III. RENFORCER LE LIEN ENTRE CITOYENNETÉ ET INSERTION

La mission d'information a souhaité faire porter sa réflexion sur le lien entre l'appropriation des valeurs citoyennes et l'insertion sociale et professionnelle et, plus généralement, l' égalité des chances .

Elle s'est donc intéressée à des dispositifs d'insertion inspirés de l'institution militaire , tels que l' Épide et le service militaire volontaire , qui font partie des structures d'accompagnement des jeunes répondant à une logique d'égalité des chances. Elle a constaté que ces dispositifs faisaient une large part à la formation citoyenne des jeunes qu'ils accueillent et que cette formation contribue à leur réussite en matière d'insertion sociale et professionnelle.

Cette dimension n'est pas spécifique à ces dispositifs hérités des armées qui, par ailleurs, ne concernent que des effectifs très limités de jeunes. En effet, les parcours mis en place par les missions locales , qui interviennent à une échelle beaucoup plus importante, soulignent eux aussi l'intérêt de la formation civique et citoyenne, considérée par le réseau des missions locales comme une priorité et une condition de l'autonomie des jeunes.

La mission d'information a également souhaité réfléchir à une prise de conscience citoyenne dans le cadre d'un processus de responsabilisation des élèves exclus temporairement de leur établissement.

Elle s'est aussi intéressée, dans un autre registre, au rôle des stages de citoyenneté imposés dans le cadre judiciaire, comme processus de responsabilisation en réponse à des comportements inappropriés.

A. LA FORMATION CITOYENNE, UNE CONDITION DE L'ÉGALITÉ DES CHANCES

1. La formation à la citoyenneté dans les dispositifs d'insertion d'inspiration militaire et les missions locales
a) L'Établissement pour l'insertion dans l'emploi (Épide) : un parcours citoyen renforcé, un modèle à encourager

Le dispositif « défense deuxième chance » , annoncé en juin 2005 dans le prolongement de la loi du 18 janvier 2005 de programmation pour la cohésion sociale, a été confié à l'Épide, établissement public administratif de l'État placé sous la triple tutelle des ministres chargés de la défense, de l'emploi et de la ville. Sa mission, précisée par l'ordonnance du 2 août 2005 81 ( * ) , consiste à accompagner vers l'insertion sociale et professionnelle des jeunes sans diplôme ou en voie de marginalisation sociale. Si le ministère de la défense a eu un rôle décisif dans le lancement de l'Épide, les ministères de la ville et de l'emploi exercent de fait actuellement la tutelle de l'établissement.

L'institution militaire et l'insertion des jeunes

Le service national a contribué à faire de l'institution militaire l'« instrument unique d'observation et d'évaluation sociale » analysé par un précédent rapport sénatorial intitulé de manière éclairante La défense et l'insertion des jeunes : apprendre à réussir 82 ( * ) .

La professionnalisation des forces a ainsi suscité des inquiétudes bien compréhensibles sur le risque d'une perte de compétence en matière de repérage et d'orientation des jeunes en difficulté, que l'on qualifie aujourd'hui de « décrocheurs » : « Lorsque la suspension de la conscription a été décidée, de nombreuses voix ont alerté les autorités pour rappeler que le signalement des jeunes en difficulté et la lutte contre l'illettrisme en souffriraient » 83 ( * ) .

Ce savoir-faire reconnu aux armées en matière d'intégration, hérité de la conscription 84 ( * ) , a toutefois perduré dans une certaine mesure après la suspension de la conscription, à travers :

- le maintien du service militaire adapté (SMA), destiné aux jeunes ultramarins 85 ( * ) ;

- la création en 2005, dans le cadre du dispositif « défense deuxième chance », de l'Établissement public d'insertion de la défense (Épide), devenu Établissement pour l'insertion dans l'emploi 86 ( * ) ;

- puis la mise en place, en 2015, du service militaire volontaire (SMV).

Outils d'insertion sociale et professionnelle dédiés aux jeunes publics fragiles et ouverts aujourd'hui aux jeunes filles, contrairement à l'ancien service national obligatoire, l'Épide et le SMV offrent aux jeunes un accompagnement spécifique, favorisé par l'internat et par une discipline inspirée du cadre militaire, qui s'incarne notamment par le port d'une tenue uniforme.

Selon les informations transmises par le ministère des armées, plus de 42 000 jeunes ont, en 2021, été informés de l'existence de l'Épide lors de la journée défense et citoyenneté (JDC).

Selon la directrice générale de l'Épide, les jeunes que l'établissement a vocation à accueillir « cumulent le plus de fragilités » : outre leurs « fragilités sociales, ils ont des problèmes de ressources, ils sont souvent en rupture familiale, ils ont des difficultés de santé, des fragilités psycho-sociales, ils sont souvent fâchés avec la société, ils ont perdu leurs repères, en particulier temporels » 87 ( * ) .

Ces constats justifient un encadrement intensif des volontaires , avec un effort particulier sur le taux d'encadrement, qui atteint un professionnel pour 2,5 jeunes 88 ( * ) . L'une des spécificités du dispositif repose également sur une « prise en charge à 360 degrés (...) dans une unité de temps et de lieu », et sur un accompagnement pluridisciplinaire qui comprend « un diagnostic social, un diagnostic psychologique, un diagnostic en santé, un diagnostic en matière d'insertion professionnelle et sur le comportement » 89 ( * ) . La méthode de l'Épide s'appuie donc sur une réponse individualisée aux multiples difficultés que rencontrent les volontaires.

Lors du déplacement effectué par la mission à l'Épide de Combrée, dans le Maine-et-Loire 90 ( * ) , la directrice du centre a insisté sur le courage des volontaires à l'insertion, qui prennent le risque de « sortir de leur zone de confort » en rejoignant un internat où ils seront soumis à une discipline stricte (réveil à six heures, coucher à vingt-deux heures, hébergement collectif, accès restreint à Internet...).

De fait, l'accompagnement des jeunes s'appuie sur des codes pour partie inspirés de l'institution militaire, notamment la cérémonie quotidienne du lever des couleurs.

La visite du centre de Combrée a permis de constater la qualité de l'encadrement des jeunes dans les centres Épide et de mesurer l'engagement constant et la remarquable implication des personnels, auxquels la mission d'information tient à rendre hommage.

