Première séquence



Une délégation sénatoriale originale, dédiée aux outre-mer (2011-2021)

JEAN-PIERRE BEL

Président du Sénat de 2011 à 2014

Mesdames et Messieurs,

Cher Président Stéphane Artano,

Je veux saluer tous les amis, nombreux, qui sont présents aujourd'hui et, si vous me le permettez, mes amis parlementaires Thani Mohamed Soilihi, qui a apporté dans cette assemblée beaucoup de fraîcheur, la vice-présidente Éliane Assassi, Viviane Artigalas, Victorin Lurel et Georges Patient que je salue pour l'ensemble de son action.

Je veux aussi vous saluer tous, vous qui êtes venus de ce que nous appelions les outre-mer, même si nous avions dénommé initialement cette délégation « délégation de l'outre-mer ». Vous qui venez de ces territoires magnifiques qui, ici au Sénat, résonnent avec un écho tout particulier.

Vous le savez, sénateur à partir de 1998, j'ai été président du Sénat jusqu'en 2014 et j'ai décidé de le quitter par choix personnel et pour des raisons liées à ma vision de la politique. En effet, l'on n'est pas propriétaire de ses mandats ad vitam aeternam et il faut savoir céder sa place aux nouvelles générations. Mes interventions publiques au Sénat sont extrêmement rares. Je crois qu'il s'agit de la première ou la deuxième depuis cette date.

J'ai voulu le faire parce qu'il s'agissait des outre-mer. J'éprouve une fierté toute particulière d'avoir pris cette initiative, en 2011. Ce fut une longue histoire. Ce dont nous parlons aujourd'hui provient d'une période où tout n'était pas aussi évident.

Je me souviens, début 2009, des manifestations fortes et violentes, des revendications sociales liées au pouvoir d'achat qui, notamment en Guadeloupe, mais pas seulement, ont amené le Sénat à réfléchir à ce sujet. Le Sénat se sent toujours responsable de ses territoires. Une question nous était posée.

À l'époque, président du groupe socialiste, je me souviens d'avoir participé à la Conférence des présidents. Sous l'autorité du Président Gérard Larcher, nous avions décidé de lancer une mission d'information sur les questions posées par les revendications dans les outre-mer. Nous avons mis en place cette mission commune d'information qui a produit un rapport en juillet 2009, dont Serge Larcher et Éric Doligé étaient respectivement président et rapporteur. Ce rapport a été débattu en séance en octobre 2009. Il a fait l'objet de débats extrêmement longs. Nous avons abordé l'ensemble des questions pendant plus de cinq heures. À l'issue, l'idée d'un comité informel est née. En novembre 2009, nous avons décidé d'instituer un comité de suivi sur les conclusions de cette mission d'information.

Vous connaissez les sujets parfaitement bien. Ils tournaient autour de questions essentielles que j'avais eu à connaître, car j'ai eu le plaisir de parcourir tous nos outre-mer à l'exception de la Polynésie et de Saint-Pierre-et-Miquelon. De la Nouvelle-Calédonie à la Guyane, de la Guadeloupe à Mayotte, de La Réunion à la Martinique, des souvenirs restent gravés en moi. Au-delà des paysages, j'ai des souvenirs de femmes et d'hommes qui vivent la difficulté de ces territoires.

La Délégation aux outre-mer a trouvé ici, au Sénat, un enracinement naturel. Tout d'abord parce que la mission constitutionnelle du Sénat consiste à représenter les territoires et des territoires comme les vôtres sont particulièrement bienvenus ici. Parce que le Sénat, c'est aussi Gaston Monnerville, sénateur du Lot, qui fut un parfait représentant des outre-mer. Il a, je pense, laissé une trace indélébile, nous amenant à être toujours attentifs.

Je veux saluer la qualité du travail mené pendant cette période sur les questions ultramarines autour de ce que vous êtes et des grandes figures de notre histoire. J'ai eu à coeur de rendre hommage en octobre 2013 à Aimé Césaire. Nous avions ouvert un colloque aux salons de Boffrand avec Serge Larcher. Deux personnages historiques ont inspiré mon parcours politique : Jean Jaurès et Aimé Césaire. Pour nous, Aimé Césaire a toujours été un exemple. Pour vous, je crois qu'il a été un porte-parole de tout ce que vous représentez. La poésie d'Aimé Césaire, son engagement, étaient ancrés dans la terre de Martinique, mais ils étaient aussi tournés vers un idéal, celui de l'égalité républicaine. Il fut un militant inlassable de tous les combats de la liberté. Cet hommage rendu à Aimé Césaire fait partie de ces moments forts qui ont émaillé ma présidence.

