ANNEXE 2 - ÉTUDE DE LÉGISLATION COMPARÉE

Paris, le 20 janvier 2022

LA CONCENTRATION DES MÉDIAS

À la demande de la commission d'enquête sur la concentration des médias en France, la Division de la Législation comparée a conduit une étude sur la concentration des médias aux États-Unis, au Royaume-Uni, en Allemagne et en Italie. Après une brève présentation de l'état de la concentration dans les différents secteurs médiatiques, la présente note expose les règles applicables dans chaque pays en matière d'acquisition et de détention des médias et examine s'il existe des dispositions visant à protéger l'indépendance des journalistes et des rédactions vis-à-vis des propriétaires des médias où ils exercent.

L'état de la concentration dans les entreprises médiatiques de ces quatre pays tend à s'accroître depuis plusieurs années du fait de la libéralisation progressive des règles en la matière.

Trois des pays étudiés se caractérisent par une définition nationale ou fédérale des règles (Italie, Royaume-Uni et États-Unis) tandis qu'en Allemagne, cette question relève des Länder , qui coopèrent toutefois entre eux pour définir des règles homogènes. L'Allemagne fixe comme règle générale celle de la garantie de la diversité des opinions et applique pour ce faire des règles basées sur la part d'audience. L'Italie se réfère à des seuils économiques pour apprécier l'« atteinte au pluralisme » alors que le Royaume-Uni et les États-Unis évoquent l'intérêt public. Le Royaume-Uni a ainsi mis en place un « test de l'intérêt public » permettant au gouvernement d'intervenir dans certaines fusions, tandis que les États-Unis surveillent particulièrement les propriétés multiples et interdisent les détentions de deux chaînes de télévision parmi les quatre plus importantes.

Sur les quatre pays étudiés, trois ne pratiquent pas ou plus de règles relatives à l'interdiction de la détention croisée (Allemagne, Italie et États-Unis), tandis qu'il persiste une interdiction de ce type au Royaume-Uni.

1. LES ÉTATS-UNIS

Aux États-Unis, diverses dispositions ont été adoptées au cours du vingtième siècle pour limiter la concentration du contrôle de stations de radio ou de chaînes de télévision par un faible nombre d'acteurs, ainsi que des détentions croisées de plusieurs types de médias. En 1934, la loi sur les télécommunications institua la Commission fédérale des communications ( Federal communications commission , ci-après FCC) comme autorité fédérale régulatrice en matière de communications.

En 1941 puis 1946, la règle du double réseau, empêchant une entité de détenir plusieurs stations de radio ou chaînes de télévision, fut créée. Cette règle a été révisée au cours des dernières années, mais existe toujours, sous une forme différente.

En 1970, la règle prohibant la détention croisée de stations de radio et de chaînes de télévision et, en 1975, celle prohibant la détention croisée d'un journal et d'un média de diffusion radiophonique ou télévisuelle furent instaurées par la FCC.

En 1996, la loi sur les télécommunications procéda à la première refonte majeure de la loi de 1934. À l'époque, selon la FCC, « l'objectif de cette nouvelle loi est de permettre à n'importe qui d'entrer dans n'importe quelle entreprise de communication, et de laisser n'importe quelle entreprise de communication rivaliser sur n'importe quel marché contre n'importe quelle autre (...). La FCC a un rôle énorme à jouer dans la création de règles équitables pour cette nouvelle ère de concurrence » 193 ( * ) .

La FCC est donc l'autorité régulatrice qui réglemente les médias au nom de l'intérêt public. À ce titre, elle a longtemps maintenu des règles strictes en matière de possession des médias. Depuis l'adoption de la loi de 1996, la FCC est tenue de procéder tous les quatre ans à un examen des règles de propriété et de modifier ou abroger celles qui ne lui semblent plus être d'intérêt public.

a) État des lieux de la concentration des médias

Selon un article publié en 2019 par le sociologue américain des médias Rodney Benson 194 ( * ) , les six plus grosses entreprises détenant des médias d'information aux États-Unis étaient AT&T, Verizon, Comcast, Disney, Fox News Corporation et National Amusements, et toutes étaient des sociétés cotées en bourse. Ensemble, ces entreprises détenaient, en 2019, les quatre plus grandes chaînes de télévision nationales (ABC, CBS, NBC et Fox), les trois principales chaînes d'information généraliste sur le câble (CNN, MSNBC et Fox news) ainsi que les chaînes d'information économique CNBC et Fox business, le journal financier Wall Street Journal et le tabloïd New York Post . En outre, le même article précisait que trois des sociétés de nouveaux médias dites indépendantes (Vice, Vox et Buzzfeed) recevaient des capitaux d'investissement provenant des « Big Six », en particulier AT&T, Comcast et Disney.

Le site Internet Media Landscapes , créé par l'institut de recherche European Journalism Centre , en partenariat avec le ministère néerlandais de l'éducation, de la recherche et des sciences, a dressé un panorama des médias américains, selon lequel :

- s'agissant de la presse écrite, « du fait de la superficie du pays, l'industrie de la presse aux États-Unis s'est principalement développée à l'échelon local. Il existe trois grands journaux nationaux : USA Today , The Wall Street Journal et l'édition nationale du New York Times . Les autres, 1 331 quotidiens en 2014, en baisse d'environ 100 par rapport à la décennie précédente, sont des journaux métropolitains et locaux ; parmi les plus importants figurent le Los Angeles Times , le Washington Post , le Chicago Tribune et les deux tabloïds new-yorkais, le Post et le Daily News . Beaucoup de journaux font partie de chaînes qui possèdent de nombreux titres, et il existe une tendance générale à la consolidation de la propriété. La plus grande chaîne est Gannett, l'éditeur de USA Today , qui possède plus de 100 quotidiens » 195 ( * ) ;

- s'agissant de la radio, « il existe des centaines de stations de radio commerciales aux États-Unis, dont beaucoup appartiennent à de grandes chaînes, depuis que la FCC a assoupli les règles sur le nombre de stations qu'une entreprise particulière peut posséder. Les dix premières entreprises représentent environ 50 % du chiffre d'affaires ; les trois premières sont iHeart Media, avec 862 stations, CBS avec 117 et Cumulus Media avec 449. La plupart mettent l'accent sur la musique et ont peu d'informations ou de discussions sur les affaires publiques. Cependant, environ 10 % des auditeurs se tournent vers les formats « informations» à n'importe quel moment de la journée. » 196 ( * ) ;

- enfin, s'agissant de la télévision, « les réseaux nationaux de diffusion sont au coeur du système et jouent encore un rôle central, quoique de moins en moins important. Les plus importantes sont ABC, CBS, NBC, Fox et Univisión. Ce dernier est l'un des deux réseaux nationaux de langue espagnole et dépasse parfois certains des réseaux de langue anglaise en termes d'audience. (...). Une autre composante du système est constituée des chaînes locales, dont certaines appartiennent aux réseaux nationaux et d'autres à d'autres sociétés de médias. La plupart ont leurs propres émissions d'information et, collectivement, les chaînes de télévision locales sont la plus grande source d'information pour les Américains. Comme pour la radio, la concentration de la propriété s'est considérablement accrue dans ce secteur ces dernières années, les cinq plus grandes entreprises (Sinclair, Nexstar, Gray, Tegna et Tribune) faisant passer le nombre de stations qu'elles possédaient de 179 en 2004 à 443 en 2016 197 ( * ) . Une troisième composante est le câble ; en termes d'information, les acteurs dominants de l'information par câble sont Fox News, CNN et MSNBC. Fox et MSNBC sont connus pour leur forte identité partisane et idéologique » 198 ( * ) .

b) Les règles en matière de détention des médias
(1) Une réévaluation régulière des règles de détention

La FCC est tenue par la loi sur les télécommunications de procéder tous les quatre ans à un réexamen des règles en vigueur en matière de détention des médias, et de modifier ou d'abroger celles qui ne lui sembleraient plus pertinentes pour préserver l'intérêt public.

Lors du réexamen de 2017, de nouvelles restrictions ont été levées, la FCC concluant que trois des règles en matière de détention des médias n'étaient plus justifiées pour promouvoir la concurrence, le caractère local ou la diversité des points de vue. Deux des trois règles en question ont été abrogées, la dernière a été modifiée 199 ( * ) .

(a) La suppression de la règle prohibant la détention croisée de journaux et médias de diffusion

La FCC a supprimé en 2017 la règle prohibant la détention croisée de journaux et de médias de diffusion. Auparavant, une entité ne pouvait détenir un titre de presse écrite et un média de diffusion, qu'il soit radiophonique ou télévisé, si le périmètre d'émission englobait la zone de parution du journal. La FCC a estimé qu'avec la multiplicité des sources d'information, le maintien de cette règle ne se justifiait plus au nom de la promotion de la diversité des points de vue. Par ailleurs, la FCC a considéré que l'abrogation de cette règle pourrait potentiellement promouvoir les marchés locaux en permettant aux médias régionaux de réaliser des gains d'efficience en combinant les ressources nécessaires pour recueillir, rapporter et diffuser les informations locales.

(b) La suppression de la règle prohibant la détention croisée de stations de radio et de chaînes de télévision

En 2017, la FCC a également supprimé la règle prohibant la détention croisée de stations de radio et de chaînes de télévision. En vertu de ce principe, une entité ne pouvait pas posséder plus de deux chaînes de télévision et une station de radio dans la même zone (designated market area). La FCC a considéré que cette règle ne se justifiait plus du fait de la faible contribution de la radio à la diversité des points de vue et, à l'inverse, de la variété des autres médias y contribuant au niveau local. Pour la FCC, maintenir la règle de détention croisée n'était donc pas nécessaire pour promouvoir la concurrence ou le traitement local.

(c) La modification de la règle sur la détention de chaînes de télévision locales

Enfin, la règle relative à la détention de chaînes télévision locales a été modifiée en 2017 afin de refléter au mieux les conditions concurrentielles sur les marchés locaux. La FCC a ainsi supprimé le test dit « des huit voix », qui exigeait qu'au moins huit chaînes de télévision indépendantes restent sur un marché avant qu'une entité puisse posséder deux chaînes de télévision sur ce même marché. La FCC autorise également désormais des exceptions à l'interdiction pour une entité de posséder deux des quatre chaînes les plus importantes d'un marché s'il peut être démontré que cela serait dans l'intérêt public.

Saisie par Prometheus Radio Project et plusieurs autres groupes d'intérêt public et de défense des consommateurs, au motif que la décision de la FCC d'abroger ou de modifier ces trois règles était « arbitraire et capricieuse » en vertu de l'Administrative Procedure Act , la Cour Suprême a jugé en avril 2021 que la FCC, lors de son réexamen des règles, s'était fondée sur les données en sa possession et qu'elle avait raisonnablement conclu que les trois règles n'étaient plus nécessaires pour servir l'objectif d'intérêt public. Elle a ainsi cassé l'arrêt de la juridiction précédente (Third circuit) qui tranchait en faveur des plaignants, et entériné la décision de la FCC 200 ( * ) .

(2) Les règles en vigueur en matière de détention des médias201 ( * )

Le droit américain prévoit actuellement, au niveau fédéral, quatre règles en matière de propriété des médias, auxquelles s'ajoutent des dispositions relatives aux participations étrangères. Il n'est pas possible de transférer la propriété de médias sous licence sans que la FCC, auparavant, ne vérifie la conformité de ce transfert au regard de l'exigence d'intérêt public 202 ( * ) .

(a) La règle du double réseau (dual network rule)

En vertu de cette règle, il est interdit de procéder à des fusions parmi les quatre plus importantes chaînes de télévision, soit ABC, CBS, Fox et NBC. Inscrite au titre 47, § 73.658 (g) du code des réglementations fédérales 203 ( * ) , cette règle n'empêche pas les fusions ou les détentions multiples de chaînes de télévision dans la mesure où ces dernières ne font pas partie des « top four ».

