PREMIÈRE PARTIE - MIEUX ÉDUQUER
ET FORMER LES CITOYENS

Dans cette première partie, la mission d'information s'est centrée sur la problématique de l' éducation à la citoyenneté . Elle a souhaité l'aborder à travers les institutions et les politiques publiques, laissant de côté le rôle des familles, naturellement très important.

Dans la logique du continuum du parcours citoyen qu'elle a souhaité mettre en valeur dans ce rapport, elle s'est tout d'abord interrogée sur l' école : comment celle-ci éduque-t-elle le futur citoyen ?

Cette mission est cruciale : donner aux futurs électeurs les outils pour se prononcer en toute connaissance de cause lors des différents scrutins, ce qui suppose une certaine compréhension des institutions et du rôle des élus ainsi que des grands enjeux du monde d'aujourd'hui. L'objectif est aussi de faire connaître les droits et les devoirs du citoyen dans une logique de « vivre ensemble », ce qui passe par l'acquisition d'une culture commune sur le respect des droits et devoirs de chacun et sur les principes de la République. Si toutes les matières sont susceptibles de contribuer à cette éducation citoyenne, l' enseignement moral et civique en est le cadre privilégié.

À l'approche de la majorité, les obligations du service national - recensement et journée défense et citoyenneté - constituent une autre étape de ce parcours citoyen. Plus particulièrement, la journée défense et citoyenneté permet à tous les jeunes, une fois dans leur vie, d'aller à la rencontre des armées et de ceux qui, dans la diversité de leurs fonctions, assurent notre sécurité. Cette journée défense et citoyenneté, lointaine héritière de l'impôt du sang - devenu en temps de paix l'impôt du temps - rappelle le devoir premier du citoyen, qui est de participer à la défense de son territoire : la situation internationale nous en a une nouvelle fois rappelé la tragique actualité.

La mission d'information s'est également intéressée au lien entre l'éducation civique et citoyenne et l' insertion sociale et professionnelle . Elle a constaté l'intérêt d'une telle formation dans les dispositifs d'insertion destinés aux jeunes. Elle a pris connaissance, lors d'un déplacement, du caractère prometteur de dispositifs destinés au suivi et à l'accompagnement de certains jeunes dans l'hypothèse d'une exclusion temporaire ou d'un risque de décrochage scolaire. Elle a également pu mesurer l'importance d'une « piqûre de rappel » de citoyenneté dans le contexte pénal, à travers les stages de citoyenneté qui peuvent constituer une alternative aux poursuites.

I. L'ÉCOLE ET LA FORMATION DU FUTUR CITOYEN : LE RÔLE CENTRAL DE L'ENSEIGNEMENT MORAL ET CIVIQUE, À REDÉFINIR DE MANIÈRE PLUS PRÉCISE AUTOUR DE PRIORITÉS CLAIRES

Dans son ouvrage Qu'est-ce que la citoyenneté ?, Dominique Schnapper souligne que l'école est « l'institution citoyenne par excellence » et « l'éducation est au coeur du projet démocratique » ; l'école doit, dans cet esprit, « donner à tous les capacités nécessaires pour participer réellement à la vie publique ».

Cette mission spécifique de l'école, inscrite dans le code de l'éducation ( « Outre la transmission des connaissances, la Nation fixe comme mission première à l'école de faire partager aux élèves les valeurs de la République » 17 ( * ) ), a été rappelée par Jean-Michel Blanquer, ministre de l'éducation nationale, devant la mission d'information : « l'école et la scolarité obligatoire jouent un rôle de premier ordre dans la formation à la citoyenneté, et qu'il convient donc de conforter cette dernière » 18 ( * ) .

L'enseignement moral et civique (EMC) constitue le socle de l'éducation du citoyen dans le cadre scolaire . Or, les ambitions de cet enseignement, caractérisé par des contenus et des programmes particulièrement vastes, voire confus, où les aspects institutionnels occupent une place somme toute modeste, contrastent avec l'insuffisance de la formation des enseignants. Il en résulte un bilan peu satisfaisant qui implique un recentrage autour de priorités claires.

A. LES CONSTATS : UN ENSEIGNEMENT MORAL ET CIVIQUE QUI NE PERMET PAS DE COMPRENDRE LE FONCTIONNEMENT DES INSTITUTIONS

1. Des réformes récurrentes au cours de la période récente, une matière en manque de stabilité

Au fil du temps, l' éducation civique classique , initialement centrée sur le fonctionnement des institutions, s'est étendue à des problématiques relevant du « vivre ensemble » et à des thématiques sociétales diverses, dans un contexte de graves tensions (émeutes dans les banlieues de 2005, attentats terroristes...) qu'il était tentant de demander à l'école de résoudre.

La formation du futur citoyen est au coeur de la mise en place d'un service public de l'éducation nationale. L'article L. 121-4-1 du code de l'éducation dispose que, « au titre de sa mission d'éducation à la citoyenneté, le service public de l'éducation prépare les élèves à vivre en société et à devenir des citoyens responsables et libres, conscients des principes et des règles qui fondent la démocratie ».

Le rôle majeur de l'éducation à la citoyenneté dans le cadre scolaire, qui constitue à bien des égards un héritage historique , a dès l'origine de l'école républicaine pris la forme d'un enseignement dédié. « À l'école primaire, l'éducation civique a longtemps constitué une finalité centrale de l'enseignement » 19 ( * ) . Dans le secondaire en revanche, l'éducation civique n'a été introduite qu'après 1945 ; dans les lycées, il a fallu attendre les années 1990 pour qu'elle apparaisse de manière institutionnalisée dans les programmes scolaires.

L'article 1 er de la loi du 28 mars 1882 de Jules Ferry portant sur l'organisation de l'enseignement primaire mentionne ainsi explicitement, parmi les apprentissages de l'école primaire obligatoire, l'instruction morale et civique. Celui-ci tient une place particulière, puisqu'il s'agit du premier apprentissage dont cet article énonce la liste, avant même « la lecture et l'écriture ». Cet enseignement disparaît cependant, en tant que tel, des programmes à la suite des événements de 1968 avant d'être réintroduit en 1985 à l'initiative de Jean-Pierre Chevènement, alors ministre de l'éducation nationale.

L'éducation à la citoyenneté a fait l'objet de nombreuses évolutions au cours de la période récente, retracées dans l'encadré ci-après, parallèlement aux débats récurrents suscités par la contribution de l'école à la création d'un sentiment d'appartenance commune et de valeurs partagées.

Depuis les années 1990, les objectifs de cet enseignement se sont étendus à la dimension européenne, à des enjeux internationaux (droits de l'homme et de l'enfant, relations nord-sud, organisations internationales...) et environnementaux ainsi qu'aux grands sujets de société (égalité femmes-hommes, discriminations, bioéthique, société de l'information...).

Dans le contexte issu des attentats terroristes et face aux défis de la diversité culturelle et religieuse, les modules relevant de la cohésion sociale autour des valeurs de la République ont acquis une importance particulière au sein de l'EMC, de même que les séquences relatives aux défis de la crise climatique . En outre, l'enseignement moral et civique doit, depuis 2015, valoriser l'engagement des élèves (en encourageant la participation des élèves aux instances participatives et aux structures associatives existant dans l'établissement ou leur implication dans des projets, tels que le tutorat ou la médiation entre élèves).

L'intégration d'un enseignement moral à l'éducation civique a donné lieu à l'élaboration de nouveaux programmes en 2015 . Avant cette réforme, le contenu de l'enseignement civique avait déjà connu un certain nombre de modifications : pour le primaire en 1995, 2002 puis en 2008 ; au collège dans les années 1990 puis en 2008 et 2012 ; au lycée en 2000 et 2010-2011, selon une étude publiée en 2016 par le Conseil national d'évaluation du système scolaire (CNESCO) 20 ( * ) .

La période récente ne fait pas exception à cette tendance et l'enseignement moral et civique a connu de nouvelles modifications depuis 2019, dans le cadre de la réforme du lycée.

Historique de l'enseignement moral et civique :
évolution des contenus et des méthodes d'enseignement

L'instruction morale et civique est présente dès l'origine de la création de l'école obligatoire en 1882.

Elle est introduite dans le secondaire au lendemain de la seconde guerre mondiale, en 1945, en complément de l'histoire-géographie.

Dans le primaire, l'instruction civique est, en 1969, regroupée dans les activités d'éveil, avec l'histoire, la géographie, les sciences expérimentales et les activités artistiques et manuelles. Elle est réintroduite en 1985 en tant que matière à part entière, à raison d'une heure par semaine.

Au collège, l'éducation civique devient un enseignement spécifique en 1985. Sa place au sein des programmes d'histoire-géographie est renforcée en 1995, une demi-heure par semaine devant désormais être consacrée à l'apprentissage des droits et au fonctionnement des institutions.

Au lycée, l'éducation civique, juridique et sociale (ECJS) est créée en 1998 (selon l'étude CNESCO en 2000).

