CONTRIBUTION ÉCRITE DU GROUPE COMMUNISTE, RÉPUBLICAIN, CITOYEN ET ÉCOLOGISTE (CRCE)

Les travailleuses, les travailleurs et les entreprises sont confrontés à une évolution du travail et des modes de travail depuis de nombreuses années et c'est ce constat que nous partageons.

Comme le souligne la délégation aux entreprises du Sénat, de nombreux phénomènes sont à l'origine de ces bouleversements : numérisation, robotisation et évolution des tâches, télétravail, externalisation, multiplication des plateformes sont des exemples avancés dans le rapport. Toutefois, la précarisation des travailleurs et ce, quel que soit leur statut, l'éloignement toujours plus important des directions du fait de la financiarisation de l'entreprise et de son actionnariat, la multiplication de « boulots sans intérêt » , la perte de repères, la perte de sens du et dans le travail à cause d'une attaque sans précédent du salariat sont autant d'éléments qui ne sont pas suffisamment mis en avant dans le présent rapport.

La crise sanitaire de 2020 n'a fait qu'amplifier certaines tendances lourdes. En ce sens les nouveaux modes de travail sont plus souvent subis que choisis et cela interroge la capacité du Travail et de l'Entreprise à faire sens dans notre société.

Comme cela a été rappelé lors de nos auditions, « les nouvelles technologies ont polarisé la société. Les travailleurs déjà autonomes le sont davantage, mais la subordination s'est également renforcée . La profession de routier était synonyme de liberté, désormais, ces conducteurs sont surveillés par un GPS ».

Mais si les nouvelles formes de travail auront un impact sur les travailleurs, et il faut garder à l'esprit qu'elles auront aussi un impact sur l'entreprise, sur la capacité à préserver et développer les savoir-faire et l'engagement des travailleurs.

Et c'est là que le bât blesse car ce rapport accentue les attaques contre le salariat : généralisation du portage salarial (proposition 9), exonération de cotisations (proposition 11, 5, 7), promotion de l'auto-entreprenariat, sous-estimation des problèmes liés au télétravail et de la remise en cause de l'unité de temps et de lieu. Alors que la crise sanitaire devrait interroger sur la création de nouvelles contributions sociales sur les revenus financiers et les entreprises pour financer la Sécurité sociale, le rapport préconise au contraire d'accentuer la réduction de ses ressources en proposant des allègements supplémentaires de cotisations sociales.

Et pourtant, comme le souligne France Stratégie, les nouvelles formes de travail entrainent et entraineront une intermittence des carrières et des revenus , or aucune solution n'est véritablement envisagée pour pallier cette possible paupérisation d'une partie importante de la population.

Il en est de même d'une utilisation du numérique visant à accentuer la flexibilité des salariés, alors même que le droit à la déconnexion peine à être appliqué, que la santé des salariés n'est pas assurée et que l'équilibre entre vie privée et vie professionnelle pourtant inscrite dans le code du travail est loin d'être la règle.

Sur le management, en suivant finalement la vision du MEDEF, le rapport amplifie le transfert de la responsabilité du management sur les managers or l'existence de problèmes managériaux ne peut être dissociée des politiques d'entreprises, du manque de moyens des managers pour gérer les équipes, l'existence d'injonctions contradictoires, autant d'éléments que la crise sanitaire a révélés. (proposition 15)

Tout cela alors même que « la destruction massive d'emplois, la fin du salariat et la disparition de nombre de métiers occupés par ceux qui constituent aujourd'hui la classe moyenne sont loin d'être envisagées comme l'évolution la plus probable », toujours selon France Stratégie.

1/ Sur le télétravail :

Le télétravail a été étendu en vertu de l'urgence sanitaire à de nombreux salarié•es et entreprises qui ne le pratiquaient pas jusque-là et une enquête récente de Ugict-CGT démontre le caractère maltraitant que peut revêtir le télétravail à temps plein en mode dégradé et improvisé avec :

• une intensification du travail ;

• une fragilisation du collectif de travail ;

• une surcharge de travail pour certains salariés en même temps que d'autres sont en sous-charge, les deux créant des facteurs de risques psychosociaux ;

• une porosité accrue de la frontière entre vie personnelle et professionnelle ;

• des modes de management qui montrent leurs limites.

Dès lors, cette situation d'exception ne peut devenir la norme.