Initialement introduite pour interdire la détention de deux stations de radio en 1941, cette règle a été étendue aux réseaux de télévision en 1946. La loi sur les télécommunications de 1996 a inclus une disposition demandant à la FCC de revoir la règle du double réseau. La nouvelle version issue de cette demande a autorisé la détention commune de deux réseaux de télédiffusion, tant que ces réseaux ne figuraient pas parmi les quatre plus importants en termes d'audience. La règle du double réseau, toujours en vigueur aujourd'hui, ne concerne désormais que les chaînes de télévision.

(b) La règle de la propriété multiple des chaînes de télévision locales (local television multiple ownership rule)

Instaurée en 1964 et codifiée au titre 47, §73.3555 (b) du code des réglementations fédérales, cette règle limite le nombre de chaînes de télévision qu'une entité peut détenir dans une zone géographique définie. Ainsi, une entité peut posséder deux chaînes sur un marché défini (designated market area) dans la mesure où (i) les périmètres de rayonnement des chaînes ne se chevauchent pas et (ii) au moment du dépôt de la demande d'acquisition, au moins l'une des chaînes ne figure pas parmi les quatre plus importantes en termes d'audience de la zone de marché définie, sauf si la FCC estime que cela ne serait pas contraire à l'intérêt public.

(c) La règle de la propriété multiple des stations de radio locales (local radio multiple ownership rule)

Codifiée au titre 47, §73.3555 (a) du code des réglementations fédérales, cette règle permet à une entité de détenir un nombre limité de stations de radio dans une zone géographique définie. Ce nombre est fonction de la taille du marché et s'élève à :

- huit stations au maximum, dont au plus cinq diffusant sur le même réseau (FM ou AM), sur un marché comportant au moins 45 stations ;

- sept stations au maximum, dont au plus quatre diffusant sur le même réseau, sur un marché comprenant entre 30 et 44 stations de radio ;

- six stations au maximum, dont au plus quatre diffusant sur le même réseau, sur un marché comprenant entre 15 et 29 stations de radio ;

- cinq stations au maximum, dont au plus trois diffusant sur le même réseau, sur un marché comprenant au plus 14 stations de radio, du moment où l'entité ne possède pas « d'intérêt notable » dans plus de 50 % des stations du marché.

(d) La règle de la propriété multiple des chaînes de télévision nationales (national television multiple ownership rule)

En vertu de cette règle, codifiée au titre 47, §73.3555 (e) du code des réglementations fédérales, aucune licence pour une chaîne de télévision commerciale ne peut être accordée, transférée ou cédée à une entité si cela a pour conséquence que cette entité ou l'une des personnes la composant détient un intérêt global dans les chaînes de télévision d'audience nationale supérieur à 39 %, c'est-à-dire qui atteignent plus de 39 % des foyers américains.

(e) La question des participations étrangères

Aux termes de la section 310 de la loi de 1934 sur les télécommunications, la FCC doit examiner tout investissement étranger et autoriser les participations étrangères si celles-ci dépassent certains seuils 204 ( * ) . Au cours des dernières années, elle a assoupli les règles relatives aux participations étrangères dans les médias, jusqu'à approuver, en 2017, que des stations de radio ou des chaînes de télévision soient intégralement détenues par des sociétés étrangères 205 ( * ) . Selon la FCC, « ces changements faciliteront l'investissement à partir de nouvelles sources de capitaux à un moment où les besoins d'investissement dans ce secteur important de l'économie nationale sont croissants, tout en continuant de satisfaire aux exigences de l'article 310 et aux politiques reflétées dans le présent rapport et décret » 206 ( * ) .

(f) Exemple d'une décision de la FCC relative à la propriété de médias

En décembre 2020, la FCC a étudié les demandes d'entrée dans le capital de la société Univision (principale société proposant des contenus en langue espagnole aux États-Unis) par les sociétés Searchlight III UTD, L.P., ForgeLight (United) Investors, LLC et Grupo Televisa, SAB207 ( * ) et d'augmentation des participations étrangères d'Univision 208 ( * ) .

Ce transfert a été accordé sous réserve de la réalisation de la vente de trois stations sur le marché de Porto Rico, avant ou à la réalisation de la transaction soumise à autorisation. La FCC a en effet considéré que la transaction proposée était conforme aux lois et aux règles de la FCC, et que la transaction pouvait offrir des avantages d'intérêt public aux téléspectateurs et aux auditeurs des stations d'Univision. Par ce transfert, ce sont 65 chaînes de télévision et 70 radios qui ont changé de propriétaires.

La demande d'autorisation de dépasser le seuil de 25 % de propriété étrangère a également été acceptée par la FCC, au motif que l'interdiction de participation étrangère dans Univision n'irait pas dans le sens de l'intérêt public.

c) La protection de l'indépendance des journalistes et des rédactions

La liberté de la presse est protégée par le premier amendement 209 ( * ) . Dans un argumentaire déposé au dossier de l'affaire « Arkansas Times vs Mark Waldrip » 210 ( * ) , il est même évoqué « l'indépendance éditoriale [comme] une valeur sacro-sainte du Premier Amendement » 211 ( * ) .

Dans les médias financés par des fonds publics, trois textes garantissent l'indépendance face au gouvernement des journalistes et rédactions du réseau U.S. Agency for Global Media (ci-après USAGM ), auquel appartiennent des rédactions telles que Voice of America (VOA) . La charte de VOA, qui a valeur de loi depuis 1976, demande une présentation des informations « exacte, objective et complète ». Depuis 1994, l' International Broadcasting Act exige que la diffusion soit « menée conformément aux normes professionnelles les plus élevées du journalisme de diffusion ». Enfin, en 2016, le National Defense Authorization Act a maintenu l'exigence que les opérateurs de la diffusion internationale américaine « respectent l'indépendance et l'intégrité » des services de diffusion.

Malgré ces garanties codifiées, le conseil d'administration d'USAGM a mis en place en juin 2020 un « pare-feu » ( firewall ) pour garantir l'indépendance Ce « pare-feu » prohibait toute ingérence dans le travail éditorial et interdisait aux responsables extérieurs à la salle de rédaction de « tenter de diriger, de faire pression, de contraindre, de menacer, d'interférer ou d'influencer de manière inacceptable l'un des réseaux USAGM, y compris leurs dirigeants ou employés, dans l'exercice de leurs fonctions et activités journalistiques et de diffusion » 212 ( * ) . Il a été supprimé quelques mois plus tard 213 ( * ) lorsqu'un nouveau responsable du conseil d'administration d'USAGM a été nommé 214 ( * ) .

Outre ces protections constitutionnelles, pour la première, et légales, pour les secondes, des dispositifs propres aux rédactions peuvent être mis en place, à l'instar des chartes internes, ou propres à la profession, tels que des codes éthiques.

Enfin, un projet de loi visant à protéger les journalistes a été présenté en 2015, puis réintroduit en 2021 devant la Chambre des députés par un député démocrate. Il vise à considérer comme un crime fédéral le fait de nuire intentionnellement à un journaliste en activité ou de lui nuire dans le but de l'intimider dans l'exercice de sa fonction 215 ( * ) .

2. LE ROYAUME-UNI

Au Royaume-Uni, une régulation des fusions dans le domaine de la presse écrite est intervenue en 1965 via la loi sur les monopoles et les fusions (Monopolies and mergers act) . Quelques années auparavant, un rapport de la Commission royale sur la presse avait conclu que le contrôle de la presse était un sujet particulièrement sensible pour le public et que la concentration croissante de la propriété de journaux entre trop peu de mains pourrait étouffer l'expression d'opinions et d'arguments et déformer la présentation des informations. Sous ce régime, la plupart des fusions de journaux étaient soumises à un système de contrôle plus strict que les fusions d'autres entreprises. Ainsi, le transfert de propriété d'un organe de presse répondant aux critères d'application de la loi était illégal et nul s'il avait lieu sans le consentement préalable du secrétaire d'État. La loi sur la diffusion audiovisuelle (Broadcasting act) de 1990 érigeait également certaines défenses en la matière 216 ( * ) .

Le processus de dérégulation de l'acquisition des médias est intervenu au début du 21 e siècle, par la loi sur la communication de 2003 (Communication act) . Outre les dispositions en la matière, la loi crée également l'Office des communications (Ofcom), nouvelle autorité régulatrice dans ce domaine. Sa mission principale est de promouvoir les intérêts des citoyens et des consommateurs en matière de communication. Il s'agit d'un organe indépendant du gouvernement et des entreprises du secteur des médias, responsable devant le Parlement, et dont les missions sont définies par la loi sur la communication.

a) État des lieux de la concentration des médias

Selon le rapport intitulé « Qui détient les médias britanniques ? » 217 ( * ) , publié par la Media Reform Coalition 218 ( * ) , le niveau de concentration des médias est élevé au Royaume-Uni :

- trois entreprises (DMG Media, News UK et Reach) domineraient 90 % du marché des journaux nationaux en 2020 (contre 83 % en 2019) ;

- six entreprises contrôleraient 83 % de la presse locale et régionale. Parmi elles, les trois plus grosses sociétés (Newsquest, Reach et JPI Media) contrôlent chacune un cinquième du marché de cette même presse, ce qui représenterait plus que la part des 50 plus petits éditeurs de presse locale réunis ;

- Facebook contrôlerait trois des cinq principaux services de médias sociaux utilisés pour accéder aux actualités en ligne au Royaume-Uni ;

- deux sociétés (Bauer Radio et Global Radio) détiendraient 70 % des 279 stations de radio analogiques locales commerciales. Les trois quarts du marché DAB (Digital Audio Broadcasting) national serait quant à lui contrôlé par trois groupes ;

- quant à la télévision terrestre, cinq chaînes détiennent ensemble plus de 80 % des parts de marché (BBC, ITV - Channel 3, Channel 4, Sky et Viacom - Channel 5). Parmi elles, deux (Sky et Channel 5) sont détenues par des entreprises américaines.

Selon ce même rapport, les grandes sociétés « continuent de renforcer leur position dominante sur le marché des médias par le biais de fusions et de rachats de leurs plus petits concurrents. Début 2019, Bauer Radio a acquis une cinquantaine de stations de radio locales (...), doublant ainsi son nombre de stations pour devenir le plus grand radiodiffuseur local avec une part de marché de 38 %. En novembre 2019, DMG Media (éditeur du Daily Mail et Metro ) a acheté le journal « i », augmentant de 3 % la part combinée de la société dans la diffusion imprimée. Ni le régulateur du marché des communications Ofcom, ni l'Autorité de la concurrence et des marchés n'ont considéré que ces rachats, qui ont donné à deux sociétés de médias déjà puissantes une plus grande part de leurs marchés respectifs, constituaient une menace pour la pluralité des médias au Royaume-Uni » 219 ( * ) .

b) Les règles en matière de détention des médias
(1) Un contexte de libéralisation engagé depuis plusieurs décennies

La loi sur la diffusion audiovisuelle de 1990 (Broadcasting act 1990) 220 ( * ) érigeait des restrictions (i) pour empêcher l'accumulation d'intérêts dans les services sous licence, (ii) s'agissant du contrôle des intérêts dans la presse écrite et les services sous licence et (iii) sur la détention de licences par les opérateurs des systèmes publics de télécommunications et en limitant les participations étrangères puisqu'elle interdisait aux personnes et sociétés situées à l'extérieur du Royaume-Uni de détenir des licences.

Cette loi a été amendée par la loi sur les communications de 2003 (Communication act 2003) 221 ( * ) , laquelle a libéralisé le secteur. En particulier, les restrictions présentées supra ont toutes été supprimées.