Les jeunes admis à l'Épide souscrivent un contrat de volontariat à l'insertion. Ils sont accueillis à partir de 17 ans depuis le dernier trimestre de 2021 (18 ans jusqu'alors). Autre nouveauté, le dispositif, dédié initialement aux non-diplômés, s'est ouvert récemment aux jeunes diplômés menacés par la précarité : comme l'a fait observer la directrice générale de l'Épide lors de son audition, « Nous avons constaté que de jeunes bacheliers pouvaient avoir connu une rupture et être en voie de marginalisation, par exemple parce que "Parcoursup" ne leur avait pas ouvert une place dans la formation qu'ils demandaient » 91 ( * ) . Entre octobre et décembre 2021, 114 mineurs et 67 bacheliers ont ainsi été admis ; ces nouveaux publics ont représenté 20 % des 876 volontaires intégrés au cours de cette période. L'objectif est par ailleurs d'assurer progressivement l'ouverture de certains centres le week-end, afin de prendre en compte les difficultés des jeunes qui ne disposent pas de solution d'hébergement stable en fin de semaine.

L'accompagnement dont bénéficient les volontaires à l'insertion peut se poursuivre après la fin du contrat. Cette faculté s'adresse aux jeunes qui, ayant trouvé un emploi, sont confrontés à des difficultés d'accès à un logement : l'article L. 130-2 du code du service national permet un contrat de soutien de trois mois, au titre duquel l'ancien volontaire à l'insertion reste temporairement hébergé à l'Épide. Cette possibilité concernait environ 10 % des volontaires et 25 % des sorties en emploi en 2019.

L'Épide : chiffres-clés

- 20 centres Épide répartis sur l'ensemble du territoire métropolitain

- Ouvert sur la base du volontariat aux jeunes âgés de 17 à 25 ans

- 2 848 jeunes admis à l'Épide au cours de 2021 (4 583 jeunes accompagnés pendant cette année compte tenu des 1 735 volontaires présents au 1 er janvier) ; 72 % d'admission de plus qu'en 2020 et 23 % de plus qu'en 2019

- 29% des volontaires sont des femmes

- Durée moyenne de l'accompagnement : huit mois

- Indemnité mensuelle attribuée aux volontaires à l'insertion : 450 euros depuis le début de 2022, auxquels s'ajoutent 50 euros par mois remis aux volontaires lors de leur départ (jusqu'à la fin de 2021 : 210 euros + 90 euros)

- 12 % des volontaires ayant quitté l'Épide depuis deux ans et demi ont rejoint « l'armée, la police ou la sécurité publique » 92 ( * )

- en 2019, 23 % des volontaires déclaraient avoir été pris en charge par l'Aide sociale à l'enfance (ASE) avant d'intégrer l'Épide

- Sorties anticipées de l'Épide : 36 % en 2021 (30 % à l'initiative des jeunes ; 6 % à l'initiative du centre)

Les résultats en matière d'insertion sont favorables, a fortiori si l'on considère la précarité particulière dans laquelle se trouvent certains bénéficiaires du dispositif au moment de leur entrée : le taux de sorties « positives » (emploi, formation ou réorientation) s'établit en effet à 64 % en 2021 93 ( * ) . Comme l'a fait observer un jeune volontaire à l'insertion rencontré par la mission d'information à l'Épide de Combrée : « Ici tu es obligé de partir avec quelque chose. Ailleurs on te laisse partir sans rien » 94 ( * ) , soulignant ainsi la qualité de l'accompagnement personnalisé offert aux jeunes dans le cadre de l'Épide.

Ce succès tient pour partie à l'importance attachée à la formation citoyenne des volontaires à l'insertion , composante décisive de l'accompagnement des jeunes. La formation citoyenne est « au coeur de l'offre de service de l'Épide depuis 2005 », selon les informations communiquées à la mission d'information. Cette formation est sanctionnée par la délivrance d'une attestation de parcours citoyen de l'Épide (APCE), remise solennellement aux titulaires lors de cérémonies permettant de valoriser leurs efforts. Selon la directrice générale de l'Épide, l'éducation à la citoyenneté s'inscrit dans un cadre « strict, mais bienveillant » . Elle consiste à « accueillir, faire confiance, donner de la reconnaissance » ; « dire (aux jeunes) qu'ils ont leur place dans la République est une démarche essentielle. C'est le premier message qu'ils reçoivent en arrivant à l'Épide. Nous leur disons que nous représentons la République et que la République ne veut laisser personne au bord du chemin » 95 ( * ) .

Cette formation contribue également à faire des volontaires à l'insertion des atouts pour leurs futurs employeurs , car « les compétences développées dans le cadre de ce parcours sont transférables dans le monde de l'entreprise » 96 ( * ) .

Le « parcours citoyen » est ainsi ancré dans une pratique quotidienne et concrète . Son renforcement, décidé en 2015, s'est traduit par la création dans les centres Épide d'un service et de postes dédiés. Destiné à assurer l'autonomie des jeunes, il comporte des exercices pratiques tournés vers l'organisation de la vie quotidienne (formalités administratives, gestion du budget...). La cérémonie matinale de levée des couleurs constitue par ailleurs un temps fort de la journée, qui permet d'enseigner les symboles de la République et plus particulièrement La Marseillaise . Le parcours citoyen prévoit aussi des modules théoriques visant la connaissance des institutions locales et nationales, ainsi qu'une sensibilisation au devoir de mémoire. Selon les informations réunies lors du déplacement du 24 février 2022 à Combrée, certains volontaires sont conduits à participer aux commémorations nationales (en assistant par exemple au ravivage de la flamme sous l'arc de triomphe) et à la cérémonie du 14 juillet. Le parcours citoyen, également tourné vers la valorisation de l'engagement, comporte enfin « des actions citoyennes à réaliser auprès d'associations : lutte contre la pauvreté, préservation de l'environnement, appui aux personnes en situation de handicap. L'idée est qu'ils soient des citoyens engagés au service des autres » 97 ( * ) .

Selon les informations transmises par l'Épide à la mission d'information et selon les témoignages recueillis lors de la visite de l'établissement de Combrée, l'établissement pâtit encore d'une visibilité insuffisante parmi les dispositifs proposés aux jeunes sans qualification ni diplôme et auprès des opérateurs chargés de l'orientation des jeunes. Le nombre de volontaires à l'insertion, inférieur à 3 000, reste très inférieur aux objectifs définis lors de la création du dispositif : 10 000 jeunes pour 2006, 20 000 à l'échéance de 2007.

Pourtant, le modèle de l'Épide gagnerait à être développé.

L'institution militaire s'emploie à faire connaître l'Épide à l'occasion de la JDC : la direction du service national et de la jeunesse du ministère des armées a indiqué à la mission d'information avoir informé 42 616 jeunes décrocheurs de l'existence de l'établissement en 2021, lors des entretiens individuels proposés aux jeunes en difficultés repérés au cours de la JDC.