La notion d'enseignement moral est introduite en 2015 dans le secondaire (elle l'avait été en 2008 dans le primaire) : l'enseignement moral et civique (EMC) remplace l'instruction civique et morale du primaire, l'éducation civique du collège, l'ECJS du lycée général et l'éducation civique dans les lycées technologiques et professionnels.

En outre, quatre « parcours éducatifs » sont créés en 2016, en application de la loi d'orientation et de programmation pour l'école , dont le parcours citoyenneté (au côté du parcours santé, avenir, artistique et culturel).

Les programmes du lycée général et technologique ont été élaborés dans le cadre de la réforme du baccalauréat et du lycée : ceux des classes de seconde et de première de la voie générale et technologique sont publiés en janvier 2019 et sont entrés en vigueur à la rentrée 2019, tandis que celui des classes de terminale, publié le 25 juillet 2019, a été appliqué à partir de la rentrée 2020.

Enfin, un enseignement moral et civique va être instauré dans la voie professionnelle de l'enseignement agricole à la rentrée 2022 pour la classe de seconde, 2023 celle de première et 2024 celle de terminale.

Nouveauté de la période 2017-2022, la notion « respecter autrui » a été explicitement ajoutée aux savoirs fondamentaux et complète désormais le triptyque « lire/écrire/compter ». Des repères de progression qui correspondent à des repères annuels ont été introduits en 2018 - mais en marge de programmes élaborés pour un cycle scolaire pluriannuel.

L'enseignement moral et civique (EMC) est donc présent tout au long de la scolarité de l'élève, du CP au lycée ; il est sanctionné aux examens nationaux de l'Éducation nationale. Des questions spécifiques sont prévues au brevet national des collèges. La réforme du baccalauréat accorde également une place plus importante qu'auparavant à cet enseignement : si l'enseignement moral et civique fait partie du tronc commun, il bénéficie d'une prise en compte spécifique et différente de l'histoire-géographie. Les moyennes de l'élève dans cette matière comptent pour un coefficient 2 21 ( * ) (sur 100), soit autant qu'une option.

Parallèlement aux contenus, les pratiques pédagogiques ont, elles aussi, évolué sensiblement, les textes officiels préconisant désormais l'organisation de débats et faisant des « débats argumentés » une « méthode clef de l'enseignement civique dans le secondaire » 22 ( * ) ; les programmes de 2015 prévoient des « discussions à visées philosophiques » dès le primaire.

Il résulte de cette suite d'évolutions des contenus et des méthodes une difficulté compréhensible, pour les enseignants, de s'approprier l'EMC . Un rapport de l'Inspection générale de l'éducation, du sport et de la recherche (IGÉSR) sur le suivi de l'enseignement des fondamentaux à l'école primaire notait ainsi de manière éclairante : « Globalement, les enseignants semblent davantage démunis que non motivés pour dispenser cet enseignement (l'EMC) qui manque de stabilité dans les textes et discours institutionnels depuis des années, ce qui ne contribue pas à consolider des pratiques et une expertise professionnelle » 23 ( * ) .

2. La définition législative de l'EMC : des objectifs disparates omettant l'essentiel

Si le contenu des programmes ne relève normalement pas de la loi, l'EMC fait partie des enseignements définis par la partie législative du code de l'éducation 24 ( * ) . L'article L. 312-15 qui en définit le contenu décline ainsi une large gamme d'objectifs et d'apprentissages incombant à l'enseignement moral et civique, dont il résulte une liste pour le moins disparate où figurent pêle-mêle, entre autres exemples :

- des formations (« aux valeurs de la République », « à la connaissance et au respect des personnes en situation de handicap », au « développement d'une attitude critique et réfléchie vis-à-vis de l'information disponible » et à l'acquisition d'un « comportement responsable (...) lors de leur usage des services de communication au public en ligne ») ;

- des informations (sur les « organisations internationales oeuvrant pour la protection de l'enfant ») ;

- des projets (la « participation à un projet citoyen au sein d'une association d'intérêt général ») ;

- et des actions de sensibilisation (« à la vie associative et au service civique », « au respect des animaux de compagnie »).

De manière paradoxale, l'article L. 312-15 du code de l'éducation omet de mentionner le fonctionnement de la vie démocratique et des institutions , qui devrait pourtant, selon la mission d'information, constituer l'un des objectifs premiers de l'EMC. La cohérence du dispositif paraît également problématique, puisque le service civique fait partie des sujets sur lesquels les élèves doivent être informés, mais pas le service national universel.

Le tableau annexé à ce rapport montre la fréquence des modifications de l'article L. 312-15 du code de l'éducation, sur lequel le législateur est intervenu douze fois (et à deux reprises certaines années : 2005, 2018 et 2021), et six fois depuis 2017. Les récentes modifications ont notamment visé à étendre le champ de l'enseignement moral et civique afin d'y inclure, par exemple, la condition animale ou encore la lutte contre le harcèlement scolaire, comme le montre le tableau annexé à ce rapport.

3. Des programmes (trop) ambitieux et confus

Les programmes du cycle 2 (classes de CP à CE2) et du cycle 3 (CM1 à 6 e ) poursuivent trois finalités 25 ( * ) : « respecter autrui », « acquérir et partager les valeurs de la République » et, enfin, « construire une culture civique » , approfondis en principe de classe en classe. Chaque module se décline en « connaissances et compétences » et en « objets d'enseignement ».

Au lycée , les programmes d'EMC sont élaborés selon la progression suivante :

- celui de la classe de seconde est construit autour de la notion de liberté (« La liberté, les libertés ») 26 ( * ) ;

- la classe de première est centrée sur les questions sociales (« Fondements et fragilités du lien social »), mais abordées sous un angle assez critique 27 ( * ) : lors de son audition devant la mission d'information, Souâd Ayada a indiqué que le programme abordait la thématique de l'égalité « non pas comme une réalité mais comme une promesse républicaine » 28 ( * ) . On relève parmi les objets d'enseignement possibles le cas pratique suivant, orienté sur le thème de l'exclusion (contrebalancé toutefois par la suite par un chapitre sur les « politiques publiques pour plus d'égalité et de citoyenneté) » : « à partir de l'exemple d'une ville, d'un quartier, d'un groupe social, étudier les mécanismes d'exclusion et les inégalités : ressenti, réalité et expression (violences urbaines, phénomènes de bandes, quartiers fermés, entre soi) ») ;

- l'année du baccalauréat est centrée sur le thème « La démocratie, les démocraties » 29 ( * ) .

S'agissant du collège , dont l'importance est déterminante car tous les élèves ne vont pas au lycée, la lecture du programme d'EMC, par ailleurs rédigé en termes malaisément compréhensibles, souligne une diversité déroutante de thématiques qu'illustre, pour le cycle 4 (de la 5 e à la 3 e ), le document annexé à ce rapport. On y trouve, entre autres multiples exemples, l'égalité et la discrimination, l'égalité fille-garçon, la fête nationale, l'hymne européen, le harcèlement scolaire, les grands principes juridiques français (« respect du droit de propriété », « protection contre les risques sociaux », « le droit du travail, le droit de grève, la liberté syndicale ») ou encore la différence entre la loi et la jurisprudence, les différentes déclarations des droits de l'homme, la dissuasion, la JDC et le SNU, le statut juridique de l'enfant, « la consultation et les modalités de consultation du peuple : du vote à la démocratie participative », « le fonctionnement de l'État : décentralisation, déconcentration », « les libertés de conscience, d'expression, d'association, de presse », « l'engagement politique, syndical, associatif, humanitaire et en faveur de l'environnement : ses motivations, ses modalités, ses problèmes ».

Lors de son audition, Souâd Ayada, alors présidente du Conseil supérieur des programmes, a effectivement jugé souhaitable de clarifier les attendus de fin de collège et de « simplifier la structuration du programme », qui se présente comme une accumulation de « nombreuses strates », ce qui ne facilite « ni son appréhension, ni son traitement » : « Une rédaction trop détaillée donne l'impression d'un empilement d'objectifs, d'un éparpillement des contenus voire de nombreuses répétitions. Il semble peu aisé pour les enseignants de l'enseigner et pour les élèves de se l'approprier ». La lecture de ces documents ne peut que conduire la mission d'information à partager cette analyse et à souligner l'urgence de cette correction.

Face à la multitude des thématiques à aborder et à l'absence de priorité claire, l'enseignant doit donc faire des choix . Ceux-ci vont se porter, en l'absence de toute priorité définie par le ministère, sur ses goûts, les thématiques sur lesquels il se sent le plus à l'aise et compétent, ou sur celles qu'il estime les plus importantes ou intéressantes pour ses élèves. Interrogés sur la priorisation face à la multitude des thématiques, un syndicat enseignant a indiqué que « ces thématiques sont priorisées en fonction de différents critères : l'appétence de l'enseignant pour telle ou telle question, l'actualité de la question, la disponibilité des ressources pédagogiques, la complexité de la question au regard du niveau des élèves dans les différentes classes, la crainte éventuelle de traiter un sujet pouvant provoquer des polémiques potentiellement incontrôlables (classiquement : le sujet du port du voile à l'école par exemple) » 30 ( * ) . Avec cet enseignement dépendant des choix du professeur, pour reprendre les mots de Jean-Pierre Obin, ancien inspecteur de l'éducation nationale, « c'est la volonté collective qui en pâtit » .