Outre la suppression des restrictions tenant à la participation d'entreprises étrangères ou à la détention de certains intérêts, la loi de 2003 instaure un Office des communications ( Office of communications, ci-après Ofcom) ayant pour missions de (i) promouvoir les intérêts des citoyens en matière de communication et (ii) promouvoir les intérêts des consommateurs sur les marchés pertinents, le cas échéant en favorisant la concurrence.

Selon le rapport IRIS sur le pluralisme des médias et les enjeux de la concurrence publié par l'Observatoire européen de l'audiovisuel, « outre des règles de concurrence d'application générale, le Royaume-Uni dispose de règles spécifiquement applicables aux opérations de fusions dans le secteur des médias. Le régime de régulation de la radiodiffusion comprend également des compétences en matière de concurrence ainsi que des règles de contrôle de la propriété » 222 ( * ) .

En effet, la loi de 2003 comporte un chapitre 5 relatif à la propriété et au contrôle des médias ainsi qu'une partie 5 sur la compétition sur les marchés de communication. L'annexe 14 223 ( * ) du texte instaure des règles dites de détention des médias (media ownership rules ), qui visent à protéger l'intérêt public et empêcher toute influence excessive de propriétaires de médias (voir infra ).

La loi de 2003 impose également à l'Ofcom de conduire un examen périodique de la propriété des médias tous les trois ans, au maximum. Cet examen doit être remis sous forme de rapport au secrétaire d'État.

La loi de 2003 a également modifié la loi sur les entreprises de 2002 pour y introduire des considérations particulières tenant à la nécessité d'une présentation précise des informations, de la libre expression des opinions ainsi que la nécessité d'une pluralité suffisante des points de vue dans les journaux. Pour ce faire, la loi souligne le besoin (i) de pluralité des personnes contrôlant les entreprises de médias, (ii) d'un large éventail de programmes et (iii) pour les personnes exploitant ou contrôlant les entreprises de médias, un engagement à atteindre les normes énoncées à l'article 319 de la loi de 2003 relatives au contenu des programmes.

(2) Les règles en vigueur en matière de détention des médias

La loi de 2003 a introduit de nouvelles règles, plus souples, relatives à la détention des médias 224 ( * ) .

(a) La règle de détention croisée des médias

Cette règle concerne la détention croisée de journaux nationaux et de licence de chaîne de télévision Channel 3. En vertu de ce principe, les grands groupes de presse nationale ne peuvent pas détenir largement (broadly) une licence de chaîne de télévision privée diffusant régionalement, sur le réseau ITV appelé aussi « Channel 3 » 225 ( * ) . Plus précisément, cette règle interdit à un opérateur de presse détenant 20 % ou plus de parts de marché de presse écrite de détenir une licence Channel 3 ou une participation dans un détenteur de licence Channel 3 supérieure à 20 %. Inversement, il est interdit à un titulaire d'une licence Channel 3 de détenir une participation de 20 % ou plus dans un grand groupe de presse nationale (c'est-à-dire un opérateur avec une part de marché de 20 % ou plus). Dans son rapport au secrétaire d'État publié en novembre 2021, l'Ofcom propose de conserver cette règle pour le moment, car « bien que la portée des services d'information télévisée et des journaux imprimés ait diminué au fil du temps, ils restent toujours des sources importantes en termes de capacité à atteindre et à influencer un large public à travers le Royaume-Uni » .

(b) La règle du fournisseur

La règle dite du fournisseur d'informations des chaînes émettant sur Channel 3 consiste en ce que les titulaires régionaux de licence Channel 3 désignent entre elles un seul fournisseur d'informations. Les individus ou les organisations qui ne sont pas autorisés à détenir une licence Channel 3 ne peuvent pas non plus être le fournisseur d'informations 226 ( * ) . Dans son rapport au secrétaire d'État publié en novembre 2021, l'Ofcom propose de conserver cette règle pour le moment, considérant que « la règle fonctionne pour garantir un certain degré de pluralité dans la fourniture d'informations globales à grande échelle » et que, inversement, revenir sur cette règle risquerait d'avoir des implications sur la pluralité des médias et de compromettre la qualité des informations fournies.

(c) Le test de l'intérêt public

C'est une des composantes essentielles du contrôle de la concentration des médias au Royaume-Uni. Ce test permet au secrétaire d'État d'intervenir dans les fusions de médias (journaux, radios et télévisions) sous certaines conditions. L'Ofcom émet alors un avis sur le fait de savoir si la fusion est dans l'intérêt public au sens de la loi sur les entreprises. Le secrétaire d'État décide ensuite s'il est légitime d'émettre un avis d'intervention, lequel déclenche un examen pour déterminer si la fusion pourrait porter atteinte à l'intérêt public 227 ( * ) . C'est l'Autorité de la concurrence qui est alors saisie. Dans son rapport au secrétaire d'État publié en novembre 2021, l'Ofcom recommande de modifier le champ du test de l'intérêt public en remplaçant les références aux journaux ou entreprises de médias dans les textes en vigueur par le terme « nouveaux créateurs » (new creators) afin de refléter au mieux la façon dont les consommateurs accèdent aux informations.

(d) Les interdictions relatives à certaines personnes ou organismes

Certaines personnes ou certaines entreprises ne sont pas autorisées à détenir certains types de licences, à l'instar :

- des agences de publicité et des organes politiques qui ne peuvent détenir de licence de diffusion, quelle qu'elle soit ;

- des autorités locales qui ne peuvent détenir de licence de diffusion sauf pour exploiter un service de diffusion uniquement pour fournir des informations sur leurs fonctions et services dans leur zone géographique ;

- des organismes dont le financement est assuré à plus de 50 % par des fonds publics britanniques, qui ne peuvent détenir la plupart des licences radio, mais sont autorisées à détenir tout type de licence télévisuelle ;

- des organisations religieuses, qui ont l'interdiction formelle (interdiction non-discrétionnaire) de détenir des licences pour Channel 3, Channel 5, la radiodiffusion sonore et les multiplexes, tandis que, pour les autres types de licence, l'Ofcom a le pouvoir de déterminer s'il est approprié pour une telle organisation d'en détenir une (interdiction discrétionnaire) ;

- et de la BBC, de Channel 4 Corporation et de S4C, qui ont l'interdiction de détenir des licences Channel 3 et Channel 5.

Dans son rapport au secrétaire d'État publié en novembre 2021, l'Ofcom propose de supprimer certaines interdictions, à l'instar des interdictions discrétionnaires touchant les groupes religieux et des restrictions touchant les agences de publicité et les organismes dont le financement est assuré à plus de 50 % par des fonds publics. À l'inverse, l'Ofcom recommande de conserver les interdictions non-discrétionnaires touchant les groupes religieux, les interdictions touchant les organes politiques et autorités locales ainsi que celles interdisant à la BBC, à Channel 4 et à S4C de détenir des licences Channel 3 et Channel 5.

Pour autant, le rapport-pays Royaume-Uni 228 ( * ) du Centre pour le pluralisme des médias et la liberté des médias 229 ( * ) , publié en 2020 et prenant en compte des données de 2018 et 2019, indiquait en introduction que « la pluralité des médias a enregistré les niveaux de risque les plus élevés dans l'ensemble, en particulier pour la concentration des médias d'information. Les citoyens britanniques n'ont pas facilement accès à un registre d'informations sur la propriété des médias, et les appels à une révision des contrôles de concentration des médias britanniques à la lumière des développements en ligne sont restés jusqu'à présent sans réponse » . Ce même rapport ajoutait que « dans le secteur de la radiodiffusion, une série de restrictions de propriété et d'exigences d'impartialité contribuent à isoler les radiodiffuseurs de l'influence politique extérieure. Les pouvoirs du gouvernement de nommer les membres clés du conseil d'administration de la BBC et le manque de transparence dans la fixation des frais de licence de la BBC ont accru le niveau de risque pour l'indépendance politique des médias de service public » .

Le risque, en matière de transparence de la propriété des médias, est estimé par l'auteur du rapport-pays précité à 58 % 230 ( * ) . Ce rapport souligne que si les entreprises ont le devoir de fournir à l'Ofcom des informations détaillées sur leurs actifs, ces informations ne sont disponibles que de façon réduite sur le site de l'Ofcom. Quant aux services à la demande, « l'Ofcom n'exige que des coordonnées de base et il n'y a pas d'exigences de transparence de propriété spécifiques aux médias applicables aux autres services numériques en ligne ou à la presse écrite » .

c) La protection de l'indépendance des journalistes et des rédactions

La loi sur la communication de 2003 a introduit dans la loi sur les entreprises de 2002 une considération tenant à la libre expression des opinions (voir supra ). Selon le guide sur l'intervention tenant à l'intérêt public lors des fusions de médias 231 ( * ) , cette considération doit s'entendre comme la capacité d'un rédacteur en chef à déterminer la position d'un journal sans ingérence du propriétaire. Ainsi, en évaluant le risque que représenterait une fusion de médias pour l'intérêt public, les autorités doivent s'interroger sur l'impact potentiel sur les décisions éditoriales d'un transfert, en particulier la mesure dans laquelle la transaction pourrait affecter la liberté d'agir des rédacteurs en chef sans intervention des propriétaires.

Si ces lignes directrices ont été publiées en 2004, l'Ofcom indique toutefois dans son rapport sur l'acquisition par le Trinity Mirror plc des actifs d'édition de Northern & Shell Media Group Limited 232 ( * ) , publié en 2018, que c'était la première fois qu'il était invité à prendre ce critère en considération lors de son évaluation. Dans cette affaire, des inquiétudes avaient été exprimées concernant un changement éventuel de ligne éditoriale susceptible d'intervenir après la fusion. L'Ofcom a considéré que « à condition que le rédacteur en chef conserve la possibilité de déterminer la position du journal sans ingérence du propriétaire, nous ne considérons pas que cette préoccupation soit pertinente pour le motif de la libre expression de l'opinion » 233 ( * ) .

En 2008, un rapport de la Chambre des Lords 234 ( * ) étudiait également la question de l'interférence des propriétaires dans la ligne éditoriale des journaux qu'ils détenaient. Si, lors des auditions, seul Rupert Murdoch avait explicitement indiqué qu'il utilisait un contrôle éditorial sur les sujets importants (editorial control on major issues) , les auditions avaient mis en évidence d'autres exemples de propriétaires intervenant directement sur le contenu des journaux 235 ( * ) . Le rapport soulignait aussi que l'influence pouvait être indirecte, par exemple par le choix du rédacteur en chef.

Le rapport-pays Royaume-Uni 236 ( * ) précité présentait le Royaume-Uni comme un pays présentant un risque moyen (medium risk) en matière d'indépendance politique, notamment en matière d'autonomie éditoriale 237 ( * ) . Pour l'auteur, « l'autonomie éditoriale (risque moyen : 65 %) est également spécifique au secteur, la marge d'influence des propriétaires étant la plus grande dans le secteur de la presse écrite. Bien que certains journaux, tels que The Guardian , aient des structures formelles pour protéger l'indépendance éditoriale, peu est fait, à part des considérations commerciales ou de réputation, pour empêcher les propriétaires d'influencer la ligne éditoriale de leur journal ou le choix du rédacteur en chef. Lorsque la propriété est dispersée parmi de grandes organisations financières, il peut y avoir moins de risque d'intervention éditoriale » .

Cité dans le rapport, le journal The Guardian (et plus globalement Guardian Media Group, GMG) est détenu depuis 1936 par le « Scott Trust dans une structure unique qui existe pour garantir l'indépendance financière et éditoriale de The Guardian à perpétuité et pour protéger la liberté journalistique et les valeurs libérales de The Guardian , à l'abri de toute ingérence commerciale ou politique » 238 ( * ) . Toutefois, s'il n'intervient pas directement dans la ligne éditoriale, il joue un rôle indirect puisqu'il « nomme le rédacteur en chef » et « supervise la stratégie commerciale » 239 ( * ) .