Selon la directrice générale de l'Épide, accueillir davantage de jeunes volontaires à l'insertion ne saurait passer par une réduction de la durée des séjours, sauf à dégrader la qualité de l'accompagnement. L'augmentation du nombre de volontaires à l'insertion implique donc d'améliorer l'attractivité du dispositif.

Les évolutions décidées dans le cadre de la « feuille de route 2022-2024 » de l'établissement (augmentation de l'indemnité versées aux volontaires à l'insertion, accueil de nouveaux publics et ouverture d'une offre d'hébergement continu) devraient permettre de rehausser l'attractivité de l'Épide, notamment par rapport à la garantie jeunes puis au contrat d'engagement jeune 98 ( * ) , et d'augmenter le nombre de jeunes accompagnés par ce dispositif chaque année. Les mesures identifiées par la direction générale de l'Épide pour rendre le dispositif plus attractif auprès des jeunes filles peuvent aller dans le même sens.

L'insuffisante visibilité de l'Épide parmi les dispositifs d'insertion des jeunes demeure cependant une réelle difficulté.

L'intégration de l'Épide dans le contrat d'engagement jeune (CEJ) créé en mars 2022 pourrait être une opportunité pour l'Épide de progresser en notoriété. Cette évolution favorable suppose toutefois qu'une campagne d'information dynamique favorise la visibilité de l'Épide parmi tous les dispositifs ayant vocation à accueillir les jeunes décrocheurs. Or le site « un jeune, une solution » ne met pas spécifiquement en valeur l'Épide sur la page dédiée au contrat d'engagement jeune , à laquelle on accède par l'onglet « aide et accompagnement ». De manière générale, il est difficile de trouver des informations en ligne sur l'Épide si l'on ne connaît pas déjà ce dispositif.

Une autre piste d'amélioration pourrait privilégier un rééquilibrage géographique , le maillage territorial de l'Épide étant hérité des implantations des casernes militaires où ont été installés de nombreux centres. Cette évolution permettrait d'atteindre des jeunes issus de régions où le nombre de places reste limité (210 en PACA, 150 en Nouvelle Aquitaine, 660 dans les Hauts-de-France) : « une dizaine de départements nous ont envoyé moins de cinq jeunes en cinq ans, ce qui tient à notre maillage territorial encore trop faible » 99 ( * ) . De plus, une réflexion sur le modèle des centres pourrait faire évoluer le dispositif vers de plus petites structures, grâce à une collaboration avec les collectivités territoriales qui sont « souvent demandeuses de l'installation d'un centre Épide » 100 ( * ) .

b) Le service militaire volontaire (SMV) : une large place à la formation citoyenne

Inspiré du service militaire adapté (SMA), dispositif d'insertion dédié aux jeunes ultramarins (voir l'encadré ci-après), le service militaire volontaire (SMV) est un dispositif d'insertion sociale et professionnelle créé à titre expérimental par la loi de programmation militaire 2015-2019 101 ( * ) et pérennisé par la loi de programmation militaire (LPM) 2019-2025 102 ( * ) . Il est placé sous l'autorité du ministre chargé de la défense.

Le SMA, un dispositif original d'insertion sous statut de volontaire
dans les armées, destiné aux jeunes ultramarins

En premier lieu, le service militaire adapté (SMA) est un dispositif d'insertion social original, placé sous l'autorité du ministre des outre-mer 103 ( * ) .

Dirigé par un officier général détaché des armées, le commandement du service militaire adapté (SMA) s'appuie sur les 1 100 militaires mis à disposition du dispositif par le ministère en charge de la défense 104 ( * ) . Ce dispositif ouvert en 1961 en Martinique, en Guadeloupe et en Guyane est désormais implanté dans sept territoires ultramarins (Martinique, Guadeloupe, Guyane, La Réunion, Nouvelle-Calédonie, Mayotte, Polynésie française).

Ouvert sur le fondement du volontariat aux jeunes ultramarins âgés de 18 à 25 ans éloignés de l'emploi, ce dispositif a accueilli 4 192 bénéficiaires au cours de l'année 2020, avec un taux d'insertion de 76,2 %. Dans le cadre de leur accueil dans un régiment du service militaire adapté (RSMA), les bénéficiaires reçoivent une formation à la citoyenneté qui comprend une phase théorique et une phase pratique. Cette phase pratique, fondée sur le respect de cinq règles impératives de « savoir-être » (être à l'heure ; agir en sécurité ; travailler en équipe ; avoir la bonne tenue ; respecter mes chefs et mes camarades) constitue un des leviers de l'insertion sociale des jeunes accueillis par le dispositif.

Dans leur rapport de 2019 Le service militaire adapté : un dispositif indispensable au développement des outre-mer 105 ( * ) , nos collègues Nuihau Laurey et Georges Patient rappellent que les objectifs du plan « SMA 6000 », lancé en 2009 pour doubler les effectifs accueillis (soit 3 000 jeunes par an), ont été atteints en 2017. Ils constatent le bilan positif du SMA en matière d'insertion (entre 74 et 77% au cours des dernières années), alors que les jeunes concernés ont un profil particulièrement éloigné de l'emploi (un tiers des promotions est constitué de non-diplômés). Ils font observer que la forte demande caractérisant certains territoires (Mayotte, Nouvelle-Calédonie, Polynésie française) peut s'y traduire par des « taux de sélection anormalement élevés ». Ils relèvent également une baisse alarmante du taux d'encadrement, sauf à La Réunion, susceptible de « mettre en péril » tant les résultats du SMA que la sécurité de ses activités.

Ils appellent ainsi, entre autres recommandations, à une augmentation du taux d'encadrement des unités prenant en compte l'évolution du format des promotions, à un allongement de la durée des formations pour favoriser une « employabilité durable » des volontaires et à un renforcement du suivi des jeunes à l'issue du SMA.

Ils estiment enfin que, malgré des différences importantes entre le SMA et le futur service national universel (SNU), des synergies pourront être trouvées entre les deux formes de service, tout en concluant à la nécessité de réaffirmer « la singularité et l'indépendance du SMA », centré sur l'insertion professionnelle.

Selon la loi du 13 juillet 2018 relative à la programmation militaire pour les années 2019 à 2025 (article 32) 106 ( * ) , le SMV s'adresse aux jeunes de nationalité française âgés de 18 à 26 ans au moment de leur recrutement, résidant en métropole ou à l'étranger, à qui est proposé un « contrat de volontaire stagiaire du service militaire volontaire », souscrit pour une durée de six à douze mois.