Comme l'a indiqué Souâd Ayada, « Cet enseignement donne [aujourd'hui] le sentiment d'une exhaustivité des connaissances, qui n'est pas de mise à ce niveau, ni même dans un cadre scolaire. »

En outre, les concepts irriguant le programme - par exemple la République, la Nation et la démocratie - y sont mal définis et ne sont pas abordés à travers leurs dimensions politiques, historiques et institutionnelles, ce qui selon l'ancienne présidente du Conseil supérieur des programmes pourrait affecter la compréhension, par les élèves, de leur genèse et des spécificités de leur conception française. Ainsi, au collège, les valeurs de la République « prennent le pas » sur la définition de la République . Les notions sont parfois abordées de manière trop abstraite, ne permettant pas aux élèves de comprendre leurs implications pratiques, ou au contraire se réduisent à la présentation des symboles de la République.

Extraits de l'audition de Souâd Ayada,
alors Présidente du Conseil supérieur des programmes

« Si on se penche plus en détail sur la deuxième finalité du programme (acquérir et partager les valeurs de la République), on se rend compte que celle-ci s'appuie sur une définition indéterminée de la République. Les principes et les valeurs ne sont pas suffisamment appréhendés dans leur aspect politique pour en saisir le contenu concret. Ils sont abordés au même titre que les symboles de la République, dans une perspective qui rapporte la citoyenneté française à la citoyenneté européenne. En l'état actuel, il semble excessivement difficile de distinguer les concepts de République, démocratie ou nation : ces notions ne sont pas définies, et sont principalement délimitées dans la relation qu'elles entretiennent les unes avec les autres. La République est à la fois tout et rien de bien précis. Il conviendrait de circonscrire le périmètre d'un enseignement de la République et de déterminer ses contenus.

Au collège, l'appréhension de la République fait l'objet de propos abstraits qui ne restituent pas le mouvement de sa genèse. Les programmes ne semblent pas viser des connaissances précises sur ce sujet. Au collège, l'étude des valeurs de la République prend le pas sur celle de ses principes. Elle est menée selon une double perspective, celle que dessinent les droits de l'individu et du citoyen et celle que constitue l'égalité, présentée non pas comme une réalité, mais « comme une promesse républicaine ». Les perspectives juridiques, politiques et historiques sont écartées, au profit d'une approche sociétale, ancrée dans des enjeux contemporains.

On a l'impression qu'au collège les valeurs de la République désignent tout ce qui se rattache à la démocratie, à l'État, à la nation, à la loi, à la cohésion sociale et nationale, à la laïcité, sans que ces différents niveaux soient distingués. Ces valeurs véhiculent inévitablement une certaine confusion, que renforce le caractère indéterminé de la notion de valeur. Rien de ce qui fait la singularité du civisme républicain n'est explicité » 31 ( * ) .

On constate donc en définitive une confusion entre EMC, valeurs de la République et actions menées pour améliorer le « climat scolaire », par exemple afin de lutter contre le harcèlement . De manière éclairante, interrogée sur la création de contenus et les outils dédiés à l'EMC, la directrice générale du Réseau Canopé s'est spontanément concentrée sur l'enseignement aux médias et à l'information (EMI) et les valeurs de la République : « pour ce qui concerne la création de contenus d'EMC, nous avons créé un groupe de travail "EMI et valeurs de la République", doté d'une cheffe de projet » . De même, les chiffres relatifs aux formations consacrées aux valeurs de la République ont naturellement été cités.

Si la mission d'information partage la volonté du ministère de renforcer l'apprentissage et le partage des valeurs de la République, ceux-ci ne doivent pas laisser de côté des pans entiers de la formation du futur citoyen, et notamment les modalités concrètes de fonctionnement et de participation à la vie démocratique du pays.

4. Un traitement succinct par les manuels

L'étude de quelques manuels, certes non exhaustive mais probablement représentative, à laquelle le rapporteur a procédé révèle quelques lignes de force préoccupantes. Cette lecture confirme le constat posé lors de son audition par la présidente du Conseil supérieur des programmes : « les manuels scolaires obéissent à une logique de déconstruction, à de l'éparpillement, avec peu de textes, peu d'idées et mises sur le même plan. Ils insistent sur le débat d'opinion et non sur la connaissance. Les éléments mis en valeur sont la démocratie participative, les discriminations, la liberté de moeurs et sexuelle, les droits des personnes homosexuelles, transgenres, les migrants, leurs droits... » 32 ( * ) .

Conséquence directe de la rédaction trop théorique des programmes évoquée ci-dessus, le contenu est hétérogène, y compris au sein d'une même collection 33 ( * ) : ainsi, aux éditions Hachette, le nombre de pages consacré à l'EMC varie du simple à plus du double selon les années, avec un contenu d'intérêt inégal, parfois riche et dense, et parfois nettement moins convaincant.

Du fait de la structuration par cycle et non pas par année scolaire du programme, ce contenu est très répétitif et l'on ne discerne pas de véritable progression d'année en année.

Enfin, conformément à une tendance assumée (et regrettable) de la pédagogie actuelle dans notre pays, les éléments de cours sont d'ampleur limitée , au profit de documents « bruts ». Ainsi, un élève qui ne recevra pas de son professeur de cours d'EMC complets sur l'année peut parfaitement avoir lu consciencieusement ses manuels et, pour autant, ne rien en retenir hormis des bribes disparates de connaissances qu'il aura dû lui-même reconstituer.

Quelques lignes de force positives se dégagent à l'école élémentaire et au collège , au vu des collections Hatier et Hachette que le rapporteur a consultées :

- les auteurs s'efforcent, en général, de fournir, souvent sous forme de schémas bien conçus , le « noyau dur » des connaissances aux élèves ;

- les manuels reproduisent fréquemment les textes fondateurs de nos institutions, notamment les déclarations des droits de 1789 et 1946, citées in extenso , dès la classe de sixième, aux éditions Hatier ;

- l'organisation de la justice et le rôle des tribunaux sont correctement décrits, de même que le processus de vote et les règles qui le régissent ou le rôle des maires ;

- les manuels, de manière générale, présentent efficacement le rôle des règles et leur nécessité pour garantir le « vivre ensemble », et la nécessaire conciliation entre liberté et sécurité ou entre libertés individuelles et libertés collectives.

Au lycée en revanche, l'EMC fait figure de « parent pauvre » des manuels d'histoire-géographie. La matière n'occupe qu'une place des plus réduites dans les manuels ; le constat est, certes, cohérent avec l'horaire très limité prévu par les textes officiels, mais il en est aussi, du même fait, encore plus regrettable :

- aux éditions Hachette, 22 pages en moyenne pour chacune des années de 2 nde , 1 ère et terminale ;

- aux éditions Le Livre Scolaire, 34 pages en moyenne ;

- aux éditions Magnard, qui consacrent à l'EMC un manuel qui lui est spécifiquement dédié et couvre les trois années du lycée, le volume annuel est similaire : 33 pages.

Comme le relève l'encadré ci-après, l'organisation des institutions semble absente de ces manuels, si l'on fait exception de schémas qui mériteraient, à ce niveau, des explications détaillées. On objectera, peut-être, que ces curieuses lacunes n'en sont pas, puisque le programme d'histoire comporte un chapitre dédié à la V e République, qui en présente les institutions ; il n'empêche que l'angle d'étude est différent et qu' un enseignement « civique » qui ne décrit pas les institutions de la « cité » ne remplit pas sa fonction .

En outre, la situation de notre pays, plus particulièrement sur le plan social, y est décrite sous l'angle volontiers pessimiste et quasiment exclusif des discriminations.

L'enseignement moral et civique dans les manuels de lycée

Des documents, mais pas de cours

Suivant la tendance générale des manuels scolaires depuis quelques années, le parti est pris de ne quasiment jamais fournir aux élèves de cours si l'on fait exception des quelques lignes d'introduction écrites en tête de chapitre par les auteurs.

Pour le reste, les nombreux documents produits (photos, articles de journal, parfois extraits de textes constitutionnels ou de loi, citations d'auteurs) impliquent nécessairement l'intervention de l'enseignant. Une lecture autonome de l'élève paraît difficile et ne permettrait pas à celui-ci d'appréhender correctement le sujet traité.