3. L'ALLEMAGNE

En Allemagne, le partage des compétences entre la Fédération (Bund) et les Länder est défini par la Loi fondamentale aux articles 70 et suivants. Les sujets relatifs à la diffusion radiophonique ou télévisée ne font pas partie de la compétence réservée du Bund , ni de la compétence partagée. Il s'agit donc d'un sujet qui relève de la compétence des Länder .

Presque chaque Land possède sa propre autorité régulatrice en matière de médias, à l'exception des Länder de Berlin et de Brandebourg, qui partagent une autorité commune, tout comme Hambourg et le Land de Schleswig-Holstein. Au total, il existe donc 14 autorités régulatrices des médias, qui coopèrent pour la définition de lignes directrices communes au sein de commissions centrales, dont une sur les licences et la surveillance (Kommission für Zulassung und Aufsicht, ZAK), en charge de l'octroi des licences et du contrôle des diffuseurs privés à l'échelle nationale, et une sur la concentration dans les médias (Kommission zur Ermittlung der Konzentration im Medienbereich, KEK) , qui vérifie que la conformité à l'exigence de diversité des points de vue est respectée par les opérateurs de télévision privés à l'échelle nationale 240 ( * ) .

En 1987, les Länder ont conclu un premier traité sur la réorganisation du système de radiodiffusion (Staatsvertrag zur Neuordnung des Rundfunkwesens) 241 ( * ) . « Dans un premier temps, [ les Länder ] ont essayé d'enrayer les tendances de concentration par un modèle de restriction des participations dans le cadre du droit des sociétés et de limitation du type et du nombre de chaînes autorisées par radiodiffuseur. Cependant, loin de permettre de lutter efficacement contre la concentration des entreprises dans la radiodiffusion privée, cette démarche a provoqué la formation d'entreprises conjointes et de groupes de diffusion. Par la suite, ce modèle basé sur la participation a été abandonné et remplacé par un modèle basé sur la part d'audience (en 1997). En vertu de la législation actuellement en vigueur, chaque radiodiffuseur peut avoir à l'échelle nationale le nombre et le type de chaînes télévisées qu'il souhaite, tant qu'il n'occupe pas de ce fait une position dominante sur l'opinion publique » 242 ( * ) .

Outre la KEK, responsable du contrôle de la concentration à l'échelle nationale dans le secteur télévisuel, d'autres autorités interviennent en matière de fusion des médias. Les autorités régulatrices des Länder sont en charge des chaînes de radio et de télévision à leur échelle géographique, tandis que les autorités de la concurrence (régionales et nationale) interviennent également. Toutes ces autorités de régulation des médias et de contrôle de la concurrence sont indépendantes. Leurs décisions peuvent faire l'objet d'un recours devant un tribunal.

a) État des lieux de la concentration des médias en Allemagne

Dans le secteur public, neuf systèmes de diffusion relevant des Länder coexistent, à côté d'une chaîne de télévision (ZDF) et d'une station de radio (Deutschlandradio) nationales. Si les systèmes de diffusion publics sont organisés de façon à assurer la diversité des points de vue, la supervision des systèmes de diffusion privés, quant à elle, est assurée par les autorités régulatrices.

La Commission sur la concentration dans les médias (KEK) a publié, depuis 2000, sept rapports sur le développement de la concentration et les mesures visant à assurer la diversité des opinions dans les services de télédiffusion privés. Ces rapports incluent également une analyse des autres médias. Selon le dernier rapport, publié en 2018 :

- la presse écrite, réputée comme diversifiée, tend progressivement à être de plus en plus concentrée. Les contraintes pesant sur la presse écrite (baisse des tirages, baisse du nombre de lecteurs, réduction du personnel dans les rédactions, etc.) favorisent la concentration. Le marché dit « des journaux de rue » (Boulevardzeitungen) 243 ( * ) est dominé par le groupe Axel Springer, dont le tabloïd Bild serait le journal le plus lu d'Allemagne. D'après le moniteur du pluralisme des médias (Medienvielfaltsmonitor) 244 ( * ) 2021, les cinq plus grosses entreprises de presse écrite concourent à 72 % à la formation de l'opinion via ce qui est appelé le « pouvoir d'opinion » (Meinungsmacht) (Springer (21,6 %), KKR (21,6 %), Madsack (10,6 %), Funke (9,6 %) et Medien Union (8,7 %)) ;

- la radio se caractérise par une pluralité de propriétaires et un grand nombre de stations locales. Le rapport 2018 de la KEK souligne que certaines tendances à la concentration peuvent être observées dans le secteur de la radio, provoquant des effets négatifs sur la diversité des opinions, à l'instar des détentions croisées : certains groupes de médias ayant une position forte sur le marché de la télévision ou de la presse écrite sont également présents sur le marché de la radio de grande envergure à l'échelle nationale, ou encore des concentrations au niveau local, les éditeurs de presse écrite pouvant être intéressés par les radios locales. D'après le moniteur du pluralisme des médias 2021, cinq entreprises concourent à 69,1 % à la formation de l'opinion via le « pouvoir d'opinion » (ARD (51,8 %), Regiocast (5,9 %), Bertelsmann (4,8 %), Müller Medien (3,5 %) et Nordwest-Medien (3 %)) ;

- le secteur de la télévision est relativement fragmenté. Mi-2018, 223 chaînes disposaient d'une autorisation de diffusion nationale, dont 21 chaînes publiques, 10 chaînes privées généralistes, 71 chaînes privées spécialisées en clair et 88 chaînes payantes spécialisées, auxquelles s'ajoutent les chaînes étrangères ou celles spécialisées en téléachat. À cela s'ajoutaient quelques 200 chaînes régionales ou locales. En 2021, la chaîne publique ZDF était celle obtenant la plus grande part d'audience avec 14,8 %, devant la deuxième chaîne publique ARD (12,4 %), tandis que les deux chaînes privées RTL et SAT.1 obtenaient une moyenne annuelle de respectivement 7,5 % et 5,1 % de parts d'audience 245 ( * ) .

b) Règles de détention des médias

Les règles adoptées en Allemagne visent à répondre à un seul objectif : empêcher les entreprises médiatiques d'exercer un impact prédominant sur l'opinion publique. Il n'existe pas de restrictions sur les participations ou propriétés étrangères 246 ( * ) .

(1) L'accord entre les Länder sur les médias

Les règles relatives à la propriété des médias audiovisuels en Allemagne sont prévues dans l'accord entre les Länder sur les médias ( Medienstaatsvertrag , ci-après MStV) 247 ( * ) , qui a remplacé en 2020 l'accord entre les Länder sur la radio et la télévision ( Rundfunkstaatsvertrag , ci-après RStV).

Les règles inscrites dans l'accord ont pour finalité de garantir la diversité des opinions dans les médias audiovisuels.

Le § 60(6) du MStV prévoit que les autorités régulatrices des Länder publient conjointement, tous les trois ans ou sur demande des Länder , un rapport sur le développement de la concentration dans les médias et sur les mesures visant à assurer la diversité d'opinion dans l'audiovisuel privé.

Ce rapport doit également s'intéresser à l'application des règles du MStV (voir infra ) et proposer toute modification nécessaire de celles-ci.

(2) Les règles fédérales en matière de détention des médias

L'article 60 du MStV présente une série de règles à respecter dans le but de garantir la diversité des opinions à la télévision.

(a) Aucune entreprise ne peut contrôler plus de 30 % des audiences télévisuelles

En vertu de ce principe, présenté au § 60(2) du MStV, une entreprise ne peut détenir des positions qui feraient qu'elle contrôlerait, en moyenne annuelle, 30 % des parts d'audience grâce à ses chaînes. Ce pourcentage est abaissé à 25 % s'agissant des entreprises ayant une position dominante sur un marché lié aux médias ou si l'évaluation globale de ses activités à la télévision ou sur les marchés médiatiques montre que l'influence sur l'opinion ainsi obtenue est équivalente à celle d'une entreprise détenant 30 % de parts d'audience à la télévision. Si une entreprise atteint un « pouvoir d'opinion » prépondérant grâce à ses chaînes de télévision, elle n'est plus autorisée à prendre de participation dans d'autres chaînes, à moins que cela ne soit considéré comme sans danger pour la diversité des opinions.

Lorsqu'une entreprise détient une part d'audience prépondérante, l'autorité de régulation du Land , via la KEK, lui propose :

- soit de renoncer à certaines participations jusqu'à ce que ses détentions tombent sous le seuil des 30 % de part d'audience ;

- soit de modifier sa position sur les marchés médiatiques afin de ne plus avoir un « pouvoir d'opinion » prépondérant ;

- soit de mettre en place des mesures visant à assurer la diversité.

En premier lieu, les discussions entre la KEK et l'entreprise se déroulent à l'amiable. Dans l'hypothèse où aucun accord ne serait trouvé entre les parties ou si les mesures convenues ne peuvent être mises en place dans un délai raisonnable, la KEK peut révoquer des autorisations jusqu'à ce qu'il n'y ait plus de position dominante, sans compensation financière.

(b) La règle des « tiers indépendants »

Lorsqu'une entreprise de médias détenant une chaîne généraliste ou spécialisée, notamment une chaîne d'information, détient en moyenne annuelle avec cette chaîne une part d'audience de 10 %, elle doit, dans un délai de six mois suivant le constat et la notification par l'autorité régulatrice, accorder un temps d'antenne à des tiers indépendants.

Lorsqu'une entreprise obtient une part d'audience annuelle de 20 %, sans que l'une de ses chaînes généralistes ou spécialisées en information n'atteigne les 10 %, la règle du tiers indépendant s'applique tout de même à la chaîne ayant, alors, le taux d'audience le plus élevé.

Si l'entreprise ne prend pas les mesures nécessaires, la KEK peut révoquer ses autorisations de diffusion.

(c) La nécessité d'informer l'autorité régulatrice en cas de modification de la structure de propriété

Toute modification prévue dans la structure de la propriété d'un média doit faire l'objet, au préalable, d'une information écrite à l'autorité régulatrice. Sont soumis à cette obligation de notification les opérateurs et les personnes directement ou indirectement impliquées. C'est l'autorité régulatrice qui estime si la modification de structure comporte un risque ou non.

(d) Les mesures de garantie de la diversité

Le cas échéant, lorsqu'il y a des raisons de craindre pour la pluralité des opinions, sont considérées comme des mesures visant à garantir la diversité de la part des opérateurs :

- l'octroi de temps d'antenne à des tiers indépendants. Si le taux d'audience de la chaîne est supérieur au seuil de 10 % (voir supra ), elle doit octroyer un temps d'antenne à des tiers indépendants. Ce temps d'antenne doit être d'au moins 260 minutes par semaine, dont au moins 75 minutes diffusés à une heure de grande écoute (entre 19 heures et 23 h 30) ;

- la mise en place d'un conseil consultatif en matière de programmes, qui vise à assurer la diversité et la pluralité des opinions en émettant des propositions et des suggestions. Les membres du conseil consultatif sont nommés par l'opérateur et doivent appartenir à des groupes sociaux différents afin d'offrir la garantie que les diverses opinions seront représentées.

(e) Les règles relatives à la presse et à la concurrence

La recherche n'a pas permis de mettre en évidence l'existence de règles relatives à la concentration des médias autres que celles présentées supra, hormis des règles de droit commun relevant du droit de la concurrence.