Pendant cet engagement, les volontaires sont considérés comme des militaires d'active : ils servent au premier grade de militaire du rang, perçoivent une solde et sont soumis au statut général des militaires. La loi dispose qu'« Ils peuvent effectuer, dans le cadre légal des réquisitions ou des demandes de concours, des missions de sécurité civile. Ils peuvent également participer, dans le cadre de leur formation, à des chantiers d'application à la demande de l'État, des collectivités territoriales, de leurs établissements publics et des associations à but non lucratif déclarées d'utilité publique. »

Les volontaires du SMV sont « encadrés par des personnels militaires qui assurent la mission de formateur, assistés de militaires volontaires dans les armées » ; la participation d'intervenants extérieurs est prévue depuis 2018.

« Le service militaire volontaire comporte une formation militaire ainsi que diverses formations à caractère professionnel, civique ou scolaire visant à favoriser leur insertion sociale et professionnelle ». Les volontaires ont la qualité de stagiaires de la formation professionnelle au titre des actions de formation suivies dans ce domaine. Pourtant, sur la plateforme numérique « Un jeune, une solution », le SMV est classé dans la rubrique « engagement et bénévolat », comme le SMA, le service civique, le service national universel (SNU), la réserve opérationnelle dans les armées ou la Gendarmerie nationale, la réserve civile dans la Police nationale ou l'engagement dans les sapeurs-pompiers volontaires 107 ( * ) .

Implanté sur sept sites militaires, le SMV s'appuie sur 357 cadres d'active issus des trois armées ainsi que sur des personnels extérieurs (médecins, psychologues, assistantes sociales, enseignants...).

Outre la formation militaire et professionnelle, le programme du SMV fait une large place à la formation citoyenne, qui s'appuie notamment, selon les informations transmises par la direction du service national et de la jeunesse du ministère des armées, sur la visite d'institutions (Assemblée nationale, conseils régionaux, etc.), la participation à des cérémonies patriotiques et la réalisation par l'ensemble des volontaires d'une mission citoyenne de quelques jours pendant leur contrat (au profit de collectivités ou d'associations reconnues d'utilité publique ou sur demande de concours, par exemple dans le cadre de l'opération Résilience).

Le nombre de volontaires accueillis dans le cadre du SMV dépend, selon la loi de programmation 2018-2025, de la « capacité d'accueil des centres désignés par (le ministre chargé de la défense) pour mettre en oeuvre ce dispositif ». Environ 1 200 jeunes sont ainsi accompagnés chaque année dans les régiments et centres du SMV. Les jeunes femmes représentent environ 29 % des volontaires (soit la même proportion que pour l'Épide).

Les résultats de ce programme en matière d'insertion sont probants puisque le taux d'insertion socio-professionnelle des bénéficiaires a atteint 70 % en 2020 , au terme de cinq années de fonctionnement. Ce bilan positif a justifié l'annonce par la ministre des armées, en octobre 2020, d'un objectif d'augmentation de 25 % des effectifs de volontaires, pour atteindre 1 500 bénéficiaires en 2022 108 ( * ) .

Toutefois, ce nouveau format implique un effort en termes d'encadrement, le besoin étant évalué à 29 postes d'encadrants, selon les informations transmises par le ministère des armées. L'efficacité du SMV est en effet, comme celle de l'Épide, liée à la qualité de l'encadrement ; la réussite de la montée en puissance du dispositif exige donc une vigilance particulière dans ce domaine.

c) La citoyenneté, une priorité de l'accompagnement vers l'autonomie des jeunes accueillis par les missions locales

Selon l'Union nationale des missions locales (UNML), dont le représentant a été entendu le 30 mars 2022, chaque année 1 300 000 jeunes sont suivis par le réseau des missions locales et 2 200 000 jeunes entrent en contact avec celui-ci. Les effectifs des missions locales sont donc sans commune mesure le nombre de volontaires à l'insertion accueillis par l'Épide ou de volontaires du service militaire. Le taux d'encadrement est également cohérent avec les effectifs accompagnés : un ETP pour 50 jeunes en moyenne (un encadrant pour 2,5 jeunes à l'Épide) dans le cadre de la garantie jeunes , dispositif d'accompagnement et d'insertion mis en oeuvre principalement par les missions locales jusqu'en mars 2022 (voir infra).

La vocation des missions locales est, si l'on se réfère à l'article L. 5314-2 du code du travail, d'aider les jeunes âgés de 16 à 25 ans révolus (29 pour les jeunes en situation de handicap) à résoudre l'ensemble des problèmes que pose leur insertion professionnelle et sociale .

Comme l'a relevé la mission d'information du Sénat pour l'égalité des chances 109 ( * ) (voir l'encadré ci-après), les missions locales accueillent désormais des jeunes plus âgés (étudiants en situation difficile ou souhaitant se réorienter et jeunes sans perspective d'insertion professionnelle).

Les missions locales et l'égalité des chances

Le rapport de notre collègue Monique Lubin note que l'organisation des 436 missions locales pour l'insertion, réparties sur 6 800 sites, s'appuie sur un réseau « animé par l'UNML (Union nationale des missions locales), créée en 2003, mais chacune d'entre elle demeure autonome, sous réserve des missions qui leurs sont confiées par la loi ». Les missions locales « prennent la forme d'une association ou d'un groupement d'intérêt public (GIP) », « leur création résulte généralement de l'initiative de collectivités territoriales ».

Par ailleurs, constatant que « quand certaines missions locales interviennent à l'échelle d'un département, comme dans les Landes, d'autres ont un périmètre beaucoup plus restreint », la mission d'information du Sénat conclut à la nécessité d'un « renforcement de l'organisation du réseau », et invite les missions locales « à se regrouper à l'échelle départementale lorsqu'une échelle plus fine n'apparaît pas plus pertinente ».

Enfin, le rapport de Monique Lubin relève que les missions locales accueillent aujourd'hui « de nouveaux publics, souvent plus âgés, tels que des étudiants en situation difficile ou souhaitant se réorienter ou des jeunes de 25 à 30 ans sans perspectives d'insertion professionnelle » et qu'elles sont « les structures les plus à même de mener des actions de proximité autour desquelles pourrait s'organiser un service public de l'insertion des jeunes ». Il juge donc souhaitable « de permettre aux missions locales, qui le font parfois déjà, d'agir en faveur de l'ensemble des jeunes de leur territoire » et recommande l'ouverture d'une « réflexion sur l'organisation d'un service public de l'insertion des jeunes ».

