage sa défiance à l'égard de la simplification. Nous sommes soumis à une telle pression médiatique et citoyenne que, lorsque survient un accident, une inondation ou un glissement de terrain, on crée de la norme pour éviter que cela se renouvelle. Il en résulte des documents d'urbanisme toujours plus contraignants mais c'est le prix à payer pour la sécurité de nos concitoyens.

Mme Michelle Gréaume . - On ne peut que constater que beaucoup de maires, de villes de toutes tailles, souhaitent s'impliquer dans le plan de relance. Il faut les aider pour qu'ils ne passent pas à côté de cette opportunité.

Pour revenir sur les propos de Philippe Dallier, on ne va pas pouvoir laisser également les intercommunalités comme elles sont aujourd'hui. Il est clair que de nombreux maires se plaignent d'être dépossédés de certaines compétences et il faudra y remédier en clarifiant qui fait quoi.

Pourriez-vous, Caroline Cayeux, revenir sur la compétence qui pourrait être déléguée dans le cadre des pouvoirs de police, car vous nous avez laissés quelque peu sur notre faim ?

M. Laurent Burgoa . - Je ne partage pas le point de vue de mon honorable collègue Delcros sur la taxe d'habitation, car le fait pour les communes de ne plus lever cet impôt risque de déresponsabiliser nos concitoyens. Quel est votre avis sur ce sujet ?

M. Charles Guené . - Nous avons besoin des associations d'élus afin de militer pour l'adjonction d'un volet fiscal dans la loi 4D, dont le Gouvernement affirme qu'il préférerait qu'il figure dans la loi de finances alors qu'il n'en fait rien, bien qu'il ait la main sur cette dernière. Il faut aussi que vous nous aidiez à réclamer une nouvelle gouvernance des finances locales, car on ne peut pas remplacer de la fiscalité locale par des impôts nationaux sans une gouvernance qui rassemble les élus, le Gouvernement et le Parlement, comme cela existe dans tous les pays autour de nous. Si nous ne le faisons pas, le Gouvernement discutera avec chacune des associations d'élus, ne discutera pas avec le Parlement, et fera ensuite ce qu'il veut.

Mme Françoise Gatel, présidente . - « Diviser pour régner », c'est un exercice que certains d'entre nous ont pu pratiquer dans une autre vie... Il est normal que chaque association défende sa légitimité, mais il est souhaitable de présenter au final un front uni pour dialoguer avec le Gouvernement. Sans quoi on débouche sur le hold-up que j'ai précédemment évoqué au bénéfice des métropoles, qui a été négocié sans que personne ne s'en aperçoive. On ne peut pas demander à l'État de pratiquer l'équité et la solidarité si nous ne jouons pas collectif au niveau des territoires.

M. Michel Fournier . - Je suis d'accord pour une gouvernance qui regrouperait l'ensemble des décideurs, car notre ambition, in fine , c'est la France.

Mme Caroline Cayeux . - Je partage votre avis : l'absence de taxe d'habitation va supprimer toute voix participative et tout rapport de nos concitoyens avec les services publics, qu'ils souhaiteraient plus nombreux.

Nous souhaitons définir le statut des polices municipales. Dans ma ville, nous avons un contrat de participation avec la police nationale, alors que nous arrivons souvent en premier rideau sur les situations. Nous ne voulons pas être les supplétifs de la police nationale et que cela conduise à ce que l'augmentation des effectifs des polices municipales s'accompagne d'une baisse des effectifs de la police nationale en zone police pour les villes moyennes. Pour rappel, un policier national ou un gendarme ne peut pas devenir municipal s'il n'a pas passé le concours, sans parler du fait qu'ils disposent d'un armement dans leur premier métier qu'ils n'ont plus dans la police municipale.

En réponse à Charles Guéné, je dirai : pourquoi pas une loi de finances pour les collectivités territoriales ? Nous l'appelons tous de nos voeux.

Mme Françoise Gatel, présidente . - La question des polices municipales sera abordée lors de la seconde séquence de notre séance. Nous avons parlé d'une loi de finances pour les collectivités territoriales avec Olivier Dussopt hier, et le Sénat y a beaucoup réfléchi. Nous étions très tentés, mais nous en avons abandonné l'idée et l'explication s'en trouve dans les 50 propositions que nous avons formulées. Nous proposons qu'il y ait un débat chaque année sur le financement des collectivités territoriales avant celui sur le projet de loi de finances.

M. Christophe Bouillon . - Je conviens, avec Didier Rambaud, que c'est la judiciarisation de la vie publique qui plombe l'exercice de simplification.

Je confirme à Michelle Gréaume qu'un plan de relance qui ferait l'impasse sur les communes et les intercommunalités serait un plan de relance à 50 %, puisque les intercommunalités et les communes représentent 50 % de la commande publique et de l'investissement.

J'abonde dans le sens de Laurent Burgoa : quand il n'y a plus d'impôt citoyen, il risque de ne plus y avoir de citoyens du tout, faute d'une compréhension des actions qui sont menées pour eux à l'échelle des territoires.

Enfin, je répondrai à Charles Guéné qu'en effet on trouve souvent beaucoup de bonnes intentions dans des plans et des exercices auxquels nous avons pu contribuer, mais nous nous faisons à chaque fois rattraper par « la patrouille de Bercy ». Sans une articulation entre les intentions qui figurent dans un texte et leur déclinaison financière, on débouche sur une impasse.

Mme Françoise Gatel, présidente . - Merci à tous. C'était une audition fort riche et fort intéressante. Je tiens à dire à chacun des présidents d'association d'élus que le Sénat est vraiment à leurs côtés. Nous devons avoir un regard que je qualifierai d'oecuménique sur la diversité des territoires. Et si la loi 4D ne vient pas à nous, nous irons à elle, évidemment pas dans une approche belliqueuse.

Comme cela a été dit, le Sénat a donc fait 50 propositions qui ont été remises au président de la République, à sa demande. Le Sénat a débuté ses travaux, puisque nous avons déjà adopté deux propositions de loi en début d'année. Aujourd'hui, nous poursuivons notre action, parce qu'elle est nécessaire, par ces auditions, mais aussi en lançant dès la semaine prochaine une consultation auprès de tous les élus locaux pour recueillir leur opinion sur la plupart des propositions que nous avons faites, en vue d'un texte en faveur des libertés locales. Chacune de vos associations sera destinataire d'un courrier, que j'ai cosigné avec le président Larcher, et est incitée à mobiliser les adhérents pour que les réponses soient nombreuses. Je vous remercie très sincèrement en notre nom à tous.

ANNEXE 3 :
COMPTE RENDU DE LA TABLE RONDE SUR L'ACTUALITÉ DES COLLECTIVITÉS TERRITORIALES DU JEUDI 19 NOVEMBRE 2020

Mme Françoise Gatel, présidente . - Je suis très heureuse de vous accueillir pour cette réunion de rentrée de notre délégation, qui a été renouvelée de façon importante.

Vous savez l'attention que le Sénat porte aux associations que vous représentez et la nécessité pour nous de travailler de façon très étroite avec vous. Le président du Sénat l'a récemment rappelé à l'occasion du travail entrepris de manière oecuménique pour la préparation de la loi 3D, donnant lieu à l'élaboration de propositions auxquelles Territoires Unis a été associé. Ce temps est un peu particulier du fait de la crise sanitaire et des échéances électorales qui sont prévues en 2021. C'est un texte très attendu par les associations d'élus et les sénateurs sur la différenciation et la décentralisation. Nous avons de très nombreuses questions autour de cette table.

Je salue François Baroin, président de l'Association des maires de France (AMF). Cher François, merci beaucoup de nous accorder ce temps pour cet échange. Je salue également Sébastien Martin, nouveau président de l'Association des communautés de France (AdCF) que je félicite, présent ici au Sénat, Dominique Bussereau, président de l'Assemblée des Départements de France, et Renaud Muselier, président de Régions de France, que nous avons toujours plaisir à entendre.

Chacun de vous est un acteur majeur, volontaire ou involontaire, de la crise sanitaire actuelle et nous serons heureux de vous entendre à la fois à ce sujet et sur la future loi 3D. Nous aurons des questions sur les finances locales, ainsi qu'à propos du plan de relance, son efficience et sa territorialisation - sujet sur lequel de nombreuses questions sont régulièrement posées au Sénat.

En attendant d'établir la liaison avec François Baroin, je propose que Sébastien Martin, nouveau président de l'Assemblée des communautés de France, prenne la parole en premier.

M. Sébastien Martin, président de l'Assemblée des communautés de France . - Merci Madame la présidente. Je voudrais féliciter la nouvelle présidente de la délégation, Françoise Gatel, que nous connaissons bien à l'AdCF puisqu'elle est administratrice de notre association. Je salue également les nouveaux membres de cette délégation. Je sais que certains viennent du beau département de la Saône-et-Loire, dont je suis élu. Nous avons besoin de cet échange avec les parlementaires représentant les collectivités territoriales.

Cette crise a montré que l'État avait plus que jamais besoin des collectivités. C'est le couple élu-préfet qui a tout particulièrement montré son efficacité. Je suis élu départemental et j'ai constaté à quel point l'Agence régionale de santé (ARS) avait besoin des départements dès lors qu'il s'agissait d'intervenir dans les établissements médico-sociaux, de même que l'État a besoin des régions pour préparer la relance économique, et des intercommunalités pour s'assurer de la continuité d'un certain nombre de services. Cette relation État-collectivités a été réaffirmée mais elle ne peut l'être comme si rien n'avait changé. C'est la raison pour laquelle, lors de sa dernière assemblée générale, l'AdCF a mis en avant la nécessité de la territorialisation de la relance. Celle-ci, pour fonctionner, s'appuiera sur un véritable dialogue dans les territoires, notamment à l'échelle régionale en faisant des intercommunalités des relais de France Relance sur le terrain. Un maximum de crédits doit être, simultanément, déconcentré à l'échelon régional dans le cadre du dialogue État-région. Il faut que nous ayons un cadre de dialogue et de concertation pour la mise en oeuvre de cette relance.

On nous a parlé de comités départementaux et de comités régionaux de la relance, de sous-préfets à la relance. Le conseil d'administration de l'AdCF s'est réuni cette semaine et, pour avoir fait le tour des régions de France, nous constatons une forme de retard à l'allumage. Il ne faudrait pas qu'on en revienne à de vieux réflexes, c'est-à-dire voir trop d'appels à projets partir depuis les ministères de façon dispersée. Nous sommes demandeurs de la territorialisation des crédits du plan de relance pour une raison simple : il est beaucoup plus efficace, au quotidien, de dialoguer avec les préfets de département ou de région, de même qu'avec les présidents de départements et de régions, pour juger de la qualité des projets et de leur capacité à être opérationnels rapidement.

Si nous voulons une relance reposant sur des projets matures et efficients, nos autorités locales sont bien plus informées sur ces derniers qu'un chef de bureau dans la tour de la Défense du ministère de l'Environnement. Nous prônons également un cadre de dialogue renouvelé entre les collectivités territoriales et l'État. Les instances actuelles sont trop nombreuses ou ont perdu de leur efficacité. Un chantier de base de la future loi 3D (ou 4D demain) résidera dans la confiance à créer. Irons-nous plus loin dans la décentralisation, dans la déconcentration ou dans la dévolution du pouvoir réglementaire ? Tel est l'enjeu de cette loi. La confiance sera donc capitale. Elle doit résulter d'un cadre de dialogue renouvelé. Il faut une vraie instance de dialogue État-collectivités territoriales, qui puisse s'appuyer sur des groupes de travail thématiques et faire émerger des propositions résultant d'un consensus entre l'État et les collectivités. Un cheminement législatif peut alors être emprunté.

