VI. LES JEUNES EN DIFFICULTÉ D'INSERTION : LA NÉCESSITÉ D'UN ACCOMPAGNEMENT PLUS EFFICACE

Les écarts de trajectoire constatés entre jeunes au cours de la scolarité se retrouvent à la sortie du système scolaire et expliquent en grande partie la proportion particulièrement élevée de ceux d'entre eux qui font face à de grandes difficultés d'accès à l'emploi et à l'autonomie .

Ces difficultés de parcours n'épargnent pas, bien au contraire, les jeunes qui poursuivent des études supérieures, comme l'ont montré les récentes conclusions de la mission d'information du Sénat sur les conditions de la vie étudiante en France 164 ( * ) .

Compte tenu des travaux spécifiquement conduits par le Sénat sur les étudiants, la mission d'information sur la politique en faveur de l'égalité des chances et de l'émancipation de la jeunesse s'est quant à elle intéressée aux jeunes qui ne sont plus en étude , et dont l'insertion professionnelle est la plus problématique.

Leur nombre est important : environ un million si l'on se limite à ceux qui ne sont au sens strict ni en emploi, ni en formation, plus de deux millions s'il l'on y ajoute les jeunes ayant suivi des formations ou exercé des activités sur un temps réduit, qui connaissent également des situations de forte précarité.

Comment offrir à ces jeunes de réelles perspectives d'insertion et d'accès à l'autonomie ?

La mission d'information a constaté, que depuis plusieurs années, de multiples dispositifs ont été développés en ce sens, sans parvenir à entamer significativement cette proportion toujours très importante de jeunes en difficulté. Le plan « 1 jeune 1 solution » a dégagé des moyens supplémentaires massifs visant, pour l'essentiel, à majorer les capacités d'accueil dans les dispositifs existants. Il s'agit d'une réponse conjoncturelle à la crise sanitaire dont la pérennité n'est assurée que sur le court terme.

Si ce plan est utile et bienvenu, il apparaît surtout que le foisonnement des dispositifs et des actions peine à apporter une réponse efficace et durable à la situation des jeunes les plus éloignés de l'emploi . Le déploiement par la préfecture de région d'Île-de-France d'un plan spécifique destiné à identifier les jeunes concernés et à fédérer l'ensemble des acteurs afin de leur proposer un accompagnement adapté illustre, a contrario , le manque d'efficience d'une politique d'insertion des jeunes à laquelle l'État et les collectivités consacrent des moyens pourtant considérables.

L'effort doit donc porter sur une mise en cohérence des moyens, afin qu'à l'échelon local, les acteurs les utilisent plus efficacement au profit de ceux auxquels ils s'adressent prioritairement.

Enfin, l'accompagnement des jeunes vers l'autonomie comporte nécessairement une dimension financière , notamment pour ceux qui demeurent durablement sans emploi ni formation et ne peuvent compter sur un soutien parental suffisant. L'extension prévue de la Garantie jeunes n'épuise pas totalement le débat sur l'instauration d'un revenu garanti pour tous les jeunes.

A. UN NOMBRE ÉLEVÉ DE JEUNES EN GRANDE DIFFICULTÉ D'INSERTION

Notre pays compte un nombre élevé de jeunes qui, sans être en étude ou en formation, demeurent durablement sans perspective d'emploi et de revenus réguliers. À la pénalisation frappant les nouveaux entrants sur le marché du travail par rapport aux salariés déjà expérimentés s'ajoutent des obstacles liés au décalage entre le niveau de formation et les besoins des entreprises, ainsi que des handicaps socio-économiques et géographiques ou des discriminations à l'embauche.

1. Le chômage des jeunes : une réalité particulièrement marquée en France

Le taux de chômage des jeunes (15-24 ans) en France est traditionnellement élevé. Il est supérieur à 15 % depuis les années 1980 et s'élevait à 20,1 % en 2020 165 ( * ) . À titre de comparaison, ce taux était de 15,1 % dans l'ensemble de l'OCDE et de 16,6 % dans l'Union européenne.