Jusqu'en mars 2022, les missions locales étaient chargées de la mise en oeuvre de la garantie jeunes , « modalité spécifique du parcours contractualisé d'accompagnement vers l'emploi et l'autonomie » (article L. 5131-6 du code du travail) créée en 2016, destinée aux jeunes de 16 à 25 ans et assortie d'une allocation forfaitaire d'un montant mensuel équivalent à celui du RSA (article R. 5131-20 du code du travail). Depuis le 1 er mars 2022, le contrat d'engagement jeune (CEJ) qui lui a succédé implique également Pôle emploi aux côtés des missions locales. La création du CEJ par la loi de finances pour 2022 110 ( * ) vise un renforcement de l'intensité de l'accompagnement des jeunes. Le bénéficiaire d'un CEJ peut être conduit à suivre, en fonction du programme prévu par son contrat, un programme de 15 à 20 heures par semaine (sur une période pouvant aller jusqu'à douze mois) susceptible de comporter les éléments suivants : mises en situations professionnelles (stage en entreprise, par exemple), périodes de formation, phases de recherche d'emploi, seul ou en collectif, missions d'utilité sociale dans des cadres tels que le service civique, l'Épide ou les écoles de la deuxième chance.

Selon le site de l'Union nationale des missions locales, plus de 442 514 jeunes ont signé en 2021 un parcours personnalisé et contractualisé ; 682 587 jeunes ont accédé à un emploi, dont 67 035 en alternance ; 162 521 sont entrés en formation. Ces chiffres sont à rapporter au nombre de jeunes suivis chaque année par le réseau (1,3 million).

Dans le cadre de l'accompagnement vers l'insertion sociale et professionnelle, la vocation des missions locales est aussi, d'après l'UNML, de rendre les jeunes « acteurs de leur parcours d'insertion » 111 ( * ) . L'accès à « l'autonomie concrète, c'est-à-dire matérielle et professionnelle » est en effet un aspect décisif de leur rôle. La notion de citoyenneté est donc intégrée à un accompagnement conçu de manière globale (formation et accès à l'emploi, logement, santé, mobilité...). Elle est présentée à juste titre non seulement comme un « enjeu de l'insertion des jeunes », mais aussi comme une dimension de l'égalité des chances .

D'une part, « pour que les jeunes éprouvent la citoyenneté et comprennent qu'elle est un ensemble de droits et de devoirs, l'insertion dans la société - une place, un rôle, une utilité - est nécessaire » : leur formation citoyenne est donc une condition de leur insertion.

D'autre part, tant que l'égalité des chances n'est pas pour ces jeunes une réalité, ce ne sont que « des mots qui les confortent dans l'idée que la citoyenneté n'est pas pour eux ». La réussite de leur accompagnement est aussi une condition de leur citoyenneté.

La citoyenneté est donc devenue au cours de la période récente un « élément prioritaire » du réseau des missions locales , qui a dans cet esprit engagé une démarche de professionnalisation de ses conseillers, destinée à « intégrer la question de l'engagement et de la citoyenneté dans les modalités d'accompagnement ».

L'accompagnement des jeunes vers la citoyenneté peut se décliner dans ses aspects classiques (information sur le recensement, la JDC et le droit de vote, auxquelles s'ajoute l'information sur le service civique). Cette formation citoyenne peut aussi s'intéresser à des dimensions très concrètes telles que démarches administratives, demande de naturalisation, impôts, et banque 112 ( * ) . La formation citoyenne dispensée par les missions locales s'inscrit donc de manière cohérente dans un parcours dédié à l'autonomisation des jeunes.

Les interventions des missions locales dans le domaine de la citoyenneté ont vocation non seulement à compléter, mais aussi à donner tout son sens à l'accompagnement des jeunes vers l'insertion.

Les missions locales proposent différents types de modules et d'outils permettant d'engager la discussion sur la citoyenneté et les institutions avec des jeunes que leur l'environnement familial n'a pas nécessairement préparés à aborder ces problématiques : « la transmission d'une génération à une autre ne s'est pas faite ».

À l'approche des échéances électorales de 2022, diverses initiatives ont été mises en place pour favoriser la participation des jeunes : débats sur l'élection présidentielle, sur les droits et devoirs du citoyen, concours d'éloquence autour d'un « thème citoyen » : « Ne te demande pas ce que ton pays peut faire pour toi, mais ce que tu peux faire pour ton pays », débats, « accompagnement concret » dans les démarches liées à la délivrance d'une carte électorale... Ces activités sont abordées selon une logique « plus participative et moins ascendante que par le passé ». L'encadré ci-après en propose deux exemples éclairants.

Deux exemples d'ateliers citoyens organisés en 2022
« Bien vivre sa citoyenneté » (Mission locale du Chinonais)
et « Moi président » (Mission locale du Pays de Saverne)

La mission locale du Chinonais a proposé le 8 mars 2022 un atelier « Bien vivre sa citoyenneté » 113 ( * ) autour des thématiques du « civisme au quotidien » et du droit de vote - incluant des conseils très concrets pour s'inscrire sur les listes électorales - ainsi qu'un jeu sur la devise française, sur les symboles de la République (drapeau tricolore, Marianne, le coq, la semeuse) et sur les paroles de La Marseillaise .

La mission locale du Pays de Saverne a pris l'initiative, en mars 2022, d'un atelier intitulé « Moi président » , destiné à permettre aux jeunes de « se mettre dans la peau d'une personne du gouvernement » afin de prendre conscience de ce qu'implique de « prendre des décisions difficiles ». Au cours de deux tours de table successifs, les participants étaient invités à présenter les mesures qu'ils auraient prises, s'ils avaient été présidents :

- le 16 janvier 2020, c'est-à-dire au tout début de la pandémie, pour lutter contre la crise sanitaire ;

- le 24 février 2022, au début de la guerre entre l'Ukraine et la Russie, pour « intervenir dans le conflit ».

Une autre séquence, dédiée au droit de vote, rappelait l'histoire de ce droit en France, l'importance de ce devoir pour tout citoyen, les démarches à effectuer pour être inscrit sur les listes électorales et permettait aux participants de se familiariser avec l'application Elyze pour mieux connaître certains enjeux de l'élection présidentielle de 2022 (santé, relations internationales, environnement, éducation...) et mieux comprendre les programmes des différents candidats 114 ( * ) .