Mme Françoise Gatel, présidente . - Merci beaucoup. Je donne la parole à Dominique Bussereau.

M. Dominique Bussereau, président de l'Assemblée des Départements de France . - Merci Madame la présidente, de nous accueillir une fois de plus, et félicitations aux nouveaux collègues sénateurs qui viennent de la rejoindre.

Plutôt que de revenir sur le printemps dernier, s'agissant de la crise, je dirai simplement que nous sommes aujourd'hui dans une situation très différente. Nous étions alors dans l'urgence, dans la colère et dans l'effroi (absence de masques, de sur-chaussures, de blouses). Devant des difficultés extraordinaires de toutes natures rencontrées par toutes les collectivités (régions, départements, intercommunalités, communes), tout le monde s'y est mis et nous nous sommes aperçus, durant ces trois mois, que sans les collectivités, l'organisation de l'État, au niveau local, n'était pas capable de régler tous les aspects d'une crise de cette nature. Nous avons vu la grande difficulté des ARS à être efficaces, en tout cas dans ma région. L'ARS a été en dessous de tout, notamment en n'informant pas les maires des décès survenus en Établissements d'hébergement pour personnes âgées dépendantes (EHPAD). Je ne parle pas des aspects sanitaires mais du relais avec les collectivités et avec les populations, alors que les préfets ont été, comme à leur habitude, efficients, connaissant leur métier, sachant gérer les crises, ce qui n'a pas été le cas des ARS.

Je dois corriger mon propos pour dire qu'aujourd'hui, les choses vont mieux. Olivier Véran a compris ce qui s'était passé. Des changements salutaires ont eu lieu à la tête des ARS. Un certain nombre de caciques ou de personnes inefficaces a été mis de côté. Nous avons désormais des points jour après jour sur la situation dans les EHPAD et en milieu scolaire. L'absence d'information qui prévalait au printemps n'est plus de mise aujourd'hui. J'espère que les autres départements et les autres régions constatent aussi cette amélioration.

L'État a moyennement tiré les conséquences financières de tout cela puisque, concernant les remboursements de masques et autres équipements, nous ne sommes pas d'accord. Il reste un certain nombre de difficultés.

De cette situation résulte une augmentation considérable des dépenses du RSA (+ 5 % en moyenne mensuelle pour certains départements, cette hausse pouvant atteindre 15 %, 20 % ou 25 % dans certains d'entre eux). Cette augmentation a eu lieu durant le printemps et s'est reproduite à la rentrée. Elle va s'amplifier en raison de la mise au chômage de nombreuses personnes et des difficultés rencontrées par les artisans et commerçants qui vont fermer boutique. Comme vous le savez, l'État ne paie que la moitié des dépenses du Revenu de solidarité active (RSA) alors qu'il devrait en payer la totalité. La part à la charge des départements va représenter une dépense de plus d'un milliard d'euros, a minima , l'année prochaine. Nos droits de mutation à titre onéreux (DMTO) ont beaucoup diminué au moment du premier confinement. Ils se sont redressés et nous avons fait moins appel que prévu au mécanisme d'avance mis en place par le gouvernement. L'absence de visites de biens par les agents immobiliers a cependant suspendu toutes les transactions et nous risquons d'avoir, en novembre et décembre, un impact négatif sur les DMTO. Peut-être serons-nous appelés à aller plus loin dans le recours aux avances mises en place par l'État.

S'agissant de notre situation financière, l'État a partiellement pris en compte nos demandes pour le financement du RSA. Il nous a permis de rester dans le fonds de stabilisation volontaire mis en place par les départements, à hauteur de 1,6 milliard d'euros, étant entendu qu'en 2021 les départements les plus riches ne pourront pas suffisamment aider les moins bien dotés. De ce fait, une dotation supplémentaire de 85 millions d'euros au fonds de stabilisation est prévue portant ainsi la dotation totale à 200 millions d'euros. Nous avons cependant une grande inquiétude, au moment où je vous parle, qui pourrait entraîner une rupture de nos relations avec l'État. Nous venons en effet de nous apercevoir que Bercy n'avait pas intégré dans le projet de loi de finances rectificatives, par une manoeuvre invraisemblable, 115 des 200 millions de cette dotation. Jacqueline Gourault partage notre colère et notre étonnement. La question dépend donc maintenant de l'arbitrage du Premier ministre. S'il est positif, l'incident sera clos. Dans le cas contraire, nous entrerons dans une grave crise des relations entre les départements et l'État, puisque celui-ci aura manqué à sa parole. Je fais confiance à Jacqueline Gourault pour obtenir un arbitrage favorable. Si ce problème est réglé dans les jours à venir, j'en informerai la délégation. S'il n'est pas réglé, vous le saurez car nous réagirons, dans cette hypothèse, de façon très ferme.

Enfin, concernant la décentralisation, cela fait plus d'un an et demi que nous avons adressé à des groupes de travail publics, à différents ministres et au Premier ministre, des propositions pour la décentralisation en matière médico-sociale, en matière de logement, d'environnement, etc. Elles font l'objet d'une discussion avec Matignon. La qualité de la poursuite de cette discussion dépendra du point que je viens d'évoquer. Nous avons agi sur ce point de façon concertée avec Renaud Muselier et François Baroin. Nous faisons en sorte que nos propositions nouvelles en matière de décentralisation, d'assouplissement de la loi NOTRe et d'assouplissement des délégations entre collectivités fassent l'objet d'un processus commun. Nous avons mis en place une plateforme commune et avons présenté un certain nombre de propositions de décentralisation afin d'alimenter la future loi 3D ou 4D. Le Premier ministre nous avait indiqué, il y a quelques semaines, qu'il présenterait un projet en Conseil des ministres début janvier - j'ignore si ce calendrier a évolué.

Mme Françoise Gatel, présidente . - Je vous remercie cher Dominique. La liaison ayant été rétablie, nous pouvons enfin entendre François Baroin, à qui je cède la parole.

M. François Baroin, président de l'Association des Maires de France . - Je m'excuse de n'avoir pas pu entendre les propos de Sébastien Martin. J'irai à l'essentiel sans revenir sur le premier confinement car nous avions été interrogés à ce sujet par la délégation puis par la commission d'enquête sénatoriale. Les choses sont claires : le rôle indispensable des collectivités territoriales n'est plus à prouver depuis de nombreux mois, dans la mesure où nous avons été à la manoeuvre. Les départements ont réalisé un travail remarquable dans le champ médico-social. Les régions ont été exemplaires en termes de vélocité et d'agilité pour ce qui concerne l'achat de masques, leur distribution et la logistique. Les communes et intercommunalités ont été au plus près des populations durant la période de sidération vécue lors du premier confinement.

S'agissant du deuxième confinement, nous devons dire que, de notre point de vue, toutes les leçons de l'épisode précédent n'ont pas été tirées par l'État. Les mesures du cadre général qui restreignent les libertés publiques (couvre-feu ou déconfinement) ont été annoncées. Nous avons un problème de définition de la notion de concertation avec l'État, sur ce sujet comme sur d'autres. Renaud Muselier s'était exprimé de manière virulente et nous avions alerté le Premier ministre en soulignant que la concertation ne saurait consister en un coup de fil, une heure avant l'annonce d'une décision par l'État, sans avoir bien mesuré son impact local.

Les choses s'améliorent cependant, les relations avec les préfets sont beaucoup plus fluides, un message est passé sur le terrain. S'agissant des ARS, je partage entièrement les propos de Dominique Bussereau. Nous sentons de la bonne volonté. Ces personnes sont à la manoeuvre, dans une situation très difficile à appréhender. Pour autant, c'est avec les préfets que nous avons l'habitude de travailler. Ce sont eux qui représentent le ministère de l'Intérieur en cas de crise et ils sont les professionnels de cette gestion de crise. Nous observons sur le terrain les positions publiques de l'AMF, bien connues et partagées avec tous les élus locaux. S'agissant des commerces, le sentiment d'iniquité enfle chaque jour un peu plus et domine désormais le paysage. Nous avons une vraie préoccupation du point de vue de la casse économique et sociale qui va en résulter dans toutes les villes, quelle que soit leur taille (métropoles, villes moyennes et petites villes). Des plans sociaux sont annoncés tous les jours et le temps des procédures nous conduira probablement à un rendez-vous au mois de mai ou juin 2021.

Nous souhaitons bien sûr être associés aux conditions du déconfinement. Je crois que le Premier ministre prendra l'initiative en fin de semaine, dans le même esprit de celle qu'il avait prise pour préparer la déclaration du président de la République sur le confinement. Nos positions sont connues. Nous souhaitons naturellement un déconfinement adapté et un cadre général qui place au premier rang la protection sanitaire des Français, en particulier la lutte contre l'épidémie.

Sur le plan juridique, les maires sont dépouillés, pour une large part, de leur pouvoir de police propre dans le cadre de l'état d'urgence sanitaire, ce qui en fait des agents de l'État dans de nombreux secteurs. C'est le cas pour la santé en général puisqu'il s'agit d'une mission régalienne. Toutes les initiatives qui font des maires des lanceurs d'alertes (par exemple à travers les arrêtés municipaux pris pour interpeller l'État sur l'inégalité de traitement des commerces) doivent être comprises comme des messages d'alerte et non comme une volonté de sécession de leur part. Tous les maires sont des serviteurs de la cause de la protection des Français aux côtés de l'État.

Sur le plan financier, nous avons de nombreux sujets de préoccupation. Je veux partager avec la délégation un souci réel quant à l'écrasement spectaculaire et très rapide de l'autofinancement de toutes nos structures. Les communes subissent un effet de ciseau plus spectaculaire que ce que nous avions anticipé avant l'été, car à l'effondrement des recettes s'ajoute la réduction de la base fiscale. Les intercommunalités sont confrontées à l'annonce de la suppression des impôts de production, que nous contestons. Cette décision est une faute politique et économique. C'est s'aligner sur la position prise pour la taxe d'habitation - qui était déjà une faute politique à nos yeux -en supprimant, pour la grande majorité d'entre nous, le lien entre l'habitant et le territoire. Cela a eu pour conséquence de supprimer l'autonomie fiscale des départements, puisque nous avons récupéré la part du foncier bâti départemental. Si nous avons conservé une fiscalité de stock à notre main, nous avons une inquiétude quant à la base. Quant aux impôts de production, si l'objectif est de relocaliser, les effets négatifs de la mesure sont sans rapport avec les gains qui peuvent en être attendus puisque les impôts de production représentent près de 70 milliards d'euros et les charges sociales environ 380 millions d'euros. C'était donc la mauvaise méthode. Au total, ces mesures concernant la taxe d'habitation et les impôts de production, nationalisés par des décisions de l'État et remplacés par des dotations, c'est une recentralisation qui est à l'opposé du projet 3D et du discours porté publiquement sur la décentralisation.

Le sujet le plus prégnant et le plus sensible reste l'autofinancement, qui fond comme beurre au soleil. De nombreuses structures, notamment intercommunales, ne pourront pas, dès l'année prochaine, être à ce rendez-vous de la relance par l'investissement aux côtés de l'État. Les années suivantes, ce sera pire.

