C. UN MARCHÉ CONCENTRÉ AUTOUR DE QUELQUES GRANDS CABINETS

1. Une vingtaine de cabinets concentrent plus de la moitié des prestations de conseil aux ministères

D'après les informations transmises par l'organisation professionnelle Syntec Conseil, le marché du conseil pourrait compter environ 15 000 entreprises en France, au nombre desquelles son président, M. Matthieu Courtecuisse, estime qu'environ « 200 [...] jouissent aujourd'hui d'une certaine importance et sont établies dans la durée » . Au total, cette activité pourvoit entre 30 000 et 40 000 emplois directs 36 ( * ) .

En pratique, le marché du conseil aux administrations centrales pourrait compter un nombre d'acteurs plus faible encore .

Dans le cas des prestations des ministères, hors informatique et hors accords-cadres de l'UGAP, ce sont un peu plus de 2 000 entreprises uniques (2 070) qui ont été recensées à partir des listes des contrats passés entre 2018 et 2020.

Toutefois, un nombre très limité d'acteurs semblent se partager l'essentiel du marché puisque sur les 2 070 prestataires recensés, 20 cabinets représentaient, à eux seuls, 55 % du conseil aux ministères .

Répartition du marché du conseil aux ministères
entre 2018 et 2020 ( estimations )

(en pourcentage des dépenses de conseil des ministères sur la période,
hors informatique et hors accords-cadres de l'UGAP)

Source : commission d'enquête, d'après les documents transmis par les secrétariats généraux des ministères

Le nombre total de cabinets est d'environ 2 070, dont 20 qui représentent 55 % du marché.

Par définition, la part des cabinets spécialisés dans le conseil en informatique, comme Accenture ou Capgemini, est minorée dans ce graphique.

2. Le recours à la sous-traitance : les cabinets de conseil comme « hubs de compétences »

Cette forte concentration s'accompagne d' un recours accru, et qui peut poser question, à la sous-traitance ainsi qu'à la constitution de partenariats entre cabinets de conseil.

Comme l'a confirmé la DITP en ce qui concerne son accord-cadre, « les cabinets de conseil généralistes se sont dotés de profils formés à l'innovation mais ont toujours recours à des entreprises spécialisées en cotraitance ou sous-traitance pour répondre à des besoins nécessitant une expertise plus pointue » 37 ( * ) . C'est par exemple le cas des consultations en ligne organisées par les cabinets de conseil, qui relèvent en réalité d'acteurs spécialisés comme Bluenove, Make.org ou Cap collectif 38 ( * ) .

Faute de données qualitatives suffisantes, ce phénomène est difficile à quantifier . Ainsi, au regard des informations transmises par les ministères, il apparaît qu'entre 2016 et 2020, seuls 3,8 % des prestations - comparativement à leur montant - auraient été réalisées par plusieurs cabinets, travaillant en collaboration ou en sous-traitance.

Or, une telle évaluation ne paraît pas refléter la réalité du phénomène : dans le seul cas des marchés de l'UGAP, « entre 15 % et 30 % » des missions seraient sous-traitées par les prestataires 39 ( * ) .

Le président du cabinet Wavestone, M. Pascal Imbert, impute cet état de fait à ce qu'il qualifie de « lourdeurs du code des marchés publics » , qui inciteraient les cabinets de conseil à « constituer des groupements qui entraînent des cascades de sous-traitance [...] sans grande valeur » 40 ( * ) .

En pratique, le recours à la sous-traitance semble varier d'un cabinet à l'autre et en fonction de la technicité de la prestation . À noter également le cas particulier d' INOP'S , qui est à la tête d'un réseau de 800 PME spécialisées dans le numérique, couvrant 160 domaines de compétence, et 35 000 travailleurs indépendants 41 ( * ) .

Recours à la sous-traitance par les cabinets de conseil :
quelques exemples concrets

Eurogroup

La part de la sous-traitance de l'accord-cadre de la DITP est comprise entre 19 % (lot n° 2, « conception et mise en oeuvre des transformations ») et 11 % (lot n° 3, « performance et réingénierie des processus ») du volume des prestations.

Le cabinet précise que « le recours à la sous-traitance est utilisé pour compléter notre expertise, en particulier sur deux sujets : le numérique et la concertation citoyenne ». Conformément au code de la commande publique, « aucune mission n'est sous-traitée à 100 % » 42 ( * ) .

McKinsey

Selon M. Karim Tadjeddine, directeur associé, « lorsque nous répondons aux appels d'offres, nous mettons en place des groupements pour proposer, au-delà de nos compétences internes, un réseau de sous-traitants, notamment locaux, capable d'apporter des prestations spécifiques ».