Dans le manuel Magnard , certains thèmes sont complétés, à titre d'illustration, par des références cinématographiques ou théâtrales, par des chansons ou par des portraits de personnages célèbres (tels que Nelson Mandela, Olympe de Gouges, Germaine Tillion). On peut s'étonner à cet égard que la page relative à l'abolition de la peine de mort, illustrant le thème de « l'espace d'exercice des libertés », consacre une pleine page au téléfilm L'abolition , inspiré en 2008 des livres de Robert Badinter, et que le visage de l'acteur incarnant le futur garde des Sceaux ainsi que la fiche technique du film occupent finalement plus de place que la photo de Robert Badinter lui-même, sans que figure sur ces pages la moindre citation de ses discours, pourtant historiques, devant le Parlement lors de l'examen de la loi de 1981 abolissant la peine de mort. On peut aussi trouver étrange certaines sélections de personnalités destinées à illustrer une cause : ainsi le choix de l'actrice Emma Watson, dans le manuel Magnard , pour incarner la défense des droits des femmes paraît discutable au pays de Gisèle Halimi (en revanche la personnalité de Simone Veil est rapidement évoquée sur une page consacrée au combat pour la liberté à travers un texte de Leïla Slimani)... Sur deux pages, le manuel décline la biographie d'Emma Watson, illustrée par sa photo, et reproduit un extrait d'un discours prononcé à l'ONU en tant qu'ambassadrice des droits des femmes. La jeune actrice est donc largement plus présente que Germaine Tillion ou que Simone Veil, par exemple.

L'organisation des institutions de la République, grande absente

Un bachelier ayant lu méthodiquement ses manuels d'EMC n'aura probablement jamais disposé :

- d'explication sur le rôle du Président de la République et du gouvernement ; il n'aura, d'ailleurs, probablement que rarement rencontré le mot « ministre », si ce n'est, dans le manuel Magnard , à l'occasion d'une affaire de fraude fiscale concernant un ancien ministre du budget (exposée à partir d'un extrait d'une bande dessinée intitulée Les riches au tribunal ), mais rien, sauf erreur, sur la composition, le rôle et le fonctionnement du gouvernement, sauf un bref encadré sur les institutions repéré dans le manuel Magnard ;

- d'indication sur le processus d'élaboration de la loi (ainsi, la partie dévolue à la classe de 2 nde du manuel des éditions Magnard consacre un encadré à la « fabrique de la loi » et n'évoque ... que l'Assemblée nationale !) ; le Sénat est évoqué dans ce manuel à l'occasion des élections, locales, nationales et européennes, mais pas en tant que législateur ;

- de présentation claire des collectivités territoriales, à l'exception des informations relatives aux élections.

Le biais récurrent du pessimisme

Comme cela a été indiqué précédemment, les manuels suivent les programmes, qui en prédéterminent donc en partie le contenu ; les biais qui les affectent sont ainsi, en partie, en germe dans les orientations fixées par l'Éducation nationale. Force est toutefois de constater qu'ils les accentuent : une présentation régulièrement pessimiste de la situation sociale de notre pays peut être souvent relevée au fil des pages, à travers des références récurrentes au thème des discriminations.

Le principe d'égalité est largement consacré dans le corpus juridique français : or les manuels insistent sur les discriminations, sans mettre en évidence tout ce qu'a réalisé notre pays pour promouvoir l'égalité, de droit mais aussi réelle (par exemple le volume considérable des prestations sociales et de la redistribution, qui en fait, sur ce point, l'un des pays les plus égalitaires au monde). Ainsi, au chapitre « libertés économiques et droits sociaux » (classe de 2 nde ), le manuel Magnard consacre un schéma sommaire à la protection sociale, le reste du dossier étant consacré à la pauvreté à travers les thèmes du revenu universel et du droit au logement.

Une valorisation systématique de certains engagements

Les manuels consultés mettent volontiers en avant les formes d'engagement suivantes : associatif, environnemental, économie « participative et collaborative ».

Il n'est évidemment pas question de nier l'utilité qu'il y a à promouvoir de tels engagements ; on ne peut, en revanche, que regretter l'absence ou la quasi absence de toute mention de l'engagement des 500 000 élus locaux, du rôle des maires lorsque des catastrophes frappent nos concitoyens, ou de celui des grands services publics de notre pays...

Ainsi le manuel Magnard consacre-t-il une double page à l'engagement syndical (à partie du film En guerre de Stéphane Brié) et au courage des lanceurs d'alerte (à partir du film La fille de Brest , d'Emmanuelle Bercot), mais rien à l'armée, si ce n'est à l'occasion d'une page sur le film Les combattants , de Thomas Cailley intitulée « regards sur les jeunes et la défense ». La police est succinctement évoquée en revanche au titre de « la sécurité dans un état de droit », séquence traitant notamment la lutte contre le terrorisme.

Source : mission d'information

5. L'éducation aux médias et à l'information, un enseignement à la périphérie de l'EMC qui peine à trouver sa place

Depuis la loi d'orientation et de programmation pour la refondation de l'école de la République de 2013, dans un contexte d'utilisation croissante des réseaux sociaux, le code de l'éducation prévoit une « éducation aux médias et à l'information qui comprend une formation à l'analyse critique de l'information disponible » pour les collégiens (art. L. 332-5 du code de l'éducation). Les nouveaux programmes du cycle 2 (CP, CE1 et CE2) parus en 2020 appellent néanmoins dès le primaire à « prendre appui sur l'éducation aux médias et à l'information » pour le « développement des aptitudes au discernement et à la réflexion critique », dans le cadre de la troisième finalité « construire une culture civique ».

L'enseignement aux médias et à l'information (EMI) est intégré dans le code de l'éducation (article L. 315-12) à l'EMC mais n'est pas nécessairement dispensé par les mêmes enseignants. Il peut être confié aux professeurs-documentaristes des collèges.

L'enseignant en charge de l'EMI peut avoir recours aux outils élaborés par le Clemi (centre de liaison de l'enseignement et des médias de l'information), créé en 1983. La semaine de la presse et des médias est également un événement important : chaque année environ 400 000 collégiens de 4 e et de 3 e y participent, notamment par des rencontres avec des journalistes.

Selon Édouard Geffray, directeur général de l'enseignement scolaire, « l'EMC vise à développer la connaissance des valeurs de la République, la culture citoyenne, les droits et devoirs, et l'EMI à comprendre l'information, à apprendre à identifier ses sources, à confronter les regards et à développer sa capacité d'analyse face à une information plus éclatée et abondante que jamais ».

Dans les faits, ces deux enseignements se recoupent et parfois se confondent :

- l'article L. 312-15 du code de l'éducation précise que « dans le cadre de l'EMC, les élèves sont formés afin de développer une attitude critique et réfléchie vis-à-vis de l'information » ;

- contrairement à l'EMC, il n'existe pas d'horaires dédiés à l'EMI dans les programmes scolaires ;

- les fausses informations et ses conséquences sur la démocratie ont été un sujet majeur ces cinq dernières années, en faisant un sujet d'actualité abordé en EMC.

Force est de constater, comme pour l'enseignement moral et civique, une réalité de terrain en décalage par rapport aux engagements forts en faveur de l'EMI dans les instructions officielles . L'étude du CNESCO de février 2019 intitulée Éducation aux médias et à l'actualité : comment les élèves s'informent-ils ? , constate que « l'institution scolaire ne paraît pas pleinement accompagner les jeunes dans un univers informationnel en mutation marqué par des débats forts autour des réseaux sociaux et des infox qui s'y propagent » . Au final, plus qu'une éducation aux médias - c'est-à-dire avec les médias comme objet d'études -, il s'agit plutôt d'une éducation par les médias, utilisés comme supports d'information. Selon l'enquête du CNESCO, à peine plus de la moitié des élèves de 3 e (52 %) déclarent avoir abordé le sujet des médias en EMC 34 ( * ) .

La commission Les Lumières à l'ère du numérique , présidée par Gérald Bronner, a remis son rapport le 11 janvier 2022 au Président de la République. Elle appelle notamment à renforcer la formation à l'esprit critique à l'EMI, dès l'élémentaire, ainsi que la formation des enseignants . Selon cette commission, « l'Éducation nationale a un rôle essentiel à jouer dans la lutte contre les fausses informations ». À la suite de ce rapport, le ministre de l'éducation nationale a présenté devant la mission d'information la mise en place de plusieurs mesures visant à renforcer l'EMI, notamment :

- la nomination dans chaque académie d'un référent sur le sujet, sous l'autorité du recteur ;

- la création dans chaque académie d'une cellule d'éducation aux médias et à l'information, pilotant cette politique pour les premier et second degrés ;

- un renforcement des moyens pour le coordonnateur académique ;

- l'élaboration d'un vadémécum en lien avec le ministère de la culture.

Comment les jeunes s'informent-ils :
l'exemple des élèves du lycée Henri IV de Béziers
35 ( * )

En lien avec Henri Cabanel, rapporteur, qui entretient des liens réguliers avec le lycée Henri IV de Béziers grâce à Jean Fonteray, enseignant en droit et grands enjeux du monde contemporain (DGEMC), les élèves de terminale suivant cette option ont réalisé un sondage sur « la culture citoyenne » auprès de leurs camarades de lycée. 728 réponses ont été analysées - un peu plus de la moitié des élèves du lycée ont répondu à l'enquête. Celle-ci a été complétée par l'avis de 129 enseignants du secondaire 36 ( * ) , permettant un regard croisé sur certaines thématiques entre élèves et enseignants.