Je partage les inquiétudes de Dominique Bussereau : les dispositions de la loi de finances ne sont pas à la hauteur. Je rappelle que nous demandions une prise en charge par l'État du coût du Covid pour les collectivités territoriales, c'est-à-dire une nationalisation des pertes de recettes et des dettes accumulées, ce qui permettrait à Paris de négocier avec Bruxelles le stock global de dette. Celle-ci s'est accrue de 20 points de Produit intérieur brut (PIB). Le pays aurait supporté une hausse d'1 % supplémentaire à la faveur de ces négociations, de sorte que nous ayons des recettes garanties pour avoir la certitude d'être au rendez-vous de la relance économique par l'investissement public.

Quant à la future loi 3D, nous avons mis des propositions sur la table, en lien avec Renaud Muselier, Dominique Bussereau et tous les partenaires associatifs qui constituent des partenaires de l'État. En matière de santé, nous avons une position commune : un secteur médico-social revenant au département, une gouvernance de l'hôpital recentrée sur le conseil d'administration. Le maire doit être au coeur de la définition du projet d'établissement et du rapprochement entre le public et le privé que nous appelons de nos voeux. Nous souhaitons ouvrir la possibilité d'investir dans des hôpitaux y compris privés, et voulons être des acteurs de l'embauche de médecins, de sages-femmes, etc. La santé doit constituer un vecteur d'attractivité des territoires.

Le même esprit nous anime pour les régions. Nous avons un accord global pour une séquence de développement économique : apprentissage, formation professionnelle, politique de l'emploi. Nous ne sommes pas opposés à ce que la région ait le dernier mot en matière de santé et constitue un partenaire actif en la matière. Sur le plan de la proximité, il faut ouvrir le jeu en matière de logement. Une politique nationale telle que celle qui existe aujourd'hui peine à fournir des réponses appropriées. Nous le voyons bien avec la décision absurde de baisse de l'Aide personnalisée au logement (APL). Cette mesure budgétaire a entraîné une très forte chute du montant d'autofinancement des offices publics de l'habitat. L'effondrement des chiffres de la construction en résultant constitue une bombe à retardement, qui risque d'exploser dans deux ou trois ans au regard du déséquilibre qu'elle créé entre l'offre et la demande. La même chose se produira pour l'investissement public au niveau national pour la relance.

Le logement, la culture, le tourisme, le sport sont également des sujets que nous souhaitons évoquer. Nous portons l'ambition d'une nouvelle organisation des pouvoirs publics. L'État est suradministré à sa tête et largement dépouillé dans la plupart des territoires. Les collectivités territoriales ont montré qu'elles étaient agiles et pouvaient à la fois mieux comprendre la réalité du coin de la rue et agir plus rapidement en substitution de l'État, lequel peut se remuscler là où on l'attend (sécurité, défense, etc.). Il n'y a pas que des mauvaises choses dans le texte initial mais nous sommes très loin des enjeux que représente aujourd'hui une nouvelle organisation des pouvoirs publics.

Mme Françoise Gatel, présidente . - Merci beaucoup cher François. Nous avons eu l'occasion, avec le président Larcher et les trois associations (AMF, ADF et RF), d'évoquer ces perspectives visant à dessiner un État plus performant. Les pistes que tu as évoquées, concernant les conditions de mise en oeuvre du plan de relance et l'efficacité des différents niveaux d'intervention, dans un horizon plus long, rejoignent les 50 propositions précitées et que j'invite chacun à relire.

Merci pour ces constats et propositions, au moment où nous allons commencer l'examen du projet de loi de finances pour 2021. Nous serons attentifs à la façon dont l'État saisit cette occasion unique de travailler sur une vraie proposition de décentralisation et de déconcentration.

Je passe la parole au président de Régions de France, anciennement Assemblée des Régions de France, Renaud Muselier.

M. Renaud Muselier, président de Régions de France . - Merci, Françoise, pour cette réunion et pour ton attention permanente aux préoccupations des collectivités. Je salue nos collègues sénateurs ici présents et mes deux complices de Territoires Unis, Dominique Bussereau et François Baroin. Nous sommes toujours en phase depuis que cette initiative a été lancée, ici à Marseille, avec Hervé Morin, sous l'égide de Régions de France, en présence du président du Sénat. Nous avons traversé de nombreuses crises en commun et le titre de « Territoires unis » nous sied parfaitement. Je suis également heureux d'entendre Sébastien Martin ce matin, dont les propositions ne peuvent qu'enrichir la position collective.

Je partage bien entendu tous les propos tenus par François Baroin et Sébastien Martin.

Dès le départ, nous avons évoqué le problème de la crise sanitaire, puis celui de la crise économique et celui de la crise sociale qui allait survenir. Nous nous sommes efforcés de gérer au mieux ces difficultés compte tenu des responsabilités qui sont les nôtres. Si nous sommes entrés dans la période de crise sanitaire, au printemps, avec la volonté d'éviter toute polémique, l'absence de polémique ne signifie pas l'absence de réflexion. Nous avons pu nous exprimer de façon assez sèche et sévère devant la mission de l'Assemblée nationale sur la gestion de cette crise.

En tant que médecin, président de ma région et président de Régions de France, j'ai une vision très négative de la gestion de cette crise par le ministère de la Santé. C'est lui qui a organisé les pénuries et commis les erreurs stratégiques. Or, on ne peut jamais gérer une crise quand on a organisé la pénurie. On se ment, on triche, on raconte des salades et on se retrouve dans une situation épouvantable. Cela nous a conduits à être hyperactifs, à un moment donné, en aval. La crise doit être gérée par des professionnels de la crise, en l'espèce le ministère de l'Intérieur ou le ministère de la Défense, pas le ministère de la Santé. Pourtant, on retrouve aujourd'hui les mêmes acteurs à la manoeuvre, face à cette deuxième crise. Je sors, par conséquent, de la position « zéro polémique » que j'avais adoptée.

Au niveau des ARS, nous avons vu des situations assez surprenantes. Dominique l'a évoqué. L'ARS du Grand Est, qui a été pitoyable, a explosé en vol tandis que dans ma région, l'ARS a été parfaite. Le problème, sur ce point, est assez simple : les ARS sont aux ordres du ministère de la Santé. Elles n'ont plus de moyens, notamment dans les régions qui se sont agrandies. La fusion des Directions départementales des Affaires sanitaires et sociales (DASS) et des Directions régionales des affaires sanitaires et sociales (DRASS) a entraîné une pénurie de personnel et de ressources humaines. Suivant la qualité de l'ARS, cela se passe bien ou non.

Je suis aussi interpellé de façon insupportable par le rôle joué par le conseil scientifique. Celui-ci s'exprime à tort et à travers, ses membres adorent la télévision. Ils parlent avant le Premier ministre et avant ou après le président de la République pour expliquer que nous allons mourir demain, sans nous dire comment ni pourquoi. Ses messages sont extraordinairement dramatiques et négatifs, n'offrant jamais la moindre lueur d'espoir. Nous voyons que la situation évolue avec les interventions du Premier ministre, lequel s'efforce de donner désormais un cap afin de nous donner un peu de visibilité. Le rôle des membres du Conseil scientifique n'est pas de s'exprimer à la télévision pour empiéter sur le champ politique et s'immiscer dans celui de la décision. Ce sont les raisons pour lesquelles je suis particulièrement en colère sur ce point, notamment dans cette deuxième vague.

Le deuxième confinement présente des points communs avec le premier. Nous avons connu le problème des masques, celui des tests et, de façon générale, de la stratégie défendue par les pouvoirs publics. Au début, il ne fallait pas se masquer, puis il nous a été demandé de le faire, ainsi que de se tester et de s'isoler en cas de test positif. Cela changeait sans arrêt. En réalité, il faut se masquer, appliquer les gestes barrières et se tester mais de façon ciblée et non de façon systématique pour tout le monde, tout le temps. Cela n'a aucun sens et tout ceci n'est pas organisé dans notre pays. Je le déplore vivement.

Le confinement autoritaire et généralisé a fait se lever un vent de résistance. Je n'y contribue pas, mais je vois bien, dans ma région, les positions des uns et des autres. Le fait que le gouvernement nous place devant le fait accompli, prenne des décisions discutables sur le plan sanitaire et non acceptables par nos concitoyens, entraîne une forme très dangereuse de révolte sociale et institutionnelle, conduisant certains élus à revendiquer un droit à la désobéissance. À Marseille, un maire de secteur est allé plus loin. Il faut faire très attention à la justesse des propos. Je mets en garde : lorsqu'on conteste une décision, il faut le faire dans les règles.

Je crois qu'il faut remettre les préfets au centre du dispositif et se rapprocher des territoires. Je ferai des propositions la semaine prochaine au nom de Régions de France car nous ne connaissons ni les taux, ni les courbes, ni les méthodes retenus pour décider d'un confinement ou de l'ouverture des commerces.

Au titre de Régions de France, nous avons signé d'emblée, avec le Premier ministre, un accord de partenariat pour le plan de relance prévoyant un investissement massif au profit des régions dans le cadre des contrats de plan État-région. Cet accord, d'une durée de sept ans, prévoit un effort de 20 milliards d'euros contre 14 initialement. Sa mise en oeuvre passera par la territorialisation de la plus grande part possible des crédits du plan de relance. Je pense que le Premier ministre est sincère dans cette démarche. Néanmoins, nous constatons que sur les 100 milliards d'euros du plan de relance, seuls 16 milliards sont déconcentrés, ce qui me paraît insuffisant.

Avec le Premier ministre, nous avons décidé de confier le pilotage du plan de relance au président de région et au préfet de région, la territorialisation devant s'appuyer sur les départements et métropoles et ainsi agir au plus près du terrain. Le préfet de région nous paraît être l'interlocuteur le plus approprié. Il nous est arrivé d'avoir pour interlocuteurs des sous-préfets à la relance sans pour autant pouvoir identifier leurs missions précises. Il faut recentrer le pilotage au niveau régional de sorte que les opérateurs de l'État (Agence nationale pour la rénovation urbaine - ANRU -, Agence de l'environnement et de la maîtrise de l'énergie - ADEME -, Banque publique d'investissement - BPI -, etc.) ne lancent pas des projets au niveau central. Cela aurait pour conséquence de mélanger les contrats de plan État-région, les fonds relevant de filières spécifiques (aéronautique, tourisme, etc.) ainsi que le plan de relance, sans que nous sachions qui fait quoi. Les ministères adorent ces tuyauteries parallèles mais cela a pour effet de créer des États dans l'État et de ralentir la mise en oeuvre des décisions.

La signature avec l'État d'un accord de relance pour 2021 et 2022 est prévue d'ici la fin de l'année 2020. Pour la région Provence-Alpes-Côte d'Azur, l'accord porte sur 64 millions d'euros de travaux, qui démarrent dès à présent. Ce sont en fait des résidus de travaux initiaux qui n'avaient pas été réglés et qu'il faut relancer. Un contrat de préfiguration du contrat de relance 2021-2027 doit également être signé avant la fin de l'année. Nous voyons déjà que certains aspects ne sont pas couverts par le contrat de plan État-région, à commencer par les infrastructures ferroviaires. Au premier semestre 2021, le contrat de relance et le contrat de plan État-région doivent être signés pour nous apporter une visibilité. Pour ma région, il est question de 4,5 milliards d'euros. Ce sont donc des montants financiers conséquents et intéressants.