« Le montant des prestations de sous-traitance s'élève entre 5 et 10 % », selon les appels d'offres 43 ( * ) .

À titre d'exemple, McKinsey a intégralement sous-traité la rédaction du guide du télétravail dans la fonction publique (221 820 euros en 2020, avec le pilotage de la DITP) au cabinet Alixio, spécialisé dans les ressources humaines 44 ( * ) .

Sopra Steria

D'après son directeur général, M. Vincent Paris, Sopra Steria fait appel à des sous-traitants « dans des proportions de 4 % » 45 ( * ) .

Sur le fond, les cabinets de conseil généralistes se positionnent en « hub de compétences » pour reprendre l'expression utilisée par Roland Berger et Wavestone dans leur réponse à l'accord-cadre de la DITP en 2017 : ils mobilisent tout un écosystème varié de partenaires , « dans une logique de fertilisation » et en garantissant un « fonctionnement sans couture à l'administration » 46 ( * ) .

Les offres présentées pour cet accord-cadre de la DITP illustrent bien ce double phénomène de recours massif à la sous-traitance et de multiplication des partenariats.

En effet, l'ensemble des attributaires, à l'exception d'un seul, se sont constitués en groupement incluant de deux à trois cabinets et ont prévu l'intervention de sous-traitants. Ils y étaient d'ailleurs invités par l'appel d'offres, qui demandait aux candidats de mobiliser « un large écosystème d'acteurs, y compris des PME, des laboratoires d'innovation et des start-ups, et des centres de recherche, notamment en sciences sociales et économiques » 47 ( * ) .

En l'espèce, sur les trois lots de l'accord-cadre de la DITP, plus de 86 sous-traitants sont référencés dont 65 sociétés uniques, certaines étant présentes sur plusieurs lots, comme Sciences Po Paris ou encore Polytechnique.

Aux sous-traitants s'ajoute une galaxie de partenaires : si leur intervention était envisagée au moment de la signature du contrat, elle n'a finalement pas donné lieu à l'élaboration d'un dossier de sous-traitance.

À titre d'exemple, le tableau suivant dresse la liste des partenaires et des sous-traitants du lot n° 1 de l'accord-cadre de la DITP, « stratégie et politique publiques ».

Attributaires, sous-traitants et partenaires du lot n° 1
de l'accord-cadre de la DITP

Attributaires

Sous-traitants et partenaires

Boston Consulting Group (BCG) et EY

BeMyApp

Neeria

Sciences Po (centre de sociologie des organisations)

Tts

Hello Tomorrow

ICHOM

Public Digital

TED

Stratumn

Cnam

AdminXt

Stormz

Cap Collectif

On Map

DataStorm

Vooter

Turningpoint

Scan research

Julhiet sterwen

50 partners

Easy vista

Lineberty

Seren

Jade-i

Apptio

Klaxoon

Codesign-it

Linkfluence

Efficient team

Blockchain Partner

Opta

Glowbl

CogniStreamer

Beedez

Inside Board

McKinsey et
Accenture

Algoé Consultants

Orphoz

Fjord

Science Po Paris

HEVA

SparkBeyond

Make.org

Theodo

Octo Technology

Toulouse School of Economics

Open Citiz

Vraiment Vraiment

Alixio

Roland Berger
et Wavestone

Chaire innovation publique de l'ENSCI

BVA

École polytechnique

Balthazar

Planète publique

OpenDataSoft

Missions Publiques

Bluenove

Agorize

Source : commission d'enquête à partir des documents transmis par la DITP

Cette liste résulte des offres initiales des attributaires. Dans les faits, certains partenaires ne sont pas intervenus dans les prestations exécutées depuis 2018, faute de commandes portant sur leur domaine de compétence.

McKinsey et son cycle de conférences avec ses partenaires

Dans son offre rédigée à la fin de l'année 2017, McKinsey propose à la DITP (alors SGMAP) des « échanges réguliers ([par exemple] tous les deux mois) avec nos membres pour cadrer les réflexions futures et maintenir une vue d'ensemble sur les enjeux à venir ».

Le cabinet projette d'organiser cinq conférences entre février et novembre 2018 sur des thèmes comme « les grands défis RH à anticiper dans la transformation de l'action publique », « les dispositifs de consultation large des parties prenantes » ou encore « les meilleures pratiques internationales de cadrage budgétaire et d'incitation financière à la transformation ».