2. La responsabilisation dans le cadre scolaire : un exemple de bonne pratique

L'attention du rapporteur a été attirée par la situation des élèves exclus temporairement de leur établissement qui, faute de suivi, peuvent se trouver livrés à eux-mêmes pendant plusieurs jours.

Le respect par l'élève du règlement intérieur de l'établissement - et, de manière générale, le respect de la règle - fait partie de son parcours de citoyenneté.

À la suite des états généraux de la sécurité à l'école en avril 2010 et des Assises sur la prévention du harcèlement de mai 2011, une nouvelle échelle des sanctions pour les élèves du second degré a été mise en place (voir l'encadré ci-dessous). L'objectif de cette réforme est double : réaffirmer le respect des règles et limiter les exclusions, temporaires ou définitives, afin de lutter contre la déscolarisation.

L'échelle des sanctions applicables aux élèves des établissements du second degré (extrait art. R-111-13 du code de l'éducation)

« I.- Dans les collèges et lycées relevant du ministre chargé de l'éducation, les sanctions qui peuvent être prononcées à l'encontre des élèves sont les suivantes :

1° L'avertissement ;

2° Le blâme ;

3° La mesure de responsabilisation ;

4° L'exclusion temporaire de la classe. Pendant l'accomplissement de la sanction, l'élève est accueilli dans l'établissement. La durée de cette exclusion ne peut excéder huit jours ;

5° L'exclusion temporaire de l'établissement ou de l'un de ses services annexes. La durée de cette exclusion ne peut excéder huit jours ;

6° L'exclusion définitive de l'établissement ou de l'un de ses services annexes.

Les sanctions prévues aux 3° à 6° peuvent être assorties du sursis à leur exécution dont les modalités sont définies à l'article R. 511-13-1 ».

Cette nouvelle échelle des sanctions , précisée à l'article R. 511-13 du code de l'éducation, introduit la « mesure de responsabilisation ». Celle-ci consiste pour l'élève à participer, en dehors des heures d'enseignement, à des activités de solidarité, culturelles, de formation, ou à l'exécution d'une tâche à des fins éducatives. Elle peut être prononcée comme sanction ou comme alternative à une exclusion temporaire.

La mesure de responsabilisation

Celle-ci est prononcée par le chef d'établissement ou par le conseil de discipline. D'une durée maximale de 20 heures, elle ne peut représenter plus de trois heures d'activités par jour ni requérir la présence de l'élève plus de quatre jours par semaine. Pendant la durée de la mesure de responsabilisation, l'élève reste sous statut scolaire. Elle peut se dérouler au sein de l'établissement, d'une association, d'une collectivité territoriale, d'un groupement rassemblant des personnes publiques, d'une administration de l'État. L'élève doit s'engager à réaliser les activités prévues

Cette sanction, lorsque l'acte commis par l'élève la justifie, peut utilement faire comprendre à celui-ci les conséquences de ses actes.

Le vadémécum sur les mesures éducatives de responsabilisation dans les établissements du second degré donne des exemples intéressants de mesures de responsabilisation en ce sens. En cas d'atteintes aux biens, il est suggéré, entre autres mesures, que l'élève accompagne pendant plusieurs heures les agents de service dans leur travail d'entretien et de réparation, ou encore qu'il rencontre le SDIS s'il a déclenché sans raison un signal d'alarme.

S'agissant des mesures d'exclusion temporaire , elles présentent l'inconvénient de priver les jeunes de tout cadre structurant. Il importe donc de trouver une solution pour que ces sanctions aient un effet pédagogique et préventif .

Lors de son déplacement dans l'Hérault, la mission d'information a pris connaissance avec intérêt du programme d'accompagnement des élèves exclus temporairement de leurs établissements, mis en place entre la communauté urbaine de Montpellier, le rectorat et plusieurs services publics et associations, dont l'association Uni'Sons . Ce programme permet de s'assurer que l'élève soit pris en charge pendant sa période d'exclusion, au moins partiellement , dans un double but : d'une part, lui offrir une structure d'accueil pendant cette période, d'autre part lui faire comprendre le sens de la sanction et la lui faire accepter.

La prise en charge d'élèves temporairement exclus par l'association Uni'Sons
dans le cadre du programme de réussite scolaire de Montpellier
115 ( * )

L'échange entre les membres de la mission d'information et Habib Deshraoui, directeur, et Nacer Benammar, éducateur spécialisé, de l'association Uni'Sons à Montpellier a été l'occasion de présenter l'action de cette dernière pour accueillir des élèves temporairement exclus de leurs établissements.

Le jeune exclu de son établissement est accueilli les lundis matin, mercredis matin et vendredis matin, avec un bilan d'entrée et sortie réalisé par un éducateur spécialisé. Une prise en charge avec les structures partenaires (notamment le service de prévention du réseau des transports de Montpellier - TAM Prévention -, les services de la métropole de Montpellier ainsi que d'autres associations) est également possibles les autres jours. Après la réintégration, le jeune continue d'être accompagné par l'association, pendant au moins trois mois, avec des rendez-vous hebdomadaires. Le jeune a également la possibilité de participer aux ateliers d'écriture organisés tous les mercredis après-midi par l'association. Entre septembre et décembre 2020, l'association a accueilli 14 jeunes sur décision d'exclusion scolaire.

Mettre en place un « parcours coordonné global » et « favoriser la conscience citoyenne des jeunes » figurent parmi les objectifs de ce programme.

3. L'intérêt des stages de citoyenneté prévus dans le cadre judiciaire

Selon le code pénal 116 ( * ) , le stage de citoyenneté a deux objets :

- « faire prendre conscience [au condamné] de sa responsabilité pénale et civile ainsi que des devoirs qu'implique la vie en société » ;

- « favoriser son insertion sociale » .

Le stage de citoyenneté est destiné à plusieurs usages.

Il peut, en premier lieu, être prononcé en tant que mesure alternative aux poursuites, en application de l'article 41-1 du code de procédure pénale 117 ( * ) . Le parquet renonce alors à poursuivre l'auteur supposé d'une infraction si celui-ci accepte de suivre un stage de citoyenneté.

Un tel stage peut également être requis par le parquet comme mesure de composition pénale 118 ( * ) , qui peut être proposée, tant que l'action publique n'a pas été mise en mouvement, à une personne qui reconnaît avoir commis un ou plusieurs délits passibles d'une peine d'amende ou d'une peine d'emprisonnement d'une durée inférieure ou égale à cinq ans.

Le stage de citoyenneté peut aussi être prononcé dans le cadre d'un contrôle judiciaire socioéducatif 119 ( * ) , mesure alternative à la détention provisoire pour une personne en attente de jugement.