Cette étude éclaire sur les outils utilisés par les jeunes pour s'informer. Les réseaux sociaux sont leurs principales sources d'information sur la politique et les institutions (61 %), essentiellement avec Instagram , Twitter , puis TikTok et YouTube . La radio ou la télévision sont la deuxième source d'informations (57 %).

6. Des enseignants insuffisamment formés et outillés
a) Un enseignement à vocation transversale mais reposant dans les faits, dans le secondaire, sur les professeurs d'histoire-géographie

Le ministre de l'éducation nationale l'a rappelé à la mission d'information lors de son audition : « l'éducation civique est aussi la résultante des autres enseignements » . On peut citer, comme disciplines susceptibles en théorie de contribuer à l'éducation citoyenne, la philosophie, les langues et le français.

Ainsi, Luc Ferry, ancien ministre de l'éducation nationale, évoquait lors de son audition l'intérêt des « grandes oeuvres cinématographiques et littéraires, telles que La Liste de Schindler , Amistad, le remarquable film de Spielberg sur l'esclavage, ou Le choix de Sophie », qui « pourraient être utilement mobilisées pour susciter l'intérêt des élèves » : « J'en suis convaincu, les programmes d'instruction civique doivent être recentrés sur des thèmes fondamentaux (...) et passer par de grandes oeuvres littéraires et cinématographiques qui touchent à la fois l'intelligence et le coeur » 37 ( * ) .

L'enseignement moral et civique est toutefois, dans les faits, principalement dévolu aux enseignants d'histoire-géographie dans le secondaire . Or, selon plusieurs syndicats d'enseignants consultés par la mission d'information, l'EMC n'est pas présent en tant que tel que dans le cursus d'histoire-géographie, si l'on se réfère aux maquettes des Master MEEF (qui préparent aux métiers de l'enseignement, de l'éducation et de la formation) dans les instituts nationaux supérieurs du professorat et de l'éducation (Inspé).

Avec la réforme du lycée en 2019, 20 % des cours d'EMC sont désormais assurés par un enseignant autre que celui d'histoire-géographie : enseignant de sciences économiques et sociales (SES) notamment, enseignant de philosophie ou encore enseignants de la nouvelle spécialité « droits et grands enjeux du monde contemporain ». Pour la Cour des comptes, cet élargissement des disciplines de recrutement des enseignants s'explique notamment par des « préoccupations utilitaires » (« boucler un service »). D'ailleurs, le nombre d'heures des enseignants de sciences économiques et sociales a baissé de 13,6 % 38 ( * ) depuis 2019, nécessitant pour certains d'entre eux de compléter leur service par des heures autres que celles de leurs disciplines.

Cette diversification des profils d'enseignants de l'EMC semble en principe intéressante, à condition que ces professeurs soient formés et accompagnés. En effet, selon la Cour des comptes, « le quasi-monopole de fait des enseignants d'histoire-géographie sert souvent de prétexte à leurs collègues pour s'en désintéresser. Ce mode d'attribution ne favorise pas le travail pluridisciplinaire prôné par les programmes ». La mission d'information souhaite le souligner : la transmission des principes de la République et la formation du citoyen doit être un projet partagé par l'ensemble de la communauté éducative. L'ensemble des disciplines, au-delà de l'EMC ou de l'histoire-géographie, fers de lance en la matière, ont leur rôle à jouer.

b) La question des outils pédagogiques, peu faciles à mobiliser

Le rapport de la Cour des comptes d'octobre 2021 sur l'éducation à la citoyenneté souligne que les outils pédagogiques dédiés à l'EMC sont nombreux et peu utilisés du fait de la multiplication des sites et du manque d'accompagnement des enseignants . Il semble en effet difficile, pour un enseignant novice, de s'y retrouver dans la profusion d'outils pédagogiques disponibles en ligne , plus particulièrement sur le Réseau Canopé . Ainsi, pour la seule école primaire, 19 pages internet relatives à l'enseignement moral et civique ont été identifiées en marge des travaux de la mission d'information, chaque page comportant une dizaine de références, sans véritable accompagnement pour sélectionner ces supports.

La mission d'information note avec intérêt la nouvelle mission du Réseau Canopé - historiquement l'éditeur de ressources de l'Éducation nationale - qui se voit désormais confier explicitement dans son nouveau contrat d'objectifs et de performances avec l'État une mission de formation des enseignants tout au long de la vie. Une direction de la formation vient d'ailleurs d'être créée au sein du Réseau Canopé et le site internet est en cours de refonte. Lors de son audition, la directrice générale du Réseau Canopé 39 ( * ) a précisé que Canopé était très attaché à permettre à tout enseignant de pouvoir proposer du contenu, même si, « à ce jour, ce principe n'a pas trouvé sa pleine application » . Plusieurs outils numériques ont été mis à la disposition des enseignants comme viaéduc , qui fonctionne comme un réseau social et permet aux enseignants d'échanger leurs bonnes pratiques, ou encore un outil permettant de créer des séquences pédagogiques thématiques et de les proposer à d'autres collègues.

Trois exemples de contenus innovants
pour rendre l'EMC moins abstrait

Voxapolis : un jeu de rôle développé à l'initiative d'enseignants, pour aider à mieux comprendre le fonctionnement de la République et le scrutin.

Les clés de la République : des capsules de trois minutes utilisables en classe et réutilisables par les parents et les enfants, abordant les thèmes de la gouvernance mondiale, l'ONU, la séparation des pouvoirs, les symboles de la République.

Un escape game autour des valeurs de la République.

(Source : audition de la directrice générale de Canopé )

On ne peut donc qu'espérer que les enseignants trouvent davantage de réponses à leurs questionnements sur ce site dont la richesse contribue à rendre plus complexe l'identification de sources pertinentes et priorisées.

c) La formation des enseignants, un point faible

Les travaux de la mission d'information ont mis en relief le point faible que constitue la formation des enseignants.

À de nombreuses reprises 40 ( * ) , le Sénat a pointé du doigt la faiblesse de la formation des enseignants, tant initiale que continue. Les budgets de formation continue connaissent une sous-exécution chronique. En 2019 41 ( * ) , à peine 71 % de celui-ci a été consommé (34,4 millions d'euros sur les 48,4 millions d'euros alloués).

L'EMC est particulièrement concerné en raison de ses spécificités.

Selon les informations transmises à la mission d'information, les épreuves de CAPES d'histoire-géographie ne comportent aucune épreuve d'enseignement moral et civique, alors même que celui-ci incombe plus particulièrement aux professeurs de cette discipline. Cela n'incite pas les Inspé à approfondir cet enseignement.

En outre, l'EMC n'étant pas une discipline universitaire, l'identification du formateur est parfois difficile. Certains Inspé sollicitent les inspecteurs pédagogiques d'histoire-géographie. Comme l'a souligné lors de son audition Jean-Pierre Obin, ancien inspecteur général de l'éducation nationale et auteur du rapport La formation des personnels de l'éducation nationale à la laïcité et aux valeurs de la République , « quid de la formation des professeurs chargés de dispenser cette éducation morale et civique, qui "émarge" à quatre disciplines universitaires ? Outre la formation méthodologique, il faut une formation sur les contenus : le droit, l'histoire, les sciences politiques et la philosophie politique » 42 ( * ) .

En matière de formation continue également, la formation fait défaut. Comme l'indique la note de l'inspection générale de l'éducation du sport et de la recherche (IGÉSR) de janvier 2020 sur le suivi de l'enseignement des fondamentaux à l'école primaire, « respecter autrui demeure une question d'enseignement non investie » . Elle constate notamment la faible place de la priorité « respecter autrui » dans les formations et l'accompagnement des enseignants, alors même que la demande des enseignants est forte.

Extraits de rapports de l'IGÉSR sur le suivi de l'enseignement des fondamentaux
à l'école primaire, notes d'étape n° 1 à 3 (note 2018-19 octobre 2018 ;
rapport n° 2019-013 mars 2019 ; rapport n° 2019-063 juillet 2019)

« Le seul domaine pour lequel l'effort reste clairement à accentuer est l'enseignement moral et civique, qui apparaît peu (en tout cas beaucoup moins) pris en compte dans les formations comme dans les suivis, soit que le terme « fondamentaux » renvoie d'abord à la lecture [...] et aux mathématiques, soit que l'accompagnement national par les ressources et les séminaires d'inspecteurs ait été moins fort » (note 2018-19).

« L'enseignement moral et civique apparaît quant à lui très peu dans les formations comme dans les suivis, la priorité "respecter autrui", lorsqu'elle est abordée, l'étant par le biais du traitement des problèmes de climat scolaire ». « La réduction presque systématique du précepte "respecter autrui" à la dimension du climat scolaire interroge sur sa portée exacte et le sens qu'il convient de lui donner : cette priorité recoupe-t-elle l'enseignement moral et civique dont le programme a été modifié sans que cela ait lieu à des formations voire même à de l'information ou doit-elle être considérée comme renvoyant à une approche plus globale, plus éducative que strictement pédagogique ? » (note 2019-013).