Dans la vidéo qui vient d'être diffusée vous avez entendu que Viviane Artigalas n'a pas tout à fait l'accent que nous entendons la plupart du temps dans les médias. Nous aussi, nous sommes attachés à un certain nombre de particularismes, ne serait-ce qu'à notre accent qui fait partie de notre patrimoine. Nous y sommes attachés, parce que nous sommes aussi liés à ce que vous représentez, aux revendications sociales que vous avez exprimées, à votre souci de voir plus d'initiatives locales prises en compte dans notre système national. En bref, nous sommes attachés à l'égalité des chances et au fait que vous puissiez bénéficier de cette égalité pour pouvoir vous exprimer vous aussi en tant que citoyens de notre République.

Je veux donc rendre hommage à cette délégation aux outre-mer qui a si bien rempli son rôle. Soyez fiers de ce que vous êtes. Soyez fiers des territoires que vous représentez. Et sachez que vous pourrez toujours vous appuyer sur le Sénat de la République.

Je vous remercie de votre attention.

Éric Doligé
Rapporteur de la Mission d'information sur la situation
des départements d'outre-mer (avril-juillet 2009)

Mesdames et messieurs,

Je remercie le président Artano de cette invitation.

Les outre-mer représentent un vrai sujet, qui a été laissé de côté pendant des décennies et qu'il a bien fallu, à un moment donné, réveiller. Je remercie Serge Larcher pour la mission, puis le Président Jean-Pierre Bel qui a transformé cette mission en ce que nous connaissons et fêtons aujourd'hui. Dix ans après, nous vivons donc un moment important.

Je formulerai un certain nombre de remarques, sans tabou ni langue de bois. Je vous préciserai ce que je pense et la façon dont j'ai vu les choses.

Au départ, je n'étais pas du tout familier des outre-mer. J'étais un bon Français du Loiret qui s'intéressait à son territoire, qui ne voyait pas très bien ce qui se passait en dehors de l'Hexagone et qui s'y intéressait peu, comme beaucoup malheureusement. Pour un certain nombre de raisons, je suis tombé dedans à travers la mission, puis à travers la délégation, et j'ai pu devenir un véritable adepte et ceux qui m'ont connu ont pu constater que j'étais même devenu un vrai défenseur, un vrai passionné des outre-mer.

Avant la période de la mission, pour avoir participé à un certain nombre de débats au Sénat et à l'Assemblée nationale, j'ai pu constater que lorsque ces débats étaient organisés sur l'outre-mer, ou le budget de l'outre-mer, seuls siégeaient les parlementaires de l'outre-mer. Le sujet restait dans un environnement confidentiel. Le débat entre le ministre et les représentants des différents territoires d'outre-mer aboutissait bien souvent à obtenir quelques satisfactions pour répondre à quelques besoins particuliers, mais ne réglait en réalité pas véritablement les problèmes. Je me souviens d'ailleurs d'un Président de la République qui m'avait indiqué à l'époque qu'il plaçait des ministres à l'outre-mer pour les « rôder », leur apprendre en quelque sorte le métier.

Peu à peu, la mission et la délégation ont amené une prise de conscience. Le Président Jean-Pierre Bel a souhaité la parité, la délégation devant compter autant de sénatrices et sénateurs de l'outre-mer que de l'Hexagone. Cet aspect a été marquant dans la mise en place de cette délégation. Nous avons pu véritablement prendre conscience, nous intéresser, échanger et défendre les mêmes sujets.

Un mot sur le rapport « Défi pour la République, chance pour la France ». Parmi les 45 rapports élaborés, celui-ci a été cité parce qu'il était une référence ! J'en étais le rapporteur ! Dans les territoires, beaucoup s'en souviennent encore et ont pu me dire qu'il était toujours utile, douze ans plus tard. Effectivement, en le relisant rapidement, je m'aperçois qu'il est toujours d'actualité et qu'il faut continuer de travailler sur un certain nombre de ses propositions. Tous les rapports qui ont suivi sur des sujets spécifiques complètent, amènent des éléments différents, mais supplémentaires pour enrichir toute la réflexion du Sénat sur ce sujet.

