V. RENFORCER ET RÉÉQUILIBRER L'ACTION DE LA FRANCE ET DE L'UE NOTAMMENT DANS LE DOMAINE ÉCONOMIQUE

L'Union européenne et la France doivent renforcer et rééquilibrer leurs relations avec les pays du Caucase du sud, où prévaut aujourd'hui l'influence croissante de la Russie, mais aussi de la Turquie et de la Chine.

A. LE PARTENARIAT ORIENTAL, PARTENARIAT ÉCONOMIQUE OU GÉOPOLITIQUE ?

1. Une UE sans « boussole stratégique » dans le Caucase ?

Lancé en 2009, le Partenariat oriental vise l'Arménie, l'Azerbaïdjan, la Biélorussie, la Géorgie, la République de Moldavie et l'Ukraine.

Ce Partenariat oriental est à géométrie variable. Il a permis la signature d'accords d'association avec l'Ukraine, la Géorgie et la Moldavie, pays bénéficiant également d'une exemption des visas de court séjour.

Dans le Caucase, la Géorgie est le pays le plus engagé dans ses relations avec l'UE (et avec l'OTAN 16 ( * ) ), ayant clairement choisi de renforcer sa relation avec les pays occidentaux pour contrebalancer l'influence de la Russie. La situation est moins tranchée du côté de l'Arménie et de l'Azerbaïdjan.

L'Arménie a renoncé à l'accord d'association qu'elle avait commencé à négocier, à la suite de son adhésion à l'Union économique eurasiatique en 2015. En novembre 2017, elle a conclu avec l'UE un accord de Partenariat global et renforcé (qui ne comporte pas d'accord de libre-échange). L'Union européenne aide principalement l'Arménie par l'intermédiaire de l'instrument européen de voisinage, grâce auquel 200 M€ ont été alloués au pays pour la période 2017-2020. L'UE soutient les réformes internes ainsi que le secteur privé et les infrastructures. En réaction à la pandémie de covid-19, un montant de 92 millions d'euros supplémentaires a été alloué à l'Arménie.

L'UE et l'Azerbaïdjan ont conclu un accord de Partenariat et de coopération en 1999. La négociation d'un nouvel accord a pris du retard. La question de l'adhésion de l'Azerbaïdjan à l'Union économique eurasiatique n'est pas réglée, ses relations s'étant, par ailleurs, renforcée avec la Turquie. Le soutien financier de l'UE à l'Azerbaïdjan s'élève à 106 M€ sur la période 2014-2020. En réponse à la pandémie de covid-19, l'UE a accordé à ce pays une aide de 31,6 M€.

La communication conjointe de la Commission, en date du 18 mars 2020 et les conclusions du Conseil du 11 mai 2020 sur l'avenir du Partenariat oriental ont réaffirmé l'importance stratégique de cette politique. Après un sommet « virtuel » en juin 2020, un nouveau Sommet du Partenariat oriental devrait avoir lieu en décembre 2021. Cinq objectifs stratégiques sont assignés par le Conseil européen et la Commission au Partenariat oriental, au-delà de 2020 :

« - Des économies résilientes, durables et intégrées ;

- des institutions comptables de leurs actes, pour l'État de droit et pour la sécurité ;

- une résilience environnementale et climatique ;

- une transformation numérique ;

- des sociétés justes et inclusives. »

Les dirigeants européens ont réagi au conflit lors du Conseil européen des 1 er et 2 octobre 2020, exprimant leur soutien aux coprésidents du groupe de Minsk. Dans une déclaration du 19 novembre 2020, le Haut-Représentant a déclaré au nom de l'UE qu'il fallait « redoubler d'efforts pour parvenir à un règlement négocié, global et durable du conflit, y compris en ce qui concerne le statut du Haut-Karabakh ». Il a condamné, par ailleurs « le recours aux armes à sous-munitions et aux armes incendiaires ».

Le Représentant spécial de l'UE pour le Sud Caucase, Toivo Klaar, s'est rendu en Arménie et en Azerbaïdjan du 20 au 24 février puis du 10 au 14 mars 2021. Il a également été en contact avec la co-présidence du Groupe de Minsk. Trois ministres des affaires étrangères européens (Autriche, Lituanie et Roumanie) se sont rendus dans les trois pays de la région les 25 et 26 juin 2021.

Après le déclenchement des hostilités, la Commission a décidé une aide humanitaire d'un montant de 6,9 M€ en soutien aux populations affectées par le conflit. Une nouvelle aide d'un montant de 10 M€ a été décidée en mai 2021, portant le montant total de l'aide de l'UE à 17 M€.