Si ce taux est si élevé, c'est en partie parce qu'il s'applique à la fraction de cette classe d'âge qui est sortie du système de formation. Or celle-ci ne représente que 35 % des 15-24 ans et en son sein, les jeunes les moins diplômés, qui entrent plus tôt sur le marché du travail, sont surreprésentés.

Ainsi, si l'on considère l'ensemble de la tranche d'âge 15-24 ans, la proportion de chômeurs s'établit à 8 %.

Il n'en demeure pas moins que les jeunes sont particulièrement exposés au risque de chômage, par rapport au reste de la population, notamment parce que l'expérience professionnelle, et donc l'ancienneté sur le marché du travail, reste un déterminant essentiel de l'accès à l'emploi. Par ailleurs, moins de la moitié des jeunes de 15 à 24 ans en emploi disposent d'un contrat à durée indéterminée. Au temps de recherche d'un premier emploi s'ajoutent ainsi de fréquentes périodes de chômage consécutives à des emplois à durée limitée.

Comme le prouvent les résultats obtenus par certains de nos voisins 166 ( * ) , le chômage des jeunes n'est pas une fatalité mais semble assez fortement corrélé au taux de chômage de l'ensemble de la population.

2. Une fraction de la jeunesse en risque de décrochage social
a) Les Neet, un phénomène structurel qui représente 1 million de jeunes

Le concept de Neet , acronyme de l'anglais « Not in education, employment or training » s'est imposé pour décrire la situation des jeunes qui, étant sortis du système scolaire, ne sont ni en emploi ni en formation .

Cette population est suivie notamment dans le cadre de l'enquête emploi et de l'Insee et a fait l'objet d'une étude de la direction de l'animation de la recherche, des études et des statistiques du ministère du travail (Dares) publiée en février 2020 167 ( * ) .

En 2018, 963 000 jeunes âgés de 16 à 25 ans étaient dans cette situation 168 ( * ) , selon la définition d'Eurostat 169 ( * ) , soit 12,9 % de cette classe d'âge, mais 18,3 % des 23-25 ans 170 ( * ) . Si l'on rapporte le nombre de Neet au nombre de des jeunes sortis de formation initiale , en excluant donc les jeunes qui sont encore en études, ce taux monte à 27,9 % .

Les données de l'Insee montrent que si les chocs économiques (2008, 2020) provoquent une augmentation de la part des Neet parmi les jeunes, les périodes de relative amélioration conjoncturelle n'ont pas permis de la réduire sensiblement, preuve qu'il s'agit d'un phénomène structurel de notre société.

Part de Neet parmi les 15-29 ans de 2003 à 2020 (%)

Source : Insee

b) Le halo des Neet : plus de 2 millions de jeunes

La définition retenue par Eurostat, qui recense autour de 1 million de Neet actuellement en France, peut paraître restrictive. Elle exclut de la catégorie des Neet des jeunes qui pratiquent une activité non formelle (formations, cours liés à des activités culturelles ou de loisir). De même, certains jeunes qui ont suivi une formation courte au cours de la période de référence ne sont pas considérés comme des Neet .

Il existe donc un « halo » de la population Neet encore plus important que cette population elle-même. Selon l'étude précitée, entrent dans ce halo environ 300 000 jeunes ayant suivi une formation non formelle ou ayant été en emploi pour moins d'un mois, et 1 850 000 autres jeunes identifiés par la Dares comme n'étant pas en formation formelle.

Neet et halo des Neet parmi les jeunes de 16-25 ans
qui ne sont pas en étude (2018)

Source : Dares

Il convient par ailleurs de noter que la France figure parmi les pays de l'Union européenne connaissant une part des Neet supérieure à la moyenne .

Pourcentage de Neet parmi les moins de 25 ans (en 2018)

Source : Dares

c) Une proportion de Neet plus élevée dans certains territoires

Une étude plus fine de la population des Neet montre que ce phénomène touche plus durement certains territoires.