En outre, le stage de citoyenneté peut constituer une peine en soi, qu'il s'agisse d'une peine complémentaire, c'est-à-dire venant en plus d'une peine principale (peine d'amende ou d'emprisonnement) 120 ( * ) ou d'une alternative à l'emprisonnement 121 ( * ) .

Enfin, un stage de citoyenneté peut être prononcé par le juge d'application des peines dans le cadre d'un sursis probatoire 122 ( * ) .

L'article 131-5-1 du code pénal précise que le stage de citoyenneté tend à « l'apprentissage des valeurs de la République et des devoirs du citoyen » ; son coût incombe à la personne condamnée, dans la limite de 450 euros 123 ( * ) . Ces dispositions sont complétées par l'article R. 131-35 du même code qui précise, notamment, que ces valeurs républicaines se réfèrent à la tolérance et au respect de la dignité humaine.

Les stages de citoyenneté ont été présentés à la mission d'information par la directrice d' ABC Insertion, association créée il y a près de trente ans pour « promouvoir la citoyenneté et l'insertion socioprofessionnelle, dans un esprit de justice sociale, en accueillant tous les publics » 124 ( * ) . Cette association poursuit plusieurs objectifs, parmi lesquels « prévenir la délinquance et la récidive ; favoriser l'insertion socioprofessionnelle ; aider à une meilleure intégration du citoyen dans la société » 125 ( * ) . La formation citoyenne qu'elle dispense lors de ces stages s'inscrit donc également, parallèlement à la prévention de la récidive, dans une finalité d'insertion professionnelle.

ABC Insertion organise différents types de stages, dont des stages de citoyenneté qui représentent la moitié de son activité 126 ( * ) . Ces stages durent de trois à cinq jours et sont mis en oeuvre à la demande de services pénitentiaires d'insertion et de probation (SPIP) ou de parquets tels que ceux de Pontoise et Paris avec qui travaille l'association. Certains peuvent également se dérouler en milieu carcéral, auprès de détenus.

L'âge des stagiaires dépend des territoires : selon la directrice d'ABC insertion , la moyenne d'âge est de 26 ans en Seine-et-Marne ou à Paris, de 35 ans dans les Yvelines.

Le programme de ces stages varie en fonction de leur durée et ont, notamment pour objet de montrer aux stagiaires qu'ils sont des « citoyens à part entière » et, à ce titre, de leur rappeler leurs « droits et devoirs, le "vivre-ensemble", et le fonctionnement des institutions » 127 ( * ) .

Un travail sur la discrimination peut également être être mis en oeuvre afin que les stagiaires, qui se sentent souvent discriminés eux-mêmes, puissent « savoir précisément ce qu'est la discrimination, car on peut être discriminé et discriminant » : « L'objectif est de faire prendre conscience finalement que nous devons nous-mêmes travailler sur nos préjugés ».

Un volet « décryptage des médias » a été mis en place en 2015 par ABC Insertion à la demande de certains services souhaitant aborder le thème de la radicalisation : « De tels modules de décryptage sont un outil de lutte contre ce phénomène. (...) Depuis l'attaque contre Charlie Hebdo, les services pénitentiaires se montrent très intéressés. [...] Dans l'ensemble, les stagiaires nous disent souvent : "nous sommes manipulés". Dans un but pédagogique, nous n'entrons pas en conflit et nous demandons comment faire pour ne pas être manipulés ». Ce module vise à présenter des « réflexes anti intox » à des participants enclins à faire davantage confiance aux réseaux sociaux qu'aux médias.

Parmi les autres modules proposés lors de ces stages, la demi-journée consacrée au pouvoir judiciaire permet d'étudier le fonctionnement de la chaîne pénale. Lors d'un atelier structuré autour du documentaire La dixième chambre , de Raymond Depardon, les participants sont invités à rendre leur propre verdict, « toujours plus sévère que le jugement réel », selon la directrice de l'association : l'objectif est d'aider les stagiaires à « sortir du positionnement " nous contre la justice et l'État " ». Dans le même esprit, une séquence dédiée aux premiers secours « met les stagiaires en situation (...) de s'intéresser à l'autre » ; la participation de pompiers « permet de renouer le dialogue (...) malgré les caillassages qu'ils peuvent parfois subir dans certains quartiers ».

De manière éclairante, la visite du Mont-Valérien susceptible d'être proposée aux stagiaires confirme le rôle structurant du devoir de mémoire dans la formation citoyenne : ce rapport reviendra ultérieurement sur ce sujet, auquel la mission d'information a accordé une attention particulière.

Enfin, la visite du Carrefour des associations parisiennes permet aux stagiaires de comprendre le fonctionnement des associations et de sensibiliser les participants au rôle que chacune peut jouer dans la société à travers un projet associatif. L'idée est de « montrer que chacun doit travailler tous les jours à faire vivre ses droits et à pratiquer ses devoirs » et que chacun peut à son niveau faire vivre la devise républicaine et exercer concrètement sa citoyenneté.

Par ailleurs, dans le registre de l'insertion professionnelle, un atelier de « remobilisation vers l'emploi » permet d'informer les stagiaires sur les dispositifs existants. L'association est en outre en mesure d'orienter les stagiaires qui le souhaitent vers un accompagnement en insertion professionnelle.

Selon la directrice d' ABC Insertion , ces stages rencontrent un certain succès auprès des stagiaires puisque 96 % des participants se disent très satisfaits. Toutefois, cette satisfaction n'intervient qu'après un premier temps d'adaptation : « Dans l'ensemble, au début, les participants peuvent manifester leur mécontentement et parfois crier à l'injustice. Ils estiment pour la plupart n'avoir aucune raison de se trouver là. [...] Si certains participants manifestent encore leur mécontentement pendant la première matinée, même les plus réfractaires finissent par y prendre part. L'expérience des formateurs permet de créer un climat de confiance. Nous ouvrons très vite sur les règles de "vivre-ensemble", à l'intérieur du stage comme de la société, et ce sujet parle à tout le monde » .

Malgré ces résultats positifs, l'association n'est pas en mesure d'évaluer la portée des stages de citoyenneté. Cette difficulté est, en partie, due au contexte dans lequel ces stages se déroulent, qui implique l'anonymat des stagiaires : « comme nous accueillons des personnes qui se trouvent sous main de justice, nous ne disposons pas de leur identité et ne devons garder aucune trace de leurs données, ce qui nous empêche de les solliciter ultérieurement » . Selon la directrice d' ABC insertion , un travail de veille sur les chiffres européens et l'expérience du terrain « permettent de savoir que ces stages fonctionnent, mais nous ne disposons cependant d'aucune indication à notre échelle ».