Enfin, sur le plan des crédits européens, les fonds d'urgence européens et les fonds de transition juste doivent entrer dans une logique de guichet régional, copiloté par le préfet de région et le président de région et non par ministère, sous l'autorité de Bercy, auquel cas les fonds européens seraient détournés au profit de l'échelon central.

S'agissant de la décentralisation, j'avais dit au Sénat, devant Mme Gourault, aux côtés de Territoires Unis, qu'il fallait, à côté des 3D, les 3C de clarté, compétence et confiance. Nous en sommes très loin, malgré la très bonne volonté dont fait preuve la ministre. Je voudrais saluer l'action entreprise par le Sénat, qui a élaboré au cours de l'été les trois propositions de loi. Nous y avons été associés, au titre de Territoires Unis, d'un bout à l'autre. C'est un excellente base de travail pour le débat parlementaire au regard du projet 3D du gouvernement, dont je ne suis pas sûr qu'il soit à la hauteur de ce que nous souhaitons.

Je pense que le Premier ministre est décentralisateur mais qu'aucun ministère ne souhaite s'engager dans cette démarche. Il nous appartient de rester unis pour la défense de nos territoires.

Mme Françoise Gatel, présidente . - Merci Monsieur le président, cher Renaud. Je crois que chacun d'entre nous est frappé par la cohérence et la proximité de vos attentes et de vos constats. Comme vous l'avez dit, cette crise peut conduire à décliner un registre de complaintes et regrets mais nous avons surtout des leçons à en tirer pour davantage d'efficacité et corriger nos failles. Cette situation a bien mis en valeur le caractère indispensable d'un partenariat entre l'État et les collectivités territoriales. Celui-ci s'est trouvé paralysé, ankylosé, alors que les collectivités, du fait de leur agilité, leur efficacité, leur proximité, mais aussi de leur obligation de résultat, ont montré qu'elles pouvaient constituer le bras armé de l'État pour gérer les choses tant sur le plan sanitaire que sur le plan économique et social.

J'aurai quelques questions, avant de passer la parole à mes collègues, notamment à propos de la décentralisation et de la déconcentration. Celle-ci est très importante à nos yeux car elle suppose que l'État territorial ait la capacité à décider. Or c'est ce qui nous a parfois manqué durant la crise sanitaire. D'autre part, le terme « concentration » a son importance. Nous avons vu, durant la crise, la difficulté, parfois, pour un préfet, à imposer un commandement unique dans la mesure où les ARS, les rectorats, les Directions générales des Finances publiques (DGFIP) sont des satellites relativement autonomes, qui ont des comptes à rendre essentiellement aux ministres, alors que nous avons besoin, en pareille situation, d'un commandement unique. Finalement, la création d'agences autonomes, qui peuvent avoir leurs propres missions, n'est-elle pas incompatible avec l'exigence d'efficience et de coopération avec les collectivités ?

Je suis également très sensible à ce qu'a dit Renaud Muselier à propos du plan de relance, dont nous débattons beaucoup au Sénat. Ce plan doit être efficient et mis en oeuvre très rapidement, puisque chacun voit que nombre d'entreprises ne résisteront pas longtemps. Or, là encore, nous sommes confrontés à une organisation en tuyaux d'orgue. Chaque institution y va de son plan de relance, alors qu'il nous faudrait une sorte de « task force » très organisée avec les régions. Nombre d'entre elles ont mis en place des fonds « Covid résistance ». Quelle articulation voyez-vous entre les comités départementaux (qui me semblent pertinents, du fait de la proximité qu'ils permettent) et l'action des régions ?

Enfin, ma dernière question s'adresse plus particulièrement à l'AMF. Nos collègues Rémy Pointereau et Corinne Féret ont travaillé sur la question de la sécurité intérieure. À l'Assemblée nationale est examinée ces jours-ci une proposition de loi sur la sécurité globale, qui comporte un volet important sur les polices municipales. Peux-tu, cher François, nous dire un mot à ce sujet ?

M. François Baroin . - Nous partageons pleinement ton analyse à propos de la déconcentration. Nous avions exprimé cette position durant la première guerre contre le Covid, à la suite de l'échec de la bataille de la logistique. Le dernier kilomètre, dont l'importance avait alors été spectaculairement mis en lumière, a été géré par les régions, les départements, les communes et les intercommunalités. Il eût été beaucoup plus sage et plus sûr de confier le pilotage exclusif de ces aspects logistiques au ministère de l'Intérieur, en rétablissant le Conseil national de sécurité civile, supprimé sous la présidence de François Hollande. De même, il aurait fallu faire appel de façon beaucoup plus systématique à l'armée, qui ne demandait que ça, dans chacune des zones de défense, pour coordonner ces aspects logistiques. Nous aurions gagné du temps et en méthode. Ce sont les collectivités locales qui l'ont fait, alors que ce n'est pas pleinement leur métier. Il y a là un enseignement très important à tirer, d'autant plus que pas grand-chose n'a été fait entre le mois de mai et le mois de septembre, ce qui est regrettable. Vos commissions mettront en lumière ce qui a été fait et ce qui ne l'a pas été.

Le même pilotage prévaut aujourd'hui. Le ministère de la Santé devrait être veille permanente afin d'être en mesure de fournir des éléments comparatifs sur l'évolution de la pandémie. Ensuite, le processus de décision doit incomber aux ministères régaliens, sous l'autorité du président de la République, et la coordination du chef du Gouvernement et le pilotage des ministères qui nous sont familiers pour ce qui est de l'organisation. Seulement 24 heures se sont écoulées entre l'annonce du confinement par le président de la République et sa mise en oeuvre. À ma connaissance, d'autres pays ont ménagé un délai d'une semaine entre ces deux moments. Si tel avait été le cas en France, nous n'aurions pas connu le pataquès qui a prévalu concernant les commerces de proximité. Nous aurions en effet rapidement constaté que l'équité n'était pas au rendez-vous du point de vue opérationnel.

Un temps de latence d'une semaine après l'annonce du deuxième confinement aurait permis aux maires et aux préfets, en lien avec les associations départementales des maires, de traiter les difficultés propres aux commerces de proximité. Ces acteurs auraient pu apporter leur connaissance du terrain et faciliter les prises de rendez-vous. Nous aurions été plus efficaces. Il n'y aurait pas eu toutes ces tensions et ces interrogations. L'AMF porte de longue date la demande visant à redonner aux préfets de département une autorité naturelle sur toutes les administrations locales, qu'il s'agisse d'agences ou de directions services déconcentrés. C'est normal.

Les agences doivent-elles être revisitées ? Nous avons le droit de tirer les leçons de nos expériences. Les actuelles ARS ont mis en évidence la nécessité d'un changement absolu de gouvernance. Territoires Unis formule des propositions pour que l'équivalent transformé des ARS soit placé sous la double autorité des présidents de région et des préfets de région, dans l'esprit d'une décentralisation au titre de laquelle la région aurait à connaître une partie de la santé, à l'instar des Länder en Allemagne. Cela peut se décliner sur tous les sujets. Les directions régionales de l'environnement, de l'aménagement et du logement (DREAL) ne répondent qu'à un acteur : le ministre de l'Environnement. Même les présidents de région peinent à se faire entendre. Puisqu'un texte sera présenté en débat à la représentation nationale, il faut octroyer aux préfets de département une autorité sur toutes les administrations déconcentrées.

Une bonne partie du plan de relance s'opère à travers un volume d'investissement dont moins de 20 % sont territorialisés, ce qui est extrêmement faible. Nous n'avons pas été consultés sur des priorités, par ailleurs définies par l'État. Nous allons nous efforcer d'entrer à l'intérieur des trois thèmes principaux proposés : transport, environnement, numérique. D'autres thèmes prioritaires auraient pu être retenus, tels que l'agriculture, la ruralité au sens large, la politique du logement, etc. En toute hypothèse, il faudra travailler sur les critères. L'État demandera sûrement aux collectivités territoriales une participation d'au moins 20 % en investissement sur tous les dossiers. Nombre de collectivités ne pourront probablement pas répondre à cette attente en raison de l'écrasement de leur autofinancement. Dès lors, soit l'État assure le portage, soit les discussions avec la région permettent de compléter, mais il ne faut pas demander une participation obligatoire, faute de quoi le projet risque de ne pas voir le jour. L'investissement doit avoir lieu sur le territoire et il doit y avoir une restitution de l'argent du contribuable par la commande publique mais ce ne doit pas être un élément bloquant si une collectivité ne peut être au rendez-vous.

En ce qui concerne les polices municipales, la proposition de loi, inspirée des travaux de deux parlementaires, devient un peu le texte du Gouvernement. La position de l'AMF est constante à ce sujet : le maire prend l'initiative de proposer à son conseil municipal de décider souverainement de créer une police municipale, éventuellement de l'armer et de l'équiper en s'en donnant les moyens. À cet égard, nous n'avons pas apprécié la polémique entre le ministre de l'Intérieur et le maire de Grenoble. Elle a créé une confusion en termes de répartition des responsabilités. Je rappelle que l'ordre public relève de l'État tandis que la tranquillité du voisinage revient au maire. Lorsqu'un représentant de l'État déclare qu'un maire n'a pas fait l'effort financier d'investir dans des caméras de vidéosurveillance ou dans des effectifs de police suffisants, il sort de son rôle. Nous faisons partie d'une République décentralisée où prévaut la libre administration des collectivités locales. Le choix de s'équiper ou non appartient au Conseil municipal, souverain, sous l'autorité du maire, qui inscrit à l'ordre du jour ce type de proposition. Des avancées sont toutefois à noter. Il existe des propositions de création d'un bloc local (qui ne concernera probablement que les métropoles), autour d'un partenariat dans lequel les policiers municipaux joueraient un rôle plus actif d'officiers de police judiciaire, avec la possibilité d'intervenir un peu plus largement dans le cadre d'un contrat avec l'État afin de libérer les forces de la police nationale pour d'autres missions (par exemple la lutte contre le terrorisme). Nous n'y sommes pas opposés mais cela doit rester une faculté et ne pas devenir une obligation.

M. Dominique Bussereau . - Je partage les propos de François Baroin. « Plus il y a de décentralisation, mieux on a besoin d'État », si je puis dire. Il faut réconforter et conforter le niveau départemental. Par exemple, la région Nouvelle-Aquitaine, compte douze préfets de département, une DREAL à Poitiers, une DRAC à Limoges, une direction régionale des finances publiques à Bordeaux. Avec une telle organisation, « les préfets de département voient les trains passer ! ». Les grandes directions des administrations centrales peinent tenir compte des préfets de région et des secrétaires généraux pour les affaires régionales (SGAR) qui travaillent directement avec elles, voire avec les cabinets ou les ministres. Il en résulte une dévalorisation du rôle des préfets de département. Nous l'avons vu en cas de crise (par exemple après Xynthia et les grandes tempêtes de 1999) : l'État était parfait pour apporter des hélicoptères, des pompiers, des unités de la sécurité civile, mais absolument inopérant lorsqu'il s'est agi de reloger les gens, de leur fournir des draps ou de quoi se nourrir. Il faut donc redonner des compétences aux préfets de département et les entourer de collaborateurs de bon niveau. Il ne faut pas qu'en cas de problème, un préfet s'adresse à la direction régionale du ministère concerné, qui va aussitôt se tourner vers son administration centrale. Un problème doit pouvoir se régler au plan local, comme c'était le cas par le passé.