Ainsi, plus d'un quart (25,2 %) des jeunes vivant dans un quartier prioritaire de la politique de la ville (QPV) est Neet , et près de la moitié (45,6 %) de ceux qui ont terminé leur formation initiale, soit deux fois plus que parmi les jeunes ne résidant pas en QPV (respectivement 11 % et 24,6 %).

Le taux de Neet parmi les jeunes résidant dans une commune rurale apparaît moins élevé que la moyenne et que les chiffres observés dans les agglomérations plus importantes. Pour autant, selon les calculs de la Dares, les chances de se trouver dans cette situation sont plus importante pour les jeunes des territoires ruraux que pour les jeunes résidant dans des aires urbaines plus importantes (hors agglomération parisienne).

Enfin, les jeunes d'outre-mer apparaissent particulièrement concernés. Les données publiées par l'observatoire des territoires montrent que la part de Neet parmi les 15-24 ans était ainsi proche du quart en Guadeloupe (24,7 %) et en Martinique (23,7 %) et supérieure à 30 % à La Réunion (30,1 %) et en Guyane (38,1 %) 171 ( * ) .

Part des Neet parmi les 15-24 ans (2017)

Source : Observatoire des territoires

d) Une population hétérogène

La population des Neet est très hétérogène et s'inscrit dans un continuum allant des jeunes récemment diplômés et à la recherche de leur premier emploi 172 ( * ) à des publics fortement éloignés de l'emploi et en risque d'exclusion sociale.

La population des Neet se compose en parts à peu près égales de jeunes au chômage (53 %) 173 ( * ) et d'inactifs (47 %). Parmi les inactifs, près des deux tiers (64,2 %) disent ne pas souhaiter travailler. Les autres (40 % des jeunes hommes et 32 % des jeunes femmes) disent souhaiter travailler mais ne cherchent pas d'emploi pour diverses raisons.

On note par ailleurs que près de la moitié des Neet sont dans cette situation de manière continue depuis un an ou plus.

Une étude de l'Injep publiée en janvier 2020 174 ( * ) distingue cinq catégories de Neet , désignées de manière à refléter la situation la plus courante à laquelle chacune correspond :

Hétérogénéité des Neet

Source : Injep

Les Neet sans diplôme (catégorie 5) apparaissent comme les plus vulnérables et les plus éloignés de l'emploi (54 % d'entre eux cherchent un emploi depuis plus d'un an, 77 % n'ont jamais travaillé, 70 % sont sans diplôme).

Ils perçoivent un revenu moyen de 2 810 euros par an, dont la moitié provient de prestations sociales.

Ces jeunes sont également les plus isolés et leur nombre est ainsi très probablement sous-évalué 175 ( * ) .

e) Des freins à l'emploi multiples

De manière peu surprenante, le niveau d'études constitue le principal facteur permettant de prédire les situations d'exclusion des jeunes. Ainsi, les deux-tiers (67 %) des jeunes sortis de formation initiale ayant un niveau d'études inférieur au CAP ou au BEP sont Neet , comme un peu moins de la moitié (44,6 %) de ceux qui ont un niveau équivalent au CAP ou au BEP sans avoir de diplôme.

Ainsi que l'a expliqué Mme Magali Danner au cours de son audition, les facteurs qui exposent le plus les jeunes au risque de devenir Neet sont, outre le profil scolaire, les freins « périphériques » à l'emploi , notamment la capacité de mobilité 176 ( * ) , la maîtrise du numérique, l'état de santé, le manque de ressources financières, l'isolement familial ou encore les difficultés de logement.