Je ne comprends toujours pas comment la France a pu négliger autant ses territoires d'outre-mer. Je me souviens d'un échange avec Bernard Pons, pendant une heure, à l'Anse d'Arlet. Bernard Pons m'a alors inculqué la passion des outre-mer. À l'époque, il m'a rappelé que les départements d'outre-mer sont situés dans des régions tropicales, qu'ils représentent 2,7 millions d'habitants, mais qu'ils partagent des expériences qui concernent deux milliards de personnes dans les tropiques, à commencer par le logement, l'énergie, les cultures ! Nous avons le potentiel, les richesses, le niveau de recherche sur nos territoires pour avancer sur ces sujets, mais la France s'avère incapable de mettre en avant ses connaissances, ce qui constituerait une source de croissance économique.

En Nouvelle-Calédonie, je me suis interrogé sur les raisons pour lesquelles la France n'adoptait pas une vraie politique minière. Nous sommes confrontés à des problèmes identiques en Guyane. Or, nous n'avons jamais mis en place une telle politique malgré toutes les réflexions engagées. Je me suis aussi posé des questions sur les normes en visitant un certain nombre de territoires et en voyant des exemples sur le terrain, dans le domaine de la construction en Guyane par exemple. Comment pouvons-nous obliger à acheter des matériaux et réaliser des constructions conformes aux normes européennes sur des territoires qui n'ont aucun rapport avec la géographie et le climat européens ? Nous sommes toujours emprisonnés dans nos règles européennes et nous n'avons pas été capables de les surmonter. Parmi les pays européens, nous sommes peu nombreux à compter des territoires hors d'Europe. Le Président Sarkozy m'avait demandé à l'époque de réaliser un rapport sur les normes. Le même problème se pose pour tous les élus, sur tous les territoires, et nous ne parvenons toujours pas à avancer sur ces sujets.

Avec tout le travail effectué, les 45 rapports réalisés, ceux qui sont en cours d'élaboration avec l'ensemble des élus des territoires, je ne comprends toujours pas que nous n'établissions pas un grand plan pour les outre-mer. Je vous proposerais, Monsieur le Président, de faire en sorte que de l'ensemble de ces rapports se dégage un grand plan de mise en valeur et de développement des outre-mer.

Dans la période récente, l'État a su trouver 150 milliards d'euros pour régler un certain nombre de problèmes. Les territoires des outre-mer présentent un grand intérêt tant pour eux-mêmes que pour l'Hexagone, que ce soit en matière halieutique, minière, agricole, etc. Ces territoires ont une formidable possibilité d'enrichissement de l'Hexagone et de l'ensemble de la République française. Je ne comprends donc pas que nous ne puissions pas mettre en place un grand plan.

À mes amis des outre-mer, je dis toujours : vous êtes 21 sénateurs et 27 députés. Si vous vous entendez, vous êtes capables de changer les majorités. Sur de vrais sujets comme ceux-là, si vous voulez mener à terme un grand plan d'investissement pour les outre-mer, avec la puissance que vous détenez, vous êtes en mesure de le faire. Le jour où vous quitterez le Sénat ou l'Assemblée nationale, vous regretterez de ne pas l'avoir fait. Je vous incite donc à agir. Le sujet est important.

Je terminerai mon propos avec quelques anecdotes.

Serge Larcher m'a beaucoup surpris. J'ai découvert ses talents d'oenologue s'agissant du rhum. Lorsque nous avons rédigé ce rapport, nous avons parcouru les cinq départements, effectuant une dégustation de rhum à chaque fois. Serge nous a épatés. Il était capable d'indiquer l'année du rhum, le type de canne, etc.

Je me souviens aussi de la sénatrice Lucienne Malovry qui était venue avec nous. Nous avions une réunion avec Élie Domota. Il est arrivé avec son équipe. À une remarque de Serge Larcher, il s'est un peu énervé. Notre collègue lui a alors dit doucement : « jeune homme, faites attention à votre coeur. Vous allez vous trouver mal. Il faut vous calmer ».

Je me souviens enfin de Paul Vergès, un homme passionnant, mais grand bavard. Après le déjeuner, ses discours étaient longs et difficiles à suivre !

Grâce à vous, j'ai passé de bons moments au Sénat. Je compte sur vous pour vous lancer tous ensemble dans une grande vision des outre-mer. Vous représentez une véritable force. Vous pouvez valoriser vos territoires et imposer à la métropole de reconnaître vos territoires. Je vous remercie.

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