* 81 Ordonnance n° 2005-883 du 2 août 2005 relative à la mise en place au sein des institutions de la défense d'un dispositif d'accompagnement à l'insertion sociale et professionnelle des jeunes en difficulté.

* 82 La défense et l'insertion des jeunes : le service militaire adapté et le dispositif « défense deuxième chance » : apprendre à réussir , rapport d'information fait par François Trucy au nom de la commission des finances, Sénat, n° 290, 2007-2008.

* 83 François Trucy, op. cit.

* 84 La fonction sociale des armées liées à la conscription s'est ainsi traduite par la conclusion de protocoles entre le ministère de la défense et le ministère du travail, puis en 1986, d'un protocole interministériel sur l'illettrisme et, en 1988, d'un protocole d'accord pour la coopération avec les missions locales d'insertion.

* 85 La mission d'information n'a pas travaillé spécifiquement sur le SMA, un rapport d'information récent de la commission des finances du Sénat ayant utilement fait le point sur ce sujet (voir l'encadré ci-après dans la partie consacrée au service militaire volontaire).

* 86 La dénomination juridique de l'établissement est « établissement public d'insertion de la défense » ; toutefois le conseil d'administration a fait le choix par une décision en date du 26 novembre 2015 d'utiliser le nom usuel d'« Établissement pour l'insertion dans l'emploi ».

* 87 Compte rendu du 27 janvier 2022.

* 88 À rapprocher, selon la directrice générale de l'Épide, du taux de un professionnel pour cinquante jeunes dans le cadre de la garantie jeunes.

* 89 Compte rendu du 27 janvier 2022.

* 90 Voir en annexe le compte rendu de ce déplacement.

* 91 Compte rendu du 27 janvier 2022.

* 92 Selon les informations transmises par l'Épide à la mission d'information.

* 93 Document écrit transmis par la direction générale de l'Établissement pour l'insertion dans l'emploi (Épide).

* 94 Voir en annexe le compte rendu de ce déplacement.

* 95 Compte rendu du 27 janvier 2022.

* 96 Compte rendu du 27 janvier 2022.

* 97 Compte rendu du 27 janvier 2022.

* 98 Jusqu'à la fin de 2021, l'indemnité mensuelle attribuée aux volontaires à l'insertion (210 euros + 90 euros capitalisés, remis au jeune lors de son départ du centre) était nettement inférieure à celle de la garantie jeunes (497 euros). Depuis le début de l'année 2022, l'indemnité mensuelle versée aux volontaires à l'insertion s'élève à 450 euros+50 euros par mois remis aux volontaires en fin de contrat.

* 99 Compte rendu du 27 janvier 2022.

* 100 Compte rendu du 27 janvier 2022.

* 101 Articles 22 et 23 de la loi n° 2015-917 du 28 juillet 2015 actualisant la programmation militaire pour les années 2015 à 2019 et portant diverses dispositions concernant la défense.

* 102 Article 32 de la loi n° 2018-607 du 13 juillet 2018 relative à la programmation militaire pour les années 2019 à 2025 et portant diverses dispositions intéressant la défense.

* 103 Arrêté du 30 octobre 2013 portant organisation interne de la direction générale des outre-mer.

* 104 Commandement du SMA, 26 mai 2021, Rapport d'activité 2020.

* 105 Rapport d'information fait au nom de la commission des finances par Nuihau Laurey et Georges Patient , n° 329 (2018-2019), déposé le 20 février 2019.

* 106 Les citations ci-dessous se réfèrent au texte de l'article 32 de la loi de programmation militaire de 2018.

* 107 https://www.1jeune1solution.gouv.fr/ , site consulté en avril 2022.

* 108 Lors de la visite du 9 octobre 2020 au 3 e régiment du service militaire volontaire (3 e SMV) de La Rochelle.

* 109 L'égalité des chances, jalon des politiques de jeunesse , n° 848 (2020-2021), 23 septembre 2021.

* 110 Article 208 de la loi n° 2021-1900 du 30 décembre 2021.

* 111 Les citations ci-après sont issues de l'audition du délégué général adjoint de l'UNML (compte rendu du 30 mars 2022).

* 112 Citoyenneté -- Missions locales Auvergne-Rhône-Alpes (missions-locales.org)

* 113 Atelier Bien vivre sa citoyenneté (Mission Locale du Chinonais) (unml.info)

* 114 L'application présente les différentes propositions des candidats sans dévoiler leurs noms ; l'objectif est de « swiper » vers la droite si l'on est d'accord, vers la gauche si l'on est contre et de cliquer au milieu si l'on n'a pas d'avis. L'application indique in fine de quels candidats l'utilisateur est le plus proche.

* 115 Sources : déplacement de la mission dans l'Hérault en mars 2022 (compte rendu annexé à ce rapport) ; Contrat de ville de Montpellier Méditerranée Métropole - plateforme de prévention du décrochage scolaire et des ruptures éducatives chez les 10-16 ans.

* 116 Article R. 131-35 du code pénal.

* 117 Cet article prévoit également d'orienter l'auteur des faits, selon les cas, vers d'autres stages : stage de responsabilité parentale, stage de sensibilisation à la lutte contre l'achat d'actes sexuels, stage de responsabilisation pour la prévention et la lutte contre les violences au sein du couple et sexistes, stage de lutte contre le sexisme et de sensibilisation à l'égalité entre les femmes et les hommes, stage de sensibilisation aux dangers de l'usage de produits stupéfiants et stage de sensibilisation à la sécurité routière.

* 118 Article 41-2 du code de procédure pénale.

* 119 Article 138 du code de procédure pénale.

* 120 C'est par exemple le cas des atteintes volontaires à l'intégrité physique ou psychique d'une personne.

* 121 Article 131-5-1 du code pénal.

* 122 Article 132-45 du code pénal.

* 123 Montant maximum d'une amende contraventionnelle de 3 e classe visé à l'article 131-5-1 précité.

* 124 Compte rendu du 23 février 2022.

* 125 Compte rendu du 23 février 2022.

* 126 Depuis 2006, les 624 stages de citoyenneté organisés par ABC Insertion ont ainsi accueilli près de 7 000 participants, avec en moyenne dix à douze personnes par stage (source : audition du 23 février 2022).

* 127 Compte rendu du 23 février 2022. Les citations ci-après sont extraites de ce compte rendu.

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