La question de la mobilité se pose de manière particulièrement forte outre-mer , justifiant des aides spécifiques pour les jeunes souhaitant effectuer une formation qualifiante hors de leur département ou de leur collectivité d'origine. C'est le rôle l'Agence de l'outre-mer pour la mobilité (Ladom) qui finance notamment un passeport mobilité formation professionnelle bénéficiant à environ 4 000 jeunes ultra-marins par an. Les moyens qui lui sont dévolu ont cependant peu progressé ces dernières années, même si le taux d'insertion des bénéficiaires 177 ( * ) s'améliore grâce à une coordination plus étroite avec les acteurs locaux pour mieux répondre aux qualifications recherchées.

Les freins « périphériques » à l'emploi se cumulent et se renforcent mutuellement. Un mauvais état de santé, y compris psychique, est un obstacle à l'emploi, qui renforce les difficultés financières et rend plus difficile l'accès aux soins.

Le sexe ne semble pas influer de manière très importante sur la probabilité d'être dans une telle situation 178 ( * ) . Toutefois, près de la moitié des personnes ayant un enfant vivant sous le même toit sont Neet . Or, cette situation touche plus fréquemment les femmes. En effet, 36,3 % des jeunes femmes Neet ne souhaitant pas travailler et 25,5 % de celles qui souhaitent travailler mais ne recherchent pas d'emploi citent la garde d'enfants ou d'une personne dépendante comme principale raison.


* 164 L'accompagnement des étudiants : une priorité et un enjeu d'avenir pour l'État et les collectivités , Rapport n° 742 (2020-2021) de la mission d'information sur les conditions de la vie étudiante en France, 6 juillet 2021.

* 165 Source : OCDE. Au premier trimestre 2021, ce taux était légèrement redescendu, à 19,7 %.

* 166 Le taux de chômage des 15-24 ans était en 2020 de 6,2 % en Allemagne et de 13,5 % au Royaume-Uni.

* 167 Dares Analyse n° 006, février 2020, Les jeunes ni en études, ni en emploi ni en formation (Neet) : quels profils et quels parcours ?

* 168 Selon la DGEFP, ce nombre était compris entre 898 000 et 1 017 000 au quatrième trimestre 2020.

* 169 Eurostat n'inclut pas dans sa définition les jeunes qui suivent une formation non-formelle, à la différence de l'OCDE notamment.

* 170 La part de Neet parmi les 16-18 ans, par ailleurs concernés depuis 2020 par l'obligation de formation, est marginale (3,3 % en 2020).

* 171 Les données relatives à Mayotte n'étaient pas disponibles.

* 172 Le nombre de Neet connaît une évolution très cyclique et un pic au troisième trimestre de chaque année.

* 173 Au sens du BIT, un chômeur est une personne en âge de travailler qui est sans emploi, disponible pour prendre un emploi dans les quinze jours et qui a cherché activement un emploi dans le mois précédent ou qui en a trouvé un qui débute dans moins de trois mois.

* 174 Quentin Francou, Les « Neet », des ressources et des conditions de vie hétérogènes , Injep Analyses & Synthèses, N°31, janvier 2020

* 175 Selon Magali Danner et Christine Guégnard (réponses écrites à la rapporteure), « les Neet les plus vulnérables restent cependant sous-estimés dans la mesure où ceux qui se marginalisent, échappent aux enquêtes ou aux organismes qui les recensent ».

* 176 Tant la capacité à se déplacer (existence d'un offre de transports en commun, possession du permis de conduire et d'un véhicule) que la possibilité de déménager pour saisir une opportunité.

* 177 En 2019, 60,4 % des jeunes ayant bénéficié d'une mesure de formation professionnelle en mobilité étaient insérés professionnellement six mois après leur sortie.

* 178 Les taux de Neet parmi les 16-25 ans sont respectivement de 13,3 % pour les jeunes hommes et 12,5 % pour les jeunes femmes. Toutefois, les écarts s'inversent si on ne prend en compte que les jeunes sortis de formation initiale (respectivement 27,2 % et 28,7 %), ce qui suggère que les filles décrochent moins souvent ou moins tôt de leur formation initiale mais ont ensuite plus de difficultés à trouver un travail.

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