L'Autorité de la concurrence (Bundeskartellamt) est compétente en matière de contrôle des concentrations, y compris dans le secteur des médias. Aux termes du § 36 de la loi contre les restrictions à la concurrence (Gesetz gegen Wettbewerbsbeschränkungen, ci-après GWB ) 248 ( * ) , « Une concentration qui entraverait de manière significative une concurrence effective, en particulier qui tendrait à créer ou renforcer une position dominante, est interdite par l'autorité de la concurrence. Ceci ne s'applique pas si (...) la position dominante d'un éditeur de journaux ou de magazines qui rachète un autre éditeur de journaux ou de magazines d'importance petite ou moyenne est renforcée, s'il peut être prouvé que l'éditeur repris a subi une perte annuelle significative (...) depuis trois ans et que son existence serait compromise sans la fusion. En outre, il doit être démontré qu'aucun autre acquéreur n'a été trouvé avant la fusion qui aurait assuré une solution plus compétitive » .

Aux termes du § 35 du GWB 249 ( * ) , le contrôle des concentrations n'intervient que dans le cadre de fusions concernant des entreprises d'un certain poids. Les entreprises concernées doivent en effet (i) atteindre un chiffre d'affaires international cumulé supérieur à 500 millions d'euros et (ii) à l'échelle nationale, le chiffre d'affaires d'au moins l'une des entreprises doit être supérieur à 50 millions d'euros et ni la société à acquérir, ni une autre société participante n'a réalisé un chiffre d'affaires supérieur à 17,5 millions d'euros. Toutefois, le § 38 du même texte définit des chiffres d'affaires plus élevés dans le cadre du contrôle des concentrations pour les entreprises médiatiques :

- pour l'édition, la production et la distribution de presse, le chiffre d'affaires multiplié par quatre est pris en compte ;

- pour la production, la distribution et la réalisation de programmes audiovisuels, ainsi que pour la vente de plages publicitaires audiovisuelles, le chiffre d'affaires multiplié par huit est pris en compte.

(3) Les dispositions à l'échelle des Länder

Les Länder ont adopté des lois relatives à la presse ou aux médias, lesquelles rappellent le principe de liberté de la presse et, dans certains Länder , reprennent plus largement les dispositions en vigueur pour les médias en vertu du MStV.

À titre d'exemple, la loi sur les médias du Land de Bade-Wurtemberg 250 ( * ) reprend, dans son chapitre 4, l'exigence de diversité des opinions ainsi que des mesures visant à la garantir. À cet égard, le texte rappelle qu'une entreprise (personne physique, morale, ou association de personnes) est libre d'organiser le nombre de programmes audiovisuels qu'elle souhaite dans le Bade-Wurtemberg, directement ou indirectement, à condition toutefois que cela ne lui procure pas un pouvoir d'opinion dominant. Dans le Bade-Wurtemberg, cela s'apprécie au regard du nombre d'autres programmes équivalents : si la population, dans la zone géographique concernée, ne peut avoir accès à au moins autant de programmes comparables émanant d'autres opérateurs pour la formation de l'opinion, alors on considère qu'une entreprise de médias a un pouvoir d'opinion dominant. Cela s'applique aussi (i) s'il existe un nombre suffisant de programmes autres, mais que l'entreprise détient une position dominante sur un marché médiatique au sein de la même zone ou (ii) si l'évaluation globale de ses activités audiovisuelles et sur les marchés médiatiques au sein de la zone concernée montrent que l'influence obtenue est prépondérante.

(4) Exemple de décision de la KEK en matière de modification de structure de la propriété d'un média

L'exemple emblématique de décision en matière de concentration des médias est le cas concernant les groupes Axel Springer AG et Pro7 Sat.1 Media AG.

En 2006, le groupe Springer a voulu acquérir l'entreprise audiovisuelle Pro7 Sat1 Media AG, mais a essuyé un refus de la part de la KEK, au motif que la fusion donnerait au groupe Springer, détenteur du journal Bild , une influence déterminante et un pouvoir d'opinion dominant. Si les seuils de 30 % et de 25 % (décrits supra ) de part d'audience n'étaient pas atteints par le groupe Pro7 Sat.1 Media AG (lors de la période de référence prise en compte, la part d'audience avait été évaluée à 22,06 %), la KEK avait pris en compte, dans son évaluation, les autres marchés liés aux médias.

Pour être retenus comme éléments pertinents, il faut que les autres marchés liés aux médias soient significatifs en matière de formation de l'opinion publique ou susceptibles de renforcer l'influence acquise par la télévision. Dans ce dossier, la KEK a donc examiné si la combinaison d'une activité télévisuelle et d'une autre activité médiatique (ici, la presse écrite) était susceptible de donner à l'entreprise une influence dominante. Elle a converti la part du journal Bild en équivalent de part d'audience 251 ( * ) , a procédé ainsi avec les autres titres de presse du groupe 252 ( * ) puis elle a calculé la part d'audience globale que représenterait le groupe en cas de fusion, en ajoutant les parts calculées pour le groupe Springer à la part définie pour le groupe Pro7 Sat.1, obtenant un total de 42 %, supérieur aux seuils définis dans l'accord entre les Länder .

Outre la KEK, l'Autorité allemande de la concurrence a également émis un veto à cette fusion, au motif qu'elle aurait également entraîné une position dominante en matière de publicité.

Contestant la décision de la KEK, le groupe Springer a saisi les tribunaux et, en dernier ressort, le tribunal administratif fédéral (Bundesverwaltungsgericht) a jugé que les seuils prévus dans le RStV n'étaient que des exemples généraux permettant de retenir l'hypothèse d'une position dominante sur l'opinion, mais qu'ils n'avaient pas vocation à être considérés comme exhaustifs. En outre, le tribunal a estimé que dans le cadre de l'évaluation, une décote de 5 points sur le taux d'audience du groupe Pro.7 Sat.1 aurait dû être appliquée au préalable. En l'espèce, la décote aurait considérablement éloigné le résultat du seuil de 25 %, ainsi la prise en compte des autres marchés liés aux médias n'aurait pas dû être retenue, quelle que soit son importance sur la formation de l'opinion. Le tribunal a donc estimé que le rachat avait été refusé à tort du point de vue du droit des médias 253 ( * ) .

À l'inverse, la Cour fédérale de Karlsruhe (Bundesgerichtshof) , pour sa part, a jugé en 2010 que le refus de l'autorité de la concurrence était quant à lui légal et a confirmé le jugement précédent de la cour supérieure régionale, selon lequel une telle fusion renforcerait la position dominante de l'oligopole sur le marché de la publicité télévisée 254 ( * ) .

Des exemples plus récents de modification de structures de participations sont disponibles sur le site de la KEK 255 ( * ) , ainsi qu'une base de données récapitulant les médias, les propriétaires et leur structure de propriété 256 ( * ) .

c) La protection de l'indépendance des journalistes et des rédactions

Les principes d'éthique journalistique en Allemagne relèvent du code de la presse (Pressekodex) 257 ( * ) , sous la surveillance du Conseil allemand de la presse (Deutsche Presserat) . Il s'agit d'un outil de régulation interne au métier de journaliste, selon lequel, en préambule, « les éditeurs, diffuseurs et journalistes doivent être conscients de leur responsabilité envers le public et de leur obligation envers la réputation de la presse dans leur travail. Ils accomplissent leur tâche journalistique de manière équitable, au meilleur de leurs connaissances et de leurs convictions, sans être influencés par des intérêts personnels et des motifs non pertinents » .

Le paragraphe 7 de ce code indique également que « La responsabilité de la presse envers le public exige que les publications éditoriales ne soient pas influencées par les intérêts privés ou commerciaux de tiers ou par les intérêts économiques personnels des journalistes. Les éditeurs et les rédacteurs repoussent de telles tentatives et veillent à une séparation claire entre le texte éditorial et les publications à des fins publicitaires. Dans le cas de publications qui concernent un intérêt personnel de l'éditeur, ce doit être identifiable » .

4. L'ITALIE

L'histoire du paysage médiatique italien est marquée par les liens étroits entre le pouvoir politique et les médias et le rôle prédominant de la télévision, en termes d'audience et de recettes. La Cour constitutionnelle italienne, à travers sa jurisprudence 258 ( * ) , a joué un rôle déterminant dans la fin du monopole public du groupe Radiotelevisione italiana (Rai) 259 ( * ) en 1976, dans l'ouverture des médias à la concurrence dans les années 1980 260 ( * ) et, dans les années 1990, dans la définition de règles antitrust en matière d'attribution des fréquences et des recettes publicitaires 261 ( * ) .

Depuis 1997, l'autorité indépendante italienne de régulation des médias ( Autorità per le Garanzie nelle Comunicazioni - AGCOM) joue un rôle central dans la protection du pluralisme et de la concurrence dans le secteur des médias. Elle est notamment en charge d'évaluer les effets du dépassement de certains seuils de détention des médias sur le pluralisme, réformés en 2021 à la suite d'une décision de la Cour de justice de l'Union européenne (CJUE).

a) État des lieux de la concentration des médias en Italie

En Italie, le niveau de concentration dans le secteur des médias est élevé, en particulier dans le secteur de la télévision en clair, qui reste dominé par le duopole public privé formé par la Rai et le groupe Fininvest/Mediaset.

Dans son rapport annuel pour 2021, l'AGCOM observe une assez grande stabilité du niveau de concentration et des parts de marché des principaux opérateurs durant ces dernières années. Le degré de concentration demeure le plus élevé dans le secteur télévisuel (l'indice de concentration CR4 262 ( * ) est passé de 89 % en 2015 à 88 % en 2020 pour la télévision en clair et de de 98 % à 95 % pour la télévision payante) 263 ( * ) . La plus forte concentration observée dans les secteurs de la radio et de la presse quotidienne (l'indice de concentration a augmenté de 45 % à 57 % dans la radio entre 2015 et 2020 et de 55 % à 62 % dans la presse quotidienne) reflète quant à elle les opérations menées ces dernières années pour faire face à la moindre rentabilité de ces médias et à des « situations de crise structurelle » 264 ( * ) .

Le marché de la télévision est dominé par l'opérateur public historique, la Rai, ainsi que par deux groupes privés : Comcast/Sky Italia et Fininvest/Mediaset. Fin 2020, Comcast/Sky Italia, fondé par Rupert Murdoch, représentait 34 % des recettes du secteur télévisuel dans son ensemble, principalement grâce à son offre de chaînes payantes. La Rai demeurait le premier opérateur en termes d'audience dans la télévision en clair (35 %) et le deuxième en termes de recettes (29 %) et Fininvest/Mediaset était à la troisième place en termes de recettes totales dans le secteur télévisé (19 %) et conservait la deuxième place en matière d'audience dans la télévision en clair (32 % avec notamment les chaînes Italia 1, Canale 5 et Rete 4) 265 ( * ) . Les plateformes de contenus en ligne totalisaient 7 % des recettes du secteur et les opérateurs locaux environ 6 %.

Le secteur de la radio a connu une vague de concentrations en 2018 et compte désormais quatre acteurs principaux : la Rai (25 % de part de marché), Fininvest/Mediaset (14 % de part de marché avec notamment Radio101, Radio105 et Virgin Radio), GEDI (9 % de part de marché principalement grâce à Radio Deejay) et RTL-Hit radio (9 % de part de marché) 266 ( * ) .

La presse écrite, quotidienne et hebdomadaire, enregistre un lent déclin depuis plusieurs décennies (le nombre de quotidiens papier vendus est passé de 2,1 millions en 1999 à 584 000 en 2020). Le secteur compte deux acteurs principaux : d'une part, le groupe GEDI 267 ( * ) (25 % des parts de marché de la presse quotidienne 268 ( * ) ) qui détient notamment les quotidiens La Republicca et La Stampa, l'hebdomadaire L'Espresso et dix quotidiens régionaux ou locaux et, d'autre part, la société Cairo/RCS (21 % des parts de marché de la presse quotidienne) qui contrôle notamment Il Corriere della Sera, premier quotidien du pays, et la Gazetta dello Sport (ainsi que la quatrième plus importante chaîne de télévision, La7 TV).