La conférence de février porterait sur « les grands enjeux économiques de la transformation de l'action publique » , pour laquelle McKinsey propose les intervenants suivants :

- M. Jean Tirole , « prix Nobel d'économie » ;

- M. Éric Labaye , « ancien président de McKinsey Global Institute » ;

- M. Yann Algan , « doyen de l'école d'affaires publiques de Sciences Po ».

Interrogé par la commission d'enquête, M. Yann Algan n'avait toutefois pas été informé que son nom ait pu être associé à un tel événement , dont rien n'indique qu'il ait finalement eu lieu.

Il a confirmé que l'école d'affaires publiques de Sciences Po Paris a « répondu à cet accord-cadre pour apporter une expertise de chercheurs dans la réflexion sur la transformation publique. En tant que doyen de cette école, j'ai donné mon nom comme chercheur mobilisable . »

En revanche, M. Yann Algan n'a « pas été sollicité pour participer à cette conférence ou à d'autres événements comparables » et n'a « jamais été rémunéré » par McKinsey . De même, il n'a « jamais été sollicité, ni à titre personnel ni en tant que doyen de l'école d'affaires publiques, pour intervenir dans une quelconque activité liée à cet accord-cadre ».

3. Le secteur public, un marché qui reste minoritaire dans l'activité des cabinets de conseil

Le conseil au secteur public ne représente généralement qu'une part relativement faible de l'activité des principaux cabinets de conseil.

Ainsi, les données transmises par les trente principaux cabinets en France montrent que, pour la majorité d'entre eux, les clients du secteur public et parapublic représenteraient entre 2018 et 2020 moins du tiers de leur chiffre d'affaires .

Comme l'a confirmé M. Matthieu Courtecuisse, « le marché du secteur public est de l'ordre de 10 % en moyenne » dans l'activité des cabinets de conseil 48 ( * ) .

Plus encore, le poids du secteur public tend à se réduire rapidement à mesure que le chiffre d'affaires des cabinets de conseil augmente .

Ainsi, parmi les cinq principaux cabinets - dont le chiffre d'affaires moyen sur la période 2018-2020 a dépassé 800 millions d'euros -, aucun ne générait plus de 10 % de ses revenus en travaillant pour le secteur public .

À l'inverse, on peut relever que, parmi l'échantillon retenu, les cabinets de conseil dont l'activité est la plus orientée vers le secteur public sont ceux dont le chiffre d'affaires est également le moins important.

Une exception notable peut être mentionnée s'agissant de l'entreprise Sopra Steria qui a généré plus de 200 millions de chiffres d'affaires en moyenne sur la période, tout en réalisant près de 55 % de celui-ci en lien avec le secteur public et parapublic.

De même, un cabinet comme Wavestone a souhaité depuis 2016 accroître sa présence dans le secteur public , qui représente aujourd'hui 14 % de son chiffre d'affaires.

Relation entre le chiffre d'affaires et le poids du secteur public
dans le revenu des principaux cabinets de conseil en France

(en millions d'euros - en pourcentage)

Source : commission d'enquête d'après les documents transmis par les cabinets de conseil interrogés


* 36 Audition de M. Matthieu Courtecuisse, président de l'organisation professionnelle Syntec Conseil et fondateur du cabinet de conseil Sia Partners, du 5 janvier 2022, et contribution écrite.

* 37 Source : contribution écrite de la DITP.

* 38 Voir le II. A de la présente partie pour plus de précisions sur l'organisation de consultations en ligne par les cabinets de conseil.

* 39 Réponses de l'Union des groupements d'achats publics (UGAP) au questionnaire adressé par la rapporteure de la commission d'enquête.

* 40 Table ronde des cabinets de conseil du 22 février 2022.

* 41 Source : chiffres transmis par l'UGAP, dont INOP'S est l'un des prestataires.

* 42 Source : contribution écrite d'Eurogroup transmise à l'issue de l'audition du 19 janvier 2022.

* 43 Audition des représentants du cabinet McKinsey le 18 janvier 2022.

* 44 Source : contribution écrite transmise par McKinsey à l'issue de l'audition.

* 45 Table ronde des cabinets de conseil du 16 février 2022.

* 46 Réponse de Roland Berger à l'appel d'offres de la DITP (à l'époque SGMAP), novembre 2017.

* 47 Cahier des clauses techniques particulières (CCTP) de l'accord-cadre de la DITP.

* 48 Audition de M. Matthieu Courtecuisse, président de l'organisation professionnelle Syntec Conseil et fondateur du cabinet de conseil Sia Partners, du 5 janvier 2022.

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