Nous avons une analyse commune, avec Renaud Muselier et François Baroin, concernant l'ARS. Le président du conseil de surveillance de l'ARS doit être le président de région. Nous pouvons réfléchir à un modèle de nomination du directeur général similaire à celui qui existe pour les colonels et contrôleurs généraux des Services départementaux d'incendie et de secours (SDIS). Ici, le directeur régional serait nommé sur proposition conjointe du président de la région et du préfet de région. C'est une proposition que je fais à titre tout à fait personnel. Nous n'avons pas besoin, au niveau départemental, des ARS pour la gestion quotidienne des EHPAD. Nous avons bien sûr besoin de ses inspections, de ses conseils et de ses normes, mais les conseils départementaux sont capables de gérer la vie quotidienne dans ces établissements.

Je m'interroge effectivement à propos des agences autonomes. Je n'ai pas encore compris, par exemple, à quoi servait l'Agence nationale de cohésion des territoires (ANCT). Je n'en ai jamais entendu parler dans mon département par l'intermédiaire du préfet ou tout autre haut fonctionnaire de l'État. Je me demande si cette agence est utile. J'aimerais à ce propos que le Sénat puisse nous aider à y réfléchir.

Renaud Muselier a très bien exposé la situation concernant le plan de relance. Les chiffres ne sont pas clairs. Si la dimension économique du plan de relance est claire, il y a aussi un volet en principe négocié entre les départements et les préfets. Si ceux-ci se prêtent généralement à l'exercice, ce n'est pas toujours le cas. Le gouvernement a demandé que les opérations du plan de relance pouvant l'être au niveau des départements soient engagées immédiatement. On nous demande simultanément de préparer les contrats de plan État-région et de prévoir, par exemple, dans le plan de relance, une enveloppe servant à financer les infrastructures qui n'ont pu aboutir dans le cadre de précédents contrats de plan État-région - sachant que seules 50 % des infrastructures prévues dans ces contrats ont été réalisées, en moyenne, au plan national. Dans ce cadre, il nous est demandé d'orienter une partie du futur plan de relance vers le financement des études qui permettront de lancer des opérations qui n'ont pas pu être achevées voire lancées au titre du précédent contrat de plan État-région, ce qui représente environ la moitié de ces projets. C'est d'une extrême complexité. Il faut être au coeur du fonctionnement de la chose publique pour le comprendre. Je ne suis pas sûr que cela permette de déboucher, dans la réalité, sur les résultats escomptés.

Mme Françoise Gatel, présidente . - Merci beaucoup cher Dominique. Je crois que le propos, très clair, est partagé par nombre d'entre nous.

M. Renaud Muselier . - Vous voyez que Territoires Unis, fort des responsabilités respectives et de l'expérience gouvernementale ou d'élus locaux de ses membres, est très respectueux de notre pays et de son fonctionnement. Je pense que nous exprimons de façon raisonnable mais déterminée des positions cohérentes.

En ce qui concerne la décentralisation, il existe à mon avis une volonté réelle de décentraliser mais une incapacité non moins réelle à déconcentrer que nous constatons en permanence. Par exemple, cette semaine, une réunion a, organisée par le préfet de région pour traiter le volet culturel du plan de relance, comportait un ordre du jour non concerté avec nous, alors que le conseil régional finance 60 % de la politique culturelle régionale. Ainsi, décentralisation ou pas, les modes de travail antérieur perdurent. Nous vivons la même expérience avec les ministères. Celui de la Santé en est en ce moment l'exemple caricatural du fait de son incapacité totale à donner la moindre liberté d'action aux ARS et aux autres ministères, puisque ses représentants veulent être les maîtres du jeu. C'est une faute stratégique majeure. La déconcentration est donc absolument nécessaire.

Un autre exemple a trait au Fonds social européen (FSE). Nous avons de grands débats à ce sujet avec mon ami Dominique Bussereau. Ce sont souvent des fonds européens versés au département lorsqu'ils sont mobilisés au service de l'emploi et des entreprises, et attribués dans ma seule région par quatre ou six guichets uniques. En outre, la France a déclaré qu'elle prélèverait au profit de l'État 30 % des moyens financiers attribués par l'Europe. Ce sont autant de crédits qui ne reviennent ni aux départements ni aux régions, pour des raisons inconnues. C'est une ponction arbitraire.

François Baroin a évoqué à juste titre l'impasse budgétaire des communes. J'invite le gouvernement à traiter ce problème au plus tôt, au risque de bloquer la mise en oeuvre du plan de relance. Sans la contribution financière des communes, des impasses budgétaires vont se multiplier et les régions seront contraintes d'abonder ces crédits alors qu'elles n'en auront pas toutes les moyens.

M. Sébastien Martin . - Nous sommes pour la déconcentration. Pour autant, il ne faut pas revenir sur les acquis de la décentralisation. Nous souhaitons que vous y soyez particulièrement attentifs. L'enjeu de la future loi 3D est de conforter chacun dans l'exercice plein et entier de ses compétences. Le principe du « qui paie commande » doit être réaffirmé.

L'AdCF soutient le format des autorités organisatrices, par exemple sur des questions liées à l'habitat ou à l'environnement, à l'image de ce qui existe pour la mobilité.

En ce qui concerne la relance, il faut une architecture claire afin de comprendre comment nous travaillons. Les comités départementaux et les comités régionaux doivent être des instances d'information, de dialogue et de concertation afin de savoir quels sont les projets émanant des territoires. Un pilotage État-région doit être mis en place, avec un maximum de crédits déconcentrés. Il est question de 16 milliards. Jacqueline Gourault nous avait dit que cela représentait un tiers des crédits, sur deux ans. Ce seront donc sans doute 16 milliards d'euros cette année, puis de nouveau 16 milliards d'euros cette année, étant précisé que Jacqueline Gourault a indiqué que la totalité des crédits représenterait un tiers du plan de relance. Cela implique une nouvelle attribution de 16 milliards d'euros l'année prochaine. Les intercommunalités doivent constituer les relais locaux de France Relance. Nous constatons que l'accompagnement des projets, y compris industriels, fonctionne mieux à l'échelle du bassin de vie.

Une différence sensible apparaît sur ce point entre le nombre de projets présentés par des industriels et leur prise en compte au sein des comités régionaux regroupant l'État, la région et BPI France. Ainsi, certaines régions telle que la mienne, la Bourgogne-Franche-Comté, sont très en avance avec trente dossiers déjà validés. Dans d'autres régions, aucun dossier ou un seul dossier a été validé. Il s'agit pourtant de dossiers d'innovation industrielle qu'il est crucial de porter en ce moment.

Mme Françoise Gatel, présidente . - Merci Monsieur le président. Je souligne que le principe selon lequel « qui décide paie » est une devise à laquelle nous sommes très attachés au Sénat et avec Territoires Unis, à tel point que nous avons voté au mois d'octobre une proposition de loi sur le sujet. Elle n'a pas suscité un enthousiasme fort du côté du gouvernement. Je vous encourage à nous aider, à travers vos associations, à faire prospérer ce sujet dans le cadre de la future loi 3D.

M. Rémy Pointereau . - Je voudrais saluer nos présidents de grandes associations qui participent à cette réunion. J'aborderai trois sujets : les normes, le numérique et la loi future 3D.

Concernant les normes, le 8 avril dernier, le gouvernement, sur proposition du Sénat, a étendu par décret à l'ensemble des préfets un pouvoir de dérogation aux normes. Comment cette nouvelle disposition se concrétise-t-elle sur le terrain ? Les préfets s'emparent-ils de cette nouvelle prérogative pour faciliter la vie des élus ou existe-t-il une certaine frilosité à cet égard ?

Ensuite, le numérique constitue un sujet important, notamment pour les départements ruraux, dont le taux de couverture par la fibre est parfois encore faible. Une deuxième tranche de travaux, indispensable pour achever la couverture des territoires concernés, sera plus onéreuse que la première, car elle concernera une superficie plus grande avec une concentration moindre en habitants. Je sais que les régions et les départements ont largement financé ces travaux de même que les intercommunalités. Et ce, contrairement à des villes de plus de 20 000 habitants dans lesquelles la société Orange a assuré le financement et la construction du réseau sans demander le moindre euro à qui que ce soit. Dès lors, comment cette deuxième tranche sera-t-elle financée ? Êtes-vous prêts à solliciter le plan de relance et les fonds d'État pour ce faire, afin d'éviter que les communautés de communes ne doivent à nouveau remettre la main à la poche ?

Enfin, j'ajouterai pour ma part au titre de la loi « 3D » e « E » d'efficacité. C'est ce dont nous avons besoin, en particulier en matière de Gestion des milieux aquatiques et prévention des inondations (GEMAPI). Celle-ci demeure inefficace car l'État s'est déchargé de cette compétence au détriment des communautés de communes qui n'ont pas les moyens de mettre en oeuvre les travaux nécessaires. Je pense, par exemple, au projet de digues sur la Loire, qui va nécessiter des millions d'euros. Je m'adresse à l'ensemble des présidents présents. Qui aujourd'hui peut assumer cette compétence efficacement : l'État, les agences de bassin, ou, de façon partagée, les régions, les départements et les intercommunalités ?

Mme Céline Brulin . - J'ai une première question à propos des impôts de production et du plan de relance. Je me tourne particulièrement vers Renaud Muselier car les régions seront impactées. Compte tenu de ce que vous avez dit du plan de relance, les délais annoncés aujourd'hui paraissent-ils pertinents, cohérents, voire crédibles ?

Le Gouvernement souhaite recentraliser le financement du RSA pour certains départements seulement, à travers une expérimentation. Qu'en pensez-vous, dans le contexte d'explosion de ces dépenses ?

Enfin, je voudrais évoquer, en associant à cette question mes collègues de Seine-Maritime, le sujet de la défense extérieure contre l'incendie, dont va s'emparer notre délégation. Nous devrons l'explorer car de nombreuses difficultés existent à ce sujet au sein des territoires.

M. Philippe Dallier . - Sébastien Martin proposait d'ajouter un ou plusieurs « C » aux trois D du texte à venir et Rémy Pointereau proposait d'y ajouter un « E ». J'y ajouterais, pour ma part, le « V » de visibilité. Le coût de la crise va peser sur nos collectivités, mais de façon peu prévisible, tant en recettes qu'en dépenses. Il y aura les dotations de l'État mais le rendez-vous sera certainement postérieur à 2022. De grandes incertitudes demeurent quant au sort qui sera fait aux collectivités de ce point de vue.

Il y a aussi le bonneteau fiscal. On peut résoudre ce problème, du moins en termes de visibilité, dans des délais convenables. J'en veux pour preuve la suppression de la taxe d'habitation et son effet sur la mesure de la richesse fiscale des communes et des intercommunalités en termes de potentiel financier. Nous savons qu'un gros problème se pose mais nul ne sait comment on va le régler. Il nous a été dit hier, en commission des Finances, que le problème ne se posait pas pour 2021. Effectivement, il se posera en 2022. On commence à nous dire qu'il y aura des effets de bord et que, pour rendre supportables les conséquences des décisions qui seraient prises, un lissage serait prévu sur cinq ans. Cela risque d'encourager les maires à lever le pied en matière d'investissement. Ces derniers ont déjà à assumer la diminution de leur autofinancement. Si, de surcroît, ils ne savent pas où ils vont, je pense que les conséquences seront terribles. Les associations doivent donc s'emparer de ce sujet pour trouver une solution dans les six mois qui viennent, afin que les dotations de péréquation ne soient pas impactées ou que l'on parvienne, en tout cas, à corriger cet effet.