Dans le rapport-pays consacré à l'Italie, publié en 2021, le Centre pour le pluralisme des médias et la liberté des médias 269 ( * ) estimait que le risque en matière de pluralisme des médias en Italie était élevé (83 % contre 80 % en moyenne dans l'Union européenne). Il conclut que « le degré élevé de concentration de la détention des médias doit être apprécié comme la conséquence d'une tendance historique et, dans la période récente, comme une stratégie défensive face à la détérioration des conditions économiques ». Il souligne également trois caractéristiques structurelles du paysage médiatique italien : « i) la forte concentration du marché est étroitement liée au risque d'influence politique, car les deux importants acteurs du marché, la RAI 270 ( * ) dans le secteur public, et Fininvest/Mediaset (détenue par un acteur politique de premier plan, Silvio Berlusconi) ne sont pas complètement indépendants du pouvoir politique ; ii) les propriétaires de médias ont très souvent des intérêts industriels et financiers dans d'autres secteurs et iii) certaines entreprises ont des parts de marché significatives dans différents secteurs médiatiques » ainsi que dans la publicité et les communications électroniques.

b) Les règles en matière de détention des médias

L'article 21 de la Constitution italienne garantit le droit à l'information qui, selon la jurisprudence constitutionnelle, implique le pluralisme des sources et impose au législateur d'empêcher la formation de positions dominantes et de favoriser l'accès au système audiovisuel à un maximum de voix diverses possible 271 ( * ) . Afin de concrétiser ce principe constitutionnel, le législateur italien a mis en place à partir de 1997, par la loi dite « Maccanico » 272 ( * ) , un régime d'interdiction de position dominante et de limites spécifiques aux opérateurs du secteur des communications, constituant ainsi une « tutelle renforcée » par rapport au droit classique de la concurrence. Ce système fut complété en 2004, par la très controversée loi dite « Gasparri » 273 ( * ) , définissant une nouvelle base de calcul au système intégré des communications (SIC).

Considéré comme peu effectif et jugé pour partie contraire au droit de l'Union européenne dans un arrêt rendu par la Cour de justice de l'Union européenne (CJUE) le 3 septembre 2020, ce régime de protection du pluralisme des médias reposant sur des limites rigides, appliquées de façon automatique, a été entièrement refondu par le décret législatif n° 208 du 8 novembre 2021 (DL n°208/2021) et remplacé par un système d'évaluation au cas par cas des atteintes potentielles au pluralisme des médias, dans lequel les seuils définis ont une valeur indicative.

(1) Les limites anti-concentration dans le secteur de la presse

L'article 3 de la loi sur l'édition du 25 février 1987 274 ( * ) fixe trois limites anti-concentrations dans le secteur de la presse quotidienne. Est considérée comme dominante sur le marché, la société qui parvient à éditer ou contrôler :

- plus de 20 % du tirage total des journaux en Italie au cours de l'année précédente ;

- plus de 50 % du nombre de journaux quotidiens vendus au sein d'un espace interrégional (c'est-à-dire regroupant plusieurs régions proches).

Ce même article interdit aussi à une société de prendre des participations dans une maison d'édition de quotidiens dont le tirage dépassait 30 % de l'ensemble des tirages au niveau national au cours de l'année précédente.

Ces limites n'ont pas été modifiées dans le cadre de la refonte du régime de détention des médias audiovisuels.

(2) Les limites anti-concentration en vigueur dans le secteur audiovisuel jusqu'en 2021

Abrogé le 25 décembre 2021, le décret législatif n° 177, du 31 juillet 2005 portant texte consolidé pour les services de médias audiovisuels ( Testo unico dei servizi di media audiovisivi - TUSMAR, DL n° 177/2005) 275 ( * ) fixait jusqu'alors le cadre normatif relatif aux règles de détention des médias en Italie. Son article 43 définissait trois types de limites visant à prévenir la concentration dans le secteur des médias, dont le respect était contrôlé par l'AGCOM, l'autorité de régulation des médias en Italie.

(a) La limite technique

Un premier type de limite, dénommé « limite technique », s'appliquait à chaque secteur médiatique individuellement (à l'exclusion de la presse quotidienne, régie par d'autres textes). Ainsi, « après la mise en oeuvre complète du plan national d'attribution des fréquences radio et de télévision numériques, le même fournisseur de contenu, y compris via des sociétés qualifiées de filiales ou d'associées (...) ne peut être titulaire d'autorisations permettant de diffuser plus de 20 % du total des programmes télévisés ou plus de 20 % de stations radio au niveau national » (article 43, paragraphe 7, DL n° 177/2005). Cette limite technique visait à éviter toute position dominante sur un marché individuel.

Il revenait à l'AGCOM de contrôler le respect de la limite technique chaque fois qu'elle était informée d'une concentration dans les secteurs concernés. Entre 2005 et 2021, aucune infraction à la limite technique n'a été constatée, mais cette règle n'a été mise en oeuvre que dans le secteur radiophonique 276 ( * ) .

La limite technique n'a jamais été appliquée au secteur télévisuel, faute de définition du marché pertinent. La définition du marché pertinent a été repoussée à plusieurs reprises, dans l'attente de la réallocation de la bande de fréquences de 700 Mhz, puis à la suite de la décision de la CJUE du 3 septembre 2020, dans l'affaire opposant Vivendi et Mediaset (voir infra ).

(b) Les limites économiques

Les limites dites « économiques » s'appliquaient à l'échelle du système intégré de communication (SIC). Selon la définition du décret législatif de 2005, le SIC incluait « la presse quotidienne et périodique, l'édition papier et électronique y compris via Internet, les services de radio et de médias audiovisuels, le cinéma, la publicité en extérieur et en ligne, les opérations de communication pour des produits et services et le sponsoring » (article 2, paragraphe 1, s) n° DL 177/2005). En application de la limite économique principale, aucun opérateur ne pouvait, ni directement, ni par l'intermédiaire d'entités contrôlées ou liées, réaliser des recettes 277 ( * ) supérieures à 20 % des recettes totales du SIC (article 43, paragraphe 9, DL n° 177/2005).

Ce plafond de 20 % était abaissé à 10 % pour les sociétés dont les recettes dans le secteur des communications électroniques représentent plus de 40 % des recettes totales de ce secteur (article 43, paragraphe 11, DL n° 177/2005).

L'AGCOM procédait chaque année à l'estimation de la valeur globale du SIC (18,1 milliards d'euros en 2019, soit 1,01 % du PIB italien, en baisse de 1,4 % par rapport à 2018 278 ( * ) ) et devait veiller au respect des limites économiques. En 2020, l'AGCOM avait ainsi observé un nombre important d'acquisitions et de demandes d'autorisations par certains fournisseurs de médias audiovisuels nationaux, les conduisant à se rapprocher des limites économiques, sans toutefois relever d'infraction 279 ( * ) .

En 2017, à la suite d'une plainte déposée par Mediaset 280 ( * ) , l'AGCOM a constaté que Vivendi, en acquérant 28 % du capital de Mediaset, avait dépassé la limite économique prévue à l'article 43, paragraphe 11, fixée à 40 % des revenus du secteur des communications électroniques et plus de 10 % des recettes du SIC 281 ( * ) . Elle avait alors donné douze mois à Vivendi pour remédier à sa situation de position dominante. Vivendi a néanmoins fait appel de cette décision et la CJUE a conclu que la limite économique prévue à l'article 43, paragraphe 11, était contraire au droit de l'Union européenne.

L'arrêt de la CJUE du 3 septembre 2020, Vivendi SA v. AGCOM
(affaire C-719/18)

À la suite de la demande d'annulation de la décision de l'AGCOM par Vivendi, « le Tribunale amministrativo regionale per il Lazio demande à la Cour de justice, en substance, si la liberté d'établissement consacrée à l'article 49 du traité sur le fonctionnement de l'Union européenne (TFUE) s'oppose à la réglementation d'un État membre ayant pour effet d'empêcher une société d'un autre État membre, dont les recettes réalisées dans le secteur des communications électroniques au niveau national, y compris par l'intermédiaire de sociétés contrôlées ou liées, sont supérieures à 40 % des recettes globales réalisées dans ce secteur, de percevoir dans le SIC des recettes supérieures à 10 % de celles réalisées dans ce système. Par son arrêt de ce jour, la Cour répond par l'affirmative à cette question.

« La Cour rappelle, tout d'abord, que l'article 49 TFUE s'oppose à toute mesure nationale susceptible de gêner ou de rendre moins attrayant l'exercice, par les ressortissants de l'Union, de la liberté d'établissement garantie par le TFUE. Tel est le cas de la réglementation italienne interdisant à Vivendi de conserver les participations qu'elle avait acquises dans Mediaset ou détenait dans Telecom Italia et l'obligeant ainsi à mettre fin à ces participations dans l'une ou l'autre de ces entreprises dans la mesure où elles excédaient les seuils prévus.

« La Cour observe, ensuite, que, même si une restriction à la liberté d'établissement peut, en principe, être justifiée par un objectif d'intérêt général, tel que la protection du pluralisme de l'information et des médias, ce n'est pas le cas de la disposition en cause, celle-ci n'étant pas de nature à atteindre cet objectif.

« La Cour rappelle, à ce propos, que le droit de l'Union, en ce qui concerne les services de communications électroniques, établit une distinction claire entre la production de contenus et leur acheminement ou leur transmission. Ainsi, les entreprises actives dans le secteur des communications électroniques, exerçant un contrôle sur l'acheminement et la transmission des contenus, n'exercent pas nécessairement un contrôle sur la production de ces contenus. Or, la disposition en cause ne fait pas référence aux liens entre la production et l'acheminement des contenus et n'est pas non plus libellée de manière à s'appliquer spécifiquement en relation avec ces liens.

« La Cour relève, par ailleurs, que la disposition en cause définit de manière trop restrictive le périmètre du secteur des communications électroniques, en excluant notamment des marchés revêtant une importance croissante pour la transmission d'informations, comme les services de détail de téléphonie mobile ou d'autres services de communication électronique liés à l'Internet et les services de radiodiffusion par satellite. Or, ceux-ci étant devenus la principale voie d'accès aux médias, il n'est pas justifié de les exclure de cette définition.

« La Cour constate, en outre, qu'assimiler la situation d'une «société contrôlée» à celle d'une «société liée», dans le cadre du calcul des recettes réalisées par une entreprise dans le secteur des communications électroniques ou dans le SIC, n'apparaît pas conciliable avec l'objectif poursuivi par la disposition en cause.

« La Cour conclut que la disposition italienne fixe des seuils qui sont sans relation avec le risque existant pour le pluralisme des médias , ces seuils ne permettant pas de déterminer si et dans quelle mesure une entreprise peut effectivement influencer le contenu des médias. »

Source : CJUE, Communiqué de presse n° 99/20 du 3 septembre 2020 282 ( * )

Au-delà des questions soulevées par l'affaire précitée, certains auteurs spécialistes du droit des médias italien ont souligné l'inefficacité de ces limites économiques pour prévenir les situations de concentration dans les médias, en raison de la très large définition retenue pour le SIC, du niveau élevé des limites et de l'absence de pondération entre secteurs au sein du SIC 283 ( * ) .

(c) La limite diagonale (propriété croisée)

En complément des autres limites, le droit des médias italien prévoyait une limite dite « diagonale » afin de prévenir la détention croisée de médias audiovisuels et de presse écrite quotidienne. Selon l'article 43, paragraphe 12, du décret législatif de 2005, les sociétés exerçant une activité dans le secteur télévisuel au niveau national réalisant plus de 8 % des recettes du SIC et les sociétés du secteur des communications électroniques réalisant plus de 40 % des recettes de ce secteur (visées au paragraphe 11) ne pouvaient prendre des participations dans des journaux quotidiens ou constituer de nouvelles sociétés d'édition de quotidiens (à l'exception des quotidiens diffusés uniquement par voie électronique). Cette interdiction de détention croisée s'appliquait également aux sociétés mères ou liées.