Quant au Parlement européen, il a adopté, le 20 mai 2021, une Résolution sur la question des prisonniers de guerre.

Le conflit récent a montré que le Partenariat oriental ne pouvait être dénué d'une dimension stratégique , même s'il s'agit avant tout d'un partenariat économique et politique. Ce partenariat doit être renforcé à l'égard de l'Arménie et de l'Azerbaïdjan , qui ne font pas partie du groupe de tête, constitué des pays liés à l'UE par des accords d'association (Ukraine, Géorgie, Moldavie). L'accord existant avec l'Arménie doit être pleinement exploité. Les négociations en vue d'un nouvel accord avec l'Azerbaïdjan doivent être relancées. L'UE a de réels leviers d'action en faveur de la démocratisation et du développement économique des pays du Caucase du sud, mais elle semble freinée dans son action par la crainte de susciter des tensions avec la Russie , qui n'est d'ailleurs plus le seul acteur présent dans la région, au regard de l'influence croissante de la Turquie et de la Chine. Il n'est, du reste, pas interdit d'imaginer qu'un approfondissement du Partenariat oriental, voire l'établissement de liens avec l'Union économique eurasiatique et la définition de « lignes rouges » réciproques, puisse être discuté ouvertement avec la Russie.

2. Des relations économiques déséquilibrées

Le partenariat oriental accompagne des relations économiques déséquilibrées.

L'Azerbaïdjan est un partenaire économique important, situé à un carrefour stratégique entre l'Europe et l'Asie. En 2019, les échanges commerciaux de biens de l'UE avec l'Azerbaïdjan étaient dix fois plus élevés que ses échanges commerciaux de biens avec l'Arménie . L'Azerbaïdjan fournit aux pays de l'UE 4 % de leur pétrole importé (pour mémoire, par comparaison, la Russie fournit 30 % des importations européennes de pétrole et 40 % des importations européennes de gaz).

Échanges commerciaux de biens de l'UE avec l'Arménie (2019)

Échanges commerciaux de biens de l'UE avec l'Azerbaïdjan (2019)

Montant des exportations vers l'Arménie : 0,8 Md€

Montant des exportations vers l'Azerbaïdjan : 1,8 Md€

Montant des importations en provenance de l'Arménie : 0,4 Md€

Montant des importations en provenance d'Azerbaïdjan : 10,6 Mds€

Solde des échanges : +0,4 Md€

Solde des échanges : -8,8 Mds€

L'Union européenne est le premier partenaire commercial de l'Azerbaïdjan et son premier marché à l'exportation (essentiellement dans le secteur des hydrocarbures), ainsi que son premier investisseur étranger. Les relations commerciales entre l'Azerbaïdjan et l'Italie sont particulièrement notables : l'Italie est le premier client de l'Azerbaïdjan , en raison de ses achats d'hydrocarbures, devant la Turquie et la Russie.

L'UE est également le plus grand marché à l'export de l'Arménie.

Les relations entre les pays de l'UE et l'Azerbaïdjan ont été marquées par l'ouverture récente du corridor gazier sud-Européen qui permet d'acheminer le gaz de la mer Caspienne en Europe. Ce corridor renforce la place de l'Italie comme partenaire commercial essentiel pour Bakou. Le dernier tronçon du corridor gazier sud-européen, le TAP ( Trans-Adriatic Pipeline ), a ouvert fin 2020.

Oléoducs et gazoducs pour l'exportation des hydrocarbures d'Azerbaïdjan

L'Azerbaïdjan dispose des 20 èmes réserves mondiales prouvées de pétrole (0,4% du total) et des 25 èmes réserves mondiales prouvées de gaz (0,5% du total) mais avec un potentiel offshore non exploré encore substantiel.

L'Azerbaïdjan exporte son brut à travers 3 oléoducs : l'oléoduc Bakou-Tbilissi-Ceyhan (BTC) de 1 776 km, ouvert en 2005, qui le relie à la mer Méditerranée ; l'oléoduc Bakou-Novorossisk de 1 335 km qui le relie depuis 1977 à la Mer Noire par la Russie ; et enfin l'oléoduc Bakou-Supsa, 835 km, qui le relie depuis 1999 à la Mer Noire par la Géorgie.

