1. Une insuffisante culture industrielle de l'administration qui aboutit à des délais d'instruction souvent plus longs que ceux de nos concurrents
De nombreux intervenants ont mis en avant la difficulté de l'administration et des organismes publics à comprendre les contraintes des entreprises et ont souligné le handicap que les procédures administratives peuvent représenter pour ces dernières .
a) Un manque de culture technique et industrielle de l'administration
Plusieurs orateurs, tels Patrice Caine 1 , PDG de Thales, ou Romain Soubeyran 2 , directeur général de CentraleSupélec, ont insisté sur l'insuffisante culture technique, scientifique et industrielle de l'administration, exception faite de la direction générale de l'armement (DGA) . La perte progressive d'influence du ministère de l'industrie jusqu'à sa dilution dans le ministère de l'économie et des finances, via la création d'une simple direction générale des entreprises (DGE), s'est accompagnée d'une perte de compétences. Comme l'a fait remarquer Patrice Caine : « la DGE ne dispose pas de la richesse intellectuelle et du potentiel de la DGA. Or nous aurions besoin d'une direction générale de l'industrie ou d'une DGE possédant cette richesse humaine et cette capacité d'intervention. [...] Il y a beaucoup de bonne volonté mais, sans les compétences et les moyens, il y a peu de chances que nous parvenions à faire émerger des filières puissantes ». À cet égard, il s'est inquiété de la réforme de la haute fonction publique qui risque d'entraîner la suppression des corps techniques de l'État :
« Nous aurions donc des profils d'une diversité culturelle plus large mais moins de personnes très spécialisées dans certains domaines, ce dont nous avons besoin. »
Cette perte de compétences a des répercussions dans l'efficacité de la politique de soutien aux industries innovantes. Comme l'ont regretté Sylvain Boucher et Patrick Robert, respectivement président et vice-président de France Clusters, les comités d'experts réunis pour sélectionner les offres ne sont pas toujours à la hauteur des enjeux industriels : « le processus est trop léger, par manque d'expertise technique » 3 .
Même les équipes de Bpifrance semblent affectées par le manque d'expertise dans le domaine industriel. Tous les représentants de fonds d'investissement rencontrés ont insisté sur la nécessité de disposer de compétences techniques pour analyser et accompagner les investissements.
1 Audition du 19 janvier 2022.
2 Audition du 2 février 2022.
3 Audition du 15 mars 2022.
Célia Hart, general partner du fonds Supernova Invest 1 , elle-même docteur de l'université d'Oxford en chimie et biologie moléculaire et forte d'une expérience dans le domaine des biotechnologies, indique ainsi que toutes
« les personnes que [Supernova] recrut[e] ont cette triple compétence : elles ont une forte technicité - elles sont soit ingénieurs, soit docteurs, soit pharmaciens -, elles sont passées presque systématiquement par l'industrie ou ont travaillé dans des start-up, et elles ont travaillé dans l'investissement [...]. De telles compétences sont indispensables pour être en mesure de mener un examen critique d'une feuille de route et d'en faire l'analyse de risques » . Or l'équipe du fonds Société de projets industriels de Bpifrance n'est composée que de profils généralistes (issus de Sciences Po ou d'une école de commerce), à l'exception d'un ingénieur. On peut se demander si leurs investissements auront la même pertinence et bénéficieront de la même qualité de suivi que ceux des fonds privés disposant de profils pluridisciplinaires.
L'absence de compétences techniques internes oblige en outre à recourir à des experts privés pour analyser les dossiers des entreprises sollicitant un soutien public, ce qui peut les mettre dans une situation délicate au regard du secret des affaires . Comme l'a expliqué Julien Cantegreil 2 , « Pour obtenir la moindre aide, nous devons dévoiler nos projets aux experts, qui sont issus de la concurrence. [...] On s'expose à nos concurrents directs, ce n'est pas possible... »
b) Des délais administratifs trop longs et des procédures séquentielles plutôt que simultanées
Un rapport récent 3 s'inquiète des délais nécessaires pour implanter un site industriel en France par rapport à ceux de nos concurrents en raison de la longueur des procédures administratives, notamment environnementales 4 . De même, le risque de contentieux contre le permis de construire est évoqué par des industriels « comme un frein à l'implantation en France » 5 , en raison de délais de jugement élevés.