Les syndicats enseignants déplorent également ce manque de formation, initiale ou continue. Certains d'entre eux estiment que la formation continue en EMC est inexistante en tant que telle. Certes, il existe des formations pour répondre à une priorité nationale (éco-délégués, lutte contre le harcèlement scolaire, éducation à l'environnement, valeurs de la République,...), mais cela varie selon les académies. « L'EMC n'est pas une discipline mais un enseignement, et depuis sa création, on a beaucoup de mal à savoir qui pilote cet enseignement au niveau de l'inspection générale et des inspections pédagogiques académiques. De là la difficulté à avoir des propositions de formations cohérentes par rapport aux programmes d'EMC » . Un autre syndicat constate : « L'offre de formation continue en EMC est moins abondante que celle proposée pour les enseignements disciplinaires classiques. Elle est rarement priorisée par les corps d'inspection et par les enseignants dans la mesure où la priorité assumée est souvent celle liée à la maîtrise des programmes disciplinaires académiques. Les enseignants autres que ceux d'histoire-géographie sont rarement présents dans les formations d'EMC quand celles-ci sont proposées » 43 ( * ) .

Le graphique ci-dessous, extrait de l'enquête précitée, conduite au sein de leur établissement par des lycéens de Béziers, montre que les enseignants interrogés portent un regard critique sur l'enseignement de la citoyenneté - un jugement qu'ils partagent avec les élèves.

d) Un effort de formation principalement axé, au cours de la période récente, sur la transmission des valeurs de la République

À l'initiative du ministre, plusieurs mesures ont été prises afin de renforcer la transmission des valeurs de la République.

Le renforcement nécessaire
de la formation aux valeurs de la République

À l'occasion de l'examen du projet de loi de finances pour 2021, le Sénat avait souligné la nécessité de renforcer la formation des enseignants à la laïcité et aux valeurs de la République 44 ( * ) . En effet, selon un sondage Ifop de 2018 45 ( * ) , les ¾ des enseignants indiquaient ne pas avoir bénéficié de formation initiale sur la laïcité, et seulement 6 % en avaient bénéficié au titre de la formation continue - avec des résultats mitigés, puisque 40 % des participants n'en étaient pas satisfaits. Ce sondage mettait également en avant l'autocensure des enseignants : plus d'un sur trois indiquaient s'être déjà autocensuré pour éviter des incidents avec les élèves, cette proportion concernant la moitié des enseignants en REP.

Enfin, le rapport de l'IGÉSR sur l'application du principe de laïcité dans les établissements publics scolaires (IGÉSR n° 2019-115, novembre 2019) mettait en exergue un phénomène inquiétant : une appropriation trop limitée du principe de laïcité aux personnels de l'encadrement : « le principe de laïcité, la connaissance de ses racines historiques et juridiques et de sa signification, ainsi que ses règles d'application et sa portée restaient très lacunaires chez beaucoup d'enseignants, certes à des degrés très différents selon leurs disciplines d'enseignement (les professeurs d'histoire-géographie et EMC sont souvent mentionnés comme bien au fait de l'ensemble de ces questions). Plusieurs interlocuteurs de la mission ont en outre souligné que, pour un certain nombre d'enseignants, la conception de la laïcité et de son sens était davantage affaire de positionnement personnel, idéologique et politique, que de droit, ce qui pouvait entraîner des tensions dans l'équipe éducative, lorsque la question de son application dans l'établissement était évoquée ».

Au niveau de la formation initiale tout d'abord, la nouvelle maquette des concours de recrutement des professeurs inclut dans la nouvelle épreuve orale d'entretien une question relative à la laïcité et aux valeurs de la République, notamment par des mises en situation. Il s'agit de vérifier la « capacité du candidat à s'approprier ces valeurs et à les transmettre ». Par ailleurs, le ministère a publié un référentiel de compétences et un cahier des charges de la formation initiale à la laïcité et aux valeurs de la République, destinés aux Inspé. Ces deux mesures traduisent la volonté du ministre de l'éducation nationale qu'un « professeur ait des compétences de savoir et de transmission, mais il est aussi porteur des valeurs de la République au quotidien » 46 ( * ) .

À la suite du rapport de Jean-Pierre Obin sur la formation des enseignants aux valeurs de la République de mai 2021, un vaste plan de formation du personnel de l'Éducation nationale en matière de laïcité et de valeurs de la République est en cours de mise en place. À terme, 25 % des crédits dédiés à la formation continue seraient ainsi consacrés aux thèmes « laïcité et valeurs de la République » - contre 0,5 % actuellement.

Ce plan, intitulé « la formation des mille » (voir l'encadré ci-après) s'appuie sur une formation de mille professeurs et autres personnels de l'Éducation nationale, chacun étant ensuite chargé de former à son tour d'autres personnes. Au total, 250 000 personnes doivent bénéficier chaque année d'une formation de neuf heures.

La « formation des mille »

1 000 personnels de l'Éducation nationale (enseignants, CPE, personnels de direction, inspecteurs, personnels administratifs,....) bénéficient d'une formation de 60 heures, soit dix journées de formation. Ils ont ensuite pour mission de former leurs collègues dans chaque école et établissement scolaire (trois demi-journées de formation).

En outre, parmi ces 1 000 formateurs, 100 d'entre eux, sur la base du volontariat, ont la possibilité de bénéficier d'une formation renforcée (120 à 150 heures) en vue d'un diplôme universitaire (DU). Ils auront alors pour tâche de venir en appui des équipes « valeurs de la République » présentes dans chaque rectorat.

La mission d'information salue ce renforcement nécessaire de la formation des enseignants aux principes de la République. Elle souligne néanmoins que l'ensemble des dimensions de l'EMC ne doit pas être oublié dans cet effort.

e) La question des méthodes : la pédagogie du débat

Au cycle 4 (de la 5 e à la 3 e ), le Bulletin officiel préconise dans le cadre de l'EMC le recours à la « discussion réglée » et au « débat argumenté », qui ont une « place de premier choix pour permettre aux élèves de comprendre, d'éprouver et de mettre en perspective les valeurs qui régissent notre société démocratique ». Il est dit par ailleurs que l'EMC se prête particulièrement à des travaux « qui placent les élèves en situation de coopération et de mutualisation favorisant les échanges d'arguments et la confrontation des idées ».

Lors de son audition, Nathalie Mons, responsable du CNESCO, a insisté sur l'intérêt de cette méthode pour permettre aux élèves de s'approprier les usages du débat démocratique . Jean-Pierre Obin, inspecteur général honoraire de l'éducation nationale, a toutefois relativisé la pertinence de la « pédagogie du débat », qui permet selon lui d'éluder la formation des enseignants : « L'inspection générale d'histoire-géographie n'a pas été associée à l'examen et à l'évaluation des maquettes déposées par les Inspé cette année et agréées par les directions de l'enseignement scolaire et de l'enseignement supérieur. Il est aussi très difficile de savoir ce qui se passe dans les Inspé : devant cette difficulté, l'inspection générale d'histoire-géographie a réagi en développant la formation continue. Mais à qui faire appel ? Elle a contourné l'obstacle en proposant non pas des contenus, mais des formations méthodologiques très largement centrées sur ce qu'il est convenu d'appeler la pédagogie du débat ».

De plus, le recours régulier aux débats, outre qu'il pose la question, selon la mission d'information, de la transmission des savoirs indispensables à la compréhension du fonctionnement de la démocratie, comporte un risque réel car il est susceptible, selon Jean-Pierre Obin, « d'encourager le relativisme : toutes les opinions se valent ».

7. Un bilan peu satisfaisant
a) Entre horaires théoriques et « enseignement strapontin »

Les programmes prévoient en théorie 36 heures annuelles d'EMC au primaire, soit en moyenne une heure par semaine ; et une demi-heure par semaine en sixième. Pour tout le cycle 4 (de la 5 e à la 3 e ), aucun volume horaire n'est défini, l'EMC étant intégré au volume horaire hebdomadaire prévu pour l'histoire-géographie (3h30 en troisième, 3 heures en lycée).

Néanmoins, il ressort des auditions un non-respect de ces horaires. Les raisons sont plurielles :

- ces horaires sont utilisés pour finaliser les programmes des autres matières, principalement l'histoire-géographie dans le secondaire. Cette problématique d'horaires se retrouve également au primaire : selon les syndicats enseignants, 60 % du temps de classe est consacré au français et aux mathématiques, dans le cadre des priorités ministérielles. Il ne reste donc que 20 % du temps pour les autres disciplines - les 20 % restants étant consacrés à la gestion de classe ;

- les enseignants ne se sentent parfois pas armés pour aborder des questions sensibles. Selon un sondage de l'institut Ifop pour la Fondation Jean-Jaurès 47 ( * ) , toutes matières confondues, 49 % des enseignants se sont déjà préventivement censurés dans les enseignements des questions religieuses par crainte d'incidents avec des élèves. Si les enseignants de plus de soixante ans étaient 30 % à l'avoir fait, ce taux grimpait à 68 % pour les moins de trente ans ;

- les contrôles réalisés par les inspecteurs de l'Éducation nationale portent très rarement sur cette discipline, notamment au primaire, en raison de la priorité fixée par le ministre sur le français et les mathématiques.