Je dirai également un mot de la question du logement, qu'a évoquée François Baroin. Compte tenu de la disparition de la taxe d'habitation, il ne reste que le foncier. Nous assistons à un exode foncier pour les bailleurs sociaux et pour le logement intermédiaire. Si on ne règle pas ce problème, chacun en subira les conséquences. Je souhaiterais donc, là aussi, que les associations montent au créneau, car le logement est un peu l'angle mort de ce plan de relance et de la politique du gouvernement. Il serait temps de s'en préoccuper.

Mme Michelle Gréaume . - Merci, Mesdames et Messieurs, pour ces interventions très intéressantes. Je partage totalement le point de vue de M. Baroin sur certains aspects. Le virus a causé une crise économique et sociale inédite, alors que prévaut parallèlement un manque de concertation impressionnant.

Les associations d'élus ont-elles pu estimer les pertes financières, pour 2021, des différents échelons en termes de pertes de recettes et hausses de dépenses et de leur répartition ?

Quel horizon se dessine pour l'investissement public local au regard des incertitudes qui pèsent sur les budgets locaux actuellement, sans soutien stable et pérenne du gouvernement pour 2021 (d'autant que les montants de dotations sont souvent communiqués au dernier moment) ?

Quelles sont les dépenses pour lesquelles les collectivités réduisent le plus leurs moyens face à la crise ?

Je rappelle enfin la responsabilité de l'État, actionnaire de référence, à travers la BPI, qui doit éviter la casse de nos entreprises et du savoir-faire français. Je pense en particulier à Vallourec, dont le capital est détenu à 15 % par l'État.

M. François Baroin . - J'ai omis de saluer les travaux du sénateur Darnaud et de toute l'équipe de la délégation. Leur rapport était remarquable et fera date. Je sais que Rémy Pointereau a également été un acteur de cette réflexion.

S'agissant des normes, le dispositif de dérogation proposé par les préfets date, de mémoire, de 2017. Il a été assez efficace à plusieurs égards. Un décret a été pris au mois d'avril pour en élargir le champ, mais toujours pour les seuls actes règlementaires relevant de l'État. Le dispositif est peu connu et la délégation pourrait utilement demander qu'une lettre ministérielle soit signée par le Premier ministre afin de demander aux préfets d'aller devant les associations départementales des maires pour indiquer la liste des dérogations normatives pouvant exister et en assurer le cadre général.

La compétence GEMAPI illustre bien l'alternative du diable : dîner à sa table ou mourir de faim. La loi modifiée a créé l'obligation, pour les collectivités locales, d'investir pour le financement des ouvrages d'art. L'État a ainsi totalement dégagé sa responsabilité pénale au regard de possibles accidents. Ce cadre général est rendu plus ou moins inopérant par la politique de Bercy à propos de la réduction des plafonds mordants des agences de l'eau. Une collectivité peut difficilement s'engager dans les volumes importants d'investissement requis, sans relais par une agence de bassin. Or ces agences n'ont pas les moyens de créer l'effet de levier nécessaire pour financer ces ouvrages d'art. Je pense qu'il faut rechercher un financement croisé, avec des agences de bassin retrouvant, dans le cadre du plan de relance et de la relance de l'investissement public, la possibilité d'avoir des fonds pour investir, en lien avec les intercommunalités et en partenariat avec les départements ou les régions, en fonction de l'intérêt de l'ouvrage concerné.

La question posée par Céline Brulin, concernant les impôts de production, était adressée à Renaud Muselier. Je signale simplement que leur suppression envisagée a un impact direct sur intercommunalités dont ils constituent des recettes essentielles. C'est un vrai sujet. Je le répète : je ne vois pas comment le Conseil constitutionnel ne pourrait pas, sans doute à l'initiative du Sénat, avoir à faire prévaloir, de façon puissante, l'article 72 relatif à la libre administration des collectivités territoriales. Nous sommes au bout du bout.

La suppression de la taxe d'habitation est en fait une nationalisation d'un impôt local par création d'un déficit. Le contribuable local a été transformé en contribuable national. Il en est de même pour les impôts de production : l'agent économique qui est en lien avec son territoire est remplacé par un contribuable national avec pour effet un creusement de la dette à hauteur de de 20% de PIB que la France est en train d'assumer et de porter pour des générations. C'est une recentralisation par l'impôt. À travers chaque loi de finances, l'État affectera ainsi les dotations comme il l'entend. C'est un motif de préoccupation pour l'ensemble des collectivités territoriales.

Le sénateur Dallier soulève une question sur la visibilité et sur le logement. Nous avons été les tous premiers à alerter l'État, au lendemain de la première conférence des territoires de juillet 2017, sur la baisse de l'APL de 5 euros. Dès le mois de septembre, nous avons organisé une conférence de presse avec tous les acteurs du logement pour dire « attention danger ». Dès l'automne, lors du congrès des maires, j'avais saisi le président de la République lui-même en soulignant que cette mesure était une pure folie. Quelques mois plus tard, les membres du gouvernement chargés du dossier ont reconnu que c'était plus qu'une erreur - je ne reprendrai pas leurs propres termes... En toute hypothèse, la question du logement est prédominante : je maintiens qu'elle doit figurer dans le texte sur la décentralisation. Le sénateur Dallier a entièrement raison : il faut alerter les acteurs publics nationaux quant au désastre à venir. Du fait de l'absence de paiement du foncier par les bailleurs sociaux, la base sera de la taille d'une pièce de deux euros. C'est un problème majeur tant pour les collectivités locales que pour les citoyens.

Enfin, la sénatrice Gréaume évoque de nombreux sujets. En ce qui concerne les pertes de recettes, nous avions avancé avant l'été des chiffres de l'ordre de 14 ou 15 milliards. Je pense que nous serons au-delà. Pour les départements, il y a un effet de ciseau entre la baisse des recettes issues des DMTO et la hausse des dépenses liées au RSA. Les communes sont également très impactées. Une part significative de leurs dépenses, qui relève du fonctionnement, ne peut être payée par l'emprunt, à la différence de l'État. Il faut travailler avec Bercy sur un nouveau fléchage. La création d'un troisième bloc de dépenses liées au Covid, au fond, ne change rien. Nous allons les lister mais l'État ne contribuera pas. C'est ce qu'il faut débattre dans le cadre de la loi de finances. De quelle manière l'État prend-il à sa charge les pertes de recettes et les dépenses supplémentaires pour les communes ? En ce qui concerne les intercommunalités, c'est une fiscalité de flux. Nous aurons surtout rendez-vous au mois de mars mais nous avons déjà une idée de l'écrasement de leur autofinancement. Les régions ont aussi subi un choc majeur avec la TVA et la Cotisation sur la valeur ajoutée des entreprises (CVAE), même si la négociation permet de gagner du temps. À la lumière de l'analyse de nos services et selon mon expérience personnelle, j'estime que nous serons à près d'un point de PIB à l'issue du deuxième confinement.

Il est très difficile de dire quelles sont les postes de dépenses qui seront réduits par les maires. Nous essayons de maintenir en survie notre tissu associatif mais nous ne pouvons maintenir des subventions équivalentes. Nous souhaitons verser des subventions aux commerces mais nous regrettons de ne pas avoir de crédits fléchés en investissement pour se faire. Finalement, les économies à faire dans certains secteurs dépendront des choix municipaux mais aussi de la capacité de l'État à proposer qu'une part de nos dépenses de fonctionnement soit intégrée en investissement. Cela nous permettra de récupérer la TVA et d'avoir davantage de latitude pour agir.

M. Sébastien Martin . - Un combat essentiel est à mener dès à présent sur les réseaux de transport, compte tenu de la perte 450 millions d'euros au titre de du versement mobilité et d'un montant équivalent correspondant à la perte de recettes tarifaires. Nous demandons que le dispositif mis en place en Ile-de-France le soit également pour toutes les autorités organisatrices de la mobilité en France. Ce ne doit pas seulement être une compensation de la perte des tarifs par une avance remboursable. Nous voulons une compensation de la perte du versement mobilité en l'absence de laquelle il y aura une inégalité de traitement avec les syndicats de transport dont les recettes fiscales, qui constituent l'intégralité du budget, sont entièrement compensées.

M. François Baroin . - Je partage complètement ce point de vue.

M. Dominique Bussereau . - J'approuve entièrement ce que dit Sébastien à propos des transports collectifs. Valérie Pécresse a mené une bonne négociation pour l'Ile-de-France mais le problème reste entier en dehors de cette région. Le Groupement des autorités responsables de transport (GART) porte avec force et avec raison ce dossier. Par ailleurs, s'agissant de la dérogation aux normes, il faut certainement faire un rappel aux préfets à ce sujet.

En ce qui concerne le financement du numérique, la situation varie selon les territoires. Dans mon département, j'ai signé une délégation de service public avec un opérateur, après appel d'offres. Le dispositif repose sur le financement de mon département, de la région, de l'État et éventuellement de l'Europe, sans mise à contribution des intercommunalités.

Il en est de même pour GEMAPI. Dans ses précédentes fonctions, Jacqueline Gourault avait présenté un amendement, adopté au Sénat, qui permet aux départements de se substituer aux intercommunalités, à la demande de celles-ci, pour exercer la compétence GEMAPI, lorsqu'elles ne disposent pas des ressources d'ingénierie nécessaires. Nous avons par exemple lancé, suite à Xynthia, un plan « digues » de plusieurs centaines de millions d'euros faisant intervenir des financeurs publics diversifiés dans mon département. C'est un plan très important puisque l'Île de Ré, par exemple, est en grande partie sous le niveau de la mer. En l'absence de digues solides, cette île risque de disparaître.

Céline Brulin a soulevé la question de la recentralisation du RSA. L'ADF n'y est pas favorable mais soutient les départements qui le souhaitent pour eux-mêmes compte tenu de leur situation. Cela a déjà été fait en Guyane, à La Réunion et à Mayotte. C'est également une demande de la Seine-Saint-Denis, à laquelle le Premier ministre vient de répondre favorablement. La Gironde et tout récemment la Somme ont présenté une demande similaire.

En matière de défense contre l'incendie, la dernière élection sénatoriale a montré l'acuité de ce sujet. Nous avons identifié le souhait que les préfets de département viennent en aide aux communes via la Dotation d'équipement des territoires ruraux (DETR), ainsi que les départements au maximum de leur capacité contributive.

Je partage pleinement les propos de Philippe Dallier sur le logement.

Enfin, pour répondre à la question de Michèle Gréaume, nous prévoyons une perte substantielle de recettes au titre de la DMTO, des dépenses supplémentaires à hauteur d'un milliard d'euros en 2021, notamment liées au RSA. Je m'interroge dès lors sur la capacité contributive des conseils départementaux au plan de relance au moment où certains d'entre eux sont contraints de réduire leurs investissements. Je le dis devant la délégation : soyons ensemble attentifs à ce qu'on ne nous ressorte pas le pacte de Cahors... C'est une absurdité qui traduit une volonté de recentralisation étatique vis-à-vis des collectivités. Il a été mis de côté du fait de la crise. Je ne voudrais pas qu'on nous le ressorte en 2021.