Le secteur de la santé - healthtech , medtech , biotech 6 -, qui représente 40 % des investissements français réalisés dans les technologies innovantes,
1 La même remarque peut être faite à l'égard des représentants des autres fonds que votre rapporteur et votre président ont rencontrés : Ibionext, Auriga et Sofinova, le 8 mars 2022, ou encore AdBio Partners, le 30 mars 2022.
2 Audition du 8 mars 2022.
3 Guillot (Laurent), Simplifier et accélérer les implantations d'activités économiques en France , rapport au Gouvernement, janvier 2022.
4 Ce rapport montre par exemple que l'administration française attend presque systématiquement que l'étude faune/flore réalisée par le pétitionnaire porte sur quatre saisons, quelle que soit l'ampleur du projet, alors que cette étude porte sur quatre à six mois en moyenne en Allemagne, douze au maximum pour une usine. La durée et le périmètre de l'étude devraient être proportionnés au projet. 5 Ibidem , page 24.
6 Healthtech : logiciels de médecine, numérique de santé, télémédecine, etc. Medtech : équipements médicaux, machines, logiciels de traitement et de diagnostic, etc. Biotech : biologie, médicaments, molécules, etc .
semble particulièrement affecté par les lenteurs administratives, comme l'illustre l'exemple cité par Stéphane Bancel 1 , PDG de Moderna, à propos d'un projet de vaccin : « la phase d'étude s'est achevée en Angleterre avant qu'elle ne démarre en France ! C'est un énorme problème. Pour toute société, le temps c'est de l'argent, et pour une société qui n'a pas de revenus, donc pas de profits, la contrainte de temps est encore plus forte. »
Les procédures d'autorisation du remboursement d'un médicament ou d'un dispositif médical innovant traînent également en longueur. Pour Élodie Chapel 2 , conseillère de Wandercraft, l'enjeu est « la souplesse et la rapidité d'exécution dans l'intégration de l'innovation. Le rôle de l'État, en l'espèce, est de ne pas nuire. Cela veut dire accélérer les autorisations et, pour ce qui est des innovations en santé, l'accès au remboursement, qui est le nerf de la guerre. Sur ce dernier point, il reste du travail, même si beaucoup a été fait 3 pendant le dernier quinquennat ». Alexia Perouse 4 , PDG du fonds d'investissement Ibionext, a indiqué qu'il fallait attendre quatre à cinq ans pour obtenir un accord de l'assurance maladie concernant le remboursement d'un médicament ou d'un dispositif médical, contre quatre à six mois en Allemagne ! 5
L'organisation séquentielle, plutôt que parallèle, des étapes administratives visant à valider le lancement d'une activité de recherche appliquée est l'une des causes de l'allongement des délais . Le tableau présenté par Philippe Chambon 6 , PDG d'EG 427, comparant les étapes d'autorisation d'un laboratoire en thérapie génique entre la France et la Suisse est éclairant : un laboratoire installé en Suisse démarre son activité neuf mois et demi avant son concurrent implanté en France, en raison, notamment, de la simultanéité des différentes procédures d'autorisation mise en place par l'administration suisse .
1 Audition du 30 mars 2022.
2 Audition du 30 mars 2022.
3 Voir infra, III.B.2, les procédures accélérées de mise sur le marché.
4 Entendue par votre rapporteur et votre président, le 8 mars 2022.
5 La mission d'information a entendu une voix discordante. Lors de son audition, le 8 mars 2022, Bruno Bonnell, secrétaire général pour l'investissement, s'est appuyé sur son retour d'expérience en tant qu'entrepreneur pour affirmer que « les procédures administratives prennent le même temps ici ou ailleurs, mais pas au même stade ».
6 Rencontré par la mission d'information lors de son déplacement à la SATT de Saclay.