Enfin, dans ce régime, toute opération de concentration, transfert de propriété ou accord, dans le secteur des médias devait être notifiée parallèlement à l'AGCOM et à l'autorité de la concurrence italienne ( Autorità garante della concorrenza e del mercato - AGCM ). Ceci a pu conduire, par le passé, à des décisions contradictoires, comme par exemple dans l'affaire SEAT/Cecchi Gori en 2001 où l'AGCOM s'était opposée à la concentration, tandis que l'AGCM l'avait autorisée, sous réserve de certains engagements 284 ( * ) .

(3) Le nouveau régime anti-concentration entré en vigueur fin décembre 2021

Le décret législatif n° 208/2021 285 ( * ) , entré en vigueur le 25 décembre 2021 après un avis favorable du Parlement italien, abroge intégralement le « texte unique » de 2005 sur les médias audiovisuels. Il vise principalement à transposer la directive 2018/1808 du Parlement européen et du Conseil du 14 novembre 2018 sur les services de médias audiovisuels. Son titre VI, intitulé « normes de protection du pluralisme », a également vocation à tirer les conséquences de l'arrêt du 3 septembre 2020 de la CJUE et à mettre en conformité la réglementation italienne avec le droit de l'UE.

L'article 51 du décret législatif n° 208/2021 (qui se substitue à l'article 43 du DL n° 177/2005) réitère l'interdiction d'établir « des positions de pouvoir de marché significatif, préjudiciables au pluralisme », dans le système intégré des communications (SIC) et dans les marchés qui le composent. La définition et le périmètre du SIC demeurent identiques (article 3, z) DL n° 208/2021), tandis que l'AGCOM demeure tenue d'évaluer chaque année la valeur économique du SIC et des marchés qui le composent.

(a) Le maintien de la référence à des seuils en tant qu'indices de position dominante préjudiciable au pluralisme

L'article 51, paragraphe 3, du décret n° 208/2021 maintient la référence à des seuils déclaratifs de nature économique, technique ou diagonale, dont le contenu est très proche des limites préexistantes, pour apprécier une atteinte potentielle au pluralisme des médias ainsi que la compétence de l'AGCOM en la matière. La principale nouveauté est que ces limites ne sont plus appliquées de façon automatique et rigide, mais sont considérées comme des « indices symptomatiques d'une position de pouvoir de marché important potentiellement préjudiciable au pluralisme ».

Ainsi, en vertu de ce nouveau régime, les opérateurs du SIC ayant un chiffre d'affaires supérieur aux valeurs visées à l'article 16 de la loi n° 287, du 10 octobre 1990 (soit un chiffre d'affaires total des entreprises concernées supérieur à 492 millions d'euros) doivent notifier à l'AGCOM les accords et opérations de fusion. Les opérateurs doivent également notifier formellement l'AGCOM si, même par l'intermédiaire de filiales ou de sociétés contrôlées ou liées, ils se trouvent ou pourraient se trouver à la suite d'une opération de concentration, dans l'une des quatre situations suivantes :

- leurs recettes sont supérieures à 20 % des recettes globales du SIC ou dépassent 50 % des recettes globales dans un ou plusieurs marchés composant le SIC ;

- leurs recettes sont supérieures à 20 % des recettes totales sur les marchés de fourniture au détail de services de communication électronique et, dans le même temps, représentent plus de 10 % des recettes globales du SIC et plus de 25 % des recettes dans un ou plusieurs des marchés qui le composent ;

- leurs recettes sont supérieures à 8 % des recettes globales du SIC et les opérateurs détiennent ou souhaitent acquérir des participations dans des sociétés d'édition de quotidiens, à l'exception des quotidiens distribués exclusivement en ligne (seuil identique à l'ancienne limite diagonale) ;

- les opérateurs sont titulaires d'autorisations leur permettant de diffuser plus de 20 % du nombre total de programmes télévisés ou plus de 20 % des programmes radio diffusés sur les fréquences terrestres au niveau national (seuil identique à l'ancienne limite technique).

(b) La prise en compte d'autres facteurs pour juger de l'atteinte au pluralisme

Afin de déterminer si une entreprise ou un groupe d'entreprises détient un pouvoir de marché significatif préjudiciable au pluralisme, l'AGCOM doit tenir compte, en plus du niveau de recettes, des éléments suivants : « le niveau de concurrence statique et dynamique au sein du système, les barrières à l'entrée dans celui-ci, la convergence entre secteurs et marchés, les synergies dérivant des activités exercées sur des marchés différents, mais contigus, l'intégration verticale et conglomérale des entreprises, la disponibilité et le contrôle des données, le contrôle direct ou indirect des ressources nécessaires rares, telles que les fréquences de transmission, l'efficacité économique de l'entreprise, également en termes d'économies d'échelle, de portée et de réseau, ainsi que les indices quantitatifs de diffusion de programmes de radio et de télévision, y compris en référence aux programmes d'information, aux oeuvres cinématographiques, aux produits et services éditoriaux et en ligne » (article 51, paragraphe 5, DL n° 208/2021).

Le décret législatif prévoit l'adoption par l'AGCOM de lignes directrices précisant la méthodologie utilisée pour évaluer l'existence d'un pouvoir de marché portant atteinte au pluralisme 286 ( * ) .

(c) Les pouvoirs de l'AGCOM

Afin d'inciter les entreprises à respecter les obligations de communication préalable prévues à l'article 51, paragraphe 3 lorsqu'elles seraient amenées à dépasser certains seuils, le nouveau décret législatif autorise l'AGCOM à prononcer des sanctions administratives pécuniaires pouvant représenter jusqu'à 1 % du chiffre d'affaires de l'année précédente à l'encontre des entreprises n'ayant pas respecté ces obligations.

L'AGCOM vérifie le respect de l'interdiction de pouvoir de marché important portant atteinte au pluralisme des médias sur la base des notifications transmises par les entreprises, des éventuelles plaintes reçues ou sur auto-saisine (article 51, paragraphe 5, DL n° 208/2021). Lors de ses enquêtes, l'AGCOM doit respecter le principe du contradictoire et la confidentialité des données des personnes et des entreprises (article 51, paragraphe 7, DL n° 208/2021).

Si, à la suite d'une enquête, l'AGCOM confirme l'existence d'une position de pouvoir de marché significatif, préjudiciable au pluralisme, elle intervient pour que celle-ci soit rapidement supprimée. Si elle constate que certaines opérations futures sont susceptibles d'aboutir à une situation interdite, elle en empêche la poursuite. Si elle le juge nécessaire, l'AGCOM peut décider de prendre des mesures affectant la structure de l'entreprise, imposant la cession d'entreprises ou de branches, dans un délai approprié ne pouvant excéder douze mois. Les opérateurs soumis à une enquête de l'AGCOM peuvent présenter à l'AGCOM des engagements qui, s'ils sont jugés suffisants par l'Autorité, sont rendus contraignants par celle-ci (article 51, paragraphe 6, DL n° 208/2021).

Dans le cadre de la procédure d'examen du projet de décret législatif par le Parlement, l'Autorité de la concurrence avait rendu un avis dans lequel elle proposait d'introduire une procédure d'avis, obligatoire ou facultatif, de l'Autorité de la concurrence dans les enquêtes menées par l'AGCOM. Cette proposition, à laquelle l'AGCOM était opposée, n'a pas été retenue dans le texte final 287 ( * ) .

c) La protection de l'indépendance des journalistes et des rédactions

Les recherches conduites n'ont pas permis de mettre en évidence l'existence de dispositions législatives spécifiques visant à protéger l'indépendance éditoriale des journalistes ou des rédactions face aux propriétaires des médias dans lesquels ils travaillent.

Dans l'ensemble, la situation économique et l'indépendance des journalistes en Italie apparaît dégradée. Selon le rapport annuel 2021 de la plateforme du Conseil de l'Europe pour renforcer la protection du journalisme et la sécurité des journalistes, l'Italie est, après la Russie, le pays où le plus grand nombre d'atteintes à l'intégrité physique des journalistes a été signalé 288 ( * ) .

La deuxième édition de l'observatoire sur le journalisme, publiée par l'AGCOM en 2017, soulignait quant à elle le faible niveau de protection juridique des journalistes face aux plaintes de tiers, ce qui conduirait à une forme d'autocensure (« chilling-effect » ) de certains journalistes, nuisible au pluralisme 289 ( * ) . Ce phénomène serait d'autant plus prononcé en Italie en raison des facteurs suivants :

- la fréquence des « liti temerarie » (littéralement contentieux imprudents), qui désignent en droit italien des actions en justice menées avec mauvaise foi, négligence grave ou absence de prudence, c'est-à-dire avec la conscience d'engager une procédure généralement infondée en fait ou en droit. Ces procédures sont souvent menées à des fins dilatoires ou d'obstruction à l'exercice du droit de reportage des journalistes et assorties de demandes d'indemnisations pour préjudice moral disproportionnées 290 ( * ) ;

- le degré élevé de précarité d'une grande partie des journalistes, qui ne leur permet pas de supporter les frais de procédure liées aux formes d'intimidation par voie d'action en justice. L'AGCOM relève aussi qu'il y a « souvent, un manque de soutien de la direction éditoriale, en particulier dans les petits médias locaux, qui ont l'obligation comptable d'inscrire à leur bilan le passif lié aux frais de justice » 291 ( * ) ;

- la longue durée des procès en Italie et la crainte du journaliste accusé de se voir infliger une peine de prison. En effet, ces actions en justice ont un caractère d'autant plus intimidant que l'article 13 de la loi n° 47 de 1948 sur la presse 292 ( * ) prévoit obligatoirement une peine d'emprisonnement d'un à six ans assortie du paiement d'une amende en cas de condamnation pour diffamation par voie de presse. En juin 2021, la Cour constitutionnelle a déclaré cet article inconstitutionnel et précisé que l'article 595, troisième alinéa, du code pénal, prévoyant un emprisonnement de six mois à trois ans ou, à défaut, le paiement d'une amende était compatible avec la Constitution, mais que seuls « les cas d'une gravité exceptionnelle » devaient être sanctionnés par une peine d'emprisonnement 293 ( * ) . La Cour constitutionnelle a également appelé le législateur à intervenir afin d' « assurer un équilibre plus adéquat entre la liberté d'expression et la protection de la réputation individuelle ».


* 193 https://www.fcc.gov/general/telecommunications-act-1996

* 194 https://www.cairn.info/revue-societes-contemporaines-2019-1-page-71.htm

* 195 https://medialandscapes.org/country/united-states/media/print

* 196 https://medialandscapes.org/country/united-states/media/radio

* 197 Les recherches récentes montrent qu'en 2021 Sinclair détiendrait 294 chaînes, Nexstar 197, Tegna 68, Gray 180 et Tribune 42.