M. Renaud Muselier . - Nous avons engagé 1,7 milliard d'euros de dépenses exceptionnelles dans la crise de 2020. Nous avons subi des pertes de recettes supérieures à 1,2 milliard, soit un effet total de 2,9 milliards d'euros. Pour 2021, la baisse des recettes perçues au titre de la CVAE entraînerait une perte de 2 à 4 milliards supplémentaires, ce qui aurait réduit à néant nos capacités d'investissement. Compte tenu de ce contexte, nous avons conclu un accord avec le gouvernement, préservant nos ressources à compter de 2021 (sans effacer les pertes de 2020) en remplaçant la CVAE par de la TVA. Cet accord permet de supprimer la part régionale de CVAE au bénéfice de la compétitivité des entreprises et permet aux régions d'investir massivement dans les accords de relance et le contrat de plan État-région, mais il constitue une forme de renationalisation.

Notre sécurité financière est, à ce stade, à peu près assurée car nous étions hors des projets de loi de finances 1 et 2. Nous constatons néanmoins l'absence de pouvoir fiscal régional, problème qu'il faudra régler. Les régions sont également très inquiètes de l'impasse budgétaire dans laquelle se trouve le bloc communal, qui met en péril une grande partie de la commande publique. Nous avons signé le meilleur accord possible compte tenu des circonstances et je tiens à en remercier le Premier ministre car nous sommes allés très vite. Les régions soutiennent la demande de sécurisation des recettes. Nous attendons du projet de loi de finance pour 2021 qu'il finalise deux engagements de l'accord de partenariat signé avec le gouvernement : l'octroi de 600 millions d'euros de subvention d'investissement au titre de l'exercice 2020 et la neutralité financière du passage de la CVAE à la TVA entre 2020 et 2021, en renvoyant à 2022 la mise en place d'un nouveau système de péréquation.

Le problème du délai des contrats de plan État-région a été évoqué. Deux positions existent parmi les présidents de région, du fait notamment des incertitudes qui demeurent concernant les métropoles et les départements d'une part, et les infrastructures ferroviaires après 2022 d'autre part. Acceptons-nous de signer pour avancer - c'est ma position - ou le refusons-nous en essayant de traiter les choses au mieux dans l'immédiat et en repoussant la négociation à plus tard - ce qui est la position d'autres présidents de région ? Nous sommes partagés car il faut aller vite et néanmoins prendre des décisions. Chacun négocie chez soi, parallèlement, avec son préfet de région, ce qui est plus ou moins facile suivant les régions.

Mme Sylvie Robert . - Je voudrais parler du secteur de la culture, très touché par la crise au même titre que le tissu économique qui lui est lié, en dépit du soutien important des collectivités territoriales.. Ce secteur a souffert d'un manque de visibilité ; il n'en a toujours pas aujourd'hui. En effet, nous ne savons pas quand pourront rouvrir les lieux de culture (musées, lieux de spectacle vivant, etc.). En tant que rapporteure des crédits, je puis vous indiquer que le seul budget de la création représente 390 millions d'euros. Le volet culturel du plan de relance représente quant à lui 2 milliards d'euros. Tout n'ira pas aux régions : une grande part de ce montant bénéficiera à l'Ile-de-France. Une attention particulière doit être portée à une relance culturelle au printemps, que j'appelle de mes voeux, ainsi qu'à une organisation territoriale, que je souhaite efficace et opérationnelle. Elle doit associer les collectivités territoriales, les Directions régionales des affaires culturelles (DRAC) et l'ensemble des acteurs. Les Conseils territoriaux pour la culture (CTC) ont été mis en place au printemps 2020. Pensez-vous que ce seront des outils efficaces pour mettre en place cette relance ? Avez-vous été associés, ou du moins approchés, pour leur mise en place et à la mise en oeuvre du volet culturel du plan de relance dans les régions ? Une inquiétude existe aussi dans le secteur culturel à propos de la levée de la clause de service fait. J'aimerais connaître vos avis sur ce point.

M. Fabien Genet . - Messieurs les présidents, merci pour vos analyses et pour votre présentation de la situation. C'est un constat en 5D que vous avez dressé : dysfonctionnement dans la gestion de la crise, dépouillement de l'État sur le terrain, diète budgétaire, désert économique à venir (disait le président de l'AMF) et désobéissance civile en embuscade, que l'on sent encore sur le terrain. On se demande, à vous entendre, si l'hiver du mécontentement va revenir cette saison et s'il faut encore garder un peu d'espoir - je crois qu'il existe encore sur le terrain.

J'aurai beaucoup de remarques à formuler sur les problématiques de la ruralité et les enjeux de déconcentration de l'État. Plusieurs d'entre vous ont relevé que le préfet de département était un interlocuteur privilégié dans la gestion de la crise, mais a-t-il suffisamment d'agents sous sa responsabilité pour gérer les nouveaux pouvoirs que l'on souhaite lui conférer ?

En vous entendant tous, je me demande finalement s'il est vraiment raisonnable aujourd'hui d'aspirer à une nouvelle décentralisation, au regard des moyens des collectivités locales ? Est-il raisonnable de demander de courir un marathon à quelqu'un qui s'est entraîné à courir dix kilomètres, alors même qu'on le prive d'alimentation ? Avez-vous, Messieurs les présidents, des propositions afin de redonner des moyens aux collectivités locales ?

M. François Baroin . - Les communes et intercommunalités sont des acteurs majeurs de la culture, dans ses trois dimensions (patrimoine, aide à la création, égal accès pour tous). Un fléchage fort peut exister pour la partie patrimoniale dans le cadre du plan de relance. Ce fléchage doit également exister pour aider les acteurs locaux en grande difficulté. Quant à l'accès de tous à la culture, le numérique peut constituer un outil intéressant. Je suis très attentif, en tant qu'acteur local, à l'aide à la création, et nous sommes particulièrement préoccupés par la situation des associations et des bénévoles. C'est un plan Marshall de grande envergure qui est nécessaire. Les dispositifs de soutien fonctionnent bien pour ce qui a trait à la négociation des pré-contrats de plan, il existe une volonté manifeste de l'État de répondre aux demandes d'accompagnement, même si l'on peut sûrement faire plus et mieux.

S'agissant de la décentralisation, l'hypothèse du statu quo - certes paradoxale eu égard aux défaillances de l'État - est intéressante. Ce n'est pas ma position. Si l'on s'accroche à la situation actuelle parce qu'on a peur, que la maison est fragile ou parce que c'est la tradition de notre pays depuis Colbert, nous sommes assurés que les tensions sociales et les forces centrifuges s'accroîtront, d'autant que la crise sociale va survenir en mai ou juin prochain. Les études de la Direction de l'animation, de la recherche, des études et des statistiques (DARES) évoquent dix millions de pauvres, dont 300 000 pauvres supplémentaires suite au premier confinement, et entre un million et un million et demi de chômeurs supplémentaires. Certes, le rebond de la croissance absorbera une partie de cet impact. Dans l'intervalle, des destructions de richesses, de valeurs et d'acteurs économiques locaux se seront néanmoins produites. Notre souhait de soutenir les forces territoriales est nourri par la passion républicaine et la passion de l'État. Nous sommes des partenaires de l'État et non des opposants à celui-ci. Nous aimons l'État. Nous avons aimé le servir et aimons travailler avec lui. Nous voulons un État recentré sur ses missions. Les propositions que nous formulons participent de cette ambition. Nous demandons un transfert d'effectifs et de tous les crédits budgétaires, notamment dans le domaine du logement et de la santé. En d'autres termes, nous demandons à récupérer et les fonctionnaires et les crédits. L'État se concentrera sur les missions pour lesquelles il est attendu (sécurité, lutte contre le terrorisme, défense, services publics, diplomatie...), et qui font le corps de la cohésion de la Nation. Le reste, nous nous en occuperons bien mieux.

M. Dominique Bussereau . - Pour répondre à Sylvie Robert, d'après ce que je vois des enveloppes budgétaires contenues dans les contrats de plan État-région, je crains que la culture ne figure au rang de parent pauvre. Pour le reste, nous faisons en sorte d'assurer le financement, y compris pour l'année où des évènements tels que les festivals, n'ont pas eu lieu, afin que les équilibres soient préservés et de pouvoir préparer leur édition 2021.

Il faut effectivement, à mes yeux, continuer de décentraliser dans les conditions énoncées par François Baroin. Par exemple : il reste très peu de routes nationales sur le territoire. Certaines ont été ajoutées à des concessions autoroutières lorsqu'il s'agit du prolongement de réseaux autoroutiers. D'autres peuvent être reprises par les départements à condition que nous ayons un transfert de routes en bon état ou, à défaut, les crédits nécessaires pour compenser les retards d'entretien, ainsi que des garanties sur le personnel. Lorsqu'il sera transformé en voiries départementales, ce qui reste du réseau de routes nationales offrira de bien meilleures prestations. Nous pourrions dire la même chose pour la médecine scolaire et bien d'autres domaines.

M. Renaud Muselier . - La culture est un domaine dont la décentralisation est intéressante à étudier.

Nous n'avons pas été associés au plan de relance. Comme toutes les autres régions, je crois, nous avons maintenu la totalité de nos subventions, pour toutes les démarches qui ont été engagées. Nous avons même mobilisé 5 millions d'euros supplémentaires (soit 60 millions d'euros au total) pour faire face à la crise. Nous signons un contrat triennal avec tous nos partenaires afin qu'ils aient une visibilité sur les aides qu'ils reçoivent pour leur fonctionnement ou leurs investissements. Je pense qu'ils en sont plutôt satisfaits.

Quant à la position de Fabien Genet, je voudrais dire que je suis très favorable à la décentralisation. Je pourrais reprendre mot pour mot les propos de François Baroin. Néanmoins, garder le même mode de décision sans les moyens ni les ressources humaines nous conduirait à la catastrophe. Par exemple, le Comité interministériel de performance et de la modernisation de l'offre de soins (COPERMO) a décidé, après dix ans d'études, d'octroyer un plan d'investissement dans les hôpitaux de Marseille (qui représentent la deuxième Assistance Publique de France), financé par l'État à hauteur de 300 millions d'euros, et, à la demande de ce dernier, par les collectivités territoriales (villes, départements, régions) à hauteur de150 millions d'euros, alors qu'il n'est pas de notre responsabilité de payer les investissements dans les hôpitaux. La région compte un certain nombre d'hôpitaux, il a fallu trouver un équilibre afin que les autres établissements de santé ne soient pas jaloux des moyens alloués à l'Assistance publique-Hôpitaux de Marseille (APHM). Toutefois, la décision du COPERMO n'a jamais été mise en oeuvre. Si nous agissions de la même façon dans nos collèges, dans nos lycées et dans nos écoles, ils seraient dans un état de délabrement avancé !

M. Sébastien Martin . - Il n'y aura pas de culture sans artistes. Les collectivités, en particulier les commues et les intercommunalités, ont joué leur rôle d'amortisseur pendant la première vague de l'épidémie en maintenant leurs subventions, notamment des avances pour les compagnies qui devaient se produire sur des scènes nationales ou dans des conservatoires. La question porte sur l'avenir. Notre pays est sans doute celui qui a la richesse culturelle et créatrice la plus importante. La Banque des territoires, BPI, devrait investir dans la création et la production culturelle, qui est aussi un bien économique majeur. Cela contribuerait au rayonnement culturel national. Nous oublions que la culture peut aussi constituer un investissement.