Le gaz naturel azerbaïdjanais est exporté à travers plusieurs gazoducs : le Bakou-Tbilissi-Erzurum (BTE) dit South Caucasus Pipeline (SCP) de 690 km mis en service en 2006 pour alimenter la Grèce et la Turquie ; le Hajiqabul (Gazi-Magomed)-Astara-Abadan vers l'Iran de 1 475 km ouvert en 2006 ; et le Hajiqabul (Gazi-Magomed)-Mozdok (Russie) de 680 km ouvert en 2009 (à flux réversible).

La priorité de l'Azerbaïdjan est la mise en oeuvre du corridor gazier sud, projet d'infrastructures gazières de 3 500 km estimé à 40 Mds USD, dont près de 10 Mds USD d'engagements azerbaïdjanais. Reliant les champs gaziers azerbaïdjanais aux marchés turc et européen, le corridor gazier sud comprend quatre pans : l'aménagement des champs gaziers de Shah Deniz 2, l'extension du gazoduc sud-caucasien (SCPX) jusqu'à la frontière turque en passant par la Géorgie, la construction du gazoduc transanatolien (TANAP) jusqu'à la frontière grecque en traversant la Turquie, et la construction du gazoduc transadriatique (TAP) jusqu'à l'Italie en passant par la Grèce, l'Albanie et la mer Adriatique. Les livraisons de gaz naturel azerbaïdjanais vers la Turquie à travers le SCPX ont commencé dès 2018, et le TANAP a été inauguré en novembre 2019. La capacité du gazoduc de 1 850 km est de 16 Mds m 3 annuels, dont 6 Mds m 3 destinés au marché turc et 10 Mds au marché européen, et pourra être portée à 24 puis 31 Mds m 3 annuels. Les travaux relatifs au TAP, dernier maillon de 878 km du corridor gazier sud, seraient eux terminés à 92% en janvier 2020, pour une mise en opération fin 2020.

Source : DG Trésor, 11 mars 2020

Enfin, l'Azerbaïdjan est particulièrement bien placé sur les « Routes de la Soie », au carrefour entre l'Asie et l'Occident. Le pays a investi, en particulier, pour développer le port de Bakou et la voie ferrée Bakou-Tbilissi-Kars pour l'acheminement de marchandises vers l'Europe.

Au cours de la dernière décennie, la Chine a fait preuve d'un activisme grandissant dans le Caucase du sud , maillon essentiel de son grand projet économique et géopolitique des « Routes de la soie ». Elle finance des projets d'infrastructure et a établi des coopérations dans le domaine de la défense. Son influence dans la région vient concurrencer celles, plus traditionnelles, de la Russie et de la Turquie. Toutefois, comme l'indique une étude de l'IFRI : « La Russie ne nourrit probablement aucune illusion quant aux intentions chinoises réelles, mais semble s'accommoder pour le moment d'un entrisme chinois grandissant dans son étranger proche. Les activités que la Chine y déploie servent en effet ses intérêts de court terme : consolidation de pouvoirs et de pratiques autoritaires et affaiblissement de l'influence des démocraties occidentales » 17 ( * ) .

Réseau transcaspien de transport international (rail + ferry)

Source : TITR ( Trans-Caspian International Transport Route )

L'Arménie demeure, quant à elle, quelque peu marginalisée dans ce grand schéma. L'Union européenne participe au désenclavement de l'Arménie, en finançant l'amélioration des échanges et du transit d'énergie entre l'Arménie et la Géorgie, notamment en reliant l'Arménie au réseau électrique de l'UE. L'UE a, par ailleurs, paraphé un accord global sur le transport aérien entre l'UE et l'Arménie.

Cette action de l'UE en faveur du désenclavement de l'Arménie doit être poursuivie et renforcée, afin de mieux intégrer ce pays aux réseaux d'échanges internationaux.


* 16 Les trois pays du Caucase du sud (Géorgie, Arménie, Azerbaïdjan) sont partenaires de l'OTAN. La Géorgie compte toutefois parmi les plus proches partenaires de l'Alliance. Au sommet de Bucarest, en 2008, les Alliés ont décidé que la Géorgie pourrait devenir membre de l'OTAN à condition de répondre à toutes les exigences requises (décision confirmée depuis aux sommets successifs de l'OTAN, sans pour autant que la Géorgie ne bénéficie d'un plan d'action pour l'adhésion).

* 17 La Chine dans les pays d'Europe orientale et du Caucase du Sud - Un entrisme sur la pointe des pieds, Notes de l'IFRI, Nadège Rolland, décembre 2018.

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