* 198 https://medialandscapes.org/country/united-states/media/television

* 199 https://docs.fcc.gov/public/attachments/DOC-347796A1.pdf

* 200 https://www.supremecourt.gov/opinions/20pdf/19-1231_i425.pdf

* 201 https://www.fcc.gov/consumers/guides/fccs-review-broadcast-ownership-rules

* 202 https://www.law.cornell.edu/uscode/text/47/310

* 203 https://www.ecfr.gov/current/title-47/chapter-I/subchapter-C/part-73/subpart-E/section-73.658

* 204 https://www.law.cornell.edu/uscode/text/47/310

* 205 https://www.broadcastlawblog.com/2017/02/articles/fcc-approves-for-the-first-time-100-foreign-ownership-of-us-broadcast-stations/

* 206 https://docs.fcc.gov/public/attachments/FCC-16-128A1.pdf

* 207 https://docs.fcc.gov/public/attachments/DA-20-1535A1.pdf

* 208 https://corporate.univision.com/press/press-releases/2020/12/29/searchlight-capital-partners-and-forgelight-complete-acquisition-of-majority-stake-in-univision/

* 209 https://www.whitehouse.gov/about-the-white-house/our-government/the-constitution/

* 210 Dans cette affaire, le journal Arkansas Times a fait un recours contre une loi de l'État interdisant aux entités publiques de contracter et d'investir dans des entreprises qui boycottent Israël. Le journal a contesté la constitutionnalité de cette loi, qui exigeait que les entreprises faisant affaire avec des entités publiques certifient qu'elles ne participaient pas et ne s'engageaient pas dans des activités de boycott contre Israël. Le Times avait refusé de se conformer à la disposition de certification dans un contrat de publicité en arguant du premier amendement. La Cour a estimé que les décisions d'achat ne sont pas une forme de discours ou de conduite expressive, car elles ne communiquent pas d'idées et ne sont donc pas soumises aux protections du premier amendement

https://globalfreedomofexpression.columbia.edu/cases/arkansas-times-lp-v-mark-waldrip/

* 211 https://www.spj.org/pdf/ldf/arkansas-times-v-waldrip.pdf

* 212 https://www.federalregister.gov/documents/2020/06/15/2020-12696/firewall-and-highest-standards-of-professional-journalism

* 213 https://www.federalregister.gov/documents/2020/12/10/2020-24736/repeal-of-regulation-entitled-firewall-and-highest-standards-of-professional-journalism

* 214 https://www.nbcnews.com/news/us-news/trump-admin-dismantles-firewall-editorial-independence-u-s-funded-media-n1244885

* 215 https://swalwell.house.gov/media-center/press-releases/swalwell-blumenthal-menendez-reintroduce-bill-protect-journalists

* 216 Pour plus de détails, voir https://assets.publishing.service.gov.uk/government/uploads/system/
uploads/attachment_data/file/595816/file14331__1_.pdf
page 9.

* 217 https://www.mediareform.org.uk/wp-content/uploads/2021/03/Who-Owns-the-UK-Media_final2.pdf

* 218 Cette entité a été créée en 2011 pour « coordonner la contribution la plus efficace des groupes de la société civile, des universitaires et des responsables de campagnes médiatiques aux débats sur la réglementation, la propriété et la démocratie dans les médias (...). [La MRC] travaille avec des groupes partenaires et des individuels la soutenant pour produire des recherches et organiser des activités de campagne dans le but de créer un système médiatique fonctionnant dans l'intérêt public ».

* 219 Page 2.

* 220 https://www.legislation.gov.uk/ukpga/1990/42/contents

* 221 https://www.legislation.gov.uk/ukpga/2003/21/contents

* 222 https://rm.coe.int/iris-special-1-2020fr-pluralisme-des-medias-et-enjeux-de-la-concurrenc/1680a08456 page 70.

* 223 https://www.legislation.gov.uk/ukpga/2003/21/schedule/14

* 224 https://www.ofcom.org.uk/__data/assets/pdf_file/0019/228124/statement-future-of-media-plurality.pdf

* 225 Channel 3 est une chaîne qui diffuse régionalement. Actuellement, il existe 15 licences Channel 3.

* 226 ITN, société de production britannique dans le domaine des médias, est le fournisseur jusqu'en 2024.

* 227 Pour un exemple de test d'intérêt public, voir https://assets.publishing.service.gov.uk/government/
uploads/system/uploads/attachment_data/file/717994/Ofcom_PIT_TMNS_31052018_redacted.pdf

* 228 https://cadmus.eui.eu/bitstream/handle/1814/67822/united_kingdom_results_mpm_2020_cmpf.pdf?sequence=1&isAllowed=y

* 229 Ce centre de recherche sur les médias, hébergé par l'Institut universitaire européen de Florence, est cofinancé par l'Union européenne.

* 230 La moyenne européenne était alors de 52 %.

* 231 https://assets.publishing.service.gov.uk/government/uploads/system/uploads/attachment_data/file/595816/file14331__1_.pdf

* 232 Op. cit.

* 233 Page 36 et suivantes.

* 234 https://publications.parliament.uk/pa/ld200708/ldselect/ldcomuni/122/122i.pdf

* 235 Voir page 32 et suivantes.

* 236 https://cadmus.eui.eu/bitstream/handle/1814/67822/united_kingdom_results_mpm_2020_cmpf.pdf?sequence=1&isAllowed=y

* 237 S'agissant de l'autonomie éditoriale, le résultat frôle le « risque élevé » puisqu'il atteint 65 %.

* 238 https://www.theguardian.com/gmg/2018/jul/24/about-guardian-media-group

* 239 Pour plus d'informations sur le modèle du Guardian, voir

https://www.lemonde.fr/economie/article/2019/09/28/comment-le-scott-trust-garantit-l-independance-du-guardian_6013429_3234.html

* 240 https://www.die-medienanstalten.de/ueber-uns

* 241 Jusqu'en 1991. Ensuite, il a été remplacé par un traité entre les Länder sur la radiodiffusion dans l'Allemagne réunifiée. Au total, 22 versions du traité entre les Länder ont été adoptées entre 1987 et 2020.

* 242 Observatoire européen de l'audiovisuel, 2016, https://rm.coe.int/propriete-des-mediasrealites-du-marche-et-reponses-reglementairse/168078996d

* 243 Il s'agit de tabloïds.

* 244 https://www.die-medienanstalten.de/themen/forschung/medienvielfaltsmonitor

* 245 Moniteur du pluralisme des médias

* 246 https://www.europarl.europa.eu/registre/docs_autres_institutions/commission_europeenne/sec/2007/0032/COM_SEC(2007)0032_EN.pdf

* 247 https://www.gesetze-bayern.de/Content/Document/MStV/true

* 248 https://www.gesetze-im-internet.de/gwb/__36.html

* 249 https://www.gesetze-im-internet.de/gwb/__35.html

* 250 https://www.landesrecht-bw.de/jportal/?quelle=jlink&query=MedienG+BW&psml=bsbawueprod.psml&max=true&aiz=true#jlr-MedienGBWpG4

* 251 Pour ce faire, elle a appliqué un coefficient de deux tiers. Bild avait une part de 26 % dans le marché de la presse quotidienne, la KEK a retenu les deux tiers de ce taux pour ainsi calculer une « part d'audience » à 17 %.

* 252 Pour les autres titres, une part globale d'audience de 3 % avait été retenue par la KEK.

* 253 https://www.bverwg.de/pm/2014/9

* 254 http://juris.bundesgerichtshof.de/cgi-bin/rechtsprechung/document.py?Gericht=bgh&Art=en&Datum=Aktuell&nr=52225&linked=pm

* 255 À titre d'exemple, les décisions du 14 septembre 2021

https://www.die-medienanstalten.de/service/pressemitteilungen/meldung/aktuelle-entscheidungen-der-kek-1

* 256 https://www.kek-online.de/medienkonzentration/mediendatenbank#/

* 257 https://www.presserat.de/pressekodex.html

* 258 https://www.cortecostituzionale.it/documenti/relazioni_internazionali/RI_20130606_CHELI.pdf

* 259 Corte costituzionale, sentenze 224/1976 e 225/1976.

* 260 Corte costituzionale, sentenze 202/1976, 148/1981 e 826/1988.

* 261 Corte costituzionale, sentenze 420/1994 e 466/2002.

* 262 L'indice de concentration CR4, calculé par l'AGCOM, correspond au poids des quatre principales entreprises d'un secteur par rapport aux résultats de l'ensemble de ce même secteur. Il tient compte à la fois des parts de marché détenues et des parts d'audience.

* 263 AGCOM, Rapport annuel 2021 , pp. 82-85.

* 264 Ibid.

* 265 AGCOM, Rapport annuel 2021 , Annexe statistique.

* 266 Ibid.

* 267 GEDI est contrôlé par Exor, la société de la famille Agnelli, qui possède un nombre important de participations dans les secteurs automobile, de l'industrie mécanique, assurantiel et immobilier.

* 268 AGCOM, Rapport annuel 2021 , Annexe statistique.

* 269 Ce centre de recherche sur les médias, hébergé par l'Institut universitaire européen de Florence, est cofinancé par l'Union européenne.

* 270 Malgré la réforme de la Rai adoptée en 2015, l'indépendance du groupe en termes de gouvernance et de financement demeure très critiquée. Par exemple, bien que la loi l'exige, aucun appel ouvert à candidature n'a été publié en 2018 lors du renouvellement du conseil d'administration et les critères de sélection n'ont pas été publiés.

* 271 Corte costituzionale, sentenza n. 420/1994 .

* 272 Loi n° 249, du 31 juillet 1997, article 2, paragraphe 7.

* 273 La loi du 3 mai 2004, n° 112, fut adoptée à la suite de la décision n° 466/2002 de la Cour constitutionnelle qui considérait que les trois chaînes nationales détenues par Mediaset constituaient une position dominante.

* 274 Legge 25 febbraio 1987 , n. 67 , Rinnovo della legge 5 agosto 1981, n. 416, recante disciplina delle imprese editrici e provvidenze per l'editoria

* 275 Decreto legislativo, 31 luglio 2005, n. 177, (Testo unico dei servizi di media audiovisivi e radiofonici)

* 276 En septembre 2019, l'AGCOM a constaté « l'inexistence de positions dominantes ou de situations préjudiciables au pluralisme sur les marchés pertinents dans le secteur radiophonique ». AGCOM, Delibera N.389/19/CONS

* 277 Les recettes (ricavi) considérées sont définies à l'article 43, paragraphe 10, DL 177/2005.

* 278 AGCOM, Delibera N. 13/21/CONS

* 279 AGCOM, Rapport annuel 2021 .

* 280 Société italienne du même secteur contrôlée par le groupe Fininvest dont l'actionnaire majoritaire est Silvio Berlusconi.

* 281 AGCOM, Delibera N. 178/17/CONS

* 282 https://curia.europa.eu/jcms/upload/docs/application/pdf/2020-09/cp200099fr.pdf

* 283 Voir Zaccaria et al., Diritto dell'informazione e della comunicazione, CEDAM, Wolters Kluwer, 2021.

* 284 Observatoire européen de l'audiovisuel, rapport IRIS spécial, Pluralisme des médias et enjeux de la concurrence, 2020, p. 102.

* 285 Decreto legislativo, 8 novembre 2021, n. 208

Attuazione della direttiva (UE) 2018/1808 del Parlamento europeo e del Consiglio, del 14 novembre 2018, recante modifica della direttiva 2010/13/UE, relativa al coordinamento di determinate disposizioni legislative, regolamentari e amministrative degli Stati membri, concernente il testo unico per la fornitura di servizi di media audiovisivi in considerazione dell'evoluzione delle realta' del mercato.

* 286 Ces lignes directrices n'avaient pas été publiées à la date de la rédaction de la présente étude.

* 287 Voir : http://documenti.camera.it/apps/nuovosito/attigoverno/Schedalavori/getTesto.ashx?file=0288_F002.pdf&leg=XVIII#pagemode=none

* 288 https://rm.coe.int/rapport-annuel-fra-liberte-des-medias-en-europe-web/1680a2489f

* 289 AGCOM, Osservatorio sul giornalismo II edizione, https://www.agcom.it/documents/10179/7278186/Documento+generico+29-03-2017/3c3b73a7-64ce-47e9-acf1-e0ae62fad01f?version=1.0

* 290 Op. cit., p. 69 et suivantes.

* 291 AGCOM, Osservatorio sul giornalismo II edizione, p. 70.

* 292 Legge 8 febbraio 1948, n. 47, Disposizioni sulla stampa

* 293 Corte costituzionale, sentenza n° 150/2021,

https://www.cortecostituzionale.it/documenti/comunicatistampa/CC_CS_20210622191846.pdf

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