Il serait effectivement raisonnable, cher Fabien, d'aller vers davantage de déconcentration, à condition d'exercer nos compétences de bout en bout. François Baroin évoquait le logement. On peut faire le même constat à propos de l'habitat. Aujourd'hui, certaines intercommunalités vont loin et exercent, jusqu'à différents niveaux, la délégation des aides à la pierre. Le maquis des aides à la rénovation de logements et d'habitat est tel que nous avons été invités à créer des plateformes locales, des espaces habitat conseil, des guichets uniques. Nous le faisons, et des intercommunalités sont aujourd'hui capables de porter la compétence « habitat ». Elles se sont dotées de plans locaux d'habitat et de véritables politiques en la matière. Qu'on aille plus loin en expérimentant le principe de la différenciation sur un sujet comme celui-là. Il ne s'agit pas de faire comme avec le dispositif « Ma Prime Rénov » : la facture est envoyée à Paris pour toucher la prime, alors qu'il existe juste à côté de chez soi des plateformes de la rénovation énergétique qui accompagnent les ménages en les conseillant pour qu'ils bénéficient des meilleurs plans de financement.

Mme Françoise Gatel, présidente . - Merci Monsieur le président.

Il m'appartient de conclure. Je voudrais chaleureusement vous remercier, au nom de la délégation, pour le temps que vous nous avez consacré et pour votre état d'esprit lucide mais positif, résolument tourné vers l'avenir. Nos collectivités sont persuadées que l'avenir se fera au travers des territoires, par une alliance bienveillante avec le gouvernement et l'État. Si nous formons la chambre des territoires, dont nous portons fièrement la voix, nous avons aussi besoin de votre soutien pour soutenir les deux propositions de loi adoptées au Sénat, élaborées avec vous dans un esprit très constructif. Elles ne visent qu'un objectif : l'efficacité de l'action publique. La décentralisation et la déconcentration ne sont que des moyens, comme certains d'entre vous l'ont souligné. Ce sont les moyens dont nous avons besoin pour réussir.

J'aurai un mot personnel pour Dominique Bussereau : nous veillons avec attention à l'évolution de ce nouveau-né que constitue l'Agence nationale de cohésion des territoires. Nous avions un débat hier. La délégation aux collectivités va poursuivre sa mission de surveillance et d'aide à l'épanouissement positif de cette agence, qui doit cohabiter avec les initiatives d'agences d'ingénierie qui existent déjà.


* 1 Projet de loi relatif à la différenciation, la décentralisation, la déconcentration et portant diverses mesures de simplification de l'action publique locale n° 588 (2020-2021) de Mme Jacqueline Gourault, ministre de la Cohésion des territoires et des Relations avec les collectivités territoriales, déposé au Sénat le 12 mai 2021.

* 2 « Nous exonérerons de la taxe d'habitation tous les Français des classes moyennes et populaires (soit 80% des ménages). C'est un impôt injuste : on paye souvent beaucoup plus quand on vit dans une commune populaire que dans une commune riche. Dès 2020, 4 Français sur 5 ne paieront plus la taxe d'habitation, et l'État remboursera entièrement auprès des communes leur manque à gagner, à l'euro près, en préservant leur autonomie fiscale. » (Programme de campagne).

* 3 Projet de loi constitutionnelle pour un renouveau de la vie démocratique.

* 4 Projet de loi constitutionnelle pour une démocratie plus représentative, responsable et efficace, déposé 9 mai 2018, retiré le 29 août 2019.

* 5 Sénat, Faciliter l'exercice des mandats locaux, Rapport d'information, n° 642, 5 juillet 2018. Ce rapport comporte six tomes.

* 6 Proposition de loi constitutionnelle n° 682 (2019-2020) de MM. Philippe Bas, Jean-Marie Bockel et plusieurs de leurs collègues, déposée au Sénat le 29 juillet 2020 ; proposition de loi organique pour le plein exercice des libertés locales n° 683 (2019-2020) de MM. Philippe Bas, Jean-Marie Bockel et plusieurs de leurs collègues, déposée au Sénat le 29 juillet 2020 ; proposition de loi n° 684 (2019-2020) de MM. Philippe Bas, Jean-Marie Bockel et plusieurs de leurs collègues, déposée au Sénat le 29 juillet 2020.

* 7 Proposition de résolution en application de l'article 34-1 de la Constitution, pour une nouvelle ère de la décentralisation, n° 515 (2019-2020), de M. Éric Kerrouche et plusieurs de ses collègues, déposée au Sénat le 16 juin 2020.

* 8 Sondage CSA Research , administré par téléphone, du 19 octobre au 6 novembre 2020. Échantillon de 500 élus locaux (dont 81% d'élus municipaux et 19% d'élus départementaux et régionaux). Échantillon constitué d'après la méthode des quotas sur les critères suivants : catégories d'élus, puis sur la région et la taille des communes pour les élus municipaux. Les trois catégories d'élus ont ensuite été remises à leurs poids réels dans le traitement des résultats.

* 9 Sondage CSA auprès du grand public pour la délégation du Sénat aux collectivités territoriales, mars 2020.

* 10 Sondage CSA auprès du grand public pour la délégation du Sénat aux collectivités territoriales, mars 2020.

* 11 Sénat, Les collectivités territoriales face au Covid-19, rapport d'information de MM. Jean-Marie Bockel, François Bonhomme, Daniel Chasseing, Mme Josiane Costes, MM. Mathieu Darnaud, Marc Daunis, Bernard Delcros, François Grosdidier, Charles Guené, Éric Kerrouche, Antoine Lefèvre, Christian Manable et Pascal Savoldelli, fait au nom de la délégation aux collectivités territoriales, n° 625 (2019-2020), 10 juillet 2020.

* 12 Audition du 28 janvier 2021.

* 13 Idem.

* 14 Audition du 28 janvier 2021.

* 15 Rapport d'information de MM. François Calvet et Marc Daunis, fait au nom de la délégation aux collectivités territoriales, n° 720, tome I (2015-2016), 23 juin 2016.

* 16 Conseil d'État, Simplification et qualité du droit, Étude annuelle 2016.

* 17 CNEN, Rapport relatif à l'intelligibilité et à la simplification des normes applicables aux collectivités territoriales au service de la transformation de l'action publique, 17 février 2021, p. 28-29.

* 18 CNEN et Lexis-Nexis, Améliorer la qualité du droit par la généralisation des bonnes pratiques, Actes du e-colloque du 26 novembre 2020, La Semaine juridique, édition générale, supplément au n° 3, 18 janvier 2021, p. 10.

* 19 CNEN et Lexis-Nexis, Améliorer la qualité du droit par la généralisation des bonnes pratiques, Actes du e-colloque du 26 novembre 2020, La Semaine juridique, édition générale, supplément au n° 3, 18 janvier 2021, p. 21.

* 20 Alain Lambert et Jean-Claude Boulard, Rapport de la mission de lutte contre l'inflation normative, Premier ministre - Ministère de la Réforme de l'Etat, de la Décentralisation et de la Fonction publique, 26 mars 2013, p. 15.

* 21 Sénat, Réduire le poids des normes en aval de leur production : interprétation facilitatrice et pouvoir de dérogation aux normes, Rapport d'information de MM. Jean-Marie Bockel et Mathieu Darnaud, fait au nom de la délégation aux collectivités territoriales, n° 560 (2018-2019), 11 juin 2019.

* 22 Assemblée nationale, Rapport fait au nom de la commission des Lois constitutionnelles, de la Législation et de l'Administration générale de la République sur le projet de loi, adopté par le Sénat après engagement de la procédure accélérée, relatif à l'engagement dans la vie locale et à la proximité de l'action publique (n° 2357) par M. Bruno Questel, pp. 187-188.

* 23 Audition du 28 janvier 2021.

* 24 Sénat, Rapport d'étape sur la réorganisation territoriale, Rapport d'information de Yves Krattinger et Jacqueline Gourault, fait au nom de la délégation aux collectivités territoriales, n° 264, tome I (2008-2009), 11 mars 2009.

* 25 « Alors même que la compétence et les moyens ont été transférés aux services décentralisés, les administrations centrales continuent de produire un flux important de règlementations induisant des charges supplémentaires pesant sur les budgets locaux . » in CNEN, Rapport relatif à l'intelligibilité et à la simplification des normes applicables aux collectivités territoriales au service de la transformation de l'action publique, 17 février 2021, p. 23.

* 26 Ibid , p. 21.

* 27 50 propositions du Sénat pour le plein exercice des libertés locales, pp. 25-26.

* 28 Proposition de loi permettant un exercice territorialisé de compétences au sein des établissements publics de coopération intercommunale à fiscalité propre de cinquante communes au moins, n° 758 (2015-2016) de MM. Philippe Bas, Mathieu Darnaud et plusieurs de leurs collègues, déposée au Sénat le 5 juillet 2016.

* 29 Sénat, Quand la réforme rencontre les territoires - Deuxième rapport d'étape de la mission de contrôle et de suivi de la mise en oeuvre des lois de réforme territoriale, Rapport d'information de MM. Mathieu Darnaud, René Vandierendonck, Pierre-Yves Collombat et Michel Mercier, fait au nom de la commission des Lois, n° 730 (2015-2016), 29 juin 2016.

* 30 Audition du 29 janvier 2021.

* 31 « Les formes de territorialisation qui voient le jour sont en quelque sorte des éléments qui servent à "faire passer la pilule" : une fois qu'on a centralisé l'exercice d'une compétence, on met en place des mécanismes de consultation de ceux qui apparaissent comme dépossédés » in Actes du colloque du 15 mars 2018 sur L'adaptation locale de l'organisation territoriale, les rapports juridiques des collectivités territoriales entre elles et avec leurs groupements , Rapport d'information de M. Jean-Marie Bockel, Mme Françoise Gatel, MM. Éric Kerrouche et Philippe Mouiller, fait au nom de la délégation aux collectivités territoriales, n° 579 (2017-2018), 19 juin 2018, p. 74.

* 32 Audition du 28 janvier 2021.

* 33 Ibid.

* 34 Ibid.

* 35 Audition du 28 janvier 2021.

* 36 Ibid .

* 37 Audition du 19 novembre 2020.

* 38 Ibid .

* 39 Proposition n° 33.

* 40 Sénat, Les collectivités territoriales face au Covid-19, Rapport d'information de MM. Jean-Marie Bockel, François Bonhomme, Daniel Chasseing, Mme Josiane Costes, MM. Mathieu Darnaud, Marc Daunis, Bernard Delcros, François Grosdidier, Charles Guené, Éric Kerrouche, Antoine Lefèvre, Christian Manable et Pascal Savoldelli, fait au nom de la délégation aux collectivités territoriales, n° 625 (2019-2020), 10 juillet 2020, p. 56.

* 41 Ibid. , pp. 98 et 108.

* 42 Arnaud Duranthon, Subsidiarité et collectivités territoriales, Étude sur la subsidiarisation des rapports entre État et collectivités, février 2017. Cet ouvrage a été couronné par le Premier Prix de Thèse du Sénat.

* 43 En lien avec la proposition n° 26 des 50 propositions du Sénat pour le plein exercice des libertés locales.

* 44 En lien avec la proposition n° 23 des 50 propositions du Sénat pour le plein exercice des libertés locales.

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