En définitive, les réponses adressées à la mission d'information par les syndicats d'enseignants reflètent un regard sévère 48 ( * ) sur l'évaluation de l'EMC au brevet des collèges et au bac. Les syndicats critiquent notamment l'inadéquation entre le faible volume horaire accordé au lycée (18 heures par semaine) et les modalités d'évaluation. Quant au brevet des collèges, l'épreuve se limite à un contrôle succinct de connaissances et, selon eux, ne permet pas aux élèves d'exercer leur esprit critique. À ce sujet, plusieurs membres de la mission d'information ont fait part de leurs expériences, en tant qu'anciens personnels de l'Éducation nationale, ou d'élus allant à la rencontre de classe d'élèves : ont notamment été citées l'épreuve du brevet des collèges qui a consisté une année à entourer les photos de bâtiments n'arborant pas un drapeau français ou encore la méconnaissance du rôle et du fonctionnement d'un conseil municipal par un étudiant de classe préparatoire.

b) Une ignorance des institutions largement répandue chez les élèves

Réformes fréquentes des contenus, ambitions démesurées par rapport aux horaires de fait, enseignants insuffisamment formés : ces constats font de l'EMC une matière dont le « statut, dans les pratiques scolaires, apparaît relativement fragile » 49 ( * ) .

Il résulte de cette fragilité une faiblesse du niveau des élèves à l'égard du fonctionnement des institutions, tant nationales que locales , dont la mission d'information a fait le constat à diverses reprises. Plusieurs membres de la mission d'information ont fait part de leurs expériences, en tant qu'anciens personnels de l'Éducation nationale ou d'élus allant à la rencontre de classe d'élèves de collèges et lycées : ces échanges avec les jeunes soulignent l'ignorance de nombre de nos jeunes compatriotes sur le rôle des élus et la loi républicaine. Parmi ces témoignages, on note la méconnaissance du rôle et du fonctionnement d'un conseil municipal par un étudiant de classe préparatoire. Ce point a été confirmé par un professeur de droit, à propos de ses étudiants de première année : « Enseignant à l'université, je note le manque de culture des étudiants de première année de droit sur le fonctionnement des institutions : ils ne maîtrisent pas du tout les enjeux de la V e République. Leur apporter une culture sur le fonctionnement des institutions et le rôle des élus serait une façon de les motiver à aller voter » 50 ( * ) .

Les témoignages recueillis par la mission d'information confirment ces constats.

Une volontaire du service civique 51 ( * ) a ainsi souligné un « sentiment d'illégitimité » ressenti par les jeunes, qui ne se trouvent pas « suffisamment éduqués politiquement, à l'école ou ailleurs » : « J'ai personnellement fait des études en sciences politiques et je ne peux pas vous dire exactement comment fonctionne le Sénat, l'Assemblée, etc. Alors je vous laisse imaginer pour un collégien ou un lycéen ! ». Selon ce témoignage, une telle ignorance induit des conséquences sur le fonctionnement de la démocratie en induisant le « désengagement » ou un « désintérêt » des jeunes et en encourageant la persistance de « la verticalité du système et le manque de participation des jeunes ».

Le témoignage d'une jeune élue de 33 ans, recueilli sur la plateforme du Sénat en réponse à la consultation entreprise par la mission d'information entre janvier et février 2022, a confirmé la nécessité de mieux faire connaître des jeunes le travail des élus : « Je me rends compte que je découvre la société dans laquelle nous vivons, la politique et la sphère publique depuis que j'ai été élue. Ce que je constate, c'est que je vote depuis mes 18 ans sans vraiment comprendre le système dans lequel nous évoluons. Je me rends compte à présent de la méconnaissance de ma génération dans les domaines d'éducation civique et politique. Je pense que cela crée de l'incompréhension, de la déception et un rejet de la politique » 52 ( * ) .

Dans le même esprit, les volontaires à l'insertion rencontrés lors de la visite de l'Épide de Combrée dans le Maine-et-Loire, le 24 février 2022, ont déclaré ne pas avoir souvenir de l'EMC, alors qu'ils avaient tous fréquenté le collège et étaient allés pour certains jusqu'au bac.

Lors d'une table ronde avec de jeunes ultramarins engagés dans les conseils de jeunes, l'une des participantes a estimé que « l'enseignement moral et civique devrait permettre une connaissance plus soutenue des jeunes des institutions et les informer plus précisément sur les dispositifs et services qui sont mis à leur disposition (...) » : « Je pense que l'aspect "citoyen" de l'enseignement moral et civique devrait être davantage développé » 53 ( * ) , a-t-elle fait valoir.

Les élus locaux consultés par la mission d'information sur la plateforme du Sénat en janvier et février 2022 54 ( * ) , faisant le constat d'une ignorance largement répandue du fonctionnement des institutions , en lien avec des relations dégradées entre les élus et leurs concitoyens, ont à de nombreuses reprises appelé à un renforcement de l'« éducation civique » classique et à des contacts réguliers et directs entre élèves et élus. Ils considèrent également qu'une meilleure connaissance du fonctionnement des institutions constitue l'un des leviers à mobiliser pour encourager la participation des jeunes dans la vie locale (voir l'encadré ci-après).

L'éducation civique et la connaissance des institutions : un levier essentiel pour renforcer le civisme et encourager les jeunes à s'impliquer dans la vie locale,
selon les élus locaux consultés sur la plateforme du Sénat

De janvier à février 2022, la mission d'information s'est adressée aux élus locaux via le site internet du Sénat pour recueillir leurs témoignages sur des sujets aussi divers que le renforcement de la participation des jeunes à la vie locale, la consultation des citoyens par les collectivités territoriales, les conseils de jeunes, le service civique ou les incivilités à l'encontre des élus.

Le renforcement de l'éducation civique est très fréquemment mentionné comme un levier essentiel pour renforcer le civisme et intéresser les jeunes à la vie politique locale.

Cet enseignement doit toutefois, selon les élus, être repensé de manière à :

- porter davantage sur le fonctionnement des institutions : « Je pense qu'il y a un besoin urgent de sensibiliser de façon accessible et pédagogique sur des notions basiques telles que “qu'est-ce que la démocratie”, les compétences communales, intercommunales, départementales, régionales, les droits et des devoirs du citoyen, le rôle des élus mais aussi les limites de leur fonction, l'importance de l'administration, le lien entre les agents publics et les élus, etc... » ;

- ne pas se limiter au cadre scolaire , mais s'appuyer aussi sur des échanges directs avec les élus , plus particulièrement municipaux, dans les classes mais aussi dans les mairies : « Travailler avec les écoles, collèges et lycées, ouvrir la mairie, faire visiter, aller parler de son engagement dans les classes, rendre la politique locale plus proche, plus accessible » ; « Je suis moi-même un maire de moins de 30 ans. Chose assez rare. Je pense qu'il faut aller dans les écoles, les collèges, les lycées afin d'expliquer comment fonctionnent nos institutions. J'essaie de le faire dès que j'en ai l'occasion, c'est un moment d'échange essentiel et souvent bien accueilli par des jeunes qui ne connaissent pas nos fonctions ».

L'intérêt de visites de l'Assemblée nationale et du Sénat est également mentionné pour mieux faire connaître des jeunes le fonctionnement des institutions.

Une réponse suggère en outre des « journées de découverte citoyenne à l'école primaire et au collège (rencontre avec des élus, visite auprès de la mairie sur un thème particulier, exposé à faire sur un sujet civique avec interviews d'élus) ».

De manière générale, l'idée est de valoriser l'implication des élus , de « démystifier la vision d'élus (qui seraient) au-dessus des citoyens » et de rappeler aux jeunes que « la vie locale est incarnée par des visages humains ».

Pour sa part, l'enquête réalisée par la Cour des comptes dans le cadre de son rapport sur la formation à la citoyenneté, d'octobre 2021, montre une fracture parmi les élèves, notamment pour ceux les plus en difficulté : « au collège comme au lycée, la proportion d'élèves en difficulté sur le parcours citoyen est supérieure à ce que l'on observe dans les autres disciplines » 55 ( * ) . L'échange particulièrement enrichissant qu'ont pu avoir le rapporteur, le président et plusieurs membres de la mission avec des élèves de terminale du lycée Henri IV à Béziers confirme les difficultés de cet enseignement. Son programme a été qualifié tant par les élèves que par le corps enseignant de « rébarbatif » et « abstrait », ne permettant pas aux élèves de s'investir, d'éveiller leur curiosité.

La mission d'information préconise, pour rendre ses enseignements plus concrets et renforcer la connaissance par les élèves des institutions et de la vie démocratique, d'encourager les échanges entre élus et élèves . Par ailleurs, de nombreux élèves ne font pas le lien entre institutions, vie démocratique et services ou droits sociétaux dont ils bénéficient au quotidien ainsi que leurs familles (éducation et soins gratuits, égalité homme-femme, liberté d'expression, ..). Il est important de mieux leur faire connaître.

