II. UNE SITUATION INSTABLE SOUS CONTRÔLE DE LA RUSSIE

A. UNE SITUATION NON STABILISÉE

1. L'Arménie sous le choc

La déclaration tripartite du 9 novembre 2020 a permis de stopper l'avancée azerbaïdjanaise. Elle entérine la défaite arménienne, ce qui a provoqué un choc en Arménie et au Haut-Karabagh, alors que la population espérait encore une victoire.

Environ un tiers du territoire du Haut-Karabagh, dont la ville de Chouchi (Choucha pour les Azerbaïdjanais) est désormais sous contrôle azerbaïdjanais, de même que les sept districts conquis par les Arméniens pendant la première guerre, dont quatre ont été repris par la force et trois ont été restitués en application de la déclaration tripartite du 9 novembre 2020.

La sécurité des territoires demeurant sous administration des autorités du Haut-Karabagh repose entièrement sur les forces russes, de même que la sécurité de la seule voie de communication entre l'Arménie et le Haut-Karabagh (le couloir de Latchine).

Entre septembre et novembre 2020, 100 000 Arméniens environ ont quitté la région touchée par le conflit. Les trois-quarts seraient aujourd'hui rentrés, sur le territoire restant sous administration arménienne. 27 000 personnes environ seraient sans abri, sur le territoire du Haut-Karabagh ou en Arménie, après avoir fui les territoires reconquis par l'Azerbaïdjan.

Cette guerre est à l'origine d'un profond traumatisme. 4 000 soldats au moins sont morts côté arménien, souvent des soldats très jeunes (18-19 ans), qui effectuaient leur service militaire. Cette classe d'âge est très lourdement touchée, d'autant que le bilan pourrait en réalité être beaucoup plus lourd que ce qu'indiquent les chiffres officiels. Des milliers de blessés graves sont à déplorer.

La diffusion d'images et de vidéos particulièrement violentes a créé un climat de terreur. Les Arméniens dénoncent des crimes de guerre, confirmés par des ONG telles qu' Human Rights Watch et Amnesty International (utilisation d'armes à sous-munitions, de bombes au phosphore). De fait, ni l'Arménie ni l'Azerbaïdjan ne sont parties à la Convention d'Oslo de 2008, entrée en vigueur en 2010, qui interdit l'emploi des armes à sous-munitions.

Cette défaite majeure a fortement fragilisé le gouvernement du Premier ministre Nikol Pachinian. Elle a entraîné d'importantes manifestations et provoqué le limogeage, en février, du chef d'état-major des armées, qui avait demandé le départ du Premier ministre. Ce dernier a démissionné le 25 avril 2021, convenant de la tenue d'élections anticipées le 20 juin 2021. Ces élections ont été rendues possibles par deux votes négatifs entraînant la dissolution du Parlement le 10 mai 2021. Les élections ont eu lieu sur la base d'un scrutin proportionnel avec listes nationales. Elles ont vu s'affronter 26 listes, dans un climat de grande incertitude, le principal rival de Nikol Pachinian ayant été, dans cette élection, l'ancien président Robert Kotcharian.

Les Arméniens ont toutefois choisi de ne pas revenir à la période antérieure à la « révolution de velours ». Le premier ministre arménien Nikol Pachinian a obtenu une majorité nette (54 %) loin devant son principal adversaire (21 %). Ce résultat permet d'éviter un second tour et renforce la légitimité du Premier ministre en place.

Il faut espérer que ce résultat donnera à l'Arménie les moyens de surmonter la crise profonde ouverte par la défaite de novembre 2020 et qu'il contribuera à réunifier le pays alors que la société est en désarroi et très polarisée.

L'Arménie est dans une situation de grande vulnérabilité, aggravée par la perte de confiance de la population dans les autorités du pays. De nombreux Arméniens sont tentés par l'émigration, notamment la partie la plus jeune et la plus éduquée de la population. L'optimisme des lendemains de la révolution de velours est déjà loin. Une émigration massive serait un facteur d'affaiblissement supplémentaire.

Aux yeux de beaucoup, aujourd'hui, « tout est possible ». Dans ce contexte, le soutien de la France est essentiel.

2. L'Azerbaïdjan tenté de profiter de son avantage ?

Paradoxalement, au cours des dernières semaines, la question du Haut-Karabagh semble presque passée au second plan dans le débat public en Arménie. La recherche des responsabilités des uns et des autres dans la défaite a pris le dessus. Mais surtout, huit mois après le cessez-le-feu, la pression azerbaïdjanaise s'est déplacée du Haut-Karabagh vers le territoire arménien lui-même.

Cette pression nouvelle est double.

- Elle porte, d'une part, sur la frontière entre l'Arménie et l'Azerbaïdjan. La restitution par l'Arménie des districts qu'elle occupait rend de nouveau effective une frontière oubliée, correspondant à la limite administrative qui existait à l'intérieur de l'URSS entre les Républiques d'Arménie et d'Azerbaïdjan. Les restitutions de trois districts, prévues par la déclaration de novembre, se sont déroulées dans le calme, sans contestations de la part de l'Arménie. Mais, dans la nuit du 11-12 mai 2021, au lendemain de la dissolution du parlement arménien, environ 250 soldats azerbaïdjanais ont pris des positions dans les régions arméniennes de Syunik (notamment autour du lac Sev) et de Guegharkunik. Ces incursions ont été condamnées par la France et par les États-Unis.

- L'Azerbaïdjan exerce, d'autre part, une forte pression en faveur de l'ouverture rapide d'axes de communication à travers le territoire de l'Arménie. Il s'agit de rouvrir ou de réaménager des voies terrestres et des voies ferrées qui existaient à l'époque soviétique. L'Azerbaïdjan souhaite en particulier rouvrir les communications, à travers le territoire arménien, avec son « exclave » du Nakhitchevan, conformément au point 9 de la déclaration du 9 novembre 2020 7 ( * ) . Ce point 9 prévoit un contrôle des voies de communication par le FSB russe. Sur ce sujet, comme sur celui des frontières, l'Azerbaïdjan semble vouloir tirer parti, autant que possible, d'un rapport de forces clairement à son avantage, alors que le pouvoir en Arménie a été affaibli par la défaite puis par le processus électoral. Certains estiment que l'espace qui sépare l'Azerbaïdjan de son exclave du Nakhitchevan, soit environ 70 km par la route, serait menacé d'avancées supplémentaires de la part de l'Azerbaïdjan, notamment dans la région de Syunik qui forme un couloir assez étroit, au sud de l'Arménie, en direction de l'Iran.

L'attitude des autorités azerbaïdjanaises et turques n'est pas de nature à calmer les esprits. Certains discours aux accents nationalistes sont particulièrement préoccupants.

L'ouverture d'un « parc des trophées », célébrant la victoire militaire de l'Azerbaïdjan, a suscité l'émoi dans le monde entier, en raison de choix de représentation et de mise en scène particulièrement choquants, alors que de très nombreuses familles sont endeuillées par ce conflit meurtrier.

Par ailleurs, le président Ilham Aliev a déclaré, à plusieurs reprises, au cours des dernières années, que les régions arméniennes du Zanguezour et d'Erevan étaient des « terres historiques » de l'Azerbaïdjan.

On peut dès lors légitimement craindre que l'Azerbaïdjan ne soit tenté de pousser plus loin l'avantage acquis lors de la guerre du Haut-Karabagh, du moins dans la mesure du possible compte tenu de l'alliance entre l'Arménie et la Russie au sein de l'Organisation du traité de sécurité collective (OTSC).


* 7 Déclaration figurant en annexe au présent rapport.

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