Si le télétravail peut répondre à un besoin réel de concilier vie professionnelle et personnelle, aspirations qui ne peuvent être niées, surtout dans les grandes zones urbaines où les temps de transport sont chronophages, source de stress et de mal être, il ne demeure pas moins que c'est aussi une façon pour les entreprises de rogner sur les supposés coûts du travail.

Et dans le même temps, et cela a été mis en avant lors de nos auditions : « Le rapport au travail n'est pas le même que nous travaillions depuis le domicile oudes bureaux. Notre domicile ne peut pas devenir un espace soumis au pouvoir de direction et au pouvoir disciplinaire ». Et cela est une question fondamentale à laquelle le développement de tiers-lieux peut éventuellement répondre.

Mais encore une fois cela ne doit pas être au détriment des travailleurs et des collectivités territoriales.

De plus, face au télétravail, la situation des salariés est elle aussi incertaine, et certainement très inégalitaire. La rapidité de mise en place du fait de la pandémie, n'a pas permis la préparation et les formations qui auraient été nécessaires. Les risques psychosociaux, les inconvénients en termes d'organisation de la vie familiale, l'ineffectivité du droit à la déconnexion ont été souvent signalés, notamment par des femmes en famille dans de petits logements. La difficulté à concilier le travail « normal » et le télétravail a été mentionnée notamment par des enseignants.

Pour une majorité de salariés, le télétravail a été subi, et ils ont vu leur charge de travail et leur temps de travail augmenter de façon significative, selon un sondage effectué par Viavoice sur les attentes des cadres au travail, 64 % de ces derniers estiment que le télétravail n'est pas suffisamment encadré et pour 75 % qu'il n'y a pas de protection contre les durées excessives de travail et la garantie d'un droit à la déconnexion.

Le rapport souligne que le télétravail mis en place dans de bonnes conditions pourrait être positif pour la productivité et la performance des entreprises « La réduction des coûts, pour les entreprises, n'est pas négligeable : immobiliers, énergétiques, et coûts de recrutement du fait du moindre turn-over observé dans les entreprises l'ayant mis en place. Ces économies permettent de réallouer les dépenses vers l'investissement productif et ainsi contribuer à l'augmentation de la productivité du travail. Les dirigeants ont donc un intérêt à mettre en oeuvre le télétravail dans des conditions optimales. »

Il n'en demeure pas moins que ces gains de productivité sont aussi transférés vers les salariés : équipement informatique et « consommables », consommation d'électricité, équipements de travail ergonomique, la liste n'est pas exhaustive.

En outre, il ne faut pas sous-estimer les aspects collectifs du travail, y compris informels (cantine, machine à café...), qui seront gravement limités en cas de généralisation du télétravail alors qu'ils sont indispensables au fonctionnement de l'entreprise : l'efficacité, la productivité d'ensemble, que le chef d'entreprise cherche à maximiser, ne peut en effet absolument pas se résumer à la somme des productivités individuelles.

Enfin, l'individualisation qu'entraîne le télétravail nuit à l'exercice de droits collectifs comme le droit syndical.

2/ Sur la notion de travailleur indépendant

Comme cela a été souligné lors des auditions, le dernier recensement de l'INSEE compte 3,5 millions d'indépendants fin 2017, or cette notion regroupe des réalités diverses qui ne permettent ni un discours ni un cadre juridique uniforme.

Outre ce que l'on peut considérer comme « les vrais indépendants » : artisans, travaillant dans le cadre d'une relation réellement commerciale, les professions libérales etc., il y a depuis 2009 un nombre toujours plus important d'« autoentrepreneurs contraints », voire de faux entrepreneurs.

En effet, ce cadeau fait au patronat a permis aux entreprises de s'offrir des travailleurs corvéables et jetables, privés de la protection du Code du travail et des conventions collectives, sans parler de la possibilité d'échapper aux cotisations sociales. Derrière le discours sur l'autonomie, l'indépendance et la liberté d'être son propre patron, il y a en réalité une exploitation libérée des garde-fous que permet encore le salariat.

Comme cela a été souligné par de nombreux auteurs, le monde de l'édition a été précurseur dans la précarisation des travailleurs. Plusieurs métiers ont été littéralement ubérisés avant l'heure : paiement à la tâche, relation de travail en dehors du Code du travail et des accords collectifs, cotisations « patronales » payées par le travailleur, liberté absolue de licencier. Et pourtant il s'agit, ni plus ni moins, d'une forme de salariat déguisé : le profil de ces auto-entrepreneurs est celui de personnes ayant des années de CDI derrière elles et qui ont dû opter pour l'auto-entrepreneuriat, pour continuer à travailler mais cette fois dans la précarité.