Extraits des résultats de l'enquête précitée, réalisée par les élèves de terminale suivant l'option « droit et grands enjeux du monde contemporain » du lycée Henri IV
de Béziers, auprès de leurs camarades, sur la culture citoyenne

Seuls 34 % des élèves pensent que l'école forme bien à la citoyenneté, alors même que 82 % d'entre eux estiment que la culture citoyenne doit être enseignée à l'école. L'école « censée nous éclairer », « n'apprend pas vraiment comment vivre en société » ni « les droits et devoirs », et « la culture citoyenne en est absente ». « Elle n'apprend pas assez l'histoire et la laïcité », et « devrait davantage nous apprendre nos droits de citoyens » et « nous inciter à aller voter ». Lors des échanges avec les membres de la mission d'information, l'un des jeunes a ainsi regretté qu'il n'y ait pas, dès la classe de seconde, plus d'informations données sur le vote et l'inscription sur les listes électorales.

Le constat sur l'enseignement moral et civique est tout aussi sévère. 52 % des élèves estiment que l'EMC ne forme pas bien à la citoyenneté. La note moyenne attribuée par les élèves au programme d'EMC est de 2,5 sur 5, les élèves de terminale étant ceux les moins satisfaits par ce programme. Ils demandent de « vrais cours d'EMC, distincts de ceux d'histoire », « un programme plus étoffé et plus utile, par exemple former à devenir adulte - documents administratifs, .... », « des professeurs formés à l'EMC », ou encore davantage de débats (80 %). Près d'un élève sur deux souhaiterait davantage d'heures de cours consacrées à la citoyenneté et une majorité d'élèves souhaiterait donner davantage de poids au baccalauréat tant à l'EMC qu'à l'option droit et grands enjeux du monde contemporain.

La mission sénatoriale salue le travail réalisé par ces élèves avec leur professeur à l'occasion de cette enquête, qui constitue un témoignage précieux sur leur ressenti du rôle de l'école dans la transmission de la culture citoyenne et de la qualité de l'EMC.

De fait, peu de travaux de recherche permettent d'évaluer la manière dont l'EMC est mis en oeuvre et ses effets sur les élèves. Ce constat impose une véritable évaluation de la discipline 56 ( * ) , d'autant plus que le ministère a souhaité renforcer les évaluations nationales pour les autres savoirs fondamentaux.


* 17 Article L. 111-1 du code de l'éducation.

* 18 Compte rendu du 9 février 2022.

* 19 Géraldine Bozec, Éducation à la citoyenneté à l'école - politiques, pratiques scolaires et effets sur les élèves , CNESCO, avril 2016.

* 20 Géraldine Bozec, op. cit .

* 21 Coefficient 1 pour les notes de première et coefficient 1 pour les notes de terminale.

* 22 Géraldine Bozec, op. cit.

* 23 Rapport n° 2019-063 de l'IGÉSR sur le suivi de l'enseignement des fondamentaux à l'école primaire, juillet 2019.

* 24 Figurent également dans la partie législative du code de l'éducation : les langues vivantes étrangères (article L. 312-9-2) et régionales (articles L. 312-10 à L. 312-11-2), la langue des signes (article L. 312-9-1), l'éducation artistique et culturelle (articles L. 121-6, L. 312-5 à L. 312-8), l'éducation physique et sportive (articles L. 121-5, L. 312-1 à L. 312-4), la technologie (article L. 121-7), l'éducation à l'environnement et au développement durable (article L. 121-8 et L. 312-19), l'enseignement de la défense (article L. 312-12), les enseignements de la sécurité (articles L. 312-13 à L. 312-13-2), l'enseignement des problèmes démographiques (article L. 312-14), l'éducation à la santé et à la sexualité (articles L. 312-16 à L. 312-17-2), l'éducation à l'alimentation (article L. 312-17-3) et la prévention et l'information sur les conduites addictives (article L. 312-18).

* 25 Bulletin officiel n° 31 du 30 juillet 2020 définissant les programmes d'enseignement des cycles 2, 3 et 4.

* 26 Entre autres notions déclinées : la primauté de la Constitution, la protection internationale des droits de l'Homme, la démocratie locale, la Nation et l'Europe, l'égalité des citoyens devant la loi, la liberté de conscience et la laïcité, la naissance des droits sociaux et l'égalité femmes-hommes.

* 27 « Les fragilités liées aux transformations sociales (cadre de vie, « assignation résidentielle » et « phénomène des quartiers) », les « fragilités liées aux mutations économiques (régions en crise, chômage, transformation du monde du travail, inégalités et expression du sentiment de déclassement) ; la « défiance vis-à-vis de la représentation politique et sociale et vis-à-vis des institutions » et les « nouvelles formes d'expression de la violence et de la délinquance » (incivilités, cyberharcèlement, agressions physiques). . Sont également développés les réseaux sociaux et les fake news , les « communautés virtuelles et la communauté réelle », les « mécanismes d'enfermement et de mise en danger » ainsi que les « nouvelles causes fédératrices : défense de l'environnement, protection de la biodiversité, réflexion nouvelle sur la cause animale ».

* 28 Compte rendu du 25 janvier 2022.

* 29 La démocratie athénienne, la laïcité, les « règles et rituels du vote », la démocratie en Amérique et en Europe ainsi que « les transitions démocratiques en Europe du Sud et de l'Est, en Afrique du Sud et en Amérique latine » figurent parmi les thèmes susceptibles d'être abordés, avec, sous la rubrique « Repenser et faire vivre la démocratie », des questions telles que « Les conditions du débat démocratique : médias, réseaux sociaux, information », « Démocratie, exemplarité et transparence : (...) les mesures visant la moralisation de la vie publique et « Le citoyen et la politique sociale : le droit du travail, la représentation des salariés, le dialogue social ».

* 30 Contribution écrite d'un syndicat enseignant. La mission d'information note les différences de point de vue qu'expriment les syndicats dans leurs contributions écrites.

* 31 Compte rendu du 25 janvier 2022.

* 32 Compte rendu du 25 janvier 2022.

* 33 La mission d'information rappelle que les manuels scolaires ne sont pas les programmes scolaires : les éditeurs bénéficient d'une liberté éditoriale. La reprise des programmes scolaires s'inscrit dans une démarche commerciale et éditoriale, afin que le manuel soit choisi par les professeurs.

* 34 Éducation aux médias et à l'actualité : comment les élèves s'informent-ils ? , le zoom du CNESCO, 21 février 2019.

* 35 Voir en annexe le compte rendu de ce déplacement.

* 36 Un questionnaire a été déposé sur la page Facebook des Clionautes , association de professeurs d'histoire, transmis à la liste de diffusion « éco-gest », qui regroupe des professeurs d'économie-gestion ainsi qu'à la liste de diffusion de l'APSES, association de professeurs de sciences économiques et sociales.

* 37 Compte rendu du 23 février 2022.

* 38 Les effets des choix des élèves en lycée général et technologique sur les services des enseignants, DEPP, note 21.37, novembre 2021.

* 39 Compte rendu du 15 février 2022.

* 40 Notamment dans le cadre de l'examen budgétaire pour 2021 de la mission « enseignement scolaire ».

* 41 En raison de la pandémie, de nombreuses formations en 2020 et 2021ont été annulées ou reportées. Les taux d'exécution des budgets de formation en 2020 et 2021 ne sont pas pertinents.

* 42 Voir le compte rendu du 4 janvier 2022.

* 43 Contributions écrites de syndicats enseignants. La mission d'information remercie les syndicats enseignants de l'Éducation nationale et de l'enseignement agricole pour leurs réponses et prend acte des différences de points de vue sur l'EMC et la culture citoyenne qui peut exister entre eux.

* 44 Rapport pour avis n° 143 sur la mission « enseignement scolaire », Jacques Grosperrin, PLF 2021, Sénat, 2020-2021.

* 45 Les enseignants et la laïcité , sondage Ifop, 2018.

* 46 Compte rendu du 9 février 2022.

* 47 Les enseignants de France face aux contestations de la laïcité et au séparatisme , Fondation Jean-Jaurès, 6 janvier 2021.

* 48 Contributions écrites de syndicats d'enseignants reçues dans le cadre de la mission d'information.

* 49 Géraldine Bozec, op. cit.

* 50 Compte rendu du 29 mars 2022.

* 51 Compte rendu du 1 er février 2022.

* 52 Voir en annexe le commentaire complet des réponses adressées à la mission sur la plateforme de consultation des élus locaux.

* 53 Voir le compte rendu du 29 mars 2022.

* 54 Voir en annexe le commentaire complet des réponses adressées à la mission d'information.

* 55 C'est notamment le cas de la thématique « la formation de la personne et du citoyen » pour laquelle les moyennes en dessous de 10 sont plus nombreuses que dans d'autres disciplines (10,5 % des élèves obtiennent une note inférieure à 10 dans cette matière, contre 5,1 % des élèves pour les autres matières).

* 56 Géraldine Bozec, op. cit .

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