Et puis il y a ce qu'on appelle les « nouveaux auto-entrepreneurs » : les travailleurs dépendants des grandes plates-formes comme Uber (chauffeurs VTC), Deliveroo (coursiers restauration), Needelp (jobbeurs), pour beaucoup des géants de l'économie qui maximisent leurs profits en contournant le salariat avec l'auto-entrepreneuriat.

En effet, le lien de subordination est ici évident : dépendance aux plates-formes, pas de liberté de fixer les tarifs, uniformes, géolocalisation, etc. Le profil de ces travailleurs : jeunes, issus des classes populaires ou en situation de précarité. Des travailleurs qui, pour beaucoup, n'ont pas d'expérience du salariat. L'adoption de ce statut est, à l'origine, un « choix » (mais un faux choix), à la différence des « auto-entrepreneurs contraints ».

Et il est regrettable que le rapport face le choix d'une forme de promotion de ce travail indépendant oubliant que la soi-disant liberté ou autonomie sont en réalité des chaînes pour les travailleurs, qui se voient totalement dépourvus face à des patrons qui peuvent ainsi les exploiter à leur guise, oubliant les nombreux avantages du salariat qui pour nous devrait rester la norme : Sécurité sociale (chômage et maladie), protection syndicale (IRP, CHSCT, etc.) et juridique (Code du travail, conventions collectives, prud'hommes).

Que dire encore de la forme de concurrence déloyale qui s'exerce entre ces pseudos indépendants qui devront accepter des tâches peu rémunérées et des conditions de travail dégradées, qui n'ont pas toujours une expertise confirmée, et les salariés ayant déjà une expérience confirmée.

La conséquence de ce mouvement étant une faible attractivité économique de certains métiers, vers lesquels les jeunes se tournent de moins en moins, peu enclins à embrasser la précarité... Les organismes de formation peinent à remplir leurs sessions et, à terme, le risque majeur, c'est la perte des savoir-faire, et donc la destruction des métiers. Cela n'est pas suffisamment souligné.

Le groupe Communiste républicain citoyen et communiste à l'origine d'une proposition de loi visant la création d'un statut aux travailleur•ses des plateformes numériques, considère l'existence d'une présomption de salariat.

3/ Sur le portage salarial ou quand le contrat commercial remplace le contrat de travail

Le succès du modèle salarial et l'absence d'un véritable statut du travail indépendant sont à l'origine du portage salarial. Il sert historiquement les « cadres seniors » qui, par son entremise, réalisent des missions de conseil, d'expertise et de formation. Mais il ne faut oublier que le portage salarial a accompagné des seniors poussés vers la sortie pour être réemployés comme autoentrepreneurs.

Son champ d'application, strictement limité aux cadres et assimilés, et le haut niveau d'exigences imposé aux entreprises, notamment en termes de rémunération minimale, en ont amplement limité l'usage, même si le recours au portage salarial s'étend à de plus en plus de secteurs professionnels.

L'état actuel de la réglementation est l'aboutissement de plus de 20 ans de négociations, qui ont permis de cadrer ce dispositif pour éviter qu'il ne devienne ce que le patronat souhaitait en faire primitivement : un outil de contournement et de marginalisation du Code du travail.

Or c'est bien une extension du portage salarial qui est proposé par le rapport qui propose d'assouplir les conditions de recours au portage salarial afin d'en faire bénéficier des travailleurs moins qualifiés. Ce qui entrainera une nouvelle précarisation et une baisse sensible des rémunérations.

En conclusion, ce rapport fournit un panorama général détaillé et intéressant pour comprendre les problématiques et les enjeux auxquels les travailleurs et les entreprises sont et seront confrontés, en cela nous saluons le travail de la délégation aux entreprises. Toutefois certaines propositions ne correspondent pas au point de vue des membres du groupe CRCE. En effet, trop peu de propositions sont formulées pour accorder de nouveaux droits aux salariés, pour renforcer leurs pouvoirs d'intervention dans l'entreprise, pour encadrer les rémunérations et les écarts de salaires, pour réduire le temps de travail, accorder un véritable droit à la déconnexion des cadres en situation de télétravail.

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